M. le président. La parole est à M. Maurice Antiste, sur l'article.
M. Maurice Antiste. Le sommet de la Terre de Rio de Janeiro a introduit dès 1992 le terme « biodiversité ». Depuis, la préservation de la biodiversité s’est imposée comme un enjeu écologique et sociétal majeur et fait l’objet d’une prise en compte croissante dans les politiques publiques.
C’est d’ailleurs dans cette optique de préservation de la biodiversité qu’ont été mises en place des stratégies de restauration et de conservation des espaces et des espèces protégés. Tout projet d’aménagement doit ainsi comporter une étude d’impact environnementale devant permettre de préciser les mesures susceptibles d’éviter, de réduire et, le cas échéant, de compenser les atteintes portées à l’environnement par ce projet.
Quel que soit le type de compensation écologique envisagée, sa mise en œuvre suppose une capacité à estimer les impacts d’un projet aux moyens d’indicateurs de biodiversité, afin de les compenser ailleurs par des opérations de création, de restauration, de réhabilitation ou de préservation apportant un gain quantitatif au moins équivalent pour la biodiversité. Le mécanisme le plus courant de mise en œuvre de mesures compensatoires en France est aujourd’hui la compensation par la demande.
Cependant, le présent article introduit, à côté de cette compensation par la demande, une compensation par l’offre consistant à recourir à des sites naturels de compensation, sans que cette modalité soit soumise aux procédures de l’article L. 122-3 du code de l’environnement. En effet, la compensation par l’offre repose sur la conduite et le suivi à long terme d’opérations de génie écologique, de réhabilitation ou de création de biodiversité par des acteurs spécialisés.
La rédaction actuelle, en l’absence de clarification, aboutit à ce qu’une compensation par acquisition commerciale d’unités de compensation puisse n’être débattue, et arrêtée, qu’au moment de la décision finale d’autorisation du projet, sans avoir fait l’objet des garanties préalables apportées par l’avis de l’autorité environnementale et la concertation.
Or ce sont précisément ces garanties qui permettent de contrôler l’équivalence entre impacts et compensation mentionnée à l’alinéa 14 du présent article qu’il y aurait donc lieu de supprimer.
Cet article suscite par ailleurs chez moi deux inquiétudes.
Plusieurs effets pervers ou collatéraux sont possibles. On risque notamment de laisser croire que tout est compensable. Aussi est-il nécessaire, selon moi, d’intégrer systématiquement des écologues compétents, afin d’évaluer la juste compensation pour un projet donné, de manière transparente. Il faut pour cela s’appuyer sur la connaissance de l’histoire du site et de son éco-potentialité réelle, évaluer les effets futurs des polluants dispersés par l’exploitation et envisager d’éventuelles mesures correctrices, ce qui est rarement le cas aujourd’hui.
En outre, il est souvent difficile, voire impossible, de mettre en œuvre une mesure rétro-correctrice. Prenons ainsi le cas de la construction d’une autoroute. Une fois l’étude d’impact réalisée, le budget alloué et les mesures compensatoires exécutées, le maître d’ouvrage disparaît, car il n’a plus de raison d’être, au profit d’un gestionnaire ou d’un concessionnaire. Si la preuve est ensuite apportée que la régression d’espèces ou d’habitats est bien un effet de la construction de l’autoroute, l’autorisation délivrée par l’État ne peut pas être retirée ou renégociée, le groupement constructeur ayant disparu, et l’argent supplémentaire est difficile à trouver.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 2 rectifié ter est présenté par MM. Boulard, Collomb et Doligé, Mme Jourda, MM. Cabanel, Montaugé et Guerriau, Mme Guillemot et MM. Masseret, Chiron, de Nicolaÿ, Lorgeoux et Patriat.
L'amendement n° 106 rectifié est présenté par Mme Gatel, MM. Cigolotti, Détraigne, Guerriau, Canevet, Médevielle, Tandonnet, Roche, D. Dubois, L. Hervé et Capo-Canellas, Mme Billon et M. Gabouty.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 4
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Lorsqu’un projet d’intérêt général conduit par une collectivité publique est susceptible de porter une atteinte réparable à la biodiversité, les mesures de compensation exigées ne doivent ni par leur coût, ni par leur délai, être de nature à remettre en cause le projet.
La parole est à M. Jean-Claude Boulard, pour présenter l’amendement n° 2 rectifié ter.
M. Jean-Claude Boulard. Permettez-moi d’évoquer une espèce plus menacée qu’on l’imagine, à savoir l’élu aménageur. (Sourires.)
Le croisement sur un territoire d’un projet d’intérêt public porté par une collectivité publique et d’une espèce protégée conduit en général à retarder le projet et à surenchérir son coût, voire parfois à l’abandonner.
À cet égard, je donnerai deux exemples : celui de l’autoroute A28 (Mme Nathalie Goulet opine.), paralysée pendant dix ans par le scarabée pique-prune, et celui d’un projet à Brest, bouleversé par l’escargot de Quimper. Je pourrais citer des dizaines d’autres exemples de ce type. Je déplore d’ailleurs qu’il n’existe pas d’état des lieux des projets ayant été remis en cause par une telle confrontation.
Dès lors que deux intérêts publics se trouvent confrontés – la protection d’une espèce et un aménagement public –, il existe un principe en droit, le principe de proportionnalité : si le préjudice est réparable, on veille à ce que la réparation, dans ses délais comme dans son coût, soit compatible avec le projet d’intérêt général. Je me borne dans cet amendement à rappeler un principe de droit.
Si ce dernier n’était pas pris en compte, il y aurait fort à craindre pour cette espèce essentielle qu’est l’aménageur. L’espèce la plus protégée serait alors le riverain. On ne compte plus en effet le nombre de cas dans lesquels les riverains hostiles à un projet s’emparent d’une espèce protégée aux seules fins de bloquer un aménagement !
M. le président. La parole est à M. Daniel Dubois, pour présenter l’amendement n° 106 rectifié.
M. Daniel Dubois. Je partage entièrement les propos de mon collègue sur le principe de proportionnalité.
Un autre problème se pose par ailleurs. Que se passera-t-il si un projet est bloqué pendant trois, dix ou quinze ans, mais que finalement les risques envisagés ne surviennent pas ? Des dommages et intérêts seront-ils versés ? Un retour en arrière est-il possible pour la collectivité ou l’établissement public dont le projet aura été complètement écorné ou interdit ?
Permettez-moi à mon tour de donner un exemple. Dans mon département, le projet de construction d’une ZAC de 48 hectares a été bloqué pendant cinq ans par l’œdicnème criard, l’échassier des plaines, ce qui a empêché l’implantation d’une entreprise. En conséquence, ce sont 250 emplois qui sont partis.
Le syndicat mixte, composé d’une région et de deux communautés de communes, a malgré tout créé sa zone avec cinq ans de retard. Aujourd'hui, alors qu’il a supporté une partie des investissements, qu’il rembourse des emprunts et paie des agios, il n’a pas de retour, l’entreprise ne s’étant pas implantée.
Cet amendement me paraît extrêmement important pour les collectivités locales et les établissements publics qui s’engageraient dans ce type de travaux.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jérôme Bignon, rapporteur. Chacun dans cette enceinte s’accorde à dire qu’un projet doit pouvoir être réalisé dans les meilleurs délais possibles. Malheureusement, à l’impossible nul n’est tenu : il faut prendre en compte la réalité, des cas de force majeure ou des rencontres inopinées.
S’ils étaient adoptés, ces amendements identiques ne résoudraient pas le problème soulevé, car il est purement déclaratif. Or les déclarations d’intention – je n’ai pas pensé à en rédiger quelques-unes pour vous faire sourire – ne font pas avancer les projets. Vous le savez tous, vous qui, comme moi, mes chers collègues, passez votre temps à écrire aux préfets, aux directeurs de l’équipement, aux ministres, pour que les projets avancent plus vite. Est-ce le cas ? Non !
Quelqu’un, dont je ne dévoilerai pas le nom, m’a répondu hier, alors que je lui disais que la loi devait avoir un caractère normatif, qu’elle avait un caractère politique. Ce n’est pas mon sentiment, mais cela peut être le vôtre. Cela étant dit, inscrire la phrase qui est proposée dans le code de l’environnement n’apportera pas grand-chose.
Enfin, et je terminerai sur ce point, je ne suis pas d’accord avec l’idée évoquée par Daniel Dubois qu’on ne peut rien faire. En cas de manquement fautif de l’administration à instruire le dossier, chaque maître d’ouvrage est fondé à saisir le tribunal administratif. L’État et des collectivités ont déjà été condamnés pour manquement, défaut de diligence. Peut-être faudrait-il travailler dans cette direction au lieu de voter des dispositions n’ayant pas grande utilité, et étudier avec des professeurs de droit comment faire avancer la notion de diligence pour les projets administratifs… Cela me paraît une piste plus intéressante.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État. Le Gouvernement ne considère pas forcément que les aménageurs soient une espèce en danger ! Il s’agit d’une espèce comme les autres, qu’il faut assister, en particulier les élus, car ils doivent tenir compte de différentes priorités sur leur territoire, ce qui n’est pas toujours simple. Le Gouvernement est évidemment à leurs côtés pour les aider à réaliser au mieux leurs aménagements.
Cela étant, chacun a en mémoire les cas qui viennent d’être évoqués, car ils ont fait beaucoup de bruit. Le projet de loi vise justement à résoudre les problèmes des projets d’aménagement ayant été stoppés pour des raisons comme celles dont il vient d’être question.
Il s’agit d’anticiper les difficultés en mettant en place le triptyque « éviter, réduire, compenser », afin que l’aménageur ait dès le départ les éléments lui permettant de préparer son projet, de prendre en compte différents impératifs et de ne pas rencontrer de problème par la suite.
Je rappelle que le rôle de l’Agence française pour la biodiversité et de ses antennes locales sera bien évidemment d’aider les élus et les aménageurs, de leur donner des conseils techniques, éventuellement de leur suggérer de petites modifications, afin que leurs projets puissent avancer et ne pas être bloqués.
Je suis heureuse de constater que le présent projet de loi répond aux attentes réelles des élus locaux, mais pas seulement.
Les deux amendements identiques qui viennent d’être présentés tendent à éviter la remise en cause d’un projet déclaré d’intérêt général du fait de la mise en œuvre de mesures compensatoires. L’idée est que tous les projets respectent la séquence « éviter, réduire, compenser », s’agissant des impacts sur la biodiversité, même s’ils sont d’intérêt général. Ce principe fort, dont nous avons débattu hier assez longuement, est affirmé clairement et sans ambiguïté dans le texte.
Grâce à l’Agence française pour la biodiversité, le maître d’ouvrage pourra tout à fait revoir son projet si cela est nécessaire, afin d’éviter et de réduire au maximum les impacts sur la biodiversité. Ainsi, les mesures compensatoires seront plus acceptables. Le travail se fera en amont et sera facilité. L’objectif est de pouvoir continuer à mettre en œuvre des projets tout en respectant la biodiversité, comme nous le souhaitons tous.
Par conséquent, je suis défavorable à ces deux amendements.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Boulard, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Boulard. M. le rapporteur m’objecte que la phrase que tend à insérer mon amendement est une déclaration de principe. D’une part, il me semble que nous avons adopté de nombreuses déclarations de ce type depuis hier soir et qu’elles sont essentielles ; d’autre part, cette objection ne me paraît pas fondée, car il ne s’agit pas d’une déclaration de principe.
Si le principe de proportionnalité est instauré en l’espèce, l’élu aura un point d’appui, dans le cas où le préjudice est réparable, lors de son dialogue avec l’État, éventuellement avec les juges. Il s’agit là d’un principe fondamental du droit. Lorsque deux intérêts publics sont confrontés, on cherche un équilibre, un compromis.
Je sais que beaucoup d’entre vous, mes chers collègues, ne manqueront pas de me dire que j’ai raison. Le nombre de projets ayant été bloqués prouve bien qu’on ne peut pas se contenter de la situation actuelle. Le principe de proportionnalité est essentiel pour débloquer des projets, même si tous ne pourront pas être sauvés. Même si ce sera au cas par cas, il aidera un peu les élus.
Éric Doligé et moi-même nous sommes beaucoup engagés en matière d’allégement des normes. Il ne faut donc pas faire preuve de schizophrénie : nous ne pouvons pas en même temps être unanimes sur l’allégement des normes et refuser de faire une lecture facilitatrice d’une norme lorsque cela nous est proposé. (M. Jean-Louis Carrère applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Éric Doligé, pour explication de vote.
M. Éric Doligé. Je remercie mon collègue Boulard d’avoir déposé l’amendement n° 2 rectifié ter, que j’ai cosigné. D’habitude, nous défendons des amendements séparés, mais j’ai souhaité ne pas multiplier les documents dans le cadre d’un projet de loi relatif à la biodiversité.
Je vous ai écoutée, madame la secrétaire d'État, tout comme M. le rapporteur. Selon vous, ce projet de loi va permettre de faciliter les procédures et d’anticiper. C’est ce que l’on nous dit depuis des années à propos des fouilles archéologiques : des cartes sont prêtes et il suffit de les consulter avant de se rendre sur un terrain. Or les cartes n’existent pas dans la plupart des cas et, dès que nous entreprenons un aménagement, nous nous trouvons coincés par des fouilles imprévues… L’anticipation est un élément intéressant, mais bien souvent difficile à mettre en pratique.
Je suis très attaché à cet amendement, qui m’évoque, comme à beaucoup d’entre nous, un certain nombre de souvenirs. Jean-Noël Cardoux et moi-même avons pu constater que le terrain sur lequel devait être implanté un projet abritait un couple de crapauds calamites – ils portent bien leur nom… – introduit par des gens du voyage qui y stationnaient régulièrement. Il en est résulté qu’il fallait fabriquer un crapauduc, ouvrage dont j’ignorais l’existence. On apprend beaucoup de choses grâce à ces problématiques. Quoi qu’il en soit, il reste un réel souci. Nous n’avions en effet pas les moyens de consacrer 400 000 euros au déplacement d’un couple de crapauds venus là en peu par hasard… Nous avons ainsi perdu des années à résoudre le problème.
De tels exemples abondent, et ce n’est pas supportable. L’amendement de Jean-Claude Boulard me convient tout à fait. Il n’est pas plus déclaratif que beaucoup d’autres dispositions du texte. On a beau dire que l’on va anticiper, le problème va forcément se reproduire. Nous connaissons tous des dossiers en cours confrontés à de telles problématiques, et l’adoption de cet amendement nous permettra d’avancer beaucoup plus vite.
L’économie et l’investissement méritent tout de même que l’on se penche un peu sérieusement sur ce sujet.
M. le président. La parole est à M. Charles Revet, pour explication de vote.
M. Charles Revet. L’amendement n° 2 rectifié ter soulève un vrai problème qu’il va bien falloir résoudre, même si la réponse qu’il tend à apporter n’est pas forcément la bonne.
Je souhaiterais rebondir sur le cas de l’A28, évoqué par M. Boulard, reliant la Seine-Maritime à Alençon.
M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. En passant par l’Eure !
M. Jérôme Bignon, rapporteur. Et la Somme !
M. Charles Revet. Notre ancien collègue Daniel Goulet s’était énormément investi sur ce dossier, qui s’est traduit par deux années de retard et 20 millions de francs supplémentaires, ce qui n’est pas sans conséquence. On a découvert ultérieurement que l’espèce de scarabée protégée qui nichait dans un arbre mort était présente un peu partout alentour et qu’il aurait suffi de déplacer la branche…
Comme l’a souligné M Doligé, la situation est analogue avec les recherches archéologiques.
Madame la secrétaire d’État, mes collègues ont eu raison de déposer cet amendement : il faut traiter les problèmes ! Nous ne pouvons pas laisser retarder ainsi à l’infini maints dossiers extrêmement importants pour l’aménagement du territoire ou tout autre domaine sur la base d’une simple remarque en termes de recherches archéologiques ou de protection de la biodiversité.
Il me semble important que nous trouvions une solution.
M. Charles Revet. Il faut être attentif à ces questions, sans toutefois stopper des projets qui sont indispensables.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Je remercie Charles Revêt d’avoir évoqué Daniel Goulet à propos du dossier emblématique de l’A28 et du scarabée pique-prune qui soulève le problème des normes. Sur ce malheureux petit bout de route, nous avons connu Natura 2000, les normes européennes, les appels d’offres… et, évidemment, le budget a explosé !
Je soutiendrai résolument ces amendements identiques. D’une part, j’ai vécu une partie des vingt ans de combat mené à l’égard de cette petite portion de l’A28. D’autre part, la notion de prévisibilité est une nouveauté intéressante. Comment faire pour éviter que l’espèce d’empilement rétroactif des normes n’interdise ensuite la réalisation des projets ? Il faut se battre contre les normes et les coûts exorbitants qu’atteignent un certain nombre de projets.
Les grands projets ambitieux d’investissement sont peu nombreux aujourd'hui du fait non pas tant de questions environnementales que de la situation économique, madame la secrétaire d'État.
Ces amendements sont selon moi équilibrés et permettent de respecter de façon raisonnable l’environnement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux, pour explication de vote.
M. Jean-Noël Cardoux. Mes chers collègues, Éric Doligé ayant évoqué le cas du crapaud, je vais vous parler des chauves-souris. (Sourires.)
La belle commune de Sully-sur-Loire, dont j’étais maire, comporte un pont sur lequel transitent 18 000 véhicules par jour, dont des camions. Avec le département du Loiret, nous avons entrepris le doublement de ce pont. Nous nous sommes engagés dans toutes les enquêtes, notamment relatives à Natura 2000. Une pétition européenne a été lancée ; nous avons reçu des commissaires européens. La commissaire italienne, je m’en souviendrai toujours, préconisait que les camions prennent l’autoroute, dont la première entrée est située à cinquante kilomètres, alors qu’ils desservaient une grosse usine implantée à deux kilomètres au sud de ma commune… Vous constatez la logique de cette démarche !
Nous pensions être arrivés au bout du tunnel lorsqu’il a fallu engager une énième étude d’impact pour connaître les conséquences de cet ouvrage sur la faune et la flore de la Loire, dernier fleuve sauvage, et nous sommes repartis pour dix-huit mois d’enquête. Il faut savoir que le tarif de ce genre d’étude est généralement compris entre 150 000 et 200 000 euros. Il est apparu, à l’issue de l’enquête, qu’une sous-espèce de chauve-souris ayant l’habitude de dormir sous les arches de ponts ligériens – les ponts sont nombreux dans le Loiret – pouvait être perturbée, eu égard à son habitat, pendant les travaux. Tel est le résultat de l’étude d’impact qui a coûté au bas mot 150 000 euros au département du Loiret et fait perdre dix-huit mois à deux ans ; je n’invente rien !
Au final, compte tenu de la compatibilité du financement de cet ouvrage avec les finances du département, nous attendons encore le premier coup de pioche et je me demande s’il adviendra un jour. Si nous n’avions pas perdu ces dix-huit mois, les habitants de ma commune ne seraient peut-être plus confrontés aux nuisances sonores, olfactives et autres que représente le passage de 18 000 véhicules par jour. Bien que pacifistes, je crois qu’ils n’aiment pas trop les chauves-souris ! (Sourires.)
6
Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire
M. le président. Mes chers collègues, j’ai le plaisir de saluer, dans la tribune d’honneur du Sénat, une délégation de six parlementaires de l’Assemblée consultative du Royaume d’Arabie Saoudite, conduite par M. Abdulrahman Al Sweilam, président du groupe d’amitié avec la France. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mme la secrétaire d’État, se lèvent.)
La délégation est accompagnée par les membres du groupe d’amitié France-Pays du Golfe, présidé par notre collègue Mme Nathalie Goulet.
Sa venue en France témoigne du dynamisme de notre coopération interparlementaire.
Elle intervient quelques mois seulement après une mission menée en Arabie Saoudite par une délégation du groupe d’amitié du Sénat, fin janvier.
Consacrée notamment aux enjeux de la lutte contre le terrorisme, cette mission avait permis de souligner l’importance et l’intérêt des échanges entre nos parlements.
Ce nouveau dynamisme de notre coopération interparlementaire s’exprimera aussi à travers l’organisation au Sénat, le 23 mai prochain, d’un colloque consacré aux « Nouveaux visages de l’Arabie Saoudite ».
Mes chers collègues, permettez-moi de souhaiter, en votre nom à tous, à nos homologues de l’Assemblée consultative saoudienne, une cordiale bienvenue, ainsi qu’un excellent et fructueux séjour. (Applaudissements.)
7
Reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages
Suite de la discussion en deuxième lecture d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. Nous reprenons la discussion en deuxième lecture du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.
Article 33 A (suite)
M. le président. Dans la discussion du texte de la commission, nous poursuivons les explications de vote sur les amendements identiques nos 2 rectifié ter et 106 rectifié déposés à l’article 33 A.
La parole est à M. Gérard Bailly, pour explication de vote.
M. Gérard Bailly. Je veux féliciter à mon tour mes collègues d’avoir déposé ces amendements très importants. J’avais d'ailleurs déjà cité avant-hier soir plusieurs dossiers qui n’avaient pas pu être traités du fait de certains problèmes liés à la faune ou à la flore.
Tous ceux qui ont exercé des responsabilités comme président de conseil général, président de communauté de communes ou maire ont connu un jour ou l’autre des difficultés. Je me souviens encore, en tant que président de conseil général, de n’avoir pas pu aménager deux virages sur une route en raison de la présence de certaines fleurs que l’on trouvait pourtant ailleurs. Quinze ans après, madame la secrétaire d'État, ces virages ne sont toujours pas modifiés !
Je pourrais bien entendu vous citer d’autres cas. Un important dossier n’a pas pu aboutir au sein de ma communauté de communes, alors que nous avions consenti de lourds investissements pour réaliser les fouilles archéologiques et financer les dossiers d’architectes.
Et que dire des retards ! Il suffit de participer aux assemblées générales des fédérations du bâtiment et des travaux publics pour constater que les dossiers prévus au cahier des charges sont fréquemment reportés, neuf fois sur dix pour des questions de biodiversité. Revenons à la réalité du terrain, chers collègues, et votons en faveur de ces amendements identiques !
Il faudrait encore citer l’autoroute desservant le sud de la France depuis Grenoble, que notre ancienne collègue, Mme Voynet a fait stopper au bout de trente kilomètres pour des problèmes d’environnement et qui ne débouche sur rien, alors que la vallée du Rhône est complètement engorgée et que les automobilistes y passent des milliards d’heures…
Je sais bien que les hommes aiment vivre dans la biodiversité, mais pensons d’abord à l’espèce humaine ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Requier. Si la Sarthe a le scarabée pique-prune, Brest l’escargot de Quimper, Sully-sur-Loire la chauve-souris, le Lot a le crapaud sonneur à ventre jaune. Cette espèce a coûté de l’argent au conseil départemental, qui est en train de réaliser une déviation à Cambes, à côté de Figeac, afin d’aménager des crapauducs. Il a également fallu édifier des barrières pour empêcher les crapauds de revenir sur le chantier. L’addition est lourde et se monte à des centaines de milliers d’euros.
Tout le monde se plaint et nous avons le sentiment, sur le terrain, que rien n’est fait. Je pense aux élus, aux aménageurs, aux collectivités, et je soutiens ces amendements, même s’il ne s’agit peut-être que d’une direction à donner.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Filleul, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Filleul. Nous avons tous été confrontés, comme élu local, aux situations que décrivent les signataires des amendements. Concernant l’A28 à Tours, j’ai pesté, comme tout le monde, à cause du retard provoqué par la protection du pique-prune. Cependant, dans le même temps, nous avons accepté ces contraintes, parce que cela fait partie des fondamentaux de la biodiversité.
J’ai construit par ailleurs cinq quartiers dans ma ville. Nous avons à chaque fois été confrontés à des difficultés, mais nous avons trouvé des solutions. L’économie ne peut pas sans cesse prendre le pas sur l’environnement et ses nécessités.
On peut tout comprendre, y compris les amendements de nos amis, mais je me rallie aux propos courageux de M. le rapporteur : je voterai contre ces amendements.
M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno, pour explication de vote.
Mme Chantal Jouanno. À l’évidence, le festival continue, puisque nous avons droit, après les poissons rouges, aux escargots !
Bien sûr, des difficultés ont été constatées sur plusieurs projets, mais, comme vient de le souligner M. Filleul, ce débat montre que la biodiversité n’est pas légitime en soi et doit systématiquement passer après les considérations économiques. En d’autres termes, la diversité des formes de vie que nous devrions normalement soutenir passe systématiquement après tout engagement économique.
Je voudrais faire remarquer que les amendements dont nous débattons invoquent non seulement la proportionnalité économique, mais aussi les délais. La première est prévue par l’article L. 110-1 du code de l’environnement qui indique, dans les principes d’action préventive et de correction, que le coût économique des mesures doit être un acceptable.
En revanche, qui va juger qu’un délai est ou non acceptable ? Manifestement, il ne le sera jamais !
Donc, si nous adoptons ces amendements, c’est toute forme de protection de la biodiversité qui n’est pas légitime. Ce débat rejoint celui que nous avons eu sur l’objectif même de ce projet de loi, qui ne serait pas en soi légitime.