M. Gérard Longuet. Je rends hommage à Mme Bricq, dont je partage totalement la conviction : le législateur doit faire son travail pour éviter que la chambre sociale de la Cour de cassation ne se substitue à notre travail collectif. Je suis également d’accord avec elle lorsqu’elle dit que nous ne sommes pas du même avis. Il y a une droite et il y a une gauche. Il y a des communistes. Je n’en fais pas partie !
Je défends le texte de la commission, parce qu’il est tout à fait pertinent. Je défends en particulier l’alinéa 11, car je refuse d’étendre l’analyse de la situation économique d’une entreprise à la totalité du groupe, mondial ou européen ou plurinational, auquel elle appartient. Si nous suivions le parti communiste dans l’idée d’étendre l’analyse des difficultés à la totalité d’un groupe, nous perdrions la perspective d’accueillir dans notre pays des investissements industriels étrangers, qui se sentiraient alors captifs de décisions prises à l’échelon national et relatives au fonctionnement de leur groupe dont la dimension est mondiale. Or les investissements industriels étrangers représentent en France 20 % à 25 % de l’ensemble de l’emploi industriel. Il serait criminel – je pèse mes mots ! – de se priver de cette ressource.
De plus, imaginez notre réaction si, demain, une entreprise industrielle française de taille mondiale – il y en a heureusement beaucoup – se voyait imposer par un autre pays des règles qui pénaliseraient les salariés français. Nous serions dans une situation extraordinairement curieuse et que nous trouverions inacceptable.
Nous nous rejoignons en général sur toutes les travées de cet hémicycle pour nous inquiéter de la dérive des États-Unis, qui veulent imposer leur droit au monde entier. Pouvons-nous prétendre imposer notre droit social, alors que nous n’avons pas obtenu la clause sociale ? J’en ai, hélas, été le témoin lorsque j’étais ministre du commerce et que je participais en 1994 à Marrakech à la création de l’Organisation mondiale du commerce.
Je renvoie les sénateurs du groupe CRC à la formule : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » Que les syndicats fassent leur travail, ce qui est parfaitement normal. Nous, nous avons à défendre l’emploi en France ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques travées de l’UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Watrin, pour explication de vote.
M. Dominique Watrin. Nous avons bien compris qu’il existait des nuances entre la rédaction proposée par la commission des affaires sociales et le texte du Gouvernement. Néanmoins, on peut constater que la même matrice les inspire et que, sur les points fondamentaux, ils ont la même démarche, y compris quant au périmètre retenu. Leur orientation est donc à peu près la même : la logique profonde de cet article reste bien de flexibiliser les licenciements et ainsi de les sécuriser pour les employeurs, même quand ces licenciements n’ont pas une réelle cause économique.
Madame la ministre, vous avez parlé de flou juridique. Celui-ci est toujours présent, par définition, du fait de l’existence de diverses jurisprudences. Pour autant, à l’évidence, nous vivons sur nos territoires depuis dix ans la disparition de centaines de milliers d’emplois industriels.
M. Gérard Longuet. Ce serait pire encore !
M. Dominique Watrin. Je peux vous en citer des exemples dans mon département. Ainsi, à Calais, la biscuiterie du groupe Danone a été rayée de la carte, parce que la logique financière a voulu que l’on casse cette usine : le taux de rentabilité de la branche biscuit était en effet inférieur à celui de la branche laitière. De même, là où j’habite, dans les environs d’Hénin-Beaumont, 3 000 emplois industriels directs ou indirects ont été rayés de la carte, sans qu’il existe une cause économique réelle et sérieuse à ces licenciements ; que ce soit à Metaleurop, à Sublistatic ou à Samsonite, à chaque fois, c’était une décision financière !
Or vous n’attaquez pas ce problème dans ce texte, madame la ministre, bien au contraire. Les critères que vous proposez vont faciliter et sécuriser ces licenciements, puisque les juges ne pourront évaluer que l’intensité de ces critères et n’auront qu’un pouvoir limité de contrôle. Je pense pour ma part, contrairement à notre collègue Longuet, que notre industrie en pâtira. Les questions réelles qui se posent sur nos territoires ne trouvent pas de réponse dans ce texte ; au contraire, elles risquent d’être aggravées.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Madame la ministre, je ne voudrais pas être désagréable en ce jeudi matin, mais je trouve que votre argumentaire est de type spécieux.
M. Robert del Picchia. Non !
M. Jean Desessard. Ce n’est pas un gros mot, c’est une analyse !
M. Ladislas Poniatowski. C’est limite !
M. Jean Desessard. Vous présentez les ruptures conventionnelles comme des ruptures sauvages. Êtes-vous pour ou contre les ruptures conventionnelles ? Pour ma part, j’y suis favorable ; si j’admets que certaines sont sauvages, je ne généraliserai pas ce jugement comme vous le faites afin de les dévaloriser. Certes, comme vous le dites, il y a des abus. Néanmoins, et c’est là que je trouve votre analyse spécieuse, vous affirmez également que les employeurs utilisent souvent la rupture conventionnelle parce que l’entreprise rencontre un problème économique. Alors, est-ce un abus ou bien une réalité économique ? Vous mélangez astucieusement les deux situations pour expliquer qu’il vaut mieux un licenciement économique qu’une rupture conventionnelle.
Quant au salarié, une rupture conventionnelle lui donne droit au statut de chômeur et à une indemnité ; celle-ci peut même s’avérer plus importante dans le cadre d’un accord avec l’employeur. Pour une petite entreprise, il est souvent plus facile pour se séparer d’un salarié d’utiliser la rupture conventionnelle, même quand le motif est économique. En effet, l’employeur peut alors s’entendre avec le salarié et élaborer un programme de concert avec lui ; cela paraît plus facile que de se lancer dans une démarche de licenciement économique dont l’employeur ne voit pas le bout.
Vous affirmez, madame la ministre, que le licenciement économique, du point de vue du salarié, est meilleur que la rupture conventionnelle simplement parce que le salarié est accompagné après le licenciement,…
Mme Nicole Bricq. C’est quand même important !
M. Jean Desessard. … et ce en dépit de toutes les incertitudes qu’on rencontre dans le suivi de justice. Vous auriez tout de même pu être un peu plus précise : c’est pourquoi je dis que votre analyse est, sinon spécieuse, du moins très peu claire.
En réalité, vous ne faites pas ça pour les salariés ; c’est pour les entreprises !
Mme Laurence Cohen. Eh oui !
M. Jean Desessard. Cet assouplissement des règles du licenciement économique ne s’adresse pas non plus aux petites entreprises, d’ailleurs.
Mme Laurence Cohen. Absolument !
M. Jean Desessard. Ce qui déplaît au MEDEF, ce sont les actions en justice qui traînent. Vous voulez donc les condenser pour les rendre plus rapides. Vous avez le droit de penser que c’est pour l’entreprise ; en revanche, ne dites pas que c’est pour le salarié !
Mme Annie David. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Néri, pour explication de vote.
M. Alain Néri. Il est une évidence pour tout le monde, du moins je l’espère au sein de cette assemblée : tout licenciement est un drame ! C’est un drame social, économique, humain et psychologique. Certes, les indemnités chômage apportent une sécurité financière pour la vie quotidienne. Cela ne règle pas pour autant le problème psychologique et le problème social. Toute personne qui est licenciée le vit comme une dégradation, comme une attaque contre sa personne.
Selon moi, il faut renforcer la sécurité pour rétablir une garantie de l’emploi ; c’est ainsi que l’employé ou l’ouvrier se sentira partie intégrante de son entreprise. Les entreprises rencontrent aujourd’hui un problème important dans la disparition de la culture d’entreprise que l’on a connue. En effet, très souvent, les patrons viennent et passent ; quant aux ouvriers, en l’absence de garantie de l’emploi, ils ne peuvent pas s’intégrer. Jadis, quand cette garantie existait, on avait chez nous une expression : « les ouvriers se sentent plus patrons que le patron ». Ils avaient alors l’amour de l’entreprise. Mais pour qu’il y ait amour, il faut de la durée : quand vous ne donnez pas la garantie de la durée, vous ne pouvez pas demander l’amour de l’entreprise.
Dès lors, madame la ministre, monsieur le rapporteur, comme le disait notre ami Desessard, il faut renforcer la garantie offerte aux ouvriers dans l’entreprise si l’on veut qu’ils soient sereins et puissent lui apporter plus de force et de compétitivité ; celle-ci, source de pérennité, repose sur la sécurité de l’emploi ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Martial Bourquin, pour explication de vote.
M. Martial Bourquin. Ce débat est très important. Doit-on instaurer un cadre prédéfini qui rende le travail du juge très simple ou bien le juge doit-il pouvoir vérifier lui-même si les difficultés économiques sont ou non structurelles ?
En prenant connaissance des dossiers, un juge peut parfois découvrir que ces difficultés structurelles sont organisées par l’entreprise elle-même. Comme je l’ai dit lors de l’examen de l’article 2, j’ai observé une société externaliser complètement sa production en Chine, puis expliquer à ses salariés en France qu’il était nécessaire de recourir au chômage partiel, avant de licencier.
Il est essentiel que, sur une telle question, on puisse d’abord faire la différence entre les PME et les grands groupes. En effet, on voit aujourd’hui de grands groupes se saisir d’articles du code du travail et en transformer complètement le sens pour arriver à leurs fins ; je pense ainsi aux externalisations qui seront permises par l’article 41 de ce texte. Il ne faut donc pas faire d’angélisme.
Notre collègue Longuet nous invitait à prendre garde si nous voulions que les investisseurs étrangers viennent en France. Selon lui, il faudrait juger non pas le groupe tout entier mais uniquement l’entreprise. Je pense pour ma part que, quand on investit en France, c’est pour profiter de l’une des meilleures productivités du monde et des savoir-faire exceptionnels présents dans notre pays. On ne choisit pas un pays parce qu’on pourrait y licencier comme on veut : autrement, il n’y a que l’embarras du choix !
Nous devons avoir un vrai débat intellectuel et politique sur ces questions, faute de quoi, si vous me permettez l’expression, tout fout le camp ! On aura des débats à n’en plus finir et on n’arrivera à rien.
Quoi qu’il en soit, l’appréciation par le juge de l’existence de difficultés structurelles demeure à mes yeux un élément fondamental. (Applaudissements sur quelques travées du groupe CRC. – M. Jérôme Durain applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe, pour explication de vote.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Plusieurs orateurs, tels Dominique Watrin et Gérard Longuet, ont cité certains cas, que nous connaissons malheureusement tous, où nous nous sommes battus en vain pour maintenir des établissements chez nous. Ces cas sont, hélas, nombreux, notamment dans ma région des Hauts-de-France. Je dirai même que ces combats dépassent les clivages politiques : que nous soyons de droite ou de gauche, nous nous battons pour sauvegarder l’emploi.
Il est aussi des cas où nous avons réussi dans nos efforts. Je citerai ainsi, dans ma région, le cas d’une filiale du groupe Rhodia, que nous avons pu sauver grâce au concours du ministre du travail d’alors, Gérard Larcher. Nous avons effectivement un pouvoir d’influence sur le périmètre national. En revanche, dès qu’on sort de ce périmètre, bernique ! Vous pouvez toujours essayer de faire du juridisme sur les causes du licenciement, cela ne servira à rien : la réalité nous rattrape toujours !
Mme Nicole Bricq. C’est vrai !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Souvent, c’est le marché qui est en cause : certaines entreprises sont sur un marché où l’on produit trop. Parfois, c’est la compétitivité. Je me réjouis d’ailleurs que celle de la France soit aujourd’hui bien meilleure ;…
Mme Nicole Bricq. Ah !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. … j’en ai encore eu des exemples récemment. Cela permet à des entreprises industrielles étrangères de venir s’implanter chez nous.
Voilà ce qui est en cause ! Il ne sert donc à rien de faire du juridisme et de mettre dans la loi tous les critères que vous voudrez si l’on ne peut pas les appliquer. Le juge, malheureusement démuni, n’est pas en mesure de faire le tri de tous ces critères. Il faut donc lui laisser son pouvoir d’appréciation.
Le groupe UDI-UC votera contre la suppression de cet article, qui me paraît nécessaire pour préserver le maximum d’emplois en France. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Myriam El Khomri, ministre. Je voudrais tout d’abord dire à M. Desessard que j’assume cet article qui, en fixant des règles claires, est bon, non seulement pour les petites entreprises, mais aussi pour les salariés.
La rupture conventionnelle est un bon dispositif, qui a été voulu par les partenaires sociaux. Pour autant, dans la pratique, on peut constater des abus. En vérité, la règle n’est pas claire aujourd’hui pour une petite entreprise qui n’a pas à sa disposition une armée d’experts juridiques. C’est pourquoi les petites entreprises, craignant les incertitudes liées au licenciement pour motif économique, préfèrent choisir cette voie. Les grands groupes, eux, peuvent invoquer la sauvegarde de la compétitivité.
Je souhaite réaffirmer ici qu’il faut que les motifs invoqués pour les licenciements prononcés soient les motifs réels. Là est le vrai sujet ! Ce n’est pas le cas aujourd’hui, mais ce le sera demain s’il existe des règles claires.
Cet article permettra en outre de renforcer la situation du salarié. Comme vous, mesdames, messieurs les sénateurs, j’estime qu’il faut éviter les licenciements ; j’ai moi aussi bien en tête la charge symbolique et anxiogène qui entoure la question des licenciements.
Les délocalisations entraînent en moyenne le licenciement de 8 000 personnes par an ; à l’inverse, 30 000 emplois sont créés chaque année par des investisseurs étrangers. Nous faisons bien évidemment tout pour éviter ces 8 000 pertes d’emploi. Cependant, quand le salarié perd son emploi, il est mieux protégé dans le cadre d’une procédure de licenciement pour motif économique : pardonnez-moi, monsieur Desessard, mais l’accompagnement qu’il reçoit n’est pas accessoire ! J’ai pu constater, lors de mes visites dans les services de Pôle emploi, que les contrats de sécurisation professionnelle permettent un retour à l’emploi beaucoup plus rapide. En conséquence, oui, ces dispositions protègent également le salarié !
Je voudrais également répondre à M. Longuet au sujet du périmètre. Je comprends bien sûr votre argument, monsieur le sénateur, concernant l’appréciation des difficultés économiques au sein des groupes. Sachez que j’assume la position initiale du Gouvernement, qui avait choisi de s’aligner sur les autres pays européens en retenant le périmètre national. Nous avions cependant assorti ce choix d’une règle visant à éviter les baisses artificiellement orchestrées de chiffre d’affaires et renforcé le pouvoir du juge en la matière.
Cet article est fait pour les petites entreprises et non pour les grands groupes. Or de multiples inquiétudes nous ont été exprimées par les parlementaires et les partenaires sociaux, notamment les syndicats, selon lesquels la responsabilité sociale des grands groupes implique une solidarité entre les entreprises qui les composent. Nous avons pris ces inquiétudes en compte. Cela montre que nous sommes ouverts à la concertation et que nous entendons réformer dans le dialogue. Voilà pourquoi nous avons retiré cette proposition pour revenir, dans le texte soumis à l’Assemblée nationale, au périmètre en vigueur aujourd’hui. Cela ne nuira en rien aux PME, qui constituent la principale cible de ces mesures de clarification.
Par ailleurs, cet article entend clarifier la notion de « difficultés économiques ». Voilà pourquoi il s’adresse aux TPE et aux PME, et non pas aux grands groupes. Ce sont bien les petites entreprises en effet qui ont besoin de sécurité juridique. Or elles ne savent pas, à l’heure actuelle, comment sont caractérisées dans la loi les difficultés économiques, et cela entraîne une appréhension de leur part. Par conséquent, elles choisissent plutôt le licenciement pour motif personnel ou la rupture conventionnelle.
Nous évoquions hier comment le service public pourrait aider les PME sur toute question relative au droit du travail. Ces entreprises n’ont ni un grand service de ressources humaines ni une armée d’experts juridiques pour les aider. Par conséquent, quand elles font des erreurs, elles le payent cher. Elles ont donc peu recours au licenciement économique. Les grands groupes, eux, ont plutôt recours au critère de sauvegarde de la compétitivité. Ainsi, le motif de difficultés économiques est invoqué par 59 % des entreprises de cinquante à trois cents salariés concernées par un plan de sauvegarde de l’emploi ; cette proportion tombe à un tiers environ pour les entreprises de plus de trois cents salariés ; enfin, les toutes petites entreprises invoquent ce motif extrêmement rarement. On voit bien là pourquoi une petite entreprise aura recours aux CDD et aux ruptures conventionnelles : elle ne sait pas, si elle perd un client ou une commande, comment mettre en œuvre le licenciement économique.
L’enjeu de cet article est donc de fixer une règle claire s’agissant des difficultés économiques. Voilà la question qui nous est posée à toutes et à tous. Cette règle claire est importante. Il ne s’agit pas de contourner le rôle du juge. Plusieurs d’entre vous semblent s’en inquiéter ; j’entends bien évidemment ce souci légitime. Le juge est en effet nécessaire : il est indispensable qu’il exerce un contrôle sur les motifs de licenciement invoqués par l’employeur.
Je veux donc vous rassurer sur ce point : le pouvoir d’appréciation du juge demeure entier ; il continuera d’apprécier l’existence ou non de difficultés économiques, ainsi que la validité des arguments avancés en matière de recherche de compétitivité ou de mutations technologiques. Il s’agit là d’un point extrêmement important quand on parle des grands groupes, qui choisissent souvent le critère de sauvegarde de la compétitivité. Si le juge estime que les critères ne sont pas remplis, le licenciement sera jugé sans cause réelle et sérieuse. Fixer une règle de droit claire, ce n’est pas limiter le pouvoir du juge !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur.
M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur. Je vais essayer de poursuivre le raisonnement que j’avais entamé précédemment au sujet des désaccords qui existent entre le Gouvernement et la commission quant à la rédaction de cet article.
Vous raisonnez, madame la ministre, comme s’il était facile de définir une entreprise en difficulté. Or, comme Mme Bricq l’a indiqué – c’est consacré par la jurisprudence –, cette notion de « difficulté » repose sur un « faisceau d’indices ». Votre rédaction initiale ne faisait pas appel à cette notion ; elle faisait reposer l’appréciation des difficultés sur « au moins l’un des indicateurs ». Un seul indicateur aurait donc suffi. Cela peut certes être le cas si la variation d’amplitude de cet indicateur est suffisante. Néanmoins, une telle rédaction est quelque peu « vendeuse » pour les entreprises, qui peuvent en conclure qu’il suffit qu’un indicateur soit relativement significatif pour pouvoir licencier. Certes, l’immense majorité des chefs d’entreprise ne raisonnera pas ainsi, mais certains, indélicats, pourront se lancer dans ce genre de processus, ce qui n’est bon ni pour les entreprises ni pour les salariés.
Nous souhaitons donc que cette définition, à défaut d’être excessivement précise, ce qui est impossible, soit la plus objective et la plus sûre possible dans son approche. C’est ainsi que nous éviterons le plus de contentieux. Cet aspect de sécurité doit, j’en suis convaincu, primer sur l’attractivité de la mesure.
Je ne sais comment évoluera le texte par la suite. Nous renvoyons le détail des critères à un décret en Conseil d’État, parce que d’autres peuvent être inclus sans nécessairement dicter au juge l’importance qu’il doit leur accorder. Ainsi, la notation par la Banque de France est un critère intéressant, puisque l’analyse de la situation de l’entreprise aura déjà été faite, sur le plan financier, par cette institution. Bien d’autres éléments de ce type peuvent encore être pris en compte. L’important est de conserver la notion de « faisceau d’indices », qui laisse au juge sa liberté d’appréciation.
Nous avons par ailleurs prévu dans notre rédaction de faciliter le recours à une expertise. En effet, un juge n’a pas une connaissance universelle : en fonction du secteur d’activité et du rythme économique de l’entreprise, beaucoup de juges n’ont pas nécessairement la compétence économique souhaitable. L’ouverture vers une expertise donne à mon avis une sécurité supplémentaire : l’entreprise ou le salarié savent qu’ils pourront y faire appel, ce qui peut décourager l’engagement d’une procédure insuffisamment fondée. J’ai tenu à introduire cet élément de sécurité supplémentaire.
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Daudigny, pour explication de vote.
M. Yves Daudigny. Nous sommes face à un sujet douloureux. Toute fermeture d’entreprise, toute suppression d’emploi est un drame pour les familles et pour les territoires concernés, qui perdent de l’activité, des recettes fiscales et, souvent, voient leur tissu social s’appauvrir. Je représente un département qui a malheureusement connu beaucoup de situations de ce type, du fait notamment de la restructuration de l’industrie sucrière : des usines qui fonctionnaient bien et gagnaient de l’argent ont néanmoins fermé dans ce secteur. On peut également citer des pertes d’activité dans des secteurs pourtant en pointe dans le monde, tels que la chaudronnerie.
Je ne voterai pas pour autant ces amendements de suppression de l’article 30. Selon moi, ce texte a le mérite d’inscrire dans la loi des règles et, surtout, de contribuer à éviter, dans des situations difficiles, le face-à-face entre l’employeur et le salarié. Or la pire des situations, celle où le salarié est le moins protégé, c’est bien lorsqu’il se trouve seul face à son employeur. Cet article, dont l’objectif est de réduire le nombre de ruptures conventionnelles, concourt à ce que ces situations soient les moins nombreuses possible.
Je ferai encore deux remarques sur l’évolution de cet article depuis le dépôt du projet de loi à l’Assemblée nationale.
Premièrement, l’architecture initialement prévue, qui était classique, a été très largement simplifiée. Certaines dispositions relèvent maintenant exclusivement de la loi et non plus des négociations entre partenaires sociaux.
Deuxièmement, sur le sujet du périmètre, après l’adoption de plusieurs amendements à l’Assemblée nationale, nous en sommes revenus à une appréciation internationale des difficultés économiques, c’est-à-dire à la situation en vigueur et à la jurisprudence de la Cour de cassation.
Ces différents éléments font que, tout en comprenant les démarches et les argumentations de leurs auteurs, je ne voterai pas les amendements de suppression.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 24 rectifié bis, 56 et 921 rectifié.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 372 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 333 |
Pour l’adoption | 47 |
Contre | 286 |
Le Sénat n'a pas adopté.
L'amendement n° 725, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Le code du travail est ainsi modifié :
1° L’article L. 1233-3 est ainsi modifié :
« 1° Au premier alinéa, le mot : « notamment » est remplacé par les mots : « à une cessation d’activité ou » ;
2° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L’employeur doit justifier de manière précise l’ensemble des mesures prises afin de limiter la suppression d’emplois. » ;
3° Au second alinéa, les mots : « à l’exclusion de la rupture conventionnelle visée aux articles L. 1237-11 et suivants, » sont supprimés.
2° L’article L. 1233-2 est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« Est réputé dépourvu de cause réelle et sérieuse tout licenciement pour motif économique ou toute suppression d’emploi sous quelque forme que ce soit, décidé par un employeur dont l’entreprise a constitué des réserves ou réalisé un résultat net ou un résultat d’exploitation positifs au cours des deux derniers exercices comptables.
« Est également dépourvu de cause réelle et sérieuse tout licenciement pour motif économique ou toute suppression d’emploi sous quelque forme que ce soit, décidé par un employeur dont l’entreprise a, au cours des deux derniers exercices comptables, distribué des dividendes ou des stocks options ou des actions gratuites ou procédé à une opération de rachat d’actions. » ;
3° L’article L. 1235-14 est ainsi rédigé :
« Art. L. 1235-14. – Lorsque le juge constate que le licenciement pour motif économique ou les suppressions d’emploi sont dépourvus de cause réelle et sérieuse, il ordonne le remboursement du montant de la réduction de cotisations sociales patronales mentionnée à l’article L. 241-13 du code de la sécurité sociale dont a bénéficié l’entreprise pour les salariés concernés par le licenciement ou la suppression d’emploi envisagés.
« Dès lors que le juge prononce la nullité du licenciement pour motif économique ou de la suppression d’emploi, l’employeur perd le bénéfice des dispositifs prévus aux articles 244 quater B et 244 quater C du code général des impôts si son entreprise en est déjà bénéficiaire, ou l’opportunité d’en bénéficier, pour une période ne pouvant excéder cinq ans. Le juge peut également condamner l’employeur à rembourser tout ou partie du montant dont son entreprise a bénéficié au titre de ces dispositifs. »
4° L’article L. 1235-10 est ainsi rédigé :
« Art. L. 1235-10. – Dans les entreprises d’au moins cinquante salariés, lorsque le projet de licenciements dont le motif doit être conforme aux dispositions de l’article L. 1233-3 concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours, la procédure de licenciement est nulle tant que le plan de reclassement des salariés prévu à l’article L. 1233-61 et s’intégrant au plan de sauvegarde de l’emploi n’est pas présenté par l’employeur aux représentants du personnel, qui doivent être réunis, informés et consultés.
« La réalité et le sérieux du motif économique sont appréciés au niveau de l’entreprise ou, de l’unité économique et sociale ou du groupe.
« La validité du plan de sauvegarde de l’emploi est appréciée au regard des moyens dont dispose l’entreprise ou l’unité économique et sociale ou le groupe.
« Le respect des obligations en matière de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ainsi que la nécessité d’informer le plus en amont possible les représentants du personnel doivent être également pris en compte.
« La nullité du licenciement peut être prononcée par le juge dès lors que l’information et la consultation ne revêtent pas un caractère loyal et sincère ou lorsqu’elles ne comprennent pas un effet utile lié à la consultation.
« Le premier alinéa n’est pas applicable aux entreprises en redressement ou liquidation judiciaires. » ;
5° Après le mot : « à », la fin de l’intitulé du paragraphe 2 de la sous-section 1 de la section 4 du chapitre III du titre III du livre II de la première partie est ainsi rédigée : « plusieurs refus » ;
6° Le début de l’article L. 1233-25 est ainsi rédigé :
« Art. L 1233-25. – Lorsque plusieurs salariés ont … (le reste sans changement). » ;
7° L’article L. 1222-8, L. 2323-61 et les articles L. 1237-11 à 1237-16 sont abrogés ;
8° Au premier alinéa de l’article L. 1231-1, les mots : « , ou d’un commun accord, » sont supprimés.
La parole est à Mme Annie David.