M. François Marc. C’était attendu !
M. Michel Sapin, ministre. Enfin, s’agissant de la rémunération des dirigeants des sociétés cotées, vos travaux ont permis, monsieur le rapporteur, de clarifier le dispositif proposé par l'Assemblée nationale et d’en améliorer la robustesse.
J’observe toutefois que le texte actuel est en retrait par rapport aux dispositions adoptées par les députés, avec le soutien du Gouvernement, alors que celles-ci constituaient un véritable progrès sur lequel il faut, de mon point de vue, capitaliser. C’est pourquoi je défendrai un amendement visant à redonner aux actionnaires un pouvoir réel sur l’encadrement de la rémunération des dirigeants.
Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est avec une véritable émotion que, près de vingt-cinq ans après avoir présenté devant votre assemblée un projet de loi portant quasiment le même titre, j’engage aujourd’hui le débat avec vous.
J’ai voulu faire part de l’esprit qui m’anime et laisser toute sa place au débat en séance publique. Mon expérience passée de parlementaire me conduit à penser que ce débat sera extrêmement utile. Je partage avec vous une ambition de coconstruction : nous devons montrer que, sur l’essentiel, à savoir la consolidation de la probité et l’éthique, en politique comme dans l’économie, nous parvenons à nous rassembler pour bâtir le cadre d’une démocratie moderne dont nous puissions être fiers. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. André Gattolin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.
M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique. Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite revenir, à la suite de Michel Sapin, sur quelques dispositions témoignant de la volonté qui est la nôtre de permettre à nos entreprises de saisir les nouvelles opportunités économiques pour notre pays et de restaurer une forme d’égalité des chances.
La grande transformation numérique en cours bouleverse très profondément nombre de secteurs d’activité et vient percuter certaines activités moyennement qualifiées, tout en offrant de nouvelles opportunités pour la création d’emplois à faible qualification ou particulièrement innovants.
Il importe de mettre notre économie en situation de créer ces nouvelles formes d’activité, en particulier en ouvrant le travail indépendant aux moins qualifiés. En effet, quand on compare l’économie française à d’autres économies européennes, on s’aperçoit que, bien souvent, des rigidités ou des blocages subsistent, qui nous ont empêchés de profiter pleinement des possibilités offertes par l’entrepreneuriat sous toutes ses formes.
Par ailleurs, nous devons permettre à notre économie d’innover et de croître beaucoup plus rapidement, afin de saisir toutes les opportunités de création de richesses et d’emplois portées par la grande transformation numérique.
Le défi que nous avons à relever est double.
D’une part, il s’agit de créer les conditions pour que nos concitoyens, notamment les moins qualifiés d’entre eux, puissent développer une activité et créer ainsi des emplois, pour eux-mêmes et pour d’autres. De tels emplois se créent d’ores et déjà sur notre territoire, mais pas suffisamment ou dans un cadre juridique incertain, voire dans l’illégalité.
À cet égard, je dirai, pour me référer au grand homme auquel un hommage a été rendu tout à l’heure, qu’il faut savoir parler vrai, et regarder la réalité en face. Il convient de remédier aux imperfections de notre système législatif, à ses rigidités, dans l’optique d’accompagner ce mouvement. Oserai-je rappeler ici que le taux de chômage dépasse 16 % pour les non-diplômés et peut même atteindre, dans certaines zones, 50 % pour les jeunes peu diplômés. Ces formes de création d’activités sont aussi des formes de création d’emplois pour celles et ceux qui ont plus de facilité à trouver des clients que des employeurs…
D’autre part, nous devons forger un nouveau modèle de croissance, fondé sur l’innovation. À cet égard, plusieurs dispositions de ce texte visant à faciliter la croissance des entreprises, mais aussi leur financement en fonds propres, sont absolument décisives.
En effet, le financement de notre économie est encore trop largement axé sur une économie de rattrapage, c'est-à-dire une économie reposant sur l’intermédiation bancaire et financière et sur l’endettement. Or l’innovation suppose d’être en mesure de lever rapidement des montants parfois importants en fonds propres. L’enjeu est donc aujourd'hui de trouver les voies et moyens de transformer le financement de notre économie.
Comment procéder à ces aménagements ? Plusieurs dispositions visant à accompagner ces mutations économiques figureront dans les lois financières à venir ; je pense en particulier au compte épargne-investisseurs. D’autres mesures sont d’ores et déjà inscrites dans le texte qui vous est soumis. Elles ont fait l’objet d’une longue concertation et d’un travail approfondi de Mme Pinville, notamment, et de Mme Barbaroux, présidente de l’Association pour le droit à l’initiative économique, en vue de lever les freins à l’entrepreneuriat individuel. Le débat parlementaire et notre réflexion commune parachèveront ce travail, afin de permettre à chacun de saisir les nouvelles opportunités économiques.
La démarche s’articule selon trois axes.
En premier lieu, il s’agit de faciliter la création et le développement d’activités et d’emplois par les travailleurs indépendants. Ainsi, des dispositions du projet de loi visent à réformer notre système de qualifications professionnelles. L’objectif est de permettre aux personnes éloignées du marché du travail qui souhaiteraient exercer légalement certains emplois, mais qui ne détiennent pas les titres de qualification nécessaires, de le faire, sans pour autant que cela n’amène aucunement à mettre en péril la santé ou la sécurité.
À cet égard, le durcissement progressif des conditions d’accès à certaines activités et métiers a pu fermer des opportunités d’emplois à des personnes qui sont prêtes à tous les efforts pour se lancer.
L’Assemblée nationale a fait évoluer le dispositif proposé par le Gouvernement, en confortant l’approche par activité et en redonnant de la souplesse pour que les activités connexes puissent être prises en compte. Le dispositif vise aussi à clarifier le droit actuel et à ouvrir les modalités de justification de la qualification professionnelle, pour permettre au maximum de personnes d’y accéder.
En deuxième lieu, plusieurs mesures visent à faciliter la création et le développement d’entreprises dans notre pays.
Aujourd’hui, la création d’entreprises et le développement de l’activité sont entravés par un certain nombre de freins administratifs, largement inutiles. Ce projet de loi vise à les supprimer.
En matière de création d’entreprises, les freins, en apparence de faible importance, produisent des effets sensibles. Le Gouvernement a d’abord proposé de supprimer, à l’article 39, l’obligation faite à tout auto-entrepreneur d’ouvrir un compte bancaire professionnel. L’Assemblée nationale a souhaité maintenir cette obligation, mais en reportant sa mise en œuvre, pour les micro-entrepreneurs, jusqu’à douze mois après la création de leur entreprise.
Un autre frein à la création d’activités tient à l’obligation d’effectuer un stage préalable à l’installation pour les métiers artisanaux. En pratique, il faut parfois attendre plusieurs mois avant de pouvoir suivre ce stage. Alors que plusieurs améliorations notables ont été apportées pour faciliter la création d’entreprises dans nombre de secteurs, une telle exigence apparaît paradoxale. Le projet de loi, tel qu’issu des travaux de l’Assemblée nationale, encadre ce régime d’autorisation en prévoyant de laisser un court délai aux chambres de métiers et de l’artisanat pour organiser ce stage. L’Assemblée nationale a également approuvé la volonté du Gouvernement de définir des conditions de dispense de stage, en particulier pour les entrepreneurs soutenus par les réseaux.
Ensuite, le Gouvernement souhaitait rendre possible sans contrainte le passage du régime réel au régime de la micro-entreprise. Les lois de finances à venir reviendront sur ce point.
Enfin, ce projet de loi prévoit de lever des freins au développement des entreprises liés au changement de statut : la transformation d’une entreprise individuelle en société suppose ainsi le respect d’un certain nombre d’obligations coûteuses et inutiles qu’il convient de supprimer.
Sur l’ensemble de ces points, vos commissions et les rapporteurs ont bien voulu suivre l’orientation que je viens d’exposer et ont confirmé les solutions élaborées à l’Assemblée nationale. Je tiens à saluer l’esprit constructif dont ont fait preuve, au cours de nos échanges, MM. Bas, Pillet et Gremillet, ainsi que M. de Montgolfier, pour ce qui concerne les aspects fiscaux.
En troisième lieu, le projet de loi vise à moderniser le régime de financement des start-up, des PME et des ETI, les entreprises de taille intermédiaire.
Nous souhaitons agir de deux manières pour essayer de répondre à la nécessité de rendre le financement de notre économie plus conforme aux besoins d’une économie de l’innovation, et notamment de permettre aux entreprises de lever davantage de fonds propres.
D’abord, comme Michel Sapin vient de le rappeler, il convient de favoriser, ainsi que les directives le permettent, l’orientation à long terme des investissements des régimes de retraite supplémentaires, dont l’encours est de 130 milliards d’euros, vers le financement de l’économie, en particulier de l’innovation. Ces derniers avaient été rattachés à la directive Solvabilité II, dont le régime régulatoire extrêmement contraignant orientait largement l’allocation de ces montants vers le financement obligataire. Grâce à la réforme proposée, plus de 20 milliards d’euros pourront être à terme redirigés vers le financement en fonds propres de l’économie.
Ensuite, nous souhaitons ouvrir aux entreprises de l’économie sociale et solidaire l’accès aux ressources du livret de développement durable, pour permettre le développement de ce secteur. Là aussi, cela conduira à une plus forte croissance de nombre d’entreprises qui sont des acteurs de la transformation économique et de l’innovation.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, tels sont les compléments que je souhaitais apporter à la suite de la présentation par Michel Sapin du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
Aujourd'hui, le rôle des responsables politiques que nous sommes est de se battre chaque jour pour que les Français soient égaux dans l’accès aux opportunités d’emploi et de création de richesses. Tel est l’objet des mesures de simplification et de fluidification visant à instaurer davantage d’efficacité économique et de justice sociale que je viens d’exposer rapidement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. André Gattolin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. François Pillet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique traitait initialement de ces trois thèmes en cinquante-sept articles ; il en comptait cent soixante-douze à l’issue des travaux de l’Assemblée nationale.
La commission des lois et les deux commissions saisies pour avis, dont je salue les rapporteurs, se sont efforcées de ramener ce texte à de plus justes proportions, en le délestant notamment de nombreux « cavaliers ». (M. Pierre-Yves Collombat s’exclame.)
Ce texte gouvernemental était attendu, en particulier en raison des observations de l’OCDE ayant affecté l’image internationale de notre pays, montré du doigt pour son manque d’efficacité dans la lutte contre la corruption internationale. Il comporte des axes d’action forts en matière de prévention et de lutte contre la corruption, ainsi que de transparence de la vie publique et de la vie économique. Ces axes se déclinent au travers de dispositions extrêmement variées, dont la création d’une agence de prévention de la corruption, la mise en place d’un répertoire unique des représentants d’intérêts, l’aggravation des sanctions pénales pour divers délits d’atteinte à la probité publique, la mise en place d’un statut général protecteur des lanceurs d’alerte, l’extension des prérogatives de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, l’instauration d’une procédure de transaction pénale pour les entreprises mises en cause pour des faits de corruption, la création d’une obligation de « conformité » pour les entreprises de plus de 500 salariés.
En matière de modernisation de la vie économique, le projet de loi s’apparente, en cette fin de législature, surtout après son examen par l'Assemblée nationale, à la « voiture-balai » d’occasions manquées, de réformes précipitées et de propositions de loi oubliées.
M. Roger Karoutchi. Oh !
M. François Pillet, rapporteur. Les dispositifs intéressant les entreprises, d’inspirations contradictoires, créent ainsi de nombreuses obligations, tout en comportant, je veux bien le reconnaître, une série de mesures de simplification et d’assouplissement. L’actualité a suscité l’ajout d’une réglementation concernant la rémunération des dirigeants.
Enfin, la discussion d’une proposition de loi organique relative à la compétence du Défenseur des droits à l’égard des lanceurs d’alerte a été jointe à l’examen du projet de loi.
À ce stade de la discussion et avant que nous n’entamions celle des articles et des amendements, je vous invite, mes chers collègues, à porter votre attention sur les axes directeurs retenus par la commission des lois au terme de sa réflexion et sur les choix qu’elle a faits après analyse des objectifs visés au travers du texte.
En premier lieu, lutter efficacement contre la corruption passe par deux voies : la prévention, qui doit avoir les moyens de la détection, et la répression, qui peut passer par la transaction.
Concernant la première, il vous sera proposé d’élargir et de consolider la mission de la nouvelle agence chargée de la prévention.
S’agissant de la seconde, plutôt que de créer de nouvelles structures, commissions ou autorités dont il faudrait s’assurer, par de nouvelles constructions juridiques, de l’indépendance, de la transparence, de l’impartialité et du financement, il vous est recommandé avec force de réaffirmer le rôle de l’autorité judiciaire.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est certain !
M. François Pillet, rapporteur. J’évoquerai, en deuxième lieu, la création d’un statut général des lanceurs d’alerte.
Dans l’intérêt général, le signalement d’un crime ou d’un délit, d’une violation grave et manifeste de la loi ou du règlement par une personne physique désintéressée et de bonne foi est apparu parfaitement légitime à la commission des lois.
En protégeant le lanceur d’alerte de possibles discriminations, en le responsabilisant, en explicitant la procédure du signalement, la commission des lois a exprimé une volonté claire, à mon avis incontestablement susceptible de nous rassembler : l’alerte doit être éthique et son lanceur ne doit pas risquer d’être confondu avec un délateur.
En troisième lieu, en proposant la mise en place d’un répertoire commun des représentants d’intérêts, le Gouvernement entend combler son retard en matière de relations avec ces derniers par rapport aux assemblées, alors que le processus législatif est beaucoup plus transparent au sein de celles-ci qu’au sein de l’exécutif. Cette volonté est à l’évidence louable.
La créativité de l’Assemblée nationale, qui propose la mise en place d’un registre général commun des représentants d’intérêts ainsi que des conditions communes d’édification, de contrôle et de régulation, a conduit la commission des lois à vous mettre en garde contre l’entorse faite à un principe fondamental d’un régime républicain, celui de l’indépendance des pouvoirs publics constitutionnels.
J’aborderai maintenant, en quatrième lieu, les mesures de modernisation de la vie économique et de simplification du droit des sociétés.
Dès lors que ne seraient pas incidemment créées de nouvelles obligations au détriment de la compétitivité internationale de nos entreprises, la commission des lois, qui s’est par ailleurs attachée, souvent unanimement, au travers de l’examen de nombreux textes, à favoriser la simplification du droit dans ce domaine, comme dans celui de l’achèvement de la codification du droit de la commande publique, a souhaité contribuer à amplifier celle-ci en incorporant au texte le fruit d’initiatives et de travaux émanant de nos différents groupes.
Après avoir analysé les questions relatives à la rémunération des dirigeants, notre commission suggère que ce qui peut être considéré comme une avancée de la démocratie actionnariale se décline, pour préserver un consensus naissant, dans les conditions prévisibles de la future directive européenne en cours d’élaboration.
Oui, même si des réserves peuvent être émises quant à certaines innovations juridiques, imprécisions ou interrogations constitutionnelles – je pense, par exemple, à la nouvelle procédure de transaction, que nous avons voulu rendre plus solide –, je vous inviterai à approuver les objectifs généraux du projet de loi soumis à votre examen, à en aborder la discussion dans un esprit constructif, car nombre de mesures suscitent l’intérêt, à l’améliorer et à l’enrichir en écartant et en corrigeant les dispositions qui ne sont pas appropriées ou pas correctement conçues au regard de leurs finalités légitimes.
Nos débats, qui seront finalement le plus souvent très techniques, nous conduiront à réfléchir aux réformes et initiatives législatives nécessaires au regard des institutions et des règles que nous connaissons déjà, qui sont souvent propres à satisfaire l’ambition du texte que nous examinons, sans qu’il soit besoin d’inventer des procédures nouvelles.
Oui, il faut mieux lutter contre la corruption, protéger les alertes éthiques, améliorer la transparence de l’exercice des pouvoirs, simplifier l’environnement juridique des entreprises, mais il ne faut pas affaiblir l’autorité judiciaire, accorder d’immunité sans responsabilité, porter atteinte à l’indépendance des pouvoirs constitutionnels, créer d’entraves spécifiques à nos entreprises dans la compétition internationale.
Je vous invite, pour peser nos choix, à préférer la balance au clairon ; en d’autres termes, à conserver le dessein d’écrire et de préserver le droit opérant qui s’inscrit dans notre édifice juridique et à vous défier du droit proclamatoire, qui ne satisfait que la vanité de ceux qui s’en veulent les auteurs…
Enfin, principalement et prioritairement, mes chers collègues, soyons convaincus que nos intentions n’auront aucune chance de prospérer si, par des effets collatéraux, leur expression législative affecte tout ou partie de ce qui a construit notre État de droit protecteur de l’équilibre entre toutes les libertés qu’il proclame ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC. – MM. Pierre-Yves Collombat et Richard Yung applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Daniel Gremillet, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la version initiale du présent projet de loi justifiait la saisine de la commission des affaires économiques pour moins d’une dizaine d’articles, qui concernaient la question agricole et celle des petites et moyennes entreprises, notamment l’artisanat. Mais, après l’« enrichissement » du texte par l’Assemblée nationale, sa saisine a dû être étendue à trente-neuf articles, dont trente-quatre au fond.
Cette situation m’inspire une première critique : lorsqu’un projet de loi passe de 58 à 172 articles, il n’est pas raisonnable que seulement quinze jours séparent son adoption par l’Assemblée nationale de son examen en commission au Sénat. Nous avons dû réaliser certaines auditions sans connaître le texte de l'Assemblée nationale.
Légiférer demande un temps d’examen suffisant pour pouvoir pleinement juger de la pertinence et de la légitimité de certains dispositifs, puis de leur bonne insertion dans l’ordre juridique. Or cela n’a pas forcément été le cas…
La seconde critique découle de la première. Le texte initial du projet de loi ne présentait déjà guère d’unité, puisqu’il associait à un volet relatif à la transparence et à la lutte contre la corruption un volet relatif à la modernisation économique ; après son examen par les députés, le nombre de ses domaines d’intervention s’était encore étoffé. Aussi, compte tenu de l’absence de lien entre les différentes dispositions à caractère économique dont nous sommes aujourd’hui saisis, il n’est guère possible de trouver un « fil directeur » à ce projet de loi : il s’agit simplement de l’un de ces textes portant « diverses dispositions » que nous connaissons bien, dépourvu de véritable stratégie, sous-tendu par la seule idée d’agir ponctuellement sur différents leviers, ce qui est toujours regrettable en matière d’action publique.
Dans ce contexte, la commission des affaires économiques a été mue par deux considérations.
Tout d’abord, nous avons cherché à ne pas remettre en question certaines orientations prises par le Sénat à l’occasion de l’examen de textes récents, afin d’être cohérents avec nous-mêmes, mais aussi pour lutter contre l’instabilité de la norme. C’est cette motivation qui a guidé notre démarche de suppression de plusieurs dispositifs relatifs aux sanctions des pratiques commerciales ou de maintien d’un encadrement du « droit de suite » dans le cadre de l’immatriculation au répertoire des métiers.
Ensuite, la commission des affaires économiques a entendu renforcer l’effectivité juridique des dispositifs du projet de loi.
Cela l’a conduite, par exemple, à proposer de perfectionner l’article 30 C, afin de conforter l’obligation d’intégrer, dans les contrats agricoles, la prise en compte des coûts de production des agriculteurs et des prix de marché dans la détermination du prix de vente. À cet égard, nous nous réjouissons qu’une grande partie des dispositions de la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire aient été reprises dans le texte.
Cela nous a aussi conduits à perfectionner le dispositif du contrat-cadre signé entre acheteur et organisations de producteurs avant signature des contrats individuels.
Nous avons également voulu améliorer les règles relatives à la contractualisation agricole, notamment en ce qui concerne le mandat de facturation souvent donné par les agriculteurs à leurs acheteurs.
En matière agricole, nous avons préservé le principe de l’incessibilité des contrats laitiers. Nous avons aussi favorisé la transparence des informations économiques fournies à l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, en sanctionnant mieux les entreprises récalcitrantes, mais nous avons supprimé le nouveau dispositif d’injonction de publication de comptes, qui est inutile dans la mesure où une procédure existe déjà, qu’il suffirait d’utiliser.
Toujours dans le souci d’améliorer l’effectivité des dispositifs du projet de loi, la commission des affaires économiques a conforté la faculté de recourir à des conventions uniques pluriannuelles, sous réserve de laisser aux opérateurs économiques un délai suffisant pour s’adapter à ces nouvelles règles.
Nous avons également prévu que, dans ce cadre, les clauses de révision ou de renégociation du prix soient en rapport direct avec l’objet des produits ou prestations faisant l’objet de ces conventions.
Enfin, concernant la préservation du foncier agricole, nous avons voulu proposer une solution plus conforme au droit des sociétés, tout en préservant la capacité d’intervention des SAFER, les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural. Ce sujet mérite de faire l’objet d’un texte spécifique.
Sous réserve de l’adoption des amendements qu’elle vous soumettra et de ceux auxquels elle a donné un avis favorable, la commission des affaires économiques vous invite, mes chers collègues, à adopter les articles dont elle a été saisie au fond dans le texte résultant de ses travaux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la commission des finances a examiné au fond environ un tiers du projet de loi dont nous débattons aujourd’hui, et elle s’est saisie pour avis de quelques articles.
Tout d’abord, la commission des finances regrette le très grand nombre de dispositions portant habilitation du Gouvernement à prendre des mesures par ordonnance. Certaines d’entre elles ont été introduites par voie d’amendement en séance, sans aucun débat ni étude d’impact préalable. On ne peut admettre cette façon de faire quand le sujet n’est pas purement technique et aurait nécessité un débat parlementaire.
Je prendrai l’exemple de la réforme du code de la mutualité : alors que la ministre des affaires sociales et de la santé avait promis le dépôt d’un projet de loi, nous nous retrouvons avec un simple article habilitant le Gouvernement à réformer l’ensemble du code de la mutualité par ordonnance. Ce n’est évidemment pas acceptable.
Pour les directives, d’une manière générale, la commission des finances estime préférable d’opérer les transpositions « en dur », comme cela a été fait pour la répression des abus de marché, par exemple.
Dans le cadre de cette transposition, l’article 20 du projet de loi prévoit d’instaurer un plafond de 15 % du chiffre d’affaires pour les sanctions des personnes morales par l’Autorité des marchés financiers. La commission des finances propose, par parallélisme, d’instaurer un plafond de 10 % du chiffre d’affaires pour des infractions particulièrement graves sanctionnées par l’ACPR, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.
D’une façon générale, la commission des finances est attentive à ce que le législateur fixe les règles en matière de protection des épargnants et des investisseurs : elle ne peut pas laisser le Gouvernement définir librement les conditions dans lesquelles les fonds d’investissement peuvent prêter aux entreprises. Nous touchons là au cœur de ce que l’on appelle le shadow banking, et il est nécessaire que le législateur établisse des garde-fous.
De même, plusieurs articles du projet de loi visent à interdire la publicité pour les produits financiers hautement spéculatifs et complexes : nous avons souscrit à ces mesures en adoptant une série d’amendements pour les sécuriser et en renforcer la portée, par exemple en permettant à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, de sanctionner tout intermédiaire contribuant à la diffusion d’une publicité illégale.
Nous avons aussi introduit un article additionnel visant à mieux encadrer la publicité pour les produits défiscalisés. Nous proposerons également que la publicité pour les investissements « atypiques », tel l’achat de manuscrits, soit contrôlée par l’AMF.
Concernant le secteur bancaire, nous aurons un débat sur la réduction de la durée de validité des chèques. S’agissant des moyens de paiement, j’ai souhaité que les cautions judiciaires ne puissent être réglées en espèces au-delà d’un certain seuil fixé par décret. Il est très étonnant, monsieur le ministre, que l’on ne puisse pas payer ses impôts ou son loyer en espèces lorsque le montant excède 300 euros, mais qu’un trafiquant de drogue soit autorisé à verser une caution de plusieurs centaines de milliers d’euros en petites coupures ! Il y a sans doute à légiférer en la matière.