Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Valérie Létard, M. Jackie Pierre.
2. Hommage à trois sous-officiers tués en Libye
3. Communication d’un avis sur un projet de nomination
4. Organisme extraparlementaire
5. Communication du Conseil constitutionnel
6. Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire
7. Prorogation de l'état d'urgence. – Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Manuel Valls, Premier ministre
M. Michel Mercier, rapporteur de la commission des lois
M. Manuel Valls, Premier ministre
Clôture de la discussion générale.
8. Inscription à l’ordre du jour des conclusions d’une éventuelle commission mixte paritaire
Suspension et reprise de la séance
9. Nomination des membres d’une éventuelle commission mixte paritaire
10. Prorogation de l'état d'urgence. – Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
Amendement n° 5 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Adoption de l’article.
Article additionnel après l'article 1er bis
Amendement n° 4 de M. David Rachline. – Rejet.
Amendement n° 18 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 8 rectifié de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 9 rectifié de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 6 de Mme Éliane Assassi. – Retrait.
Amendement n° 20 du Gouvernement. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Article additionnel après l'article 2
Amendement n° 7 de Mme Éliane Assassi. – Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.
Article 2 bis (nouveau) – Adoption.
Article additionnel après l'article 2 bis
Amendement n° 17 rectifié de M. Jacques Mézard. – Retrait.
Amendement n° 10 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 11 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Adoption de l’article.
Article 6 (nouveau) – Adoption.
Article additionnel après l'article 6
Amendement n° 23 de la commission. – Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.
Amendement n° 12 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 24 de la commission. – Adoption de l’amendement rédigeant l’article.
Adoption de l’article.
Amendement n° 3 de M. David Rachline. – Rejet.
Adoption de l’article.
Article 11 (nouveau) – Adoption.
Articles additionnels après l’article 11
Amendement n° 25 de la commission. – Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.
Amendement n° 19 du Gouvernement. – Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.
Amendement n° 14 de Mme Joëlle Garriaud-Maylam. – Retrait.
Amendement n° 16 de Mme Joëlle Garriaud-Maylam. – Retrait.
Article 12 (nouveau) – Adoption.
Adoption, par scrutin public, du projet de loi dans le texte de la commission, modifié.
11. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Valérie Létard,
M. Jackie Pierre.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Hommage à trois sous-officiers tués en Libye
M. le président. Monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre de l’intérieur, mes chers collègues, comme chacun d’entre vous, j’ai appris avec émotion le décès de trois sous-officiers français en service commandé en Libye. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le Premier ministre et M. le ministre de l’intérieur, se lèvent.)
Au nom du Sénat, je veux assurer les familles endeuillées de notre compassion sincère et assurer leurs camarades de combat de notre solidarité.
Je tiens, au moment où nous allons débattre de l’état d’urgence, à saluer le sens exemplaire du dévouement et le courage de l’ensemble des militaires, engagés au service de notre pays, qui contribuent, par-delà nos frontières comme à l’intérieur de celles-ci, à la lutte contre le terrorisme, sous toutes ses formes.
J’y associe les policiers, qu’ils soient nationaux ou municipaux, et l’ensemble des corps de sapeurs-pompiers et de santé qui sont aux côtés de notre population.
Je vous propose un bref instant de partage et de recueillement. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le Premier ministre et M. le ministre de l’intérieur, observent un moment de recueillement.)
3
Communication d’un avis sur un projet de nomination
M. le président. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a émis un vote favorable (douze voix pour, aucune voix contre) à la nomination de M. Bernard Roman aux fonctions de président de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières.
4
Organisme extraparlementaire
M. le président. M. le Premier ministre a demandé au Sénat de procéder à la désignation d’un sénateur appelé à siéger au sein du conseil d’administration du Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres.
La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a été invitée à présenter une candidature.
La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, conformément à l’article 9 du règlement.
5
Communication du Conseil constitutionnel
M. le président. Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le mercredi 20 juillet 2016, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation lui avait adressé quatre arrêts de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article 706-153 du code de procédure pénale (Saisies pénales spéciales ; 2016-583, 2016-584, 2016-585, 2016-586 QPC).
Le texte de ces arrêts de renvoi est disponible à la direction de la séance.
Acte est donné de cette communication.
6
Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission des lois a procédé à la désignation des candidats à une éventuelle commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence.
Cette liste a été publiée conformément à l’article 12, alinéa 4, du règlement et sera ratifiée si aucune opposition n’est faite dans le délai d’une heure.
7
Prorogation de l'état d'urgence
Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence (projet n° 803, texte de la commission n° 805, rapport n° 804).
Comme je l’ai annoncé en conférence des présidents, nous voterons, à ma demande, par scrutin public sur l’ensemble de ce projet de loi, conformément à l’article 60 de notre règlement.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE.)
M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, hier soir, ou plutôt de bonne heure ce matin, j’étais devant vos collègues députés. Et je suis, cette après-midi, devant vous, avec un même objectif : continuer de prendre toutes les mesures qui s’imposent face au terrorisme islamiste.
Le 14 juillet dernier, il a frappé de nouveau la France. Il a frappé Nice. Bien sûr, nous pensons tous aux victimes, à leurs proches. Nous pensons aux blessés, à ceux qui luttent encore pour la vie.
Sur place, au lendemain du drame, et lundi, lors de la minute de silence, j’ai vu des visages pleins de douleur, des yeux pleins d’une peine immense. J’ai entendu des interrogations. J’ai également entendu la colère. J’ai ressenti cette attente, partagée par tous nos compatriotes – vous la connaissez et vous l’entendez également –, une attente de protection face à cette menace si lourde qui pèse depuis plusieurs mois maintenant sur notre pays.
La France est visée parce qu’elle est une grande démocratie, qui porte des valeurs universelles. Elle est visée parce que nous assumons nos responsabilités de grande puissance, en engageant nos forces armées au Sahel et au Levant pour anéantir les groupes djihadistes. Et je veux, monsieur le président du Sénat, rendre à mon tour hommage à nos trois militaires qui viennent de tomber en opération sur le sol libyen.
La France est visée parce qu’elle est ce pays si particulier, laïc, certes, mais qui compte aussi des millions de citoyens de religion ou de culture musulmane. Et c’est précisément ce modèle républicain et laïc que les fanatiques ne supportent pas et qu’ils voudraient faire voler en éclats.
Toutefois, la France, parce qu’elle est la France, parce qu’elle a un peuple courageux, ne peut pas et ne se laissera pas déstabiliser. Nous tiendrons ! Et nous mènerons jusqu’au bout la guerre qui nous a été déclarée, pour la gagner.
C’est un fait : même s’il garde encore des positions fortes, l’État islamique perd du terrain en Irak et en Syrie grâce à l’offensive de la coalition – ou des coalitions. Et c’est précisément parce qu’il est sur le reculoir que l’État islamique intensifie ses appels à répandre la mort.
Nous l’avons vu il y a deux jours en Allemagne, avec cette attaque dans un train en Bavière. Nous l’avons vu, ces derniers temps, en Belgique, aux États-Unis, bien sûr, mais aussi au Bangladesh, au Cameroun, en Arabie Saoudite, en Irak, en Turquie, pour ne citer que les attentats les plus récents.
Tous ces actes de barbarie soulignent combien la menace est élevée, plus élevée que jamais, car elle peut prendre des formes multiples, et c’est bien le grand défi.
Il y a ces attaques coordonnées et planifiées par des donneurs d’ordres depuis les sanctuaires irakiens ou syriens, mais il y a aussi – c’était le cas à Magnanville, comme ce fut le cas à Nice – des attaques menées par des individus plus ou moins autonomes qui se radicalisent, parfois très rapidement, que nos services ne connaissent pas – tel l’individu qui a agi à Nice –, en ayant accès au matériel idéologique diffusé sur les réseaux sociaux par la machine de propagande djihadiste.
Cette « troisième génération » du djihadisme est facile à mettre en œuvre, mais extrêmement difficile à combattre, car les individus sont particulièrement difficiles à identifier et à débusquer.
Nos services de renseignement et nos forces de sécurité font face à un immense défi. Et ceux qui promettent des solutions miracles au terrorisme, ceux qui laissent entendre, ce qui est plus indécent encore, que tout n’a pas été fait, commettent une faute lourde. Ils mentent aux Français, exploitent les peurs, sèment les divisions au moment même où nous devons être unis, soudés et faire bloc !
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous devons la vérité à nos concitoyens.
La vérité, c’est que, à ce jour, quelque 2 147 ressortissants français ou étrangers résidant en France sont connus pour leur implication dans les filières syro-irakiennes. Quelque 680 adultes, dont un tiers de femmes, sont présents sur place ; 179 individus sont en transit dans un pays tiers pour rejoindre la zone des combats ou en revenir et 203 sont revenus sur le territoire français.
Je l’ai dit hier encore à l’Assemblée nationale, cette question du retour des individus partis se battre au Proche-Orient constitue un défi considérable pour la France, pour l’Europe, bref, pour tous les pays concernés par ces terroristes.
La vérité que nous devons à nos concitoyens, c’est également que le risque zéro n’existe pas et n’existera jamais. La vérité, la dure vérité à laquelle nous devons être préparés, c’est que le terrorisme islamiste essaiera à nouveau de frapper et qu’il y aura à nouveau – cela me coûte de le dire ainsi – des innocents tués. Bien sûr, et j’y reviendrai, tout est fait et tout doit être fait pour empêcher ces attentats. Néanmoins, c’est à cette réalité que nous sommes confrontés.
Dire cela, c’est non pas céder au fatalisme, mais être lucides sur le combat qui est devant nous et que nous devons livrer, lucides également sur les moyens que nous devons mobiliser et les dispositifs que nous devons déployer. L’état d’urgence en est un. Il me paraît avoir montré son efficacité depuis le 14 novembre dernier.
Au cours des derniers mois, 3 594 perquisitions administratives ont donné lieu à l’ouverture de près de 600 procédures judiciaires. Elles ont permis également, vous le savez – ces chiffres ont déjà été donnés par le ministre de l’intérieur – la saisie de 756 armes, dont 75 armes de guerre. Les assignations à résidence ont renforcé la vigilance autour d’individus potentiellement dangereux : 77 sont encore concernés à ce jour.
Parce qu’il pourrait pousser d’autres individus, par simple mimétisme, à passer à l’acte, l’attentat de Nice, inédit par son ampleur et son mode opératoire, impose une nouvelle prorogation de l’état d’urgence, la quatrième.
Vos collègues députés l’ont votée pour une durée de six mois à une très large majorité, conservant comme périmètre géographique le territoire métropolitain et les départements d’outre-mer. Il vous appartient à présent de faire de même – je vous y invite, bien sûr – et de voter cette prolongation, avec une ampleur semblable à celle qu’elle a recueillie hier. Les Français attendent ce message fort de leurs représentants.
Lors de la dernière prolongation, nous n’avions pas inclus les perquisitions administratives, tout simplement parce que la plupart des lieux identifiés avaient déjà fait l’objet d’investigations. Au regard du terrible et abject attentat de Nice, le texte qui vous est présenté prévoit de les autoriser à nouveau.
Ces perquisitions ont, en effet, un très grand intérêt opérationnel. Elles permettent, tout d’abord, d’engager des procédures judiciaires. Elles jouent, ensuite, un rôle dissuasif. Elles permettent, enfin, grâce à une levée de doutes, de concentrer l’attention et les moyens sur les individus les plus dangereux. Tout en rétablissant les perquisitions administratives, ce projet de loi entend accroître leur efficacité, d’abord grâce à la définition d’un cadre pour la saisie et l’exploitation de données contenues dans les ordinateurs ou les téléphones.
Cette adaptation de la loi de 1955 vient après la décision du Conseil constitutionnel du 19 février dernier, lequel avait censuré, faute de garanties légales suffisantes, la disposition de la loi relative à la copie de données informatiques. Ces garanties sont aujourd’hui apportées, aussi bien sur la nature des éléments saisis, puis exploités, que sur la procédure permettant ces saisies et exploitations.
L’efficacité accrue des perquisitions administratives, c’est également la possibilité qui est ouverte de procéder immédiatement à une perquisition dans un autre lieu fréquenté par la personne visée, ce que l’on appelle le « droit de suite ».
L’état d’urgence, mesdames, messieurs les sénateurs, est un dispositif efficace pour lutter contre le terrorisme, désorganiser les filières, traquer les individus, les empêcher de passer à l’acte. C’est un dispositif qui s’inscrit pleinement dans notre État de droit, puisque la justice administrative et le Parlement continueront de contrôler étroitement toutes les mesures mises en œuvre.
Ce matin, votre commission des lois a validé cette prorogation et votre rapporteur, Michel Mercier, a introduit de nombreuses modifications.
Vous le savez, le Gouvernement est prêt à étudier toutes les mesures qui permettent de renforcer l’efficacité de notre lutte antiterroriste, dans le respect de l’État de droit. De mon point de vue, la rétention de sûreté sort évidemment de ce cadre. Il y a, de toute façon, une ligne infranchissable. Elle guidera le Gouvernement dans les échanges que nous allons avoir avec vous et dont je ne doute pas un seul instant qu’ils seront constructifs.
L’état d’urgence vient renforcer la stratégie globale de lutte contre le terrorisme qui est mise en œuvre depuis quatre ans – il nous fallait en effet tirer les leçons des attentats de Montauban et de Toulouse.
Oui, je l’avoue avec humilité – celle-ci s’impose à tous –, notre dispositif est sans doute encore perfectible, parce que l’ennemi est redoutable, qu’il s’adapte en permanence, et qu’il est opportuniste.
Toutefois, ce que je sais – je le dis à chacun d’entre vous –, c’est que beaucoup a été fait. Et avec le Président de la République, les ministres de l’intérieur, de la défense, de la justice, nous serons toujours là – avec votre soutien, je n’en doute pas – pour défendre le travail de nos policiers, de nos gendarmes, de nos militaires, de nos magistrats. Tous agissent sur le terrain, pour la sécurité de nos compatriotes, et avec quel engagement et quel courage ! Je l’ai encore constaté ces derniers jours à Nice, avec le ministre de l’intérieur.
Bien sûr, il faut toujours aller au fond des choses, tirer les enseignements de nos échecs et répondre aux questions légitimes de nos concitoyens.
Néanmoins, je veux le dire une bonne fois pour toutes, parce que je pense qu’il faut parler avec franchise, sans cacher la vérité : dans un tel moment, quand on est un élu de la République, on ne joue pas à mettre en cause la parole publique, on ne joue pas à jeter le discrédit sur nos forces de l’ordre, on ne joue pas à souffler sur les braises des populismes et de la discorde. Et cela moins encore quand on a été élu par un front républicain et pour la concorde entre les citoyens ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
Le ministre de l’intérieur a répondu très clairement sur les effectifs mobilisés à Nice le soir du 14 juillet dernier. Ces réponses, nous les devons aux Niçois, aux familles des victimes et à leurs proches.
Aux côtés des policiers municipaux, dont nous connaissons tous ici l’utilité pour la protection de nos concitoyens – je veux bien sûr saluer ceux de Nice –, il y avait 185 policiers nationaux et 20 militaires de l’opération Sentinelle. Sur la Promenade des Anglais, meurtrie, les policiers nationaux étaient entre 64 et 92 en fonction des créneaux horaires.
Ces effectifs sont conformes à ce qui avait été annoncé et à ce qui avait été acté entre l’État et la ville. C'est la raison pour laquelle je pense qu’il faut dépasser ces polémiques. Une fois encore, nous avons besoin d’unité, non pour le plaisir des mots, non pour faire taire le débat ou mettre un terme au questionnement : l’unité doit être une partie intégrante de notre stratégie de lutte, précisément parce que le terrorisme cherche la discorde.
Depuis quatre ans – je l’ai souvent dit à cette tribune, comme ministre de l’intérieur, puis comme Premier ministre –, nous menons une stratégie cohérente. Celle-ci est mise à l’épreuve et exposée au questionnement, notamment des parlementaires.
Cette stratégie vise à agir sur notre sol, contre les « ennemis de l’intérieur » – c’est ainsi que je les avais appelés en novembre 2012, lorsque je présentais le premier projet de loi du quinquennat contre le terrorisme. Elle vise à agir, aussi, contre l’ennemi extérieur, sur les théâtres extérieurs. Tout est lié. C’est un même et unique combat.
C’est d'ailleurs pour cela que, sur un autre front, dès janvier 2013, le chef de l’État a décidé d’engager nos forces au Mali. Elles continuent leur mobilisation dans le cadre de l’opération Barkhane.
C’est pour cela, aussi, que nous sommes engagés en Irak depuis 2014 et en Syrie depuis septembre 2015. Nos avions frappent quotidiennement les positions de l’État islamique, de Daech – déjà près de 800 frappes depuis septembre 2014. Notre armée de terre et les forces spéciales soutiennent les opérations sur le sol irakien.
Nous allons encore amplifier nos actions, en appuyant davantage les Irakiens pour la reconquête de Mossoul. Une réunion importante des membres de la coalition se tient d'ailleurs aujourd'hui mercredi et se prolongera demain à Washington. Les ministres de la défense et des affaires étrangères y participent. Nous allons amplifier nos actions en déployant de nouveau sur zone, à l’automne prochain, le groupe aéronaval, avec le porte-avions Charles-de-Gaulle.
Notre stratégie a visé, de surcroît, au renforcement de notre cadre législatif. Je veux dire à ce propos que ce débat de la stratégie globale me paraît être l’un des plus pointus, des plus indispensables. Vous avez été amenés à voter cinq textes, qui ont donné à nos services tous les moyens d’agir.
Une première loi antiterroriste, adoptée ici en première lecture à une très large majorité en décembre 2012, permet de juger des Français partant faire le djihad à l’étranger – ce sont quelque 300 procédures judiciaires contre 1 200 de nos ressortissants qui ont été ouvertes.
Adoptée quelques semaines avant les attentats de janvier 2015, la deuxième loi antiterroriste de novembre 2014, portée par Bernard Cazeneuve, a notamment créé le « délit d’entreprise terroriste à caractère individuel », ainsi que la possibilité de procéder au blocage et au déréférencement des sites qui font de la propagande terroriste sur internet.
À cela s’ajoute une loi de juin 2016, visant à mieux lutter contre le terrorisme et la criminalité organisée, qui a déjà pris effet et qui répondait à une proposition de loi portée par MM. Philippe Bas et Michel Mercier.
Enfin, dans le domaine du renseignement, un sujet sur lequel aucun gouvernement n’avait osé légiférer depuis plus de vingt ans, deux lois ont été votées en juillet et en novembre 2015. La loi Savary de mars 2016 a par ailleurs renforcé le niveau de sécurité dans les transports.
M. Alain Fouché. On attend toujours les décrets d’application !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Vous avez raison, monsieur le sénateur, il faut bien évidemment que les lois s’appliquent.
M. Bruno Sido. Cela traîne !
M. Roger Karoutchi. Les Français s’impatientent !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Je prête, comme vous, une attention particulière à la mise en œuvre des décrets d’application.
Nous reviendrons au cours du débat sur cette question des transports, qui est tout à fait essentielle.
Notre stratégie de lutte contre le terrorisme consiste aussi à augmenter les moyens matériels, technologiques et humains. En l’espace de cinq ans, près de 9 000 postes supplémentaires auront été créés dans la police et la gendarmerie, dont 2 100 pour les services de renseignement. Nous aurons également créé 7 000 emplois dans la justice et 1 000 dans les douanes.
Parce que la présence sur le terrain est essentielle, 10 000 militaires resteront déployés dans le cadre de l’opération Sentinelle. Ils rempliront deux missions principales : le contrôle des flux – aux frontières, dans les gares, les aéroports – et la sécurisation des grands rassemblements estivaux. Hier, à Avignon, Bernard Cazeneuve et Jean-Yves Le Drian ont eu l’occasion de le rappeler.
Par ailleurs, la gendarmerie et la police vont activer leur réserve opérationnelle de premier niveau. Ce sont quelque 15 500 volontaires que les préfets pourront mobiliser pour soulager pendant ces mois d’été les forces de sécurité, dont nous connaissons l’engagement, mais aussi parfois la fatigue.
Il y a, au-delà de la question des effectifs, le sujet des structures et des moyens. Dans ce cadre, nous avons créé la DGSI, la Direction générale de la sécurité intérieure, et renforcé son indispensable complémentarité avec le Service central de renseignement territorial, le SCRT. Nous savons, notamment après la suppression des Renseignements généraux, combien il est essentiel de pouvoir capter ce que l’on appelle les « signaux faibles » sur le terrain.
Bien sûr, on peut toujours réfléchir aux moyens d’améliorer les dispositifs en place. Aucun débat, par principe, n’est interdit. Toutefois, comme le ministre de l’intérieur l’a très justement souligné, il faut éviter des restructurations à répétition, surtout dans les périodes où les services doivent faire face à une charge de travail et à une pression sans précédent.
En matière de renseignement, il faut de la continuité dans les méthodes de travail et de la stabilité. Il faut, surtout, que les personnels des services se concentrent sur l’essentiel : la détection et le suivi des terroristes.
Les structures et les moyens, ce sont aussi l’état-major opérationnel de prévention du terrorisme, pour coordonner le suivi des individus radicalisés, le schéma d’intervention des forces spécialisées, la modernisation du matériel des équipages qui interviennent les premiers sur les lieux d’un attentat, avec des armements et des protections adaptés, afin d’assurer leur propre sécurité et de pouvoir neutraliser les terroristes.
Tous ces débats, nous les avons eus, et les décisions ont été prises, notamment après l’attentat du Bataclan. En tout, ce sont quelque 233 millions d’euros qui ont été affectés à nos services pour leur permettre de mieux faire face à la menace terroriste.
Notre stratégie, c’est aussi bien sûr le renforcement de la lutte antiterroriste au niveau européen. Nous avons obtenu des avancées décisives : PNR ou Passenger Name Record européen, création d’un corps de garde-frontières, plan de lutte contre les armes à feu. Là encore – il y va d'ailleurs de la crédibilité de l’Europe –, il faut que les décisions s’appliquent réellement et rapidement sur le terrain.
Enfin, notre stratégie est de lutter contre la radicalisation, ce mal profond qui est à l’œuvre dans notre société. C’est incontestablement le principal défi et le plus difficile à relever. Le constat, j’ai déjà eu l’occasion de le dresser devant vous : l’idéologie mortifère de Daech séduit sur fond de rupture totale avec la République, de perte de sens de nos sociétés, mais aussi, bien sûr, de désespérance sociale.
Sortons des clichés : toutes les franges de la population sont concernées. Bien sûr, nos quartiers populaires sont touchés. C’est là, en premier lieu, que les prêcheurs de haine mènent leur entreprise funeste d’embrigadement. C’est là, en premier lieu, que le salafisme fait le plus de ravages. C’est là, en premier lieu, qu’il doit être combattu. Et l’islam de France a ici un énorme rôle à jouer, avec notre soutien, mais en prenant aussi clairement ses responsabilités. Monsieur le ministre de l’intérieur, l’instance de dialogue que vous avez mise en place participe de ce travail, qui demande une mobilisation de tous.
De ce point de vue, nous devons aussi protéger nos compatriotes musulmans, qui font aujourd’hui office de boucs émissaires et sont désignés comme les responsables de cette situation. Les mots haineux et racistes que l’on a entendus ces derniers jours sont inacceptables : nous devons donc les combattre avec la plus grande détermination.
Cela dit, le djihadisme recrute partout, sur tous les territoires et dans toutes les couches sociales : il recrute parmi les Français de confession et de culture musulmanes comme parmi les jeunes convertis, parmi les hommes comme parmi les femmes.
Voilà le défi immense que nous devons affronter, un défi qui dépasse la seule réponse sécuritaire. Nous devons ramener vers la République tous ceux qui s’en éloignent. Nous devons les faire adhérer à son projet et à ses valeurs en traduisant davantage la République dans les faits et en leur opposant, non pas un seul, mais bien plusieurs puissants contre-discours. Il faut porter la contradiction. Il faut inciter à l’autodéfense intellectuelle. Il faut déconstruire cette rhétorique. Il faut la démonter, avec audace et sens de l’innovation.
Chacun, dans la société, doit s’en sentir responsable. C’est le rôle de l’État, bien sûr, et nous avons d’ailleurs pris des initiatives qui peuvent être encore approfondies, amplifiées et développées ; c’est aussi celui des collectivités. On sait toutefois combien les institutions sont elles-mêmes considérées comme étant de parti pris. C’est donc à toute la société civile qu’il revient de fabriquer les anticorps nécessaires contre le poison conspirationniste, qui se trouve, notamment, mais non exclusivement, sur les réseaux sociaux.
Il se trouve aujourd’hui des volontaires pour mener ce combat. Nous les aiderons, nous les soutiendrons. Souvent, ils ont vu de près les ravages de la radicalisation sur les familles et sur les quartiers. Ce combat doit donc être mené partout : dans les mosquées, dans les quartiers, dans les familles, enfin dans la société tout entière : chacun doit assumer ses responsabilités !
En matière de radicalisation, beaucoup a été fait ou, du moins, beaucoup a été annoncé. Nous devons faire beaucoup plus. Tel est le sens du plan d’action que j’ai présenté en mai dernier. Il faut mobiliser tous les ministères et associer à l’effort l’ensemble des partenaires de l’État, jusqu’aux entreprises privées et aux fondations. Cette mobilisation de la société est nécessaire, parce que c’est le combat d’une génération. Cette guerre sera longue et se mènera, non pas seulement à l’extérieur, mais d’abord en France.
Notre objectif est de détecter le plus tôt possible les individus susceptibles de basculer. Imaginez toutes les questions qui se posent autour de la radicalisation extrêmement rapide de l’individu qui a commis l’effrayant attentat de Nice !
Le numéro vert destiné aux familles a permis le signalement de plus de 5 000 individus – on voit bien l’ampleur du défi – et empêché de nombreux départs. Plus de 1 100 jeunes sont aujourd’hui suivis dans le cadre des structures mises en place au niveau de chaque préfecture. Près de 600 familles confrontées à des cas de radicalisation bénéficient par ailleurs d’un accompagnement.
La réponse doit être plus forte encore ; elle doit être professionnalisée et individualisée.
C’est aussi pourquoi nous avons mis en place des centres de réinsertion et de citoyenneté. Je reconnais que c’est difficile à mettre en œuvre, pour des questions légales, parce que nombre de territoires ne veulent pas accueillir ce type de centres. Le premier d’entre eux ouvrira néanmoins dès septembre prochain en Indre-et-Loire.
Je veux à ce propos remercier ici les élus locaux, à commencer par la sénatrice Stéphanie Riocreux, du soutien qu’ils apportent à ce projet. J’ai bien conscience de la difficulté d’un tel projet et des inquiétudes que l’ouverture d’un tel centre peut susciter. Imaginez ce que ce sera quand il y en aura plusieurs ! Néanmoins, ce n’est qu’ensemble, collectivement, que nous pourrons venir à bout de ce fléau qu’est la radicalisation : il faut continuer de mener ce combat, notamment dans nos prisons.
Mesdames, messieurs les sénateurs, dire la vérité aux Français, c’est aussi leur rappeler que notre stratégie de lutte contre le terrorisme apporte des résultats. Si nous le taisions, nous disqualifierions tout ce qui a été engagé. Il faut en revanche toujours conserver à cet égard une immense modestie.
Depuis 2012, quelque 16 attentats ont été déjoués sur notre sol, notamment, au mois de mars dernier, celui que planifiait le réseau Kriket, qui s’apprêtait à frapper notre pays. Depuis le début de l’année 2016, quelque 161 personnes ont été interpellées pour leur implication dans la mouvance djihadiste.
Au-delà de la réponse judiciaire, le Gouvernement a recours à toutes les mesures de police administrative autorisées, notamment, par les lois que vous avez adoptées au cours des dernières années : 158 interdictions administratives du territoire et 366 interdictions de sortie du territoire ont été prononcées. En outre, 80 arrêtés d’expulsion ont été pris à l’encontre de prêcheurs de haine ou d’imams autoproclamés. Dix mosquées ou salles de prières ont été fermées.
Enfin, depuis le rétablissement du contrôle aux frontières consécutif aux attentats du 13 novembre dernier, 48 millions de personnes ont été contrôlées à nos frontières terrestres, aériennes et maritimes, et 28 000 individus ont été empêchés de pénétrer sur le territoire en raison de leur dangerosité.
Ces résultats, qui ne doivent pas être masqués par les tragiques attentats auxquels notre pays a été confronté ces derniers mois, ont été obtenus grâce à des mesures, tant judiciaires qu’administratives, respectueuses de l’État de droit. Je l’ai dit cette nuit à l’Assemblée nationale et je le redis devant vous aujourd’hui, avec gravité et solennité, mais sans oublier la sagesse qui caractérise votre assemblée.
Lutter contre le terrorisme ne doit pas nous conduire à renier notre histoire, à trahir ce que nous sommes, à abandonner les principes qui ont fondé notre République. Ce serait tomber dans le piège que nous tendent les terroristes.
Ce gouvernement ne sera pas celui qui créera des Guantanamo à la française, dans lesquels des individus seraient enfermés pour une durée indéterminée sur la base de simples suspicions. Les réponses arbitraires ne parviennent pas à enrayer le terrorisme ; elles ne sont ni efficaces ni acceptables. Gardons aussi en tête ce qui s’est passé dans d’autres pays !
Nous devons résister à cette fuite en avant dans les idées, en dépit de ce que nous entendons, jusque parmi nos compatriotes. Nous tous, représentants du peuple et membres du Gouvernement, devons éviter de nous perdre dans ces surenchères, même si l’on peut comprendre le questionnement et la colère des Français.
Comme en janvier et en novembre 2015, la France se trouve face à une épreuve terrible. Dans ces moments, nous devons être bien conscients des risques de dislocation de notre société.
Ce que veulent les terroristes – là est leur projet –, c’est exacerber les tensions, nous diviser, nous fracturer. Ne tombons donc pas dans cet autre piège, dans lequel s’engouffrent déjà les populismes, en France comme ailleurs en Europe, qui consiste à dresser les Français les uns contre les autres, en pointant du doigt, en cherchant des boucs émissaires, en agitant les haines, que ce soit la haine des immigrés, le racisme, l’antisémitisme ou la haine des musulmans.
Nous devons nous rassembler, tenir et faire tenir notre société, faire bloc et refuser de toutes nos forces tous ces courants destructeurs, qui au fond s’alimentent mutuellement.
Nous devons aussi refuser, dans nos comportements de responsables publics, de céder à la moindre facilité ; en même temps, nous devons répondre à l’attente et à l’exigence des Français.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la France – ai-je besoin de le rappeler ? – est un grand pays. Elle se trouve face à un immense défi. Nous connaissons aussi la fragilité de nos sociétés démocratiques. Parce que la France est attaquée, le monde, qui la regarde toujours avec admiration, attend sa réponse. Néanmoins, parce qu’elle est la France, elle fera face. Parce que nous sommes la France, nous vaincrons le terrorisme ! (Applaudissements prolongés sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Mercier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, l’attentat qui a été perpétré à Nice le 14 juillet dernier a changé la perception que nos concitoyens ont du terrorisme.
Les raisons en sont multiples : l’accumulation des attentats, la présence de nombreux enfants parmi les victimes, enfin la date même du 14 juillet. Tout cela explique le fort ressenti de nos concitoyens, que nous avons tous pu constater dans nos villes et nos villages, au-delà de Nice même, lors des minutes de silence observées à la mémoire des victimes. Un véritable déclic a eu lieu : cette prise de conscience les pousse à nous interroger. De ce point de vue, il nous faut être conscients que nos concitoyens amalgament tous leurs élus en un même bloc.
Nous devons aux Français, en premier lieu, la responsabilité. Nous sommes élus, nous avons sollicité les mandats que nous exerçons ; nous devons par conséquent en accepter toute la responsabilité, même si les modalités de celle-ci ne sont pas les mêmes selon que l’on est Premier ministre, parlementaire ou maire. Quoi qu’il en soit, aux yeux de nos concitoyens, nous avons été choisis pour diriger le pays et nous sommes responsables ensemble. Ne fuyons pas cette responsabilité !
Notre second devoir correspond aussi, me semble-t-il, à une exigence forte de nos concitoyens : il s’agit de répondre au risque de délitement de notre pays, qui me préoccupe aujourd’hui. Quand nous nous trouvons au milieu de nos concitoyens et qu’ils nous secouent quelque peu, nous devons l’accepter ; en revanche, ce qui me fait le plus peur et me cause le plus de peine, c’est bien ce risque de délitement national.
Aussi, ce dont nous sommes comptables, ce n’est pas tant de l’union entre nous que de la profonde unité de la patrie ! (Vifs applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe Les Républicains et du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.) Nous devons sur ce point véritablement accepter toutes nos responsabilités.
Le Gouvernement nous propose aujourd’hui de proroger l’état d’urgence. Certes, la semaine dernière, la commission des lois, tirant le bilan de la dernière prorogation de ce dispositif, relevait que l’autorité administrative s’était peu servie de cet état d’urgence allégé. Nous nous opposions alors à une éventuelle reconduction du dispositif aujourd’hui en vigueur, car la loi du 3 juin 2016, que nous avons votée, donne tant à l’autorité administrative qu’à l’autorité judiciaire les moyens de faire face à la menace.
Toutefois, il y a eu Nice, et l’on voit désormais les choses autrement. Il n’en reste pas moins, monsieur le Premier ministre, que nous ne pouvons accepter la prorogation de l’état d’urgence que vous nous demandez aujourd’hui que s’il s’agit d’un autre état d’urgence, qui offre des pouvoirs renforcés pour l’autorité administrative et des mesures pérennes pour lutter contre le terrorisme. Voilà l’objectif visé dans ses travaux par la commission des lois. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Deroche. Très bien !
M. Michel Mercier, rapporteur. Monsieur le Premier ministre, j’ai écouté vos interventions sur ce sujet : vous avez réitéré à de nombreuses reprises que vous étiez prêt à accepter bien des mesures que nous proposerions, dès lors que l’État de droit n’était pas entamé.
C’est bien notre position, et ce pour une raison simple : je suis juriste, j’aime le droit, mais je sais aussi que le droit évolue. Ainsi, pour ce qui est des pouvoirs exceptionnels, comparons simplement l’arrêt Heyriès, rendu en 1918 par le Conseil d’État, premier exemple de la théorie des pouvoirs exceptionnels, à ce qui se dit aujourd’hui autour de l’état d’urgence. Les discours ont changé, mais nous sommes toujours dans un État de droit. Celui-ci n’est pas quelque chose d’éthéré ou un bel objet que l’on encadre.
M. Roger Karoutchi. Bien sûr !
M. Michel Mercier, rapporteur. Il est la traduction dans des règles de notre volonté de vivre ensemble. Voilà pourquoi nous voulons y rester : ce droit nous appartient et nous n’entendons pas en changer, car nous y sommes attachés ! Si nous n’étions pas attachés à notre vivre ensemble, les terroristes auraient déjà gagné. Voilà pourquoi nous sommes prêts, avec vous, à nous battre pour conserver ce vivre ensemble.
La commission des lois du Sénat, dans ce cadre, a voulu, en premier lieu, renforcer les pouvoirs de l’autorité administrative. Nos collègues députés ont pris de ce point de vue plusieurs mesures que j’approuve et sur lesquelles nous ne reviendrons pas. Ainsi, la prorogation pour six mois de l’état d’urgence permettra aux autorités de bien prendre leurs marques et d’organiser les choses.
Nous acceptons également, bien entendu, le renforcement du contrôle parlementaire de l’état d’urgence. À ce propos, je tiens à mentionner que la commission des lois publiera à la rentrée un rapport qui montrera que l’état d’urgence a fourni au Conseil constitutionnel et au Conseil d’État l’occasion de développer leur jurisprudence protectrice des libertés publiques, par le biais, notamment, de procédures en référé ! La nécessité du contrôle parlementaire est donc avérée.
Nous souhaitons néanmoins aller plus loin et donner à l’autorité administrative la possibilité de fermer des lieux de culte et d’interdire des cortèges, défilés ou rassemblements dont la sécurité ne peut être garantie. Nous discuterons de ces amendements dans quelques instants.
Nous voulons également que l’autorité administrative, à savoir les préfets, puisse, en concurrence avec le procureur, décider de contrôles d’identité, de fouilles de bagages et de fouilles de véhicules. Nous souhaitons aussi modifier les règles du régime juridique des perquisitions administratives, en obligeant les personnes dans les appartements desquelles ont lieu les perquisitions à demeurer sur place. Enfin, nous souhaitons bien entendu faire en sorte que toutes ces modifications s’appliquent outre-mer.
Nous ne voulons pourtant pas en rester là. D’ailleurs, l’Assemblée nationale, avec le soutien probable du Gouvernement, a ouvert hier la porte à l’instauration de mesures pérennes. Deux amendements ont été acceptés par l’Assemblée nationale ; nous vous en présenterons d’autres. Ils visent à reprendre des mesures que nous avions adoptées dans la proposition de loi à laquelle vous avez fait allusion tout à l’heure, monsieur le Premier ministre, et encore dans la loi du 3 juin dernier, même si elles n’avaient pas été retenues en commission mixte paritaire.
Nous vous proposons d’autre part une modification des règles relatives à la mise en œuvre des techniques de renseignement. La commission a adopté un amendement technique visant à permettre le suivi en direct des personnes présumées terroristes. Cette technique, quoique très intrusive pour la vie privée, constitue la seule option permettant de suivre en direct des individus particulièrement dangereux. Grâce à cet instrument, on peut savoir où ils sont, ce qu’ils font et avec qui ils parlent, mais non pas le contenu de ces conversations ; ainsi, on peut les suivre et les retrouver.
Monsieur le Premier ministre, l’état d’urgence, dont vous nous demandez la prorogation, est justifié s’il est plus fort, s’il renforce l’autorité administrative, s’il renforce l’autorité judiciaire, s’il renforce la République !
C’est dans cet état d’esprit, mes chers collègues, que la commission des lois vous invite à travailler pour donner à la République et à notre vivre-ensemble les moyens de combattre ce terrorisme protéiforme.
Je tiens à mon tour à rendre hommage aux trois soldats des forces spéciales morts ce matin. La guerre contre Daech n’est pas complètement conventionnelle et requiert des moyens nouveaux, aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur du territoire national.
Après avoir rendu hommage aux victimes, je tiens à exprimer l’admiration du Sénat tout entier pour les actions des militaires, des policiers, des gendarmes, des pompiers,…
M. Roger Karoutchi. Des douaniers !
M. Michel Mercier, rapporteur. … des médecins et de tous les Français qui, spontanément, se sont levés pour participer aux opérations de secours. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe Les Républicains et du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. David Rachline.
M. David Rachline. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, l’islamisme radical a encore frappé notre patrie, en utilisant, une nouvelle fois, l’arme du terrorisme, arme des lâches ! Ce n’est pas le terrorisme qui nous fait la guerre, car il n’est qu’un moyen ; c’est bien une idéologie mortifère, incarnée par l’État islamique et par ses soldats disséminés de par le monde, que nos responsables politiques successifs ont malheureusement laissé s’installer dans un certain nombre de nos villes.
Monsieur le Premier ministre, vous expliquiez l’autre jour que nous avons fermé les yeux, partout en Europe et aussi en France, sur la progression des idées extrémistes salafistes. Il était temps de le reconnaître ! En dix-huit mois, quelque 236 personnes ont été tuées par nos ennemis et – il faut le dire très clairement – elles ont aussi été victimes de la lâcheté de nos dirigeants. Aussi, monsieur le Premier ministre, nous sommes en droit d’attendre de votre part, a minima, un peu plus de modestie !
Comment d’ailleurs ne pas être profondément en colère alors que nous vous mettons en garde depuis des décennies sur les risques de vos politiques. Plutôt que de nous caricaturer, de nous mépriser et de stigmatiser les Français qui soutiennent nos idées, vous auriez mieux fait de nous écouter. (Murmures sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)
Cette situation a été rendue possible par vos politiques faites de communautarisme, d’immigration massive, d’un sentiment d’impunité pour les voyous chers à votre ancienne garde des sceaux (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.), de diplomatie pour le moins hasardeuse, ou encore de la réduction de nos forces de sécurité entreprise pour se soumettre au diktat d’austérité de l’Union européenne !
Nous aurions préféré avoir tort, mais, malheureusement, les événements tragiques nous ont donné raison.
M. Bruno Sido. Tout cela vous arrange…
M. David Rachline. Ces mots sont ceux que j’ai prononcés il y a huit mois, et j’ai le sentiment, comme de nombreux Français, comme les Niçois qui vous ont hué tout en acclamant les forces de secours, que rien n’a changé et que, à part des paroles, aucune mesure efficace n’a été prise.
Vous dites, monsieur le Premier ministre, que tout ce qui permet l’efficacité doit être examiné avec le plus grand intérêt. Aussi, je vous rappelle certaines mesures que nous portons depuis longtemps et qui nous paraissent, quant à elles, utiles et nécessaires : contrôle des frontières nationales, donc fin de Schengen ; expulsion de tous les imams radicaux ; fermeture de tous les lieux de culte salafistes, notamment ceux qui sont soutenus par l’Union des organisations islamiques de France, l’UOIF ; politique étrangère moins idéologique ; arrêt de l’accueil de tous les clandestins ; enfin, expulsion de tous les étrangers condamnés pour des faits graves.
Moins de « com », moins d’idéologie, moins de coups de menton et plus d’action : voilà la véritable recette pour gagner cette guerre contre le péril islamiste !
Je n’oublie pas non plus la responsabilité directe que porte également le chef du parti Les Républicains, qui semble avoir oublié que, il y a seulement quelques années, il était aux responsabilités ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Il semble avoir oublié les quelque 66 000 suppressions de postes dans nos forces de sécurité et dans nos armées, la fin de la double peine, sans laquelle le terroriste de Nice n’aurait, en principe, pas pu se trouver en France, ou encore la guerre qui a mené au chaos en Libye, où trois de nos soldats, dont je salue bien sûr la mémoire, viennent encore de tomber au champ d’honneur. Il est plus que temps alors que la démagogie sarkozienne cesse ! (Mêmes mouvements.)
Nous voterons la prorogation de l’état d’urgence, parce que c’est mieux que rien et que nous nous réjouissons des légères avancées proposées dans ce texte par la majorité sénatoriale. Mais non, monsieur le Premier ministre, nous ne voulons pas nous habituer à vivre avec le terrorisme islamiste : les Français veulent et sont en droit d’attendre, que le Gouvernement combatte sans répit et avec détermination ces islamistes radicaux.
Vivre avec, c’est renoncer ; vivre en luttant, c’est être sûr de la victoire et résister. Si vous ne souhaitez pas vous donner les moyens de gagner cette guerre, laissez donc la place : d’autres sont prêts à lutter, d’autres sont prêts à défendre les Français, d’autres sont prêts à défendre la mère patrie ! (M. Stéphane Ravier applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre de l’intérieur, mes chers collègues, l’extrémisme n’est pas le monopole des salafistes. Nous disons oui à la fermeté et non aux discours de haine qui sont incompatibles avec la République.
La Nation pleure les morts de Nice. Au-delà de la compassion, à la souffrance des victimes et de leurs familles répondent l’indignation et la révolte des Français. Lorsque le sang des innocents coule, et celui des enfants en premier, les mots ne sauraient suffire à consoler, à réparer, à apaiser.
Nos concitoyens veulent des actes. Ils attendent de ceux auxquels ils ont confié leur destin, même par défaut, et qu’ils appartiennent au pouvoir exécutif ou au pouvoir législatif, qu’ils soient à la hauteur de la situation. Le régime et ses institutions ne facilitent pas les choses.
Rappelons que, au cours du XXe siècle, par deux fois, lorsque la France vacillait, deux hommes se sont levés et ont concentré autour de leur personne la grandeur de la Nation. Monsieur le président du Sénat, c’est en pleine conscience que, ici même, hier, vous avez rappelé des paroles prononcées au mois de mars 1918. Face à l’indicible, le devoir des dirigeants est de restaurer la confiance par une volonté sans faille.
L’objectif de Daech est clair : semer la terreur, fracturer notre société, opposer les communautés et les sensibilités, susciter des discours de haine et d’extrémisme. Le moment est d’autant plus propice à de telles entreprises que nous nous rapprochons de l’échéance présidentielle, celle dont, malheureusement, tout découle.
De fait, les tirs et un camion tueur ont pour finalité de faire exploser l’unité nationale. Le devoir de responsabilité s’impose à tous, y compris aux médias, dont certains, en particulier la chaîne publique, ne se sont pas illustrés. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)
Or aucune manœuvre politicienne ne saurait être à la hauteur de l’enjeu ; qu’il s’agisse, pour les uns, du projet de révision constitutionnelle ou, pour certains autres, d’une course-poursuite avec l’extrême droite, ce n’est pas ce qu’attendent les Français !
Nous nous trouvons certes face à un défi sécuritaire, mais d’abord face à un défi moral, qui impose un sursaut républicain, une affirmation des valeurs de la République, le rejet de toute dérive communautaire et le rejet de toute concession sur la laïcité. Monsieur le Premier ministre, sur ce point, nous sommes en adéquation totale.
Notre groupe sait dire à l’exécutif ce qu’il pense ; dans ces circonstances où la tâche de ce dernier est lourde – parfois accablante –, je tiens à m’adresser à ceux qui aspirent à retrouver, dans quelques mois, le pouvoir : gardez-vous de propos excessifs, voire injustes, car notre débat sur la préservation de ce que doit être un État de droit a d’abord et avant tout besoin de dignité, ce dont notre enceinte ne manque pas. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.) Dans les difficultés actuelles, je persiste par ailleurs à adresser au ministre de l’intérieur un message amical de soutien.
Débattre dans la dignité ne signifie pas une absence de débat. Il est souhaitable qu’un consensus de fond, et non de circonstances, émerge sur les questions de sécurité, car cette dernière n’est ni de droite ni de gauche, elle est un droit pour tous ceux qui vivent sur notre sol, même si ce n’est pas dans la culture de la Ve République.
La prolongation de l’état d’urgence, accompagnée de dispositions nouvelles, répond-elle tant aux impératifs de sécurité qu’à la nécessité du maintien d’un État de droit ? Le vote des sénateurs du groupe du RDSE, dans le respect absolu de leur liberté, apportera à cette question une réponse diverse.
Elle sera négative pour ceux qui ont toujours combattu le principe de telles lois, tels Gilbert Barbier et Pierre-Yves Collombat, mais positive pour d’autres. Certains seront in fine sensibles aux évolutions à attendre du débat en commission mixte paritaire, qui pourrait nous débarrasser d’ajouts de posture médiatique, tels que la rétention de sûreté. Je ne doute pas à cet égard que les deux partis dominants aient déjà ficelé une commission mixte conclusive.
M. Michel Mercier, rapporteur. C’est bien la première fois que les centristes sont qualifiés de dominants ! (Sourires sur les travées de l'UDI-UC.)
M. Jacques Mézard. Disons les choses telles qu’elles sont : c’est plus simple et plus clair.
Sur l’état d’urgence lui-même, dois-je rappeler que, le 13 juillet, la commission des lois proposait à l’unanimité sa levée et que, le 14 juillet, le Président de la République lui-même annonçait sa non-reconduction ?
Soyons clairs, la reconduction pour six mois de l’état d’urgence n’a que peu d’intérêt pratique ; elle représente plutôt une vertu de communication à l’égard de nos concitoyens, tant pour les rassurer que pour ancrer dans l’esprit de chacun, s’il était encore nécessaire de le faire, que la situation de crise est exceptionnelle et la vigilance indispensable.
En revanche, nous ne saurions éluder ce qui nous paraît l’essentiel. À cet égard, notre première question est la suivante : quels sont les besoins réels de nos forces de sécurité et de renseignement ? Par ailleurs, comment ne rien dire de notre politique étrangère et des raisons du ciblage de la France ?
J’ai déjà souligné à plusieurs reprises à cette tribune, et déjà au Congrès le 16 novembre dernier, que la véritable priorité était de donner à nos forces de sécurité tous les moyens humains et matériels nécessaires à leurs missions. Ces derniers mois, une tâche considérable et épuisante a reposé sur eux : ils n’ont donc pas à être critiqués ; il faut plutôt les remercier et les conforter ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)
Au moment où le Président de la République annonce des baisses d’impôts pour l’année prochaine, je suis sûr que la grande majorité des Français sera prête à y renoncer si cet argent peut être utile au renforcement de leur sécurité ! (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.) Monsieur le Premier ministre, quelle est votre réponse à cette question ?
Quant à la justice, y compris administrative, elle n’a pas forcément besoin d’une avalanche de nouveaux textes ; elle veut plutôt des moyens pour pouvoir appliquer avec célérité les lois existantes et les décisions prises.
Le combat contre Daech en Irak et en Syrie est indispensable, et nous soutenons sans réserve les opérations de nos forces armées, mais la France est devenue l’une des principales cibles du terrorisme islamiste. On ne pourra pas éluder longtemps le débat sur l’origine de ce ciblage.
Nous nous souvenons des décisions courageuses prises en 2003 par le président Chirac ; en revanche, depuis une dizaine d’années, la politique étrangère que nous avons conduite, de l’intervention en Libye à nos attaques systématiques contre le régime syrien, qui a certes bien des défauts, en passant par nos prises de position vis-à-vis de la Russie, n’a malheureusement pas apporté que des progrès.
Quant aux leçons de droits de l’homme dispensées par quelques philosophes nantis, elles s’arrêtent devant le pétrole du régime saoudien et des émirats. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Dire ce que l’on pense et faire ce que l’on dit : c’est cela qui peut et doit réconcilier le peuple de France avec ses représentants. Populisme et communautarisme sont aujourd’hui les deux cancers de notre vie publique.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jacques Mézard. La République, c’est la conjugaison de la liberté et de l’autorité. C’est ce qu’a rappelé, dans les pires heures de la France, celui que vous avez cité hier, monsieur le président. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain. – M. Pierre Laurent applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Dominique Estrosi Sassone. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je n’ai pas demandé à intervenir aujourd'hui ; de grandes et talentueuses personnalités du groupe Les Républicains auraient été mieux à même de le faire.
Je tiens à remercier très sincèrement Bruno Retailleau, président, et l’ensemble des membres de mon groupe de me permettre de m’exprimer devant vous après l’attentat de Nice. C’est l’élue locale, sénateur des Alpes-Maritimes, mais avant tout la Niçoise depuis trois générations, d’origine italienne, qui s’adresse à vous, avec beaucoup d’émotion, ce que vous comprendrez, mais aussi avec une très grande humilité.
Après les journalistes, la police et la communauté juive au mois de janvier 2015, après la jeunesse au mois de novembre dernier, après la police encore une fois le 13 juin dernier, ce sont les familles, les enfants qui ont été les victimes innocentes d’une sauvagerie invraisemblable, d’une barbarie ensanglantant la Promenade des Anglais, lieu de beauté et de culture.
Jamais, même dans nos pires cauchemars, nous n’aurions pu imaginer ce qui est survenu cette nuit du 14 juillet 2016, date de notre fête nationale et symbole de la République.
En cet instant, mes pensées vont aux 84 morts, aux 200 blessés, à leurs familles et à leurs proches tellement dignes, à toutes ces victimes du drame, traumatisées, choquées, qui ont vu la mort en face, à ces témoins courageux qui ont tout tenté pour arrêter le camion fou.
Je veux remercier individuellement tous les personnels de secours, les pompiers, les forces de police nationale, municipale et de gendarmerie, les médecins et personnels médicaux, psychologues et les personnels municipaux, qui ont été exemplaires dans leur devoir de solidarité et de sécurité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC, du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)
Enfin, je pense aux Niçoises et aux Niçois, unis et solidaires, qui, j’en suis convaincue, surmonteront cet outrage, sans jamais rien oublier de cette nuit d’horreur ni de ces familles décimées, en continuant à vivre, en réapprenant à le faire, en restant debout, en ne renonçant pas, en relevant l’oriflamme de nos valeurs.
Toutefois, le peuple de Nice est en colère, il faut le savoir, il faut l’entendre. Il a raison : nous ne pouvons pas continuer à rendre des hommages, à observer des minutes de silence, à déposer des fleurs, sorte de liturgie d’une République qui accepte d’être haïe et attaquée régulièrement pour ce qu’elle est. Les Niçois, les Français n’arrivent plus à prendre sur eux. Vous l’avez souligné, monsieur le Premier ministre, ils ont le droit à la vérité. L’enquête la dira, et je me refuse à polémiquer par esprit de responsabilité. (Applaudissements sur les mêmes travées.)
Les querelles des uns et des autres doivent cesser, car elles discréditent encore plus une classe politique déjà bien malmenée par nos concitoyens excédés, révoltés, qui demandent plus de sécurité et plus de protection. Ces petites phrases, ces chicayas ne sont pas à la hauteur de l’enjeu, à savoir protéger avec efficacité les Français et restaurer ou sceller la cohésion nationale. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)
Nous sommes engagés dans une guerre totale, qui va durer, une guerre contre la paix, une guerre contre la liberté, une guerre ouvertement déclarée à ce que nous sommes, une guerre que nous ne gagnerons que si nous nous montrons plus forts que ceux qui veulent nous détruire.
Ce qui compte plus que jamais après ce nouveau drame, c’est l’avenir. Il s’agit de mettre fin à cette stratégie incohérente en matière de terrorisme, subissant au lieu d’agir, étant trop souvent dans la parole et pas assez dans les actes, discutant pendant six mois de la déchéance de nationalité, pour rien, ainsi que de la constitutionnalisation de l’état d’urgence, dont nous allons finalement voter la prolongation pour la troisième fois. Tout cela était-il bien utile ?
L’état d’urgence, dont le terme a été officiellement annoncé le 14 juillet à midi, comme si tout danger était soudainement écarté, a été reconduit dans la nuit, quelques heures plus tard.
L’état d’urgence, qui était censé être relayé par le droit commun, se révèle de nouveau nécessaire. Il est devenu quasi permanent, malgré le vote de sept textes relatifs à la sécurité depuis 2012.
Certes, il faut une réponse juridique, une réponse policière et une réponse militaire, mais il faut aussi et surtout une réponse morale et culturelle, une remise en cause de notre société, de cette forme d’humanisme compassionnel désastreux, qui a irrigué les consciences politiques, de gauche comme de droite, qui a conduit la République française à renoncer à tous les principes fondamentaux de laïcité, qui sont le ciment de l’union nationale.
La capacité de résilience nationale s’érode au fil des attentats et les Français s’inquiètent de l’impuissance des pouvoirs publics. Certes, le risque zéro n’existe pas, mais nous ne pouvons accepter l’idée qu’il est impossible de faire mieux pour protéger nos concitoyens.
Il faut bien sûr davantage de policiers, de gendarmes, de magistrats et de gardiens de prison (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain), mais cela passe aussi par la mise en application des conclusions du rapport de la commission d’enquête de nos collègues députés Fenech et Pietrasanta.
Il faudra des réponses législatives. Cela passe dans l’immédiat par le vote du projet de loi qui nous est soumis, amendé et renforcé par la commission des lois du Sénat et défendu par notre collègue Michel Mercier.
Si l’état d’urgence doit être reconduit, il faut que ce soit réellement utile et efficace. Il faut que les pouvoirs de l’administration – ministre de l’intérieur, préfets, police – soient accrus. Il faut y intégrer de nombreuses dispositions qui ont été adoptées par le Sénat et qui n’ont pu être reprises, faute d’accord avec l’Assemblée nationale, notamment la création d’un délit de séjour sur une zone à l’étranger où opèrent des groupes terroristes ou encore la création d’une circonstance aggravante en cas d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste.
Nous sommes donc prêts à reconduire l’état d’urgence pour six mois, mais à condition que ses mesures soient renforcées. Il faut des réponses concrètes, pas seulement celles qui sont liées à la situation immédiate. Cela signifie renforcer les procédures de droit commun, rompre avec le laxisme et l’impunité, supprimer la contrainte pénale, rendre effective l’exécution des peines, rétablir les peines plancher et accroître les peines en cas de récidive.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Dominique Estrosi Sassone. Enfin, et c’est sans doute là qu’une vraie volonté politique s’impose, il faut revoir l’éducation des jeunes générations, reconquérir les esprits, oser faire le constat de l’échec patent d’un système scolaire qui, par amour de la différence, fabrique l’exclusion ! Il faut renouer avec la fierté d’être Français et réapprendre à nos enfants un récit national.
Mme Catherine Troendlé. Très bien !
M. Éric Doligé. Ce n’est pas la gauche qui le fera !
Mme Dominique Estrosi Sassone. « Nul ne naît fanatique, nous dit Edgar Morin. Il peut le devenir progressivement s’il s’enferme dans des modes pervers ou illusoires de connaissance. » Voilà la clef qui nous permettra de gagner cette guerre. (Mmes et MM. les sénateurs du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC se lèvent et applaudissent longuement.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est en ce jour de célébration du 14 juillet que notre peuple a été frappé à Nice, avec haine, avec rage, avec cruauté, par un individu au profil encore mal défini aujourd’hui, islamiste radical de la dernière heure.
Ainsi, 84 personnes sont décédées, parmi lesquelles 10 enfants. Des dizaines de blessés sont très gravement atteints et certains luttent encore pour la vie. À cet instant, mes pensées vont vers toutes ces familles et leurs proches, et je veux ici saluer toutes celles et ceux – policiers, gendarmes, pompiers, secouristes, personnels hospitaliers et particuliers – qui ont su faire preuve d’un grand courage.
Cette attaque sauvage a suscité d’emblée un immense désarroi dans la population, mais aussi chez de nombreux responsables politiques. Que faire contre un assaillant isolé, sans lien évident avec une organisation terroriste, bien éloigné du profil type de l’apprenti terroriste ? C’est tout le paradoxe du débat qui nous intéresse aujourd’hui.
Face à l’émotion, à la colère, au sentiment d’impuissance, nombreux sont ceux qui, tout en qualifiant l’attentat de Nice d’imprévisible, voire de fatal, exigent dans le même temps la prolongation de l’état d’urgence, qui s’est, en l’occurrence, révélé totalement inefficace.
Aussi, dans une précipitation extrême, les députés ont adopté un texte qui ne répond en rien à la situation niçoise, pas plus qu’il ne répond au légitime besoin de sécurité exprimé par nos concitoyens.
En outre, cette précipitation ne permet pas d’aborder le point clef de la bataille contre Daech : reconstruire une région dévastée par la logique de guerre des Occidentaux. Avec l’ONU, il faut mettre fin aux stratégies déstabilisatrices et engager une logique de paix. Cessons aussi des amitiés coupables dans cette région et permettons enfin la création d’un État palestinien.
Avec mes amis du groupe CRC, je le dis clairement : il ne faut pas céder à une certaine facilité en prolongeant de six mois l’état d’urgence et en lui conférant, de fait, un caractère permanent.
Oui, le risque zéro n’existe pas, et personne n’a de baguette magique. Pour autant, il faut avoir le courage de mettre un terme à cette procédure d’exception en ouvrant le débat sur les moyens politiques, économiques et sociaux pour faire face sur le long terme à la menace, pour limiter au maximum le risque.
Le 14 juillet, quelques heures avant le drame, François Hollande déclarait : « On ne peut pas prolonger l’état d’urgence éternellement ! » Il indiquait que la loi pouvait maintenant prendre le relais. Il faudra m’expliquer, monsieur le Premier ministre, monsieur le président de la commission des lois, en quoi la tragédie de Nice, contre laquelle l’état d’urgence ne pouvait rien, justifie ce contresens essentiel : on prolonge quelque chose qui n’a rien empêché.
La droite de l’hémicycle me répondra qu’il faut durcir l’état d’urgence, enfermer tous les suspects, expulser à tour de bras, interdire les rassemblements.
M. Antoine Lefèvre. Caricature !
Mme Éliane Assassi. Elle nous traitera encore une fois, et comme d’autres, de laxistes, ce que nous ne sommes pas.
Pour nous, cette surenchère n’est pas responsable. Elle ne répond en rien à la situation de Nice. Elle est d’ordre politique. Elle est motivée principalement par des positionnements préélectoraux. Nous assistons à une véritable course à l’échalote pour éviter d’être vilipendés par un Front national aux aguets, se délectant d’une situation qui favorise la montée de la haine, du racisme. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Vous avez la mémoire courte, chers collègues !
Mme Éliane Assassi. Mes chers collègues, je le répète, on ne combat pas le Front national en allant sur son terrain, celui de la guerre et de la confrontation mortifère. On le combat en remettant la France debout,…
M. Éric Doligé. Ce n’est pas vous qui allez la remettre debout !
Mme Éliane Assassi. … en recréant le lien social et la solidarité, en redonnant de l’espérance au quotidien et pour l’avenir.
M. Bernard Vera. Très bien !
Mme Éliane Assassi. Les politiques libérales, défendues aujourd’hui comme hier, détruisent ce lien, créent de l’individualisme, de l’exclusion, alors que la riposte à ce terrorisme exige une France solidaire.
Le bilan de l’état d’urgence n’est pas très favorable. Sur les milliers de perquisitions administratives des premières semaines, les procédures pour terrorisme se comptent sur les doigts de la main. L’affaire la plus sérieuse, celle d’Argenteuil, avec l’arrestation le 24 mars dernier de Reda Kriket, détenteur d’un véritable arsenal, a été menée dans le cadre de la procédure de droit commun.
L’état d’urgence, hormis l’ajout concernant les outils informatiques et les quelques concessions faites à la droite parlementaire, se distingue essentiellement du droit commun par les moyens d’interdiction de manifester et de se réunir. Ce fait est assez symbolique du danger que fait courir à l’équilibre démocratique la persistance d’un état d’exception. La démocratie doit continuer à vivre, et pleinement.
Je l’ai souligné lors de la réunion du Parlement en Congrès à Versailles le 16 novembre dernier, la victoire de Daech serait de contraindre notre pays à des reculs en matière de libertés publiques. Ne cédons pas en pérennisant l’état d’urgence : notre pays doit avoir les moyens de faire face à cette menace dans le cadre du droit commun.
L’action d’un déséquilibré, vassal de la dernière heure de Daech, doit-elle ébranler l’état de droit en France ? La question mérite d’être posée. Il faut avoir le courage d’affirmer que l’éradication de la menace djihadiste, véritable fascisme des temps modernes, sera un long combat, qui doit mobiliser toute la société, toutes nos institutions, le peuple tout entier.
Cette mobilisation générale exige tout d’abord des moyens. Tout le monde le sait, la police, la gendarmerie, l’armée, sont exsangues. La réduction drastique de leurs moyens par les années de présidence de M. Sarkozy les a considérablement affaiblies, comme la désorganisation du renseignement.
M. Thierry Foucaud. Exactement !
Mme Éliane Assassi. La justice doit être redressée. Quels sont aujourd’hui les moyens en suivi psychologique ? Où en est la protection judiciaire de la jeunesse ? Derrière l’affichage contre la radicalisation, l’affaiblissement de notre appareil judiciaire, pénitentiaire et policier est patent. L’école, nos collectivités et le mouvement associatif sont bien sûr aux premières loges de cette bataille. C’est un grand effort financier qui doit être engagé pour mobiliser tous ces acteurs. Le projet de loi de finances pour 2017 devrait en être la traduction.
L’état d’urgence a trouvé ses limites en matière de politique répressive. C’est maintenant un autre état d’urgence que vous devez déclencher, monsieur le Premier ministre, celui de la mise en mouvement de la société, pour repousser la division. Cet état d’urgence populaire doit s’appuyer sur une autre politique économique et budgétaire. Oui, l’argent doit être mis au service du vivre ensemble et non pas toujours et encore à celui de quelques intérêts privés.
Notre société va mal.
M. Éric Doligé. Vous avez tout compris ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Éliane Assassi. Nos concitoyens refusent les choix libéraux, comme cette désastreuse loi Travail. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Ils aspirent à vivre en paix, à vivre en sécurité, à vivre heureux, au travail comme en famille, avec leurs amis. L’état d’urgence sécuritaire, cette surenchère souvent indécente et irresponsable, ne répond en rien à cette attente.
C’est pourquoi le groupe communiste républicain et citoyen votera unanimement contre ce projet de loi, qui ferme les portes au lieu d’ouvrir des espérances. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Didier Guillaume. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce 14 juillet 2016, la fête nationale s’est transformée en tragédie nationale. Cette date restera marquée dans notre histoire comme une tache, comme une date de douleur et de colère.
À mon tour, je tiens à saluer, au nom du groupe socialiste et républicain, la mémoire des femmes et des hommes qui ont succombé dans cette attaque terroriste. Mes pensées vont aux blessés. Je salue également les familles touchées, meurtries par cet attentat. Je salue les Niçoises et les Niçois, qui ont payé un lourd tribut.
Je tiens également à adresser un salut amical et fraternel aux cinq sénateurs des Alpes-Maritimes : Marc Daunis, Dominique Estrosi Sassone, Colette Giudicelli, Jean-Pierre Leleux, Louis Nègre. Mieux que quiconque, en raison de leur proximité, ils ont pris la mesure de cette tragédie. (Applaudissements.) Nous devons leur apporter tout notre soutien.
Je tiens à me féliciter de la bonne tenue de ce débat. Monsieur le Premier ministre, nous pouvons en être fiers et heureux. Oui, dans de tels moments, il faut prendre de la hauteur. C’est la raison qui doit l’emporter, non les réactions épidermiques.
Monsieur le Premier ministre, permettez-moi de louer le sang-froid et le travail important du ministre de l’intérieur. Je vous salue également : vous vous êtes rendu sur place, à Nice, à plusieurs reprises. Vous avez pris les décisions qu’il fallait dans ce moment difficile. Au nom de l’ensemble du groupe socialiste et républicain et de tous les sénateurs, sur quelque travée qu’ils siègent, je tiens à vous remercier de votre action en la circonstance.
Que l’on soit de droite ou de gauche, de la majorité ou de l’opposition, lorsque la France est touchée et que le Premier ministre se rend sur place, il représente la France.
Ne laissons pas les terroristes islamistes nous diviser. Je le dis très tranquillement : ceux qui insultent le Gouvernement, ceux qui insultent le Premier ministre, ceux qui font de la récupération politique, insultent la France et ne sont pas dignes d’être membres de la représentation nationale. Lorsque la France est meurtrie, touchée, nous devons être capables, quelles que soient nos divisions, de nous rassembler autour de nos valeurs républicaines. L’indispensable sécurité de nos concitoyens, l’avenir commun de la nation sont autant de raisons de rester unis, soudés, sans verser dans la polémique indécente – il y en a eu beaucoup.
Le débat a été fort, le débat a été vif. Les uns et les autres se sont exprimés. Mais l’indécence a parfois pris le pas sur la raison. Ne tombons pas dans l’irrationnel et la surenchère, cela ne pourrait que nous conduire à notre propre perte.
Ce que nous avons entendu quelques heures, voire quelques minutes après le drame de Nice a beaucoup choqué, m’a choqué, a choqué mes collègues, a choqué les Français. Ceux-ci s’en souviendront. Un responsable politique n’est pas là pour parler vite, il est là pour parler juste. Les terroristes cherchent à nous diviser. Ne tombons pas dans le piège qu’ils nous tendent…
Oui, il faut agir, et les propositions du Gouvernement vont dans ce sens. Il est facile d’être des commentateurs de la vie politique, mais ce n’est pas le rôle du parlementaire. Celui-ci est un acteur politique et doit assumer les décisions prises. Il existe une responsabilité de l’action – le Premier ministre et le Gouvernement ne s’y dérobent pas –, mais il existe surtout une responsabilité de la proposition, et je suis au regret de constater que certains n’ont pas fait preuve de responsabilité dans les propositions qu’ils ont formulées.
Nous voulons absolument lutter contre le terrorisme, mais cette lutte ne peut avoir pour conséquence le recul de l’État de droit.
Vous l’avez rappelé, monsieur le Premier ministre : Guantanamo, le Patriot Act et les lois d’exception américaines n’ont empêché ni Boston ni Orlando. Je tiens à l’affirmer avec vigueur au nom de mon groupe : enfermer des gens sur de simples soupçons, jamais nous ne l’accepterons : 2016 n’est pas 1940 ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Je ne doute pas que la justice de notre pays aura la main ferme. La nouvelle prorogation de l’état d’urgence, qui est débattue sereinement, va dans ce sens.
Il faut l’expliquer aux Français sans mensonge, avec clarté, force et courage. Oui, des lois sur le terrorisme ont été votées. Oui, des lois sur le renseignement ont été votées – le Premier ministre a rappelé qu’il fallait aller plus loin. Oui, nous soutenons la coalition internationale et le fait que la France, avec d’autres pays, aille frapper en Irak et en Syrie ; c’est indispensable pour gagner cette guerre. Ceux qui voudraient s’en retirer ou qui auraient peur feraient fausse route, me semble-t-il.
Sur l’état d’urgence, notre position est claire, et je remercie M. le ministre de l’intérieur de l’avoir dit dans un grand journal du soir : l’état d’urgence ne peut être un état permanent.
C'est la raison pour laquelle le groupe socialiste et républicain votera le texte qui nous est soumis, modifié par la commission des lois – j’en profite pour saluer M. le rapporteur de son ouverture d’esprit. Nous avons voté douze des dix-sept amendements examinés en commission. Des discussions auront lieu lors de la discussion des articles. Nous souhaitons parvenir à une commission mixte paritaire conclusive ce soir.
M. Michel Mercier, rapporteur. Nous aussi !
M. Didier Guillaume. Il y va de l’intérêt du Parlement tout entier. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.) C’est dans ce cadre que nous souhaitons travailler.
Je conclurai en rappelant nos principes. Notre ennemi, ce n’est pas l’Arabe, c’est le djihadiste. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.) Notre ennemi, ce n’est pas le musulman, c’est l’intégriste religieux. (Mêmes mouvements.) Notre ennemi, c’est la stigmatisation, le racisme, la xénophobie. Dans ce moment, nous devons veiller avant tout à lutter contre cela. Attention aux dérapages faciles. Le Gouvernement doit parler clairement aux Français. Nous devons rappeler qu’il faut éviter les amalgames.
La laïcité constitue l’une des valeurs fondamentales de notre pays. Il faut la propager encore, mais elle n’est pas contre l’islam : elle est la neutralité vis-à-vis de toutes les religions. Nous souhaitons la défendre, sans que la République recule devant l’islamisme. Agissons ainsi au nom de la République. Ce n’est pas une question de droite ou de gauche. Faire vivre la République, c’est faire vivre de nouveau le 14 juillet.
Monsieur le Premier ministre, nous devons mener ce combat jusqu’au bout, contre le terrorisme, contre le populisme, contre tous les populismes, contre tous les populistes.
La grandeur de la France, dans l’histoire, est d’avoir su résister. La grandeur de l’action publique est de toujours défendre l’intégrité de notre nation dans le cadre formel de notre pacte républicain. La grandeur du parlementaire est de penser à l’intérêt général et d’agir toujours pour la République et pour la France. La grandeur de l’action publique, c’est, pour nous parlementaires, de dire toujours, où que nous soyons : vive la République ! Vive la France ! Vive la laïcité ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme tous nos concitoyens, les membres du groupe écologiste ont été choqués par la gravité et l’horreur de cette tragédie. Face à ce drame, nous voulons respecter la mémoire des victimes, leur rendre hommage, ainsi qu’à leurs proches, et saluer l’action des forces de sécurité, des forces de secours et des personnels soignants. Tel sera notre premier message.
La parole publique doit avant tout être porteuse d’apaisement. À cet égard, nous avons trouvé déplacés certains propos politiciens outranciers, prononcés en pleine situation d’effroi.
Nous, représentants politiques, ne soyons pas à l’image des personnages du tableau de Francisco de Goya, Duel au gourdin, dans lequel deux hommes luttent, tout à leur haine l’un de l’autre, ne se rendant même pas compte du péril commun qui va les emporter tous deux. N’oublions pas que l’extrême droite est prête à cueillir les fruits de ces querelles et que le terrorisme lui-même se nourrit du chaos qu’il suscite.
On doit savoir gré au Gouvernement d’avoir tenu un discours de vérité quant à la gravité et la pérennité de la menace qui pèse sur nos sociétés.
Dans ces circonstances, il faut se défier du discours belliciste, qui devient la norme. Oui, nous sommes en guerre dans divers théâtres d’opérations à l’étranger, mais, sur le territoire national, avons-nous, parmi nos concitoyens, un ennemi collectif, déclaré et identifié, contre lequel nous sommes en guerre ?
Face à un danger qui, pour être élevé, n’en est pas moins diffus, les paroles guerrières sont toujours source de surenchère, du côté tant des esprits fragiles, récupérés par Daech, que de nos concitoyens tentés par l’amalgame et le rejet de l’autre.
Il faut avoir la lucidité et le courage de reconnaître que, lorsque la menace est diffuse et que le terrorisme peut prendre toutes les formes possibles d’actes violents, il n’existe pas de martingale pour l’éviter à coup sûr. Prétendre le contraire relève de la démagogie.
Néanmoins, nous devons et nous pouvons agir. Il est légitime que le Gouvernement souhaite apporter une réponse rapide et forte à la demande de nos concitoyens à la suite de cet odieux crime. Tout exécutif ainsi mis à l’épreuve tente de faire le maximum.
Au-delà de l’indispensable discours d’apaisement, ce sont l’efficacité et le respect des droits de l’homme qui doivent guider la politique de lutte contre le terrorisme. Pour certains d’entre nous, l’état d’urgence doit faire l’objet d’un bilan véritablement objectif. Si ce dispositif s’est révélé justifié immédiatement après les attentats du 13 novembre, il atteint à l’évidence aujourd’hui les limites de son efficacité.
Les mots parlent d’eux-mêmes : une urgence n’a pas vocation à se pérenniser. D’ailleurs, la loi sur le terrorisme avait précisément vocation à s’inscrire dans le temps long. Nous ne pouvons pas empiler les mesures sécuritaires, qu’elles soient pérennes ou d’exception, sans nous interroger sur leur efficacité.
À cet égard, l’Assemblée nationale a formulé des propositions dans le rapport de la commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015. Il y apparaît que l’organisation de nos services de renseignement doit être profondément repensée. Ce sont là des pistes de mesures concrètes et efficaces, qui ne remettent pas pour autant en cause les libertés publiques. Ce débat doit pouvoir s’ouvrir entre le Gouvernement et le Parlement.
Une remise en cause perpétuelle des droits fondamentaux est-elle la solution ? Que ferons-nous lors du prochain attentat ? Prendrons-nous encore de nouvelles mesures ? Ne cédons pas au jeu de Daech, dont la seule ambition est de mettre à bas notre État de droit. Tout renforcement de la répression pénale n’aura aucune prise sur des individus prêts à sacrifier leur vie.
Le Gouvernement doit également expliquer clairement à nos concitoyens les objectifs de sa politique étrangère, qui doit s’appuyer sur une vision globale de nos interventions et une meilleure anticipation des conséquences.
Si certaines opérations extérieures ont permis de contenir l’avancée de l’État islamique, l’absence d’une forte coalition sous l’égide de l’ONU ou de mesures efficaces propres à assécher la manne pétrolière dont profite Daech, il sera difficile de terrasser cette organisation.
Par ailleurs, ne perdons pas de vue que ces tueurs sont aussi les abcès douloureux d’un grand corps malade : une société en proie au racisme, aux divisions et aux inégalités, en manque d’un discours commun généreux et mobilisateur, et en attente de perspectives. Face à cela, les harangues de Daech trouvent facilement un écho auprès d’individus sans repères, prêts à écouter toute idéologie proposant une explication du monde, aussi meurtrière soit-elle.
Face à l’ampleur du drame et à l’humilité qu’appellent les réponses à y apporter, les membres du groupe écologiste appréhendent différemment les dispositions de ce projet de loi – c’est notre diversité. (Sourires.)
Ainsi, certains, bien que conscients de ses limites, souhaitent mettre l’accent sur la nécessité d’actions visibles. Ils soutiendront les choix du Gouvernement, parce que la douleur et la peur se soignent aussi par des symboles forts, qu’attend le peuple meurtri.
D’autres, considérant que le seul symbole, sans l’efficacité, ne saurait justifier une nouvelle surenchère qui menace les libertés publiques au fondement de la démocratie, ne vous suivront pas, monsieur le Premier ministre.
Néanmoins, toutes et tous, nous sommes unis pour appeler à retisser des liens sociaux si serrés qu’il n’y aura plus de place pour les armes des meurtriers. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
M. Bruno Sido. Ce n’est pas un remède, cela !
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’exercice législatif auquel nous sommes conviés, dans des circonstances extrêmement dramatiques, recèle une très grande difficulté. La difficulté relève d’abord du drame qui s’est déroulé à Nice le 14 juillet dernier. Nos pensées vont d'ailleurs vers les 84 victimes et leurs proches.
Une fois encore, un terroriste a assassiné lâchement des hommes, des femmes et des enfants sur notre territoire. Je pense aussi, bien sûr, aux policiers, aux gendarmes et aux militaires, qui s’exposent chaque jour pour assurer notre sécurité, ici et sur les théâtres extérieurs, et qui paient un lourd tribut aujourd'hui encore. Je salue également l’action des secouristes, qui ont été exemplaires.
Par respect pour les victimes, il nous semblait normal d’attendre que le débat ait lieu hier à l’Assemblée nationale, aujourd’hui au Sénat, pour aborder l’ensemble des questions qui se posent dramatiquement : l’arsenal législatif, le dispositif de sécurité, les moyens mobilisés et la stratégie mise en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme.
Le Gouvernement nous propose aujourd’hui de proroger pour la quatrième fois l’état d’urgence qui est en vigueur sur notre sol depuis le 14 novembre 2015. Nous y sommes prêts, mais nous mesurons les limites de cette première et nouvelle riposte. Elle offre à l’exécutif des moyens supplémentaires de prévention du terrorisme, notamment grâce aux perquisitions administratives. Toutefois, l’état d’urgence n’a malheureusement pas empêché les meurtres de Magnanville, ni cette tuerie dramatique à Nice.
Il est vrai que, outre les dispositions nouvelles qu’il contient, l’état d’urgence a également un caractère symbolique. C’est une première réaction utile. Elle s’inscrit dans un contexte législatif déjà renouvelé. La limite de l’exercice est connue : lutter avec les armes de la démocratie contre des barbares qui, eux, utilisent toutes les armes du totalitarisme pour tenter d’abattre les démocraties.
Nous avons adopté récemment une loi réformant en profondeur la procédure pénale pour être en adéquation avec l’évolution de la menace. Avec cette loi, le ministère de l’intérieur a la possibilité d’assigner à résidence une personne qui revient d’un territoire où interviennent des groupes terroristes. Elle permet aussi de procéder à une retenue administrative quand il y a des raisons de penser que le comportement d’un individu est lié à des activités terroristes.
Ces modifications, nous les avons votées, parce que la lutte acharnée contre le terrorisme sera longue et difficile, et qu’elle devra s’effectuer, comme dans toute démocratie moderne, dans le cadre du droit commun.
Si nous pouvons vous suivre, monsieur le Premier ministre, dans la volonté de ne pas adopter des lois d’exception, nous ne devons pas nous interdire de prendre des mesures liées à des circonstances qui, elles, sont exceptionnelles. L’état d’urgence est d’ailleurs un état d’exception.
Cet état d’urgence renforcé est donc nécessaire, mais il ne règle qu’une partie des nombreuses questions qui sont posées. Hier, l’Assemblée nationale a très sensiblement modifié le texte du Gouvernement, ce qui est légitime, grâce d’ailleurs aux propositions d’une partie de l’opposition, qui a été très constructive. Ce matin, notre commission des lois a approfondi ce travail. Ce n’est pas, ce n’est plus une simple prorogation de l’état d’urgence, et c’est tant mieux, car cela aurait été insuffisant.
Les modifications qui ont été intégrées vont dans le bon sens, mais elles ne sont pas nouvelles : la Haute Assemblée les avait déjà adoptées à deux reprises depuis le mois de janvier dernier, par exemple les dispositions en matière d’application des peines pour les personnes condamnées pour terrorisme.
Je tiens à saluer le travail de notre rapporteur, Michel Mercier, qui, au sein de la commission des lois, suit depuis des mois, avec vigilance, la mise en œuvre de l’état d’urgence et qui a aujourd’hui encore éclairé avec hauteur la réflexion du Sénat, grâce à son expertise sur le sujet. Le texte qu’il nous propose est équilibré, et le groupe UDI-UC le soutiendra.
Toutefois, l’état d’urgence, même renforcé, s’il est nécessaire, n’est pas suffisant. Il n’est pas la solution au terrorisme. Il n’y a d'ailleurs pas de solution unique. Il est, bien sûr, l’un des éléments, parmi d’autres, de la lutte contre le terrorisme.
L’arsenal législatif et juridique n’épuise pas le débat. La question des moyens budgétaires, humains et techniques est au moins aussi importante que le cadre pénal et juridique. Il ne faut pas l’aborder sous l’angle polémique, en se renvoyant des chiffres les uns aux autres, mais avec le souci de définir ensemble un État régalien qui dispose des moyens pour assurer la sécurité de ses habitants, avec les efforts budgétaires que cela suppose.
Je suis convaincu qu’il faut changer de posture dans la lutte contre le terrorisme. Ce n’est pas le sentiment qui a été donné par le Président de la République. Nous avons, certes, apprécié l’évocation de la réserve opérationnelle, un sujet sur lequel notre collègue Jean-Marie Bockel, avec d’autres, a beaucoup travaillé, mais il faut sans doute s’interroger sur la doctrine d’emploi de nos forces de l’ordre. Le sentiment qui est parfois donné, c’est que l’on continue à combattre cette nouvelle forme de terrorisme avec les outils d’hier. L’État répond à de nouvelles menaces avec des modes opératoires qui paraissent quelque peu figés.
Oui, l’état d’urgence renforcé, tel qu’il est proposé par la commission des lois du Sénat, est utile, oui à la cohésion nationale pour faire face au terrorisme, mais à condition que vous acceptiez de vous interroger sur la posture globale, monsieur le Premier ministre, et que vous consentiez aussi le principe de la faire évoluer.
Bien sûr, je ne pense pas que nous puissions aujourd’hui aligner un catalogue de mesures toutes faites, mais nous pouvons recenser les objectifs des terroristes, qui, malheureusement, sont parfois publics et diffusés sur internet. Il faut s’interroger sur ces nouveaux modes opératoires, mais aussi, a minima, sur l’adaptation de la stratégie de l’État, en s’appuyant éventuellement sur le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale. C’est cette stratégie qu’il faut partager et discuter ensemble, ou à tout le moins clarifier.
La société, les Français doivent aussi accepter d’évoluer dans l’organisation des manifestations publiques. On le mesure, même si c’est une contrainte.
Nous devons en outre résolument nous engager pour un islam de France et être aux côtés de nos compatriotes musulmans modérés, qui s’interrogent sur la faiblesse de l’État face aux salafistes.
Le devoir du Gouvernement est de rassembler. Il est de refuser la tentation, qui est parfois la sienne, de tomber dans une communication binaire. La tentation de ressouder ses propres troupes en recourant à l’affrontement droite-gauche ne doit pas avoir sa place ; ce n’est pas à la hauteur du débat.
La solution, c’est une nation rassemblée et soudée face à cette menace. Il faut bannir du discours du Gouvernement toute déclaration d’autosatisfaction, comme nous en avons entendu à la fin de l’Euro 2016 – c’était sans doute précipité. De la même façon, je crois que la déclaration du ministre de l’intérieur relative aux conclusions de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale était quelque peu expéditive.
Nous souhaitons, monsieur le Premier ministre, être ensemble à la hauteur du débat, et nous souhaitons aussi que vous soyez à l’écoute de l’opposition. Nous savons que c’est en nous rangeant derrière la Nation tout entière, autour des valeurs de la République, que nous réussirons, ensemble, à combattre le terrorisme.
Ces enjeux situent la hauteur et la difficulté du débat : abattre le terrorisme avec des armes de la démocratie, toutes les armes que la démocratie autorise. Nous y sommes prêts. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe Les Républicains et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président, je voudrais très sincèrement saluer le ton de ce débat, le grand esprit de responsabilité, l’absence de posture – comme je le disais dans mon propos introductif, cela ne m’étonne pas de la part du Sénat –, l’intervention du rapporteur, Michel Mercier, enfin les propositions constructives qui ont été formulées.
Nous avons déjà eu l’occasion d’échanger sur la loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, ou encore sur la proposition de loi tendant à renforcer l’efficacité de la lutte antiterroriste que M. Mercier défendait avec Philippe Bas.
Nombre de propositions vont être encore discutées et, bien sûr, le Gouvernement souhaite qu’un accord soit trouvé, ce soir, en commission mixte paritaire. Il y contribuera pleinement, à sa place. Cela me paraît important, pour que l’état d’urgence renforcé soit considéré comme un acte permettant l’efficacité dans la lutte contre le terrorisme, mais aussi la création des conditions de l’union.
Cher Michel Mercier, comme votre collègue Vincent Capo-Canellas l’indiquait d'ailleurs à l’instant, oui, il ne s’agit pas uniquement de créer l’union entre les forces politiques. Il s’agit vraiment de garantir les conditions de l’unité des Français, comme chacun d’entre vous l’a fait, en s’engageant avec force. Ce fut le cas aussi, d'ailleurs, du président Jacques Mézard, qui s’est interrogé sur l’équilibre devant être recherché en permanence entre l’efficacité et l’État de droit.
Je veux saluer l’intervention du président Didier Guillaume, qui soutient le Gouvernement, bien évidemment, mais avec la même exigence républicaine et en rappelant, comme d’autres l’ont fait, l’impératif de laïcité, ainsi que les propos du président Jean Desessard. Au-delà des positions différentes au sein de son groupe, il est important que chacun puisse se retrouver dans ses propos.
Madame la présidente Éliane Assassi, je ne doute pas un instant de vos convictions, que vous avez défendues avec force, cohérence et continuité. Je regrette, bien sûr, que vous ne votiez pas la prorogation de l’état d’urgence, mais ce n’est pas une surprise. Je crois très sincèrement qu’il ne faut pas opposer les mesures indispensables, dites « sécuritaires » ou « judiciaires », qui doivent conforter notre arsenal législatif, et la mobilisation de la société – nous l’avons toujours dit –, ainsi, bien sûr, que l’action militaire et diplomatique au Proche-Orient et au Moyen-Orient.
Je pense en revanche que, par leur nature même, le djihadisme et l’État islamique ne peuvent être comparés à d’autres mouvements que nous avons connus par le passé – je le dis, parce que vous avez évoqué le conflit israélo-palestinien. Il n’y a pas d’espace pour une négociation avec Daech. Autant nous devons intégrer la question de la paix et du développement au Proche et au Moyen-Orient, ou encore celle du conflit entre sunnites et chiites, qui déstabilise la région, autant il ne peut y avoir de discussion avec l’État islamique. Le seul objectif, c’est la destruction de cette organisation.
Je voudrais répondre au sénateur David Rachline, même s’il n’est plus présent dans l’hémicycle,…
M. Stéphane Ravier. Je transmettrai !
M. Manuel Valls, Premier ministre. … que son discours pourrait avoir un début de cohérence si, au Sénat, à l’Assemblée nationale ou au Parlement européen, les membres de son parti ne s’étaient pas opposés à tous les dispositifs de lutte contre le terrorisme : loi sur le renseignement, loi antiterroriste, loi sur la procédure pénale, PNR à l'échelon européen, pour expliquer que le seul problème est l’immigration ou l’islam. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du RDSE et de l'UDI-UC.)
Enfin, madame Estrosi Sassone, comme tous les sénateurs présents, j’ai été touché par votre émotion et votre sincérité, partagées, Didier Guillaume l’a rappelé, par les autres parlementaires du département des Alpes-Maritimes, avec lesquels j’échangeais tout à l’heure à l’Assemblée nationale, sans oublier Marc Daunis. Vous êtes profondément niçoise, c’est palpable. Au-delà des différences d’appréciation sur la situation – elles sont normales, mais vous les avez formulées avec hauteur de vues et conviction –, vous avez exprimé la voix d’une ville profondément touchée, martyrisée, comme Paris il y a quelques mois.
Nice est une très belle ville, métissée aussi, on l’oublie trop souvent, avec des populations construites par l’immigration – vous êtes vous-même issue de l’immigration italienne –, et ouverte sur la Méditerranée. Nous devons construire ce pont avec le Maghreb et l’Afrique, parce que c’est notre avenir qui est en jeu. Quel symbole, un 14 juillet, sur la Promenade des Anglais, qui est sans doute l’un des sites de France les plus connus au monde !
Vous vous êtes exprimée avec beaucoup d’émotion et de dignité. Cette émotion, c'est-à-dire le cœur, nous devons la garder toujours. Nous ne pourrons jamais nous habituer à de tels actes, parce que nous sommes des citoyens et des êtres humains. Nous vivons dans une démocratie. Nous devons combattre le terrorisme, même si nous devons la vérité aux Français.
La dignité est indispensable dans ces moments-là, en refusant les querelles politiciennes, en étant à la hauteur des citoyens que l’on représente à l’Assemblée nationale, au Sénat ou en tant qu’élu d’une ville. Nous devons, évidemment, la porter avec humilité lorsque l’on gouverne. Le message que vous avez fait passer, nous le partageons tous ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La discussion générale est close.
8
Inscription à l’ordre du jour des conclusions d’une éventuelle commission mixte paritaire
M. le président. Par lettre en date de ce jour, le Gouvernement a demandé l’inscription à l’ordre du jour du jeudi 21 juillet des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi prorogeant l’application de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, ou bien de sa nouvelle lecture.
Acte est donné de cette demande.
Le temps attribué aux orateurs des groupes politiques dans la discussion générale sera d’une heure.
En conséquence, l’ordre du jour du jeudi 21 juillet 2016 s’établit comme suit :
À 15 heures
- Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi prorogeant l’application de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence ou nouvelle lecture.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, la commission sollicite une suspension de séance de vingt minutes pour examiner les amendements déposés sur ce texte.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons donc interrompre nos travaux pour quelques minutes.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures quarante-cinq, est reprise à dix-neuf heures dix.)
M. le président. La séance est reprise.
9
Nomination des membres d’une éventuelle commission mixte paritaire
M. le président. Pour le cas où le Gouvernement déciderait de provoquer la réunion d’une commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, il va être procédé à la nomination des membres de cette commission mixte paritaire.
La liste des candidats a été publiée ; je n’ai reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 12 du règlement.
En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette éventuelle commission mixte paritaire :
Titulaires : MM. Philippe Bas, Michel Mercier, Mme Catherine Troendlé, MM. François-Noël Buffet, Jean-Pierre Sueur, Alain Richard et Mme Éliane Assassi ;
Suppléants : MM. Félix Desplan, Christophe-André Frassa, Mme Jacqueline Gourault, MM. Jean-Yves Leconte, Jacques Mézard, François Pillet et André Reichardt.
10
Prorogation de l'état d'urgence
Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. Nous reprenons la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence.
Nous passons à l’examen du texte de la commission.
projet de loi prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste
Titre Ier
DISPOSITIONS RELATIVES À L’ÉTAT D’URGENCE
(Division et intitulé nouveaux)
Article 1er
(Non modifié)
I. – Est prorogé pour une durée de six mois, à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi, l’état d’urgence :
– déclaré par le décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015 portant application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 et le décret n° 2015-1493 du 18 novembre 2015 portant application outre-mer de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 ;
– et prorogé par la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions, puis par la loi n° 2016-162 du 19 février 2016 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, puis par la loi n° 2016-629 du 20 mai 2016 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence.
II. – Il emporte, pour sa durée, application du I de l’article 11 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, dans sa rédaction résultant de la présente loi.
III. – Il peut y être mis fin par décret en conseil des ministres avant l’expiration de ce délai. En ce cas, il en est rendu compte au Parlement.
M. le président. L'amendement n° 5, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Il peut également y être mis fin par le Parlement qui apprécie, à la demande de droit d’un(e) président(e) ou d’un groupe parlementaire, si les conditions fixées à l’article premier de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 précitée demeurent réunies.
La parole est à M. Christian Favier.
M. Christian Favier. Depuis maintenant huit mois, l’état d’urgence suspend en bonne partie la séparation des pouvoirs en France, plaçant sous l’autorité de la police, des services de renseignement et du ministère de l’intérieur un certain nombre de mesures de restriction des libertés, au détriment du juge judiciaire.
Nous le répétons : un régime d’exception mérite une attention toute particulière au nom de la protection de nos libertés fondamentales et des équilibres structurels de notre État de droit, en particulier de la séparation des pouvoirs.
Lors de la première prorogation de l’état d’urgence, a été mis en avant le caractère positif de l’ajout, dans la loi de 1955, de l’information du Parlement, qui s’est concrétisée dans les jours suivants par la mise en place d’un comité de suivi au sein des commissions des lois des deux assemblées.
Comme certains de mes collègues, je pense qu’il s’agit là de la moindre des choses. Toutefois, nous le savons, l’information, ce n’est pas le contrôle.
Mes chers collègues, nous vous proposons donc, au travers de cet amendement, comme nous l’avons déjà fait lors de la prorogation de l’état d’urgence en février dernier, d’intégrer dans la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 un mécanisme de contrôle effectif du Parlement, en conférant à ce dernier le pouvoir d’interrompre l’état d’urgence si les conditions fixées au premier article de la loi précitée ne demeurent plus réunies.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Le mécanisme prévu dans cet amendement n’est pas constitutionnel. Nous avions d'ailleurs déjà émis un avis défavorable sur une proposition similaire lors de la précédente discussion sur l’état d’urgence, au mois de mai dernier.
La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre de l’intérieur, mes chers collègues, notre débat porte aujourd’hui essentiellement sur la prorogation de l’état d’urgence, même si nous avons tous conscience que les terribles événements de Nice exigent une vision globale de notre action de lutte contre le terrorisme et que rien ne sera possible tant que les fragilités républicaines de notre société ne seront pas combattues fermement, sans la moindre défaillance.
De ce point de vue, je n’ai aucune critique fondamentale à adresser au Gouvernement. J’ai toujours voté l’état d’urgence jusqu’à ce jour et, aujourd’hui, si je propose de m’abstenir, ce n’est en rien pour condamner l’action du Premier ministre, du ministre de l’intérieur et du Président de la République. C’est seulement pour signifier que j’avais voté cet état d’urgence en attendant que nous engagions notre législation dans une stratégie d’action au long cours de lutte contre le terrorisme.
De fait, à partir du 27 juillet prochain, il me semble que notre droit est, pour l’essentiel, calibré pour cette action de longue durée, notamment s’agissant des perquisitions menées sous l’autorité du procureur de la République.
En revanche, les moyens à mobiliser ne sont pas nécessairement au rendez-vous pour relever ces défis et mettre en œuvre notre législation. Nous avons accumulé un énorme retard dans notre pays sur les moyens de la justice, mais aussi sur la façon pour les forces de police et de sécurité de s’adapter au mieux.
Je souhaite donc aujourd’hui m’abstenir, pour envoyer un message, et je propose que la France vote une loi de programmation de sécurité intérieure, sur le modèle des lois de programmation militaire. En effet, nos concitoyens, et parfois même aussi nos élus locaux, éprouvent des difficultés à connaître l’ampleur des efforts de la Nation. Sont-ils suffisants, sont-ils déployés au bon endroit ? Les priorités sont-elles clairement partagées ? Il y a souvent beaucoup d’incompréhension et d’incertitude.
Au regard des défis que nous avons à relever contre le terrorisme, une loi de programmation de sécurité intérieure me semble le pilier indispensable et complémentaire à l’amélioration de notre droit. La surenchère sur le durcissement du droit n’a aucun sens. Ce qui compte, ce sont les moyens pour faire appliquer notre législation actuelle.
Tel est le sens de mon abstention sur ce texte, qui est une abstention d’appel.
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote sur l’article.
M. Roger Karoutchi. On le sait !
M. Pierre Laurent. … comme nous l’avons d'ailleurs déjà souligné.
Permettez-moi un argument supplémentaire.
Les effets de l’état d’urgence, décrété dans la nuit du 14 novembre 2015 et prorogé à trois reprises, ont été largement documentés depuis par des acteurs de la société civile – associations, syndicats ou collectifs d’universitaires –, mais aussi par les commissions des lois du Sénat et de l’Assemblée nationale. Toutes ces instances ont relevé les limites de l’efficacité de l’état d’urgence.
Selon le rapport rendu public le 5 juillet dernier par la commission d’enquête parlementaire sur les moyens mis en œuvre pour lutter contre le terrorisme, « alors que toutes les auditions de notre commission se sont tenues pendant l’état d’urgence, force est de constater que les mesures prises pendant l’état d’urgence n’ont pas été évoquées par les spécialistes de la lutte contre le terrorisme comme jouant un rôle particulier dans celle-ci »…
De plus, la décision a été prise, hier à l’Assemblée nationale, de proroger l’état d’urgence pour une durée de six mois, alors que le Gouvernement proposait une prorogation de trois mois, sans que de véritables explications aient été données pour justifier cet allongement.
Le risque de nous engager dans un état d’urgence permanent est manifeste. Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas l’article 1er.
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 1er bis
L’article 4-1 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence est ainsi modifié :
1° Après la première phrase, est insérée une phrase ainsi rédigée :
« Les autorités administratives leur transmettent sans délai copie de tous les actes qu’elles prennent en application de la présente loi. » ;
2° Au début de la seconde phrase, le mot : « Ils » est remplacé par les mots : « L’Assemblée nationale et le Sénat » ;
3° (Supprimé) – (Adopté.)
Article additionnel après l'article 1er bis
M. le président. L’amendement n° 4, présenté par MM. Rachline et Ravier, est ainsi libellé :
Après l’article 1er bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le mot : « fixe, », la fin du deuxième alinéa l’article 6 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence est ainsi rédigée : « pouvant aller jusqu’à vingt-quatre heures par jour. »
La parole est à M. David Rachline.
M. David Rachline. Cet amendement tend à porter de douze heures à vingt-quatre heures la durée d’assignation à résidence pouvant être ordonnée par le ministre de l’intérieur. En effet, la durée de douze heures, votée lors de la promulgation de l’état d’urgence, n’est absolument pas suffisante pour assurer un contrôle efficace des individus radicalisés.
Au vu de la facilité déconcertante avec laquelle les combattants de l’État islamique commettent leurs atrocités, si les autorités assignent un individu à résidence dans le cadre de l’état d’urgence, c’est qu’elles ont des raisons de penser qu’il pourrait passer l’acte, et ce passage à l’acte ne sera pas empêché par une surveillance à mi-temps.
Cette mesure de bon sens donne de la force à une disposition fortement utilisée et qui a porté ses fruits lors de la première période de l’état d’urgence.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. La commission constate que cet amendement n’est pas conforme à la Constitution. Le Conseil constitutionnel l’a d'ailleurs rappelé dans sa décision du 22 décembre 2015.
Dès lors que la personne peut être retenue vingt-quatre heures sur vingt-quatre, nous sommes en présence non plus d’une mesure restrictive de liberté, mais d’une peine privative de liberté, laquelle ne peut être décidée que par un magistrat, et non par l’autorité administrative.
En conséquence, l’avis de la commission est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Cet amendement est contraire à l’article 66 de la Constitution.
L’avis du Gouvernement est donc également défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 4.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 1er ter A (nouveau)
L’article 8 de la même loi est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, après les mots : « de toute nature », sont insérés les mots : « , en particulier des lieux de culte au sein desquels sont tenus des propos constituant une provocation à la haine ou à la violence, ou une provocation à la commission d’actes de terrorisme ou faisant l’apologie de tels actes, » ;
2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Les cortèges, défilés et rassemblements de personnes sur la voie publique peuvent être interdits dès lors que l’autorité administrative justifie ne pas être en mesure d’en assurer la sécurité compte tenu des moyens dont elle dispose. »
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, sur l’article.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite dire quelques mots sur le premier alinéa de l’article 1er ter A nouveau.
La commission propose, à l’article 8 de la loi de 1955, de préciser que la fermeture provisoire des « lieux de réunion de toute nature » peut concerner « en particulier des lieux de culte au sein desquels sont tenus des propos constituant une provocation à la haine ou à la violence, ou une provocation à la commission d’actes de terrorisme ou faisant l’apologie de tels actes ».
Nous avons voté la proposition de la commission, ainsi rédigée, en tant qu’amendement de précision. En effet, vous avez d’ores et déjà décidé, monsieur le ministre de l’intérieur, de fermer un certain nombre de lieux de culte correspondant à la définition qui est ainsi donnée, et nous devons vous en donner acte, car ce fut une décision importante.
Par ailleurs, nous sommes très attachés au strict respect de la loi. Tout lieu de culte, quel qu’il soit, devra ainsi respecter ce qui figure précisément dans nos textes législatifs, à savoir que le racisme, la xénophobie, l’antisémitisme, les appels à la haine, l’apologie du terrorisme sont interdits et donc réprimés en vertu de la loi, toute la loi et rien que la loi, celle-ci s’appliquant à tous dans les mêmes conditions.
M. le président. L'amendement n° 18, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Bernard Vera.
M. Bernard Vera. L’amendement adopté par la majorité de la commission des lois du Sénat et tendant à insérer dans le texte un nouvel article 1er ter A a le mérite de la clarté. En effet, il a pour objet de viser les cortèges et les défilés, soumis à l’interdiction prévue par la loi du 3 avril 1955, en précisant les conditions de cette interdiction et en évoquant les cas où les autorités se déclareraient en incapacité d’assurer la sécurité des rassemblements.
L’amendement de la droite sénatoriale tend ainsi à renforcer l’intrusion de l’état d’urgence dans la vie démocratique du pays et, à l’évidence, à détourner sa prorogation de son objet premier, à savoir la lutte contre Daech.
Comme nous l’avons déjà dit, nous n’acceptons pas l’amalgame honteux qui est fait entre manifestants et terroristes et nous dénonçons l’utilisation de ce projet de loi pour tenter de mettre au pas le mouvement social, dans une période où la contestation du libéralisme prend de l’ampleur. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)
Cet amendement de la commission est tout à fait symbolique de la surenchère à laquelle nous assistons depuis le 14 juillet dernier, et ces dispositions nous semblent bien éloignées des objectifs essentiels que sont la lutte contre Daech et la sécurité de nos concitoyens.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. La disposition que cet amendement vise à supprimer se subdivise en réalité en deux.
La première disposition, relative à la fermeture des lieux de culte, ne fait que préciser la loi de 1905, qui fixe le droit en la matière. Nous n’ajoutons rien au droit ; nous lui apportons simplement une précision. Je le dis en particulier à l’intention de Jacques Mézard, dont je connais l’attachement à la loi de 1905.
Je suis en train de lire une très belle et très intéressante biographie d’Aristide Briand, écrite par M. Christophe Bellon, qui montre comment nous sommes parvenus à un apaisement avec la loi de 1905. Nous n’avons absolument pas l’intention de modifier cet équilibre. Nous voulons simplement de le préciser.
S’agissant ensuite de la disposition relative aux défilés, nous n’entendons pas modifier les dispositions de droit commun, qui permettent déjà aujourd’hui à l’autorité administrative d’interdire un défilé pour des raisons touchant à l’ordre public.
Le texte adopté ce matin par la commission des lois vise à permettre à l’autorité administrative d’interdire un défilé lorsqu’elle estime qu’elle n’a pas les moyens d’assurer la sécurité de ceux qui y participent, ce qui n’a rien à voir avec le problème de l’ordre public. Cette disposition permettra aux préfets de prendre, par exemple cet été, des mesures d’interdiction de telle ou telle fête dont ils jugeraient que les conditions de sécurité des participants ne sont pas réunies.
Il ne s’agit nullement d’empêcher telle ou telle manifestation : des dispositions existent déjà pour cela, et vous le savez très bien, mon cher collègue.
En conséquence, l’avis de la commission est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je voudrais rassurer les auteurs de cet amendement.
Les objectifs visés par l’article 1er ter A sont satisfaits, tant par les dispositions de la loi du 3 avril 1955 que par celles du code de la sécurité intérieure.
Cet article prévoit tout d’abord la possibilité pour l’autorité administrative de fermer provisoirement, pendant la période de l’état d’urgence, les « lieux de culte au sein desquels sont tenus des propos constituant une provocation à la haine ou à la violence, ou une provocation à la commission d’actes de terrorisme ou faisant l’apologie de tels actes ».
Le premier alinéa de l’article 8 de la loi du 3 avril 1955 permet déjà au ministre l’intérieur et au préfet d’ordonner la fermeture provisoire des lieux de réunion de toute nature. Cette disposition de portée générale peut s’appliquer à toutes les réunions au cours desquelles peuvent être exprimées des idées et des opinions, tant politiques qu’idéologiques ou religieuses. Elle ne doit pas limiter les possibilités de fermeture aux seuls cas de propos constituant une provocation à la haine ou à la violence, à la commission d’actes de terrorisme ou faisant l’apologie du terrorisme.
La circonstance que le lieu de réunion soit un lieu de culte, régi par la loi de 1905, ne le fait pas sortir du champ de cette disposition depuis le déclenchement de l’état d’urgence. Ce fondement a d’ailleurs été utilisé à dix reprises pour fermer des mosquées ou des salles de prière radicalisées.
L’article 1er ter A permet ensuite à l’autorité administrative d’interdire les cortèges, défilés et rassemblements de personnes sur la voie publique lorsqu’elle n’est pas en mesure d’en assurer la sécurité, compte tenu des moyens dont elle dispose. Le principe de proportionnalité, qui s’applique aux mesures d’interdiction hors état d’urgence, s’applique également dans le cadre de cet article.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous estimons donc que les mesures que vous proposez sont satisfaites. Aussi, le Gouvernement s’en remet sur cet amendement à la sagesse du Sénat.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 8 rectifié, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° Le second alinéa de l’article 8 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence est supprimé ;
La parole est à M. Christian Favier.
M. Christian Favier. Cet amendement vise à mettre en évidence la menace potentielle, que contient l’état d’urgence, contre les libertés publiques. Faut-il rappeler une nouvelle fois que ce dernier est un état d’exception et instaure une mise entre parenthèses, plus ou moins forte, de l’État de droit en vigueur ?
L’interdiction de réunion prévue à l’alinéa 2 de l’article 8 de la loi du 3 avril 1955, qui entraîne également celle de manifester, constitue, avec le droit de dissolution d’associations ou organisations, l’une des mesures les plus menaçantes pour les libertés publiques.
Cet état d’urgence, qui évolue aujourd’hui vers un état permanent, ce que semble d’ailleurs implicitement et curieusement critiquer M. le ministre de l’intérieur lui-même dans une interview accordée au journal Le Monde paru ce soir, est une menace pour l’exercice essentiel des droits politiques, au premier rang desquels se trouve le droit de manifester.
Ce qui s’est d’ailleurs passé le 23 juin dernier au matin, quand le Gouvernement a tenté d’interdire une manifestation contre la loi Travail, montre bien la sensibilité de l’opinion et son attachement à un tel droit. Il n’est pas acceptable qu’une telle menace pèse sur le mouvement social et le débat politique durant une période aussi longue.
Notre appréciation est renforcée par l’amendement de la majorité sénatoriale, devenu le nouvel article 1er ter A, qui facilite et précise la procédure d’interdiction.
Monsieur le Premier ministre, il n’est pas concevable que la population ne puisse réagir à un événement ou à une réforme, quelle que soit d’ailleurs la période dans laquelle nous sommes.
La liberté de manifester, reconnue par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ne peut être mise entre parenthèses. Elle doit subsister, y compris en période d’état d’urgence.
M. le président. L'amendement n° 9 rectifié, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 2
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
…° Le second alinéa de l’article 8 de la loi n°55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Les commissions des lois des deux chambres du Parlement se prononcent sur l’opportunité de telles interdictions en amont de toute mise en œuvre. »
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Cet amendement est défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. C’est le même avis que celui qui a été exprimé sur l’amendement précédent, qui visait à supprimer l’ensemble de l’article : défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je profite de l’occasion qui m’est donnée pour faire remarquer que la plupart des manifestations ont effectivement eu lieu. À aucun moment, le Gouvernement, même lorsqu’il y a eu des tensions extrêmes, n’a remis en cause la liberté de manifester dans la période de l’état d’urgence.
Je ne crois même pas qu’une manifestation ait été interdite, et vous vous souviendrez d’ailleurs que l’on nous l’a beaucoup reproché.
Nous avons toujours considéré que l’état d’urgence et la lutte contre le terrorisme doivent être compatibles avec l’État de droit et que nous devions absolument respecter les jurisprudences du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel.
Le Gouvernement s'en remet donc à la sagesse de la Haute Assemblée.
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote.
M. Pierre Laurent. Je souhaite tout de même faire remarquer que le danger existe.
Monsieur le ministre, rappelez-vous qu’il a fallu que deux secrétaires généraux des principales organisations syndicales de notre pays se déplacent jusqu’au ministère de l’intérieur pour que l’interdiction envisagée soit évitée ! Dans ces circonstances, comment nous dire que la disposition proposée, mise entre d’autres mains, ne peut déboucher, demain, sur des interdictions illégitimes de manifestations ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er ter A.
(L'article 1er ter A est adopté.)
Article 1er ter
Après l’article 8 de la même loi, il est inséré un article 8-1 ainsi rédigé :
« Art. 8-1. – En cas de menace terroriste, le préfet peut autoriser, par décision écrite et motivée, les officiers de police judiciaire et, sur ordre et sous la responsabilité de ceux-ci, les agents de police judiciaire et les agents de police judiciaire adjoints mentionnés aux 1°, 1° bis et 1° ter de l’article 21 du code de procédure pénale à procéder aux contrôles d’identité prévus au huitième alinéa de l’article 78-2 du même code, à l’inspection visuelle et à la fouille des bagages ainsi qu’à la visite des véhicules circulant, arrêtés ou stationnant sur la voie publique ou dans des lieux accessibles au public.
« La décision du préfet désigne les lieux concernés, qui doivent être précisément définis, ainsi que la durée de l’autorisation, qui ne peut excéder vingt-quatre heures.
« Les deuxième, troisième et quatrième alinéas du II et deuxième et troisième alinéas du III de l’article 78-2-2 dudit code sont applicables aux opérations conduites en application du présent article.
« L’autorisation du préfet mentionnée au premier alinéa est transmise sans délai au procureur de la République. » – (Adopté.)
Article 2
(Non modifié)
Le I de l’article 11 de la même loi est ainsi modifié :
1° Le deuxième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« La perquisition donne lieu à l’établissement d’un compte rendu communiqué sans délai au procureur de la République, auquel est joint, le cas échéant, copie du procès-verbal de saisie. » ;
2° Après le même deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsqu’une perquisition révèle qu’un autre lieu répond aux conditions fixées au premier alinéa du présent I, l’autorité administrative peut en autoriser par tout moyen la perquisition. Cette autorisation est régularisée en la forme dans les meilleurs délais. Le procureur de la République en est informé sans délai. » ;
3° Le quatrième alinéa est remplacé par six alinéas ainsi rédigés :
« Si la perquisition révèle l’existence d’éléments, notamment informatiques, relatifs à la menace que constitue pour la sécurité et l’ordre publics le comportement de la personne concernée, les données contenues dans tout système informatique ou équipement terminal présent sur les lieux de la perquisition peuvent être saisies soit par leur copie, soit par la saisie de leur support lorsque la copie ne peut être réalisée ou achevée pendant le temps de la perquisition.
« La copie des données ou la saisie des systèmes informatiques ou des équipements terminaux est réalisée en présence de l’officier de police judiciaire. L’agent sous la responsabilité duquel est conduite la perquisition rédige un procès-verbal de saisie qui en indique les motifs et dresse l’inventaire des matériels saisis. Une copie de ce procès-verbal est remise aux personnes mentionnées au deuxième alinéa du présent I. Les données et les supports saisis sont conservés sous la responsabilité du chef du service ayant procédé à la perquisition. À compter de la saisie, nul n’y a accès avant l’autorisation du juge.
« L’autorité administrative demande, dès la fin de la perquisition, au juge des référés du tribunal administratif d’autoriser leur exploitation. Au vu des éléments révélés par la perquisition, le juge statue dans un délai de vingt-quatre heures à compter de sa saisine sur la régularité de la saisie et sur la demande de l’autorité administrative. Sont exclus de l’autorisation les éléments dépourvus de tout lien avec la menace que constitue pour la sécurité et l’ordre publics le comportement de la personne concernée. En cas de refus du juge des référés, et sous réserve de l’appel mentionné au dixième alinéa du présent I, les données copiées sont détruites et les supports saisis sont restitués à leur propriétaire.
« Pendant le temps strictement nécessaire à leur exploitation autorisée par le juge des référés, les données et les supports saisis sont conservés sous la responsabilité du chef du service ayant procédé à la perquisition et à la saisie. Les systèmes informatiques ou équipements terminaux sont restitués à leur propriétaire, le cas échéant après qu’il a été procédé à la copie des données qu’ils contiennent, à l’issue d’un délai maximal de quinze jours à compter de la date de leur saisie ou de la date à laquelle le juge des référés, saisi dans ce délai, a autorisé l’exploitation des données qu’ils contiennent. À l’exception de celles qui caractérisent la menace que constitue pour la sécurité et l’ordre publics le comportement de la personne concernée, les données copiées sont détruites à l’expiration d’un délai maximal de trois mois à compter de la date de la perquisition ou de la date à laquelle le juge des référés, saisi dans ce délai, en a autorisé l’exploitation.
« En cas de difficulté dans l’accès aux données contenues dans les supports saisis ou dans l’exploitation des données copiées, lorsque cela est nécessaire, les délais prévus au huitième alinéa du présent I peuvent être prorogés, pour la même durée, par le juge des référés saisi par l’autorité administrative au moins vingt-quatre heures avant l’expiration de ces délais. Le juge des référés statue dans un délai de vingt-quatre heures sur la demande de prorogation présentée par l’autorité administrative. Si l’exploitation ou l’examen des données et des supports saisis conduisent à la constatation d’une infraction, ces données et supports sont conservés selon les règles applicables en matière de procédure pénale.
« Pour l’application du présent article, le juge des référés est celui du tribunal administratif dans le ressort duquel se trouve le lieu de la perquisition. Il statue dans les formes prévues au livre V du code de justice administrative, sous réserve du présent article. Ses décisions sont susceptibles d’appel devant le juge des référés du Conseil d’État dans un délai de vingt-quatre heures à compter de leur notification. Le juge des référés du Conseil d’État statue dans le délai de vingt-quatre heures. En cas d’appel, les données et les supports saisis demeurent conservés dans les conditions mentionnées au huitième alinéa du présent I. » ;
4° Avant le dernier alinéa, sont insérés huit alinéas ainsi rédigés :
« Lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser que leur comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics, les personnes présentes sur le lieu d’une perquisition administrative peuvent être retenues sur place par l’officier de police judiciaire pendant le temps strictement nécessaire au déroulement de la perquisition. Le procureur de la République en est informé dès le début de la retenue.
« Les personnes faisant l’objet de cette retenue sont informées de leur droit de faire prévenir par l’officier de police judiciaire toute personne de leur choix ainsi que leur employeur. Si l’officier de police judiciaire estime, en raison des nécessités liées à la retenue, ne pas devoir faire droit à cette demande, il en réfère sans délai au procureur de la République qui décide, s’il y a lieu, d’y faire droit.
« La retenue ne peut excéder quatre heures à compter du début de la perquisition et le procureur de la République peut y mettre fin à tout moment.
« Lorsqu’il s’agit d’un mineur, la retenue fait l’objet d’un accord exprès du procureur de la République. Le mineur doit être assisté de son représentant légal, sauf impossibilité dûment justifiée.
« L’officier de police judiciaire mentionne, dans un procès-verbal, les motifs qui justifient la retenue. Il précise le jour et l’heure à partir desquels la retenue a débuté, le jour et l’heure de la fin de la retenue et la durée de celle-ci.
« Ce procès-verbal est présenté à la signature de l’intéressé. Si ce dernier refuse de le signer, mention est faite du refus et des motifs de celui-ci.
« Le procès-verbal est transmis au procureur de la République, copie en ayant été remise à l’intéressé.
« La durée de la retenue s’impute, s’il y a lieu, sur celle de la garde à vue. »
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 22, présenté par M. M. Mercier, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. - Alinéas 2 et 3
Supprimer ces alinéas
II. - Après l'alinéa 12
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
…° Après le quatrième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« La perquisition donne lieu à l'établissement d'un compte rendu communiqué sans délai au procureur de la République, auquel est joint, le cas échéant, copie du procès-verbal de saisie. » ;
La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Mercier, rapporteur. Il s'agit d’un amendement rédactionnel, monsieur le président.
M. le président. Le sous-amendement n° 26, présenté par Mmes Assassi et Cukierman et M. Favier, est ainsi libellé :
Amendement n° 22, alinéa 6
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Une copie de l'ordre de perquisition est remise à la personne faisant l'objet d'une perquisition.
La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. À l’aune des enseignements tirés pendant la première période de mise en œuvre de l’état d’urgence, nous constatons que le cadre juridique de ce dispositif mériterait un réexamen. Je crois d’ailleurs que M. Mercier, qui a réalisé un rapport sur ce sujet en février dernier, dressait le même constat que nous. Nous sommes donc favorables à ce que plusieurs compléments soient apportés à la loi du 3 avril 1955.
Ainsi, les perquisitions administratives, écartées du dernier texte de prorogation, sont rétablies dans celui-ci ; elles sont même aggravées avec les perquisitions informatiques. Or leur cadre juridique mérite d’être précisé. À la lumière de plusieurs éléments qui nous ont été révélés, il semble indispensable de prévoir, dans la loi, qu’une copie de l’ordre de perquisition soit remise à la personne en faisant l’objet.
Comme l’indiquait M. Mercier dans le rapport que je viens de citer, bien que les ordres de perquisition signés par les préfets disposent, en leur dernier article, que l’acte doit être notifié à l’intéressé, des perquisitions ont été conduites sans qu’il ait été procédé à une telle remise, ce qui rend ensuite quasi impossible toute faculté de recours juridictionnel pour les personnes concernées, celles-ci n’étant pas formellement informées de leur droit de recours.
De la même manière, il est indispensable qu’une copie du compte rendu de la perquisition soit, à l’issue de cette dernière, remise à l’intéressé.
M. le président. L'amendement n° 6, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 3
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Une copie de l’ordre de perquisition est remise à la personne faisant l’objet d’une perquisition.
II. – Alinéa 8, troisième phrase
Compléter cette phrase par les mots :
, ainsi qu’à la personne faisant l’objet d’une perquisition
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Nous retirons cet amendement, monsieur le président, au bénéfice du sous-amendement qui vient d’être présenté.
M. le président. L'amendement n° 6 est retiré.
Quel est l’avis de la commission sur le sous-amendement n° 26 ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Avis favorable, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. L’amendement n° 22 est incohérent, car c’est non pas une personne qui fait l’objet d’une perquisition, mais un lieu.
En outre, l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 prévoit que la perquisition ne peut se dérouler qu’en présence de l’occupant ou, à défaut, de son représentant ou témoin. L’article 2 du présent projet de loi, qui vient compléter cet article 11, prévoit déjà que la copie du procès-verbal de saisie est remise à ces personnes.
Pour toutes ces raisons, nous sommes défavorables à l’amendement n° 22, ainsi qu’au sous-amendement n° 26.
M. le président. L'amendement n° 20, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 9, deuxième phrase, alinéa 11 première et deuxième phrases, alinéa 12 troisième et quatrième phrases
Remplacer les mots
vingt-quatre
par les mots :
quarante-huit
La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Cet amendement vise à rétablir les dispositions initiales du projet de loi présenté par le Gouvernement, prévoyant un délai de jugement de quarante-huit heures pour le juge des référés appelé à se prononcer sur la régularité de la saisie et sur la possibilité, pour l’autorité de police, d’exploiter les données ou matériels saisis lors de la perquisition.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Ce délai est raisonnable et incompressible.
La commission émet donc un avis favorable.
M. le président. Je mets aux voix l'article 2, modifié.
(L'article 2 est adopté.)
Article additionnel après l'article 2
M. le président. L'amendement n° 7, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l'article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 14-1 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La condition d’urgence est présumée remplie pour le recours juridictionnel en référé d’une mesure d’assignation à résidence. »
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Alors que nous nous apprêtons à proroger l’état d’urgence pour six mois supplémentaires et comme nous le disions par le biais de notre précédent amendement, plusieurs compléments doivent être apportés à la loi du 3 avril 1955.
Tout d’abord, si la loi, telle qu’elle a été modifiée le 20 novembre 2015, améliore, en théorie, les voies de recours contre les mesures prises pendant l’état d’urgence, il apparaît que l’efficacité de ces recours est fortement limitée.
Pendant les premières semaines de l’état d’urgence, de nombreuses personnes ont été dans l’impossibilité de faire valoir leur droit à se défendre. Leur droit à un procès effectif a, par conséquent, été violé. En effet, un grand nombre de recours ont été classés selon la procédure du « tri sans audience », qui correspond à une demande ne présentant pas un caractère d’urgence.
En dépit de la décision du Conseil d’État du 11 décembre 2015, qui affirme que la condition d’urgence pour la contestation d’une mesure d’assignation à résidence en référé liberté est présumée, le ministère de l’intérieur a continué de soutenir, dans ses mémoires en défense à l’occasion des audiences de contestation de ces mesures, que la condition d’urgence n’était pas remplie.
C’est pourquoi, mes chers collègues, nous vous proposons, pour garantir le droit à la défense, d’inscrire dans la loi le fait que la condition d’urgence est présumée remplie pour le recours juridictionnel en référé d’une mesure d’assignation à résidence.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Comme vient de le rappeler Mme Assassi, cet amendement vise, en quelque sorte, à consacrer la jurisprudence que le Conseil d’État a établie le 11 décembre 2015.
Nous aurons sûrement l’occasion d’y revenir à la rentrée, car c’est une grande avancée pour la garantie des libertés publiques : en situation d’état d’urgence et en cas de saisine du juge des référés, le Conseil d’État garantit un droit à l’audience pour la personne à l’origine de la saisie. Je le répète, cela constitue l’une des avancées de l’État de droit pendant une période d’état d’urgence.
La commission émet donc un avis favorable.
M. Roger Karoutchi. Cela fait deux fois sur un amendement du groupe CRC ! (Sourires.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 2.
Article 2 bis (nouveau)
À l’article 15 de la même loi, les mots : « loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions » sont remplacés par les mots : « loi n° … du … prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste ». – (Adopté.)
Article additionnel après l'article 2 bis
M. le président. L'amendement n° 17 rectifié, présenté par M. Mézard, est ainsi libellé :
Après l'article 2 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article 17 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, il est inséré un article … ainsi rédigé :
« Art. … – Lors du dépôt d’un projet ou d’une proposition de loi visant à proroger l’application de tout ou partie des dispositions prévues par la présente loi, le Gouvernement transmet au Parlement un rapport détaillé présentant l’ensemble des mesures conduites dans le cadre de l’état d’urgence et les éléments de nature à mesurer l’évolution du péril imminent ou des atteintes mentionnées à l’article 1er de la présente loi.
« Sans la transmission préalable de ce rapport, aucun projet ou proposition de loi de prorogation ne peut être inscrit à l’ordre du jour des assemblées. »
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Je retire cet amendement, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 17 rectifié est retiré.
Titre II
DISPOSITIONS RELATIVES AU RENFORCEMENT DE LA LUTTE ANTITERRORISTE
(Division et intitulé nouveaux)
Article 3
Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Les articles 720, 720-1, 723-1, 723-3, 723-7 et 730-3 sont complétés par un alinéa ainsi rédigé :
« Le présent article n’est pas applicable aux personnes condamnées pour une ou plusieurs des infractions mentionnées aux articles 421-1 à 421-6 du code pénal, à l’exclusion de celles définies aux articles 421-2-5 à 421-2-5-2 du même code. » ;
2° Après l’article 721-1, il est inséré un article 721-1-1 ainsi rédigé :
« Art. 721-1-1. – Les personnes condamnées à une peine privative de liberté pour une ou plusieurs des infractions mentionnées aux articles 421-1 à 421-6 du code pénal, à l’exclusion de celles définies aux articles 421-2-5 à 421-2-5-2 du même code, ne bénéficient pas des crédits de réduction de peine mentionnés à l’article 721 du présent code. Elles peuvent toutefois bénéficier d’une réduction de peine dans les conditions définies à l’article 721-1. »
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, sur l'article. (Marques d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Pierre Sueur. Le texte de l’article 3 résulte d’un amendement présenté par M. le rapporteur et adopté par la majorité de la commission des lois. Il reprend, en fait, une disposition figurant dans une proposition de loi que M. le rapporteur avait préalablement présentée et à laquelle nous nous étions opposés.
Or les députés ont adopté, cette nuit et sur l’initiative du groupe Les Républicains, un amendement n° 32 prévoyant que, en matière de terrorisme, toute automaticité de la réduction de peine est supprimée – on s’en remet donc au pouvoir du juge en la matière. Cette mesure a été adoptée par une large majorité de l’Assemblée nationale. Elle est claire, précise et compréhensible par tous.
Par conséquent, la rédaction proposée par M. le rapporteur et adoptée par la majorité de la commission des lois n’a plus de raison d’être. C’est pourquoi le groupe socialiste et républicain votera en faveur de l’amendement de suppression de l’article 3, qui sera présenté dans quelques instants.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, sur l'article.
M. Jean-Yves Leconte. En cet instant, où nos cœurs sont emplis d’émotion et de colère, nos têtes doivent rester absolument froides. Nos valeurs et notre droit sont attaqués, mais ils constituent aussi notre force pour réagir.
Cet attentat, horrible par ses conséquences, mais provoqué par un acte de folie, de haine et de barbarie, nous conduit aujourd’hui à voir la Nation tout entière, plongée dans l’effroi, douter d’elle-même et se remettre en cause.
La réponse sécuritaire est probablement indispensable dans l’urgence, mais, sans maintien de l’État de droit, nous commencerions à alimenter le terreau du terrorisme.
La prorogation de l’état d’urgence, qui a fait l’objet des articles que nous avons votés jusqu’à ce point du projet de loi, relève des mesures de prévention indispensables dans le contexte actuel. Nous avons prorogé et renforcé les mesures administratives, permettant ainsi à la police et aux autorités d’agir face au terrorisme.
Tout cela, nous venons de le voter, mais nous passons maintenant à un autre titre, dans lequel il est proposé d’ajouter, à cette prorogation, de nouvelles incriminations et peines, ainsi que des modifications du code de procédure pénale. Toutes ces mesures nouvelles, qui ont parfois été évoquées dans des discussions précédentes, mais qui n’ont pas été adoptées, le sont maintenant en quelques jours, sans audition ni discussion. Pourquoi ? Ce n’est pas cela, la prorogation de l’état d’urgence !
Il s’agit finalement de cavaliers, alors même que ce projet de loi ne sera certainement pas soumis au contrôle du Conseil constitutionnel ; d’ailleurs, il faut probablement souhaiter que ce ne soit pas le cas, ne serait-ce que pour assurer l’entrée en vigueur rapide de ce texte.
Les dispositions que nous allons maintenant examiner sont toutefois susceptibles de faire l’objet de questions prioritaires de constitutionnalité. Elles soulèvent d’importantes interrogations et introduisent une forte insécurité juridique. Je ne pense pas que cela soit satisfaisant dans le contexte que nous connaissons.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Yves Leconte. Aussi, nombre d’entre nous, dont je fais partie, souhaitent absolument que la première partie, correspondant à la prorogation de l’état d’urgence, puisse être votée et se sentent donc, d’une certaine manière, pris en otage par le fait de devoir accepter ce qui est inscrit dans la suite du texte, afin de disposer des mesures de sécurité indispensables. Je le regrette profondément !
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, sur l'article.
M. Jacques Mézard. Nous entrons en effet dans le titre II du projet de loi, qui n’est plus du tout relatif à l’état d’urgence et à sa prorogation. Il inclut, en fait, des dispositions, dont certaines ont déjà été votées par le Sénat, mais que l’on nous soumet, de nouveau et globalement, dans des conditions – je le dis avec mesure et gravité –, qui ne me paraissent pas correspondre à l’état d’esprit d’union et de rassemblement que nous souhaitons.
Comme je le disais ce matin à M. le rapporteur, nous avons besoin d’un texte sur lequel nous puissions in fine trouver, non pas un compromis – je n’aime pas ce mot –, mais un certain consensus. Cela constituerait un message positif vis-à-vis de nos concitoyens. Il n’est donc pas opportun d’ajouter des dispositions, que vous voulez faire passer et qui, d’une manière ou d’une autre, aboutiront.
Vous avez proposé que le projet de loi inclue un titre II « Dispositions relatives au renforcement de la lutte antiterroriste ». Toutefois, nous sommes tous d’accord pour lutter contre le terrorisme ! D’ailleurs, nous n’arrêtons pas de voter des textes en ce sens, avec l’efficacité que l’on constate…
M. le président. L'amendement n° 10, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Christian Favier.
M. Christian Favier. Comme cela vient d’être rappelé par MM. Sueur, Leconte et Mézard, cet article 3 vise à rétablir des dispositions que la droite sénatoriale avait adoptées lors de la première lecture du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, afin de créer un régime complet d’application des peines pour les personnes condamnées pour terrorisme.
Ces dispositions ont déjà été adoptées par trois fois au Sénat cette année, comme l’a d’ailleurs rappelé en commission le président Philippe Bas ce matin. Elles n’en restent pas moins dangereuses pour notre droit pénal.
En outre, elles s’insèrent dans un article qui sort complètement du contexte de la prorogation de l’état d’urgence. Autrement dit, il s’agit bien d’un cavalier législatif.
La surenchère sécuritaire, purement politicienne, qui est à l’œuvre dans les ajouts de la commission des lois du Sénat nuit à la véritable lutte contre le terrorisme et à la recherche de solutions véritablement efficaces.
C’est la raison pour laquelle, mes chers collègues, nous vous appelons à supprimer cet article.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Je voudrais apporter deux réponses aux différents orateurs qui se sont exprimés.
Tout d’abord, on avance l’argument selon lequel ces dispositions, en complétant les lois pénales ou de procédure pénale, sortent du cadre de l’état d’urgence et sont de nature pérenne. C’est tout à fait vrai ! Je ne puis nier l’évidence.
Néanmoins, mes chers collègues, rappelez-vous que nous délibérons sur le texte qui nous vient de l’Assemblée nationale, et non sur la version initiale du Gouvernement. Or, dans la nuit, la nature du projet de loi a changé, et ce avec le soutien du Gouvernement.
Ainsi, une partie, jusqu’à l’article 2, est bien consacrée à la prorogation de l’état d’urgence et à l’augmentation des pouvoirs de l’autorité administrative durant cette période, mais deux mesures pérennes ont ensuite été ajoutées : d’une part, l’amendement dit « Abdeslam », dont nous parlerons certainement tout à l’heure ; d’autre part, la question que nous examinons maintenant à l’article 3. Nous avons donc toute légitimité, nous aussi, pour faire des propositions.
Ensuite, M. Sueur avance que ce que nous proposons s’ajoute à l’amendement voté à l’Assemblée nationale cette nuit, à la demande du groupe Les Républicains. Eh bien, nous réglerons cette question au sein de la commission mixte paritaire !
M. Charles Revet. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 3.
(L'article 3 est adopté.)
Article 4
I. – La section 8 du chapitre III du titre Ier de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire est complétée par un article 58-1 ainsi rédigé :
« Art. 58-1. – La direction de l’administration pénitentiaire peut mettre en œuvre des traitements de données à caractère personnel relatifs aux systèmes de vidéosurveillance de cellules de détention au sein des établissements pénitentiaires.
« Ces traitements ont pour finalité le contrôle sous vidéosurveillance des cellules de détention dans lesquelles sont affectées les personnes placées sous main de justice, faisant l’objet d’une mesure d’isolement, dont l’évasion ou le suicide pourraient avoir un impact important sur l’ordre public eu égard aux circonstances particulières à l’origine de leur incarcération et à l’impact de celles-ci sur l’opinion publique.
« Ces traitements garantissent la sécurité au sein de l’établissement en cas de risque d’évasion et celle de la personne placée dans l’éventualité d’un risque de passage à l’acte suicidaire.
« Ces traitements ne peuvent concerner que les cellules de détention hébergeant des personnes placées en détention provisoire, faisant l’objet d’un mandat de dépôt criminel. Ils ne peuvent être mis en œuvre qu’à titre exceptionnel.
« La personne détenue est informée du projet de la décision de placement sous vidéosurveillance et dispose de la faculté de produire des observations écrites et orales, dans le cadre d’une procédure contradictoire. À cette occasion, la personne détenue peut être assistée d’un avocat.
« En cas d’urgence, le garde des sceaux peut décider du placement provisoire sous vidéosurveillance de la personne détenue si la mesure est l’unique moyen d’éviter l’évasion ou le suicide de l’intéressé. Le placement provisoire ne peut excéder cinq jours. À l’issue du délai de cinq jours, si aucune décision de placement sous vidéosurveillance, prise dans les conditions ci-dessus décrites, n’est intervenue, il est mis fin à la mesure de vidéosurveillance. La durée du placement provisoire s’impute sur la durée totale de la mesure de vidéosurveillance.
« Le placement de la personne détenue sous vidéosurveillance fait l’objet d’une décision spécialement motivée prise par le ministre de la justice pour une durée de trois mois, renouvelable. Cette décision est notifiée à la personne détenue.
« L’avis écrit du médecin intervenant dans l’établissement peut être recueilli à tout moment, notamment avant toute décision de renouvellement de la mesure.
« Le système de vidéosurveillance permet un contrôle en temps réel de l’intéressé. Un pare-vue fixé dans la cellule garantit l’intimité de la personne tout en permettant la restitution d’images opacifiées. L’emplacement des caméras est visible.
« Est enregistré dans ces traitements l’ensemble des séquences vidéo provenant de la vidéosurveillance des cellules concernées.
« Il n’y a ni transmission ni enregistrement sonore.
« Aucun dispositif biométrique n’est couplé avec ces traitements de vidéosurveillance.
« Les images enregistrées faisant l’objet de ces traitements sont conservées sur support numérique pendant un délai d’un mois.
« S’il existe des raisons sérieuses de penser que la personne détenue présente des risques de passage à l’acte suicidaire ou d’évasion, le chef d’établissement ou son représentant peut consulter les données de la vidéosurveillance pendant un délai de sept jours à compter de l’enregistrement. Au-delà de ce délai de sept jours, les données ne peuvent être visionnées que dans le cadre d’une enquête judiciaire ou administrative.
« Au terme du délai d’un mois, les données qui n’ont pas fait l’objet d’une transmission à l’autorité judiciaire ou d’une enquête administrative sont effacées.
« Les personnes ou catégories de personnes qui, à raison de leurs fonctions ou pour les besoins du service, ont accès aux données à caractère personnel susmentionnées sont :
« 1° Les agents de l’administration pénitentiaire individuellement désignés et dûment habilités par le chef d’établissement pour les données visionnées en temps réel ;
« 2° Le chef d’établissement ou son représentant pour la consultation, dans le délai de sept jours, des données enregistrées ;
« 3° Le correspondant local informatique individuellement désigné et dûment habilité par le chef d’établissement.
« Le droit d’opposition prévu à l’article 38 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés ne s’applique pas aux traitements susmentionnés.
« Les droits d’accès et de rectification prévus aux articles 39 et 40 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée s’exercent auprès du chef d’établissement de l’administration pénitentiaire où sont mis en œuvre les traitements de vidéosurveillance.
« Une affiche apposée à l’entrée de la cellule équipée d’un système de vidéosurveillance informe de l’existence dudit système ainsi que des modalités d’accès et de rectification des données recueillies.
« Le traitement fait l’objet d’une journalisation concernant les consultations, les créations et les mises à jour. Ces journalisations sont conservées pour une durée de trois mois. Le traitement fait l’objet d’une journalisation des extractions des séquences vidéo enregistrées. Cette journalisation est conservée pour une durée d’un an. »
II (Non modifié). – Le chapitre Ier du titre II du livre V du code de procédure pénale est complété par un article 716-1 A ainsi rédigé :
« Art. 716-1 A. – Les personnes mises en examen, prévenues et accusées soumises à la détention provisoire, faisant l’objet d’un mandat de dépôt criminel et d’une mesure d’isolement, dont l’évasion ou le suicide pourraient avoir un impact important sur l’ordre public eu égard aux circonstances particulières à l’origine de leur incarcération et à l’impact de celles-ci sur l’opinion publique, peuvent faire l’objet des mesures de vidéosurveillance prévues à l’article 58-1 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire. » – (Adopté.)
Article 5 (nouveau)
Le chapitre Ier du titre II du livre IV du code pénal est ainsi modifié :
1° Après l’article 421-2-6, il est inséré un article 421-2-7 ainsi rédigé :
« Art. 421-2-7. – Constitue un acte de terrorisme le fait d’avoir séjourné intentionnellement à l’étranger sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes afin d’entrer en relation avec un ou plusieurs de ces groupements, en l’absence de motif légitime. » ;
2° L’article 421-5 est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« L’acte de terrorisme défini à l’article 421-2-7 est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende.
« La tentative du délit défini au même article 421-2-7 est punie des mêmes peines. »
M. le président. L'amendement n° 11, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. « Les terroristes nous tendent un piège politique », « Ce n’est pas par des lois et juridictions d’exception que l’on défend la liberté contre l’ennemi ». Tout est dit dans ces formules de Robert Badinter !
Dans ce contexte, nous sommes opposés, comme cela vous a déjà été indiqué, mes chers collègues, à l’économie générale du texte. En outre, au sein du projet de loi, plusieurs dispositions intégrées par la droite sénatoriale en commission dressent un édifice répressif qui est particulièrement néfaste à notre droit commun.
Il en est ainsi du délit de séjour intentionnel à l’étranger sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes, sachant que le seul séjour suffit ici pour caractériser le délit, sans qu’il soit nécessaire de démontrer la réalisation ou la préparation d’une entreprise terroriste. Qu’est-ce que cela signifie ? Qu’en est-il des personnes qui reviennent de ces théâtres ou qui ont su s’en échapper ? Qu’en est-il des membres d’organisations humanitaires ?
Au-delà de ces questions, nous considérons de nouveau qu’il s’agit d’une disposition qui sort du contexte de la prorogation de l’état d’urgence. C’est pourquoi nous en proposons la suppression. (M. Jean Desessard applaudit.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Avis défavorable, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Le Gouvernement est favorable à cet amendement, pour deux raisons.
Premièrement, les personnes qui reviennent d’un théâtre d’opérations terroristes peuvent faire l’objet de mesures d’assignation à résidence. Les mesures que nous avons déjà prises, notamment dans la loi du 3 juin 2016, permettent de satisfaire l’article qui a été introduit par la commission des lois du Sénat.
Deuxièmement, nous avons la possibilité d’incriminer pénalement ces personnes, dans le cadre d’une association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste.
C’est pourquoi nous sommes favorables à l’amendement n° 11 du groupe CRC.
M. le président. Je mets aux voix l'article 5.
(L'article 5 est adopté.)
Article 6 (nouveau)
Le dernier alinéa de l’article L. 225-2 du code de la sécurité intérieure est complété par les mots : « , renouvelable deux fois par décision motivée ». – (Adopté.)
Article additionnel après l'article 6
M. le président. L'amendement n° 23, présenté par M. M. Mercier, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l'article 6
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La dernière phrase du cinquième alinéa de l'article L. 224-1 du code de la sécurité intérieure est supprimée.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Mercier, rapporteur. Le présent amendement vise à supprimer la durée maximale de deux années au-delà de laquelle il n’est actuellement pas possible, aux termes de l’article L. 224-1 du code de la sécurité intérieure, d’interdire à un Français de quitter le territoire. C’est le régime administratif de l'interdiction de sortie du territoire.
En effet, le risque d’un départ à l’étranger ayant pour objet la participation à des activités terroristes ou sur un théâtre d'opérations de groupements terroristes, dans des conditions susceptibles de le conduire à porter atteinte à la sécurité publique lors de son retour sur le territoire français, peut perdurer au-delà de deux années, privant ainsi l’autorité administrative du pouvoir de faire échec à un tel départ.
L’interdiction de sortie du territoire constitue, par ailleurs, une mesure de police administrative, distincte des mesures prononcées par l’autorité judiciaire, dont l’objet est de prévenir un risque pour la sécurité publique et dont la mise en œuvre doit être rendue possible, dès lors que ce risque demeure.
Le dispositif demeure proportionné, dès lors que la mesure doit être réexaminée tous les six mois en vue de son renouvellement, afin que l’autorité administrative s’assure que les conditions sont toujours réunies. Elle doit être levée dès lors que les conditions ne sont plus satisfaites.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 6.
Article 7 (nouveau)
Après l’article 706-24-3 du code de procédure pénale, il est inséré un article 706-24-4 ainsi rédigé :
« Art. 706–24–4. – La durée totale de détention provisoire mentionnée au douzième alinéa de l’article 11 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante est portée à deux ans pour l’instruction du délit mentionné à l’article 421-2-1 du code pénal.
« La durée totale de détention provisoire mentionnée au quatorzième alinéa du même article 11 est portée à trois ans pour l’instruction des crimes prévus au 1° de l’article 421-1 et aux articles 421-5 et 421-6 du code pénal. »
M. le président. L’amendement n° 12, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Christian Favier.
M. Christian Favier. Issu initialement de la proposition de loi tendant à renforcer l’efficacité de la lutte antiterroriste de nos collègues Bas, Mercier et Retailleau adoptée en février dernier au Sénat, et rediscuté dans le cadre de l’examen du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, cet article 7 tend à augmenter les durées de détention provisoire pour les mineurs mis en examen pour acte de terrorisme.
Nous déplorons une telle surenchère pénale à l’endroit de mineurs qui n’ont d’ailleurs pas encore été jugés, puisqu’il n’est question ici que de détention provisoire. Nous pensons que la justice devrait avoir les moyens de statuer sur leurs cas dans un délai inférieur à un an, ce qui est déjà considérable.
Nous rejetons donc cette mesure supplémentaire.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable.
Elle pense en effet que ces mineurs âgés de plus de seize ans peuvent faire l’objet d’investigations longues et difficiles. Actuellement, dix personnes seulement sont concernées : ce nombre est donc extrêmement faible. Il s’agit cependant d’individus dangereux et la justice doit pouvoir disposer de temps pour mener à bien ses investigations.
Nous ne défendons pas cette mesure au nom de je ne sais quelle volonté philosophique, mais en vertu de considérations pratiques. Nous avons consulté les magistrats et c’est à leur demande que la commission a adopté cet amendement introduisant cet article 7. Je comprends que des questions de principe puissent se poser, mais nous devons aussi agir en fonction du principe d’efficacité qui ne doit pas être oublié.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis, pour une raison très simple.
En effet, le retour des mineurs du théâtre des opérations terroristes va devenir un des enjeux très importants des prochains mois. Nous devons permettre aux juges de conduire leurs investigations à leur terme. Dans le cadre de cette menace très forte, il faut donner aux juges la possibilité de travailler dans de bonnes conditions.
M. le président. Je mets aux voix l’article 7.
(L’article 7 est adopté.)
Article 8 (nouveau)
Après le premier alinéa de l’article 421-5 du code pénal, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque l’acte de terrorisme défini à l’article 421-2-1 est commis à l’occasion ou est précédé d’un séjour à l’étranger sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes, les peines sont portées à quinze ans de réclusion criminelle et 225 000 € d’amende. »
M. le président. L’amendement n° 24, présenté par M. M. Mercier, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Le code pénal est ainsi modifié :
1° Au deuxième alinéa de l’article 421–5, le mot : « vingt » est remplacé par le mot : « trente » ;
2° L’article L. 421–6 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, les mots : « vingt ans de réclusion criminelle et 350 000 » sont remplacés par les mots : « trente ans de réclusion criminelle et 450 000 » ;
b) Au dernier alinéa, les mots : « trente ans de réclusion criminelle et » sont remplacés par les mots : « la réclusion criminelle à perpétuité et de ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Mercier, rapporteur. Cet amendement résulte également des entretiens que nous avons eus avec les magistrats. Il vise à réécrire l’article 8 du texte de la commission, qui reprend les dispositions de l’article 11 de la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le terrorisme, dont nous avons déjà parlé. Il s’agit de répondre à un phénomène dit « d’écrasement des peines », né de la difficulté à apporter les preuves permettant la criminalisation de l’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste.
Nous voulons éviter l’embolie de la cour d’assises spéciale de Paris du fait d’un afflux trop important de dossiers, en distinguant les affaires particulièrement graves sans pour autant renoncer à augmenter la durée de la peine.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. En conséquence, l’article 8 est ainsi rédigé.
Article 9 (nouveau)
I. – Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Au dernier alinéa de l’article 362, les mots : « par l’article » sont remplacés par les mots : « par les articles 706-25-15 et » et, après le mot : « conformément », sont insérés les mots : « à l’article 706-25-16 ou » ;
2° Le titre XV du livre IV est complété par une section 4 ainsi rédigée :
« Section 4
« De la rétention de sûreté et de la surveillance de sûreté
« Art. 706–25–15. – À titre exceptionnel, les personnes dont il est établi, à l’issue d’un réexamen de leur situation intervenant à la fin de l’exécution de leur peine, qu’elles présentent une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive, peuvent faire l’objet à l’issue de cette peine d’une rétention de sûreté selon les modalités prévues par la présente section, à la condition qu’elles aient été condamnées à une peine de réclusion criminelle d’une durée égale ou supérieure à quinze ans pour les crimes prévus au 1° de l’article 421-1 et aux articles 421-5 et 421-6 du code pénal.
« La rétention de sûreté ne peut toutefois être prononcée que si la cour d’assises a expressément prévu dans sa décision de condamnation que la personne pourra faire l’objet à la fin de sa peine d’un réexamen de sa situation en vue d’une éventuelle rétention de sûreté.
« La rétention de sûreté consiste dans le placement de la personne intéressée en centre judiciaire de sûreté dans lequel lui est proposée, de façon permanente, une prise en charge destinée à permettre la fin de cette mesure.
« Art. 706–25–16. – La situation des personnes mentionnées à l’article 706-25-15 est examinée, au moins un an avant la date prévue pour leur libération, par la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté prévue à l’article 763-10, afin d’évaluer leur dangerosité.
« À cette fin, la commission demande le placement de la personne, pour une durée d’au moins six semaines, dans un service spécialisé chargé de l’observation des personnes détenues aux fins d’une évaluation pluridisciplinaire de dangerosité.
« Si la commission conclut à la particulière dangerosité du condamné, elle peut proposer, par un avis motivé, que celui-ci fasse l’objet d’une rétention de sûreté dans le cas où :
« 1° Les obligations résultant de l’inscription dans le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes, ainsi que, le cas échéant, les obligations résultant d’un placement sous surveillance électronique mobile, susceptible d’être prononcé dans le cadre d’un suivi socio-judiciaire ou d’une surveillance judiciaire, apparaissent insuffisantes pour prévenir la commission des infractions mentionnées à l’article 706-25-15 ;
« 2° Et si cette rétention constitue ainsi l’unique moyen de prévenir la commission, dont la probabilité est très élevée, de ces infractions.
« La commission vérifie également que la personne condamnée a effectivement été mise en mesure de bénéficier, pendant l’exécution de sa peine, d’une prise en charge adaptée.
« Si la commission estime que les conditions de la rétention de sûreté ne sont pas remplies mais que le condamné paraît néanmoins dangereux, elle peut renvoyer, le cas échéant, le dossier au juge de l’application des peines pour qu’il apprécie l’éventualité d’un placement sous surveillance judiciaire.
« Art. 706–25–17. – La décision de rétention de sûreté est prise par la juridiction régionale de la rétention de sûreté territorialement compétente. Cette juridiction est composée d’un président de chambre et de deux conseillers de la cour d’appel, désignés par le premier président de cette cour pour une durée de trois ans.
« Cette juridiction est saisie à cette fin par le procureur général, sur proposition de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté prévue par l’article 763-10, au moins trois mois avant la date prévue pour la libération du condamné. Elle statue après un débat contradictoire et, si le condamné le demande, public, au cours duquel le condamné est assisté par un avocat choisi ou commis d’office. La contre-expertise sollicitée par le condamné est de droit.
« La décision de rétention de sûreté doit être spécialement motivée au regard de l’article 706-25-16.
« Cette décision est exécutoire immédiatement à l’issue de la peine du condamné.
« Elle peut faire l’objet d’un recours devant la juridiction nationale de la rétention de sûreté, composée de trois conseillers à la Cour de cassation désignés pour une durée de trois ans par le premier président de cette cour.
« La juridiction nationale statue par une décision motivée, susceptible d’un pourvoi en cassation.
« Art. 706–25–18. – La décision de rétention de sûreté est valable pour une durée d’un an.
« La rétention de sûreté peut être renouvelée, après avis favorable de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, selon les modalités prévues à l’article 706-25-17 et pour la même durée, dès lors que les conditions prévues à l’article 706-25-16 sont toujours remplies.
« Art. 706–25–19. – Après un délai de trois mois à compter de la décision définitive de rétention de sûreté, la personne placée en rétention de sûreté peut demander à la juridiction régionale de la rétention de sûreté qu’il soit mis fin à cette mesure. Il est mis fin d’office à la rétention si cette juridiction n’a pas statué dans un délai de trois mois à compter de la réception de la demande. En cas de rejet de la demande, aucune autre demande ne peut être déposée avant l’expiration d’un délai de trois mois.
« La décision de cette juridiction peut faire l’objet des recours prévus à l’article 706-25-17.
« Art. 706–25–20. – La juridiction régionale de la rétention de sûreté ordonne d’office qu’il soit immédiatement mis fin à la rétention de sûreté dès lors que les conditions prévues à l’article 706-25-16 ne sont plus remplies.
« Art. 706–25–21. – Si la rétention de sûreté n’est pas prolongée ou s’il y est mis fin en application des articles 706-25-19 ou 706-25-20 et si la personne présente des risques de commettre les infractions mentionnées à l’article 706-25-15, la juridiction régionale de la rétention de sûreté peut, par la même décision et après débat contradictoire au cours duquel la personne est assistée par un avocat choisi ou commis d’office, placer celle-ci sous surveillance de sûreté pendant une durée de deux ans. La surveillance de sûreté comprend des obligations identiques à celles prévues dans le cadre de la surveillance judiciaire mentionnée à l’article 723-30, en particulier, après vérification de la faisabilité technique de la mesure, le placement sous surveillance électronique mobile dans les conditions prévues aux articles 763-12 et 763-13. Le placement sous surveillance de sûreté peut faire l’objet des recours prévus à l’article 706-25-17. La mainlevée de la surveillance de sûreté peut être demandée selon les modalités prévues à l’article 706-25-19.
« À l’issue du délai mentionné à la première phrase du premier alinéa du présent article, la surveillance de sûreté peut être renouvelée dans les mêmes conditions et pour la même durée.
« Si la méconnaissance par la personne des obligations qui lui sont imposées fait apparaître que celle-ci présente à nouveau une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de commettre à nouveau l’une des infractions mentionnées à l’article 706-25-15, le président de la juridiction régionale peut ordonner en urgence son placement provisoire dans un centre judiciaire de sûreté. Ce placement doit être confirmé dans un délai maximal de trois mois par la juridiction régionale statuant conformément à l’article 706-25-17, après avis favorable de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, à défaut de quoi il est mis fin d’office à la rétention. La décision de confirmation peut faire l’objet des recours prévus au même article 706-25-17.
« Le placement en centre judiciaire de sûreté prévu au troisième alinéa du présent article ne peut être ordonné qu’à la condition qu’un renforcement des obligations de la surveillance de sûreté apparaisse insuffisant pour prévenir la commission des infractions mentionnées à l’article 706-25-15.
« Le président de la juridiction régionale de la rétention de sûreté avertit la personne placée sous surveillance de sûreté que le placement sous surveillance électronique mobile ne pourra être mis en œuvre sans son consentement mais que, à défaut ou si elle manque à ses obligations, le placement dans un centre judiciaire de sûreté pourra être ordonné dans les conditions prévues par les troisième et quatrième alinéas du présent article.
« En cas de violation de ses obligations par la personne placée sous surveillance de sûreté, l’article 709-1-1 est applicable ; le juge de l’application des peines ou, en cas d’urgence et d’empêchement de celui-ci ou du magistrat du siège qui le remplace, le procureur de la République peut décerner mandat d’arrêt ou d’amener contre la personne, conformément à l’article 712-17, pour permettre le cas échéant sa présentation devant le président de la juridiction régionale de la rétention de sûreté ; en cas de décision de placement en rétention prise par ce président, la personne peut être retenue le temps strictement nécessaire à sa conduite dans le centre judiciaire de sûreté.
« Art. 706–25–22. – La présente section n’est pas applicable à la personne qui bénéficie d’une libération conditionnelle, sauf si cette mesure a fait l’objet d’une révocation.
« Art. 706–25–23. – La rétention de sûreté et la surveillance de sûreté sont suspendues par toute détention intervenue au cours de leur exécution.
« Si la détention excède une durée de six mois, la reprise de la rétention de sûreté ou de la surveillance de sûreté doit être confirmée par la juridiction régionale de la rétention de sûreté au plus tard dans un délai de trois mois après la cessation de la détention, à défaut de quoi il est mis fin d’office à la mesure.
« Art. 706–25–24. – Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application de la présente section.
« Ce décret précise les conditions dans lesquelles s’exercent les droits des personnes retenues dans un centre judiciaire de sûreté, y compris en matière d’emploi, d’éducation et de formation, de visites, de correspondances, d’exercice du culte et de permissions de sortie sous escorte ou sous surveillance électronique mobile. Il ne peut apporter à l’exercice de ces droits que les restrictions strictement nécessaires aux exigences de l’ordre public.
« La liste des cours d’appel dans lesquelles siègent les juridictions régionales prévues au premier alinéa de l’article 706-25-17 et le ressort de leur compétence territoriale sont fixés par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice. » ;
3° Après l’article 723-37, il est inséré un article 723-37-1 ainsi rédigé :
« Art. 723–37–1. – Lorsque le placement sous surveillance judiciaire a été prononcé à l’encontre d’une personne condamnée à une réclusion criminelle d’une durée égale ou supérieure à quinze ans pour l’une des infractions visées à l’article 706-25-15, la juridiction régionale mentionnée à l’article 706-25-17 peut, selon les modalités prévues par cet article, décider de prolonger tout ou partie des obligations auxquelles est astreinte la personne, au-delà de la limite prévue à l’article 723-29, en la plaçant sous surveillance de sûreté pour une durée de deux ans.
« La juridiction régionale de la rétention de sûreté est saisie par le juge de l’application des peines ou le procureur de la République six mois avant la fin de la mesure.
« Le placement sous surveillance de sûreté ne peut être ordonné, après expertise constatant la persistance de la dangerosité, que dans le cas où :
« 1° Les obligations résultant de l’inscription dans le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes apparaissent insuffisantes pour prévenir la commission des infractions mentionnées à l’article 706-25-15 ;
« 2° Et si cette mesure constitue l’unique moyen de prévenir la commission, dont la probabilité est très élevée, de ces infractions.
« La surveillance de sûreté peut être prolongée selon les mêmes modalités et pour la même durée si les conditions prévues par le présent article demeurent remplies.
« Les quatre derniers alinéas de l’article 706-25-21 sont applicables.
« La juridiction régionale de la rétention de sûreté peut également, selon les modalités prévues à l’article 706-25-17, ordonner une surveillance de sûreté à l’égard d’une personne placée sous surveillance judiciaire à laquelle toutes les réductions de peine ont été retirées, en application du premier alinéa de l’article 723-35, à la suite d’une violation des obligations auxquelles elle était soumise dans des conditions qui font apparaître des risques qu’elle commette à nouveau l’une des infractions mentionnées à l’article 706-25-15. La surveillance de sûreté s’applique dès la libération de la personne. » ;
4° À l’article 723-38, la référence : « à l’article 706-53-13 » est remplacée par la référence : « aux articles 706-25-15 ou 706-53-13 ».
II. – Les personnes exécutant, à la date d’entrée en vigueur de la présente loi, une peine privative de liberté pour les infractions mentionnées à l’article 706-25-15 du code de procédure pénale peuvent être soumises, dans le cadre d’une surveillance judiciaire ou d’une surveillance de sûreté, à une obligation d’assignation à domicile sous le régime du placement sous surveillance électronique mobile.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 13 est présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L’amendement n° 21 est présenté par le Gouvernement.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Christian Favier, pour présenter l’amendement n° 13.
M. Christian Favier. Cet article 9 vise à rendre applicable le régime de la rétention de sûreté et de la surveillance de sûreté aux personnes condamnées pour un crime terroriste.
Il faut le rappeler à nos concitoyens, la rétention de sûreté est un dispositif permettant de placer en centre médico-judiciaire les prévenus ayant purgé leur peine, mais dont la dangerosité est jugée importante. La rétention permet donc de maintenir une privation de liberté pour des personnes ayant déjà purgé leur peine de prison, ce qui revient à priver de liberté des personnes pour des crimes qu’elles n’ont pas encore commis, mais dont on juge qu’elles pourraient les commettre.
Par ailleurs, comme le souligne le Contrôleur général des lieux de privation des libertés, Adeline Hazan, dans un avis paru au Journal officiel en novembre dernier, les personnes qui font l’objet d’une rétention de sûreté ne bénéficient d’aucune prise en charge, elles ont moins de droits que les détenus et moins de possibilités d’activité. En outre, les textes permettent de renouveler indéfiniment les périodes de rétention de sûreté.
Rappelons que la suppression de ce dispositif faisait partie des promesses de campagne du Président de la République. Le fait que cette promesse ne soit pas tenue et que l’on ne soit pas revenu sur cette mesure phare de la politique pénale de M. Sarkozy a laissé à la droite sénatoriale toute latitude pour élargir le champ d’application de la rétention de sûreté.
Cet article se heurte à nos principes constitutionnels, il vient entacher nos droits fondamentaux et mettre en péril le socle même du droit pénal français. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons sa suppression.
M. le président. La parole est à M. le ministre, pour présenter l’amendement n° 21.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements identiques ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Défavorable !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote. (Marques d’impatience sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Pierre Sueur. Nous sommes favorables à la prolongation de l’état d’urgence, mais nous ne saurions accepter que, dans le texte qui crée cette prolongation, on revienne sur la question de la rétention de sûreté, qui est contraire aux principes fondamentaux de notre droit.
Quand une peine est purgée, elle est purgée : c’est un principe fondamental de notre droit. On peut discuter de la peine et les juges peuvent, et doivent, apprécier la peine, certainement très rigoureuse, qu’appellent les actes terroristes.
Nous sommes donc très attachés à ce fondement de notre droit. Nous considérons d’ailleurs que ce serait une victoire de ceux qui s’en prennent à nous par ces actes terroristes s’ils parvenaient à nous faire renoncer à un principe aussi fondamental de l’État de droit.
C’est pourquoi nous voterons en faveur de ces deux amendements de suppression.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Je l’ai indiqué au rapporteur ce matin lors de la réunion de la commission des lois : avec cet article, la majorité sénatoriale franchit la ligne jaune. Introduire la rétention de sûreté dans ce texte est une provocation.
Ce n’est pas ainsi que l’on rassemblera les sénateurs. Le message ainsi délivré, je le dis comme je le pense, est inopportun : bien loin de rassembler, il divise. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Chacun dans cet hémicycle a le droit d’exprimer ses convictions, même si cela prend un peu de temps. (M. Bruno Sido rit.) Oui, monsieur Sido !
M. Jean Desessard. Ceux qui sont pressés peuvent partir !
M. Jacques Mézard. Si, dans un débat tel que celui-ci, chacune de nos prises de parole vous insupporte, c’est un très mauvais signe pour l’avenir !
M. Bruno Sido. Pas du tout !
M. Jacques Mézard. Je le dis avec ma liberté de ton.
Mme Éliane Assassi. Bravo !
M. Jacques Mézard. Du point de vue des principes, nous, nous ne pouvons pas accepter la rétention de sûreté. Comme je l’ai dit ce matin, tant que ces dispositions figureront dans ce projet de loi, une partie de mon groupe ne le votera pas. C’est clair, net et précis !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 13 et 21.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 9.
(L’article 9 est adopté.)
Article 10 (nouveau)
L’article 422–4 du code pénal est ainsi rédigé :
« Art. 422–4. – L’interdiction du territoire français est prononcée par la juridiction de jugement dans les conditions prévues à l’article 131-30, soit à titre définitif, soit pour une durée de dix ans au plus, à l’encontre de tout étranger coupable de l’une des infractions définies au présent titre.
« Toutefois, la juridiction peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer ces peines, en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur. »
M. le président. L’amendement n° 3, présenté par MM. Rachline et Ravier, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer les mots :
soit à titre définitif, soit pour une durée de dix ans au plus
par les mots :
à titre définitif
La parole est à M. David Rachline.
M. David Rachline. Les personnes étrangères qui ont voulu, ne serait-ce qu’une seule fois, s’attaquer à la France en utilisant le vecteur lâche du terrorisme n’ont plus aucune raison de bénéficier de l’accueil du peuple français.
En s’attaquant, ou en tentant de s’attaquer, lâchement à la France, ils rompent à jamais les liens de confiance que la France avait accepté de nouer avec eux en les accueillant sur son sol et ne doivent donc plus jamais remettre les pieds sur le sol français.
La stratégie de dissimulation utilisée par les islamistes radicaux fait que toute durée d’interdiction du territoire n’est qu’un répit, surtout lorsque l’on entend de nombreuses personnes, y compris le Premier ministre, dire que cette guerre sera celle d’une génération. Dix ans, cela ne couvre pas une génération ! Nous avons suffisamment d’ennemis intérieurs pour ne pas donner de seconde chance aux ennemis extérieurs de la France.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Défavorable !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’article 10.
(L’article 10 est adopté.)
Article 11 (nouveau)
L’article L. 851–2 du code de la sécurité intérieure est ainsi rédigé :
« Art. L. 851–2. – I. – Dans les conditions prévues au chapitre Ier du titre II du présent livre et pour les seuls besoins de la prévention du terrorisme, peut être individuellement autorisé le recueil en temps réel, sur les réseaux des opérateurs et des personnes mentionnés à l’article L. 851-1, des informations ou documents mentionnés au même article L. 851-1 relatifs à une personne préalablement identifiée susceptible d’être en lien avec une menace. Lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser qu’une ou plusieurs personnes appartenant à l’entourage de la personne concernée par l’autorisation sont susceptibles de fournir des informations au titre de la finalité qui motive l’autorisation, celle-ci peut être également accordée pour cette ou ces personnes.
« II. – L’article L. 821-5 n’est pas applicable à une autorisation délivrée en application du présent article. » – (Adopté.)
Articles additionnels après l’article 11
M. le président. L’amendement n° 25, présenté par M. M. Mercier, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l’article 11
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À l’article L. 511–5 du code de la sécurité intérieure, les mots : « lorsque la nature de leurs interventions et les circonstances le justifient, » sont supprimés.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Mercier, rapporteur. Cet amendement vise à assouplir les conditions dans lesquelles le préfet peut autoriser l’armement d’une police municipale.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 11.
L’amendement n° 2, présenté par Mme Troendlé, est ainsi libellé :
Après l’article 11
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° Au III de l’article L. 852-1, le mot : « nécessaires » est remplacé par le mot : « associés » ;
2° Au premier alinéa de l’article L. 863-2, le mot : « échanger » est remplacé par le mot : « partager ».
La parole est à Mme Catherine Troendlé.
Mme Catherine Troendlé. Cet amendement a pour objet d’opérer deux modifications rédactionnelles de dispositions du code de la sécurité intérieure relatives au renseignement.
La première modification vise à clarifier des dispositions applicables aux données de connexion recueillies dans le cadre d’une interception de sécurité. La rédaction actuelle crée une incertitude juridique, puisqu’elle suppose un tri préalable. Or nous savons aujourd’hui que quasiment toutes les données de connexion peuvent être utiles à l’exploitation de l’interception de sécurité.
La seconde modification tend à sécuriser le partage de l’information entre les services de renseignement. Nous souhaitons remplacer le verbe « échanger » par le verbe « partager ». L’objectif est de permettre la mise en commun de toutes les informations dont disposent les services en lieu et place d’échanges bilatéraux, et ce dans un souci d’efficacité.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Très favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 2.
Mme Éliane Assassi. Le groupe CRC s’abstient.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 11.
L’amendement n° 19, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’article 11
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° L’article L. 411-7 est ainsi modifié :
a) Après le 1°, il est inséré un 2° ainsi rédigé :
« 2° De personnels justifiant, lors de la souscription du contrat d’engagement avoir eu la qualité d’adjoint de sécurité pendant au moins trois années de services effectifs ; »
b) Le 2° devient le 3° ;
2° L’article L. 411-9 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, les mots : « en qualité de volontaires » sont remplacés par les mots : « au titre des 2° et 3° de l’article L. 411-7 » ;
b) Au dernier alinéa, après les mots : « police nationale » sont insérés les mots : « et les réservistes visés au 2° de l’article L. 411-7 » ;
3° L’article L. 411-10 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les personnels visés aux 2° de l’article L. 411-7 peuvent assurer, à l’exclusion de toute mission à l’étranger, les missions exercées par les retraités des corps actifs de la police nationale. » ;
4° L’article L. 411-11 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, après les mots : « réservistes volontaires » sont insérés les mots : « et les réservistes visés au 2° de l’article L. 411-7 » ;
b) Après le 2°, il est ajouté un 3° ainsi rédigé :
« 3° Pour les réservistes visés aux 2° de l’article L. 411-7, cent-cinquante jours par an. »
La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Dans un contexte où nous avons besoin de mobiliser la réserve opérationnelle, il s’agit de faire en sorte que les anciens adjoints de sécurité de la police nationale puissent entrer dans ce dispositif, ce qui serait particulièrement utile.
M. Alain Richard. Très bonne mesure !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Favorable !
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 11.
L’amendement n° 1 rectifié bis, présenté par MM. Karoutchi et J. Gautier, est ainsi libellé :
Après l’article 11
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Les durées maximales d’activité dans les réserves militaire, de sécurité civile, sanitaire, ou de la police nationale prévues à l’article L. 4251-6 du code de la défense, au 11° de l’article 34 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État, au 12° de l’article 57 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et à l’article 41 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière sont prolongées de la durée totale de l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence.
La parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. Dans le même esprit que l’amendement précédent, le présent amendement vise à permettre aux anciens gendarmes et aux autres anciens militaires, qui font une « deuxième carrière » dans une autre administration, de participer aux activités de réserve pour une durée supérieure à celle qui est prévue aujourd’hui, sous réserve de l’accord de l’employeur. C’est un moyen de mobiliser dans la réserve les anciens gendarmes et militaires de manière plus cohérente.
M. Bruno Sido. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. La commission souhaite connaître l’avis du Gouvernement. Cela dit, elle est plutôt favorable à cet amendement.
M. le président. Quel est donc l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Le Gouvernement émet un avis défavorable. En effet, un certain nombre de membres de la réserve travaillent dans l’administration active. Si nous augmentons la durée des périodes de réserve au-delà du point d’équilibre actuel, nous risquons de désorganiser le fonctionnement de certaines administrations pendant la période de l’état d’urgence.
M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. Je comprends tout à fait l’inspiration des auteurs de cet amendement, mais il faut bien garder présente à l’esprit l’idée que la réserve, dans tous les domaines où elle intervient, ne peut le faire que si un équilibre est respecté. En effet, les réservistes sont en même temps engagés professionnellement. Ils le sont auprès d’employeurs privés qui font le sacrifice de laisser partir leur salarié dans des conditions qui peuvent perturber l’entreprise ou auprès de services publics.
Je ne crois pas que l’on puisse fausser ce « contrat » entre l’employeur, public ou privé, et le réserviste par une disposition législative autorisant unilatéralement des périodes de réserve beaucoup plus longues. Les durées de ces périodes doivent être organisées sur la base du contrat de réserve initial.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel, pour explication de vote.
M. Jean-Marie Bockel. J’avais quelques interrogations sur la proposition de M. Karoutchi, parce qu’elle vient s’insérer dans un système complexe, cependant la réponse de M. le ministre me fait réagir.
En réalité, ses arguments, ainsi que ceux d’Alain Richard, sont restrictifs par rapport à la démarche évoquée par le Président de la République. Cet après-midi encore, à Saint-Astier, il a évoqué la montée en puissance de la réserve, voire la création d’une garde nationale, en parlant à la fois de la réserve de la gendarmerie et de la réserve militaire.
Pour atteindre l’objectif de 40 000 réservistes opérationnels fixé par la loi de programmation militaire et évoqué à plusieurs reprises par le Président de la République et le ministre de la défense, il faut une montée en puissance progressive – ma collègue Gisèle Jourda et moi-même avons déposé un rapport portant sur ce sujet qui a été adopté à l’unanimité par la commission des affaires étrangères.
Un des sujets sensibles est la relation avec l’employeur, entreprise ou administration, qui soulève de nombreuses interrogations. Cependant, si nous considérons, à un moment donné, que nous sommes en situation de guerre ou que nous faisons l’objet d’une attaque, nous devrons bien nous donner les moyens de faire monter en puissance la réserve opérationnelle, afin qu’elle puisse exercer, au cœur de notre armée, les missions nouvelles que nous voyons se profiler après les événements que nous venons de vivre.
Je pense que cet amendement donne un signal positif et je le voterai. (Mmes Sophie Joissains et Annick Billon ainsi que M. René Danesi applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je comprends votre raisonnement, monsieur le sénateur, mais vous voyez bien que l’adoption de cet amendement n’augmentera pas le nombre des membres de la réserve opérationnelle ; elle allongera simplement la durée des périodes de réserve que pourront effectuer ceux qui font déjà partie de la réserve opérationnelle.
Si l’allongement de la durée de ces périodes de réserve représente pour les entreprises ou pour les administrations un élément tellement dirimant qu’elles seront réticentes à voir leurs salariés ou leurs agents s’engager dans la réserve, nous risquons, en définitive, de voir baisser le nombre de réservistes.
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Je ne suis absolument pas d’accord avec le raisonnement tenu par M. le ministre.
Une fois n’est pas coutume, je soutiens le Président de la République. (Sourires.) Il veut que la réserve accueille un grand nombre de personnes.
Cet amendement, très largement dû à mon collègue et ami Jacques Gautier, spécialiste des questions militaires, vise à permettre à d’anciens gendarmes ou militaires, si l’employeur public l’accepte – il ne s’agit donc pas de désorganiser ou de déstabiliser la fonction publique –, d’effectuer des périodes de réserve plus longues.
Monsieur le ministre, si une personne reste dans la réserve trois mois au lieu d’un mois, l’effectif de la réserve augmente mécaniquement. Je ne vois donc pas pourquoi on s’opposerait à cet amendement, si l’administration donne son accord et si ces anciens gendarmes ou militaires, a priori mieux formés que d’autres, sont volontaires. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je n’avais pas compris que cet amendement de Roger Karoutchi avait pour objet de soutenir l’action du Président de la République. Je vais donc informer ce dernier de cette nouvelle (Rires.) à laquelle il ne devait pas s’attendre et, compte tenu de cet élément nouveau, prendre mes consignes. (Nouveaux rires.)
M. le président. Quel est maintenant l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Favorable.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 11.
L’amendement n° 14, présenté par Mme Garriaud-Maylam, est ainsi libellé :
Après l’article 11
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le troisième alinéa de l’article 3-1 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le Conseil supérieur de l’audiovisuel s’attache à prévenir les dérives en matière de diffusion de contenus violents, qui pourraient porter atteinte au respect de la dignité humaine ou inciter à la haine ou à la violence dans la communication audiovisuelle, en particulier dans le traitement médiatique consécutif à un attentat. »
La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, les amendements nos 15 et 16 étant étroitement liés à l’amendement n° 14, je les présenterai en même temps.
M. le président. J’appelle donc en discussion les amendements nos 16 et 15.
L’amendement n° 16, présenté par Mme Garriaud-Maylam, est ainsi libellé :
Après l’article 11
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au dernier alinéa de l’article 15 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, les mots : « pour des raisons de race, de sexe, de mœurs, de religion ou de nationalité » sont supprimés.
L’amendement n° 15, présenté par Mme Garriaud-Maylam, est ainsi libellé :
Après l’article 11
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le dernier alinéa de l’article 15 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Le Conseil supérieur de l’audiovisuel élabore un code de bonne conduite relatif à la couverture audiovisuelle d’actes terroristes. »
Veuillez poursuive, ma chère collègue.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Le but de ces trois amendements est d’éviter que ne se reproduisent les dérives que nous avons pu constater lors du traitement audiovisuel d’attentats terroristes comme celui de Nice, le 14 juillet dernier.
Dérives en termes d’atteintes à la dignité humaine, avec la diffusion sur une chaîne publique des images terriblement choquantes et impudiques de la douleur indicible et glaçante de certaines victimes.
Dérives en termes d’incitation indirecte à la violence par des images répétitives entraînant une certaine glorification des terroristes, et donc de possibles nouvelles vocations.
Dérives, enfin, avec la diffusion d’informations pouvant gêner le travail des policiers : nous l’avons vu lors de la prise d’otages de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes.
Il existe aujourd’hui, nous le savons, avec le nombre croissant de chaînes d’information en continu, une certaine surenchère, une course aux images et au sensationnel. Il semble donc indispensable d’accroître le rôle et la responsabilité du Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA, en matière de prévention et de contrôle de ce traitement des attentats terroristes avec, notamment, l’élaboration d’un code de bonne conduite adressé à l’ensemble des acteurs de l’audiovisuel.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur les trois amendements en discussion ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Après un débat, la commission des lois a émis un avis favorable sur l’amendement n° 15. En revanche, elle a estimé que les amendements nos 14 et 16 étaient assez éloignés de l’objet du présent projet de loi.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur ces trois amendements ?
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Je remercie M. le rapporteur et je retire les deux amendements sur lesquels il a rendu un avis défavorable.
En revanche, il me paraît très important d’adopter l’amendement n° 15, relatif à l’élaboration d’un code de bonne conduite,…
M. Bruno Sido. Très bien !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. … qui nous permettra d’avancer sur cette question. Ce serait déjà un bon premier pas.
M. le président. Les amendements nos 14 et 16 sont retirés.
La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour explication de vote sur l’amendement n° 15.
M. Jean-Claude Requier. Je comprends bien l’argumentation de ma collègue. Cependant, je me pose une question : le CSA a une influence sur les chaînes publiques, mais qu’en est-il des chaînes privées ?
M. le président. Je signale que nos collègues députés ont publié aujourd’hui un rapport sur un sujet connexe.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je veux rassurer notre collègue Jean-Claude Requier : tel qu’il est rédigé, cet amendement s’applique à l’ensemble des acteurs de l’audiovisuel et non pas seulement aux chaînes publiques.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 11.
Article 12 (nouveau)
I. – À l’article 711–1 du code pénal, au premier alinéa de l’article 804 du code de procédure pénale et au premier alinéa des articles L. 285–1, L. 286-1, L. 287-1, L. 288-1, L. 895-1, L. 896-1, L. 897-1 et L. 898-1 du code de la sécurité intérieure, les mots : « loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale » sont remplacés par les mots : « loi n° … du … prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste ».
II. – Le I de l’article 4 et le II de l’article 9 sont applicables dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.
M. le président. Je mets aux voix l’article 12.
Mme Éliane Assassi. Le groupe CRC vote contre.
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote. (Marques d’impatience sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Pierre Sueur. Comme l’a dit tout à l’heure Jacques Mézard, nous avons traité ce sujet dans un temps raisonnable, en comparaison avec ce qui s’est passé à l’Assemblée nationale (M. Roger Karoutchi s’exclame.), et nous pouvons donc légitimement dire encore quelques mots, monsieur Karoutchi.
Notre groupe est favorable à la prolongation de l’état d’urgence. En revanche, certaines mesures qui viennent d’être adoptées soit sont étrangères à l’objet du texte, soit remettent en cause des questions de droit fondamentales – nous en avons vu un exemple voilà quelques instants avec la rétention de sûreté. Le fait que notre groupe vote en faveur de l’adoption de ce projet de loi, puisqu’il soutient la prolongation de l’état d’urgence, ne signifie nullement qu’il accepte ces dispositions qu’il a rejetées.
Je tenais à le dire clairement, car nous souhaitons qu’une union se fasse sur ce texte et nous souhaitons vivement que la commission mixte paritaire qui va se réunir ce soir parvienne à un accord.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas.
Mme Sophie Primas. Je m’exprime à titre personnel. Je voterai évidemment ce texte, qui fait l’objet d’une coconstruction intéressante entre les différents groupes politiques et les deux assemblées.
Je voudrais vous adresser un vœu, monsieur le ministre de l’intérieur. Je souhaiterais que les maires, que nous représentons ici, soient destinataires d’une note leur indiquant ce qu’ils doivent faire concernant les attestations d’accueil qu’ils reçoivent régulièrement et qui sont soumises à leur signature. Dans cette période d’état d’urgence, ils n’ont pas d’instructions et ne savent pas quoi faire.
M. Claude Kern. Effectivement !
M. Loïc Hervé. Elle a raison !
Mme Sophie Primas. Ces attestations ne comportent aucune information sur les personnes qui entrent ainsi sur notre territoire et les maires n’ont pas les moyens d’en obtenir, pas plus qu’ils n’ont les moyens de s’assurer que ces personnes s’en vont bien à l’issue de la période pour laquelle elles sont accueillies. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées de l’UDI-UC. – M. Guillaume Arnell applaudit également.)
M. Loïc Hervé. Bonne question !
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, notre pays se déchire, les responsables politiques s’adonnent à une surenchère sécuritaire et verbale en cette veille de primaires et de présidentielle, la parole raciste prend son envol chez les populistes, l’État islamique sort victorieux de nos querelles et les endeuillés continuent de pleurer leurs morts !
Heureusement, au sein de cette Haute Assemblée, nous tenons notre rang, dans la dignité et le respect, loin du bruit et de la fureur.
L’état d’urgence ressort de sa boîte. C’est la seule cuirasse que l’on ait trouvée pour se prémunir contre un prochain attentat, là où l’on a plutôt besoin d’un travail de longue haleine mené avec beaucoup d’humilité, vraiment beaucoup d’humilité.
Nous donnons à Daech l’image d’un pays démuni, affaibli, paniqué, qui, après chaque attentat, utilise les mêmes recettes, lesquelles auront toujours la même absence d’effet.
Pendant que le terrorisme change de visage et évolue sans cesse pour nous surprendre à chaque fois et endeuiller la France, nous restons, nous, politiciens, rivés à nos certitudes, à nos ambitions politiques, le regard tourné vers le FN et les élections à venir.
L’unité nationale exige quelques sacrifices. Un front commun de façade ne sera pas suffisant pour contrer l’idéologie de Daech, capable de séduire certains jeunes ou de justifier les pires violences.
Les Français ont besoin de mots justes et d’actes concrets. Le spectacle que nous leur offrons ces derniers jours ne leur redonnera pas confiance. Le chaos qui suivra ces attentats sera aussi incontrôlable que le terrorisme.
Ne pourrait-on pas déjà cesser de faire tant de publicité à des meurtriers de masse qui ne méritent que l’anonymat et l’obscurité ? Ainsi, nous arrêterons de stimuler d’autres esprits fragiles en quête de reconnaissance, et qui commettront à nouveau l’indicible !
Je voterai contre cette prorogation. Je voterai une fois de plus pour la démocratie, pour les libertés et pour une sécurité justement comprise, pour l’unité des forces vives de notre pays. C’est un non clair au terrorisme et une façon d’honorer la mémoire de nos victimes.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Comme je l’ai indiqué dans la discussion générale, mais j’attendais les débats et les votes sur un certain nombre d’amendements, les votes du groupe du RDSE seront divers.
Deux de nos collègues, depuis le début, contestent le principe même de la mise en application d’un état d’urgence. Par ailleurs, une partie importante du groupe s’abstiendra sur le texte tel qu’il nous est présenté en raison de l’adoption par le Sénat de certains articles, dont l’article 9 nouveau sur la rétention de sûreté.
Que les choses soient claires : si la situation évolue après la commission mixte paritaire, notre position sera différente. À ce titre, je ne peux que rendre hommage à l’habileté et à la conception du droit évolutif dont a fait preuve le rapporteur (Sourires.) D’ailleurs, depuis quelques mois, l’évolution est constante. Par exemple, en matière de terrorisme, nous avons eu affaire à une succession de lois. Monsieur le rapporteur, je me permets de vous demander de dresser, d’ici à demain si possible, la liste des mesures utiles qui auraient été oubliées ?
Il ne paraît en effet pas opportun, vis-à-vis de nos concitoyens, de revenir constamment sur des textes votés récemment, en particulier lorsqu’il s’agit de terrorisme ! Car cela donne véritablement l’impression que le pouvoir exécutif comme le pouvoir législatif n’ont pas pris la mesure des enjeux. Se rendre compte ou paraître se rendre compte à la suite de chaque choc qu’il faut légiférer de nouveau conduit nos concitoyens à ne pas avoir une bonne opinion de l’œuvre du législative et exécutive.
En fonction de ce que vous aurez décidé en commission mixte paritaire – vous aurez certainement la courtoisie et l’amabilité de nous le faire savoir –, le vote de notre groupe évoluera.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau.
M. Bruno Retailleau. Je remercie tout d’abord le rapporteur, Michel Mercier, ainsi que le président de la commission des lois, Philippe Bas. Mes remerciements vont également à l’ensemble des membres de la commission des lois, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent.
Je me félicite de la tenue des débats de cet après-midi. Une fois de plus, le Sénat a fait preuve d’esprit de responsabilité. Nous avons été à la hauteur des enjeux.
Bien évidemment, le groupe Les Républicains votera cette prorogation de l’état d’urgence. Nous sommes animés d’une double conviction.
Premièrement, je l’ai souvent souligné, le moment que nous traversons aujourd'hui est très différent de ceux que nous avons vécus au mois de janvier et au mois de novembre 2015. Les réponses, y compris celles qui sont prévues dans ce projet de loi, doivent être à la hauteur de l’exigence des Français à l’égard de leurs élus. Que les choses soient claires : nous souhaitions non pas un état d’urgence qui ait seulement pour fonction de rassurer les Français, mais aussi un état d’urgence efficace, qui ait pour fonction également de protéger nos concitoyens.
Deuxièmement, nous avons la certitude que l’ordre public, la sécurité publique n’est pas la sœur ennemie des libertés publiques ; ce sont au contraire deux sœurs siamoises. Sans ordre public, sans sécurité, il ne peut y avoir de liberté. S’il n’y a que l’autorité ou l’ordre sans la liberté, c’est la prison ; telle n’est pas notre conception de l’État de droit.
Nous ne sommes pas naïfs. Bien sûr, nous voterons ce texte ; bien sûr, nous attendons que la commission mixte paritaire approuve un certain nombre d’éléments. L’unité nationale n’est pas un préalable. Elle doit se construire, notamment dans l’écoute des propositions de l’opposition, de votre opposition, monsieur le ministre de l’intérieur. Nous savons très bien que la riposte n’est pas seulement le durcissement de notre arsenal juridique, judiciaire et pénal. Comme l’a très bien dit il y a quelques instants Dominique Estrosi Sassone, la riposte c’est aussi la riposte militaire et un réarmement moral, afin que demain la France et la République se dressent, et que l’esprit de résistance, qui a animé notre pays dans les heures les plus terribles de son histoire, puisse habiter chacune et chacun des Françaises et des Français ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.
M. Vincent Capo-Canellas. Nous avons entamé l’examen de ce texte avec une certaine gravité, en ressentant la difficulté qu’il y a, avec les armes de la démocratie, à lutter contre ceux qui veulent l’abattre et utilisent des méthodes totalitaires, au mépris de l’ensemble de nos valeurs, pour faucher la République.
Je salue la hauteur des débats. Le Sénat a joué son rôle. Il l’a fait sans quolibet, sans facilité et avec rigueur. Je veux remercier le rapporteur, le président de la commission des lois, le ministre de l’intérieur, ainsi que le Premier ministre, qui était tout à l’heure au banc du gouvernement. Si ce débat honore la démocratie parlementaire, il ne clôt pas évidemment le sujet. Nous mesurons que, face aux terroristes et au terrorisme, face à l’angoisse et à l’ampleur de l’attente de l’opinion publique, il nous faudra poursuivre le travail engagé ici.
Nous avons prorogé l’état d’urgence, nous en avons renforcé l’efficacité et nous avons introduit des dispositions qui seront utiles et pérennes, celles-ci, face au terrorisme. Le groupe UDI-UC saluera donc le travail du Sénat en le votant de manière unanime.
Nous mesurons, bien sûr, combien l’efficacité des services appellera, peut-être demain, des schémas opérationnels qu’il faudra renouveler. Tout n’est pas dans la loi. Nous sommes aux côtés de nos forces de l’ordre, nous avons bien évidemment une pensée émue pour les victimes. Nous savons que la force de la démocratie, c’est aussi le vote et la capacité de montrer que nous sommes rassemblés.
Nous souhaitons que le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire, si elle est conclusive ce soir, soit voté largement. C’est en tout cas le vœu que nous formons tous ensemble, autour des valeurs de la République, car il s’agit d’affirmer notre unité pour lutter contre le terrorisme ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Je serai rapide, car le groupe CRC a pu dire l’essentiel de ce qu’il pensait de ce projet de loi dans la discussion générale et lors de la défense de ses amendements.
Nous sommes tous effectivement conscients que la menace terroriste, qui produit des actes d’une extrême gravité, est toujours présente, et qu’elle le sera malheureusement pour encore quelque temps.
Pour autant, nous ne croyons pas que l’état d’urgence soit la réponse adaptée, encore moins sa prorogation pour une durée de six mois, d’autant que sont exclues de ce débat – je l’ai souligné dans mon intervention liminaire – les questions internationales, qui expliquent bien souvent la situation que nous vivons. Je plaide en faveur d’un réel débat sur la dimension internationale du sujet. Je le redis ici : cette prorogation est une solution de facilité, qui permet, en outre, d’éviter de répondre à des questions essentielles qui traversent notre société.
Je confirme donc notre opposition à ce texte.
M. le président. La parole est à M. Louis Nègre.
M. Louis Nègre. Je m’exprimerai en tant que sénateur des Alpes-Maritimes. Ce qui s’est passé chez nous, à Nice, vous l’avez tous souligné, et je vous remercie de votre solidarité, a été dramatique.
Bien sûr, nous voterons la prorogation de l’état d’urgence ; bien sûr, nous ne pouvons qu’être favorables à une réserve opérationnelle. Cependant, mes chers collègues, j’ai le sentiment, en discutant avec les Azuréens, que nous ne sommes pas à la hauteur de ce qui est en train de se produire. Massacre après massacre, écoutez ce que nous disent les Français.
Après les attentats contre Charlie Hebdo, ils étaient tous ensemble, main dans la main. Puis il y a eu l’attaque du Bataclan et aujourd'hui il y a Nice. Or Nice, vous l’avez constaté, c’est la révolte, c’est la colère sourde, profonde, du peuple !
Certes, je le dis au Gouvernement, il convient de prendre les mesures proposées au travers de ce texte, mais elles ne me paraissent pas suffisantes par rapport à la situation.
M. Jean Desessard. Ça s’arrête où ?
M. Louis Nègre. Qu’il s’agisse de Dominique Estrosi Sassone ou de notre président de groupe, Bruno Retailleau, nous appelons à quelque chose de plus grand, de plus large, de plus ambitieux : un réarmement moral. Il faudra aussi refaire un récit national et s’occuper de l’éducation. Si vous ne touchez qu’à une partie, vous n’arriverez pas à convaincre ni à gagner.
Nous avons des valeurs, nous devons en être fiers. Mais pour cela, encore faut-il les défendre ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai déjà eu l’occasion de le dire, je m’abstiendrai sur la prolongation de l’état d’urgence, et ce d’autant que la droite a rajouté toute une série de dispositions qui constituent encore de nouvelles mesures pénales. Ce n’est pas une bonne stratégie que de ressortir après chaque événement une boîte de toutes les mesures maintes fois débattues et rejetées, en essayant de nous faire croire qu’elles constitueront la solution à nos problèmes.
Je reste convaincue que le dispositif de droit issu des travaux approfondis du Parlement depuis maintenant plusieurs années – nous nous y sommes employés encore récemment – est suffisant pour nous armer face à la menace terroriste.
Ce qui est déterminant aujourd'hui, c’est de mettre les moyens. Ces moyens ont été dégagés notamment après les engagements du Président de la République devant le Congrès de Versailles. Il convient maintenant de les rendre lisibles, concrets, opérationnels sur le terrain. Chacun doit prendre aussi ses responsabilités pour l’avenir.
J’entends ici et là beaucoup de déclarations sur la suppression de postes dans la fonction publique. On y va même à tour de bras ! Or nous allons devoir créer des postes de policiers, dans la justice, en matière de soins et de prévention. Aussi, j’appelle à la cohérence !
J’entends sur toutes les travées de cette assemblée chacun s’exprimer en faveur de la cohésion nationale. Permettez-moi néanmoins de rappeler que les mots ont un sens idéologique. Parler de réarmement moral n’est pas une expression neutre. Nous n’avons pas besoin d’un réarmement moral : nous avons besoin d’un renforcement, d’un réarmement républicain !
Après ces tristes événements, nous avons assisté à un certain nombre de dérapages qui, sur le plan idéologique, « percutent » notre République. Certes, ils n’ont pour l’instant pas fait de morts, mais qu’en sera-t-il demain ?
Mme Isabelle Debré. Restez calme !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. En l’état actuel des choses, ce dont nous avons besoin, c’est d’une République active sur le terrain, forte sur ses principes, mais surtout qui dégage des moyens lisibles pour nos concitoyens. Ces derniers doivent savoir combien, où et comment nous mettons nos forces de police, de justice et de renseignement au service de leur sécurité.
Pour finir, je demande une loi de programmation de sécurité intérieure !
M. le président. La parole est à M. Marc Daunis.
M. Marc Daunis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’émotion a été intense. Des mots très justes ont été prononcés. Je n’en rajouterai pas, je les partage.
En tant qu’élus de la République, en tant que parlementaires, à l’évidence, nous ne pouvons pas, nous ne devons pas rester dans l’émotion. La dignité et le respect que nous devons avoir à l’égard de nos concitoyens nous commandent d’être capables de ne jamais céder à la démagogie. Nous avons pu ressentir une profonde blessure à la suite de propos irresponsables, qui forcément s’ajoute à la douleur et à l’incompréhension.
Monsieur le président, mes chers collègues, j’ai ressenti de la fierté pendant ce débat en constatant la manière dont nous avons abordé, à de rares exceptions près, des questions aussi importantes. Il importait que nous soyons à la hauteur dans la réponse à apporter.
J’ai en mémoire le message que vous m’avez transmis, monsieur le président. Je remercie donc mon groupe d’accepter de voter un projet de loi que nous n’approuvons pas totalement, malgré certains amendements.
Je suis persuadé que la commission mixte paritaire tracera la voie du rassemblement et de l’accord que j’appelle de mes vœux. L’image que nous avons donnée aujourd'hui honore la République et respecte les morts, ainsi que tous ceux qui se sont mobilisés pour porter secours. Merci, monsieur le président ! Merci, monsieur le ministre ! Merci, mes chers collègues ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble du projet de loi prorogeant l'application de la loi n° 55–385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste.
En application de l’article 60 du règlement, j’ai demandé, en ma qualité de président du Sénat, que ce vote ait lieu par scrutin public.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 442 :
Nombre de votants | 348 |
Nombre de suffrages exprimés | 336 |
Pour l’adoption | 310 |
Contre | 26 |
Le Sénat a adopté. (Mme Sophie Primas applaudit.)
Je souhaite remercier M. le Premier ministre, M. le ministre de l’intérieur, le président de la commission des lois et le rapporteur (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et du RDSE.), dont les propos ont été à l’honneur du Sénat, ainsi que l’ensemble des intervenants, quel qu’ait été leur point de vue, au cours du débat. L’image que notre assemblée a donnée correspond à celle que je me fais de la démocratie représentative. (Applaudissements sur les mêmes travées.)
Mme Isabelle Debré. Une belle dignité !
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Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 21 juillet 2016, à quinze heures :
Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et portant mesure de renforcement de la lutte antiterroriste ou nouvelle lecture (n° 809, 2015-2016) ;
Rapport de M. Michel Mercier, rapporteur pour le Sénat, fait au nom de la commission mixte paritaire (n° 808, 2015-2016).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures cinquante-cinq.)
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD