M. Philippe Dallier. Mais si ! (Non ! sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Richard Yung. À l’époque, le Sénat conservateur avait recouru à la question préalable pour rejeter le projet de budget du gouvernement de Pierre Bérégovoy.
Pourtant, le 28 septembre dernier, M. le président du Sénat avait déclaré : « Au Sénat, nous préparons l’alternance. C’est avec ce regard que nous allons examiner le projet de loi de finances. » Je l’avoue, je n’avais pas compris que cela signifiait que le budget ne serait pas examiné…
Le 26 octobre dernier, M. le rapporteur général de la commission des finances avait annoncé que, face à un « budget d’annonce » – il parlait évidemment du texte du Gouvernement, qu’il trouvait électoraliste, insincère, etc. –, la majorité sénatoriale présenterait un « budget d’alternance », affirmant que celle-ci avait toujours « pris ses responsabilités » jusqu’ici. Or nous n’avons vu aucun budget d’alternance, et, pour ce qui est de prendre vos responsabilités, vous repasserez !
M. Claude Bérit-Débat. C’est irresponsable !
M. Richard Yung. Refuser le débat budgétaire est une triple faute.
D’abord, c’est laisser l’Assemblée nationale décider seule, donc mettre à mal le bicamérisme. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Michel Berson. Très bien !
M. Richard Yung. Ensuite, c’est priver l’ensemble des sénateurs de leur droit d’amendement, qui est le cœur de leur métier. (Mêmes mouvements.)
Enfin, c’est rabaisser le Sénat, ce dont nous n’avons pas vraiment besoin dans le contexte actuel.
Un tel « abandon de poste », comme on dit dans la marine, démontre que vous n’avez pas de contre-proposition, pas de budget d’alternance.
M. Francis Delattre. Si, on va virer « lof pour lof », comme on dit dans la marine !
M. Richard Yung. Vous cherchez seulement à masquer des divergences que chacun d’entre nous peut constater dans les journaux ou pourra encore voir ce soir à la télévision. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.)
Le projet de loi de finances pour 2017 mérite que l’on s’y arrête. Pour preuve, la commission des finances, qui a bravement continué son travail, pourtant devenu sans objet, a adopté trente-six missions budgétaires, et en a rejeté seize. Elle a donc validé 70 % des dépenses. Vous aurez beaucoup de mal à démontrer que ce budget est insincère et mauvais !
Vos collègues de droite à l’Assemblée nationale, eux, ont fait leur travail, permettant l’adoption de plusieurs de leurs amendements ; ils ont montré que la discussion budgétaire pouvait être utile.
Je rappelle les grandes orientations du projet de loi de finances.
La première est le renforcement de la justice fiscale et sociale. Je mentionne le prélèvement à la source, qui a largement été évoqué, la quatrième baisse consécutive de l’impôt sur le revenu en faveur des ménages aux revenus moyens et modestes, et le crédit d’impôt de 50 % en faveur des services à la personne, qui bénéficiera d’abord aux retraités ; ce sont eux qui en ont le plus besoin.
La deuxième est l’amélioration de la compétitivité des entreprises. Je pourrais évoquer le passage progressif à 28 % du taux normal de l’impôt sur les sociétés – c’est le taux moyen européen – et à 15 % pour les PME, la hausse du CICE, la prorogation du dispositif de soutien aux jeunes entreprises innovantes et le suramortissement pour les PME ou la création d’un crédit d’impôt pour les associations, qui correspond à une attente forte.
La troisième est la maîtrise de la dépense publique, que vous avez l’air de mépriser. Elle se traduit d’abord par une baisse du montant total des dépenses, avec le maintien du financement des secteurs prioritaires que vous connaissez : 1,8 milliard d’euros supplémentaires pour le soutien à l’emploi ; 3 milliards d’euros supplémentaires pour l’éducation et 1,6 milliard d’euros supplémentaires pour la sécurité. Nos concitoyens comprennent très bien ce que cela signifie en termes de postes dans les hôpitaux et les écoles. Vous aurez beaucoup de mal à les convaincre du contraire.
L’an prochain, le déficit passera pour la première fois depuis 2008 sous la barre des 3 % du PIB. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.)
M. Alain Gournac et M. Vincent Delahaye. C’est faux !
M. Ladislas Poniatowski. C’est une blague !
M. Richard Yung. Mes chers collègues, me permettez-vous de continuer ?
M. Retailleau nous invite à faire des comparaisons ? Soit. La Commission européenne confirme elle-même ce que je viens de dire.
M. Francis Delattre. C’est normal ! C’est votre copain !
M. Richard Yung. Monsieur Delattre, savez-vous qui décide au sein de la Commission européenne ? Ce n’est pas un seul commissaire ; c’est le collège des vingt-sept commissaires ! Et nous n’y avons pas forcément que des amis politiques.
M. Didier Guillaume. Vous y avez plus d’amis politiques que nous, mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité !
M. Richard Yung. Votre objection ne tient donc pas, monsieur Delattre.
Le déficit public français se situera dans une fourchette comprise entre 2,7 % à 2,9 % du PIB. Nous verrons à ce moment-là.
M. Philippe Dallier. Oui, nous verrons bien ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Richard Yung. Nous avons une dizaine d’heures pour évoquer le présent projet de loi de finances : cinq heures aujourd’hui, et à peu près autant la semaine prochaine. Certes, la discussion risque d’être un peu vide. Vous voulez donner l’impression qu’il y a un débat, mais c’est comme l’Orangina…
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Vous voulez dire le Canada Dry ! Même sur ça, vous vous trompez !
M. Richard Yung. Le vote de la motion tendant à opposer la question préalable ne sera qu’un ersatz de vote de budget !
Chers collègues de la majorité sénatoriale, vous auriez pu profiter de l’occasion pour nous faire part de vos propositions sur les recettes, qu’il s’agisse de la réduction de l’impôt sur le revenu, de la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune, de la hausse de la TVA ; un ou deux points de TVA en plus, c’est tout de même entre 13 milliards d’euros et 15 milliards d’euros. D’ailleurs, j’ai le sentiment que vous n’êtes pas forcément au clair sur le sujet…
Vous auriez également pu nous indiquer où vous souhaitez supprimer 300 000 à 500 000 postes de fonctionnaires. Cela intéresserait certainement beaucoup nos concitoyens.
M. Francis Delattre. Ce n’est pas le débat !
M. Richard Yung. Mais, comme il n’y a pas de débat, nous ne saurons rien de vos propositions !
M. Francis Delattre. S’il n’y a pas de débat, c’est votre faute !
M. Michel Berson. Non ! C’est vous qui fuyez le débat !
M. Richard Yung. Idem sur les 100 milliards d’euros à 110 milliards d’euros de réduction du déficit public que vous promettez : comme vous ne voulez pas nous indiquer vos propositions concrètes, nous ne pouvons pas débattre. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC. – Brouhaha.) Mes chers collègues, puis-je m’exprimer ? Nous n’allons déjà pas voter le budget ; j’espère que nous avons encore le droit de parler dans cet hémicycle !
En 2007, François Fillon déclarait être à la tête d’un « État en faillite ».
M. Bruno Retailleau. C’est encore pire maintenant !
M. Richard Yung. Dix ans après, nous avons rétabli l’équilibre financier !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Mais non ! La situation s’est aggravée !
M. Richard Yung. Mais revenons aux 3 % de déficit public. Dans la perspective de l’adoption du traité budgétaire européen, vous n’avez eu de cesse de nous demander de graver dans le marbre de la Constitution – selon vos propres mots – la « règle d’or » !
M. Francis Delattre. Vous n’en avez pas voulu ! Vous disiez vouloir renégocier le traité ! Et qu’est-ce vous avez fait ? Rien !
M. Richard Yung. Aujourd’hui, je vois que certains seraient prêts à passer la règle des 3 % par pertes et profits ; on est à 4 %, à 4,5 % ou à 4,7 %...
Tout cela est à contretemps. Notre pays est malheureusement confronté à une situation compliquée. Je pourrais évoquer le Brexit, ce qui se passe aux États-Unis, les difficultés en Italie, et la liste est loin d’être exhaustive.
Ce n’est pas le moment d’affaiblir la France, chers collègues de la majorité : il faut lui donner un budget !
Avec un certain humour, vous avez qualifié le projet de loi de finances déposé par le Gouvernement de « maquillé comme une voiture volée ». Nous regrettons que vous n’ayez pas le courage de la repeindre, cette voiture,…
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Ce serait du recel !
M. Richard Yung. … et de permettre ainsi la victoire de son conducteur !
Au vu de tous ces éléments, vous aurez compris que le groupe socialiste et républicain ne votera pas la motion tendant à opposer la question préalable. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Aline Archimbaud applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission des affaires économiques.
M. Gérard César, vice-président de la commission des affaires économiques. Monsieur le secrétaire d'État, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, j’espère que le débat sur ce texte va se calmer…
M. Jean-Pierre Raffarin. Ce serait sage !
M. Gérard César, vice-président de la commission des affaires économiques. La politique budgétaire est en principe un instrument de la politique économique. C’est pourquoi la commission des affaires économiques s’intéresse aux crédits des secteurs qui relèvent de sa compétence et, d’une manière générale, à la vie économique de notre pays, en métropole comme outre-mer.
Je le dis d'emblée, nous partageons l’analyse de la commission des finances : ce projet de loi de finances préélectoral ne correspond pas à la réalité. Il y a donc lieu de le sanctionner.
Pour autant, ce n’est pas parce que le débat pourrait s'arrêter dès la semaine prochaine en séance publique qu’il n'y a pas lieu d’examiner les crédits des programmes en commission.
Pour notre part, à la commission des affaires économiques, nous le faisons. Cela nous donne l’occasion d'auditionner les ministres sur la politique qu’ils mènent dans leurs secteurs respectifs. Nous avons des débats fort intéressants grâce au travail de nos rapporteurs pour avis.
Lorsque certains nous disent qu’il est inutile de poursuivre le travail en commission parce que la commission des finances a déposé une motion tendant à opposer la question préalable, nous répondons qu’il nous faut former notre propre jugement : c'est l’examen détaillé en commission qui fonde le débat en séance publique. C'est donc bien plutôt l’absence de travail en commission qui pourrait nous être reprochée !
Mes chers collègues, l'économie française est en piteux état, et c’est en grande partie dû à la très mauvaise politique budgétaire menée depuis bientôt cinq ans.
Un véritable choc fiscal a marqué les trois premières années du quinquennat. Les entreprises ont été saisies de tétanie : même lorsqu'elles en avaient besoin, elles évitaient de recruter, par crainte de ce que le Gouvernement allait décider.
Cette mandature devait être marquée par le « redressement productif ». Or l'emploi industriel a continué de diminuer et les usines de fermer. C'est une préoccupation très forte de la commission des affaires économiques.
Nous croyons qu’il est possible de produire en France. Nous en avons des exemples dans l’aéronautique, dans le spatial, dans l’automobile, dans la construction navale. La révolution numérique crée aussi des occasions de développement pour l'industrie.
Mais l’État et les autres administrations publiques souffrent de dépenses de transferts sociaux trop importantes. Ils ne peuvent plus financer l’équipement du pays, comme l’a montré la triste affaire de l’usine Alstom de Belfort, qui a requis l’accélération d'une commande de 15 rames TGV par l’État.
Le Gouvernement aggrave encore les choses, avec la purge qu’il fait subir aux collectivités territoriales, alors même qu’il abandonne l'objectif d’économies de 19 milliards d’euros initialement prévu pour l’État.
L'investissement des collectivités territoriales s'est effondré, ce qui n’a pu qu’aggraver la crise économique, les collectivités réalisant près des trois quarts de l'investissement public.
Le pacte de responsabilité et le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi sont des dispositifs utiles, mais ils sont intervenus trop tard et ils sont surtout trop compliqués. Il vaudrait mieux les remplacer par des allégements directs de charges sociales.
Le résultat de tout cela est que la croissance reste poussive. Le chômage s’est certes stabilisé ces derniers temps, mais il reste à un niveau très élevé et la croissance est beaucoup trop faible pour qu’il puisse diminuer significativement.
L’économie américaine est peut-être déjà en fin de cycle de croissance après la crise de 2008, alors que l’économie française n’a pas encore commencé de s’en remettre. Nos partenaires européens se portent mieux que nous. Des pays comme l’Allemagne, le Royaume-Uni ou l’Autriche sont quasiment au plein-emploi. L’Italie, l’Espagne ou l’Irlande, qui avaient davantage souffert de la crise que la France, ont vu leurs finances publiques se rétablir plus vite et leur chômage commencer à diminuer beaucoup plus tôt.
Alors que la précédente mandature avait connu deux chocs terribles, la crise des subprimes et la crise des dettes publiques, l'actuel quinquennat, à l'inverse, a vu s’améliorer trois facteurs externes très importants : une forte baisse des taux d’intérêt, qui touche peut-être à sa fin ; une très forte baisse des prix de l’énergie, du pétrole en particulier ; un rééquilibrage favorable de la parité entre l’euro et le dollar. Le Gouvernement n’a pas su en faire profiter la France, contrairement à nos partenaires.
Je ne vais pas entrer dans le détail des travaux de la commission des affaires économiques, je n’en ai pas le temps, mais je souhaiterais illustrer mon propos de quelques exemples pris parmi les crédits qu’elle suit.
Je représente aujourd'hui son président, Jean-Claude Lenoir, qui ne peut malheureusement être présent, mais je suis aussi rapporteur pour avis de la mission « Agriculture, pêche, alimentation, forêt et affaires rurales », sur les crédits de laquelle nous avons émis un avis défavorable.
Mon premier exemple concerne les crises agricoles, qui se sont malheureusement multipliées ces dernières années. Le Gouvernement a prévu 4,8 millions d’euros sur ce poste en 2017. Or la dépense atteindra plus de 150 millions d'euros en 2016.
À chaque crise, il est nécessaire d’aller solliciter des crédits par redéploiements budgétaires ou ouvertures de crédits en projet de loi de finances rectificative.
Ainsi, on attend pour 2016 l’ouverture de crédits à hauteur de 157 millions d’euros sur le fonds d’allégement des charges, le FAC, mobilisé dans le cadre du pacte de consolidation et de refinancement des entreprises agricoles.
On attend aussi des crédits pour compenser les pertes de recettes locales liées aux mesures de dégrèvement de taxe foncière sur les propriétés non bâties.
Le second exemple que je voudrais donner porte sur les crédits de l’énergie, grâce aux travaux de Bruno Sido et d’Alain Chatillon et à l’apport essentiel de Ladislas Poniatowski.
Le programme « Énergie, climat et après-mines » est en effet marqué par au moins deux défauts majeurs.
Le premier, une absence de compensation de la hausse de la taxe carbone, qui est contraire à la loi et qui occasionnera des prélèvements supplémentaires sur les consommateurs d'énergie. Selon les hypothèses de rendement de la taxe carbone retenues, ce sont entre 196 millions d'euros et 440 millions d'euros de prélèvements supplémentaires qui pèseront sur les consommateurs en 2017.
Le deuxième, des instruments de financement de la transition énergétique qui sont bien en deçà des besoins, ou même des annonces initiales du Gouvernement.
Le prix plancher du carbone pour la production électrique nationale, limité ensuite aux seules centrales à charbon, a été finalement abandonné.
La programmation pluriannuelle de l’énergie ne dit rien sur la façon dont la part du nucléaire dans la production électrique sera réduite à 50 % en moins de dix ans. Cela ne nous étonne pas : nous avons toujours dénoncé le caractère à la fois irréaliste et nuisible pour l'économie française de cet objectif.
Il va falloir aussi financer la refondation de la filière électronucléaire.
Pour AREVA, d’abord : le plan de financement de cette opération prévoit des augmentations de capital pour un total de 5 milliards d'euros, dont 2 milliards iront à AREVA SA, chargé des actifs douteux, et 3 milliards au nouvel AREVA, chargé du cycle du combustible. L'État y souscrira pour un montant compris entre 4 milliards et 4,5 milliards d'euros.
Pour EDF, ensuite : l’État, actionnaire à 85 %, a fait le choix de renforcer les capitaux propres de l’entreprise. Tout d’abord en acceptant de percevoir ses dividendes en actions plutôt qu’en numéraire ; ensuite en indiquant qu’il souscrira à hauteur de 3 milliards d’euros à l’augmentation de capital de 4 milliards d’euros prévue prochainement.
Au total, la recapitalisation de la filière va donc absorber entre 7 milliards et 7,5 milliards d’euros d’investissement de la part de l’État.
Or les crédits du compte d’affectation spéciale prévu à cette fin ne comptent que 6,5 milliards d’euros. C'est insuffisant, et c’est sans compter sur l'achat de titres Alstom, pour 1 milliard d'euros supplémentaires. Le compte d’affectation spéciale pourrait ainsi connaître une impasse de 2 milliards d'euros.
Il ne s’agit là que de quelques exemples des impasses que recèle ce budget, bien plus nombreuses encore que celles qui ont été relevées par M. le rapporteur général.
Elles justifient à nos yeux le rejet du présent projet de loi de finances. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. Jean Bizet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, Daech, Brexit, Trump : trois ruptures stratégiques qui nous propulsent dans une ère d’instabilité. Tous les repères de « l’ordre international » prévalant depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale semblent aujourd’hui vaciller dans un grand désordre.
À l’heure de l’émergence des États-continents – la Chine, l’Inde, l’Iran –, à l’heure de l’émergence africaine, à l’heure de la montée du terrorisme islamiste radical, qui ravage le Moyen-Orient et menace le Maghreb, à l’heure de la remise en cause des libertés en Turquie, à l’heure du retour de la force en Russie, voici que notre projet européen est menacé dans sa dynamique et dans son essence ; voici que notre alliance la plus étroite, l’alliance transatlantique, semble fragilisée.
Nous qui observons la vie politique depuis un certain temps, avons-nous vu une situation internationale aussi dégradée que celle que je viens de décrire ? Je ne le crois pas.
Dans ce contexte, les crédits budgétaires des missions « Action extérieure de l’État », « Aide publique au développement » et « Défense » sont bien plus que des lignes de crédits. Ce sont les deux faces d'une même politique, celle qui vise à apporter de la stabilité à un monde agité, mais aussi de la sécurité et du développement.
Ces sujets sont connectés, bien sûr. Il n'y a pas de développement sans sécurité, chacun le sait. Mais il n’y a pas non plus de sécurité sans développement. La solution aux crises n’est pas que militaire, elle est forcément aussi politique, diplomatique. Nous voyons combien il est difficile de construire des stratégies économiques et sociales durables, qui prolongent l’action militaire.
Nous avons l’expérience d’interventions militaires qui ont débouché sur l’amplification des crises plutôt que sur leur résolution.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a donc été particulièrement attentive à chaque ligne de crédits.
Je me contenterai ici de vous livrer les principales observations de nos rapporteurs budgétaires pour avis.
Sur la mission « Action extérieure de l’État », le modèle de gestion immobilière mise en œuvre par le ministère des affaires étrangères fait dépendre l’entretien normal des bâtiments des recettes exceptionnelles de cessions d'immeubles. Ce modèle économique non vertueux est en voie d'essoufflement, car les ventes faciles ont déjà été réalisées.
De plus, les crédits du compte d'affectation spéciale, réceptacle des recettes des ventes à l'étranger, ne sont mis à disposition, sous plafond, qu’à partir du mois de mai. Je reconnais bien là la malice de Bercy, en tête du hit-parade en la matière, car cette manœuvre est en réalité une sorte d’entrave au pilotage des crédits par le ministère.
La vision stratégique, sur ce plan, fait donc cruellement défaut.
Les crédits de la mission « Aide publique au développement » augmentent et l’Agence française de développement, l’AFD, est recapitalisée pour augmenter ses prêts. C’est un point positif, nous le reconnaissons bien volontiers.
Nous souhaitons que ces crédits permettent de créer une facilité de prévention et de gestion des crises, dotée d’au moins 100 millions d'euros. Ce serait le complément indispensable aux efforts militaires que nous avons menés récemment, au Sahel par exemple, contre les djihadistes. Ces efforts seront ruinés dans dix ans si ces pays se trouvent toujours dans une situation d’extrême fragilité.
Le militaire ne peut être traité sans le développement, car c’est le développement qui, à terme, chasse la guerre.
Les crédits de la diplomatie culturelle et d’influence reculent encore en 2017, hors sécurisation des réseaux.
Nous ne pouvons y être favorables. Le contexte actuel est celui d’une compétition mondiale des valeurs. Les démocraties veulent-elles défendre les leurs ?
À l’échelle internationale, nous le voyons, les régimes autoritaires deviennent majoritaires. Même les démocraties, celle des États-Unis par exemple, sont tentées par ce modèle.
Nous avons un combat de valeurs à mener, un combat culturel et d’influence.
Nous disposons pour cela de leviers historiques uniques au monde : les réseaux de l’enseignement français à l'étranger et l’action culturelle.
J’en viens à la mission « Défense ». L'actualisation de la programmation militaire en juillet 2015 a marqué un début de retournement de tendance, que nous avons soutenu de manière très forte.
Mais cet effort a été rapidement affecté par la dégradation du contexte sécuritaire et l'intensification de l'engagement opérationnel de nos armées, sur le territoire national – avec l’opération Sentinelle – comme sur les théâtres extérieurs, en particulier au Levant.
Les décisions arrêtées en conseil de défense le 6 avril 2016 auraient dû conduire à actualiser l'actualisation.
Or j’ai l’impression – c’est la remarque, monsieur le secrétaire d'État, d’un observateur attentif – qu’il y a comme un problème entre le conseil de défense et Bercy : tout se passe comme si la ligne hiérarchique n’était pas toujours respectée.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Vous n’y étiez pas, me semble-t-il, monsieur le président de la commission. Je le sais, j’y étais.
M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères. Il se trouve que j’ai assisté à des conseils de défense.
M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères. J’ai pu y constater que Bercy n’appliquait pas toujours les décisions prises.
Je vous rappelle d’ailleurs que la commission des affaires étrangères du Sénat a même dû faire un contrôle sur pièces et sur place pour s’assurer du respect des décisions prises en conseil de défense.
M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères. Depuis, les choses ont évolué dans le bon sens.
M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères. Une nouvelle trajectoire de dépenses a été tracée dans un rapport remis au Parlement par le Gouvernement, le mois dernier, pour la période 2017–2019. Cela va dans la bonne direction, mais les ressources correspondantes ne sont définies que pour 2017 !
Nous avons quatre séries d'inquiétudes pour l’avenir.
Première préoccupation : la solidité de la prévision de recettes pour l'année prochaine.
L'augmentation – 600 millions d'euros de plus qu'en 2016 et 420 millions d'euros de mieux que la prévision actualisée de 2015 – repose sur 200 millions d'euros de cessions immobilières très incertaines. Je passe sur la discussion à Paris, sur la décote Duflot, ou encore sur les fameuses économies dites de « coût des facteurs », qui représentent plus de 200 millions d'euros.
Trop d'incertitudes, monsieur le secrétaire d'État, pour des missions régaliennes !
Deuxième préoccupation : les crédits 2017 sont insuffisants. Ils ne permettront pas de sortir les armées de la surchauffe. C'est vrai pour l'entretien programmé du matériel, avec la suractivité en opérations extérieures, et l'érosion de notre capital opérationnel.
Des difficultés se posent aussi en matière de capital humain. La nécessaire remontée de la préparation opérationnelle sera lente et difficile. Avec plus de 30 000 militaires actuellement déployés sur notre sol et à l'étranger, les capacités des contrats opérationnels, aujourd'hui largement dépassées, devront être revues.
Troisième préoccupation : la fin de la gestion 2016.
Deux milliards d'euros de crédits sont encore gelés, dont 1,8 milliard d’euros d'équipement des forces, soit 18 % des crédits de la Direction générale de l'armement, la DGA, laquelle est en cessation de paiement depuis le 12 octobre dernier.
M. Ladislas Poniatowski. Stupéfiant !
M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères. C’est la cause d’une grande fragilité pour notre pays, un pays pourtant en guerre.
Comme chaque année, il faudra couvrir les surcoûts nets d'opérations extérieures et intérieures, soit au total 830 millions d'euros.
À ce stade, je le reconnais, monsieur le secrétaire d'État, le projet de collectif budgétaire déposé la semaine dernière ouvre bien les crédits. Nous souhaitons l’exécution de ces engagements.
Dernière préoccupation : les années 2018 et 2019, pour lesquelles les ressources de la défense, aujourd'hui, ne sont pas sécurisées. C’est une véritable impasse de financement, que le Gouvernement lui-même a chiffré à 1 milliard d'euros pour 2018 et à 1,2 milliard d’euros pour 2019. Ceux qui auront à gouverner le pays à compter de mai prochain auront donc un certain nombre de responsabilités à assumer en la matière…
Un dernier mot, mes chers collègues, sur les ventes d’armes de notre pays. Puisque nous débattons du budget, il convient de parler également des recettes.
Je le dis pour avoir bien observé les choses, je trouve l’action du ministre de la défense salutaire. Qu’il s’agisse des ventes de sous-marins à l’Australie, de Rafale à l’Inde ou à l’Égypte, je suis fier de constater que notre industrie de défense devient une industrie phare.
Mais il ne faudrait pas se tromper d’analyse. Cette situation révèle que le monde repart dans la course aux armements, qu’il devient très dangereux.
Si les Australiens achètent nos sous-marins, c’est que la situation en mer de Chine les inquiète, voire leur fait peur.
Si les Égyptiens achètent des Rafale, ce n’est certainement pas parce que le contexte dans lequel ils évoluent est paisible et serein.
Nous devons mesurer la gravité de la situation du monde.
J’ai assisté ce matin à la remise des prix de la Fondation Chirac. Jacques Chirac disait toujours que l’esprit de la paix devait toujours prévaloir sur les facteurs de guerre.
Or aujourd'hui, partout dans le monde, ce sont les facteurs de guerre qui se développent. Même notre vocabulaire devient guerrier : « guerre des religions », « guerre des monnaies », « guerre des civilisations ».
Prenons conscience de ce qu’était la politique étrangère de la France : une stratégie d’indépendance nationale, qui consistait à parler avec tout le monde – les Américains, les Russes, les Chinois – pour faire prévaloir la paix.
Ce doit être notre objectif. Dans ce monde très dangereux, au-delà de nos discussions budgétaires, la France doit mettre toute sa force pour toujours proposer la paix.
La guerre nous menace : faisons les efforts nécessaires pour notre défense ;…