Mme la présidente. Il faut conclure !
M. Daniel Dubois. J’ai presque terminé, madame la présidente.
En matière d’installations classées, nous souhaitons un alignement strict sur les exigences européennes et un raccourcissement des délais d’instruction des dossiers pour ne pas bloquer les initiatives.
Il convient aussi de faire évoluer les règles en matière d’utilisation de l’eau pour faciliter la réalisation de retenues collinaires.
Enfin, je rappelle une règle que nous avions adoptée dans le cadre de la proposition de loi Lenoir en faveur de la compétitivité de l’agriculture,…
M. Jean-Claude Lenoir. Excellente loi ! (Sourires.)
M. Daniel Dubois. … qui constitue une ligne de conduite vertueuse : toute nouvelle norme en agriculture devrait être gagée par la suppression d’une autre norme, pour ne pas accroître la pression sur les agriculteurs.
Pour conclure, je dirai que notre proposition de résolution me paraît assez consensuelle. D’ailleurs, elle a été cosignée par les membres de plusieurs groupes par-delà les clivages partisans. Ma question est donc simple : quand allons-nous répondre à cette demande pressante de simplification de nos agriculteurs, qui ont un besoin urgent de signes pour reprendre confiance dans les politiques ? (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je fais partie, au même titre que mon collègue socialiste Franck Montaugé, des signataires de cette proposition de résolution de MM. Bailly et Dubois. Pourquoi cette posture ?
En dépit de l’exposé des motifs, auquel je ne peux adhérer du fait du chantier de simplification inédit mis en place par le Gouvernement depuis cinq ans, j’ai cosigné ce texte, car notre agriculture mérite de dépasser les clivages idéologiques. Notre objectif est commun : être innovant et audacieux pour trouver des solutions de sauvegarde des filières.
Aujourd’hui, face à cette proposition de résolution, je me dois d’être honnête et logique avec mes convictions en partageant le constat général de ce texte : la question de la norme, de sa faisabilité, de son acceptabilité, de son utilité, est centrale pour le monde agricole. Comme le rappelle notre collègue Odette Herviaux dans son excellent et instructif rapport consacré au sujet, dans l’exercice de son métier, l’agriculteur doit respecter le droit et composer avec lui dans plusieurs domaines : travail, sécurité sanitaire, composition, présence de résidus, étiquetage, environnement, protection de la santé, droit économique…
Les normes sont européennes et nationales, législatives ou réglementaires. Quelle complexité pour celui qui est non un professionnel du droit, mais un travailleur de la terre ! Il est ainsi évalué que les exploitants consacrent plus de 15 % de leur temps à la gestion des tâches administratives. Et le temps, c’est de l’argent ! Je peux témoigner ici devant vous : le viticulteur que je suis resté se débat régulièrement avec la superposition des procédures, formulaires et autres.
Je vais vous relater une anecdote consternante qui vous fera sourire, j’en suis sûr. Elle concerne le dernier courrier que j’ai reçu émanant de la Mutualité sociale agricole : il s’agit d’un rappel de cotisation pour 0,01 centime. Il aura coûté deux timbres à 0,80 centime, soit 1,60 euro, c’est-à-dire 160 fois le montant du rappel de cotisation ! Où est l’humanisme ?
Répondre aux attentes sociétales en matière de protection de la nature, de règles sanitaires n’est évidemment pas que négatif. La mise en place de normes dans l’agriculture française a largement contribué à son essor. Elle a permis à notre agriculture d’atteindre un niveau de compétitivité élevé, reconnu en France et par-delà nos frontières, et de faire émerger des filières de production de qualité.
Il s’agit donc de ne pas caricaturer cette évolution. Mais l’inflation normative peut aussi se révéler, comme le rappelle le texte de la proposition de résolution, un vrai « frein à la compétitivité des exploitations, dans un environnement économique marqué par la disparition des outils publics de régulation des marchés agricoles ». Quelles sont les difficultés rencontrées par la filière agricole vis-à-vis de l’inflation normative ?
C’est tout d’abord celle de l’adéquation de la norme au terrain, la faisabilité. Sur ce sujet, les points d’achoppement avec les exploitants sont nombreux. La complexité de leur application résulte d’ailleurs parfois de la volonté de produire des dispositifs sur mesure. Toutefois, les cas sont aussi nombreux où la complexité apparaît gratuite et constitue un frein à l’initiative. Et là est notre problème !
Un premier exemple : les mutuelles obligatoires dans le cadre des contrats saisonniers. L’application de cette règle à tous les salariés, sans discrimination d’ancienneté, pose de nombreuses difficultés, notamment de gestion pour l’employeur. Quant aux délais de traitement des dossiers par les organismes assureurs, le salarié reçoit souvent ses documents alors qu’il a déjà quitté l’entreprise.
Un deuxième exemple : les procédures d’installation des jeunes agriculteurs demeurent complexes et freinent ce pour quoi elles ont été créées.
En somme, les exemples ne manquent pas, et nous devons être solidaires d’une vigilance commune.
La faisabilité est aussi liée à la question de la complexité. Les agriculteurs sont confrontés à une montagne de normes qui s’enchevêtrent et deviennent incompréhensibles.
Des chantiers de simplification importants ont été mis en œuvre. La mission menée par Odette Herviaux en rappelle quelques-uns : l’expérimentation de l’autorisation environnementale unique, la réduction des délais de recours contre les installations classées pour la protection de l’environnement, ou ICPE, dans le domaine de l’élevage, de un an à quatre mois, ou encore l’allégement des prescriptions techniques des arrêtés ICPE élevage.
Je citerai un autre exemple : la réforme de l’évaluation environnementale, en août dernier, qui a fortement réduit le nombre de projets soumis à évaluation environnementale systématique.
Là réside le paradoxe bien connu de la simplification : elle est méconnue des agriculteurs eux-mêmes, en raison de l’instabilité presque chronique de la norme. Ainsi, la simplification même devient source de complexité.
Il faut souligner le contraste entre la réalité des normes et la façon dont elles sont ressenties et accueillies par leurs destinataires : les exemples d’incohérence sont très mal vécus. Le nombre de ces incohérences demeure pourtant, en réalité, limité, et elles sont sûrement amplifiées par les crises qu’a connues l’agriculture ces dernières années.
Ce constat frappant me conduit à un dernier point, qui me paraît essentiel.
La question posée est aussi celle de l’acceptabilité de la norme. Les pouvoirs publics doivent faire preuve de pédagogie. Leur rôle est évidemment celui du contrôle de la mise en œuvre de la norme, mais il faut également savoir agir en amont pour désamorcer les incompréhensions, grenades qui, une fois dégoupillées, minent irrémédiablement le dialogue.
J’aime faire référence au formidable travail des douanes, notamment dans le secteur de la viticulture. Les rencontres entre la filière et les services, les explications, la compréhension des obligations de chacun, ont généré une relation apaisée basée sur la confiance et sur un rapport « gagnant-gagnant » qui a inversé l’imagerie ancienne. Rappelons-nous, les douanes disaient : les viticulteurs truandent ; eux disaient : les douanes nous assassinent !
Sur ce point, la création du Comité de rénovation des normes en agriculture, ou CORENA, instance consultative bipartite entre la profession et les pouvoirs publics, constitue une avancée certaine.
En parallèle des études d’impact évaluant le poids des normes nouvelles et existantes, études qui sont nécessaires, il faut développer les expérimentations.
Je ne veux même pas aborder la question de la PAC et les procédures de déclaration de surface, qui demandent le comptage des arbres sur nos exploitations. Il faut rappeler toutefois qu’aucune surtransposition n’a eu lieu depuis 2012. Partant de ce constat, c’est bien au niveau européen qu’il faut agir en priorité.
Nous le savons, il n’est pas simple de simplifier, mais il est nécessaire de partager ce souhait pour y parvenir. Vous comprendrez aisément que, en tant que signataire, je voterai en faveur de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain. – MM. Gérard Bailly et Daniel Dubois applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir.
M. Jean-Claude Lenoir. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat intéressant fait suite aux initiatives prises par le groupe de travail sur les normes agricoles constitué au sein de la commission des affaires économiques.
Il n’est pas besoin de rappeler ici le poids que représentent les normes. À la veille de la discussion du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, les états généraux organisés par la profession avaient démontré à quel point elles étaient pénalisantes pour l’activité des agriculteurs. Nous avions également mesuré, à travers les travaux que nous avions menés au sein de notre commission, que les agriculteurs en avaient ras-le-bol, disons-le, des normes excessives.
M. Rémy Pointereau. Absolument !
M. Charles Revet. Et c’est peu dire !
M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le ministre, vous qui êtes un élu de la Sarthe – département dont on sait qu’il est la caisse de résonance de l’opinion partagée par le plus grand nombre en France (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.) –, vous êtes, comme nous, confronté à ce que pensent les agriculteurs dans nos départements. Vous les avez donc entendus dire qu’ils ne pouvaient plus supporter qu’il y ait autant de normes.
Voilà pourquoi nous avons créé, en 2015, un groupe de travail présidé par Gérard Bailly, que je voudrais remercier, ainsi que Daniel Dubois, pour le travail mené au sein de ce groupe pluraliste, où les opinions exprimées sont le reflet des formations politiques qui siègent dans cette assemblée.
Les normes dans le domaine de l’environnement et des pratiques agricoles sont là pour éviter les abus et les excès. C’est du moins la justification avancée. Or les agriculteurs les considèrent, à juste titre, comme pénalisantes. En effet, ils sont, plus que d’autres, soucieux de la protection de l’environnement.
M. Charles Revet. Bien sûr !
M. Jean-Claude Lenoir. Ils le démontrent par leurs pratiques. En outre, les techniques agricoles ont été améliorées. Une technologie aujourd’hui très développée permet, par exemple, un ciblage très précis de l’épandage de produits phytopharmaceutiques. Dès lors, les normes sont-elles toujours aussi nécessaires ?
Nous en avons établi un bilan, à la veille de la discussion d’une proposition de loi dont j’étais le premier signataire, et qui a été rappelée tout à l’heure. Nous avions notamment souligné, pour ce qui concerne les installations classées, qu’il était absolument nécessaire d’aligner les seuils sur la législation européenne, ou bien encore que le contenu des études d’impact devait être le même que celui qui est demandé par l’Union européenne. On entend souvent l’opinion, fondée, que nous allons au-delà de ce que nous demande l’Europe.
Nous proposions aussi une disposition, certes symbolique, consistant à prescrire qu’une norme doit en chasser une autre. Nous entendions institutionnaliser cette surveillance des normes par une instance nationale similaire au Conseil national d’évaluation des normes, présidé par Alain Lambert.
Bref, il faut enrayer ce processus qui est mal vécu par les agriculteurs et donner des signaux ; il faut démontrer que les agriculteurs sont capables d’assumer leurs responsabilités dans leur domaine, notamment pour ce qui concerne la protection de leur environnement. Un excès de normes tue les normes ; un excès de normes tue la responsabilité. Faisons confiance à la responsabilité des agriculteurs ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que certaines travées de l’UDI-UC. – M. Alain Bertrand applaudit également.)
M. Rémy Pointereau. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Le Scouarnec.
M. Michel Le Scouarnec. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de résolution fait suite à la présentation en commission des affaires économiques, en juin dernier, du rapport Normes agricoles : retrouver le chemin du bon sens.
Le thème de la prolifération normative et de la nécessité d’une simplification n’est pas propre à l’agriculture, mais il est souvent utilisé, tant cette prolifération est impopulaire et rejetée par une partie des producteurs, qui expriment souvent un certain ras-le-bol. Il est vrai que les contraintes sanitaires et environnementales en matière agricole, ainsi que l’exigence de transparence des consommateurs, ont conduit à une multiplication normative ces vingt dernières années, sans compter l’inflation réglementaire européenne. Cela est une réalité que nous ne pouvons nier. Il est toutefois essentiel de rappeler que les normes sont là pour protéger l’agriculteur comme le consommateur et qu’elles participent de la valorisation des produits, avec AOP, AOC et autres labels.
Par ailleurs, comment ne pas voir le lien entre les normes et les profits exorbitants des multinationales, qui poussent à la consommation ? C’est aussi une réalité.
De fait, les causes de la crise structurelle que traverse notre agriculture ont été largement identifiées, mais les gouvernements successifs ne veulent ni en prendre acte ni affronter Bruxelles, qui impose sa politique libérale, loin de nos territoires qui subissent sans pouvoir se faire entendre.
À titre d’exemple, comment expliquer que la France ne revienne pas sur une disposition de la loi de modernisation de l’économie, la liberté de négociation des prix entre les centrales d’achat des grandes surfaces et leurs fournisseurs, dont les effets pervers ont été reconnus par tous, plutôt que de légiférer pour en encadrer les effets, voire pour tenter de les minimiser ? De même, la PAC devrait permettre d’aider prioritairement les petits et moyens agriculteurs avant qu’il ne soit trop tard. Vous savez bien, mes chers collègues, qu’on perd beaucoup d’agriculteurs tous les ans.
Le terme « simplification » masque trop souvent un recul des protections. À cet égard, les propos tenus par Daniel Dubois sont assez éclairants : « le fardeau des normes a un impact sur la compétitivité difficile à mesurer globalement, mais certainement non négligeable à l’échelle des exploitations et plus largement des filières agricoles et alimentaires, conduisant à un affaiblissement général de la “ferme France” ». Pour autant, aucun chiffre, aucune étude ne viennent étayer ce constat.
Un autre point est mis en avant dans la présente proposition de résolution : la nécessité de raccourcir les délais de traitement administratif des différentes procédures appliquées aux agriculteurs. Nous souscrivons à cet objectif, mais, là encore, il faut chercher les causes de ces délais trop longs : peut-être la réduction des personnels et des administrations déconcentrées chargés du traitement des dossiers en fait-elle partie.
Enfin, le diable se cache dans les détails. Sous couvert de bon sens, cette proposition de résolution, dans son exposé des motifs, remet en cause le principe de précaution, qui, à l’en croire, « conduit désormais à observer avec suspicion les développements de nouvelles activités et pratiques agricoles, ou encore la création ou l’agrandissement d’installations classées en élevage ». Cela n’est pas acceptable, d’autant que de nombreux agriculteurs mobilisés contre le TAFTA ont souligné les risques de concurrence déloyale et de remise en cause de nos labels « qualité » du fait de l’affaiblissement potentiel de notre système de sécurité sanitaire et alimentaire.
On peut critiquer tout autant le souhait, exprimé dans cette proposition de résolution, de faciliter la mise en place de retenues collinaires au lieu d’adapter plus judicieusement le choix des cultures en fonction de la nature du sol et du climat.
Nous ne nions pas qu’aujourd’hui – mais cela était aussi vrai hier – l’activité agricole se double d’une activité de production d’informations et que cela pèse sur le métier d’agriculteur. Il ne faudrait néanmoins pas oublier que les réglementations liées à l’environnement et à la sécurité alimentaire visent à réduire les impacts de l’agriculture sur l’eau, la biodiversité ou le bien-être animal, ainsi qu’à assurer la traçabilité tout au long de la chaîne agroalimentaire, traçabilité très demandée à la fois par les producteurs et les consommateurs. On peut citer, par exemple, la réglementation des installations classées pour la protection de l’environnement, la directive Nitrates pour la protection des eaux, le plan Écophyto 2018 établi pour diminuer l’usage de produits phytosanitaires, ou encore le carnet sanitaire affilié à chaque animal.
Voilà pourquoi nous estimons qu’il faudrait surtout soutenir un moratoire. En effet, ce qui décourage le monde agricole, c’est surtout l’insécurité juridique provoquée par un changement constant du droit positif. Il aurait été judicieux de proposer, par cette proposition de résolution, une pause législative et réglementaire, afin de permettre aux acteurs de se saisir de nouveaux outils, mais aussi pour intégrer les nouvelles contraintes auxquelles ils sont subordonnés. Selon nous, c’est cette démarche qu’il faut soutenir, pour donner un sens aux normes sans pour autant prendre le moindre risque sanitaire et environnemental.
Notre société française tout entière regarde avec plus d’acuité les questions de santé et de protection de la biodiversité. Tous les leviers doivent être actionnés pour atteindre une meilleure protection des exploitants agricoles eux-mêmes, de leurs ouvriers agricoles, des riverains, des cours d’eau et de la biodiversité : on peut notamment citer l’amélioration du matériel d’épandage, le recours à des produits de substitution et des changements de pratiques.
Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe CRC ne s’opposera pas à cette proposition de résolution, mais s’abstiendra, malgré plusieurs aspects justes et positifs de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Bertrand.
M. Alain Bertrand. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, lorsqu’elle est trop tatillonne ou déconnectée des réalités locales, l’application des normes à l’agriculture est une véritable source de difficultés pour les exploitants.
Lors du débat récemment tenu, sur l’initiative de notre groupe, sur l’avenir de la filière élevage, vous avez, monsieur le ministre, évoqué le « handicap » que constitue l’inflation des normes. Cette « overdose normative », comme l’ont qualifiée les auteurs du rapport d’information sur les normes agricoles, s’est accrue de façon considérable avec le développement d’exigences croissantes en matière sanitaire et environnementale.
Bien entendu, ce n’est pas le principe des règles qui est contesté. Celles-ci se sont d’ailleurs révélées indispensables par le passé. Au cours du siècle dernier, le droit rural s’est développé pour permettre à notre agriculture de faire sa mutation économique dans un cadre relativement protecteur pour les exploitants. Cette réglementation n’a pas empêché la diminution du nombre des exploitations, mais elle a permis à la France de rester une grande nation agricole. Le statut du fermage, le contrôle des structures et, bien entendu, les SAFER ont joué un rôle important.
Il ne s’agit pas non plus d’ignorer l’impératif de lutte contre les pollutions, ou celui de la protection de la qualité des eaux ou de la biodiversité. Néanmoins, l’agriculture se trouve toujours en première ligne pour répondre à ces défis, comme si l’on oubliait sa vocation première, celle de nourrir les hommes, ainsi que son rôle économique, notamment par le biais des exportations, essentiel à la vitalité de nombreux territoires.
Plus que tout autre secteur, l’agriculture cumule les contraintes : aléas climatiques, aléas sanitaires, hélas très présents cette année, et aléas de marché, avec les fluctuations de cours. Dans ces conditions, n’ajoutons pas du mal au mal. Sans rejeter en bloc les normes, sachons raison garder, car leur excès peut affaiblir la compétitivité ou brider le développement de l’agriculture. Cela surcharge et exaspère nos agriculteurs !
L’impact des réglementations n’est pas objectivement quantifiable, mais il y a des évidences et quelques principes à garder à l’esprit lorsque l’on produit une norme.
La majorité des exploitations sont petites et n’ont donc pas les moyens humains de digérer chaque jour une réglementation croissante et changeante. On dit que 15 % du temps des agriculteurs serait consacré à la gestion administrative ; c’est beaucoup trop ! Le contrôle effectué dans le domaine agricole par l’État, souvent par le biais des directions départementales des territoires, devrait d’ailleurs mieux tenir compte de cette difficulté, même si des efforts ont été faits dans les dernières années. Il faut une approche plus pédagogique, plus préventive et, donc, moins axée sur la sanction. Je vous donne acte en tout cas, monsieur le ministre, de vos directives en ce sens.
Il faut bien évidemment engager une véritable démarche d’allégement qui ne consiste pas seulement à faciliter l’application de la règle. L’État a mis en œuvre un certain nombre d’outils pour aider aux démarches administratives, notamment à travers la dématérialisation. Mais simplifier, ce n’est pas encore alléger. Je suis opposé à la prolifération des conseils ; néanmoins, il faudrait instituer, sur le modèle du Conseil national d’évaluation des normes, consacré aux collectivités locales, une structure qui apure le flux des normes applicables à l’agriculture.
Enfin, et surtout, il faut mieux mesurer au préalable l’impact des normes sur l’activité agricole. En effet, les exemples de mesures aberrantes, voire incapacitantes sont nombreux.
Le code rural s’est fondé sur le principe d’une dérogation au droit commun visant à tenir compte de la spécificité de l’agriculture. Or des dispositifs inadaptés, quoique généralement louables, comme le compte pénibilité ou la complémentaire santé, pour ne citer que les plus récents, contrarient cette tradition.
Puisque 50 % à 60 % des nouvelles normes sont d’origine communautaire, c’est bien sûr aussi à ce niveau qu’il faut agir. La directive Nitrates, même si elle est utile, pertinente et indispensable, contient des prescriptions parfois complètement inapplicables.
Le régime des installations classées est également un sujet de préoccupation. J’en veux pour preuve, monsieur le ministre, que vous êtes personnellement intervenu, plusieurs fois depuis 2013, pour modifier ces seuils, ce qui signifie que nous allions bien au-delà des exigences communautaires.
On pourrait multiplier les exemples, notamment dans le domaine du bien-être animal, certes indispensable, mais pour lequel on doit appliquer des normes qui soient viables et de bon sens. Tout cela devrait conduire, d’une part, à associer encore davantage les agriculteurs à la production des règles, en particulier lorsque celles-ci émanent d’autres ministères que celui de l’agriculture, et, d’autre part, à favoriser les expérimentations.
Monsieur le ministre, nous reconnaissons les efforts que vous avez accomplis ces dernières années, y compris à l’échelon européen, pour progresser sur la question des normes. Il faut néanmoins engager à présent une démarche encore plus volontaire afin que nos agriculteurs ne se trouvent pas découragés. On leur demande beaucoup ; ils font face à de nombreux aléas ; ils supportent une charge de travail très importante ; ils s’inscrivent dans la démarche agroenvironnementale qu’avec le gouvernement auquel vous appartenez vous avez souhaitée ; ils acceptent les démarches de sécurité et de qualité ; enfin, ils répondent aux besoins alimentaires des Français, mieux encore que par le passé.
En contrepartie de leur responsabilité et de leur efficacité, ils méritent un véritable aggiornamento : un plan de simplification et d’allégement. En effet, que ce soit du point de vue économique, du point de vue de l’aménagement du territoire ou de celui de la balance commerciale, ils répondent présents dans les rangs du bataillon économique solide et porteur de l’avenir de la France. (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Henri Tandonnet.
M. Henri Tandonnet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est après une réflexion menée à la suite d’un grand nombre d’auditions et de réunions que notre groupe de travail sur les normes en matière agricole a rendu son rapport, puis présenté cette proposition de résolution. Je salue l’initiative des auteurs de ce texte, Daniel Dubois et Gérard Bailly, qui nous permettent aujourd’hui de nous exprimer sur le sujet.
La norme, dans ses fondements, a une vocation clairement positive, pour une meilleure information des consommateurs, mais aussi pour une amélioration de la qualité des produits. Nous ne contestons pas la démarche, mais il faut revoir son niveau, sa méthode d’élaboration et son évaluation.
Le constat qui est fait aujourd’hui est clair : la prolifération normative pèse lourdement sur la compétitivité de nos exploitations agricoles. Or force est de constater qu’en France les exemples de normes inappropriées ou disproportionnées ne manquent pas. Le rapport révèle aussi que le monde agricole se trouve au carrefour de nombreuses disciplines, ce qui explique cette complexité.
Parlons d’abord des tracasseries administratives, parfois sans fin. Un exemple pourrait être celui des difficultés liées à l’accueil de jeunes stagiaires ou apprentis. En septembre dernier, j’ai vu débouler dans ma permanence un agriculteur excédé, venant me dire qu’il avait toujours accueilli des apprentis et des stagiaires, mais que, cette année, après la visite d’inspecteurs du travail, il renonçait à passer des contrats d’apprentissage.
Dans un autre ordre d’idées, l’instauration d’initiatives simples, comme celle dite « un fruit à la récré », se trouve freinée inutilement. L’expérience menée dans ma commune a révélé un réel fardeau de contraintes administratives qui explique que la France ne consomme qu’un quart de l’enveloppe européenne attribuée à cette action.
Il existe également un bon nombre de problèmes liés au principe de précaution. En effet, restreindre, voire interdire des pratiques agricoles et l’utilisation de certaines substances pour traiter les cultures met en péril les productions. Ainsi, la filière noisette de Lot-et-Garonne est actuellement en grande difficulté à cause de l’interdiction d’un produit de traitement contre un insecte ravageur, prononcée sans que l’on dispose de solutions de substitution ; ce n’est pas un cas isolé. Nous créons de ce fait une distorsion de concurrence par rapport aux productions étrangères, sans pour autant interdire l’importation des produits étrangers traités avec des substances prohibées en France. Cela n’a pas de sens.
Il y a clairement un effet pervers : nous imposons des normes que nous ne mettons absolument pas en valeur et qui mettent en danger nos exploitations. Il est urgent de valoriser notre réglementation dans un cadre commercial. Sinon, nous continuerons à créer des contraintes pour ceux qui, finalement, sont les plus performants, sans profit. Notre approche et notre méthode de travail sur la surtransposition des directives et sur l’interprétation de certains règlements sont à revoir.
Les agriculteurs, qui sont avant tout des chefs d’entreprise, se voient aujourd’hui noyés par un excès de réglementation et par des contrôles en tout genre. Cela peut être supporté par les plus grosses structures, mais sûrement pas par les petites exploitations.
Pour comprendre cela, il faut s’arrêter sur les faiblesses de notre méthodologie d’élaboration des normes en agriculture au niveau tant européen que national.
Dans la mesure où presque 90 % des normes sont produites par Bruxelles, nous pouvons légitimement nous demander à quel niveau les agriculteurs participent à la prise de décision. Il me semble pourtant évident que leurs retours de terrain sont essentiels et qu’il y a un important chantier d’adaptation à mener selon les différentes cultures et régions.
Au niveau national, l’agriculture est un domaine d’activité à la croisée d’un grand nombre de secteurs. Qu’elles soient sanitaires, sociales, économiques ou environnementales, ces réglementations imposent un carcan rigide qui ne tient pas compte des particularités et de la diversité des activités agricoles.
Il existe un travers tout à fait français, celui de travailler en tunnel. Chaque ministère demeure cantonné dans sa mission, sans jamais harmoniser les choses. Je vous ai interrogé un jour, monsieur le ministre, sur votre méthode pour déterminer les normes nitrates. Selon vous, l’IRSTEA et l’INRA avaient mission de travailler sur le sujet. Je me suis ensuite rendu compte que, dans le même temps, le ministère de l’environnement avait publié sur son site des normes en la matière : à la fois le projet de décret et le projet d’arrêté afférent. Je vous ai fait part de mon étonnement, et vous m’avez indiqué que cette démarche avait été accomplie dans la précipitation, à la suite de pressions de la Commission européenne. Cette norme continue du reste d’être appliquée ; sera-t-elle évaluée ?
Dans le domaine de l’eau, sur lequel je m’investis tout particulièrement, je remarque que ces deux ministères travaillent dans des sens différents. Ainsi, dans un rapport publié en décembre dernier, le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux préconise de faire des réserves d’eau et de les financer à plus de 70 %, à l’inverse de ce que préconise le ministère de l’environnement.
La proposition de résolution insiste sur la nécessité de « faire évoluer les règles en matière d’utilisation et de stockage de l’eau ». Elle me semble, à ce titre, tout à fait pertinente.
La reconstitution des nappes phréatiques ou encore la création de réserves d’eau en période d’abondance permettraient de répondre aux pics de sécheresse qui vont se multiplier du fait de l’accentuation du changement climatique. Elles contribueraient également au maintien du bon état écologique des cours d’eau et garantiraient les productions. Je reste néanmoins optimiste, puisque j’ai pu entendre dernièrement Mme la secrétaire d’État chargée de la biodiversité déclarer que « la création de plans d’eau est une des options pour améliorer la disponibilité estivale de la ressource en eau ».
Mon dernier point concerne le travail que nous devons encore mener sur l’évaluation des normes afin de limiter les problèmes d’interprétation, mais aussi pour stabiliser l’évolution dans le temps de notre réglementation.
La proposition de développer les études d’impact a priori et a posteriori et de systématiser une analyse des effets de la norme dans un délai de trois à cinq ans après son entrée en vigueur pourrait permettre de réguler la prolifération des mesures parfois trop lourdes ou inutiles. Je pense ainsi aux éleveurs, qui sont obligés d’investir sur des périodes importantes. Dans un délai très proche, ils se voient souvent contraints à de nouvelles adaptations, alors qu’ils n’ont pas pu amortir économiquement leurs premiers investissements. Ce n’est pas tenable.
Il faut également s’attacher davantage aux résultats qu’aux moyens et donc, en ce sens, faire confiance à nos agriculteurs dans leurs pratiques, notamment en allégeant les normes applicables aux plans d’épandage, qui sont plus dépendants de la météo que de la réglementation.
Je reste convaincu que les agriculteurs et les consommateurs ont des intérêts liés. Tous partagent l’objectif de disposer d’une alimentation suffisante, de qualité et à coûts accessibles.
Agir sur l’élaboration des normes, favoriser la participation des agriculteurs dans les prises de décision et instaurer la souplesse nécessaire à la spécificité de leurs activités : voilà le défi que nous devons relever pour sauvegarder nos exploitations françaises et notre indépendance alimentaire. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)