Sommaire
Présidence de M. Hervé Marseille
Secrétaires :
MM. Serge Larcher, Philippe Nachbar.
Suspension et reprise de la séance
4. Retrait d’une question orale
5. Candidature à une commission
6. Décisions du Conseil constitutionnel sur deux questions prioritaires de constitutionnalité
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Françoise Cartron
7. Candidatures à un organisme extraparlementaire
8. Nomination d’un membre d’une commission
10. Génocide et autres crimes contre les minorités religieuses et ethniques et les populations civiles en Syrie et en Irak. – Adoption d’une proposition de résolution
Discussion générale :
M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de résolution
Clôture de la discussion générale.
Texte de la proposition de résolution
Adoption, par scrutin public, de la proposition de résolution.
11. Nomination de deux membres d’un organisme extraparlementaire
12. Délégations de compétences en matière de transports scolaires. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Bruno Sido, auteur de la proposition de loi
M. René Vandierendonck, rapporteur de la commission des lois
PRÉSIDENCE DE Mme Jacqueline Gourault
M. Jean-Michel Baylet, ministre
Clôture de la discussion générale.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois
Adoption de l’article unique de la proposition de loi dans le texte de la commission.
Suspension et reprise de la séance
13. Désignation d’un sénateur en mission temporaire
14. Réduction des normes applicables à l'agriculture. – Adoption d’une proposition de résolution
Discussion générale :
M. Gérard Bailly, coauteur de la proposition de résolution
M. Daniel Dubois, coauteur de la proposition de résolution
Clôture de la discussion générale.
Texte de la proposition de résolution
Adoption, par scrutin public, de la proposition de résolution.
15. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Hervé Marseille
vice-président
Secrétaires :
M. Serge Larcher,
M. Philippe Nachbar.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 1er décembre 2016 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Démission du Gouvernement
M. le président. Mes chers collègues, en application de l’article 8 de la Constitution, M. Manuel Valls, Premier ministre, a présenté la démission du Gouvernement à M. le Président de la République, qui l’a acceptée.
En raison de cette démission, je dois suspendre la séance. Elle sera reprise à midi.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à neuf heures quarante-six, est reprise à douze heures dix.)
M. le président. La séance est reprise.
3
Ordre du jour
M. le président. L’ordre du jour de cet après-midi est confirmé :
À quatorze heures trente et, éventuellement, le soir :
- Proposition de résolution invitant le Gouvernement à utiliser toutes les voies de droit pour reconnaître les crimes de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre perpétrés contre les minorités ethniques et religieuses et les populations civiles en Syrie et en Irak ;
- Proposition de loi tendant à clarifier les conditions des délégations de compétences en matière de transports scolaires ;
- Proposition de résolution en faveur de la réduction des normes applicables à l’agriculture.
4
Retrait d’une question orale
M. le président. J’informe le Sénat que la question orale n° 1541 de M. Cyril Pellevat est retirée du rôle des questions orales, à la demande de son auteur.
5
Candidature à une commission
M. le président. J’informe le Sénat que le groupe Les Républicains a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la commission des affaires économiques, en remplacement de Michel Houel, décédé.
Cette candidature a été publiée et la nomination aura lieu conformément à l’article 8 du règlement.
6
Décisions du Conseil constitutionnel sur deux questions prioritaires de constitutionnalité
M. le président. Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du 2 décembre 2016, deux décisions relatives à des questions prioritaires de constitutionnalité portant sur :
- les personnes justiciables de la cour de discipline budgétaire et financière (n° 2016–599 QPC) ;
- les perquisitions administratives dans le cadre de l’état d’urgence III (n° 2016–600 QPC).
Acte est donné de ces communications.
Mes chers collègues, je vais maintenant suspendre la séance ; elle sera reprise à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures douze, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de Mme Françoise Cartron.)
PRÉSIDENCE DE Mme Françoise Cartron
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
7
Candidatures à un organisme extraparlementaire
Mme la présidente. Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation de deux sénateurs appelés à siéger au sein du conseil de surveillance du Fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie.
La commission des affaires sociales a proposé les candidatures de MM. Alain Milon et Gérard Roche.
Ces candidatures ont été affichées et seront ratifiées, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.
8
Nomination d’un membre d’une commission
Mme la présidente. Je rappelle au Sénat que le groupe Les Républicains a présenté une candidature pour la commission des affaires économiques.
Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.
La présidence n’a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame M. Pierre Cuypers membre de la commission des affaires économiques, en remplacement de Michel Houel, décédé.
9
Dépôt de documents
Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre :
- le rapport sur la mise en application de la loi n° 2016-298 du 14 mars 2016 relative aux réseaux des chambres de commerce et d’industrie et des chambres de métiers et de l’artisanat ;
- le rapport sur la mise en application de la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015 ;
- le rapport sur la mise en application de la loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 de finances pour 2016 ;
- le rapport stratégique d’orientation relatif au système ferroviaire accompagné de l’avis du haut comité du système de transport ferroviaire ;
- le tableau de programmation de mesures d’application de la loi n° 2016–1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique.
Acte est donné du dépôt de ces documents.
Ils ont été transmis aux commissions permanentes compétentes.
10
Génocide et autres crimes contre les minorités religieuses et ethniques et les populations civiles en Syrie et en Irak
Adoption d’une proposition de résolution
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de résolution invitant le Gouvernement à utiliser toutes les voies de droit pour reconnaître les crimes de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre perpétrés contre les minorités ethniques et religieuses et les populations civiles en Syrie et en Irak présentée, en application de l’article 34–1 de la Constitution, par M. Bruno Retailleau et plusieurs de ses collègues (proposition n° 125). (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Nathalie Goulet et Bariza Khiari applaudissent également.)
Dans la discussion générale, la parole est à M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de résolution.
M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de résolution. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de résolution est le fruit des travaux que le groupe de liaison, de réflexion, de vigilance et de solidarité avec les chrétiens d’Orient du Sénat a menés depuis qu’il est constitué.
Ce groupe de réflexion, dont sont vice-présidents Bariza Khiari, Roger Karoutchi, Gilbert Barbier et François Zocchetto, entre autres sénateurs, est l’un des plus importants du Parlement et réunit des collègues appartenant à tous les groupes politiques du Sénat ; les clivages sont donc, en l’occurrence, largement dépassés. Je salue également le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Jean-Pierre Raffarin.
Les membres de ce groupe ont beaucoup travaillé. Ils ont notamment conduit un colloque, intitulé « Détruire l’État islamique, et après ? ». L’ensemble de ces réflexions et de ces auditions nous ont permis d’appréhender la véritable nature de Daech.
L’État islamique n’est pas seulement un mouvement terroriste mondial ; il est beaucoup plus que cela : une organisation de type totalitaire.
Réduire Daech à sa seule dimension terroriste, c’est – je le crois profondément – passer à côté de sa véritable nature et mal le nommer.
Bien sûr, le mode opératoire de Daech est clairement de type terroriste, et il frappe à l’échelle mondiale. On recense ainsi, sur les six premiers mois de 2016, pas moins de 550 attentats commis par l’État islamique sur tous les continents et ayant causé des milliers de morts, à une fréquence de l’ordre de trois attentats par jour.
Cette nouvelle barbarie surgie de la nuit des violences primitives marque, selon nous, un retour du totalitarisme au XXIe siècle, au sens où l’État islamique a la volonté d’établir un contrôle total et permanent sur la vie collective et individuelle. Permettez-moi de citer une phrase que j’aime beaucoup d’Hannah Arendt : « Le totalitarisme, c’est la fusion d’une idéologie avec la terreur ». Nous y sommes !
C’est précisément parce que nous sommes en face de cette nature totalitaire, génocidaire, que la seule réponse militaire n’est pas suffisante. Il faut y ajouter celle du droit et de la justice.
La priorité, aujourd’hui, est évidemment l’éradication totale de l’État islamique, avec les moyens militaires. Au moment où des combats décisifs se déroulent, je voudrais saluer de nouveau nos soldats et leur rendre hommage, ainsi qu’à tous les soldats de la liberté. Les combats qu’ils mènent sont en effet très difficiles.
Vous le savez, il ne suffira pas de réduire et de vaincre territorialement Daech pour aboutir à l’extinction de son idéologie. Il est finalement plus facile de lutter contre une organisation protoétatique que contre une idéologie.
Je le redis, cette idéologie totalitaire, nous devons la combattre par la force du droit et de la justice.
Combattre ce totalitarisme par le droit, mes chers collègues, c’est s’opposer à la barbarie avec ce qui fait notre force : nos propres valeurs. Tel est l’objet de la proposition de résolution que mes collègues et moi-même vous soumettons. En effet, l’ignominie de l’impunité ne doit pas s’ajouter à celle du crime, et il faut aussi préparer le jour d’après, la reconstruction, la réconciliation. Car, nous le savons, dans le monde et dans l’histoire, la reconstruction doit passer par une forme de réconciliation.
La justice doit passer pour que l’on puisse faire taire les violences déclenchées. Clemenceau avait l’habitude de dire qu’il était beaucoup plus facile de gagner la guerre que la paix. Encore une fois, nous y sommes !
Nous ne gagnerons pas la paix uniquement par les armes, nous la gagnerons aussi grâce à nos valeurs, qui sont la justice et le droit.
La lutte contre l’impunité juridique est un impératif à la fois moral, juridique et politique. C’est le sens que nous avons voulu donner à cette résolution.
Monsieur le secrétaire d’État, la France a un rôle important à jouer – je ne nie pas qu’elle ait déjà commencé à le faire.
La France a été l’un des pays occidentaux les plus durement frappés par l’État islamique. Nous devons à la mémoire de ses victimes d’être sur la ligne de front, et même en première ligne de ces combats, tant militaires que judiciaires.
C’est notre devoir, aussi, par fidélité à ce que nous sommes et à notre histoire, à ce pacte scellé par Saint Louis voilà huit siècles au nom duquel la France est la nation protectrice des minorités, notamment les chrétiens d’Orient. Cet engagement n’a jamais été démenti au cours des siècles, quels qu’aient été les régimes en place – Dieu sait si la France en a connu de nombreux ! – ou la couleur politique des différents gouvernements.
Laurent Fabius a été très actif dans cette affaire. Il a notamment convoqué une conférence à Paris. Il a également défendu un projet de résolution devant le Conseil de sécurité des Nations unies. Pour l’instant, ces efforts ont été vains, mais cela ne veut pas dire qu’il faille se résigner.
Je voudrais faire le point sur la réalité que nous devons affronter, avec courage, et sur les termes de la procédure actuelle.
Vous connaissez cette réalité, mes chers collègues, mais peut-être pas toute l’étendue de la violence subie au quotidien par les communautés qui en sont les victimes. Dans les territoires qu’il contrôle, l’État islamique se rend coupable chaque jour des pires abominations envers toutes les minorités ethniques et religieuses. Toutes sont directement visées : bien sûr les chrétiens d’Orient, les yézidis, mais aussi les musulmans, les chiites, les Kurdes, les mandéens, les sabéens, les Shabaks.
Cette entreprise totalitaire ne fait pas de quartier, dès lors que l’on s’inscrit contre elle ou en dehors de son idéologie. Elle se livre sur des milliers de victimes – enfants, femmes, vieillards – à des exactions d’une indicible cruauté.
Au vu de cette réalité terrible, violente, monstrueuse, barbare et des définitions établies par le droit international depuis la Seconde Guerre mondiale, lesquelles ont été confortées par le statut de Rome de la Cour pénale internationale, nous pouvons dire clairement, à l’instar du Secrétaire général des Nations unies, que Daech s’est rendu coupable de crimes de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre.
Malgré ces évidences juridiques et la réalité des violences sur le terrain, les obstacles qui entravent la saisine de la Cour pénale internationale sont nombreux – vous les connaissez, monsieur le secrétaire d’État. Ce n’est pas une raison pour se résigner.
Il faut, d’abord, utiliser les deux voies à notre disposition : essayer de convaincre le gouvernement irakien de rendre compétente la Cour pénale internationale sur son sol, dans ses frontières ; saisir le Conseil de sécurité des Nations unies, au risque de se voir opposer des vetos.
Si nous nous en tenons, dans un premier temps, à l’État islamique et au territoire de l’Irak, je pense que nous pouvons ensemble faire en sorte de désamorcer les vetos des grandes nations qui siègent au sein du Conseil de sécurité et qui se sont déjà opposées à cette solution.
J’en parlais avec le président Raffarin ce matin, cette action doit s’accompagner d’une démarche humanitaire inlassable, notamment en Syrie et plus particulièrement à Alep. Cette proposition de résolution n’est pas exclusive de toutes les autres tentatives visant à soulager la misère qu’éprouvent les populations locales.
Vous l’aurez compris, monsieur le secrétaire d’État, l’esprit de notre proposition de résolution est parfaitement consensuel, car cette cause d’importance mondiale nous tient tous à cœur, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons dans cet hémicycle.
J’ai toujours été frappé, lors de mes déplacements en Irak, par la réaction des populations locales, qu’il s’agisse de yézidis, de chrétiens d’Orient ou de membres d’autres communautés, lorsque les interprètes leur apprenaient que j’étais français. Alors même que nombre d’entre eux étaient incapables de situer la France sur une mappemonde, une petite lueur d’espérance s’allumait dans leur regard.
Là-bas, en effet, la France compte et ces populations placent leur espoir en nous. Soyons à la hauteur de ce que nous représentons et de ce qu’est notre grand pays !
Je compte sur le Gouvernement pour prendre en charge la demande que le Sénat exprime en mon nom aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain. – M. François Fortassin applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mes chers collègues, je commencerai par une citation : « Le nettoyage ethnique n’était pas la conséquence de la guerre, mais son objectif. » Ces mots terribles ont résonné hier dans le tribunal pénal international au procès de Ratko Mladić et des bourreaux de la Bosnie.
Hasard du calendrier, aujourd’hui s’ouvre le procès de Dominic Ongwen, enfant soldat au Congo, au Soudan et en Centrafrique, devant la Cour pénale internationale pour son rôle dans la milice qui a massacré plus de 100 000 personnes, dont 60 000 enfants – véritable dilemme pour la justice internationale puisque les enfants soldats sont aussi des victimes. S’y ajoutent des mariages forcés et, pour la première fois, des grossesses forcées. Décidément, l’imagination humaine semble sans limites quand il s’agit du mal… Et c’est bien de cela que nous parlons aujourd’hui.
Cette proposition de résolution, magistralement présentée par le président Retailleau, recueille naturellement le soutien complet de notre groupe. Mais je souhaite faire un peu d’histoire, étant la première oratrice.
Je voudrais, d’abord, prendre un peu de temps pour rendre hommage à un grand homme, dont nous utilisons le travail de toute une vie : Raphael Lemkin.
En 1920, ce juriste juif polonais s’intéressait au procès du jeune Soghomon Tehlirian, qui venait d’assassiner l’ancien ministre de l’intérieur turc Taalat Pacha, responsable de la déportation et de la mort de milliers d’Arméniens, tués pour la simple raison qu’ils étaient chrétiens.
Mot à mot, pierre après pierre, il va bâtir pendant vingt ans une théorie.
Un homme qui tue un autre homme est puni. Pourquoi l’assassinat de millions de personnes ne l’est-il pas ?
Pourquoi un État ne pourrait-il être aussi responsable et coupable qu’un individu ?
Sa théorie s’affine, son raisonnement se fait conviction. Ces crimes de masse, qui portent atteinte à l’humanité tout entière, doivent être poursuivis et punis sans considération des frontières.
Raphael Lemkin s’appuie sur l’assassinat des Arméniens en 1915, et aussi sur la famine organisée contre les Ukrainiens, connue désormais sous le nom d’Holodomor. Et sur le massacre de Simele en Irak en 1933, dont fut victime la population assyrienne.
Si le crime de guerre et le crime contre l’humanité étaient entrés dans le droit positif dans les années 1920, l’apport de Lemkin aura été de faire prendre conscience que les très grands crimes de masse interpellaient la conscience de l’humanité tout entière et devaient faire l’objet d’une politique internationale de prévention et de répression.
En novembre 1943, il écrit Le Pouvoir de l’Axe en Europe occupée, ouvrage dans lequel il oppose la destruction volontaire d’une collectivité par une puissance de droit ou de fait et l’assassinat individuel.
Cette destruction pouvait être selon lui de nature physique ou culturelle. Nous sommes exactement dans notre sujet ! Une condition, selon Lemkin, n’était pas seulement l’expression d’une volonté affirmée de détruire un groupe, mais surtout la mise en place d’une organisation pour ce faire. C’est exactement ce que dénonce la présente proposition de résolution.
Alors que Churchill parlait de « crime sans nom » pour parler de l’anéantissement des juifs d’Europe, Lemkin, lui, a voulu le nommer. C’est ainsi qu’il a créé le mot « génocide ». Il a aussi été le principal rédacteur de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Il expliquait que ce mot prendrait rang dans la famille des parricides, homicides et régicides.
Le journal Le Monde, quant à lui, annonçait le 11 décembre 1945 – presque un anniversaire ! – la mort prochaine de ce mot barbare en ces termes : « Gageons que dans un temps où les mots s’usent si vite, celui-là fera fureur pendant une ou deux saisons […] » Or, soixante et onze ans plus tard, nous nous retrouvons pour parler de génocide et de la postérité de ce mot.
L’emploi du concept de génocide, s’il est désormais établi en droit pénal, fait encore l’objet de nombreuses controverses, qui ont été rappelées par le président Retailleau voilà quelques instants.
Nous n’avons donc rien appris depuis la Seconde Guerre mondiale, ni depuis le Rwanda…
L’Europe dans cette affaire est totalement absente, a perdu son âme.
La communauté internationale, quant à elle, a perdu le reste de crédibilité qu’il lui restait, sorte d’éloge funèbre de l’ONU, avec des listes de victimes civiles chaque jour plus longues…
Nous disons donc oui à cette proposition de résolution, sans surenchère victimaire, qui vise à protéger les chrétiens et les minorités, y compris musulmanes ; n’oublions pas que les musulmans sont les premières victimes de Daech. Il faut la signer et lui donner corps.
Outre les propositions qui sont faites, je vous invite, monsieur le secrétaire d’État, à revoir aussi la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide rédigée par Lemkin, en y ajoutant un chapitre qui en avait été retranché sur les considérations relatives à la destruction « culturelle » d’un groupe – atteinte aux coutumes, aux croyances locales, etc. – pour ne pas s’en tenir aux seuls morts physiques.
C’est bien l’objet de la réunion qui s’est tenue à Abu Dhabi, hier, visant à mettre en place un fonds pour la protection des cultures. Cela rejoint aussi l’idée qu’il faut multiplier au plan international des musées refuges pour les œuvres et le patrimoine des pays en guerre.
Pour conclure, je voudrais rappeler, moi qui suis petite-fille de déportés, une parole commune au Talmud et au Coran : celui qui sauve une vie sauve l’humanité. De ce point de vue, ce que nous pouvons faire de mieux est de voter la proposition de résolution du président Retailleau afin de nous rassembler autour des valeurs d’humanité que nous avons en partage. (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UDI-UC et sur de nombreuses travées du groupe Les Républicains. – M. François Fortassin applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les auteurs de cette proposition de résolution, majoritairement membres du groupe de liaison, de réflexion, de vigilance et de solidarité avec les chrétiens et les minorités du Moyen-Orient ont souhaité nous rappeler que la question de l’après-Daech est tout à fait fondamentale, qu’une fois que ce dernier, mais aussi le Front al-Nosra et Al-Qaïda seront mis hors d’état de nuire, la reconstruction requerra une réconciliation qui ne pourra se faire sans que justice soit rendue aux victimes et sans que les crimes commis soient reconnus et punis.
Bien sûr, le groupe écologiste, dont je porte la voix aujourd’hui, partage cette idée.
Il est important de le rappeler, les minorités religieuses et ethniques sont la cible de Daech et n’ont aucun répit dans leur lutte pour survivre. Les chrétiens, les yézidis, mais aussi les Kurdes, les chiites, les musulmans non ralliés aux vainqueurs sont chaque jour persécutés, battus, spoliés, enlevés, torturés, massacrés.
En terre d’islam, les minorités non musulmanes relevaient autrefois de la dhimma, un pacte apocryphe qu’on faisait remonter au prophète Mahomet, même s’il lui est postérieur, et qui protégeait les gens dits « du livre », à savoir, notamment, les chrétiens, les juifs et les zoroastriens. Ayant conquis des pays où ils se retrouvaient parfois minoritaires, les musulmans cherchèrent ainsi à éviter les conflits, les protégés n’en restant pas moins socialement inférieurs.
À l’ère des États-nations, si cette infériorisation fut formellement abolie, elle n’en perdura pas moins dans les mentalités.
En période de crise politique, elle réémerge et fait des minorités des cibles privilégiées en terre d’islam. Ce fut très vite le cas avec la conquête par Daech de régions où vivaient ces minorités, déjà vulnérables du fait du poids de l’histoire.
Tous ces actes, qu’ils soient qualifiés de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité ou de massacres de masse, ne peuvent pas rester impunis et engagent la responsabilité des États de droit de la communauté internationale pour faire condamner leurs auteurs le moment venu, même si toutes les souffrances ne possèdent pas, hélas, la vertu d’éveiller notre compassion au même degré.
Je n’utiliserai pas le mot « génocide », puisqu’il s’agit d’un terme juridiquement circonscrit, mais la notion de « massacre de masse », plus appropriée avant qu’un tribunal international ne décide de l’emploi ou pas du mot « génocide ».
Toutefois cela ne change rien. Cette recherche de justice, pour avoir un sens, devrait concerner l’ensemble des victimes, quelle que soit leur religion. Et il n’est fait aucune mention, ni dans l’exposé des motifs de la présente proposition de résolution ni dans son dispositif, des autorités syriennes sous la houlette de Bachar el-Assad, de ses alliés, les Russes, et des milices étrangères, qui commettent quotidiennement des crimes de guerre, notamment à Alep.
Si notre compassion va légitimement aux souffrances des minorités chrétiennes et yézidies, on ne peut pas faire l’impasse sur ce que subissent, pour leur part, les populations civiles d’Alep.
J’ai rencontré ce matin M. Brita Hagi Hassan, président du conseil local des quartiers rebelles d’Alep-Est. Il a redit la nécessité de mettre en place immédiatement un corridor humanitaire afin de permettre aux dizaines de milliers de civils, assiégés et bombardés par les forces syriennes et russes, de quitter la ville.
Selon lui, « 250 000 civils sont menacés de mort. Dans les quartiers repris par les forces du régime et les milices iraniennes, il y a des exécutions sommaires, des règlements de compte, tous les jeunes hommes de moins de 40 ans sont arrêtés. Le régime pratique la politique de la terre brûlée pour massacrer la population d’Alep et l’occuper ensuite. »
Notre silence reviendrait à faire de nous leurs complices involontaires. L’histoire est remplie de ces silences qui ont permis le pire de ce dont l’humanité est capable.
À nous de lever le silence pour que les auteurs des crimes contre les victimes civiles soient également traduits devant la Cour pénale internationale. Mais on entre là dans le domaine politique puisque, pour le demander, encore faudrait-il savoir de quel côté de l’échiquier on se place, si nous soutenons les forces de Bachar el-Assad et de ses alliés russes ou non.
Pas de demande de justice pour les uns sans demande, aussi, pour les autres.
À l’aune des réserves que je viens d’exprimer, les voix du groupe écologiste se porteront majoritairement vers l’abstention, certains de nos collègues votant en faveur de la proposition de résolution. (M. Jean Desessard et Mme Éliane Assassi applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président Retailleau, mes chers collègues, l’actualité, tous les jours, témoigne de la tragédie qui se déroule sous nos yeux, au Levant. Les populations civiles, notamment syriennes, sont entre deux feux et parfois même trois si l’on prend en compte les civils victimes de frappes de la coalition.
Je remercie le président Retailleau de cette proposition de résolution, et salue bien évidemment son engagement auprès des chrétiens d’Orient et des minorités, cible revendiquée des factions de Daech, qui est bien, comme il l’a dit, un totalitarisme puisqu’il conjugue idéologie et terreur.
Toutefois, au-delà de la volonté manifeste d’épuration ethnoreligieuse manifestée par Daech, il convient de garder à l’esprit les propos de Laurent Fabius : « Prenons garde que notre condamnation de ces crimes ne varie pas selon l’origine des victimes et notre devoir d’assistance non plus. Nous n’oublions pas que les premières victimes de Daech sont bel et bien des musulmans. Mais nous constatons que ce groupe se livre à une entreprise barbare et systématique d’éradication ethnique et religieuse qui prend pour cible certaines communautés s’attaquant à l’existence des chrétiens d’Orient, des yézidis, des Turkmènes, des Kurdes, des Shabaks, et à tous ceux qui, plus généralement, refusent de se soumettre. »
À cet égard, je veux répondre à ceux qui dénoncent une indignation à géométrie variable selon la confession des victimes.
J’ai, pour ma part, dès janvier 2011, lancé en soutien aux chrétiens d’Orient un appel publié par Libération et signé par de nombreuses personnalités « de confession ou de culture » musulmanes, pour dénoncer les exactions contre les chrétiens d’Orient. Cet appel venait après l’attaque de la cathédrale de Bagdad, à la Toussaint 2010, et celle de l’église des Saints d’Alexandrie, le 1er janvier 2011.
Ces atrocités, commises au nom de l’islam, ont évidemment profondément perturbé l’immense majorité des musulmans. Comment se taire quand on tue en votre nom ? Cet appel – je l’ai regretté – n’avait pas été compris ; souvent, quand les musulmans de France se taisent, ils sont accusés de complicité ; quand ils parlent, on les soupçonne de duplicité.
Aussi, j’invoquerai pour ma part deux raisons qui permettront de mieux comprendre le sens de mon engagement en faveur des chrétiens et des minorités d’Orient.
La première, c’est le rappel et la condamnation des stratégies hasardeuses des puissances occidentales, qu’il s’agisse, et ce n’est pas exhaustif, des accords Sykes-Picot, du renversement de Mossadegh, de l’expédition de Suez, de l’armement des talibans par les Américains dans les années quatre-vingt ou enfin de l’intervention américaine en Irak en 2003, pour un motif que la France, avec honneur, a dénoncé dans les enceintes de l’ONU. Voilà quelques-unes des erreurs qui sont à l’origine de l’extraordinaire complexité et de l’illisibilité de la situation au Moyen-Orient.
Cette complexité et ces responsabilités occidentales sont tellement inaccessibles à certains qu’ils y voient dans un raccourci commode une guerre des civilisations. Or le Moyen-Orient n’est pas une terre monochrome. L’altérité est constitutive de l’histoire et de l’identité de cette vaste région.
Le second sens de cet engagement doit se lire à la lumière du combat de l’émir Abdelkader, dont je suis fière d’assumer l’héritage spirituel et politique. L’émir, qui avait combattu la présence française en Algérie, fut fait prisonnier par la France. Exilé à Damas, il permit par son action, au péril de sa vie, le sauvetage de milliers de chrétiens de Damas, menacés de mort par des factions druzes. Il fut fait, pour cet acte de bravoure, grand-croix de la Légion d’honneur. Paris et Lyon ont honoré sa mémoire, il y a quelque temps, en donnant son nom à des places.
Enfin, cet engagement aux côtés des chrétiens et minorités d’Orient vient aussi de la conscience aiguë que l’Algérie, qui a été bien seule durant cette décennie noire, a été le laboratoire de ce terrorisme wahhabite.
La destruction de l’altérité est une entreprise où l’absurdité le dispute à la barbarie. Ces raisons m’avaient amenée en octobre 2013, avec mon collègue Roger Karoutchi, très tôt engagé dans ce combat et à qui je rends hommage (Bravo ! sur les travées du groupe Les Républicains.), à organiser au Sénat une audition, puis des conférences de presse et différentes actions. Avec la Coordination des chrétiens d’Orient en danger, nous avions demandé la création au Sénat d’un groupe d’étude dédié. Nous n’avions pas rencontré d’oreille attentive à cette époque, ce que nous avions regretté.
Au début de 2015, à la demande du président Retailleau, ce groupe a enfin vu le jour. Vous avez bien voulu écouter mes arguments, monsieur Retailleau, et modifier l’intitulé du groupe, afin que son périmètre dépasse les chrétiens et se préoccupe de toutes les persécutions.
Je tiens à souligner que le terme de « minorités » est une commodité de langage, car ces communautés se vivent non pas comme minoritaires, mais comme parties intégrantes de leur pays. En effet, la notion de minorité peut renvoyer à une certaine forme d’illégitimité : or, aussi bien les chrétiens de Mésopotamie que les yézidis sont des communautés humaines qui sont non pas « importées », mais bien autochtones, constitutives de l’histoire et de l’identité mêmes de la région.
La proposition de résolution soumise à notre examen a le grand mérite de déjouer les pièges identitaires en visant, au-delà des différentes minorités ethniques et religieuses, l’ensemble des populations civiles.
Si nous n’avons pas à ce jour en France de consensus national concernant notre stratégie en Syrie, il nous faut penser la suite et les solutions politiques pour parvenir à la paix. Parmi les conditions d’une telle paix, la justice est primordiale. Elle permettra aussi la concorde et la réconciliation entre ces populations.
Cette proposition de résolution s’inscrit dans la continuité de la grande conférence internationale de Paris, à laquelle ont pris part 57 États, 11 organisations internationales et 15 personnalités représentatives de la diversité religieuse et ethnique du Moyen-Orient. Le plan d’action présenté à l’issue de la conférence comportait trois volets.
Le premier est humanitaire, avec la mise en place d’un fonds d’action au profit des réfugiés, des déplacés et des communautés hôtes.
Le deuxième est un volet dit « de stabilisation », qui vise à préserver la diversité et l’altérité. En effet, l’une des spécificités de Daech, abreuvé au fondamentalisme wahhabite, est la détermination à annihiler l’altérité sous toutes ses formes.
En mars dernier, avec ma collègue Sylvie Robert, nous avons publié une tribune intitulée « Faire triompher la culture contre la barbarie ». Nous avions été nombreux à nous indigner de la destruction, au Mali, des mausolées des saints soufis par les terroristes d’AQMI et à être révoltés par la destruction des œuvres d’art assyriennes du musée de Mossoul, de la cité antique de Palmyre et de bien d’autres sites.
L’entreprise idéologique de Daech vise aussi l’anéantissement de l’histoire et de ses merveilles. La première de nos priorités, c’est évidemment l’aide la plus urgente et utile qui soit pour les populations réfugiées, déplacées et persécutées.
Néanmoins, la préservation du patrimoine culturel dans les zones de guerre, notamment dans la région mésopotamienne, le cœur même de l’humanité, est évidemment une préoccupation majeure, que la France partage avec l’UNESCO. Je suis fière d’être, avec ma collègue Sylvie Robert, à l’origine du concept du « droit d’asile des œuvres », car comment imaginer la réconciliation des différents peuples si tous sont privés de leur patrimoine, de leur culture et de leur passé communs ?
Le troisième volet de la conférence de Paris est judiciaire, avec la volonté de lutter contre l’impunité.
Le texte de la proposition de résolution rappelle les limites d’une saisine de la Cour pénale internationale. Pour autant, nous avons le devoir absolu de réunir tous les éléments relatifs aux exactions qui se déroulent sur ces territoires et de les documenter. Cette documentation est à la base des rares poursuites en cours, mais elle aura toute son importance pour les poursuites à venir ; elle sera aussi, et c’est important, le fondement d’une histoire qui reste à écrire.
Avec la justice et la lutte contre l’impunité, la véracité historique est essentielle dans la construction d’un pays réconcilié. Nous savons à quel point le négationnisme, le révisionnisme et leurs avatars, comme le complotisme, minent la cohésion nécessaire à toute société humaine.
Monsieur le secrétaire d’État, à l’occasion de l’examen de cette proposition de résolution, j’aimerais vous poser deux questions.
Notre collègue Bernard Cazeau, président du groupe d’amitié France-Irak, revient d’une mission et se fait le messager des minorités déplacées. Ces dernières souhaitent retourner dans leurs villages, mais elles considèrent qu’elles ont besoin d’une force de protection internationale pour vivre en sécurité dans leur pays. Pourriez-vous, à cet égard, nous faire le bilan de l’aide effective, directe et des protections qui leur sont apportées ?
Par ailleurs, au regard des attentats terroristes de 2015 qui ont fait des centaines de victimes sur notre territoire et impliqué des ressortissants français basés à Raqqa, a-t-on désormais une base juridique solide pour saisir la CPI sur la base de la compétence personnelle, chère à notre collègue Jean-Pierre Sueur ?
Je voterai donc, avec mon groupe, en faveur de cette proposition de résolution, qui s’inscrit dans la continuité de l’action gouvernementale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du RDSE, de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Vial.
M. Jean-Pierre Vial. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, parler de cette proposition de résolution, c’est embrasser un conflit vieux de six ans déjà, si l’on part des printemps arabes, et de bientôt vingt-cinq ans, si l’on remonte à la première guerre d’Irak, sans même évoquer d’autres pays tout autant concernés.
Je salue le président Retailleau d’avoir choisi une formulation qui recouvre l’ensemble des minorités ethniques et religieuses pour bien placer le débat au cœur des enjeux du Moyen-Orient.
C’est en effet un point qui fait réagir quasi systématiquement tous les patriarches ou religieux, quand ils sont interrogés sur les chrétiens d’Orient : ils considèrent qu’ils sont d’abord arabes, citoyens irakiens, syriens, libanais ou autres, avant d’être chrétiens, rappelant d’ailleurs l’ancienneté du christianisme par rapport à l’arrivée de l’islam, et ajoutent que les vies des musulmans ne sont pas épargnées dans ce conflit des extrémistes.
Cela étant, ce conflit ne manque pas de rappeler l’histoire douloureuse des chrétiens depuis plusieurs siècles. Du traité d’alliance de François Ier et Soliman le Magnifique en 1536, connu sous le nom de « Capitulations » – le terme est curieux ! –, les chrétiens et les minorités auront été victimes de bien des guerres et des persécutions.
On se souvient des maronites en 1860 et de l’attitude légendaire d’Abdelkader sauvant les chrétiens à Damas, des Arméniens en 1916-1920 et, plus récemment, depuis 1960, de l’aggravation de cette immigration à la suite de la guerre civile au Liban, le conflit entre Israël et les Palestiniens et, bien évidemment, les conflits en cours avec les guerres en Irak et en Syrie. N’oublions pas non plus l’accueil par la France des chrétiens de toutes les églises d’Orient et du monde slave après la Grande Guerre.
Aujourd’hui, nous connaissons toutes ces communautés, rassemblées autour de leurs églises à Marseille, Lyon et surtout en région parisienne, ou ces chrétiens encore en Syrie ou en Irak qui nous disent : « À quoi bon ! Pourquoi continuer à nous battre pour rester sur la terre de nos aïeux si c’est pour que nos familles soient tôt au tard anéanties, massacrées ? »
Un seul exemple suffit à poser la réalité. En 1900, un habitant sur quatre était chrétien en Turquie. Aujourd’hui, le nombre de chrétiens ne dépasserait pas 100 000, bien que la plus grande ville du pays, Istanbul, soit le siège de deux patriarcats prestigieux.
Je rappellerai cette déclaration d’un diplomate turc, en poste à Paris, à notre collègue Adrien Gouteyron, auteur d’un rapport sur les chrétiens d’Orient : « Le citoyen turc est turcophone et musulman, un point c’est tout. » La situation des chrétiens d’Orient et des minorités est donc bien une réalité qui doit être posée avec la plus grande transparence.
Il aura fallu d’ailleurs la prise d’otage de la cathédrale Bagdad le 31 octobre 2010, qui a fait 58 morts, et l’attentat suicide de l’église copte d’Alexandrie tuant 21 personnes le 1er janvier 2011 pour que la communauté internationale réagisse, avec l’adoption par le Parlement européen d’une résolution le 21 janvier 2010, la déclaration du Conseil de sécurité des Nations unies du 10 novembre 2010, condamnant tous les actes de violence et l’incitation à de tels actes motivés par la haine religieuse, et la réaffirmation, le 21 février 2011, du soutien du Conseil de l’Union européenne à la liberté de religion ou de conviction.
Or ces principes fondamentaux venaient à peine d’être rappelés que la communauté internationale, dans le prolongement des printemps arabes, allait être le témoin souvent impuissant d’un déchaînement sans égal des violences qu’elle venait de condamner.
Concernant l’Irak, la situation actuelle ne saurait faire oublier les circonstances de 1991, qui conduisirent le ministre de la défense de l’époque, Jean-Pierre Chevènement, à démissionner pour ne pas être associé à une guerre qu’il considérait comme coloniale, de même que Jacques Chirac s’opposa à la seconde guerre d’Irak, considérant que « la guerre engendre la violence et la violence le terrorisme ». En 2003, on ne pouvait être plus visionnaire !
Si je me permets ce bref rappel, c’est pour mieux souligner la nécessité de ne pas avoir une approche et une vision trop réductrices des enjeux et réalités auxquels nous sommes confrontés. Le président Retailleau rappelait le colloque que, avec les groupes Chrétiens d’Orient, France-Irak et France-Syrie, nous avons organisé en mars dernier sur le thème « Détruire l’État islamique, et après ? ». En réalité, cet « après » n’a de sens que si l’on tire les conséquences de « l’avant ».
Aujourd’hui, les combats pour la reprise de Mossoul résument à eux seuls les enjeux irakiens. Je pense à l’opposition entre chiites et sunnites, avec une population qui s’est en partie radicalisée, aux aspirations de Daech aux limites d’un territoire kurde, qui aura été accueillant à la détresse des chrétiens chassés de la plaine de Ninive, quand ils ne furent pas exécutés.
La reprise de Mossoul, qui peut prendre du temps, laisse entier le devenir des chrétiens, yézidis et autres minorités. La célébration de Mgr Petros Mouche, tout récemment, dans l’église de Qaraqosh, le soir de sa libération, est un symbole fort, mais celui-ci ne traduit pas pour autant le retour d’une population, qui attend que le territoire soit sécurisé avant de retourner y vivre.
Concernant la Syrie, pour sortir de la caricature ou du déni, il suffit de regarder les chiffres publiés par l’Observatoire syrien des droits de l’homme, l’OSDH, pour juger d’une situation qui ne peut plus durer.
Dans le courant de 2016, il y a quelques mois déjà, l’OSDH, organisme implanté en Grande-Bretagne, proche des Frères musulmans et qui ne saurait donc être suspecté d’être prorégime, présentait un premier bilan du conflit syrien. Les 280 000 morts d’alors étaient composés de 101 662 hommes pour les forces du régime, de 47 000 djihadistes, de 48 000 combattants rebelles non djihadistes et de 80 000 civils, considérés comme victimes des deux parties du conflit.
Quand, au tout début de l’année 2015, Daech s’empara de plusieurs villages et de leurs populations à proximité de Deir ez-Zor, lieu qui avait été le terme de l’exode tragique des Arméniens cent ans auparavant, Jean d’Ormesson cria au génocide dans un silence surprenant.
Quelques mois plus tard, les combattants de Daech traversaient le désert qui conduit à Palmyre sans subir la moindre attaque qui aurait pu les anéantir sans faire courir de risque aux populations civiles. Le débat entre experts militaires laissa Palmyre avec ses morts, dont celle du directeur des antiquités, sacrifié, et ses ruines, massacrées.
Aujourd’hui, Alep, qui est la capitale du nord, caractérise bien le conflit syrien. Les lignes de fracture n’avaient pas beaucoup bougé jusqu’à ces derniers jours, mais, depuis trois ans déjà, de nombreux protagonistes considéraient qu’il ne pouvait y avoir de victoire militaire et qu’il fallait une sortie institutionnelle. Il y a seulement quelques semaines, un général de l’armée syrienne libre exhortait al-Nosra à quitter Alep pour éviter un bain de sang.
On ne peut que regretter que, il y a bientôt deux ans, au début de 2015, le délégué de l’ONU Staffan de Mistura ait arrêté un énième plan de cessez-le-feu pour Alep, qui fut refusé par ceux qui aujourd’hui le demandent…
Dans un conflit, le sort des armes évolue avec le temps et ce ne sont jamais les mêmes qui ont le sentiment de détenir la victoire. Toutefois, aujourd’hui plus que jamais, la paix s’impose. Car si, aujourd’hui, on parle beaucoup d’Alep, il ne faudrait pas oublier Raqqa, le Rojava, juste au nord, cette région des Kurdes que les États-Unis et la France se sont engagés à soutenir.
Raqqa est dans une certaine mesure à la Syrie ce que Mossoul est à l’Irak. Il y a un mois, au tout début du cessez-le-feu à Alep, un diplomate d’un des grands pays engagés dans le conflit – ce n’est pas la Russie – déclara à notre délégation : « Il n’y a pas de cessez-le-feu, les rebelles sont encore trop nombreux, trop puissants, seule la guerre peut les épuiser. » La franchise ou le cynisme interpellent. Or la protection nécessaire à la plaine de Ninive pour permettre aux minorités de retourner chez elles pourrait s’appliquer à l’identique à cette région du nord de la Syrie où les minorités chrétiennes, yézidies et autres demandent pareillement à être protégées.
Veut-on vraiment la paix ? Veut-on en assurer les conséquences ? Jacques Chirac avait raison de s’opposer au conflit irakien, en disant que la guerre appelle la violence, et la violence le terrorisme.
Aujourd’hui, il s’agit de faire aboutir la paix et de permettre à des populations de retrouver la capacité de vivre ensemble. Ce qui a fait la richesse de l’Orient, c’est le mélange des cultures et des religions qui se sont enrichies mutuellement, difficilement, mais que le radicalisme, soutenu par quelques États, est venu compromettre. Ainsi, Antoine Sfeir a montré à quel point les chrétiens ont joué un rôle important de ciment social dans des sociétés compliquées où de nombreuses minorités religieuses doivent cohabiter.
Mes chers collègues, le prix de la paix, c’est d’abord le respect du principe de la liberté de croyance. Comme l’a souligné le président Retailleau, c’est aussi le courage de la paix et la volonté de réconciliation. C’est ce message que le président de la communauté de Sant’Egidio a tenu en mars dernier, en rappelant l’exemple des pays qui avaient réussi à sortir de la guerre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC. – Mme Bariza Khiari applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, alors que les conflits irakien et syrien se sont une nouvelle fois enlisés à Mossoul et Alep, avec pour seules victimes finalement les civils des deux pays, on ne peut qu’avoir une pensée émue et déterminée pour ces derniers.
Notre pensée doit être émue face à l’horreur vécue par les populations civiles, avec un nombre si important de victimes que le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme ne se jugeait déjà plus en position de calculer le nombre de morts civils.
Toutefois, elle doit être aussi déterminée, car les défis à relever sont nombreux. Les élus de mon groupe restent sur leur position : l’enjeu est aujourd’hui à la fois de permettre une stabilisation du Moyen et Proche-Orient en créant les conditions de la transition démocratique et de l’émancipation des peuples, et, dans l’urgence, d’assurer un accueil digne et solidaire des populations déplacées de force vers nos frontières. Ce n’est qu’en menant ces deux batailles de façon concomitante que nous arriverons à faire de la paix une réalité.
Cela implique une nouvelle façon de mener notre politique étrangère, car n’oublions jamais que Daech s’est constitué sur les cendres du pouvoir baasiste irakien avec l’aide d’Al-Qaïda, que l’Occident avait déjà mis en selle dans le cadre de la guerre froide, et à cause de l’enlisement de la révolution syrienne.
La stratégie de cette organisation obéit à une logique simple au fond : celle de l’épuration et du nettoyage ethnique en vue de s’imposer comme un État « pur » et ne souffrant « aucune hérésie ». Ce califat des Abbassides, devant s’étendre de l’Afrique du Nord jusqu’à l’Asie centrale, devrait donc être purgé des « apostats » chrétiens et yézidis, mais aussi kurdes et chiites. À ces groupes constitués, il faut encore ajouter les populations civiles, notamment sunnites, qui refuseraient d’adhérer aux préceptes édictés par le califat.
C’est là notre première réserve concernant la proposition de résolution. Pourquoi créer un distinguo regrettable entre, d’un côté, les populations chrétiennes et yézidies et, de l’autre, « les autres minorités et les populations civiles » ?
Certes, juridiquement, l’évocation des autres groupes constitués, massacrés pour ce qu’ils sont, n’aurait pas apporté de sécurité supplémentaire, mais le message politique est maladroit. Il l’est d’autant plus que plusieurs édiles ont déjà entretenu l’idée que les réfugiés chrétiens et yézidis importaient finalement davantage que les autres. Ce fut notamment le cas à Compiègne, Charvieu-Chavagneux, Roanne ou encore Belfort.
Comment expliquer et justifier alors ce distinguo ? Ce n’est pas par le nombre de personnes concernées, puisque l’on estime à 3,1 millions les yézidis convertis ou non au christianisme et les chrétiens, contre 9 millions de Kurdes et 20 millions de chiites sur les territoires syriens et irakiens. Ce n’est pas non plus par l’impossibilité de faire autrement : en atteste la définition donnée de la discrimination par l’article 225-1 de notre code pénal, bien plus englobante, et par l’énoncé du Statut de Rome.
Par ailleurs, si l’on peut comprendre que l’Occident prenne ses distances avec le conflit historique et doctrinal entre chiites et sunnites, il n’empêche que c’est sur cette rivalité que les États arabes, mais aussi européens, s’appuient dans le cadre de leur politique internationale.
Nous voulons signaler à nos collègues signataires de la proposition de résolution une autre réserve, qui est liée à la possibilité de considérer comme crime de guerre des exactions commises dans le cadre d’un conflit entre une organisation armée et une coalition d’armées étatiques. Les conventions de Genève de 1949 établissent qu’un crime de guerre ne peut concerner qu’un conflit armé international, c’est-à-dire entre deux États, ou un conflit armé non international, entre un État légitime et une organisation armée locale.
Dans ce cadre, ne risquons-nous pas d’en arriver à légitimer Daech comme un État à part entière ? L’exposé des motifs parle d’un « proto-État de type totalitaire », ce qui ressemble effectivement à la situation de Daech. Pourtant, ce dernier a l’ambition et est en mesure de se reconnaître comme un État de droit : contrôle d’un territoire donné, population correspondante et instauration de structures administratives et bureaucratiques. Ne risque-t-on pas de légitimer cette organisation en lui donnant un statut largement considéré comme source de légitimité ?
Je souhaiterais enfin soulever le problème de l’opportunité d’une telle initiative. À la création de ce groupe de liaison, rien ne laissait présager une telle aspiration à légiférer. En témoignent l’extrême diversité et la taille importante de ce groupe de liaison. Par ailleurs, si l’on peut considérer que le législateur a pour mission de reconnaître un génocide – nous avions d’ailleurs voté la proposition de loi conjointe à tous les groupes parlementaires reconnaissant le génocide arménien –, la qualification d’un crime ne devrait-elle pas revenir à la justice, en vertu de la séparation des pouvoirs ?
La nuance est importante ici, dans la mesure où il est certain que les exactions commises par les membres de Daech en Syrie et en Irak réunissent toutes les conditions pour être qualifiées par la Cour pénale internationale de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de génocide.
Mon groupe s’abstiendra sur cette proposition de résolution. Cette abstention s’explique par les réserves que je viens d’évoquer, notamment en ce qui concerne la distinction opérée entre chrétiens d’Orient et yézidis, d’une part, et les autres communautés victimes, d’autre part, au premier rang desquelles les Kurdes et les chiites.
Cela ne nous empêche pas de réitérer notre message de solidarité envers les populations irakiennes et syriennes, et notre volonté que les coupables soient traduits devant la justice pour répondre de leurs actes, des actes d’une horreur inimaginable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, on attribue souvent à Malraux cette formule : « Le siècle prochain sera religieux ou ne sera pas ». Qu’elle soit apocryphe ou non, cette réflexion était prophétique, tant le fait religieux imprègne notre XXIe siècle. On considère d’ailleurs que celui-ci s’ouvre sur les attentats du 11 septembre 2001, revendiqués par Al-Qaïda.
Depuis lors, la religion s’invite régulièrement dans le débat public, attisant souvent les passions : des premiers débats sur le port du voile, jusqu’à, pas plus tard que la semaine dernière, les débats sur l’instauration d’un délit d’entrave numérique à l’interruption volontaire de grossesse. On pourrait même craindre que cela ne fragilise les fondements de notre République, indivisible et laïque.
Cette omniprésence du religieux semble conforter les idées de Samuel Huntington, qui, dès 1993, théorisait un hypothétique « choc des civilisations » pour conceptualiser le fonctionnement des relations internationales dans le monde de l’après-Guerre froide. À sa suite, par un raccourci intellectuel fallacieux, certains sont tentés d’opposer l’Occident chrétien et l’Orient islamique. Il n’en est rien ! Gardons-nous de toute tentation simplificatrice et soyons bien conscients que c’est au nom d’un islam dévoyé que des actes atroces sont perpétrés à travers le monde.
Il faut considérer ces nouvelles formes de terrorisme, internationales et médiatisées en se tenant à distance de tout angélisme comme de toute stigmatisation. La religion n’est certes pas une menace en soi, mais son instrumentalisation à des fins politiques peut conduire à des dérives mortifères. Aucune religion n’est à l’abri, comme nous le rappelle notre histoire et, plus largement, celle de notre continent.
Les exactions commises chaque jour au Moyen-Orient, par Daech ou par d’autres organisations terroristes, à l’encontre des chrétiens, des yézidis ou d’autres minorités ethniques et religieuses sont insoutenables.
Une volonté de destruction systématique est à l’œuvre, qui conduit notamment à séparer les garçons du reste de leur famille et à les transférer de force dans des camps en Syrie, où ils sont endoctrinés et reçoivent une formation militaire. Ceux qui refusent de se convertir sont tués. Les femmes et les filles sont détenues en captivité et victimes de violences : travail forcé, coups, viols. Elles sont souvent traitées comme des esclaves et vendues comme telles.
De tels actes, répétés, dans une volonté de destruction d’un groupe, nous invitent à aller au-delà de la simple dénonciation, et en cela cette résolution est une bonne chose. Pour autant, d’un point de vue plus formel, nous émettrons quelques réserves.
Il est ici question de reconnaissance des crimes de génocide. Or cette reconnaissance peut se faire selon plusieurs voies. Elle peut d’abord passer par la voie judiciaire, c’est-à-dire une condamnation par un tribunal national ou international. Dans l’exposé des motifs de la proposition de résolution, il est rappelé que, en ce qui concerne le niveau international, ni la Syrie ni l’Irak ne sont signataires du Statut de Rome sur la Cour pénale internationale. Cela rend difficile tout défèrement des auteurs de telles atrocités devant la juridiction internationale.
Le système judiciaire national français possède toutefois de nombreux mécanismes de compétence extraterritoriale, si la victime est de nationalité française ou si l’auteur est de nationalité française. Cette compétence quasi universelle va loin, permettant même, dans certains cas, la poursuite des faits commis par un étranger sur des étrangers.
La reconnaissance des crimes de génocide peut se faire selon une autre voie, plus déclarative, c’est-à-dire soit par une loi « mémorielle », soit par une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU.
Bien des débats ont déjà eu lieu sur les lois « mémorielles », qui établissent une dénomination particulière de certains faits historiques et entraînent ainsi nécessairement des conséquences juridiques. Est-ce à la représentation nationale de déterminer la qualification des atrocités qui se déroulent en ce moment ? Si oui, devons-nous pallier ainsi l’apparent manque d’effectivité des systèmes de poursuites judiciaires de ces crimes ? Je vous pose la question, mes chers collègues.
Malgré ces quelques réserves, les membres du RDSE ne s’opposent pas à l’adoption de cette résolution pour condamner les actes de génocide en Syrie et en Irak : certains s’abstiendront, d’autres l’approuveront. (Mme Éliane Assassi applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Fournier.
M. Bernard Fournier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, pas une semaine ne passe sans que nous soyons informés d’exactions ou d’assassinats contre les chrétiens d’Orient.
En Syrie, en Irak et même au Liban, la liste des crimes commis à leur encontre s’allonge inexorablement et dans un silence relatif. Alors que l’Irak comptait 1,2 million de chrétiens en 2003, il n’en restait plus que 400 000 en 2014. En Syrie, ils étaient entre 1,8 million et 2 millions avant le conflit. Aujourd’hui, au moins 500 000 personnes auraient déjà fui leur pays.
La présence des chrétiens d’Orient, établis depuis deux mille ans dans certaines de ces régions, était souvent un facteur de stabilité politique et de dialogue intercommunautaire. Ils ont participé activement au développement économique de ces pays, et leur départ aura des conséquences négatives, que nous ne mesurons pas encore.
À travers eux, c’est aussi toute une partie de l’histoire culturelle et religieuse du Levant et de la Mésopotamie qui est réduite à néant, effacée, avec notamment la destruction d’églises du Ve siècle. Les églises qui ne sont pas détruites sont transformées en prisons, les Écritures brûlées, les statues brisées, les clochers rasés, les maisons marquées de la lettre N, comme « nazaréen », et des prêtres tués.
Permettez-moi, dans cet hémicycle, d’avoir une pensée pour le père Paolo Dall’Oglio, qui a fondé, dans les années quatre-vingt, la communauté monastique de Mars Moussa, en Syrie. Enlevé par Daech en juillet 2013, il n’a plus jamais donné signe de vie. Catholiques, protestants, orthodoxes, coptes, maronites, syriaques, chaldéens, ils sont tous menacés, poursuivis méthodiquement.
Pas plus tard qu’hier, Jean-Pierre Raffarin a rencontré le maire d’Alep au cours d’une réunion consacrée à la situation dramatique de cette ville.
Mes chers collègues, depuis deux mille ans, et malgré toutes les crises qu’ils ont pu traverser, c’est réellement la première fois que nous évoquons la possible disparition des chrétiens d’Orient, disparition qui, il faut le dire, a laissé pendant des années les pays occidentaux, en particulier les pays européens, complètement inertes, voire indifférents.
Nous, qui, collectivement, sommes si prompts à nous indigner devant telle ou telle injustice, à juste titre, n’avons pas eu le courage de nous mobiliser pour soutenir les chrétiens d’Orient. En effet, défendre un individu, une communauté ou un peuple ne nous pose pas de problème, mais soutenir la religion chrétienne, qui est indissociable des racines de la France, c’est autre chose, et cela n’a pas forcément bonne presse dans notre pays.
Au demeurant, n’oublions pas que cette question concerne non seulement les chrétiens, mais aussi, entre autres, les yézidis.
Je voudrais rendre hommage à la seule députée yézidie au Parlement irakien, Mme Vian Dakhil, qui, depuis 2014, mène un combat courageux et sans relâche pour alerter la communauté internationale sur les exactions systématiques que font subir les djihadistes à cette population.
En avril dernier, j’ai eu l’honneur de la rencontrer lors d’un déplacement en Syrie et en Irak de la Coordination des chrétiens d’Orient en danger, ou CHREDO. Je puis vous assurer que son témoignage est bouleversant et poignant, lorsqu’elle parle des milliers de jeunes filles de onze ou douze ans, esclaves sexuelles enlevées par Daech et vendues sur des marchés. Mme Vian Dakhil nous a aussi signalé que, après la libération de la ville irakienne de Shingal, en novembre 2015, près de 1 600 corps ont été retrouvés dans vingt charniers.
Je ne veux surtout pas oublier non plus tous les non-salafistes, c’est-à-dire les musulmans non salafistes et toutes les minorités du Moyen-Orient qui ne se soumettent pas à l’autorité du califat proclamé par Daech. Par ailleurs, ce n’est pas seulement Daech qui réprime les chrétiens ; ce sont aussi, hélas, de nombreuses autres factions islamistes.
Les réactions de la communauté internationale et de la France restent très mesurées par rapport à l’ampleur de ces violences. Aucun de nous ne peut avoir de doute sur la qualification de ces crimes ignobles, systématiques, dont le but est de réduire en esclavage, de persécuter et d’exterminer des groupes humains pour des motifs politiques, ethniques et religieux.
Dès septembre 2014, les membres du CHREDO ont déposé une plainte auprès de la Cour pénale internationale, la CPI, contre Daech pour crimes de génocides et crimes contre l’humanité. Cette plainte est, depuis, instruite par le bureau du procureur de la CPI.
Cependant, je n’ignore pas toutes les difficultés juridiques que cela entraîne, l’Irak et la Syrie n’étant pas signataires du Statut de Rome et ne reconnaissant donc pas l’autorité de la CPI, comme Bruno Retailleau l’a signalé tout à l'heure, et Daech étant non un État, mais une organisation terroriste regroupant des individus provenant de dizaines de pays. Mme Fatou Bensouda, procureur de la CPI, a rappelé, le 8 avril 2015, que la Cour n’avait pas de compétence territoriale pour agir.
En outre, compte tenu des dissensions fortes qui règnent au sein du Conseil de sécurité des Nations unies, il paraît peu probable, pour le moment, que des initiatives puissent aboutir de ce côté. Toutefois, il fallait bien commencer, engager une action, dénoncer ces massacres.
C’est pourquoi je veux remercier Bruno Retailleau, président du groupe de liaison, de réflexion, de vigilance et de solidarité avec les chrétiens et les minorités au Moyen-Orient, d’avoir été à l’initiative, avec plusieurs de nos collègues, de cette proposition de résolution.
M. Bruno Sido. Bravo !
M. Bernard Fournier. En effet, de facto, si nous voyons toute la difficulté de prendre des initiatives auprès de l’ONU ou de poursuivre ces criminels en saisissant la CPI, rien n’empêche les tribunaux français d’enquêter sur les faits commis par des Français ou dont les victimes sont de nationalité française. Rien n’empêche que l’État français engage des recours devant les juridictions nationales.
Ainsi, le Gouvernement a une responsabilité et doit donc, comme le propose cette résolution, que j’ai cosignée, « utiliser toutes les voies de droit pour reconnaître les crimes de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre perpétrés contre les minorités ethniques et religieuses et les populations civiles en Syrie et en Irak ».
L’avancée de la coalition en Irak et en Syrie, dont nous devons nous féliciter, va malheureusement apporter son lot de découvertes macabres. À Mossoul, de nombreuses informations relatent l’exécution sommaire de centaines de civils au fur et à mesure que les troupes de sécurité irakiennes avancent. Plus de 8 000 familles ont été enlevées et réparties comme boucliers humains près des cibles militaires.
M. Bruno Sido. C’est une honte !
M. Bernard Fournier. En votant cette proposition de résolution aujourd’hui, en accomplissant cet acte fort, nous affirmons plusieurs choses.
Premièrement, les crimes contre l’humanité commis en Syrie et en Irak ne doivent pas et ne peuvent pas rester impunis.
Deuxièmement, toutes les minorités persécutées doivent pouvoir un jour revenir vivre sur ces terres, sur leur terre.
M. Charles Revet. Tout à fait !
M. Bruno Sido. Très bien !
M. Bernard Fournier. Troisièmement, à travers les futures condamnations, nous espérons et nous préparons la reconstruction de ces pays et la réconciliation de ces populations. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC. – MM. François Fortassin et Christian Manable applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je salue M. Bruno Retailleau, qui est à l’origine de cette proposition de résolution, et tous les orateurs des groupes qui se sont exprimés. Le sujet que nous abordons aujourd’hui, sur votre initiative, est d’une gravité extrême et, malheureusement, toujours d’actualité. La situation des victimes de persécutions ethniques et religieuses au Moyen-Orient, en particulier pour les minorités elles-mêmes, reste dramatique.
Je veux saluer la tonalité des propos tenus par les différents orateurs : leur hauteur de vue me semble à la mesure de gravité de la situation. Ils s’inscrivent dans la continuité des différents travaux menés par la Haute Assemblée sur ce sujet – je pense en particulier à ceux du groupe de liaison, de réflexion, de vigilance et de solidarité avec les chrétiens et les minorités au Moyen-Orient.
Voilà un peu plus de deux ans, Daech lançait une vaste offensive en Irak et s’emparait de Mossoul. Depuis lors, les populations qui s’y trouvaient, parmi lesquelles de nombreuses personnes appartenant à des communautés constitutives de l’histoire, de l’identité et de l’avenir de cette région, ont été chassées et persécutées. Le groupe djihadiste occupe également une partie du territoire syrien, où il menace et opprime les différentes composantes de la population syrienne.
Depuis plusieurs semaines, la coalition internationale contre Daech a lancé une offensive pour reprendre Mossoul et Raqqa, mais nous savons que la libération de ces villes sera longue, difficile et meurtrière.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez souhaité aujourd’hui, par votre proposition de résolution, lancer un cri d’alarme sur les atrocités commises par des organisations, notamment par Daech, qui terrorise et tue avec une cruauté et une abjection rarement égalées.
Vous avez souhaité que des poursuites soient engagées contre les responsables des crimes commis contre les minorités et contre les populations civiles. En effet, Daech cible en priorité les personnes appartenant à certaines minorités particulièrement vulnérables en raison de leur identité religieuse ou ethnique.
Nous savons, à cet égard, que la communauté yézidie est tout particulièrement et durement touchée, avec des femmes mariées de force et réduites à l’esclavage sexuel. D’autres minorités sont également victimes de violences et de persécutions : les Turkmènes, les chrétiens d’Orient, les Kurdes, les sabéens, les Shabaks. Plus généralement, tous ceux, sunnites ou chiites, qui refusent de se soumettre à Daech sont menacés et frappés dans leur chair. Le Moyen-Orient est le théâtre d’une opération d’épuration qui vise à éliminer l’ensemble des personnes appartenant à ces minorités, à ces groupes, à ces populations.
La France est horrifiée par les violences commises en Syrie et en Irak contre toutes les populations. C’est pourquoi notre pays s’est très tôt engagé en faveur des chrétiens d’Orient et des autres minorités du Moyen-Orient.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nombre d’entre vous, notamment Bruno Retailleau, ont rappelé l’action de la France en la matière. C’était notre devoir, par fidélité envers des populations auxquelles nous sommes liés par l’histoire, par cohérence avec notre engagement en faveur des droits de l’homme et parce que la France est convaincue que l’on ne pourra pas bâtir la paix dans la région si celle-ci était amenée à perdre sa diversité humaine, culturelle et spirituelle. La communauté internationale a le devoir de protéger les populations et de préserver la diversité dans cette région.
C’est au nom de ce devoir et de cet impératif que nous agissons. La communauté internationale a aussi le devoir d’accueillir les réfugiés. La tradition d’asile de la France nous oblige, et vous avez souhaité vous montrer à la hauteur de ces circonstances. Aux côtés de l’État, les collectivités et les associations se mobilisent pour accueillir dignement toutes les personnes qui fuient les persécutions et leur offrir l’asile en France.
Vous l’indiquez avec raison : au-delà des minorités ethniques ou religieuses, les populations civiles dans leur ensemble sont victimes de cette barbarie. La violence de Daech est extrême, globale et frappe indistinctement. À ce titre, elle doit faire l’objet d’une réprobation universelle.
De même, nous ne devons pas passer sous silence le fait que, depuis cinq ans, le régime de Damas commet, sans relâche et avec la même minutie que celle de Daech, des crimes contre l’humanité. Il torture, il assassine, il affame, en toute impunité. Il bombarde à l’aide d’armes chimiques, comme l’ont démontré de manière incontestable plusieurs rapports du Mécanisme d’enquête conjoint de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques et de l’ONU. Ces armes sont pourtant interdites par le droit international, et la Syrie s’était elle-même engagée à les détruire et à ne plus jamais les utiliser. À Alep, le régime de Bachar al-Assad et ses soutiens sont en train de commettre les pires atrocités, en affamant la population, en détruisant les hôpitaux, en empêchant l’aide humanitaire d’accéder aux populations meurtries et affamées.
En cinq ans, d’après l’Organisation des Nations unies, 400 000 personnes ont trouvé la mort, essentiellement des civils, la plupart tuées par le régime lui-même. On compte plus de 4 millions de réfugiés et près de 7 millions de déplacés, jetés par désespoir sur les routes de l’exil. C’est aussi cela la réalité aujourd'hui !
Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement comprend et partage votre préoccupation. Nous ne laisserons pas sans réagir la diversité millénaire du Moyen-Orient disparaître sous les coups de boutoir et les atrocités de Daech.
C’est pourquoi, le 27 mars 2015, la France avait tenu à réunir le Conseil de sécurité pour lancer un appel à la mobilisation générale en faveur de ces populations. Dans le prolongement de cet événement, la France a organisé, avec notamment la Jordanie, une conférence internationale sur les victimes de violences ethniques et religieuses au Moyen-Orient, le 8 septembre 2015.
Vous avez rappelé ces différentes actions, notamment le « plan d’action de Paris », présenté lors de cette réunion, qui reste notre feuille de route commune pour aujourd'hui et pour demain. Cet outil vise à répondre à l’urgence humanitaire et à créer les conditions politiques et sécuritaires pour permettre le réenracinement durable et pacifique des populations concernées dans la région, notamment en déminant les zones d’habitation. La France a mené plusieurs actions en la matière, avec les ONG et les agences des Nations unies.
Pour répondre de manière très concrète à certaines questions qui ont été posées au Gouvernement, je souhaite apporter, au nom du ministre des affaires étrangères et du développement international, des précisions sur l’action menée par le Quai d’Orsay depuis plus d’un an.
À la suite à la conférence du 8 septembre 2015, nous avons mis en place un fonds spécifique, doté de 10 millions d’euros sur deux ans – les années 2015 et 2016 – et abondé, par ailleurs, par les contributions de collectivités territoriales. Ce fonds a d'ores et déjà permis de financer des projets, notamment dans le domaine du logement, de la santé, de l’éducation et de la formation professionnelle, de la lutte contre l’impunité ou encore en matière de déminage.
Près de deux tiers des financements ont été consacrés à la fourniture de services de base aux déplacés et aux réfugiés. À titre d’exemple, la France a financé, par le biais de ce fonds, des projets portant sur le fonctionnement de centres de santé mobiles et d’appui à la santé mentale auprès de personnes meurtries, appartenant à des communautés chrétiennes, assyriennes ou yézidies, en Irak et au Liban, à hauteur de 2 millions d’euros.
L’aide au retour, particulièrement pour les personnes appartenant à des communautés victimes de violences ethniques et religieuses, a été identifiée comme une priorité.
C’est pourquoi le fonds a financé de nombreux projets de déminage, condition évidemment essentielle au retour des populations. En Irak, la France appuie, depuis plusieurs mois, une opération de déminage d’urgence au profit des personnes issues de la minorité yézidie dans le gouvernorat de Ninive. Une autre opération de déminage est en cours, au bénéfice de villages chaldéens et kakaïs de la périphérie de la plaine de Ninive. Ces actions seront poursuivies en 2017. Elles sont indispensables.
Nous avons aussi alloué 2 millions d’euros au fonds de stabilisation immédiate de l’Irak, géré par le Programme des Nations unies pour le développement, le PNUD.
Notre action concrète, sur le terrain, s’accompagne également d’une action politique visant à préserver la diversité par la représentation de toutes les composantes de la société dans les institutions nationales. Tout effort en ce sens doit être encouragé et soutenu. Seuls des États inclusifs, protégeant la diversité et garantissant à chacun une pleine citoyenneté et le respect des droits, y compris celui d’exercer librement sa religion et ses convictions, sont capables de restaurer la confiance des populations dans les institutions publiques.
L’avenir des yézidis, des chrétiens d’Orient et de toutes les personnes appartenant à des minorités est en Orient. Tout doit être fait pour leur permettre de rester sur place ou d’y revenir, car ils sont là-bas chez eux !
Enfin, il convient aussi et surtout de lutter contre l’impunité des crimes commis, notamment par Daech. Plusieurs rapports des Nations unies font état d’un possible crime de génocide, même si c’est bien sûr à la justice de qualifier juridiquement les faits. Face à ces crimes, qui nient l’idée même d’humanité, la justice doit jouer tout son rôle.
La France est pleinement mobilisée pour que les crimes commis en Syrie et en Irak ne restent pas impunis. Nous le faisons en particulier pour ce qui concerne nos propres ressortissants combattant ou ayant combattu dans les rangs de Daech. L’arsenal juridique français au service du traitement judiciaire de ces comportements est certainement l’un des plus complets et efficaces en Europe, au travers notamment de la définition et de la mise en œuvre de l’infraction d’association de malfaiteurs terroristes, qui constitue la clef de voûte de la répression en matière terroriste.
Le parquet de Paris a développé, depuis plusieurs années, des moyens d’action judiciaires extrêmement efficaces pour parvenir à gérer judiciairement les retours de Syrie. C’est dans le prolongement de cette action que s’inscrit aussi le principe d’un traitement judiciaire systématique de l’ensemble des ressortissants français de retour de la zone irako-syrienne ou de Libye, auxquels s’applique une mesure de contrainte immédiate dès leur arrivée sur le territoire national.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux vous communiquer quelques informations sur le contentieux général des filières irako-syriennes. En effet, cela participe du droit d’information du Parlement.
Le parquet général de Paris fait état, à la date du 28 novembre 2016, des chiffres suivants : 464 procédures judiciaires en lien avec la zone Syrie-Irak ont été ouvertes au pôle antiterroriste de Paris depuis 2012 ; quelque 369 dossiers sont toujours en cours, dont 167 informations judiciaires et 204 enquêtes préliminaires ; 331 individus sont actuellement mis en examen ; 207 sont placés en détention provisoire et 114 sous contrôle judiciaire ; 135 individus ont été jugés ou visés dans des informations judiciaires clôturées, 61 étant en attente d’un jugement et 74 condamnés ; 19 affaires, concernant, au total, 74 personnes, ont été jugées.
S’agissant plus spécifiquement, parmi ces données, des chiffres relatifs au traitement judiciaire des combattants de retour en France, nous comptabilisons 167 personnes, dont 43 condamnés, 110 mis en examen, 13 prévenus et 1 témoin assisté.
Mesdames, messieurs les sénateurs, notre tâche est immense : aux civils enlevés et assassinés par Daech s’ajoutent les centaines de milliers de personnes disparues dans les centres de détention du régime. Les autorités françaises sont plus que jamais déterminées à mettre tout en œuvre pour que les responsables de ces crimes soient traduits devant la justice, dans le respect de l’indépendance judiciaire. La justice le fait à titre national, quand cela relève de sa compétence, et à titre international.
Face aux difficultés croissantes rencontrées par les organisations de la société civile dans cette région, face aux tensions entre les ethnies et les confessions présentes dans la région et face à la menace que cette situation fait peser sur la préservation du pluralisme, la France apporte son soutien de manière concrète et ambitieuse.
Tout d’abord, notre pays soutient la promotion des droits de l’homme et le pluralisme politique auprès des acteurs des sociétés civiles locales. En Syrie, il s’agit notamment de renforcer la capacité des conseils locaux, ainsi que de concevoir et d’animer un dialogue civil sur la justice locale dans les zones libérées.
Ensuite, la France lutte contre l’impunité en contribuant à la documentation à vocation contentieuse des crimes, notamment à caractère ethnique, religieux et confessionnel. Cette documentation doit permettre l’identification et la poursuite concrète de responsables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, dans le cadre de la compétence internationale ou universelle.
La France poursuivra ses efforts pour que la Cour pénale internationale puisse être saisie. C’est un long chemin. Vous en connaissez mieux que quiconque les obstacles, en particulier le fait que la Syrie ne soit pas partie au Statut de Rome et qu’une saisine par le Conseil de sécurité serait probablement bloquée par un veto. Toutefois, cela ne doit pas nous empêcher de réfléchir à des moyens pour que justice soit rendue. La France se battra pour que la justice soit en mesure de statuer sur la responsabilité de tous les criminels, sans exception, et de prononcer les peines adaptées, faute de quoi nous ne pourrons jamais obtenir une paix durable au Moyen-Orient.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement salue votre initiative visant à alerter et mobiliser les communautés nationale et internationale sur le sort des victimes de persécutions ethniques et religieuses au Moyen-Orient. Il salue une nouvelle fois la tonalité du débat de ce jour. Les exactions commises par Daech en Syrie et en Irak sont, en effet, susceptibles d’être qualifiées de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre, voire de crimes de génocide.
Néanmoins, le Gouvernement considère que ce n’est pas d'abord à lui de qualifier juridiquement ces crimes et que ce travail relève en premier lieu des juridictions nationales et internationales, dans le champ de leurs compétences et le respect de leur indépendance, sur la base du code pénal français et du Statut de Rome, notamment.
C’est pourquoi, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement s’en remet, pour le vote de la présente proposition de résolution, à la sagesse de la Haute Assemblée. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.
proposition de résolution invitant le gouvernement à utiliser toutes les voies de droit pour reconnaître les crimes de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre perpétrés contre les minorités ethniques et religieuses et les populations civiles en Syrie et en Irak
Le Sénat,
Vu l'article 34-1 de la Constitution,
Vu le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI),
Vu la loi n° 2010-930 du 9 août 2010 portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale,
Vu le chapitre VIII bis du règlement du Sénat,
Rappelant l’ampleur des crimes commis en Syrie et en Irak par des organisations étatiques et non étatiques, en particulier par le prétendu « État islamique en Irak et au Levant », Al-Qaïda, le Front Fath Al-Cham,
Considérant que ces crimes commis à l’encontre des populations chrétiennes, yézidies, des autres minorités et des populations civiles relèvent des incriminations prévues de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de génocide,
Considérant que des ressortissants français engagés auprès de ces organisations terroristes et criminelles se rendent coupables de ces crimes,
Invite le Gouvernement à utiliser toutes les voies de droit pour reconnaître les crimes de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre perpétrés contre les minorités ethniques et religieuses et les populations civiles en Syrie et en Irak.
Mme la présidente. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explication de vote.
Je mets aux voix la proposition de résolution.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 70 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 309 |
Pour l’adoption | 309 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)
11
Nomination de deux membres d’un organisme extraparlementaire
Mme la présidente. La commission des affaires sociales a proposé deux candidatures pour un organisme extraparlementaire.
La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.
En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame MM. Alain Milon et Gérard Roche membres du conseil de surveillance du fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie.
12
Délégations de compétences en matière de transports scolaires
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de loi tendant à clarifier les conditions des délégations de compétences en matière de transports scolaires (proposition n° 587 [2015-2016], texte de la commission n° 158, rapport n° 157).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Bruno Sido, auteur de la proposition de loi.
M. Bruno Sido, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, avec la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République du 7 août 2015, dite loi NOTRe, le Gouvernement et le Parlement ont profondément modifié la répartition des compétences entre régions, départements et communes. Le Sénat, dans un esprit constructif, a largement contribué à l’amélioration du texte, afin, notamment, de préserver l’essentiel des missions des conseils départementaux, indispensables dans les territoires à taille humaine et à faible densité de population.
Dans cette France des environs de Colombey-les-Deux-Églises, par exemple en Haute-Marne, qui est volontiers caricaturée et parfois qualifiée de « France profonde » ou de « territoire oublié de la République », le conseil départemental finance les investissements de modernisation. Cette action très concrète – quelque 70 millions d’euros pour 1 800 kilomètres de fibre optique, par exemple – démontre la fausseté des préjugés.
Cela suppose non seulement la proximité, mais aussi des savoir-faire et une technicité qu’une administration de dimension départementale peut financer plus facilement que les communes ou les agglomérations de taille moyenne.
Dans un département à faible densité d’habitants, c’est-à-dire dans quasiment tous les territoires sans métropole, le conseil départemental est la seule véritable intercommunalité. Il est dans l’intérêt de tous de promouvoir une telle approche, plutôt que de démultiplier les coûts de fonctionnement par la hausse des effectifs des intercommunalités. Cela relève simplement du bon sens.
Dans l’esprit de la loi NOTRe, le département assure les services de proximité grâce aux liens privilégiés noués avec les communes et leurs groupements, tandis que la région doit stimuler l’activité économique et l’emploi, proposer une vision partagée de l’aménagement du territoire et veiller à la réalisation des grands équipements structurants, supports d’une plus forte attractivité. En un mot, son approche doit être stratégique.
Par un mystère dont la vie parlementaire a le secret, contre l’avis de l’Association des régions de France, ou ARF, contre l’avis de l’Association des départements de France, ou ADF, contre l’avis de nombreux parlementaires de tous bords, la ministre qui était à l’époque en charge des collectivités a proposé, par amendement, de réintroduire le transfert de la compétence « transports scolaires » aux régions. Et le texte est devenu loi en l’état.
En toute franchise, gérer les circuits de ramassage scolaire s’apparente plus à du « cousu main » qu’à de la stratégie conçue depuis le siège d’une vaste et puissante région ! Ce constat est partagé non seulement par une très large part de mes collègues présidents de conseils départementaux, de gauche comme de droite, mais aussi par de nombreux élus locaux et régionaux. Il repose sur des faits objectifs. Qui gère l’essentiel du réseau routier et assure la viabilité hivernale des routes empruntées par les cars de ramassage scolaire ? Le département, bien sûr !
Pour garantir que tous les circuits de ramassage soient prioritairement traités en cas de neige et de verglas, le bon sens commanderait que la même collectivité s’occupe des deux sujets. Cela constituerait à la fois un gain de temps et un gage d’efficacité. En vérité, les transports scolaires ne sont pas détachables de la viabilité hivernale ni de l’entretien des routes.
Cette position repose aussi sur le refus de toute discrimination envers les élèves handicapés, dont le transport scolaire reste assuré par les départements aux termes de la loi NOTRe. Oui, nous avons de l’expérience et nos services savent remplir cette mission, mais il n’était pas justifié de répartir les élèves à transporter selon qu’ils souffrent ou non d’un handicap. Nous veillons à la qualité du transport scolaire pour tous, sans distinction ni discrimination.
Bien évidemment, d’aucuns me diront que la loi NOTRe permet à la région de déléguer cette compétence, notamment aux départements, en application de l’article L. 3119 du code des transports, dans les conditions de l’article L. 1111-8 du code général des collectivités territoriales.
Toutefois, à ce jour, le département qui se verrait confier cette mission, à compter du 1er septembre 2017, pour le compte de la région ne pourrait la subdéléguer aux actuelles autorités organisatrices de second rang, ou AO2, comme les syndicats de communes ou les EPCI, par exemple. Le « monstre sacré » qu’est la loi d’orientation des transports intérieurs, la fameuse LOTI, du 30 décembre 1982, n’offre pas une telle possibilité.
Or, mes chers collègues, comme l’a écrit notre rapporteur, quelque 83 % des départements ont recours à la délégation de compétence auprès de 3 345 AO2 pour l’organisation des transports scolaires. Dès lors, vous imaginez aisément les vives préoccupations de mes collègues présidents de conseils départementaux, efficacement portées par le président de l’ADF, Dominique Bussereau, depuis plusieurs mois.
C’est pour répondre à cette difficulté que, avec mes collègues Benoît Huré, Jean-Jacques Lasserre et François Bonhomme, j’ai déposé cette proposition de loi aussi simple que brève : pour citer notre excellent rapporteur, elle « tend à généraliser la faculté de subdélégation expressément prévue par le législateur pour les départements membres du STIF – le syndicat des transports d’Île-de-France – en 2008 ».
Il ne s’agit en aucun cas d’autoriser une subdélégation « en cascade », pour reprendre une expression volontairement péjorative, mais uniquement de revenir au statu quo ante.
Mes chers collègues, si vous votez ce texte, vous permettez aux régions et aux départements de maintenir une organisation bien rodée, qui assure une bonne sécurité aux enfants et donne satisfaction aux parents d’élèves et aux élus des communes. Que le Sénat veille à traiter toute la France aussi bien que l’Île-de-France me paraît un objectif partagé sur toutes les travées de cette assemblée.
Certes, les bons connaisseurs du dossier savent que, à ce jour, seule une minorité de régions veut confier aux départements cette compétence. Les autres ont annoncé vouloir directement conventionner avec les actuelles AO2. Toutefois, la sagesse du législateur, en garantissant la sécurité juridique des subdélégations, consiste aussi à offrir aux régions la possibilité de revoir leur position dans les années à venir. Des sujets autrement plus importants, tels que la lutte contre le chômage, par exemple, pourraient en effet mobiliser sans cesse davantage leur attention et leurs moyens.
Notre collègue et rapporteur, René Vandierendonck, a fort justement proposé un amendement visant à améliorer la rédaction juridique du texte tout en préservant son objectif. Je tiens à le remercier très sincèrement de m’avoir associé d’aussi près à ses travaux.
Pour éviter le risque de délégations de compétences en cascade, qui diluerait la responsabilité et nuirait à la transparence de l’action publique, notre rapporteur, avec mon accord, a mis au point un ingénieux dispositif que je lui laisse le soin de vous présenter.
Je ne saurais conclure sans remercier le président Larcher et le président Retailleau de l’inscription de cette proposition de loi, aussi concrète qu’utile, avant le transfert de compétence en 2017. Je sais combien l’agenda du Sénat est surchargé. De même, je voudrais remercier plusieurs de mes collègues appartenant à d’autres groupes politiques du soutien qu’ils ont témoigné à cette démarche. Ils se reconnaîtront.
Mes chers collègues, je forme le vœu que cette proposition de loi consensuelle puisse rallier la plupart de vos suffrages, au bénéfice d’une plus grande liberté des collectivités territoriale dans l’exercice de leurs missions. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC. – M. Simon Sutour applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. René Vandierendonck, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le ministre, mes chers collègues, les transports scolaires jouent un rôle déterminant dans le bon fonctionnement du service public de l’enseignement. Ils permettent à chaque élève d’avoir accès à un établissement d’enseignement et contribuent ainsi à l’égalisation des chances.
Chaque jour, quelque 60 % des 4 millions d’élèves transportés ont recours aux services départementaux. Une statistique récente d’Eurostat vient nous rappeler que, en matière de service public, les comptabilités doivent non pas être globales, mais s’efforcer de distinguer les importantes disparités d’accès entre le rural et l’urbain.
La fameuse loi LOTI du 30 décembre 1982 a constitué à coup sûr, avec les lois des 7 janvier 1983 et du 22 juillet 1983 relatives à la répartition de compétences entre les collectivités territoriales et l’État, une grande avancée décentralisatrice, en confiant aux départements l’organisation et le fonctionnement de ces transports, auparavant assumés par l’État. En trente ans, les départements ont su organiser un service public de proximité et de qualité apprécié des familles, et contribuer ainsi à la démocratisation scolaire, c’est-à-dire à l’accès du plus grand nombre à des études plus longues.
La loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République représente une nouvelle étape dans la mise en œuvre des transports scolaires. Nous y étions, tout comme le Premier ministre de l’époque.
En effet, à compter du 1er septembre 2017, les régions succéderont aux départements pour l’organisation et la gestion de ces transports. Elles pourront toujours, si elles le souhaitent, faire appel aux départements en leur déléguant la compétence des transports scolaires. Ces collectivités ne seront alors plus attributaires de la compétence transports scolaires, mais seulement délégataires.
Or la plupart des conseils départementaux, comme l’a souligné M. Sido, ont conclu avec des autorités organisatrices des transports – les fameuses AO2 – des conventions destinées à leur confier la mise en œuvre du service de transport scolaire.
En l’état actuel du droit, une personne publique délégataire d’une compétence ne peut à son tour la subdéléguer à une troisième personne publique ou privée, à l’exception notable des départements franciliens, qui peuvent, après délégation par le Syndicat des transports d’Île-de-France, le fameux STIF, la subdéléguer à leur tour à des autorités organisatrices des transports de troisième rang, les AO3.
En d’autres termes, à compter du 1er septembre 2017, les départements ne pourront plus subdéléguer la compétence des transports scolaires à leurs actuelles AO2 dans les cas où ils bénéficieraient eux-mêmes d’une délégation de compétence de la région.
Or, pour les 3 345 acteurs de terrain que sont les AO2 actuelles, il apparaît indispensable de maintenir une relation de proximité pour l’exercice de la compétence transports scolaires, afin de pouvoir s’adapter efficacement à l’extrême diversité des situations et aux spécificités des territoires. Cette proximité est rendue encore plus nécessaire par la nouvelle carte régionale issue de la loi du 16 janvier 2015.
Pour répondre à cette difficulté, notre collègue Bruno Sido a déposé la présente proposition de loi, qui tend à généraliser la faculté de subdélégation expressément prévue par le législateur pour les départements membres du STIF en 2008.
Elle a la force des idées simples, mais elle ne résiste pas, malheureusement – en effet, je partage cet objectif – à l’analyse juridique : tout d’abord, le STIF est attributaire de la compétence, alors que, ailleurs, ce sont les régions ; ensuite, le STIF représente quelque 70 % du transport ferroviaire en France et 40 % des personnes transportées chaque jour ; enfin, quand on se rend sur le terrain, on s’aperçoit que seul le département de la Seine-et-Marne a aujourd’hui recours à cette faculté de subdélégation, du simple fait qu’il n’appartient pas à la métropole du Grand Paris.
Ce qui importe dans votre démonstration, monsieur Sido, une fois écartée toute référence à la Seine-et-Marne, c’est que les 3 345 AO2 ne disposent d’aucune information sur les éventuelles relations qu’elles entretiendront avec les régions. En étudiant la situation localement, nous avons aussi constaté que votre proposition de loi, loin de n’être qu’une alerte, a un réel fondement. Toutefois, son adoption ne concernerait de fait qu’une dizaine de départements, selon mes calculs, compte tenu des conventions aujourd’hui signées.
Mes chers collègues, votre commission a donc accepté, avec l’accord de Bruno Sido, ma proposition visant à assouplir le régime des conventions existant éventuellement entre la région, titulaire de la compétence, et le département. Ce dernier aura ainsi la possibilité, en qualité de délégataire de compétence, de déléguer des prestations de service public à des collectivités locales ou des associations, par exemple.
Je tiens à remercier l’ARF et l’ADF de leur contribution, tout comme Nicole Bonnefoy, présidente de l’Association nationale pour les transports éducatifs de l’enseignement public, l’ANATEEP.
Fidèle à la méthode prônée par le président du Sénat et le président de la commission des lois, je suis allé sur le terrain. J’ai essayé d’introduire de la souplesse dans le texte. Peut-être la mission de contrôle et de suivi de la mise en œuvre des lois de réforme territoriale décidera-t-elle aussi d’allonger les délais.
Je propose un système relativement simple : d’une part, une convention de délégation de compétence entre la région et le département – la région reste libre de déléguer, même si je pense que la proximité milite en faveur ce choix ; d’autre part, un contrat de prestation de service pour la mise en œuvre de tout ou partie des compétences ainsi déléguées.
Je pense que cette idée simple permet de sortir de la confusion qui empoisonne les esprits en matière juridique. Il faut bien distinguer délégation de compétence et mode de gestion du service public. Si les collectivités locales sont intéressées, pourquoi ne pourraient-elles conclure une convention de délégation du service public ?
Je tiens à dire, monsieur le président de la commission des lois, que la brève analyse que nous avons tracée du transport scolaire est une démonstration très parlante de la bonne méthode adoptée par le Sénat pour évaluer prudemment, au cas par cas, la manière dont la loi NOTRe se met en place.
M. Charles Revet. Très bien !
M. René Vandierendonck, rapporteur. Le président du Sénat, qui était présent comme moi ce week-end à l’assemblée des maires du Bas-Rhin, a estimé qu’il ne fallait plus, à chaque alternance, démonter le « meccano territorial », a fortiori à travers une proposition de loi, aussi légitime soit-elle. Toutefois, le Sénat, représentant constitutionnel des collectivités territoriales, ne s’interdit pas, selon une méthode d’évaluation, de procéder à des ajustements nécessaires.
Je remercie de nouveau M. Sido et Mme Bonnefoy de leur travail. La vigilance tout à fait méthodique de la commission des lois a permis d’inscrire cette démarche dans le cadre d’une évaluation. Je pense que le rapport fait un état des lieux assez juste.
Enfin, à l’approche de Noël, je souhaite m’adresser très modestement au vice-président du Conseil d’État, pour lui dire que ce dossier illustre parfaitement la nécessité de recourir au contrat comme outil de droit souple pour adapter la réponse du service public aux nécessités locales, extrêmement variables d’un périmètre à l’autre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)
(Mme Jacqueline Gourault remplace Mme Françoise Cartron au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE Mme Jacqueline Gourault
vice-présidente
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Baylet, ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la mise en œuvre de la réforme territoriale s’achève désormais.
Depuis plusieurs mois, les collectivités travaillent sur les transferts de compétences. La recherche d’une plus grande lisibilité, fil conducteur de tous ces textes, s’est notamment traduite par la suppression de la clause générale de compétence des régions et des départements, et par la détermination précise des champs de responsabilité de chaque échelon.
À cette occasion, le Gouvernement a fait le choix d’un renforcement des régions, identifiées comme le niveau pertinent pour l’aménagement du territoire et le développement économique. Les compétences jusqu’alors exercées par les départements en matière de transports non urbains, de transports réguliers à la demande et de transports scolaires leur ont également été transférées.
Les transports constituent en effet un élément central des stratégies de développement régional et figureront parmi les priorités des futurs schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires, les fameux SRADDET.
Concrètement, dès le 1er janvier 2017, c'est-à-dire dans quelques semaines, les régions seront compétentes en matière de transports interurbains. Elles seront aussi en charge des transports scolaires à la rentrée prochaine. Le législateur a fixé deux dates différentes, afin de permettre aux collectivités concernées de préparer au mieux les modalités de transfert – services, moyens, personnels… –, en cohérence bien sûr avec le calendrier scolaire.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui et dont je tiens à saluer les auteurs – les sénateurs Bruno Sido, Bruno Hure et Jean-Jacques Lasserre – intervient dans ce contexte et s’intéresse plus particulièrement aux transports scolaires.
Elle vise à adapter le régime juridique de la délégation de compétences. Ainsi, un département auquel la région aurait délégué l’exercice de la compétence pourrait la déléguer à son tour à d’autres collectivités territoriales, à des groupements ou à des personnes morales de droit privé. Dans les faits, cela revient à autoriser la subdélégation et à créer des autorités organisatrices de troisième niveau.
Cette proposition de loi rouvre un débat qui a pourtant fait l’objet d’un accord entre les deux chambres en commission mixte paritaire, lors de l’examen de la loi NOTRe. À l’époque, comme vient de le rappeler M. Sido, le Gouvernement s’était constamment opposé à toute subdélégation, et il avait eu raison. Il est en effet incohérent de rechercher une plus grande lisibilité tout en acceptant la mise en place d’une organisation à trois niveaux. Cette délégation en cascade est contraire à la responsabilisation des acteurs et à la simplification de notre organisation administrative.
Je sais qu’une telle subdélégation – vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur, et il y est aussi fait référence dans l’exposé des motifs de la proposition de loi – est aujourd’hui autorisée en Île-de-France. De fait, seul le département de Seine-et-Marne en bénéficie aujourd’hui. Toutefois, vous conviendrez avec moi que la région capitale présente des caractéristiques propres, en particulier en matière de transports. En effet, la loi attribue directement au STIF cette compétence. Il ne s’agit donc en aucun cas d’un premier niveau de délégation.
C’est pourquoi le Gouvernement était défavorable au texte initial. Je crois d’ailleurs que le rapporteur avait exprimé une position similaire au sein de la commission des lois. Or, monsieur Vandierendonck, vous avez déposé un amendement qui vise à réécrire entièrement l’article 1er.
La rédaction que vous proposez ne réinstaure pas, selon vous, de subdélégation, mais prévoit d’autoriser un département, si la convention de délégation avec la région le prévoit explicitement, à recourir à des prestataires pour l’exécution de tout ou partie des compétences déléguées. Ces prestataires pourraient être des communes, des établissements publics de coopération intercommunale, des syndicats mixtes, des établissements d’enseignement, des associations de parents d’élèves ou des associations familiales.
Il y aurait donc lieu de distinguer, d’une part, la convention de délégation et, d’autre part, un contrat de prestation de services conclu selon les règles classiques de la commande publique, sous forme de marché public ou de délégation de service public.
Si le Gouvernement salue la volonté de trouver un compromis acceptable entre les uns et les autres, il ne peut soutenir cette nouvelle rédaction. J’aimerais en expliquer rapidement les raisons.
Tout d’abord, la proposition de loi issue de la commission remplit-elle l’objectif de clarification que nous poursuivons collectivement ? Bien sûr que non ! Elle complexifie les choses et délite les responsabilités.
L’article L. 3111-9 du code des transports, tel que modifié par la loi NOTRe, prévoit déjà la possibilité pour une région de déléguer tout ou partie de l’organisation des transports scolaires non seulement à des départements, des communes, des établissements publics de coopération intercommunale, des syndicats mixtes, mais aussi à des établissements d’enseignement, des associations de parents d’élèves ou des associations familiales. La région pourra ainsi s’appuyer sur une large palette d’acteurs de proximité, comme le font aujourd’hui les départements. Ce double étage de responsabilité, encadré par une convention de délégation, permettra de mettre en place une organisation des transports scolaires adaptée aux spécificités de chaque territoire régional.
Certes, l’article adopté en commission vise non pas à autoriser explicitement la subdélégation, mais à permettre au département délégataire de s’appuyer, sous forme de prestation de services, sur une collectivité ou un groupement qui interviendrait en régie. Permettez-moi de m’interroger sur le sens du dispositif proposé : pourquoi permettre aux départements de se voir déléguer une telle compétence, si ce n’est pour l’exercer ?
Mesdames, messieurs les sénateurs, le cadre juridique existant permet déjà d’envisager une organisation souple des transports scolaires. N’ajoutons pas un étage intermédiaire, au risque de complexifier inutilement le système.
M. François Bonhomme. La complexité, nous y sommes déjà !
M. Jean-Michel Baylet, ministre. Ensuite, le dispositif prévoit de restreindre dans la convention de délégation la capacité du délégataire à déterminer librement les modalités concrètes d’organisation du service. Cet aspect me paraît entrer en contradiction avec l’ambition affichée d’apporter davantage de souplesse. En effet, le régime de la délégation de compétences, modernisé par la loi MAPTAM, traduit l’ambition de reconnaître la subsidiarité dans l’exercice des politiques publiques. Ainsi, le délégataire, tout en agissant pour le compte de la région, doit pouvoir décider pleinement des modalités d’exercice de la compétence. Il peut choisir d’intervenir directement sous forme de régie ou opter pour la voie de l’externalisation, dans le respect du droit de la commande publique. Là encore, vous le voyez, le droit actuel nous offre des outils suffisants.
J’en veux pour preuve les retours de terrain. Les régions, à une très large majorité, ont décidé de ne pas déléguer la compétence en matière de transports scolaires aux départements, mais au contraire de s’appuyer sur les autorités organisatrices de deuxième niveau existantes, comme les intercommunalités, voire, dans la majorité des cas, d’exercer en propre le service. Les acteurs de terrain s’emparent ainsi pleinement du cadre juridique adapté, qui avait fait l’objet, je le rappelle, d’un consensus en commission mixte paritaire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne résiste pas au plaisir de vous rappeler, pour votre bonne information, ce qu’il en est région par région.
Auvergne-Rhône-Alpes : délégation dans l’ensemble des départements, à l’exception de la Savoie et de la Haute-Savoie.
Bourgogne-Franche-Comté : aucune délégation départementale.
Bretagne : aucune délégation départementale.
Centre-Val de Loire : aucune délégation départementale.
Grand Est : aucune délégation départementale.
Hauts-de-France : délégation départementale, à l’exception du Pas-de-Calais, mais pour la seule année 2017 ; à partir de 2018 : pas de délégation départementale.
Normandie : pas de délégation départementale, sauf dans deux départements, la Manche et l’Orne.
Nouvelle-Aquitaine : pas de délégation départementale.
M. François Bonhomme. Occitanie ?...
M. Jean-Michel Baylet, ministre. Occitanie : le transfert de compétences sera opéré en bloc le 1er janvier 2018, les délégations départementales fonctionnant jusqu’à cette date, mais pour la seule année 2017.
PACA : pas de délégation départementale.
Pays de la Loire : pas de délégation départementale.
Comme vous pouvez le constater, les régions se sont emparées – c’est normal, la loi a été conçue en ce sens – des compétences nouvelles qui leur ont été attribuées. Le débat ne concerne donc qu’un nombre infime de départements, les régions s’étant également organisées pour exercer directement cette compétence nouvelle, allant même parfois jusqu’à la subdéléguer, non pas aux départements, mais directement aux associations que vous avez évoquées.
Dans ces conditions, vous l’aurez compris, le Gouvernement, estimant que cette proposition de loi n’apporte pas de clarification du dispositif de délégation, qu’elle n’est pas de nature à améliorer le service rendu aux populations et que, enfin, les dispositifs existants permettent de répondre aux enjeux qui se posent dans les territoires, ne peut qu’y être défavorable. (Mme Odette Herviaux applaudit.)
M. François Bonhomme. Quelle exaltation…
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
M. Bruno Sido. Une ancienne présidente de région !
Mme Marie-Christine Blandin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mesdames, mes chers collègues, nous venons d’entendre la thèse et l’antithèse…
Le rôle accru des nouvelles régions en matière d’aménagement du territoire a eu raison de la compétence « transports » des départements, à l’exception de l’organisation et du fonctionnement des services spéciaux pour les élèves en situation de handicap, qui restent de la responsabilité des départements au titre de leur compétence générale en matière de handicap et de protection sociale.
La loi NOTRe a donc transféré aux régions la responsabilité du transport scolaire dès la prochaine rentrée ; le délai est serré ! De plus, la LOTI rend simultanément impossible pour le délégataire de faire appel à une autorité organisatrice de troisième rang. Or des départements s’appuient sur des autorités organisatrices plus petites – elles sont actuellement plus de 3 000 –, pour organiser le transport scolaire. Cette possibilité offerte aux départements et au STIF était largement utilisée, puisque, selon une enquête de l’Association nationale pour les transports éducatifs de l’enseignement public, 83 % des départements avaient délégué, au moins pour partie, leur compétence en matière de transports scolaires à des autorités organisatrices de second niveau.
Il nous faut donc concilier le « bon sens » de cette proposition de loi, inspirée par un souci de proximité, qui fait le pari de transporter quatre millions d’élèves en s’appuyant sur ce qui fonctionne, et l’intérêt de la loi NOTRe, qui clarifie, regroupe les compétences et permet de donner un sens lisible à une politique globale. C’est pourquoi nous trouvons pertinent et nécessaire l’amendement porté par M. Vandierendonck, qui concilie l’expérience des territoires et la nouvelle responsabilité de la région instaurée par la loi NOTRe, par des conventions de délégation de compétences entre la région et le département, encadrant, ou non, les éventuelles subdélégations infradépartementales, via des contrats de prestation de services.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Enfin du bon sens !
Mme Marie-Christine Blandin. La responsabilité reviendrait donc à l’autorité supérieure, à laquelle il incomberait, notamment, de définir le niveau de tarification et de service, l’interopérabilité entre les modes de transport et entre les différents temps de la vie des élèves, afin de garantir l’équité sur l’ensemble des territoires infrarégionaux, pour toutes les familles et tous les enfants empruntant ces transports scolaires. La délégation ne porterait que sur les moyens d’atteindre ces objectifs.
M. René Vandierendonck, rapporteur. Très bien !
Mme Marie-Christine Blandin. Entre pilotage institutionnel et politique et mise en œuvre au plus près du terrain, nous touchons à des enjeux plus importants qu’il n’y paraît.
Les territoires et les collectivités territoriales sont incités, parfois obligés, à la vertu, mais sur le mode « faites ce que je dis, pas ce que je fais ». Ils sont sur le front de la lutte contre les dérèglements climatiques, de l’aménagement durable du territoire, des transports de demain : voies réservées, téléphériques, tram-train, vélos en libre-service, dessertes des établissements scolaires… Plus que de transports, il s’agit de la responsabilité de la mobilité durable : incitation à la mobilité douce, politique des temps, covoiturage… Tout cela est en phase avec nos engagements internationaux pour le climat et l’écho significatif que leur a donné le Gouvernement lors de leur signature.
Toutefois, cette belle synergie est encore trop souvent contrecarrée par des arbitrages irresponsables : fret SNCF confié à la route ; voyageurs impécunieux mis dans les autobus – aux riches le train et le TGV ! – et libéralisation des cars Macron en pleine COP 21… Sur ce dernier point, l’argument selon lequel cette mesure serait favorable à l’emploi ne tient pas : on enregistre déjà les premiers licenciements !
Alors, oui, confier ce genre de responsabilités aux régions est un bon choix. C’est un échelon pertinent, qui offre une surface stratégique, politique, économique et territoriale suffisamment importante, mais sans être trop éloigné des réalités des habitants. Quant à l’échelon national, il devrait s’inspirer de ces principes et donner aux régions les moyens des ambitions déclamées la main sur le cœur dans les sommets internationaux, en s’abstenant de mettre en place des politiques à contre-courant.
Je ferme cette parenthèse de mauvaise humeur, pour en revenir à cette proposition de loi. Amendée par le rapporteur, elle ne joue pas – cela aurait été dommage – la troisième mi-temps d’un arbitrage qui aurait été défavorable au département. Elle se contente d’adapter a posteriori les liens entre l’instance stratège et les instances de proximité. Nous la soutiendrons donc. (Applaudissements sur certaines travées du groupe Les Républicains et au banc de la commission. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme.
M. François Bonhomme. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la compétence des transports scolaires a fait partie du grand mouvement des lois décentralisatrices. Ce bouleversement a profité aux départements, qui se sont vu confier l’organisation et le fonctionnement de ces transports autrefois assurés par l’État.
Naturellement, cela ne s’est pas fait sans difficulté, mais, au fil des ans, à la faveur du mouvement décentralisateur, les départements ont su développer des services de transports de proximité et de qualité. Seulement voilà, peut-être parce que cela fonctionnait bien et donnait satisfaction, peut-être parce que personne ne le demandait véritablement, sous couvert d’une œuvre réformatrice, il a fallu tout chambouler.
La loi NOTRe, devenue définitive après de multiples atermoiements et en dépit des tentatives de corrections du Sénat, a maintenu les transferts de compétences au niveau régional, y compris pour les transports scolaires. Elle a confié aux régions l’organisation et la gestion de ces transports, compétences qui relevaient jusque-là des départements.
Certes, les régions pourront toujours, si elles le souhaitent, faire appel aux départements, en leur déléguant la compétence des transports scolaires. Ces derniers ne seront donc plus attributaires, mais seulement délégataires. Malheureusement, dans ce bouleversement, on a ignoré la réalité territoriale, en particulier celle des départements, qui ont su patiemment s’assurer des compétences techniques et humaines pour remplir cette mission si importante qui participe à la recherche de l’égalité des territoires, dont vous avez la charge, je crois, monsieur le ministre…
Cette réalité territoriale, tant ignorée, est pourtant éclatante. En trente ans, la plupart des conseils départementaux ont conclu avec des autorités organisatrices de transports infradépartementales, ou AO2, des conventions destinées à leur confier cette mission sur une partie de leur territoire. Aujourd’hui, la plupart des départements ont mis en place un service de transport des élèves à la carte, au plus près des contraintes des familles. Ce service public départemental sur mesure s’apprête malheureusement à être défait.
Je viens d’un département, le Tarn-et-Garonne, où le président du conseil départemental s’inquiète de l’impréparation et du flou présidant à la mise en œuvre de ce transfert. Dans l’expectative et devant les multiples questions restées sans réponse, la région Occitanie a demandé que lui soit accordée une année supplémentaire avant le transfert de compétences, pour y voir « plus clair ». La région s’interroge sur la suite à donner, façon polie de dire qu’elle ne sait pas où elle va. Et pour cause ! Ses treize départements possèdent des organisations différentes de leurs transports scolaires. Implicitement, la région reconnaît le bien-fondé de l’échelon départemental.
Sur les 3 345 A02, acteurs de terrain recensés par l’ANATEEP, l’Association nationale pour les transports éducatifs de l’enseignement public, près des deux tiers sont des communes et EPCI, qui gèrent pour le compte des départements l’organisation des transports scolaires.
Cette proposition de loi a le mérite de réintroduire proximité et souplesse, en facilitant une relation étroite entre acteurs publics locaux et ressources locales pour l’exercice de cette compétence. C’est la condition de l’adaptation efficace à la diversité des situations et aux spécificités des territoires.
De grâce, plutôt que vos propos lénifiants, monsieur le ministre, sur le « grand retour des services publics » ou vos affirmations selon lesquelles les transports figureront parmi les priorités des fameux SRADDET, qui ne sont pas encore constitués, vous feriez mieux de défendre les collectivités, d’écouter l’avis unanime et transpartisan de l’Assemblée des départements de France, qui attend cette proposition de loi et ce genre de correction. Au lieu de quoi, pour justifier votre opposition, vous faites valoir un besoin de lisibilité et une prétendue complexité, alors même que cette complexité, ainsi que l’impossibilité d’organisation qui en découle pour les départements et les régions, provient de transferts de compétences consécutifs à la loi NOTRe que vous défendez. Au moins Marylise Lebranchu avait-elle reconnu – certes, un an plus tard – que le Gouvernement « n’avait pas été bon sur la loi NOTRe ».
Mme la présidente. Il faut conclure !
M. François Bonhomme. Vous feriez mieux de vous inspirer de cette proposition de loi déposée par mes collègues Sido, Huré et Lasserre, qui, en permettant la généralisation de la faculté de subdélégation, introduit un correctif nécessaire. Cela me paraîtrait beaucoup plus utile que le prêchi-prêcha que vous venez de nous servir ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Favier.
M. Christian Favier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est pour corriger l’une des nombreuses incohérences de la loi NOTRe que Bruno Sido et plusieurs de nos collègues ont déposé cette proposition de loi, selon moi pleine de bon sens, tendant à clarifier les conditions des délégations de compétences en matière de transports scolaires.
Chacun sait ici combien notre groupe a combattu cette réforme, qui tourne le dos aux attentes d’une large majorité d’élus. Comme ils l’avaient exprimé à l’automne 2012 aux états généraux de la démocratie territoriale, qui se tenait ici même au Sénat, ces derniers aspiraient à une véritable loi de décentralisation consacrant un service public du XXIe siècle et non à une transcription technocratique de directives supranationales dictées par Bruxelles.
À l’époque, notre groupe avait affirmé que cette réforme relative à de nombreuses compétences consacrait une tutelle de la région sur les autres collectivités, en contradiction avec l’article 72 de la Constitution. La nécessité de travailler à des dispositions telles que celle que nous étudions aujourd’hui démontre à quel point nous avions raison.
L’examen de ce texte démontre surtout l’absurdité du transfert de la compétence des transports scolaires des départements aux régions. Il suffit de réfléchir cinq minutes sur cette question pour en mesurer l’incohérence. Prenons la situation d’une « région XXL » comme la Nouvelle-Aquitaine : comment, dans un territoire dont la superficie égale quasiment celle du Portugal, pourrions-nous organiser dans des conditions satisfaisantes un ramassage scolaire qui se gère, on le sait, au plus près des habitants, village par village ? Il s’agit d’un véritable travail de dentelle ! On comprend aisément que la quasi-totalité des conseils départementaux ait fait le choix de déléguer cette compétence aux structures communales, intercommunales et associatives, choix désormais interdit par la nouvelle loi.
M. Bruno Sido. C’est une recentralisation !
M. Christian Favier. Je ne peux m’empêcher de penser que ce transfert de compétences a d’abord été pensé dans l’intérêt financier des grandes sociétés privées de transport, qui ne refuseront certainement pas des marchés publics à l’échelle des nouvelles grandes régions, et au détriment de la prise en compte des besoins réels des élèves et de leurs familles, sans réelle concertation et au préjudice des petits transporteurs locaux.
Je veux en outre vous mettre en garde sur un autre aspect : le transfert de compétences des départements vers les régions pourrait représenter un recul social. En effet, nombre de départements avaient, notamment sur l’initiative des élus communistes, mis en place une gratuité des transports scolaires permettant d’élargir le droit à l’éducation gratuite au-delà de la frontière de l’école. Ces politiques de progrès pourraient aujourd’hui être remises en cause.
Même si les régions conservent la possibilité de déléguer la compétence des transports scolaires aux départements, il est aberrant qu’un système de subdélégation, tel que proposé par la présente proposition de loi, n’ait pas été prévu. En effet, aujourd'hui, 83 départements délèguent la compétence des transports scolaires à pas moins de 3 345 autorités organisatrices de second rang, pour la plupart des communes et des intercommunalités.
Pour en venir au fait, mes chers collègues, si nous restons opposés au transfert de compétences, il nous appartient – principe de réalité oblige – de prendre acte de la présente proposition de loi. Déposée par nos collègues Sido, Huré et Lasserre, tous trois présidents de conseil départemental, elle relève du bon sens. Je tiens également à saluer le travail du rapporteur, qui a déposé un amendement adopté par la commission. Celui-ci permet d’apporter une précision et des sécurités juridiques indispensables au système de subdélégation.
Si notre groupe s’apprête à voter en faveur de cette proposition de loi, c’est d’abord parce qu’elle permettra la reconduction de dispositifs pratiques, unanimement reconnus par les élus locaux, notamment en zone rurale ou de montagne. Il paraît effectivement essentiel de maintenir, pour ceux qui en font le choix, une gestion de proximité, pour accompagner, chaque matin, près de trois millions d’élèves sur le chemin de l’école. Or tel est justement l’objectif du présent texte.
Par ailleurs, vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, le système de subdélégation en matière de transports scolaires existe déjà en Île-de-France depuis 2008. L’Essonne a pu en faire l’expérimentation ; la Seine-et-Marne y a toujours recours, pour répondre aux besoins spécifiques de territoires éloignés du cœur métropolitain francilien. Le dispositif fonctionne bien.
En conclusion, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de dresser un constat en forme de bilan des réformes territoriales de la législature qui se termine. Les dispositifs technocratiques mis en place ces dernières années ne résistent décidément pas à la réalité du terrain. Les grands discours sur la rationalisation, le regroupement des compétences au nom de l’austérité ou de la simplification n’auront été qu’au service de dogmes idéologiques incompatibles avec les besoins des territoires. La loi NOTRe et le transfert de la compétence des transports scolaires des départements aux régions en constituent le parfait exemple.
Notre groupe votera donc en faveur d’une proposition de loi permettant, finalement, d’atténuer une loi NOTRe contraire aux intérêts de la population et inadaptée aux besoins des territoires. C’est un premier pas, mais la véritable réforme de la décentralisation reste à faire. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains et au banc de la commission.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, pensez-vous que les transports scolaires fonctionneront mieux quand la loi NOTRe entrera en vigueur ?
M. François Bonhomme. Non !
M. Pierre-Yves Collombat. Si tel était le cas, nous ne serions pas ici à tenter de réformer une loi qui n’est « nôtre » que de nom !
L’organisation des transports scolaires sera-t-elle plus lisible pour les élèves, leurs parents et ceux qui en ont la charge au quotidien ? Les responsables seront-ils plus facilement accessibles quand il faudra s’adresser à la région ? Probablement pas !
Si les départements avaient largement délégué la mise en œuvre effective du service, il devait bien y avoir une raison – raison pratique, j’en conviens, avant d’être théorique. Remarquons d’ailleurs que la loi NOTRe avait prudemment laissé aux départements le soin d’organiser le transport scolaire des élèves handicapés, en contradiction avec le dogme de l’unicité d’exercice des compétences, responsable du choix finalement fait, malgré toutes les mises en garde, de confier le transport scolaire à la région.
M. François Bonhomme. Absolument !
M. Pierre-Yves Collombat. M. le ministre vient d’ailleurs de nous rappeler les éléments de ce credo.
Nous espérons que quelque obscure raison juridique dont Bruxelles a le secret ne viendra pas bousculer la correction de bon sens qui nous est aujourd'hui proposée. On le sait déjà, tous les départements ne sont pas prêts à assumer, dans n’importe quelle condition, une compétence qui n’est plus la leur. Par ailleurs, si les régions veulent assumer directement le service, qu’elles le fassent ! On jugera au résultat.
Troisième interrogation : le coût du transport scolaire sera-t-il moins élevé après la loi NOTRe, que cette proposition de loi de bon sens aille ou non au bout du marathon parlementaire ? Non, bien évidemment ! D’ailleurs, vous l’aurez remarqué, on ne parle plus guère des 20 milliards d’euros d’économies que les réformes de la loi RCT puis de la loi NOTRe devaient permettre de réaliser. En l’espèce, aux coûts des services de gestion des transports, qu’il faudra maintenir à proximité, s’ajoutera le coût du service régional. Encore une fois, si on entend sauvegarder l’essentiel, à savoir un service de proximité, il faudra bien y mettre les moyens !
Le traitement des transports scolaires par la loi NOTRe est emblématique des impasses dans lesquelles nous conduisent des réformes, qui, au lieu de partir des problèmes concrets, procèdent d’a priori : il y a trop de communes en France, trop de niveaux administratifs, trop de fonctionnaires ; tous les regroupements permettent de faire des économies d’échelle ; c’est dans les métropoles qu’est créée la richesse, laquelle « ruisselle » ensuite sur l’ensemble du territoire… Autant de sornettes dont on se garde bien de vérifier la pertinence ! On aurait, sinon, quelques surprises…
Je me plais à imaginer une réforme qui ne distribuerait pas des compétences, mais se préoccuperait des services à la population, évitant ainsi de séparer la compétence du territoire sur lequel elle va s’exercer. Ainsi, dans l’expression « transport scolaire », qu’est-ce qui est le plus important ? « Transport » ou « scolaire » ? Pour moi, c’est « scolaire », parce que c’est cette mission qui conditionne le choix des moyens et leur organisation, et non l’inverse. Vu d’un bureau, c’est évidemment le bus que l’on voit, et non pas les élèves de nos petites écoles rurales, leurs conditions de vie – la neige et le verglas – et leur rapatriement en catastrophe en cas de danger, quand l’inspection académique téléphone pour dire : « Vite, il est treize heures trente, il faut rapatrier les enfants ! » Vu d’un bureau, tout ça, on ne sait même pas que ça existe.
M. Simon Sutour. Absolument !
M. Pierre-Yves Collombat. Elias Canetti a écrit que le papier « supporte tout ». Visiblement, celui de la loi aussi ! Toutefois, je crains que tel ne soit pas le cas de la réalité.
Vous l’aurez compris, le RDSE votera cette proposition de loi de bon sens, en espérant que son examen parlementaire arrivera à terme. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC. – M. Simon Sutour applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Lasserre.
M. Jean-Jacques Lasserre. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi tendant à clarifier les conditions des délégations de compétences en matière de transports scolaires s’inscrit dans un contexte institutionnel incertain. En effet, après les lois MAPTAM et NOTRe, la suppression de la clause de compétence générale pour les régions et les départements, le transfert de la compétence en matière de transports scolaires et interurbains ou encore l’émergence des « super régions », concomitante avec la montée de l’échelon intercommunal, se posent de nombreuses questions, à la fois financières, juridiques et politiques.
La loi NOTRe a fait surgir des interrogations et de la complexité en transférant aux régions les transports scolaires dès la rentrée prochaine. En parallèle, elle leur octroie la possibilité de déléguer cette compétence aux départements, tandis que ces derniers conservent cette même compétence pour les élèves handicapés.
En France, les cas de figure sont différents. Certaines régions, minoritaires – vous l’avez indiqué, monsieur le ministre –, vont déléguer leur compétence en matière de transports sous forme de convention. C’est le cas de figure le plus clair, qui aura l’avantage de s’appuyer sur des dispositifs ayant fait leurs preuves, en termes d’efficacité et de rationalité. D’autres régions, plus nombreuses, la Nouvelle-Aquitaine, où je suis élu, par exemple, exerceront cette responsabilité. Elles auront l’obligation de transférer cette compétence aux communautés d’agglomération lorsque celles-ci sont présentes sur un plan départemental. Cela provoquera bien entendu des complexités extrêmement importantes, quant à la cohérence du service rendu, mais également sur le plan financier – j’y reviendrai plus tard.
Actuellement, il est fréquent que les départements, par voie de convention, confient la compétence des transports scolaires à des communes, des EPCI, des syndicats mixtes, des établissements d’enseignement, des associations de parents d’élèves ou des associations familiales. Or, lorsque les régions auront délégué aux départements leur compétence en matière de transports scolaires, ces derniers ne pourront pas la subdéléguer ; ils ne pourront donc plus reconduire les solutions aujourd’hui choisies, lesquelles s’adaptent réellement à des situations concrètes.
Ainsi, cette proposition de loi semble la bienvenue et vient corriger une imperfection, une de plus, contenue dans la loi NOTRe.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Eh oui !
M. Jean-Jacques Lasserre. Je salue donc l’initiative prise par notre collègue Bruno Sido ainsi que le travail de notre rapporteur, René Vandierendonck, …
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Moi aussi !
M. Jean-Jacques Lasserre. … qui a apporté une modification acceptée par tous en commission. En effet, introduire la possibilité d’une convention de délégation et d’un contrat de prestation de services pour l’exécution de cette compétence déléguée est une bonne solution, qui permettra de contourner certaines difficultés posées par l’option choisie dans le texte initial, qui s’inspirait du modèle particulier de l’Île-de-France.
Les transports scolaires représentent une compétence très importante : quatre millions d’élèves sont transportés chaque jour par les départements dans la France entière, pour un budget départemental de 2 milliards d’euros par an. Cela a été dit, monsieur le ministre, le département est sans conteste l’échelon territorial le plus approprié pour l’exercice de cette compétence. Il doit la conserver, y compris pour pouvoir, s’il le souhaite, la subdéléguer, pour des raisons logiques, pratiques, qui collent aux réalités du terrain.
Le département a toujours entretenu une proximité de terrain avec les usagers et les citoyens, ce qui lui permet, en son sein, d’assurer la poursuite d’une politique globale et cohérente eu égard notamment à ses propres compétences, ou du moins à celles qu’il conserve : la politique des transports et celle des collèges, s’agissant entre autres des sujets relatifs à la sectorisation ; la compétence routière, qu’il exerce en tant que gestionnaire des routes départementales, et les transports routiers de personnes, donc les problèmes de mise en accessibilité, veille hivernale, sécurité des points d’arrêts, aménagement, etc. ; les transports spécialisés destinés aux élèves handicapés et l’adaptation de l’ensemble des dessertes à l’exigence de bonne inclusion de ces publics particuliers.
La loi NOTRe, certes, donne de la clarté, mais elle casse la proximité et l’intelligence des solutions.
Si cette délégation aux autorités organisatrices semble naturelle et appropriée pour le département, nous devrons cependant rester vigilants sur certains points.
Je pense à la question des dates de transfert des lignes régulières interurbaines et des lignes scolaires, respectivement fixées au 1er janvier et au 1er septembre 2017, et donc de la concomitance de ces deux transferts. Je pense également au devenir des actions liées à la mobilité durable hors du ressort territorial des AOM, à l’articulation de ces transferts avec la question des élèves handicapés et aux difficultés opérationnelles que cela engendrera sur le terrain.
Il nous faudra également veiller au budget alloué par la région et à la nécessité de renégocier périodiquement les conventions, selon des conditions à préciser.
Il serait nécessaire, enfin, de mesurer la pertinence du déploiement par un échelon politique d’un schéma organisationnel décidé par un autre échelon.
Vous l’aurez compris, cette proposition de loi relève pour nous de l’évidence. Dans un souci de souplesse et de respect de la logique du terrain, nous la voterons avec enthousiasme.
Je souhaiterais conclure en appelant votre attention, monsieur le ministre, mes chers collègues, sur la situation des régions qui choisissent d’exercer ces compétences. Les compétences en matière de transports scolaires et interurbains seront d’office transférées aux communautés d’agglomération. Ces dernières disposeront, à cette fin, de leur propre fiscalité. Par conséquent, il convient de préciser les conditions financières de ces transferts ainsi que les charges transférées des départements aux régions.
M. Bruno Sido. Exact !
M. Jean-Jacques Lasserre. Ce transfert ne peut en aucune façon concerner les charges supportées par les communautés d’agglomération, charges qui sont elles-mêmes adossées sur leur propre fiscalité.
La voracité des régions ne doit pas conduire à un racket des départements. Monsieur le ministre, votre position nous paraît étonnante : les régions, qui sont gigantesques, briseront la proximité ; les transports demandent une attention soutenue, exigent du « cousu main ». Laisser aux acteurs locaux les moyens de s’organiser et de décider reste la meilleure des solutions ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe Les Républicains et au banc de la commission.)
M. François Bonhomme. Eh oui !
M. Bruno Sido. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. Simon Sutour.
M. Simon Sutour. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi tendant à clarifier les conditions des délégations de compétences en matière de transports scolaires, que nous examinons aujourd’hui, est considérée par certains, à juste titre, comme une rustine à la loi NOTRe ; elle n’en demeure pas moins essentielle pour enfin clarifier la répartition de la compétence « mobilité-transport » entre les collectivités territoriales, plus précisément, entre les départements et les régions.
Comme l’indiquait il y a quelque temps un magazine bien connu traitant du sujet des collectivités locales, « il s’agit d’une équation à multiples inconnues ».
M. Roland Courteau. Ah !
M. Simon Sutour. Il faut commencer par saluer nos trois collègues, Bruno Sido, Benoît Huré et Jean-Jacques Lasserre, qui sont à l’origine du dépôt de cette proposition de loi.
M. René Vandierendonck, rapporteur. Absolument !
M. Simon Sutour. À mesure que nous nous rapprochons de l’échéance principale, à savoir le transfert du transport scolaire aux régions à la rentrée de 2017, les modalités de mise en œuvre de ce transfert sont, il faut bien l’avouer, de moins en moins claires.
M. Bruno Sido. Eh oui !
M. Simon Sutour. En effet, compte tenu des différents systèmes existant dans chaque département, faisant appel, comme Bruno Sido l’a indiqué, à 3 345 intervenants, compte tenu également des souhaits hétérogènes des exécutifs, en la matière, dans les conseils régionaux et les conseils départementaux, compte tenu, enfin, des réponses du Gouvernement, il était temps d’en finir avec les surenchères d’ingéniosité dédiées à contourner la LOTI et de mettre fin à l’insécurité juridique, dans un domaine où, précisément, il ne doit y avoir aucune place pour l’insécurité.
Chaque jour, deux millions d’élèves bénéficient de ce service, pour un coût annuel de 4 milliards d’euros. Il ne s’agit donc pas d’un sujet anodin. Au-delà de l’aspect formel et financier, le transfert aux départements, par les lois de décentralisation de 1982 et de 1983, des transports publics interurbains, d’une part, et des transports scolaires, d’autre part, compétences jusqu’alors exercées par l’État, a été l’un des éléments clés de la décentralisation.
Pour l’avoir vécu et mis en place, à l’époque, dans mon département, le Gard, en tant que directeur général des services, je peux vous assurer que le transfert de cette compétence a largement contribué à réduire les inégalités entre les territoires urbains et ruraux dans des départements comme le mien.
M. René Vandierendonck, rapporteur. Oui !
M. Bruno Sido. Absolument !
M. Simon Sutour. Permettre à chaque élève, quel que soit son lieu d’habitation, d’avoir accès à un établissement scolaire qui lui correspond, c’est ça, l’égalité !
La souplesse du régime juridique actuel est parfaitement adaptée aux différentes problématiques territoriales : les départements, en tant qu’autorités organisatrices des transports de premier rang, les AO1, comme il est de coutume de les nommer, assument cette compétence de manière particulièrement efficace.
S’agissant du transfert aux régions, je souhaite que ces dernières puissent faire aussi bien, même si, dans ce domaine en particulier, la proximité entre les donneurs d’ordres et les exécutants me semble essentielle. On le voit notamment à l’occasion des alertes météorologiques, qui nécessitent de la précision et de la réactivité de la part des départements, lorsqu’il s’agit d’interrompre de manière préventive tout ou partie du transport scolaire pour une période déterminée. Élu d’un département où les épisodes cévenols sont nombreux, j’en sais quelque chose !
Pour le moment, donc, les départements assument cette compétence, soit directement, soit en la confiant à des autorités organisatrices de second rang, afin de coller au mieux aux réalités du terrain. Notre rapporteur, René Vandierendonck, que je salue également pour la qualité de son travail sur ce texte,…
M. Charles Revet. Très bien !
M. Simon Sutour. … rappelait que seuls 17 % des départements assument directement les responsabilités inhérentes à l’exercice de cette compétence ; les autres font tous appel à des AO2.
Dans le Gard – veuillez m’excuser, mes chers collègues, d’insister sur ce cas –, environ 28 000 élèves sont transportés quotidiennement pour un budget annuel de près de 22 millions d’euros. Une participation annuelle de 70 euros est désormais demandée, pour un coût réel de plus de 900 euros. La majeure partie de ces trajets sont effectués par un délégataire pour le compte du département. Ce délégataire assure également, la plupart du temps – je voudrais souligner ce point –, une compétence en matière de transports non urbains, à savoir les liaisons intradépartementales qualifiées de régulières et les services à la demande.
La compétence en matière de transports non urbains sera transférée aux régions à compter du 1er janvier 2017. Ce décalage entre les dates respectives, 1er janvier et 1er septembre 2017, du transfert des transports non urbains et de celui des transports scolaires, est pour le moins curieux. En effet, dans la pratique, la dissociation entre le transport interurbain et le transport scolaire est parfois artificielle. Les élus départementaux, qui sont nombreux sur ces travées, le savent : environ un tiers des élèves empruntent en réalité des lignes régulières interurbaines. C’est dire la complexité de ce dossier, qui est beaucoup moins simple que l’on a bien voulu nous le dire.
Globalement, les usagers sont satisfaits, même si, ces dernières années, face à l’augmentation des coûts et au poids des contraintes budgétaires, de nombreux départements, dont le mien, où la gratuité, par le passé, était totale, n’ont eu d’autre choix que de demander une participation financière aux familles pour couvrir une infime partie du coût réel.
En tant que farouche défenseur des services publics, je défendrai toujours le principe de la différence entre un client et un usager. Je défendrai toujours les élèves qui habitent loin des centres urbains, afin qu’ils puissent se rendre à l’école gratuitement, ou pour un prix modique, y compris s’il faut faire appel à des taxis, comme c’est parfois le cas.
M. Bruno Sido. Très bien !
M. Simon Sutour. Il est prévu, dans la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, que nous précisions ce dispositif. Il ne s’agit pas aujourd’hui, monsieur le ministre, de rediscuter de l’opportunité du transfert de la compétence en matière de transports scolaires aux nouvelles régions, mais plutôt de nous attacher à rendre ce transfert possible et efficient.
M. Bruno Sido. Ça…
M. Simon Sutour. J’ouvre une brève parenthèse pour rappeler que le même problème s’était posé ici même, il y a une année, au sujet de la protection des forêts contre l’incendie.
M. Pierre-Yves Collombat. Tout à fait !
M. Simon Sutour. En supprimant la clause générale de compétence des départements, la loi NOTRe remettait en cause la capacité de certains départements dits « sensibles », comme le département du Gard – veuillez une nouvelle fois m’excuser, mes chers collègues, de citer mon département –,…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Très beau département !
Mme Vivette Lopez. Oh oui !
M. Simon Sutour. … à intervenir pour défendre leurs forêts contre l’incendie. Fort heureusement, une proposition de loi, devenue loi, a entre-temps corrigé cette anomalie.
La notion de continuité du service public prend ici tout son sens, et l’on constate qu’une mesure contenue dans une loi peut remettre en cause ce principe fondamental.
J’en reviens au sujet qui nous intéresse aujourd’hui : le principal écueil relatif au transfert aux régions de la compétence en matière de transports scolaires est celui de la délégation, avec son corollaire, la subdélégation – la plupart de nos collègues qui sont intervenus l’ont évoqué. En effet, selon les cas, certaines régions – vous en avez donné la liste, monsieur le ministre – souhaiteront exercer pleinement cette compétence et pourront, comme la loi le permet à l’article L. 1111-8 du code général des collectivités territoriales, l’exercer directement ou la déléguer à des AO2 existantes ; mais, pour les régions qui ne souhaitent pas l’exercer directement et préfèrent la déléguer aux départements, se pose le problème de la subdélégation.
Certes, comme vous l’avez indiqué, monsieur le ministre, ce problème se pose pour une année seulement ; mais il faudra bien, pendant cette année, transporter les élèves ! Je rappelle que la subdélégation est formellement interdite par la loi, à une exception près, celle des départements franciliens ayant reçu délégation du STIF, qui sont autorisés à subdéléguer.
Pour l’heure, donc, et tant que la proposition de loi que nous examinons n’est pas votée par le Parlement, c’est un peu, si je puis me permettre cette expression, « la foire ». Certains départements ne veulent pas se voir déléguer cette compétence ; d’autres le souhaitent ; certaines régions souhaitent déléguer totalement ou partiellement, dans l’immédiat ou de manière différée ; d’autres, au contraire, nombreuses, veulent l’exercer pleinement ;…
M. Bruno Sido. C’est le bazar !
M. Simon Sutour. … d’autres, enfin, comme la mienne, l’Occitanie, se laissent du temps et demandent le report de la mise en œuvre de ce transfert au 1er janvier 2018.
M. François Bonhomme. On réfléchit…
M. Simon Sutour. Des états généraux du rail et de l’intermodalité y ont en effet été lancés.
M. François Bonhomme. On se contorsionne…
M. Simon Sutour. La loi est très claire : une collectivité territoriale ne peut déléguer à une collectivité territoriale ou à un EPCI à fiscalité propre qu’une compétence dont elle est attributaire.
Dans le cas où une région décide de déléguer la compétence aux départements qui la composent, ces derniers deviennent donc instantanément des autorités organisatrices de second rang et se trouvent par conséquent dans l’impossibilité juridique de poursuivre leur mission par l’entremise de leurs actuelles autorités organisatrices des transports.
Le texte initial de la proposition de loi remédiait à cet imbroglio en accordant aux départements qui s’étaient vu transférer cette compétence par les régions, devenus donc autorités organisatrices de second rang, AO2, la possibilité de subdéléguer ladite compétence à leurs actuelles autorités organisatrices de second rang en passant une convention avec elles. Par glissement, ces dernières deviendraient des autorités organisatrices de troisième rang, AO3.
Visant à éviter la généralisation de cette faculté et la multiplication du nombre d’intervenants de troisième rang, et donc, à terme, le risque d’une dilution des responsabilités et d’une trop grande insécurité juridique, l’amendement de notre rapporteur, adopté à l’unanimité en commission des lois, a pour objet de border la subdélégation. Il est en effet précisé que les départements ayant reçu délégation de la région pour l’organisation et la gestion des transports scolaires peuvent, si la convention le prévoit, recourir à des prestataires, via une convention de prestation de services, pour exécuter tout ou partie des compétences déléguées.
La « subdélégation » serait donc rendue possible dans les conditions fixées par la loi, notamment par l’article L. 3111-9 du code des transports, qui accorde au département ou à l’autorité compétente pour l’organisation des transports urbains, et donc, bientôt, à la région, la capacité de déléguer tout ou partie de l’organisation des transports scolaires à des communes, à des EPCI ou à des associations de parents d’élèves, par exemple.
En conséquence, les régions confiant cette compétence, via de nouvelles conventions, aux départements, ces derniers continueraient dans les faits, en tant qu’autorités organisatrices de premier rang, d’organiser les transports scolaires ; selon l’étendue de la convention passée entre un département et une région, un département comme le Gard pourrait très bien continuer, pour le compte de la région, à confier son service de transport scolaire à ses prestataires actuels.
J’y insiste, monsieur le ministre, ce texte nous donne la possibilité de faire le point avec le Gouvernement et les administrations à la veille du transfert de compétences, mais aussi et surtout, avec souplesse, de laisser les collectivités s’organiser pour mener à bien ce transfert.
J’ai cependant un petit regret : compte tenu du calendrier, la proposition de loi risque de ne pas être votée à temps. Nous souhaitons néanmoins que ce texte soit adopté le plus largement possible ici, aux Sénat, et que l’Assemblée nationale puisse trouver une « niche » pour l’examiner.
Mes chers collègues, une nouvelle fois, le Sénat joue son rôle, à proximité des territoires.
M. Alain Dufaut. Eh oui !
M. Simon Sutour. Le groupe socialiste, vous l’avez compris, votera cette proposition de loi amendée et précisée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC. – Mme Marie-Christine Blandin et M. Pierre-Yves Collombat applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Gremillet.
M. Daniel Gremillet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux saluer l’initiative de nos trois collègues au moment où nous mettons en œuvre la nouvelle architecture de nos territoires, notamment le lourd dossier du ramassage scolaire quotidien et la répartition des compétences entre les régions et les autres collectivités. L’audace des auteurs de la proposition de loi est d’allier le sens de la proximité à celui de l’efficacité.
Je veux également saluer le travail de la commission des lois, qui a enrichi ce texte au service d’une appréhension fine des réalités territoriales, dans le sens, là encore, de la proximité et de l’efficacité, tout en veillant également au problème des coûts laissés à la charge des familles.
Il est si rare de lire un texte tissant de manière aussi fine la toile d’araignée du territoire. Il s’agit de garantir, au quotidien, la satisfaction d’une mission, celle du ramassage scolaire, donc de régler un problème essentiel, stratégique pour les familles. Un dialogue, surtout, est ouvert, via cette proposition de loi, entre les régions, les départements et les acteurs des territoires, intercommunalités, communes, EPCI et même familles, lorsque celles-ci sont organisées. Ce texte organise la prise en compte de ce qui se passe sur nos territoires et la reconnaissance de l’efficacité de ces acteurs au bénéfice des enfants.
Autre point à porter au crédit de la proposition de loi : la prise en compte des entreprises locales de transport, qui, via des emplois ancrés dans nos territoires, font vivre, au quotidien, d’autres familles.
Il y va donc de l’aménagement du territoire dans son ensemble et du maillage de notre France, à la fois rurale et urbaine. On a parfois, peut-être, trop négligé cette dimension, au gré de la massification qu’a représentée la création des régions. En tant qu’élu de la grande région du Grand Est, je mesure la réalité de ces difficultés et la nécessité du rapprochement, du dialogue avec les départements et les territoires.
Je voudrais insister également sur la rapidité avec laquelle a été instituée cette nouvelle organisation territoriale, qui n’a pas toujours, tant s’en faut, été portée par les acteurs des territoires. Cette réforme s’est un peu faite à marche forcée. Il s’agit de revenir à la réalité du quotidien et, donc, tout simplement au bon sens. Cette proposition de loi nous ramène à nos racines.
Lorsque des structures existent, lorsque des missions sont remplies – c’est une véritable mission que de ramasser nos enfants au quotidien –, lorsque ça marche bien, pourquoi remettre en cause l’existant ? De ce point de vue, je voudrais de nouveau rendre hommage à la commission : l’esprit que j’indique l’a animée dans ses travaux.
Monsieur le ministre, cette proposition de loi n’est pas une remise en cause de la loi NOTRe ; il s’agit plutôt de rendre l’application de cette loi vivable et viable au quotidien. Rien n’est plus beau qu’un dispositif consensuel, efficace pour les familles et pour notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. René Vandierendonck, rapporteur. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Grosperrin.
M. Jacques Grosperrin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi NOTRe a dépossédé les départements d’un certain nombre de compétences afin de renforcer les régions. Chacun ici, notamment les élus de territoires ruraux, s’accorde pourtant à reconnaître le rôle de proximité de la collectivité départementale. S’il est une question à propos de laquelle la proximité est le cœur du sujet, c’est bien celle des transports scolaires. Pourtant, c’est aux régions que reviendra bientôt cette compétence.
Sans rejouer les débats qui ont mené à l’élaboration de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, il faut néanmoins souligner qu’une nouvelle loi intervient, en principe, pour pallier des difficultés et que, en l’occurrence, dans ce domaine, il n’en existait aucune : aucun problème dans aucun département ! Pourquoi, alors, changer ce qui fonctionnait ? Ce transfert de compétences est, de fait, assez brutal : l’uniformisation de la politique des transports scolaires, qui était du ressort de chaque département, est un casse-tête à l’échelle d’une région. Et pour cause ! Au sein d’une même région, les départements développent des politiques différentes pour l’organisation des transports scolaires. C’est tout le sens des discussions et contractualisations en cours entre les départements et les régions.
Pendant trente ans, les départements, via l’organisation des transports scolaires, ont parfaitement joué leur rôle de proximité auprès des familles, trouvant les ajustements nécessaires à certains parcours, réglant au cas par cas les problèmes qui leur étaient soumis. Comment imaginer que les superstructures que les régions sont appelées à devenir pourront remplir cette mission avec la même efficacité ? Au passage, n’oublions pas que ce sont nos collègues conseillers départementaux qui essuieront les plâtres des dysfonctionnements à venir.
M. Bruno Sido. Eh oui !
M. Jacques Grosperrin. Dans l’esprit de nos concitoyens, en effet, il est très clairement admis que les transports scolaires, c’est le département !
Je me réjouis donc de la présentation de la proposition de loi de notre collègue et ami Bruno Sido, qui apporte une bouffée d’oxygène, ou plutôt met de l’huile dans les rouages. Il s’agit en effet de permettre aux départements ayant reçu une délégation de la région en matière de transports scolaires de déléguer à leur tour l’exercice de cette compétence à une troisième entité publique.
Cette proposition de loi, si elle est adoptée – comment ne le serait-elle pas, puisque nous défendons tous nos territoires ? –, permettra aux départements, sous réserve que les régions leur aient confié la délégation de la compétence en matière de transports scolaires, de maintenir un schéma de qualité, qui fonctionnait parfaitement jusqu’alors. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et au banc de la commission.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Marc.
M. Alain Marc. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous savons que les départements sont des collectivités de proximité. Mais il fallait, au nom de la désormais sacro-sainte boboïtude qui envahit aujourd’hui les sphères technocratiques parisiennes, les supprimer. Heureusement, dans un dernier éclair de lucidité, le Premier ministre Manuel Valls a décidé de les conserver. On veut bien des départements, donc ; mais si l’on pouvait leur couper les ailes, c’est-à-dire leur retirer certaines de leurs compétences, ce ne serait sans doute pas plus mal… Rendez-vous compte : une institution vieille de plus de deux cents ans ! Allons donc, ça ne fait pas moderne !
À l’occasion de l’examen du projet de loi NOTRe, qui est issu de cette réflexion, nous avons essayé, comme on dit, de « sauver les meubles ». Cette loi, élaborée dans la précipitation, doit aujourd’hui être retouchée. Présentement, nous la retouchons s’agissant des délégations de transports scolaires aux départements, lesquels pourront eux-mêmes subdéléguer cette compétence à des communes ou à des associations.
Cela étant, je crains qu’il ne faille revenir sur plusieurs autres thématiques de cette loi. Ainsi, à mon sens, c’est une aberration d’avoir confié la compétence en matière d’eau et d’assainissement aux communautés de communes. Mathieu Darnaud a organisé des consultations sur ce sujet un peu partout sur le territoire national, et c’est ce qui en est ressorti.
M. René Vandierendonck, rapporteur. C’est vrai !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Ce travail est remarquable !
M. Alain Marc. Je voterai évidemment cette proposition de loi. Si elle n’est pas adoptée, les régions pourront certes, éventuellement, déléguer aux départements la compétence en matière de ramassage scolaire, mais ceux-ci ne pourront pas à leur tour subdéléguer cette compétence à des communautés de communes ou à des communes plus petites. Il est pourtant nécessaire qu’ils le puissent ! Nombre d’appels d’offres concernant les petits ramassages scolaires dans des endroits extrêmement peu denses restent infructueux. Seule cette proposition de loi permettra que de tels ramassages soient organisés.
Il est un autre élément, monsieur le ministre, auquel vous n’avez pas pensé lorsque vous avez prévu de confier aux régions l’organisation des transports scolaires : ce sont les différences très notoires entre les départements en matière de services offerts.
M. Bruno Sido. Eh oui !
M. Alain Marc. Dans certains d’entre eux, on va chercher les enfants jusque dans la ferme, ou presque, faisant ainsi du « cousu main ». Dans d’autres, on se contente de passer sur la voie principale, et ce sont les parents qui amènent les enfants jusqu’au point de ramassage, parfois situé à quatre ou cinq kilomètres du domicile.
La différence de niveau de service est telle qu’il sera très difficile aux régions d’unifier leur dispositif ; si elles le font, elles devront le faire par le haut, évidemment. Tout cela engendrera des coûts supplémentaires. L’un des objectifs de la loi NOTRe, dit-on, était de faire des économies… Il est ici démontré que, bien au contraire, elle engendrera davantage de dépenses.
M. Bruno Sido. Absolument !
M. Alain Marc. Comme le bon sens l’exige, je voterai donc cette proposition de loi, qui permettra aux transports scolaires de fonctionner l’année prochaine. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC. – M. Simon Sutour applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Baylet, ministre. En écoutant les intervenants, y compris ceux qui ont voté la loi NOTRe, j’avais l’impression que c’était le Gouvernement qui voulait imposer l’application de cette loi à tous les échelons : aux départements, aux autres collectivités et jusqu’aux parlementaires ! Je rappelle que la loi NOTRe a fait l’objet d’un accord en commission mixte paritaire, ce qui signifie que le Sénat a donné son accord.
M. François Bonhomme. C’était « sauve qui peut » !
M. Jean-Michel Baylet, ministre. Il me semble que le combat que j’ai mené avec quelques amis n’a pas été sans produire quelques résultats très positifs pour la survie des départements.
M. François Bonhomme. Absolument !
M. François Bonhomme. Oui, mais au prix de quelle acrobatie !
M. Jean-Michel Baylet, ministre. Au-delà de cet aspect, il est clair que, à partir du moment où la loi a fait l’objet d’un accord entre l’Assemblée nationale et le Sénat, elle devient la loi de la République et elle s’applique.
M. Jacques Grosperrin. Rien n’empêche de l’améliorer !
M. Jean-Michel Baylet, ministre. On ne peut donc pas dire que le Gouvernement vient l’imposer : il se contente de veiller à l’application du texte en vigueur.
Beaucoup d’orateurs ont laissé entendre que la loi serait dépourvue de toute souplesse, au point d’interdire dorénavant de subdéléguer la compétence en matière de transports scolaires.
Je vous répète que la région a tout loisir, si elle le souhaite,…
M. Alain Marc. Si elle le souhaite…
M. Jean-Michel Baylet, ministre. … de subdéléguer cette compétence soit au département, soit directement aux associations, aux collectivités ou aux EPCI. Il n’y a donc aucun problème pour organiser lesdits transports scolaires.
Pour terminer, je voudrais revenir sur ce que je vous ai dit à la tribune il y a quelques instants : la quasi-totalité des régions ont décidé d’appliquer pleinement et en direct cette compétence, qui leur a été confiée par le Parlement dans le cadre de la loi NOTRe.
M. François Bonhomme. Je ne vois pas ce que ça prouve !
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi tendant à clarifier les conditions des délégations de compétences en matière de transports scolaires
Article unique
Le a du 5° du I de l’article 15 de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« - est ajoutée une phrase ainsi rédigée :
« ‘‘Lorsque, en application de l’article L. 1111-8 du code général des collectivités territoriales, la région délègue cette compétence à un département, celui-ci peut confier, dans les conditions fixées par la convention de délégation conclue avec la région, l’exécution de tout ou partie des attributions ainsi déléguées à des communes, établissements publics de coopération intercommunale, syndicats mixtes, établissements d’enseignement, associations de parents d’élèves et associations familiales.’’ ; »
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je ne voudrais pas que nous restions sur un malentendu, monsieur le ministre.
Le Sénat, je le précise, mais vous le savez déjà, n’est nullement révolutionnaire. S’il s’autorise quelques propositions de modifications de la loi NOTRe, cela ne veut pas dire qu’il la dénonce globalement. De même, le fait qu’il l’ait votée ne veut pas non plus dire qu’il l’approuvait totalement.
Quand nous avons, au prix d’un très gros effort, accepté le texte en commission mixte paritaire, c’était à l’issue d’un compromis : nous avons renoncé à faire prévaloir nos vues sur un certain nombre de points. C’est d'ailleurs le travail même du Sénat que de rechercher le compromis, car, s’il ne l’accepte pas, il est évincé du processus législatif.
M. René Vandierendonck, rapporteur. C’est vrai !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Qu’il s’agisse de la loi NOTRe ou d’autres textes, quand nous votons une loi, cela ne signifie jamais que nous assumons comme nôtre – si j’ose dire – chacun de ses termes. Vous le savez parfaitement, car vous avez une longue familiarité avec cette institution.
Cela étant, il faut distinguer entre délégation et subdélégation. Dans le système qui a été imposé par la loi NOTRe et auquel nous nous sommes résignés, la région devient autorité compétente de droit commun en matière de transports scolaires et de transports interurbains de voyageurs. Elle peut, aux termes même de la loi, déléguer cette compétence aux départements. Toutefois, quand il s’agit de rétablir le bon fonctionnement des choses tel qu’il existait avant la loi NOTRe, se pose une difficulté.
Avant la loi NOTRe, les départements déléguaient – souvent à des communautés d’agglomération ou à des communautés de communes – une partie de leur compétence en matière de transports. S’il s’agit, par le système de la délégation en provenance de la région, de maintenir tout simplement un système qui donne toute satisfaction, il faut que le département, qui reçoit délégation de la région pour continuer à assumer la responsabilité des transports, puisse aussi attribuer, comme c’était le cas jusqu’à maintenant, aux autorités, jusqu’alors délégataires du département, la possibilité de le faire. Or une règle l’interdit. En effet, quand une collectivité reçoit délégation d’une autre, elle n’a plus le droit de déléguer cette compétence à une troisième collectivité.
Nous voulons juste aménager cette règle, l’objectif étant tout simplement de ne rien changer à ce qui donne satisfaction.
M. François Bonhomme. Eh oui !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Ce n’est pas la révolution ! Il s’agit simplement de faire fonctionner l’existant, à l’instar de ce que vous souhaitez, au fond de vous-même, faire dans certains départements qui, en accord avec la région, veulent continuer à faire fonctionner les transports collectifs.
Je tenais à prendre la parole pour expliciter les choses, évitant ainsi que nous restions sur un malentendu. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l'article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi tendant à clarifier les conditions des délégations de compétences en matière de transports scolaires.
(La proposition de loi est adoptée.)
Mme la présidente. Je constate que la proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des présents. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures trente-cinq, est reprise à dix-sept heures quarante.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
13
Désignation d’un sénateur en mission temporaire
Mme la présidente. Par courrier en date du 5 décembre, M. le Premier ministre a fait part de sa décision de placer, en application de l’article L.O. 297 du code électoral, M. Michel Delebarre, sénateur du Nord, en mission temporaire auprès de M. Alain Vidalies, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche.
Cette mission portera sur l’amélioration de l’accessibilité de Limoges, du Limousin et des territoires limitrophes.
Acte est donné de cette communication.
14
Réduction des normes applicables à l'agriculture
Adoption d’une proposition de résolution
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande de la commission des affaires économiques, de la proposition de résolution en faveur de la réduction des normes applicables à l’agriculture, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par MM. Daniel Dubois, Gérard Bailly et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 107).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Gérard Bailly, coauteur de la proposition de résolution.
M. Gérard Bailly, coauteur de la proposition de résolution. Madame la présidente, monsieur le ministre de l’agriculture, mes chers collègues, en France, nous avons la passion des normes, des règlements et l’horreur des vides juridiques. Tous les secteurs économiques sont touchés, mais le secteur agricole peut-être encore plus que d’autres, car il est au carrefour de très nombreuses réglementations : droit de l’environnement, droit du travail, droit commercial, droit de la consommation, droit de l’urbanisme, et j’en passe… Or la multiplication des réglementations en même temps que leur durcissement ont nourri un véritable ras-le-bol des professionnels, qui se sentent perdus dans un maquis normatif souvent incompréhensible.
Nous avons choisi, au sein de la commission des affaires économiques du Sénat, de ne pas prendre cette question à la légère, de ne pas faire comme si les alertes que les professionnels nous envoient depuis quelques années n’étaient qu’une énième manifestation de mauvaise humeur. Non, en réalité, le problème est grave : en pesant sur la compétitivité, en pénalisant parfois les agriculteurs français par rapport à nos voisins, la prolifération normative décourage nos paysans, en particulier dans le secteur de l’élevage.
Nous avons constitué un groupe de travail pluraliste au sein de la commission des affaires économiques pour analyser le phénomène, pour tenter de le quantifier – ou au moins de le caractériser – et pour rechercher des solutions. En tant que président de ce groupe, je dois dire que j’ai été impressionné par le fait que tous les interlocuteurs professionnels faisaient le même constat : la cote d’alerte est dépassée.
Certes, les normes en agriculture dépendent, pour beaucoup, du niveau européen : ce sont des règlements européens qui définissent précisément les règles de la politique agricole commune, ce sont aussi des règlements européens qui encadrent l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, des matières fertilisantes, qui imposent les règles en matière sanitaire ou encore d’information du consommateur. Ce sont aussi des directives européennes, souvent très précises, qui fixent des objectifs en matière de protection de l’environnement en imposant des procédures d’autorisation pour les installations classées d’élevage, en organisant la protection des espèces animales ou végétales sauvages ou encore en imposant aux États membres de l’Union européenne des mesures de protection des eaux, par exemple, contre les nitrates.
Le niveau national conserve cependant son importance : les autorités nationales restent responsables de la mise en œuvre des mesures européennes, et la surtransposition est alors une tendance très insidieuse qui se manifeste par une grande sévérité des autorités françaises dans l’interprétation des textes communautaires. Les normes environnementales, en particulier, sont pointées du doigt pour leur excessive sévérité, la France appliquant de manière de plus en plus stricte le principe de précaution. La montée en puissance de ce principe conduit à de véritables impasses techniques, qui peuvent entraîner des abandons de production.
De ce point de vue, l’exemple du diméthoate est très parlant : faute de solutions alternatives performantes pour lutter contre le moucheron suzukii, l’abandon de cette molécule, suite à son interdiction, conduirait à la disparition de la production de cerises françaises. Et ce n’est qu’un exemple !
La question des normes applicables à l’agriculture est donc stratégique pour la ferme France. Notre groupe de travail a formulé une série de propositions, que va vous détailler mon excellent collègue rapporteur du groupe de travail, Daniel Dubois. Nous voulons, par notre démarche, tirer une sonnette d’alarme : il est temps d’avoir une ambition forte de simplification et d’allégement des normes applicables à notre agriculture, car, si nous ne faisons rien, le découragement gagnera nos paysans et aucun retour en arrière ne sera plus possible ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Dubois, coauteur de la proposition de résolution.
M. Daniel Dubois, coauteur de la proposition de résolution. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en juin dernier, notre groupe de travail sur les normes en agriculture publiait son rapport intitulé Normes agricoles : retrouver le chemin du bon sens. Ce fameux bon sens paysan qui, en partant d’une connaissance intime de son territoire, des saisons, des espèces végétales et animales, conduisait à faire progresser les techniques et à assurer le succès de l’agriculture française. Mais ce bon sens est aujourd’hui totalement déboussolé par la prolifération de normes, qui crée des avalanches de contraintes supplémentaires, lesquelles ne sont plus comprises et parfois même pas connues.
Les constats, nous les avons faits sans grande difficulté tant ils sont évidents. Sans compter le découpage des territoires en zones différentes qui se superposent et s’entrecroisent, l’agriculture évolue désormais dans une forêt de normes de plus en plus précises et exigeantes. Je prendrai quelques exemples.
Ainsi, la réglementation en matière de pesticides n’a cessé de se renforcer. Avec le plan Écophyto, les agriculteurs doivent désormais disposer d’un certiphyto pour pouvoir épandre. De nombreuses substances ont été retirées du marché après le Grenelle de l’environnement. Désormais, ce sont les néonicotinoïdes dont la disparition est programmée. On peut le comprendre, sauf qu’il n’y a aucune certitude quant aux solutions alternatives et aux nouvelles molécules nécessaires pour faire en sorte que l’agriculture continue à être compétitive.
La réglementation sur la pollution des eaux par les nitrates est aujourd’hui plus sévère : il est interdit de stocker les effluents d’élevage directement sur les champs, il est interdit d’épandre en pente ou à proximité des cours d’eau.
Les exigences en matière de bien-être animal ont été revues à la hausse pour les poules pondeuses et pour les truies gestantes, ce qui oblige à faire des travaux dans les élevages.
La PAC, la politique agricole commune, impose aussi des normes de plus en plus drastiques pour toucher les aides européennes avec le verdissement, au cœur de la dernière réforme : diversité des assolements, non-retournement des prairies, présence de surfaces d’intérêt écologique, maintien des haies.
À côté de normes spécifiquement agricoles, les agriculteurs doivent respecter un corpus normatif très étendu : ils sont en première ligne pour les règles d’urbanisme, pour les règles de droit du travail quand ils sont employeurs, pour les règles en matière de commerce quand ils font de la vente directe.
Nombreuses, les normes sont également amenées à changer régulièrement, ce qui ajoute un élément de complexité. Ainsi, la PAC est réformée tous les sept ans, ce qui s’accompagne, à chaque fois, de la mise en place de nouveaux mécanismes. D’ailleurs, la dernière réforme a donné lieu à des retards de versement des aides, qui ont provoqué des difficultés pour certaines exploitations.
Dans la forêt des normes, l’exploitant agricole est fragilisé pour une raison simple : il est en réalité à la tête d’une PME, voire d’une TPE, qui ne dispose pas de services permettant d’appréhender et de gérer toute la complexité de l’environnement réglementaire. Cette fragilité de l’agriculteur explique en partie la peur des contrôles : le rapport de Frédérique Massat sur les contrôles en agriculture montre bien ce phénomène, ainsi que les difficultés nées de la multiplicité des contrôles par pas moins de dix corps de contrôle différents.
Enfin, les normes en agriculture finissent par peser sur la compétitivité des exploitations. Une étude a montré que les agriculteurs consacrent 15 % de leur temps de travail à la gestion administrative de leur exploitation.
M. Charles Revet. Eh oui ! C'est absurde !
M. Daniel Dubois. Les procédures administratives sont source de surcoûts. Ainsi, un dossier d’autorisation en élevage porcin coûte en moyenne 25 000 euros. Les normes ont aussi des coûts cachés, leur complexité décourageant les agriculteurs, qui ne se lancent pas dans des projets nouveaux et risqués, comme le montre la lenteur du développement de la méthanisation agricole dans notre pays.
Une fois ces constats posés, il faut tout de même souligner que des efforts sont faits pour aller vers plus de simplification.
À l’échelle européenne, des mesures de simplification de la PAC ont été annoncées. Sauf que l’Europe a parfois une curieuse conception de la simplification, consistant à réduire le nombre de textes applicables sans se préoccuper de leur complexité – un règlement de 100 pages au lieu de 10 règlements de 10 pages !
À l’échelle nationale, la crise agricole et l’exigence de retrouver un peu de compétitivité ont amené certaines mesures, comme le relèvement du seuil d’autorisation des installations classées pour les élevages porcins et les élevages de volailles. Pourtant, on attend toujours la sortie du décret annoncé concernant les bovins, qui a été mis en consultation en mai dernier.
La réduction des délais de recours par les tiers dans la loi Macron, l’ordonnance et le décret d’août 2016, qui modifient les règles applicables à l’évaluation environnementale des projets plans et programmes, vont également dans le bon sens.
Le Gouvernement a aussi lancé une démarche de revue des normes agricoles en y associant la profession au sein du Comité de rénovation des normes en agriculture, le CORENA, présidé par le préfet Bisch. Ce comité vise à développer une nouvelle méthode de travail pour mettre fin à l’inflation normative en agriculture. L’intention est bonne, mais quel est le résultat aujourd'hui ? Nous aimerions savoir si la démarche progresse et quelles normes devraient prochainement faire l’objet de suppressions ou d’aménagements, suite à l’analyse du CORENA.
Le ministère de l’agriculture a lancé des téléprocédures et plateformes dématérialisées, qui facilitent les démarches des agriculteurs, par exemple, pour la délivrance de certificats sanitaires à l’exportation. Je mets toutefois en garde, car les téléprocédures peuvent aussi avoir pour effet de reporter la charge de travail de l’administration vers l’agriculteur.
Au final, notre troupe de travail a constaté que, s’il y avait des actions en faveur de la simplification, elles étaient le résultat de coups de collier ponctuels plutôt que d’une démarche globale, cohérente et continue d’allégement des normes. Nous avons également été surpris de constater que si des études d’impact des nouvelles normes existent, dès lors qu’elles sont susceptibles d’avoir un impact significatif, on dispose rarement d’une évaluation a posteriori de l’impact économique des normes adoptées, si bien que le suivi des effets de la réglementation sur l’économie agricole est difficile, voire impossible.
En définitive, notre constat général est simple : l’allégement normatif en agriculture n’a jamais été une véritable priorité politique. Cette volonté politique manque au niveau tant national qu’européen, ce qui n’a jamais permis d’avancer sur le chantier de la simplification en agriculture.
Notre proposition de résolution résulte directement des observations faites par le groupe de travail sénatorial sur les normes. Le rapport que nous avons produit réclame de « changer de braquet » à travers quelques propositions très concrètes.
Il convient d’abord – cette proposition est essentielle – de se doter d’une gouvernance de la simplification en faisant adopter, chaque année, un plan de simplification des normes agricoles au niveau national, au sein d’une instance dédiée associant toutes les parties prenantes. Aujourd’hui, on met en place le CORENA. Pourquoi ne pas confier cette mission au Conseil supérieur d’orientation et de coordination de l’économie agricole et alimentaire, qui est une sorte de parlement de l’agriculture ? Ce plan de simplification décidé annuellement devrait être opposable à tous les ministères et débattu devant les assemblées parlementaires.
Nous proposons ensuite de développer les études d’impact a priori et a posteriori et de systématiser une analyse des effets de la norme dans un délai de trois à cinq ans après son entrée en vigueur.
Nous proposons en outre de mettre en place des démarches expérimentales afin de s’assurer que les nouvelles normes sont adaptées aux attentes du monde agricole, avant leur généralisation.
Nous souhaitons que l’on puisse aussi contrôler l’engagement consistant à ne pas surtransposer les normes européennes.
Il faut également faire évoluer les règles de la politique agricole commune pour accorder aux États membres des souplesses, par exemple pour les calculs de surfaces ou l’application du verdissement.
Mme la présidente. Il faut conclure !
M. Daniel Dubois. J’ai presque terminé, madame la présidente.
En matière d’installations classées, nous souhaitons un alignement strict sur les exigences européennes et un raccourcissement des délais d’instruction des dossiers pour ne pas bloquer les initiatives.
Il convient aussi de faire évoluer les règles en matière d’utilisation de l’eau pour faciliter la réalisation de retenues collinaires.
Enfin, je rappelle une règle que nous avions adoptée dans le cadre de la proposition de loi Lenoir en faveur de la compétitivité de l’agriculture,…
M. Jean-Claude Lenoir. Excellente loi ! (Sourires.)
M. Daniel Dubois. … qui constitue une ligne de conduite vertueuse : toute nouvelle norme en agriculture devrait être gagée par la suppression d’une autre norme, pour ne pas accroître la pression sur les agriculteurs.
Pour conclure, je dirai que notre proposition de résolution me paraît assez consensuelle. D’ailleurs, elle a été cosignée par les membres de plusieurs groupes par-delà les clivages partisans. Ma question est donc simple : quand allons-nous répondre à cette demande pressante de simplification de nos agriculteurs, qui ont un besoin urgent de signes pour reprendre confiance dans les politiques ? (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je fais partie, au même titre que mon collègue socialiste Franck Montaugé, des signataires de cette proposition de résolution de MM. Bailly et Dubois. Pourquoi cette posture ?
En dépit de l’exposé des motifs, auquel je ne peux adhérer du fait du chantier de simplification inédit mis en place par le Gouvernement depuis cinq ans, j’ai cosigné ce texte, car notre agriculture mérite de dépasser les clivages idéologiques. Notre objectif est commun : être innovant et audacieux pour trouver des solutions de sauvegarde des filières.
Aujourd’hui, face à cette proposition de résolution, je me dois d’être honnête et logique avec mes convictions en partageant le constat général de ce texte : la question de la norme, de sa faisabilité, de son acceptabilité, de son utilité, est centrale pour le monde agricole. Comme le rappelle notre collègue Odette Herviaux dans son excellent et instructif rapport consacré au sujet, dans l’exercice de son métier, l’agriculteur doit respecter le droit et composer avec lui dans plusieurs domaines : travail, sécurité sanitaire, composition, présence de résidus, étiquetage, environnement, protection de la santé, droit économique…
Les normes sont européennes et nationales, législatives ou réglementaires. Quelle complexité pour celui qui est non un professionnel du droit, mais un travailleur de la terre ! Il est ainsi évalué que les exploitants consacrent plus de 15 % de leur temps à la gestion des tâches administratives. Et le temps, c’est de l’argent ! Je peux témoigner ici devant vous : le viticulteur que je suis resté se débat régulièrement avec la superposition des procédures, formulaires et autres.
Je vais vous relater une anecdote consternante qui vous fera sourire, j’en suis sûr. Elle concerne le dernier courrier que j’ai reçu émanant de la Mutualité sociale agricole : il s’agit d’un rappel de cotisation pour 0,01 centime. Il aura coûté deux timbres à 0,80 centime, soit 1,60 euro, c’est-à-dire 160 fois le montant du rappel de cotisation ! Où est l’humanisme ?
Répondre aux attentes sociétales en matière de protection de la nature, de règles sanitaires n’est évidemment pas que négatif. La mise en place de normes dans l’agriculture française a largement contribué à son essor. Elle a permis à notre agriculture d’atteindre un niveau de compétitivité élevé, reconnu en France et par-delà nos frontières, et de faire émerger des filières de production de qualité.
Il s’agit donc de ne pas caricaturer cette évolution. Mais l’inflation normative peut aussi se révéler, comme le rappelle le texte de la proposition de résolution, un vrai « frein à la compétitivité des exploitations, dans un environnement économique marqué par la disparition des outils publics de régulation des marchés agricoles ». Quelles sont les difficultés rencontrées par la filière agricole vis-à-vis de l’inflation normative ?
C’est tout d’abord celle de l’adéquation de la norme au terrain, la faisabilité. Sur ce sujet, les points d’achoppement avec les exploitants sont nombreux. La complexité de leur application résulte d’ailleurs parfois de la volonté de produire des dispositifs sur mesure. Toutefois, les cas sont aussi nombreux où la complexité apparaît gratuite et constitue un frein à l’initiative. Et là est notre problème !
Un premier exemple : les mutuelles obligatoires dans le cadre des contrats saisonniers. L’application de cette règle à tous les salariés, sans discrimination d’ancienneté, pose de nombreuses difficultés, notamment de gestion pour l’employeur. Quant aux délais de traitement des dossiers par les organismes assureurs, le salarié reçoit souvent ses documents alors qu’il a déjà quitté l’entreprise.
Un deuxième exemple : les procédures d’installation des jeunes agriculteurs demeurent complexes et freinent ce pour quoi elles ont été créées.
En somme, les exemples ne manquent pas, et nous devons être solidaires d’une vigilance commune.
La faisabilité est aussi liée à la question de la complexité. Les agriculteurs sont confrontés à une montagne de normes qui s’enchevêtrent et deviennent incompréhensibles.
Des chantiers de simplification importants ont été mis en œuvre. La mission menée par Odette Herviaux en rappelle quelques-uns : l’expérimentation de l’autorisation environnementale unique, la réduction des délais de recours contre les installations classées pour la protection de l’environnement, ou ICPE, dans le domaine de l’élevage, de un an à quatre mois, ou encore l’allégement des prescriptions techniques des arrêtés ICPE élevage.
Je citerai un autre exemple : la réforme de l’évaluation environnementale, en août dernier, qui a fortement réduit le nombre de projets soumis à évaluation environnementale systématique.
Là réside le paradoxe bien connu de la simplification : elle est méconnue des agriculteurs eux-mêmes, en raison de l’instabilité presque chronique de la norme. Ainsi, la simplification même devient source de complexité.
Il faut souligner le contraste entre la réalité des normes et la façon dont elles sont ressenties et accueillies par leurs destinataires : les exemples d’incohérence sont très mal vécus. Le nombre de ces incohérences demeure pourtant, en réalité, limité, et elles sont sûrement amplifiées par les crises qu’a connues l’agriculture ces dernières années.
Ce constat frappant me conduit à un dernier point, qui me paraît essentiel.
La question posée est aussi celle de l’acceptabilité de la norme. Les pouvoirs publics doivent faire preuve de pédagogie. Leur rôle est évidemment celui du contrôle de la mise en œuvre de la norme, mais il faut également savoir agir en amont pour désamorcer les incompréhensions, grenades qui, une fois dégoupillées, minent irrémédiablement le dialogue.
J’aime faire référence au formidable travail des douanes, notamment dans le secteur de la viticulture. Les rencontres entre la filière et les services, les explications, la compréhension des obligations de chacun, ont généré une relation apaisée basée sur la confiance et sur un rapport « gagnant-gagnant » qui a inversé l’imagerie ancienne. Rappelons-nous, les douanes disaient : les viticulteurs truandent ; eux disaient : les douanes nous assassinent !
Sur ce point, la création du Comité de rénovation des normes en agriculture, ou CORENA, instance consultative bipartite entre la profession et les pouvoirs publics, constitue une avancée certaine.
En parallèle des études d’impact évaluant le poids des normes nouvelles et existantes, études qui sont nécessaires, il faut développer les expérimentations.
Je ne veux même pas aborder la question de la PAC et les procédures de déclaration de surface, qui demandent le comptage des arbres sur nos exploitations. Il faut rappeler toutefois qu’aucune surtransposition n’a eu lieu depuis 2012. Partant de ce constat, c’est bien au niveau européen qu’il faut agir en priorité.
Nous le savons, il n’est pas simple de simplifier, mais il est nécessaire de partager ce souhait pour y parvenir. Vous comprendrez aisément que, en tant que signataire, je voterai en faveur de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain. – MM. Gérard Bailly et Daniel Dubois applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir.
M. Jean-Claude Lenoir. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat intéressant fait suite aux initiatives prises par le groupe de travail sur les normes agricoles constitué au sein de la commission des affaires économiques.
Il n’est pas besoin de rappeler ici le poids que représentent les normes. À la veille de la discussion du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, les états généraux organisés par la profession avaient démontré à quel point elles étaient pénalisantes pour l’activité des agriculteurs. Nous avions également mesuré, à travers les travaux que nous avions menés au sein de notre commission, que les agriculteurs en avaient ras-le-bol, disons-le, des normes excessives.
M. Rémy Pointereau. Absolument !
M. Charles Revet. Et c’est peu dire !
M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le ministre, vous qui êtes un élu de la Sarthe – département dont on sait qu’il est la caisse de résonance de l’opinion partagée par le plus grand nombre en France (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.) –, vous êtes, comme nous, confronté à ce que pensent les agriculteurs dans nos départements. Vous les avez donc entendus dire qu’ils ne pouvaient plus supporter qu’il y ait autant de normes.
Voilà pourquoi nous avons créé, en 2015, un groupe de travail présidé par Gérard Bailly, que je voudrais remercier, ainsi que Daniel Dubois, pour le travail mené au sein de ce groupe pluraliste, où les opinions exprimées sont le reflet des formations politiques qui siègent dans cette assemblée.
Les normes dans le domaine de l’environnement et des pratiques agricoles sont là pour éviter les abus et les excès. C’est du moins la justification avancée. Or les agriculteurs les considèrent, à juste titre, comme pénalisantes. En effet, ils sont, plus que d’autres, soucieux de la protection de l’environnement.
M. Charles Revet. Bien sûr !
M. Jean-Claude Lenoir. Ils le démontrent par leurs pratiques. En outre, les techniques agricoles ont été améliorées. Une technologie aujourd’hui très développée permet, par exemple, un ciblage très précis de l’épandage de produits phytopharmaceutiques. Dès lors, les normes sont-elles toujours aussi nécessaires ?
Nous en avons établi un bilan, à la veille de la discussion d’une proposition de loi dont j’étais le premier signataire, et qui a été rappelée tout à l’heure. Nous avions notamment souligné, pour ce qui concerne les installations classées, qu’il était absolument nécessaire d’aligner les seuils sur la législation européenne, ou bien encore que le contenu des études d’impact devait être le même que celui qui est demandé par l’Union européenne. On entend souvent l’opinion, fondée, que nous allons au-delà de ce que nous demande l’Europe.
Nous proposions aussi une disposition, certes symbolique, consistant à prescrire qu’une norme doit en chasser une autre. Nous entendions institutionnaliser cette surveillance des normes par une instance nationale similaire au Conseil national d’évaluation des normes, présidé par Alain Lambert.
Bref, il faut enrayer ce processus qui est mal vécu par les agriculteurs et donner des signaux ; il faut démontrer que les agriculteurs sont capables d’assumer leurs responsabilités dans leur domaine, notamment pour ce qui concerne la protection de leur environnement. Un excès de normes tue les normes ; un excès de normes tue la responsabilité. Faisons confiance à la responsabilité des agriculteurs ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que certaines travées de l’UDI-UC. – M. Alain Bertrand applaudit également.)
M. Rémy Pointereau. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Le Scouarnec.
M. Michel Le Scouarnec. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de résolution fait suite à la présentation en commission des affaires économiques, en juin dernier, du rapport Normes agricoles : retrouver le chemin du bon sens.
Le thème de la prolifération normative et de la nécessité d’une simplification n’est pas propre à l’agriculture, mais il est souvent utilisé, tant cette prolifération est impopulaire et rejetée par une partie des producteurs, qui expriment souvent un certain ras-le-bol. Il est vrai que les contraintes sanitaires et environnementales en matière agricole, ainsi que l’exigence de transparence des consommateurs, ont conduit à une multiplication normative ces vingt dernières années, sans compter l’inflation réglementaire européenne. Cela est une réalité que nous ne pouvons nier. Il est toutefois essentiel de rappeler que les normes sont là pour protéger l’agriculteur comme le consommateur et qu’elles participent de la valorisation des produits, avec AOP, AOC et autres labels.
Par ailleurs, comment ne pas voir le lien entre les normes et les profits exorbitants des multinationales, qui poussent à la consommation ? C’est aussi une réalité.
De fait, les causes de la crise structurelle que traverse notre agriculture ont été largement identifiées, mais les gouvernements successifs ne veulent ni en prendre acte ni affronter Bruxelles, qui impose sa politique libérale, loin de nos territoires qui subissent sans pouvoir se faire entendre.
À titre d’exemple, comment expliquer que la France ne revienne pas sur une disposition de la loi de modernisation de l’économie, la liberté de négociation des prix entre les centrales d’achat des grandes surfaces et leurs fournisseurs, dont les effets pervers ont été reconnus par tous, plutôt que de légiférer pour en encadrer les effets, voire pour tenter de les minimiser ? De même, la PAC devrait permettre d’aider prioritairement les petits et moyens agriculteurs avant qu’il ne soit trop tard. Vous savez bien, mes chers collègues, qu’on perd beaucoup d’agriculteurs tous les ans.
Le terme « simplification » masque trop souvent un recul des protections. À cet égard, les propos tenus par Daniel Dubois sont assez éclairants : « le fardeau des normes a un impact sur la compétitivité difficile à mesurer globalement, mais certainement non négligeable à l’échelle des exploitations et plus largement des filières agricoles et alimentaires, conduisant à un affaiblissement général de la “ferme France” ». Pour autant, aucun chiffre, aucune étude ne viennent étayer ce constat.
Un autre point est mis en avant dans la présente proposition de résolution : la nécessité de raccourcir les délais de traitement administratif des différentes procédures appliquées aux agriculteurs. Nous souscrivons à cet objectif, mais, là encore, il faut chercher les causes de ces délais trop longs : peut-être la réduction des personnels et des administrations déconcentrées chargés du traitement des dossiers en fait-elle partie.
Enfin, le diable se cache dans les détails. Sous couvert de bon sens, cette proposition de résolution, dans son exposé des motifs, remet en cause le principe de précaution, qui, à l’en croire, « conduit désormais à observer avec suspicion les développements de nouvelles activités et pratiques agricoles, ou encore la création ou l’agrandissement d’installations classées en élevage ». Cela n’est pas acceptable, d’autant que de nombreux agriculteurs mobilisés contre le TAFTA ont souligné les risques de concurrence déloyale et de remise en cause de nos labels « qualité » du fait de l’affaiblissement potentiel de notre système de sécurité sanitaire et alimentaire.
On peut critiquer tout autant le souhait, exprimé dans cette proposition de résolution, de faciliter la mise en place de retenues collinaires au lieu d’adapter plus judicieusement le choix des cultures en fonction de la nature du sol et du climat.
Nous ne nions pas qu’aujourd’hui – mais cela était aussi vrai hier – l’activité agricole se double d’une activité de production d’informations et que cela pèse sur le métier d’agriculteur. Il ne faudrait néanmoins pas oublier que les réglementations liées à l’environnement et à la sécurité alimentaire visent à réduire les impacts de l’agriculture sur l’eau, la biodiversité ou le bien-être animal, ainsi qu’à assurer la traçabilité tout au long de la chaîne agroalimentaire, traçabilité très demandée à la fois par les producteurs et les consommateurs. On peut citer, par exemple, la réglementation des installations classées pour la protection de l’environnement, la directive Nitrates pour la protection des eaux, le plan Écophyto 2018 établi pour diminuer l’usage de produits phytosanitaires, ou encore le carnet sanitaire affilié à chaque animal.
Voilà pourquoi nous estimons qu’il faudrait surtout soutenir un moratoire. En effet, ce qui décourage le monde agricole, c’est surtout l’insécurité juridique provoquée par un changement constant du droit positif. Il aurait été judicieux de proposer, par cette proposition de résolution, une pause législative et réglementaire, afin de permettre aux acteurs de se saisir de nouveaux outils, mais aussi pour intégrer les nouvelles contraintes auxquelles ils sont subordonnés. Selon nous, c’est cette démarche qu’il faut soutenir, pour donner un sens aux normes sans pour autant prendre le moindre risque sanitaire et environnemental.
Notre société française tout entière regarde avec plus d’acuité les questions de santé et de protection de la biodiversité. Tous les leviers doivent être actionnés pour atteindre une meilleure protection des exploitants agricoles eux-mêmes, de leurs ouvriers agricoles, des riverains, des cours d’eau et de la biodiversité : on peut notamment citer l’amélioration du matériel d’épandage, le recours à des produits de substitution et des changements de pratiques.
Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe CRC ne s’opposera pas à cette proposition de résolution, mais s’abstiendra, malgré plusieurs aspects justes et positifs de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Bertrand.
M. Alain Bertrand. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, lorsqu’elle est trop tatillonne ou déconnectée des réalités locales, l’application des normes à l’agriculture est une véritable source de difficultés pour les exploitants.
Lors du débat récemment tenu, sur l’initiative de notre groupe, sur l’avenir de la filière élevage, vous avez, monsieur le ministre, évoqué le « handicap » que constitue l’inflation des normes. Cette « overdose normative », comme l’ont qualifiée les auteurs du rapport d’information sur les normes agricoles, s’est accrue de façon considérable avec le développement d’exigences croissantes en matière sanitaire et environnementale.
Bien entendu, ce n’est pas le principe des règles qui est contesté. Celles-ci se sont d’ailleurs révélées indispensables par le passé. Au cours du siècle dernier, le droit rural s’est développé pour permettre à notre agriculture de faire sa mutation économique dans un cadre relativement protecteur pour les exploitants. Cette réglementation n’a pas empêché la diminution du nombre des exploitations, mais elle a permis à la France de rester une grande nation agricole. Le statut du fermage, le contrôle des structures et, bien entendu, les SAFER ont joué un rôle important.
Il ne s’agit pas non plus d’ignorer l’impératif de lutte contre les pollutions, ou celui de la protection de la qualité des eaux ou de la biodiversité. Néanmoins, l’agriculture se trouve toujours en première ligne pour répondre à ces défis, comme si l’on oubliait sa vocation première, celle de nourrir les hommes, ainsi que son rôle économique, notamment par le biais des exportations, essentiel à la vitalité de nombreux territoires.
Plus que tout autre secteur, l’agriculture cumule les contraintes : aléas climatiques, aléas sanitaires, hélas très présents cette année, et aléas de marché, avec les fluctuations de cours. Dans ces conditions, n’ajoutons pas du mal au mal. Sans rejeter en bloc les normes, sachons raison garder, car leur excès peut affaiblir la compétitivité ou brider le développement de l’agriculture. Cela surcharge et exaspère nos agriculteurs !
L’impact des réglementations n’est pas objectivement quantifiable, mais il y a des évidences et quelques principes à garder à l’esprit lorsque l’on produit une norme.
La majorité des exploitations sont petites et n’ont donc pas les moyens humains de digérer chaque jour une réglementation croissante et changeante. On dit que 15 % du temps des agriculteurs serait consacré à la gestion administrative ; c’est beaucoup trop ! Le contrôle effectué dans le domaine agricole par l’État, souvent par le biais des directions départementales des territoires, devrait d’ailleurs mieux tenir compte de cette difficulté, même si des efforts ont été faits dans les dernières années. Il faut une approche plus pédagogique, plus préventive et, donc, moins axée sur la sanction. Je vous donne acte en tout cas, monsieur le ministre, de vos directives en ce sens.
Il faut bien évidemment engager une véritable démarche d’allégement qui ne consiste pas seulement à faciliter l’application de la règle. L’État a mis en œuvre un certain nombre d’outils pour aider aux démarches administratives, notamment à travers la dématérialisation. Mais simplifier, ce n’est pas encore alléger. Je suis opposé à la prolifération des conseils ; néanmoins, il faudrait instituer, sur le modèle du Conseil national d’évaluation des normes, consacré aux collectivités locales, une structure qui apure le flux des normes applicables à l’agriculture.
Enfin, et surtout, il faut mieux mesurer au préalable l’impact des normes sur l’activité agricole. En effet, les exemples de mesures aberrantes, voire incapacitantes sont nombreux.
Le code rural s’est fondé sur le principe d’une dérogation au droit commun visant à tenir compte de la spécificité de l’agriculture. Or des dispositifs inadaptés, quoique généralement louables, comme le compte pénibilité ou la complémentaire santé, pour ne citer que les plus récents, contrarient cette tradition.
Puisque 50 % à 60 % des nouvelles normes sont d’origine communautaire, c’est bien sûr aussi à ce niveau qu’il faut agir. La directive Nitrates, même si elle est utile, pertinente et indispensable, contient des prescriptions parfois complètement inapplicables.
Le régime des installations classées est également un sujet de préoccupation. J’en veux pour preuve, monsieur le ministre, que vous êtes personnellement intervenu, plusieurs fois depuis 2013, pour modifier ces seuils, ce qui signifie que nous allions bien au-delà des exigences communautaires.
On pourrait multiplier les exemples, notamment dans le domaine du bien-être animal, certes indispensable, mais pour lequel on doit appliquer des normes qui soient viables et de bon sens. Tout cela devrait conduire, d’une part, à associer encore davantage les agriculteurs à la production des règles, en particulier lorsque celles-ci émanent d’autres ministères que celui de l’agriculture, et, d’autre part, à favoriser les expérimentations.
Monsieur le ministre, nous reconnaissons les efforts que vous avez accomplis ces dernières années, y compris à l’échelon européen, pour progresser sur la question des normes. Il faut néanmoins engager à présent une démarche encore plus volontaire afin que nos agriculteurs ne se trouvent pas découragés. On leur demande beaucoup ; ils font face à de nombreux aléas ; ils supportent une charge de travail très importante ; ils s’inscrivent dans la démarche agroenvironnementale qu’avec le gouvernement auquel vous appartenez vous avez souhaitée ; ils acceptent les démarches de sécurité et de qualité ; enfin, ils répondent aux besoins alimentaires des Français, mieux encore que par le passé.
En contrepartie de leur responsabilité et de leur efficacité, ils méritent un véritable aggiornamento : un plan de simplification et d’allégement. En effet, que ce soit du point de vue économique, du point de vue de l’aménagement du territoire ou de celui de la balance commerciale, ils répondent présents dans les rangs du bataillon économique solide et porteur de l’avenir de la France. (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Henri Tandonnet.
M. Henri Tandonnet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est après une réflexion menée à la suite d’un grand nombre d’auditions et de réunions que notre groupe de travail sur les normes en matière agricole a rendu son rapport, puis présenté cette proposition de résolution. Je salue l’initiative des auteurs de ce texte, Daniel Dubois et Gérard Bailly, qui nous permettent aujourd’hui de nous exprimer sur le sujet.
La norme, dans ses fondements, a une vocation clairement positive, pour une meilleure information des consommateurs, mais aussi pour une amélioration de la qualité des produits. Nous ne contestons pas la démarche, mais il faut revoir son niveau, sa méthode d’élaboration et son évaluation.
Le constat qui est fait aujourd’hui est clair : la prolifération normative pèse lourdement sur la compétitivité de nos exploitations agricoles. Or force est de constater qu’en France les exemples de normes inappropriées ou disproportionnées ne manquent pas. Le rapport révèle aussi que le monde agricole se trouve au carrefour de nombreuses disciplines, ce qui explique cette complexité.
Parlons d’abord des tracasseries administratives, parfois sans fin. Un exemple pourrait être celui des difficultés liées à l’accueil de jeunes stagiaires ou apprentis. En septembre dernier, j’ai vu débouler dans ma permanence un agriculteur excédé, venant me dire qu’il avait toujours accueilli des apprentis et des stagiaires, mais que, cette année, après la visite d’inspecteurs du travail, il renonçait à passer des contrats d’apprentissage.
Dans un autre ordre d’idées, l’instauration d’initiatives simples, comme celle dite « un fruit à la récré », se trouve freinée inutilement. L’expérience menée dans ma commune a révélé un réel fardeau de contraintes administratives qui explique que la France ne consomme qu’un quart de l’enveloppe européenne attribuée à cette action.
Il existe également un bon nombre de problèmes liés au principe de précaution. En effet, restreindre, voire interdire des pratiques agricoles et l’utilisation de certaines substances pour traiter les cultures met en péril les productions. Ainsi, la filière noisette de Lot-et-Garonne est actuellement en grande difficulté à cause de l’interdiction d’un produit de traitement contre un insecte ravageur, prononcée sans que l’on dispose de solutions de substitution ; ce n’est pas un cas isolé. Nous créons de ce fait une distorsion de concurrence par rapport aux productions étrangères, sans pour autant interdire l’importation des produits étrangers traités avec des substances prohibées en France. Cela n’a pas de sens.
Il y a clairement un effet pervers : nous imposons des normes que nous ne mettons absolument pas en valeur et qui mettent en danger nos exploitations. Il est urgent de valoriser notre réglementation dans un cadre commercial. Sinon, nous continuerons à créer des contraintes pour ceux qui, finalement, sont les plus performants, sans profit. Notre approche et notre méthode de travail sur la surtransposition des directives et sur l’interprétation de certains règlements sont à revoir.
Les agriculteurs, qui sont avant tout des chefs d’entreprise, se voient aujourd’hui noyés par un excès de réglementation et par des contrôles en tout genre. Cela peut être supporté par les plus grosses structures, mais sûrement pas par les petites exploitations.
Pour comprendre cela, il faut s’arrêter sur les faiblesses de notre méthodologie d’élaboration des normes en agriculture au niveau tant européen que national.
Dans la mesure où presque 90 % des normes sont produites par Bruxelles, nous pouvons légitimement nous demander à quel niveau les agriculteurs participent à la prise de décision. Il me semble pourtant évident que leurs retours de terrain sont essentiels et qu’il y a un important chantier d’adaptation à mener selon les différentes cultures et régions.
Au niveau national, l’agriculture est un domaine d’activité à la croisée d’un grand nombre de secteurs. Qu’elles soient sanitaires, sociales, économiques ou environnementales, ces réglementations imposent un carcan rigide qui ne tient pas compte des particularités et de la diversité des activités agricoles.
Il existe un travers tout à fait français, celui de travailler en tunnel. Chaque ministère demeure cantonné dans sa mission, sans jamais harmoniser les choses. Je vous ai interrogé un jour, monsieur le ministre, sur votre méthode pour déterminer les normes nitrates. Selon vous, l’IRSTEA et l’INRA avaient mission de travailler sur le sujet. Je me suis ensuite rendu compte que, dans le même temps, le ministère de l’environnement avait publié sur son site des normes en la matière : à la fois le projet de décret et le projet d’arrêté afférent. Je vous ai fait part de mon étonnement, et vous m’avez indiqué que cette démarche avait été accomplie dans la précipitation, à la suite de pressions de la Commission européenne. Cette norme continue du reste d’être appliquée ; sera-t-elle évaluée ?
Dans le domaine de l’eau, sur lequel je m’investis tout particulièrement, je remarque que ces deux ministères travaillent dans des sens différents. Ainsi, dans un rapport publié en décembre dernier, le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux préconise de faire des réserves d’eau et de les financer à plus de 70 %, à l’inverse de ce que préconise le ministère de l’environnement.
La proposition de résolution insiste sur la nécessité de « faire évoluer les règles en matière d’utilisation et de stockage de l’eau ». Elle me semble, à ce titre, tout à fait pertinente.
La reconstitution des nappes phréatiques ou encore la création de réserves d’eau en période d’abondance permettraient de répondre aux pics de sécheresse qui vont se multiplier du fait de l’accentuation du changement climatique. Elles contribueraient également au maintien du bon état écologique des cours d’eau et garantiraient les productions. Je reste néanmoins optimiste, puisque j’ai pu entendre dernièrement Mme la secrétaire d’État chargée de la biodiversité déclarer que « la création de plans d’eau est une des options pour améliorer la disponibilité estivale de la ressource en eau ».
Mon dernier point concerne le travail que nous devons encore mener sur l’évaluation des normes afin de limiter les problèmes d’interprétation, mais aussi pour stabiliser l’évolution dans le temps de notre réglementation.
La proposition de développer les études d’impact a priori et a posteriori et de systématiser une analyse des effets de la norme dans un délai de trois à cinq ans après son entrée en vigueur pourrait permettre de réguler la prolifération des mesures parfois trop lourdes ou inutiles. Je pense ainsi aux éleveurs, qui sont obligés d’investir sur des périodes importantes. Dans un délai très proche, ils se voient souvent contraints à de nouvelles adaptations, alors qu’ils n’ont pas pu amortir économiquement leurs premiers investissements. Ce n’est pas tenable.
Il faut également s’attacher davantage aux résultats qu’aux moyens et donc, en ce sens, faire confiance à nos agriculteurs dans leurs pratiques, notamment en allégeant les normes applicables aux plans d’épandage, qui sont plus dépendants de la météo que de la réglementation.
Je reste convaincu que les agriculteurs et les consommateurs ont des intérêts liés. Tous partagent l’objectif de disposer d’une alimentation suffisante, de qualité et à coûts accessibles.
Agir sur l’élaboration des normes, favoriser la participation des agriculteurs dans les prises de décision et instaurer la souplesse nécessaire à la spécificité de leurs activités : voilà le défi que nous devons relever pour sauvegarder nos exploitations françaises et notre indépendance alimentaire. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour la troisième fois en deux semaines, le Sénat discute des normes agricoles.
La dynamique de simplification est louable ; le Gouvernement en a d’ailleurs fait un engagement sur l’ensemble du quinquennat. Cette dynamique a également reçu des apports continuels du Parlement, du Sénat en particulier, en ce qui concerne les collectivités territoriales, les territoires ruraux et l’agriculture. Effectivement, la France, comme l’ensemble des pays occidentaux, croule sous les normes. Songeons aux petites entreprises, aux petits ateliers, aux petits commerces ou encore aux petits restaurants : on est très loin du compte, il y a un véritable travail à mener !
La présente proposition de résolution rappelle, s’il en était besoin, que le secteur agricole est dans une situation dramatique. Celle-ci est d’ailleurs due, de prime abord, non pas aux normes qu’on lui impose, certes parfois à l’excès, mais bien à la disparition de la régulation que les États imposaient aux marchés.
Nous voulons, nous, écologistes, saluer le plaidoyer de cette proposition de résolution pour des études d’impact de l’ensemble des normes, et non pas seulement des nouvelles.
Nous saluons également la volonté d’étendre le champ de l’expérimentation avant la généralisation d’une norme.
Cependant, comment pourrions-nous cautionner cette attaque en règle du principe de précaution ? Il n’est qu’à citer l’exposé des motifs, qui, dans une proposition de résolution, revêt une importance particulière pour éclairer le souhait du législateur : « La montée en puissance du principe de précaution a conduit à restreindre, voire à interdire certaines pratiques agricoles et notamment l’utilisation de certaines substances utilisées dans le traitement des cultures, » – dit-on pudiquement ! – « conduisant parfois à de réelles impasses techniques qui entraînent des abandons de production. » C’est faux !
Est également attaqué le verdissement de la PAC – comme si c’était un problème ! –, alors même que c’est une porte de salut pour de nombreux agriculteurs, qui vont enfin pouvoir être rémunérés pour les services environnementaux et écosystémiques qu’ils fournissent à la collectivité. En revanche, il est vrai que les dossiers administratifs sont d’une lourdeur insupportable pour les agriculteurs, en particulier pour les petits exploitants.
M. Rémy Pointereau. Pour tout le monde !
M. Joël Labbé. En particulier pour les petits exploitants ! Ils ont moins de moyens !
L’agriculture biologique et les agricultures alternatives de qualité génèrent très peu de normes puisqu’elles respectent les équilibres écosystémiques, la biodiversité, la qualité de l’eau, de l’air, des sols et la santé. La seule contrainte, qui est une contrainte choisie et acceptée, c’est le respect du cahier des charges.
J’aborderai enfin un dernier point, à mon sens le plus gênant, dont je suis convaincu qu’il emportera la conviction des grands juristes présents dans cet hémicycle. En effet, la proposition de résolution « invite le Gouvernement à faire adopter un plan de simplification des normes agricoles par le Conseil supérieur d’orientation de l’économie agricole et alimentaire, qui serait rendu opposable à l’ensemble des ministères et dont il serait rendu compte de l’exécution devant le Parlement ». Une telle disposition – un plan issu d’une instance consultative qui serait rendu opposable aux ministères – s’apparenterait à un dessaisissement sans précédent des pouvoirs exécutif et législatif au profit d’une instance non élue. C’est évidemment inacceptable.
Il n’en reste pas moins qu’il y a grand besoin de simplifier l’ensemble du système normatif, qui est d’une lourdeur administrative très contraignante, en particulier pour les petits agriculteurs.
Le groupe écologiste votera contre cette proposition de résolution.
M. Jean Bizet. Encore !
M. Joël Labbé. Absolument !
Je conclurai en citant une nouvelle fois un extrait de l’ouvrage de la journaliste d’investigation Isabelle Saporta…
M. Jean Bizet. Ah !
M. Joël Labbé. … intitulé Foutez-nous la paix !
M. Jean Bizet. À qui ?
M. Joël Labbé. « Ils sont éleveurs d’agneaux de pré-salé ou de poules de Marans, fabricants de beaufort ou de roquefort, vignerons. Vous mangez leurs viandes, leurs fromages. Vous dégustez leurs vins. Leurs produits sont servis sur les plus grandes tables du monde. Et pourtant ils sont harcelés par un délire de normes. Quant à l’agrobusiness,…
M. Jean Bizet. Il ne manquait plus que lui !
M. Joël Labbé. … il attend tranquillement son heure. Son arme pour mettre à mort ces défenseurs des terroirs ? Les asphyxier sous d’innombrables normes formatées par et pour les multinationales. Ceux qui résistent ne demandent qu’une seule chose : qu’on cesse d’assassiner en toute impunité la France de la bonne chère. » (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé.
M. Franck Montaugé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, indiscutablement, la norme, le règlement affectent la compétitivité de l’économie française. L’enjeu est fort pour l’agriculture. C’est la raison pour laquelle, avec Henri Cabanel, nous nous sommes impliqués dans le travail que Daniel Dubois et Gérard Bailly ont mené pendant près d’un an. À la suite du rapport qu’ils ont rédigé et qui comprend une contribution spécifique de notre part, nous avons cosigné cette proposition de résolution. Nous estimons en effet que l’enjeu est important, qui plus est dans le contexte actuel difficile de l’agriculture française. En outre, nous partageons pour l’essentiel les recommandations formulées.
Certains points méritent cependant d’être nuancés, précisés, d’autres d’être complétés ou corrigés. C’est particulièrement vrai pour l’exposé des motifs de ce texte. Il n’est pas juste de laisser entendre que peu ou pas grand-chose a été fait par le Gouvernement en matière de simplification.
M. Marc Daunis. Eh oui !
M. Franck Montaugé. Le relèvement des seuils du régime d’autorisation ou d’enregistrement de la procédure ICPE a été acté, la réduction du délai de recours des tiers également ; la déclaration unique est expérimentée ; la mise en place de l’azote total a permis de sortir certains bassins des zones d’excédent structurel.
M. Marc Daunis. Eh oui !
M. Franck Montaugé. Les négociations avec l’Union européenne ont permis d’adapter l’application de la directive Eau.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Oui !
M. Franck Montaugé. Les aides à la création de réserves d’eau ont été rétablies en 2013, par Philippe Martin, alors ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. En 2015, le Gouvernement a précisé les conditions de soutien de ces projets par les agences de l’eau.
M. Franck Montaugé. Une feuille de route de la simplification a été mise en place par le ministère de l’agriculture, qui traduit la mise en œuvre d’une politique d’ensemble en matière de simplification.
Le Comité de rénovation des normes en agriculture, le CORENA, créé par le Gouvernement au mois de mars 2016, en est la traduction.
M. Marc Daunis. Oui !
M. Franck Montaugé. Notre collègue Odette Herviaux, missionnée par le Premier ministre, vient de lui remettre un rapport d’excellente facture qui avance des propositions précises et extrêmement positives en matière de simplification, d’approches nouvelles de l’élaboration de la norme ou de mise en œuvre pratique.
Le CORENA est paritaire : la profession agricole et les principaux ministères y sont représentés. Il s’agit donc d’un comité spécialisé. Intégrer la problématique de la simplification des normes agricoles dans les attributions du Conseil supérieur d’orientation et de coordination de l’économie agricole et alimentaire, le CSO, conduirait probablement à marginaliser cette problématique. En outre, rien n’empêche le CSO de s’appuyer sur les travaux du CORENA.
M. Marc Daunis. C’est vrai !
M. Franck Montaugé. Nous avons aussi une divergence d’interprétation sur la question de la surtransposition des normes de l’Union européenne, lesquelles, on le sait, constituent 80 % à 90 % des normes applicables à l’agriculture. Le ministre nous dira ce qu’il en est exactement, mais ces pratiques ont été arrêtées en 2012.
Mme Odette Herviaux. Absolument !
M. Marc Daunis. Très bien !
M. Franck Montaugé. Je constate aussi que, quand nous demandons aux professionnels des exemples manifestes de surtransposition, ils nous répondent plutôt sur les procédures d’interprétation et d’application régionales et départementales.
Mme Odette Herviaux. Exactement !
M. Franck Montaugé. Ce qui pose davantage question que l’hypothétique surtransposition nationale, c’est la production des normes européennes et la manière dont les instances européennes entendent se saisir de la question de la simplification des normes en agriculture. Tous les pays membres ne conçoivent pas la notion de simplification de la même manière. La Commission européenne elle-même parle de réduction du nombre de textes à appliquer. Certains pays y voient la perspective d’une déréglementation tous azimuts leur laissant la liberté de produire n’importe quoi, n’importe comment.
Quoi qu’il en soit, Henri Cabanel et moi-même considérons que la simplification des normes agricoles européennes doit être placée en priorité haute dans l’agenda de la PAC, qu’elle doit figurer dans la PAC post-2020 comme un objectif explicite au même titre que la définition et la mise en œuvre d’outils de gestion des risques agricoles et tout particulièrement des risques de marché.
Nous estimons par ailleurs que la norme et le règlement européens peuvent et doivent être développés – ce qui est absent de ce texte – dans le cadre d’une stratégie d’influence internationale ayant pour but de soutenir l’activité économique française. Les discussions sur le CETA et le TTIP illustrent parfaitement ce propos. Les IGP, AOP, AOC et autres signes de qualité illustrent ce que la norme peut offrir de mieux au producteur. Reste que ces démarches doivent être intégrées dans une stratégie nationale, voire européenne.
Si la norme peut être vécue par nos agriculteurs comme une contrainte, elle a ou peut aussi avoir des effets positifs, il faut le dire. Dans un monde judiciarisé, où l’exigence de qualité et de sécurité alimentaire va grandissant, elle protège et peut aussi constituer un facteur de différenciation, un avantage comparatif,…
M. Marc Daunis. Eh oui !
M. Franck Montaugé. … pour peu que cette approche soit intégrée dans une stratégie de filière adaptée à la conquête des marchés et aux exigences du consommateur.
La simplification des normes comme facteur de compétitivité, oui, certainement ! La norme comme moyen de protection, de conquête et de développement, donc de compétitivité, oui, aussi ! Ne sommes-nous pas en retard dans ce domaine ? Je le pense. En d’autres termes, il s’agit de savoir comment utiliser les règlements et normes pour conquérir et protéger nos marchés, comment faire de la simplification des règlements concernant l’agriculture et les industries agroalimentaires une priorité, voire un des objectifs premiers de l’agenda de la réforme de la PAC, et de déterminer la stratégie pour y parvenir.
À cet égard, je crains que les principes ultralibéraux qui dictent les politiques européennes ne limitent la portée de l’indispensable révision du processus d’élaboration des normes européennes en agriculture.
Ces points importants ne sont pas abordés dans la proposition de résolution, ce que l’on peut regretter. Je note également que les thèmes du compte pénibilité et de la complémentaire santé obligatoire sont abordés dans l’exposé des motifs sans être repris dans le texte soumis à notre vote. Pour nous, la question est plus celle de l’application, de la mise en œuvre pratique – et si possible simple – de ces dispositifs que celle de leur justification sociale, laquelle, je le précise, n’est pas discutée dans l’exposé des motifs.
Au final, nous considérons que ce texte, compte tenu des remarques que je viens de formuler, constitue une démarche de plus vers une prise en compte au plus haut niveau – en particulier à l’échelon européen – de l’enjeu de compétitivité, de qualité et de développement auquel sont confrontées, dans leurs diversités, nos agricultures. Le Gouvernement a démontré sa volonté de progresser dans ce sens. Sauf à demeurer dans l’incantation, il convient maintenant de construire à l’échelon européen une démarche collective politiquement efficace.
Les rencontres à Bruxelles de la Commission européenne et de la COPA-COGECA m’ont fait comprendre que le chemin pourrait être long et difficile. Dans ces conditions, faisons cause commune à l’échelle française d’abord, au-delà de nos divergences, pour soutenir les agriculteurs qui nous le demandent. Pour cette raison, Henri Cabanel et moi-même, en tant que cosignataires, voterons ce texte. Le groupe socialiste et républicain s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – MM. Alain Bertrand et Henri Tandonnet applaudissent également.)
M. Marc Daunis. Excellente intervention !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Bizet.
M. Jean Bizet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis 1992, les réformes successives de la PAC ont visé, l’une après l’autre, à promouvoir une politique agricole « plus juste, plus verte et plus simple ». Qu’en est-il aujourd’hui dans nos campagnes ? Force est de constater que nos agriculteurs partagent très largement un sentiment de colère et d’exaspération : une « dérive normative » entrave bel et bien le développement de nos exploitations au point que certains baissent les bras et cessent leur activité prématurément. Cette proposition de résolution s’en fait l’écho auprès de la représentation nationale. Elle constitue une initiative ô combien bienvenue.
Mon propos vise à apporter au débat un éclairage européen sur un point : les travaux du groupe de travail sur les marchés agricoles, ou task force. Pour mémoire, cette task force a été mise en place au mois de janvier 2016 par le commissaire européen Phil Hogan, rassemblant douze experts représentant tous les maillons de la chaîne d’approvisionnement alimentaire. Sa tâche a consisté à formuler des propositions concrètes améliorant la position des agriculteurs.
Dans le rapport publié le 14 novembre dernier, un grand nombre de sujets différents sont abordés : la transparence des marchés, la gestion des risques, les relations contractuelles, les marchés à terme, l’accès au financement. Au demeurant, l’étendue des questions traitées souligne l’ampleur des difficultés auxquelles sont malheureusement confrontés nos agriculteurs.
Examiné sous l’angle de la réduction des normes agricoles, le rapport de la task force présente des propositions ambitieuses simplifiant les règles de la concurrence applicables à la PAC. On notera, en particulier, la demande d’une dérogation générale pour le secteur agricole en matière d’entente, sur le modèle du système américain, le Capper-Volstead Act.
La task force souligne également fort justement l’absence de prise en compte des spécificités agricoles par les différentes autorités nationales de la concurrence. Ce point a été mis en évidence par les travaux de la commission des affaires européennes du Sénat, dès 2013. J’ai rédigé un rapport sur ce point, qui m’a valu les critiques du président de l’Autorité de la concurrence de l’époque.
En outre, le rapport fait valoir que les règles actuelles n’apportent pas une sécurité juridique suffisante aux agriculteurs, du fait de leur ambiguïté. Forte de ce constat, la task force considère que ces règles mériteraient d’être clarifiées, estimant que les organisations professionnelles devraient davantage être reconnues comme des véhicules essentiels pour lutter contre la fragmentation des producteurs.
Ce rapport, qui a fait l’objet d’un accueil très largement positif, marque ainsi une évolution importante, dont nous pouvons nous féliciter. En effet, en proposant d’adapter le droit de la concurrence aux spécificités agricoles, tout en le simplifiant, est fait le choix de revenir à la lettre et à l’esprit des traités européens de 1957. Ce point est fondamental, je l’ai récemment souligné auprès du commissaire Phil Hogan.
En définitive, mes chers collègues, les auteurs de cette proposition de résolution soulignent fort justement qu’une très large partie du problème de la prolifération normative se situe à l’échelon national, c'est-à-dire en France. Au-delà du ministère de l’agriculture, qui pratique une concertation approfondie avec nos agriculteurs et leurs représentants depuis toujours, c’est l’ensemble de notre appareil administratif qui doit s’imposer une « révolution copernicienne ». En effet, dans une conjoncture aussi difficile, la compétitivité de nos exploitations doit désormais primer dans l’esprit de chacun.
Pour toutes ces raisons, je soutiens la proposition de résolution, dont je félicite les cosignataires et salue le travail. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC. – M. Alain Bertrand applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Laurent.
M. Daniel Laurent. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la ferme France est performante. Malheureusement, elle doit affronter « la maladie de la norme », à laquelle les territoires ruraux sont tout particulièrement sensibles. Cette proposition de résolution aborde donc une thématique qui cristallise le monde rural dans son ensemble, les normes.
Dès la mise en place du groupe de travail sur les normes en matière agricole, nous avons relayé nos objectifs auprès de la profession agricole de nos territoires. Les différentes réponses obtenues ont mis en évidence la pertinence de la question normative, qui suscite au mieux de l’incompréhension, au pire un véritable rejet.
Notre monde économique est réglementé, normé, assurant la reconnaissance de la qualité de nos produits agricoles, protégeant nos territoires et notre modèle agricole. Cet « encadrement » a contribué à la réussite de notre agriculture depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Toutefois, avec la montée en puissance des exigences environnementales et sanitaires, depuis les années soixante-dix, l’inflation normative est devenue exponentielle.
On accuse l’Europe d’être à l’origine de cette inflation, à dessein certes, mais les pouvoirs publics peuvent être tentés de surtransposer certaines dispositions. La profession agricole demande que les normes s’appuient sur le niveau imposé par les normes européennes, mais pas au-delà. En respectant cette règle, nous pourrions enregistrer une réduction des contraintes et une simplification des procédures.
Ainsi, dans le secteur de l’élevage, les seuils retenus pour la nomenclature des installations classées sont plus bas que les seuils européens. L’impact financier est réel, et l’on comprend aisément les conséquences des normes sur les restructurations des petites exploitations. Imagine-t-on le temps consacré aux charges administratives ? Selon les filières, cela peut représenter jusqu’à un tiers du temps de travail !
Chaque norme ou réglementation s’accompagne d’une étude d’impact, d’autorisations administratives, de procédures longues et coûteuses, de la crainte de contrôles et de sanctions parfois disproportionnées. Pas moins de dix corps de contrôle sont susceptibles d’intervenir, parfois de manière redondante, avec des calendriers de contrôle inadaptés aux contraintes pratiques des agriculteurs. La question de l’amélioration de l’approche des contrôles est primordiale. Plus d’accompagnement, de pédagogie, de coordination entre les différents organismes : tout doit être mis en œuvre pour éviter la sanction.
La gestion de l’eau constitue un autre secteur sensible aux normes et règlements et est source de contentieux. Je ne prendrai que cet exemple patent : l’entretien des cours d’eau. L’« empilage » réglementaire conduit à des démarches d’autorisation incompatibles, même pour de simples opérations d’entretien. Que faisaient nos anciens ?
Des agriculteurs et des élus ont été condamnés pour non-respect de règles administratives disproportionnées.
Nous sommes tous favorables à la préservation paysagère, naturelle et patrimoniale. Gardons tout de même un peu de bon sens !
Je pourrais citer d’autres exemples liés à des investissements importants obérés par des contraintes administratives et réglementaires.
On constate une vulnérabilité face à l’inflation normative ou réglementaire, imprévisible, déstabilisante, d’autant qu’aux normes spécifiques il convient d’ajouter les normes dites transversales, comme le compte pénibilité totalement inadapté au monde agricole.
Je partage pleinement les considérants de cette proposition de résolution. Les agriculteurs attendent une nouvelle approche dans l’élaboration des normes et des réglementations. Il convient de développer une coconstruction entre l’administration et la profession agricole pour une réglementation pragmatique applicable, économiquement soutenable, en veillant à s’assurer de l’absence de surtransposition et de l’utilisation des marges de manœuvre laissées par la législation européenne.
De même, il est indispensable d’analyser systématiquement les coûts et bénéfices de la réglementation envisagée, de procéder à des études d’impact économique, d’approfondir les outils alternatifs pour atteindre les objectifs, enfin, de prévoir des expérimentations.
Peu importent les termes employés – simplification, réduction, allégement, adaptation –, il faut avant tout une volonté politique très forte. Nous avons déjà fait des propositions dans la proposition de loi sénatoriale en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire. Poursuivons en ce sens.
Monsieur le ministre, si nous arrivons à régler cette question, nous libérerons le monde agricole d’un poids énorme, tant du point de vue de la charge de travail, que psychologiquement, et favoriserons la compétitivité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny.
Mme Pascale Gruny. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les agriculteurs sont avant tout des chefs d’entreprise. À ce titre, comme le reste des acteurs économiques français, ils souffrent de l’excès de réglementation. Ils n’en peuvent plus de l’empilement des textes européens ou franco-français chaque jour plus nombreux, contraignants, tatillons, coûteux, qui les placent, souvent à leur insu, dans l’illégalité.
Je pense à cette agricultrice qui, pour préparer ses terrines, est empêchée d’utiliser le thym de son jardin, car il faut que ce thym ait un numéro de lot estampillé à Rungis.
Je pense aussi à cet éleveur de volailles à qui l’on refuse d’agréer son abattoir pour des motifs invraisemblables : « absence de support mural pour l’accrochage de la pelle servant pour le ramassage des plumes » ou « présence de trop nombreuses bottes inutilisées dans le vestiaire ».
Je pense encore à cet agriculteur contraint de laisser déborder ses fossés, par peur d’une amende, ne sachant quelle règle appliquer, celle qui l’oblige à curer ses fossés ou bien celle qui lui interdit formellement de curer les cours d’eau.
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Gérard Longuet. C’est très bien vu !
Mme Pascale Gruny. Cette overdose normative est mal vécue dans les exploitations agricoles, qui restent avant tout des petites entreprises ne disposant pas en interne de moyens suffisants pour maîtriser parfaitement l’ensemble de la réglementation applicable. Et pour cause ! Quand on choisit le métier d’agriculteur, c’est d’abord pour travailler la terre, pas pour passer quinze heures par semaine à étudier le droit !
M. Rémy Pointereau. Tout à fait !
Mme Pascale Gruny. Il est donc plus que temps d’entendre la détresse du monde agricole et d’y répondre en proposant un véritable choc de simplification.
Comme le suggère la proposition de résolution que nous examinons, il faut d’abord agir à l’échelon européen. Si la Commission européenne affiche régulièrement sa volonté de simplification, dans les faits, le bilan est plutôt décevant, comme en témoignent les difficultés de mise en œuvre de la PAC actuelle. La France devra donc peser de tout son poids dans la définition de la future PAC, afin d’en simplifier les modalités. Elle devra pour cela se montrer plus offensive et cesser de s’illustrer par les absences répétées de son ministre de l’agriculture à Bruxelles.
Je souhaite aussi que l’on remette sur la table le projet de taxe carbone aux frontières de l’Europe. À quoi sert-il d’imposer à nos agriculteurs des normes toujours plus drastiques si l’on continue dans le même temps d’ouvrir nos frontières à des produits venant de pays qui n’en imposent aucune ?
Il faut ensuite agir à l’échelon national. Le coût de la complexité des normes en France est colossal : 60 milliards d’euros selon l’OCDE ! On ne peut plus se contenter de simples moratoires ou de petits allégements ponctuels. Il faut un changement de méthode radical !
La simplification doit d’abord être érigée en priorité nationale. Encore faut-il que le Gouvernement en accepte la réalité. Monsieur le ministre, je vous ai interpellé à ce sujet, ici même, au mois de mars dernier. Vous vous étiez alors offusqué que l’on ne vous donne pas d’exemples concrets de normes à simplifier. Je vous ai adressé un courrier en ce sens au mois de juin. J’attends toujours votre réponse…
M. Charles Revet. Incroyable !
Mme Pascale Gruny. Le plan de simplification proposé par la proposition de résolution me paraît indispensable pour supprimer l’ensemble des normes inappropriées et réécrire plus lisiblement celles qui resteront en vigueur.
Nous avons aussi besoin d’une nouvelle approche dans l’adoption des normes, en stoppant l’inflation normative, en généralisant les études d’impact et les expérimentations et en assouplissant le principe de précaution.
Il ne pourra y avoir de grande invention agricole demain si nous continuons à nous enfermer dans la défiance et la suspicion. Commençons par exiger que chaque norme qui interdit un produit ou une pratique agricole prévoie un délai suffisant pour trouver une solution de substitution.
Enfin, il faut en finir avec les surtranspositions des textes européens. On attend de la France qu’elle cesse d’être la championne de l’excès de zèle et devienne plutôt la championne de la compétitivité agricole.
En conclusion, mes chers collègues, c’est un chantier ambitieux qui nous attend. Il en vaut la peine, s’il permet en fin de compte à nos agriculteurs de se consacrer pleinement et à plein temps à leur vrai métier. Parce que nous voulons réaffirmer notre profond attachement à l’agriculture française et notre croyance dans son avenir, nous soutiendrons sans réserve cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Henri Tandonnet applaudit également.)
MM. Rémy Pointereau et Charles Revet. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, l’examen de cette proposition de résolution, que vous allez certainement adopter, puisque, si j’ai bien compris, elle suscite une large adhésion, est l’occasion de débattre des normes.
Pour ma part, je ne m’attarderai pas sur la question qui est posée : y a-t-il trop de normes ? Oui, incontestablement, mais toutes les normes actuelles existaient avant mon entrée en fonction : aucune n’a été ajoutée par moi.
M. Gérard Bailly. On ne dit pas le contraire !
M. Marc Daunis. Eh oui !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Je remercie Franck Montaugé d’avoir rappelé ce que le Gouvernement avait fait sur les simplifications, en particulier sur les ICPE en matière de production porcine et de volailles – c’est en cours pour la production bovine –, d’autorisations et de procédure d’enregistrement pour essayer de se rapprocher des normes européennes, ce qui était logique, et éviter que les normes ne soient plus lourdes en France que dans le reste de l’Europe. Tout cela s’est fait sous ma responsabilité. Je souhaite que tout le monde en ait pleinement conscience.
M. Marc Daunis. Très bien !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Nous avons simplifié les normes et, dans beaucoup de domaines, nous continuons, en collaboration avec le comité qui a été mis en place pour y parvenir.
Ce n’est pas assez, je le sais parfaitement. Certains remettent en cause la politique agricole commune et le verdissement de la PAC. Prenez garde qu’en remettant en cause la règle de verdissement qui s’applique à toute l’Europe on ne laisse chaque pays définir ses propres normes.
M. Marc Daunis. Eh oui !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Si vous pensez que la France aurait un avantage sur les autres États membres, là encore, méfiez-vous ! Certains pays pourraient aller très loin dans l’allégement des normes, par exemple en matière environnementale. Or, nous, parce que nous sommes la France, nous aurions des difficultés à aller dans ce sens, quelle que soit la majorité, et à appliquer un verdissement différent.
J’aimerais alors que l’on rediscute de la compétition et de la concurrence entre les agricultures européennes ! Je sais ce qui se passe aujourd’hui dans les pays d’Europe centrale, en Ukraine, en Russie. Je sais quelles normes ils appliquent. Je sais ce que cela peut donner en termes de compétitivité, mais aussi de pollution. Un jour, ces pays seront rattrapés par les pollutions qu’ils sont eux-mêmes en train de générer.
Dans ces moments où il est toujours facile de dénoncer ce qui existe, que chacun prenne la mesure des conséquences qu’une telle décision pourra avoir. Je le dis d’ailleurs pour les prochains négociateurs de la prochaine politique agricole commune qui auraient l’intention de remettre en cause le verdissement.
Je me suis battu pour le verdissement. Que proposait alors l’Allemagne ? Elle demandait que l’on bascule le verdissement dans le deuxième pilier de la PAC et qu’on lui laisse la possibilité d’avoir un financement et un cofinancement sur le budget national. Or, avec les excédents budgétaires qu’elle dégage aujourd’hui, ses capacités de financement sont bien plus élevées que celles de notre pays. Que penser alors d’une telle configuration lorsque j’entends – et c’est logique –, dans un débat politique, que des candidats désignés à l’issue d’une large participation à une primaire proposent de baisser la dépense publique de 100 milliards d’euros ?
Certes, je le dis aux agriculteurs, il faut réduire et simplifier les normes, mais il faut également bien analyser les conséquences d’une telle simplification.
Permettez-moi maintenant de citer les travaux de Terra Inovia, l’Institut technique des producteurs d’oléagineux, de protéagineux, de chanvre et de leurs filières. Le 16 novembre, cet institut a publié une étude portant sur l’association du colza à une légumineuse : cette technique a permis d’augmenter les rendements de 10 % par hectare, de réduire de 20 % à 30 % les frais de désherbage, de diminuer l’utilisation de produits phytosanitaires, d’économiser 30 unités d’azote par hectare, et de supprimer un insecticide. Testée depuis cinq ans sur 160 sites, cette innovation sera bientôt étendue à 100 000 hectares en France dans les zones intermédiaires. Ce projet vient d’obtenir le premier certificat d’économie de produits phytosanitaires mis en place dans le cadre du plan Écophyto II.
M. Lenoir parlait de l’agriculture de précision. Pour ma part, j’évoquerai l’agronomie de précision, sujet dont vous ne voulez pas débattre. Le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt a été contesté au Sénat.
Je suis totalement d’accord s’agissant de l’empilement des normes. Ces dernières sont aujourd'hui appliquées à des modèles dont il fallait corriger les externalités négatives, comme on dit en économie. Pour autant, il ne suffit pas, contrairement à ce que vous soutenez, mesdames, messieurs les sénateurs, de supprimer une ancienne norme chaque fois qu’on en crée une nouvelle. Comment procédera-t-on ? Faudra-t-il supprimer une norme portant sur le même sujet que celle qui est instaurée ?
La question du diméthoate a été évoquée. Pensez-vous réellement que le ministre de l’agriculture puisse remettre en cause la décision de l’ANSES, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, de refuser la mise sur le marché de ce produit considéré comme étant cancérogène ? Le cas échéant, c’est à lui qu’on reprocherait d’avoir autorisé un produit dont il connaissait les risques pour la santé. Comment expliquerait-on ensuite aux consommateurs que le ministre de l’agriculture n’a pas voulu entendre parler de ces risques ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE.) Que chacun prenne ses responsabilités !
Je veux bien que l’on discute de ces sujets, que l’on dise que l’on n’en fait jamais assez, mais je vous demande également, quelles que soient vos opinions politiques ou la majorité à laquelle vous appartenez, mesdames, messieurs les sénateurs, d’être attentifs au débat dans la société. Vous verrez alors qu’il faut agir sur ces sujets avec précaution.
Cela étant, ce n’est pas moi qui ai fait inscrire le principe de précaution dans la Constitution, c’est Jacques Chirac. S’il l’a fait – vous connaissez comme moi son attachement à l’agriculture –, c’est qu’il pensait que ce principe était assez juste. Remettre en cause ce dernier, je vous l’assure, ne réglera pas tous les problèmes.
Oui, la France a besoin de garder une grande agriculture ! Oui, elle doit rester un leader, mais elle doit aussi combiner la performance dans les domaines économique, environnemental et social. C’était tout le débat dans le cadre de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt. Ce sera aussi le débat du futur. Chacun pourra contester et modifier la ligne que j’ai alors définie, mais je suis plus que jamais convaincu qu’elle correspond aujourd'hui à l’enjeu de demain. Il s’agit de préserver la place de la France demain dans le grand concert des nations agricoles.
Si nous parvenons à anticiper la mutation qui est en cours, à définir ce que doit être une agriculture à la fois compétitive et durable, alors nous gagnerons le pari de l’agriculture de demain. Nous permettrons à nos agriculteurs d’avoir des revenus, de dégager des marges et d’exercer leur métier sans être soumis de manière continuelle à des normes. Tel est l’enjeu de l’agroécologie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
Il ne faut pas se tromper dans la manière dont on pose les termes du débat si l’on veut apporter des réponses aux problèmes soulevés.
Lors de la discussion sur la prochaine politique agricole commune, le 15 décembre, nous proposerons de changer les règles, de faire autrement. Il faut dire aux agriculteurs qu’on n’est plus là pour les juger sur les outils qu’ils utilisent, sur les normes qu’on les oblige à respecter. On peut et on doit pouvoir les juger sur les résultats qu’ils obtiennent.
Pour cela, il faut changer toute la politique agricole et faire l’effort de penser de nouveaux modèles performants d’un point de vue économique et environnemental si l’on veut prendre en compte les grands enjeux environnementaux. C’est pourquoi nous travaillons d’ores et déjà sur la directive Nitrates, afin de modifier les règles applicables à la couverture des sols, les végétaux utilisés étant source de matières organiques. Les normes qui s’appliquaient aux anciens modèles ne sont plus adaptées aux nouveaux, c’est exact. Ce sont là de vraies questions.
Dans le texte que je vous ai envoyé relatif à la PAC 2020, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai proposé que l’on définisse, dans des zones homogènes et dans des conditions pédoclimatiques déterminées, des objectifs en termes de matières organiques, de biodiversité, de couverture des sols. Les agriculteurs pourraient ensuite s’adapter, prendre des initiatives et s’organiser pour atteindre ces objectifs.
Encore faut-il que l’on ait fait le bon diagnostic, que l’on se soit posé les bonnes questions, et que l’on accepte les innovations telles que celle de l’Institut technique des producteurs d’oléagineux que j’ai évoquée tout à l’heure. Je pourrais d’ailleurs vous citer d’autres exemples de groupements d’intérêt économique et environnemental s’engageant dans des voies qui permettent à la fois de diminuer la consommation de produits phytosanitaires et d’azote minéral, d’accroître les rendements et de réaliser entre 25 euros et 30 euros de marges brutes à l’hectare de plus qu’aujourd'hui. L’enjeu n’est-il pas celui-là ? La question qui est posée n’est-elle pas celle-là ? Si !
Je le répète, on ne réglera pas le problème des normes en disant simplement qu’il suffit d’en supprimer.
J’ai bien entendu ce qu’a dit François Fillon dans la Sarthe récemment : la France rurale doit être libérée des contraintes et des normes qui pèsent sur elle. Je suis d’accord, mais j’attends de voir les résultats. Je dis à ceux qui pensent que le problème va se régler ainsi qu’ils font une erreur. Je le répète aussi, si on n’aborde pas le sujet en ayant au préalable effectué la bonne analyse et posé le bon diagnostic, on apportera de mauvaises réponses au problème.
La France de demain doit être compétitive. Elle doit œuvrer pour une agriculture durable et être un exemple d’innovation et d’investissement pour l’avenir.
M. Bruno Sido. Nous sommes dépassés par l’Allemagne !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Monsieur le sénateur, la France, je l’espère, va sortir le 8 décembre du contentieux qui l’oppose à la Commission européenne à propos de la directive Nitrates. Cela étant dit, huit pays européens, dont l’Allemagne, sont toujours en contentieux. Et en Allemagne, on ne discute pas du zonage des zones vulnérables, car c’est tout le pays qui est en zone vulnérable !
Pensez-vous que les règles environnementales n’existent qu’en France ? Sachez que les Pays-Bas sont obligés d’instaurer un quota de phosphates, car leurs sols n’arrivent plus à les assimiler. Pensez-vous que les procédures applicables aux installations classées en Allemagne soient si simples que les Allemands peuvent créer n’importe quel bâtiment ? Un rapport du ministère de l’agriculture, du ministère de l’environnement et des chambres d’agriculture fait le point sur le coût des enquêtes publiques en Allemagne. Savez-vous que le coût de ces enquêtes qui varie entre 15 000 euros et 80 000 euros incombe aux agriculteurs ? Si une telle règle existait en France, vous diriez qu’il faut la supprimer, et vous auriez raison.
Pour ma part, je n’ai rien ajouté, je n’ai pas sur-transposé. J’ai au contraire essayé de simplifier et je continue de le faire. J’ai cherché des solutions au problème de l’empilement des normes que nous connaissons depuis trente ans pour des raisons diverses. Un orateur a rappelé combien j’ai dû me battre pour que soit mis en place un dispositif de surveillance des flux d’azote total en Bretagne, lequel, c’est plus malin, permet d’utiliser les excédents de matières organiques au lieu d’acheter de l’azote minéral.
M. Bruno Sido. Bien sûr !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Il a fallu se battre, faire adopter la loi d’avenir pour l’agriculture, mettre en œuvre un système de transfert, définir une date. Je l’ai fait, et c’est ce qui nous a permis de mettre fin à un certain nombre de contentieux ouverts depuis quinze ans en Bretagne.
Tout cela n’est pas arrivé par magie. Des décisions ont été prises et appliquées. J’en suis fier pour l’agriculture bretonne, pour les agriculteurs bretons. Je pense que le système de l’azote total, qui est expérimental, devrait être étendu à d’autres régions, où des excédents d’azote organique peuvent être utilisés à la place de l’azote minéral. Là où on associe des légumineuses à du colza, on utilise moins d’azote minéral. C’est une solution à laquelle il faudrait peut-être réfléchir.
Je l’ai compris, cette proposition de résolution sera adoptée à une large majorité. Très bien ! J’attire toutefois votre attention, mesdames, messieurs les sénateurs, sur le fait que pour mettre fin à l’empilement des normes qui posent souvent problème aux agriculteurs, il faut aussi penser globalement de nouveaux modèles de production : ceux-ci doivent permettre de diminuer l’utilisation de produits phytosanitaires et d’engrais, seront donc moins polluants, tout en étant performants d’un point de vue économique et environnemental.
C’est ainsi que notre grande agriculture demeurera leader et sera un modèle pour de nombreux pays. Elle permettra aux agriculteurs d’exercer leur métier en étant respectés par la société et de gagner leur vie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.
proposition de résolution en faveur de la réduction des normes applicables à l’agriculture
Le Sénat,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Considérant que l’activité agricole est encadrée par des normes multiples et diverses, relevant tant du niveau européen que national,
Considérant que les contraintes que ces normes font peser sur l’activité agricole constituent un frein à la compétitivité des exploitations, dans un environnement économique marqué par la disparition des outils publics de régulation des marchés agricoles,
Constatant, en particulier, que la préoccupation, certes légitime, de protection de l’environnement a conduit à interdire ou encadrer les pratiques agricoles, notamment en matière d’utilisation de l’eau, de traitements des cultures, ou encore d’utilisation de fertilisants,
Soulignant que le principe de précaution conduit désormais à observer avec suspicion les développements de nouvelles activités et pratiques agricoles, ou encore la création ou l’agrandissement d’installations classées en élevage,
Prenant acte des engagements répétés des autorités tant au niveau européen qu’au niveau national d’encourager la simplification et l’allégement des normes applicables aux agriculteurs, ainsi que des progrès enregistrés récemment en matière d’installations classées,
Déplorant cependant que les engagements pris restent globalement peu suivis d’effets, avec une insuffisance des études d’impact économique sur l’agriculture des nouvelles normes ou des normes existantes, et avec un déficit de pilotage politique de la simplification,
Invite le Gouvernement à faire adopter un plan de simplification des normes agricoles par le Conseil supérieur d’orientation de l’économie agricole et alimentaire, qui serait rendu opposable à l’ensemble des ministères et dont il serait rendu compte de l’exécution devant le Parlement,
Souhaite le développement d’études de l’impact économique sur le monde agricole des normes nouvelles, mais aussi des normes existantes, avec la généralisation d’une pratique de l’évaluation ex-post dans un délai de trois à cinq ans après leur entrée en vigueur,
Insiste en faveur de la mise en place d’expérimentations préalables à la généralisation des normes nouvelles,
Souhaite que l’absence de sur-transposition des normes européennes applicables à l’agriculture puisse être mesurée et contrôlée,
Demande au Gouvernement de négocier avec les partenaires européens de la France et avec la Commission européenne pour obtenir des souplesses dans les conditions de mise en œuvre de la politique agricole commune, en particulier en matière de verdissement ou de calcul des surfaces,
Souligne la nécessité de réduire les délais d’instruction des dossiers d’installations classées, de faire évoluer les règles en matière d’utilisation et de stockage de l’eau par les agriculteurs ou encore en matière de plans d’épandage,
Et enfin réclame que l’allégement des normes agricoles soit érigé en véritable priorité de la politique agricole tant au niveau européen, qu’au niveau national.
Mme la présidente. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explication de vote.
Je mets aux voix la proposition de résolution.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe écologiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 71 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 219 |
Pour l’adoption | 208 |
Contre | 11 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
15
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 7 décembre 2016 :
De quatorze heures trente à dix-huit heures trente :
(Ordre du jour réservé au groupe socialiste et républicain)
Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse (n° 174, 2016-2017) ;
Rapport de Mme Stéphanie Riocreux, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 183, 2016-2017) ;
Texte de la commission (n° 184, 2016-2017).
De dix-huit heures trente à vingt heures et de vingt et une heures trente à minuit :
(Ordre du jour réservé au groupe écologiste)
Proposition de résolution visant à généraliser les contrats de ressources présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par M. Hervé Poher (n° 87, 2016-2017).
Deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique (n° 304, 2015-2016) ;
Rapport de Mme Corinne Bouchoux, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication (n° 162, 2016-2017) ;
Texte de la commission (n° 163, 2016-2017).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures vingt.)
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD