Mme la présidente. J’indique au Sénat que la conférence des présidents a décidé d’attribuer un temps de parole de huit minutes aux orateurs de chaque groupe politique et de cinq minutes à la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et la commission des affaires européennes interviendront ensuite durant huit minutes chacune.
Le Gouvernement répondra aux commissions et aux orateurs. Puis nous aurons, pour une durée d’une heure maximum, une série de questions avec la réponse immédiate du Gouvernement ou de la commission des affaires européennes.
Dans la suite du débat, la parole est M. Didier Marie, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Didier Marie. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à la veille des soixante ans du traité de Rome, l’Europe est confrontée à la montée des populismes sur fond de crise des migrants, de crise économique et de crise institutionnelle.
Face à la mondialisation, qui, de promesse de prospérité, est devenue source d’insécurité, nos concitoyens s’inquiètent et le manifestent. La vague populiste et xénophobe frappe partout et défie tous les pronostics : Brexit, élection de M. Trump, refus de l’accord avec l’Ukraine par les Pays-Bas, non au référendum de Matteo Renzi, frayeur électorale en Autriche. La tentation du repli gagne du terrain, chez nous aussi.
Nos concitoyens entendent trop souvent dire, depuis des années, que l’Europe est la cause de leurs problèmes, rarement la solution. Et pourtant ! Qui peut croire que, séparément, les États de l’Union pourraient rivaliser avec les géants américains, russes ou chinois ? Qui peut croire que les banques italiennes aujourd’hui dans la tourmente pourront s’en sortir sans l’appui des mécanismes de stabilisation de la zone euro, en particulier des garde-fous de l’Union bancaire ?
Alors que, à nos frontières, MM. Trump, Poutine et Erdoğan n’aspirent qu’à l’affaiblissement de la maison européenne, l’Union doit se ressaisir, réagir, et ce dès le sommet du 15 décembre prochain. Il faut regagner la confiance, indiquer la route que l’on veut suivre, apporter des réponses aux inquiétudes.
Tout d’abord, il convient de répondre à l’urgence de l’arrivée massive des migrants, à la crise humanitaire qu’elle représente et à l’inquiétude qu’elle suscite auprès de l’opinion publique.
Si l’accord avec la Turquie a eu le mérite de stopper les flux vers la Grèce et les naufrages, il ne résoudra pas la crise des réfugiés à lui seul. À court terme, il ne peut être un prétexte pour ne pas exercer notre devoir de solidarité à l’égard des pays les plus exposés. Il ne peut y avoir de « solidarité à la carte », et encore moins de « solidarité flexible », pour reprendre les conclusions du sommet de Bratislava. Fermeté et solidarité, responsabilité et humanité, telles sont les valeurs qu’il faut porter !
À moyen terme, cet accord ne peut se substituer à la construction d’une politique commune d’immigration et d’asile. On ne peut pas se contenter d’externaliser le traitement de l’asile. L’Europe doit accueillir, réguler et protéger, en particulier les mineurs. Elle doit également prévenir les flux migratoires à venir, par conséquent muscler son aide au développement et coopérer avec ses voisins en déployant des partenariats et en mettant en œuvre son nouveau plan d’investissement extérieur, afin de soutenir la croissance et la stabilité de ces pays.
L’Europe doit s’ériger comme un rempart de l’État de droit. Elle doit donc être exigeante avec la Turquie : les purges continuelles menées depuis la tentative de coup d’État sont inacceptables. Progressivement, ce sont tous les principes de l’État de droit qui sont démantelés. Les atteintes à l’indépendance du pouvoir judiciaire et à la liberté d’expression ne sont pas tolérables. Et celles qui sont portées aux droits fondamentaux par certains gouvernements à l’intérieur même de l’Union européenne sont tout aussi inadmissibles.
Dans ce cadre, nous saluons le rapport adopté par le Parlement européen la semaine dernière qui plaide en faveur de la création d’un mécanisme de l’Union visant à garantir la démocratie dans l’ensemble de l’Europe et rappelle que nous partageons une communauté de valeurs.
L’Europe doit assurer sa sécurité. La crise migratoire et les attentats terroristes ont mis Schengen au banc des accusés et l’ont plongé dans un état comateux. Il est urgent de mettre en œuvre les mesures destinées à éviter sa disparition par l’effet de la réintroduction unilatérale, en dehors des règles communes, des contrôles aux frontières intérieures. Schengen est la solution, et non le problème !
L’environnement stratégique dans lequel l’Europe évolue nous conduit à nous poser la question de la sécurité sous un jour nouveau. La création d’un corps de gardes-frontières va dans ce sens ; ce corps doit être déployé rapidement. Au-delà, ce sont les outils Europol et Eurojust, ainsi que les capacités de renseignements qui doivent être confortés.
Par ailleurs, alors que le Royaume-Uni bloquait toute progression en matière de défense européenne, le Brexit éclaircit l’horizon des possibles. Le couple franco-allemand avance un certain nombre de propositions au sein d’une feuille de route susceptible d’être réalisée à court et moyen terme : une chaîne de commandement permanente, un renforcement de l’Eurocorps et une réforme du mécanisme Athena permettant d’étendre le champ du financement commun.
Même si les avancées du sommet de Bratislava restent timides, l’impulsion est là. La Commission européenne, avec la mise en œuvre de sa stratégie de sécurité et de défense, reprend une partie de ces propositions. Doté de 5 milliards d’euros, ce plan permettra de financer des activités de recherche, donc, de soutenir l’industrie européenne de l’armement.
Alors que le nouveau président américain semble rétrograder l’Europe dans la hiérarchie des priorités stratégiques des États-Unis, il est temps que les Européens se dotent d’une défense commune intégrée.
Le second défi concerne la croissance. Alors que nombre de citoyens reprochent, non sans raison, à l’Union européenne son orthodoxie budgétaire et ses politiques récessives, démontrons que l’Union dispose des leviers nécessaires à la relance de l’investissement et à la construction d’un véritable pilier social.
Saluons le doublement du plan Juncker, mais proposons d’aller plus loin en introduisant des conditions à l’accès aux garanties, notamment en faveur de l’embauche des jeunes.
Félicitons-nous des rallonges budgétaires pour 2017, de 500 millions d’euros pour l’emploi des jeunes et de 200 millions d’euros pour les programmes de soutien à la croissance. Soutenons la demande des États membres de créer un fonds commun pour la recherche.
S’il s’agit d’inflexions positives, le retour de la croissance nécessite plus. Pour augmenter les investissements, il faut un budget européen renforcé par des ressources propres assises sur l’impôt sur les sociétés et sur une taxe sur les transactions financières. Il convient également de renforcer l’Union économique et monétaire, de finaliser l’Union bancaire, de mettre en œuvre une gouvernance de la zone euro et une négociation pour un futur cadre financier pluriannuel plus ambitieux.
Plus de croissance, c’est moins de concurrence déloyale, c’est une réelle convergence fiscale et un projet social qui fixe un socle de droits sociaux pour lutter contre la course au moins-disant. Harmonisons la TVA, fixons un salaire minimum européen, luttons contre les fraudes au travail détaché qui minent la confiance des salariés, obtenons, comme le veut le Gouvernement, une rémunération équivalente des travailleurs détachés et des travailleurs du pays d’accueil, assurons-nous que les normes actuelles, comme l’accès à la sécurité sociale, s’appliquent aux nouveaux types d’emploi.
Dans le prolongement du succès de la Conférence de Paris sur le climat, menons aussi nos réformes au service de la transition énergétique.
L’Europe est à un tournant : la souveraineté partagée n’a pas suffi, ni à Schengen, pour construire une politique commune d’asile et d’immigration, ni à Maastricht, pour élaborer une politique économique européenne synonyme de croissance.
La politique des petits pas n’est plus adaptée ; elle se traduit par du « trop peu, trop tard » : il faut passer de la coopération et de la règle de l’unanimité à la réalité d’une véritable politique européenne. Ainsi convient-il d’aborder les questions institutionnelles, y compris les plus sensibles, en termes de transfert de souveraineté.
L’Union européenne a déçu, et bon nombre de ses citoyens s’en sont détournés. Aujourd’hui, à la veille de son anniversaire, soit elle se délite, soit elle décide d’être vraiment solidaire, d’agir pour l’intérêt général de ses peuples, de soutenir les jeunes et la transition écologique, de lutter vraiment contre l’évasion fiscale, d’accompagner la révolution numérique et d’élaborer une nouvelle doctrine de politique commerciale imposant la réciprocité et refusant l’Europe offerte.
L’Europe doit être recentrée autour des valeurs de citoyenneté, de solidarité, de lutte contre les inégalités et de défense des droits fondamentaux.
La soixantième année du traité de Rome est un rendez-vous d’étape pour enfin sortir des différentes crises européennes. C’est l’occasion à ne pas manquer pour réaffirmer les volontés, pour rappeler que c’est avec le citoyen et pour lui que l’Europe se construit. Avec l’Allemagne, la France porte l’immense responsabilité de faire bouger les lignes et nous comptons, monsieur le secrétaire d’État, sur votre engagement et sur celui du Gouvernement pour que ce sommet ouvre de nouvelles perspectives. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE. – M. le président de la commission des affaires européennes applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Fabienne Keller, pour le groupe Les Républicains.
Mme Fabienne Keller. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’ordre du jour du prochain Conseil européen sera une nouvelle fois riche de sujets fondamentaux pour l’avenir d’une Europe toujours en grande difficulté.
Vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d’État, les chefs d’État et de gouvernement reviendront de nouveau sur la crise migratoire. Les chiffres des arrivées pour 2016 sont sans commune mesure avec ceux de 2015, mais ils restent à un niveau très élevé, en particulier pour ce qui concerne la route de la Méditerranée centrale.
Quant à la route de la Méditerranée orientale, elle demeure tributaire de notre relation avec la Turquie, laquelle ne cesse de se détériorer au fil des mois et de la dérive autoritaire d’Ankara. Alors que le président Erdoğan menace d’ouvrir en grand les frontières de son pays s’il n’obtient pas ce qu’il souhaite de l’Europe, il devient urgent que celle-ci soit capable de gérer les crises migratoires de manière autonome.
Rien ne permet à ce stade d’affirmer que tel soit le cas. En matière d’asile, par exemple, les difficultés liées à la réforme du système de Dublin ou le concept de « solidarité flexible » du groupe de Visegrád laissent perplexe quant à la capacité des États membres à développer une vision commune.
En matière de sécurisation des frontières également, les lacunes sont encore profondes. Le corps européen de gardes-frontières et de gardes-côtes a certes été mis en place en un temps record, ce dont nous nous réjouissons, mais celui-ci doit désormais faire ses preuves. Il devra surtout pouvoir s’appuyer sur une implication sans faille de tous les États membres.
Or, jusqu’à présent, celle-ci a fait défaut, en ignorant les enjeux, qu’ils soient strictement migratoires ou, plus largement, sécuritaires. Dans ce domaine, des progrès certains ont été réalisés à l’échelon communautaire. Toutefois, c’est avant tout des États que dépend la mise en œuvre des politiques et des décisions communes. C’est à eux de se saisir des outils européens qui leur permettront de renforcer leur coopération.
En particulier, le partage des informations contenues dans les fichiers de police et de sécurité est tout à fait crucial. Or nous constatons encore de trop fortes disparités à cet égard. Au-delà des améliorations à apporter à ces fichiers quant à leur accessibilité et à leur interopérabilité, il faut impérativement inciter les États à développer enfin une réelle culture du partage des informations et de la coopération opérationnelle qui est tellement essentielle.
Il en va de même pour la sécurité extérieure. La Commission européenne a récemment proposé un fonds européen de la défense, qui permettrait d’agir à la fois sur la recherche et les capacités. Mais cette initiative ne pourra prospérer, en particulier pour ce qui concerne son volet « capacités », que si les États membres se décident à engager des politiques d’investissement et d’acquisition à la fois communes et ambitieuses.
En matière de migrations comme de sécurité, une prise de conscience semble avoir eu lieu à l’échelle européenne. Elle doit désormais trouver dans chaque État membre un relais efficace pour répondre concrètement aux attentes extrêmement fortes de nos concitoyens.
Dans le domaine économique, j’évoquerai rapidement le fonds Juncker. Le doublement de sa durée et de sa capacité financière est très positif pour relancer l’investissement et favoriser la croissance et l’emploi. Son incidence économique, qui a été évaluée, semble aussi très positive.
Mais, dans un contexte économique toujours incertain, il faudra bien que les États membres assurent le relais de ce dispositif en mettant en place un environnement favorable à l’investissement, singulièrement en France, que ce soit par des réformes structurelles ou par la levée d’obstacles réglementaires.
Permettez-moi, mes chers collègues, d’aborder maintenant le sujet du Brexit, qui ne figure pas officiellement à l’ordre du jour des débats, mais dont il est prévu de discuter au cours du dîner – sacré menu !
Cette semaine, l’horizon s’est légèrement dégagé sur le front du Brexit. La stratégie britannique n’est pas encore claire, mais le calendrier est confirmé. Nous savons que l’article 50 du traité de Lisbonne sera mis en œuvre par le Royaume-Uni autour du 30 mars prochain.
La Haute Cour a contraint le gouvernement britannique à demander l’accord du Parlement pour mettre en œuvre cet article. Le Gouvernement, qui souhaite garder les mains libres, a fait appel devant la Cour suprême, laquelle délibère. Quelle que soit la position de celle-ci, il est clair que le gouvernement britannique ne craint plus, aujourd’hui, de passer devant le Parlement.
En effet, la semaine dernière, le parti travailliste a présenté une motion demandant que l’article 50 soit mis en œuvre fin mars 2017. Le Gouvernement a fait amender la motion, de sorte à faire déclarer aux députés qu’ils s’engageaient à « respecter le souhait exprimé par le Royaume-Uni lors du référendum du 23 juin ».
En contrepartie, le Gouvernement acceptait le butoir de fin mars, ainsi que la présentation au Parlement de sa feuille de route et de ses intentions sur la négociation à venir. La motion a été adoptée, avec 448 voix pour et 92 contre.
Bien qu’il ne s’agisse que d’une motion, sa signification est politiquement et symboliquement très forte. C’est un premier succès pour Mme May et le signe d’une réconciliation avec le Parlement qui ôte de la force à toute décision à venir de la Cour suprême. En effet, il sera difficile aux députés de revenir sur leur position au cours de l’examen du projet de loi qui leur sera soumis pour autoriser la mise en œuvre de l’article 50.
Deux autres dossiers évoluent favorablement, mes chers collègues.
Premièrement, Bruxelles évoque une négociation de dix-huit mois sur les modalités pratiques du divorce – ces modalités sont essentiellement financières.
Deuxièmement, l’idée d’un accord transitoire pour encadrer les relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, après le divorce et avant un nouvel accord définitif, progresse.
En revanche, Bruxelles, qui est déterminée à maintenir la cohésion des vingt-sept États membres restants, maintient sa position de départ, qui consiste à n’accorder aucun accès au marché unique sans paiement d’un droit d’entrée et sans la contrepartie de la libre circulation des personnes.
Enfin, une très grande incertitude plane encore sur la future stratégie de négociation des Britanniques. Cette incertitude fait craindre un « hard Brexit », c’est-à-dire une sortie de l’Union européenne sans accord, sans accès au marché unique et sans union douanière.
Si l’on part sur la base d’un hard Brexit pour entamer les négociations, comme cela se profile aujourd’hui, il faudra considérer que Londres et Bruxelles sont gouvernées prioritairement par des considérations politiques, et non par leurs intérêts économiques bien compris.
Toutefois, l’absence de relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne n’étant pas concevable, vous me permettrez d’appeler solennellement de mes vœux la conclusion d’un accord, fût-il provisoire, sur la circulation des marchandises en libre-échange et sur une bonne coopération en matière de sécurité. Il s’agit de faire cesser l’incertitude !
Tels sont, mes chers collègues, les quelques éléments que je souhaitais partager avec vous sur le Brexit, mais aussi sur les autres points à l’ordre du jour de cette réunion importante du Conseil européen. Comme l’orateur qui m’a précédée, je souhaite, sur ces dossiers, que des initiatives fortes puissent être engagées par ce couple qui nous manque tant depuis quelques années, le couple franco-allemand. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. Jean Louis Masson. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’Europe est à un tournant, et il faudra bien que nous choisissions entre les tenants d’une Europe fédérale et ceux d’une Europe des nations, au sein de laquelle chacun respecte l’identité et la souveraineté des États voisins.
Les bien-pensants de la pensée dominante défendent une logique fédérale. Lorsque le peuple ou certains élus s’expriment pour formuler des avis divergents, ils sont immédiatement taxés de populisme. Sous couvert de défendre la démocratie, les tenants de la pensée unique veulent en réalité instaurer une véritable tutelle européenne sur les États.
Ils n’acceptent la démocratie que si le résultat des élections va dans leur sens. Ainsi, au Royaume-Uni, les électeurs, se sont prononcés pour le Brexit ; je trouve, pour ma part, que c’est très bien ! En Pologne, en Hongrie, ils se sont prononcés en faveur de gouvernements qui estiment qu’il faut parfois rétablir des frontières et maîtriser l’afflux d’immigrés – ceux-ci arrivent dans tous les sens, posant des problèmes immenses.
Comment les bien-pensants peuvent-ils d’un même geste donner des leçons de démocratie et se permettre de remettre en cause l’expression du suffrage universel ? Les Britanniques, les Américains qui ont élu M. Trump, les Polonais et les Hongrois qui ont élu leurs gouvernements respectifs n’auraient-ils pas le droit de s’exprimer, au motif qu’ils ne pensent pas comme les hérauts de la pensée dominante ? Je le dis, l’Europe, ça ne va vraiment plus !
Je me réjouis de certains votes intervenant un peu partout en Europe : petit à petit, le peuple se révolte. On l’injurie : les intelligents auto-proclamés le traitent de « bon à rien », de « populiste », d’« abruti ». « Il n’a rien compris », disent-ils ! Mais non ! Jour après jour, élection après élection, la pensée unique est désavouée.
Le plus bel exemple en a été, aux États-Unis, l’élection de M. Trump. Il est indécent que tous ces pro-européens, soi-disant défenseurs de la liberté et de la démocratie, et, parmi eux, des dirigeants européens, se soient permis de remettre en cause l’élection de M. Trump. Nous revient-il de juger ce qui se passe aux États-Unis ? D’une manière générale, comment ces soi-disant démocrates peuvent-ils avoir l’impudence de contester le résultat d’une élection ? C’est pourtant ce qui se passe pour les États-Unis, mais aussi s’agissant de M. Orban – je trouve pourtant que M. Orban a tout à fait raison !
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean Louis Masson. J’ai terminé, madame la présidente. La suite sera pour la prochaine fois…
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Billout, pour le groupe CRC.
M. Michel Billout. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le Conseil européen des 15 et 16 décembre prochains examinera les questions relatives aux migrations, à la sécurité, à l’économie et à la jeunesse, ainsi qu’aux relations extérieures.
Cette réunion du Conseil européen intervient alors que le budget européen pour 2017 vient d’être adopté, avec deux axes prioritaires : la question migratoire et le chômage.
Ce choix est révélateur des tensions qui traversent l’Union européenne, dans un contexte politique et économique difficile : la Cour suprême britannique débat du Brexit, le président du Conseil italien, Matteo Renzi, vient de démissionner après les résultats du référendum « anti-euro », la dette grecque doit, plus que jamais, être traitée de façon solidaire, la poussée des populismes inquiète et la question de la résolution de la vague migratoire pèse sur l’ensemble des pays de l’Union.
S’agissant de la réforme du régime d’asile européen commun et de la politique migratoire, le Conseil européen abordera la question de l’évaluation des cadres de partenariat pour les migrations et celle des pactes avec les pays africains ; il discutera des avancées législatives concernant le plan d’investissement extérieur et examinera la mise en œuvre de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie.
Permettez-moi, mes chers collègues, de consacrer quelques minutes à ce dernier sujet, qui pose la double question de la capacité de l’Union européenne à répondre avec responsabilité au mouvement migratoire et à ne pas brader les valeurs qui la constituent, face à un gouvernement brutal qui foule au pied l’État de droit tout en prétendant vouloir intégrer l’Union européenne.
Le rapport de la mission d’information du Sénat sur les conditions de la mise en œuvre de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie, adopté à l’unanimité, rappelle que cet accord ne saurait constituer la réponse la plus appropriée aux migrations. Il est fragile, ambigu, ne répond que très partiellement aux difficultés rencontrées et, surtout, permet au président Erdoğan de se livrer à un chantage permanent face à ceux qui lui reprochent sa politique d’extrême répression de toute forme d’opposition.
Si l’accord peut, à la rigueur, répondre à une situation de crise – il a permis de freiner momentanément les déplacements de population –, il est loin de répondre à un mouvement migratoire pérenne, qui sera de plus en plus alimenté par la démographie, le réchauffement climatique, l’économie, les guerres ou les répressions politiques.
C’est pourquoi le rapport de la mission d’information recommande que l’Union européenne se dote rapidement des outils lui permettant d’anticiper et de gérer un phénomène migratoire qui est durable et structurel, mène une politique partenariale ambitieuse avec les pays d’origine et de transit et ouvre de nouvelles voies légales de migration dans les États membres. Il n’est pas acceptable, en la matière, de se limiter au renforcement de la protection des frontières extérieures.
L’Union européenne doit s’emparer de ces questions et les intégrer à sa politique extérieure, afin d’œuvrer à la résolution et à la prévention des crises entraînant les flux migratoires. Le drame que vit aujourd’hui la population civile d’Alep montre combien l’action de l’Union européenne, sur ces sujets, est inopérante.
Que penser, en outre, des relations qu’entretient l’Union avec la Turquie ?
Bien sûr, il nous faut condamner l’attentat d’Istanbul, comme tous les autres, de même que la tentative de coup d’État, avec la plus grande fermeté. Mais ces événements permettent-ils de justifier le déplacement forcé de 500 000 Kurdes turcs et la destruction ou confiscation de leurs biens, lesquels viennent d’être révélés par un rapport d’Amnesty International ? Permettent-ils d’accepter que 40 000 personnes aient été placées en détention, 1 125 associations, 35 hôpitaux, 15 universités, 19 syndicats et 934 écoles dissous ou fermés ? L’armée, l’éducation nationale et la justice sont particulièrement visées, et 80 000 fonctionnaires ont été suspendus ou révoqués, dont la moitié dans l’éducation nationale.
Plusieurs députés et dirigeants du HDP, le parti démocratique des peuples, ont été emprisonnés ; 37 conseils municipaux, dont 26 dans des localités kurdes, administrés par le HDP ont été démis de leurs fonctions, les maires emprisonnés et remplacés par des administrations placées sous le contrôle de l’AKP. Plus de 2 700 mandats d’arrêt ont été émis à l’encontre de juges et de procureurs. La Turquie détient aujourd’hui le triste record mondial du nombre de journalistes poursuivis et emprisonnés.
L’Union européenne reste bien silencieuse ! Certes, le Parlement européen a demandé la suspension de la procédure d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, mais cette dernière devra faire preuve de bien plus de fermeté si elle ne veut pas perdre toute crédibilité sur la scène internationale. Il n’est pas bon de laisser croire qu’elle a troqué le rejet d’êtres humains migrants contre une cécité coupable à l’égard d’une répression extrême et intolérable qui se développe aux portes de l’Europe. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du RDSE.
M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, si la question migratoire ne fait plus quotidiennement la une de l’actualité, elle demeure néanmoins, sur le terrain, une réalité préoccupante ; il n’est donc pas surprenant de la retrouver à l’agenda de l’Union européenne.
La feuille de route jointe à la déclaration de Bratislava rappelle un certain nombre d’objectifs à atteindre, réaffirmés à l’occasion de la dernière réunion du Conseil européen, parmi lesquels celui de prévenir la réapparition des flux incontrôlés qui se sont succédé depuis 2014.
Dans cette perspective, un certain nombre de mesures concrètes ont été mises en œuvre, tardivement certes, mais regardons plutôt, aujourd’hui, ce qui a bien marché.
D’une façon générale, si l’on s’en tient aux chiffres, on peut dire que l’Union européenne, aidée par la Turquie, a réussi à freiner la pression migratoire sur ses côtes : en Méditerranée orientale, entre la Turquie et la Grèce, on est passé d’environ 2 000 arrivées par jour à moins de 80. L’accord entre l’Union européenne et la Turquie du 18 mars dernier a donc permis d’opérer une déflation des flux, même si ceux-ci restent importants en Méditerranée centrale.
Dans le cadre de cet accord, la réinstallation des Syriens en Europe semble bien fonctionner, avec trois fois plus de personnes réinstallées que de migrants renvoyés depuis les îles grecques. Cependant, si l’on évalue d’un point de vue global la politique européenne de réinstallation menée depuis 2013, force est de constater que le seuil de 22 504 personnes défini au mois de juillet 2015 est loin d’être atteint. La dernière réunion du Conseil avait appelé à amplifier les efforts. Il faut tenir nos promesses, sachant surtout que, l’année dernière, le Canada a déjà intégré 25 000 Syriens et les Américains 85 000.
La maîtrise des flux, c’est avant tout, mes chers collègues, la surveillance des frontières communes de l’Union européenne et le maintien de l’espace Schengen – nous en reparlerons. Par-delà la seule gestion quantitative du problème migratoire, la mise en œuvre du système ETIAS, ou système européen d’autorisation et d’information de voyages, va permettre un meilleur filtrage des entrées, indispensable dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.
Nous pouvons également nous féliciter de la création du corps européen de gardes-frontières et de gardes-côtes, qui a enfin vu le jour le 6 octobre dernier. Les moyens financiers et humains de la nouvelle agence FRONTEX vont progressivement augmenter, la France contribuant honorablement à la construction de cet outil.
Mais le travail de l’agence n’a de sens que si, dans le même temps, l’Union européenne a la capacité juridique de traiter la question des migrants au-delà de leur contrôle, de leur accueil ou de leur éventuel refoulement. Je pense notamment au droit d’asile, dont nous souhaitons une meilleure harmonisation à l’échelon européen. Le 13 juillet dernier, la Commission européenne a présenté le nouveau « paquet asile » ; mais, de la Suède à l’Autriche, la tradition d’accueil des réfugiés n’est pas tout à fait la même. Il me semble difficile d’aboutir, à terme, à une véritable uniformisation, ce qui n’empêche pas cependant d’instaurer quelques règles devant être respectées par tous les États.
À cet égard, s’agissant de la convention de Dublin, la décision, prise par la Commission européenne la semaine dernière, de rétablir son fonctionnement normal ne doit pas empêcher un débat sur un mécanisme qui fait actuellement peser la charge sur un nombre limité d’États membres.
Lors de la prochaine réunion du Conseil européen sera également évoqué l’état des négociations devant mener à la conclusion de pactes avec les pays africains choisis. Il est bien évident que la gestion des flux migratoires doit se faire en relation avec les pays de départ, comme cela a été rappelé l’année dernière lors du sommet de La Valette.
Le RDSE partage l’idée que l’Union européenne doit, en la matière, adopter une approche stratégique, dans le cadre de partenariats avec des pays tiers, sous réserve que la coopération avec quelques pays africains choisis dans la lutte contre les migrations ne remette pas en cause notre tradition d’accueil des réfugiés.
Mes chers collègues, globalement, les mesures mises en œuvre par l’Union européenne vont dans le bon sens ; mais nous ne saurions oublier que, derrière les pics exceptionnels de migration, se dessine un phénomène durable. L’Union européenne sera toujours sous la pression de tous ceux qui n’ont aucune perspective ni aucun avenir chez eux.
Aussi, c’est presque sans transition que j’aborde le volet économique de ces débats ; l’Union européenne, en effet, sera d’autant plus accueillante qu’elle aura les moyens économiques d’offrir un avenir à ceux qui n’ont plus rien.
Sur le front de la croissance, on observe un redressement de la zone euro, mais le rythme de cette amélioration reste très modéré.
Comme j’ai déjà eu l’occasion de le rappeler lors du dernier débat préalable à la réunion du Conseil européen, l’action économique de l’Union européenne doit s’orienter selon trois axes.
Le soutien à la croissance est bien entendu une première nécessité ; de ce point de vue, le plan d’investissement, dit plan Juncker, a rempli son rôle, même s’il ne peut pas tout. Depuis 2015, l’investissement a repris, et cette hausse devrait se poursuivre en 2017. Certes, il est difficile, à ce stade, de mesurer les effets macroéconomiques de ce redécollage de l’investissement, mais près de 14 000 petites et moyennes entreprises, dans 26 États membres, bénéficieraient des financements du Fonds européen pour les investissements stratégiques. Peut-être pourrez-vous nous transmettre, monsieur le secrétaire d’État, des indications sur les effets en France de cette politique de soutien à l’investissement ?
Deuxième axe : la poursuite de la coordination des politiques économiques et budgétaires – c’est un objectif des différents traités.
J’en conviens, s’agissant des politiques budgétaires, nous avons progressé, avec l’instauration du semestre européen. Mais si la convergence comptable est une chose, l’harmonisation des règles en est une autre. Sur les plans fiscal et social, on a souvent regretté les conséquences de la concurrence intra-européenne. Aujourd’hui, les choses progressent certes lentement, mais on peut se réjouir de l’avancée de dossiers comme ceux de la nouvelle proposition d’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés, ACCIS, ou de la révision de la directive de 1996 sur les travailleurs détachés, même si les désaccords entre États membres ne sont pas tous éteints.
Enfin, mes chers collègues, le troisième axe que je souhaite évoquer est celui de la protection du marché européen, au moment où celui-ci est clairement menacé. Ce débat, nous l’avons eu dans le cadre des discussions liées au CETA, l’accord économique et commercial global, et au TTIP, le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement ; nous avons souvent déploré, dans ce contexte, la faiblesse de l’Union européenne.
On peut pourtant observer un changement de paradigme, illustré par la position de l’Europe à l’égard de la Chine. En effet, Pékin ne bénéficiera pas, dans le cadre de l’OMC, l’Organisation mondiale du commerce, du statut d’économie de marché qui devait lui être reconnu le 11 décembre dernier. Sans appeler au protectionnisme, qui n’est bon pour personne, l’Union européenne n’a pas intérêt à voir déferler sur son marché des produits qui pourraient lui coûter 2 % de croissance.
Mes chers collègues, la prochaine réunion du Conseil européen sera la dernière d’une année qui aura vu l’un des membres de l’Union, le Royaume-Uni, se détourner du projet européen. D’autres États membres sont tentés par le repli, comme l’indique la montée en leur sein des mouvements populistes et eurosceptiques. Comme il est mentionné dans la déclaration de Bratislava, « l’Europe n’est pas parfaite mais c’est le meilleur instrument dont nous disposons pour relever les nouveaux défis ».
Tâchons, alors, de lui donner du sens, afin de rétablir la confiance de tous nos concitoyens européens. Nous n’avons pas le choix : la solution à nos crises passe par l’Europe, par plus d’Europe, et surtout par « mieux d’Europe » ! Oui, l’Europe reste notre meilleure protection, et devrait être en même temps notre rêve commun ! (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe écologiste, ainsi que sur quelques travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)