Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Cornano.
M. Jacques Cornano. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, comme le rappelle le rapport de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, Aimé Césaire disait que « l’égalité est ou n’est pas » ; elle ne se dilue pas.
Pour les habitants des îles de l’archipel de la Guadeloupe, je peux l’affirmer devant vous : elle n’est pas ! Elle ne l’est pas, dès lors que la continuité territoriale ne s’applique pas.
Le projet de loi de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer que nous examinons aujourd’hui nous propose un développement économique endogène, des plans de convergence, l’implantation d’entreprises… Tout cela me semble un bon programme, mais comment est-il possible d’envisager que ces dispositions ne s’appliquent pas de manière égalitaire sur l’ensemble de l’archipel guadeloupéen ?
Pourtant, le programme de campagne du Président de la République était bien prometteur. Il déclarait ainsi, dans ses engagements pour les outre-mer : « Je prendrai en compte le caractère archipélagique de la Guadeloupe dans la conception et la mise en œuvre des décisions publiques. » Or, depuis 1946, aucun gouvernement de la République française n’a reconnu le caractère archipélagique de la Guadeloupe.
J’ai entrepris, à dater de 2012, de nombreuses démarches, avec les sénateurs des départements et collectivités d’outre-mer : demande de création d’une mission auprès de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable ; rencontres successives avec Mme Corina Creţu, la commissaire européenne, avec les ministres des outre-mer, le Président de la République, afin d’apporter une réponse valable et pérenne à la réduction des contraintes liées à l’insularité.
Rien ou presque n’a changé, si ce n’est l’examen d’un texte relatif à l’outre-mer en procédure accélérée, à quelques mois d’une échéance présidentielle… La situation s’est même dégradée : la population décroît de manière massive, comme à Marie-Galante, passée de 30 000 à 10 000 habitants seulement, sans parler des problématiques de couverture sanitaire, sociale, numérique, ni des problèmes de gestion des déchets ou de la filière canne-sucre-rhum…
Vous l’avez compris, le sentiment d’impuissance est fort et nos concitoyens nous interpellent. Il appartient donc au gouvernement français de reconnaître le principe de la continuité territoriale entre la Guadeloupe dite « continentale », les îles du Sud et la France hexagonale.
Le principe de continuité territoriale existe, et pourtant on m’oppose que ce n’est pas un principe constitutionnel. De surcroît, la continuité territoriale s’applique de manière très déséquilibrée : pour nos amis corses, l’aide est de près de 75 %, alors que, pour nos îles, qui souffrent cependant de triple insularité, elle se situe autour de 25 %.
Le manque d’initiative des autorités nationales en faveur de cette problématique est incompréhensible pour nos concitoyens des outre-mer, alors que l’Union européenne est ouverte à ces évolutions. Le statu quo n’est donc plus acceptable.
Nous sommes à une heure où le bien-fondé de la recherche de l’égalité réelle est envisageable. Dans ces conditions, mes chers collègues, j’ai des difficultés à me projeter dans l’égalité dite « réelle » proposée dans le présent texte.
À défaut de dispositions dans le projet de loi en débat, je souhaite connaître la position du Gouvernement quant à son choix de l’inaction. En effet, ce texte ne comporte aucune avancée quant à la prise en compte, par les politiques publiques, du principe de continuité territoriale entre les îles de l’archipel guadeloupéen et la France métropolitaine. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Ericka Bareigts, ministre. Après avoir entendu s’exprimer les représentants des divers groupes, sans vouloir trop prolonger les débats, je souhaite remercier chacun des orateurs de leurs propos très libres, mais aussi revenir rapidement sur quelques éléments.
Tout d’abord, monsieur le rapporteur, si je vous ai bien compris, vous ne nous reprochez pas de travailler jusqu’au bout ! De fait, c’est ce que nous faisons, tout comme vous, parce que – le président du CESE l’a bien relevé, comme tous dans cette enceinte – les situations l’exigent. C’est pour répondre à cette exigence que nous avons accompli un travail important, qui a produit des avancées également importantes pour les territoires. Chacun d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, a pu remarquer, qu’il s’agisse de l’emploi, de l’accompagnement de Mayotte et d’autres collectivités, ou encore de la continuité territoriale, que nous avons travaillé, mais cela n’est pas suffisant : il faut également un changement de méthode.
Par-delà ce travail, il est donc à l’honneur de ce gouvernement et de votre assemblée que nous puissions discuter de la nouvelle méthode par laquelle nous voulons aborder le développement de nos territoires ultramarins, quel que soit leur statut. Alors oui, monsieur le rapporteur, nous allons travailler jusqu’au bout, et c’est un honneur de le faire, parce que nos populations l’attendent !
Madame Archimbaud, vous avez regretté l’absence dans le projet de loi de la problématique de l’énergie. Cette question a toutefois été largement abordée dans la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte qui a pu représenter un avant-goût des approches territorialisées de certaines stratégies. En tant que rapporteur de ce texte à l’Assemblée nationale, j’ai soutenu un amendement, qui a été adopté à l’unanimité, visant à doter chaque territoire ultramarin d’une programmation pluriannuelle de l’énergie, ou PPE, spécifiquement adaptée à ses potentialités et à ses limites. Ainsi, chaque territoire disposera de stratégies de développement énergétique qui permettront de répondre aux objectifs fixés dans la loi précitée en termes de seuils de production d’énergie propre. De ce fait, il ne convient pas d’aborder ce sujet dans le présent texte, consacré à l’égalité réelle.
Madame Hoarau, comme je l’ai déjà indiqué en commission, l’amendement Virapoullé a, hélas, été adopté sans nous, et il limite effectivement la possibilité d’étendre à La Réunion les lois d’habilitation, dont votre région a été privée, à l’inverse des autres territoires ultramarins. C’est un grand dommage, mais, pour autant, rien dans la Constitution, ne nous empêche de prévoir nos plans et nos contrats de convergence. En effet, la Constitution permet les expérimentations et l’adaptation de dispositions relevant du champ de compétence des collectivités locales. Nous pouvons et nous devons le faire, car cela représente une voie supplémentaire ; nous en priver serait une sorte de double peine, dont nous n’avons pas besoin.
Je veux à présent revenir rapidement sur certains sujets globaux.
Il n’y aura pas de développement économique sans développement humain. Voilà pourquoi il nous faut faire des efforts encore plus importants pour ce dernier, c’est-à-dire pour l’éducation et la formation, mais aussi et surtout pour la connexion au monde, en faisant en sorte que nos concitoyens ultramarins puissent voyager dans d’autres pays, car ils sont actuellement privés de cette possibilité. Il s’agit d’un véritable chantier d’innovation, qui requiert de nous que nous inversions la vision des choses que nous avions formée voilà soixante-dix ans. Alors, et avant même la départementalisation, le seul lien d’ouverture de ces territoires sur le monde extérieur était l’Hexagone, et tel est encore le cas aujourd’hui. Une telle vision nous a privés – en particulier nos jeunes, nos enfants et nos chefs d’entreprise – de connexions faciles, rapides et abordables avec l’Afrique, l’Asie et les Amériques. À l’heure actuelle, concrètement, de telles connexions n’existent pas à partir de nos territoires ultramarins.
C’est peut-être la raison pour laquelle, monsieur le rapporteur, vous n’avez pas supprimé la demande de rapport relatif aux connectivités : il s’agit d’un enjeu stratégique et structurant, qui nécessite une vraie réflexion. Il nous faut en effet étudier les équilibres économiques et stratégiques en jeu dans les territoires, afin de ne pas mettre en danger, par exemple, nos compagnies aériennes locales et régionales, tout en réussissant à ouvrir notre ciel. Cette réflexion durera de nombreux mois, sinon de nombreuses années, mais cela aura été notre honneur de nous engager sur cette voie, car c’est la seule qui nous permettra d’ouvrir nos territoires et d’offrir de nouvelles possibilités à nos populations.
Ce sujet rejoint celui de la continuité territoriale qui peut être abordé de différentes façons. Je n’exclus pas l’axe territoire-Hexagone et réciproquement, mais il est peut-être nécessaire d’aller plus loin, et c’est ce que nous entendons faire dans le présent texte. La question de la continuité territoriale se pose également pour des territoires à caractère archipélagique, mais il s’agit là d’une compétence territoriale, et non d’une compétence de l’État.
Par ailleurs, monsieur Robert, je suis flattée de votre présence parmi nous aujourd’hui, présence si rare au sein de cette belle et honorable assemblée, aux dires de certains de vos collègues, ravis de vous connaître enfin à cette occasion. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. Éric Doligé. Cela ne se fait pas ! On pourrait dire la même chose de Mme Ségolène Royal !
Mme Ericka Bareigts, ministre. Permettez-moi de terminer mon intervention, et de formuler quelques observations, d’abord, sur la méthode et le timing. La caricature et l’insulte ne transforment pas le mensonge en vérité ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Je vous prie de croire qu’aucune posture ne m’impressionne. La vérité forge mes convictions et mes combats. Notre méthode a été participative, et notre travail commun en est la preuve, mesdames, messieurs les sénateurs ; je veux à cet égard remercier le rapporteur et les divers orateurs. Mon cabinet et moi-même avons en effet toujours été à votre disposition, car je crois que c’est ainsi que vivent la démocratie et la République. Je n’entends museler ni l’Assemblée nationale ni le Sénat : telle n’est pas ma conception, qui semble différer de la vôtre, de la démocratie. La République est vivante, elle permet l’expression de chacun.
Alors, à l’évidence, les outre-mer ne doivent pas subir l’assimilation, je l’ai moi-même dit à cette tribune. Au contraire, il faut accepter la diversité et cesser d’adopter des postures politiciennes. Je ne tomberai pas dans ce travers, car je veux que nous puissions travailler et avancer ensemble.
Cela étant, je ne peux laisser parler d’indigence du projet de loi. D’ailleurs, de nombreux intervenants ont rappelé après moi que de très nombreuses mesures sont prévues dans ce texte.
Quant à la diète budgétaire qui a été dénoncée, je vous renvoie l’accusation : sous le précédent quinquennat, les 2 milliards d’euros de budget promis à l’outre-mer n’ont jamais été atteints ! En outre, ce serait un grand malheur si, demain, les promesses de certains candidats – suppression de 500 000 fonctionnaires, économies de 100 milliards d’euros – devaient se réaliser ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. Antoine Lefèvre. Ce n’est pas une posture politicienne, ça ?
Mme Ericka Bareigts, ministre. Comment, avec un tel programme, parviendrons-nous à l’égalité réelle ? Comment parviendrons-nous à réaliser cette belle ambition ?
Vous nous dites préférer la liberté à l’égalité : certes, la liberté coûtera moins cher que l’égalité, mais, pour ma part, je veux non seulement l’égalité et la liberté, mais aussi la fraternité, parce que c’est cela, la République, et les outre-mer doivent être dans la République ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux en raison de la cérémonie de vœux du président du Sénat ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures cinquante-cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Claude Bérit-Débat.)
PRÉSIDENCE DE M. Claude Bérit-Débat
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
13
Communication relative à deux commissions mixtes paritaires
M. le président. J’informe le Sénat que sont parvenues à des textes communs, d’une part, la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2016-462 du 14 avril 2016 portant création de l’Agence nationale de santé publique et modifiant l’article 166 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé et, d’autre part, la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2016-966 du 15 juillet 2016 portant simplification de procédures mises en œuvre par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et comportant diverses dispositions relatives aux produits de santé.
14
Décisions du Conseil constitutionnel sur deux questions prioritaires de constitutionnalité
M. le président. Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du 17 janvier 2017, deux décisions relatives à des questions prioritaires de constitutionnalité portant sur :
- l’application dans le temps de la réforme du régime du report en arrière des déficits pour les entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés (n° 2016-604 QPC) ;
- l’obligation de reprise des déchets issus de matériaux, produits et équipements de construction (n° 2016-605 QPC).
Acte est donné de ces communications.
15
Égalité réelle outre-mer
Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique.
La discussion générale ayant été close, nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique
TITRE IER
STRATÉGIE EN FAVEUR DE L’ÉGALITÉ RÉELLE OUTRE-MER
Article 1er
La République reconnaît aux populations des outre-mer le droit à l’égalité réelle au sein du peuple français.
La République leur reconnaît le droit d’adopter un modèle propre de développement durable pour parvenir à l’égalité dans le respect de l’unité nationale.
Cet objectif d’égalité réelle constitue une priorité de la Nation.
À cette fin, et dans le respect des compétences dévolues à chacun et du principe de solidarité nationale, l’État et les collectivités mentionnées aux deuxième et troisième alinéas de l’article 72-3 de la Constitution engagent des politiques publiques appropriées visant à :
1° Résorber les écarts de niveaux de développement en matière économique, sociale, sanitaire, de protection et de valorisation environnementales ainsi que de différence d’accès aux soins, à l’éducation, à la formation professionnelle, à la culture, aux services publics, aux nouvelles technologies et à l’audiovisuel entre le territoire hexagonal et leur territoire ;
2° Réduire les écarts de niveaux de vie et de revenus constatés au sein de chacun d’entre eux.
Les politiques de convergence mises en œuvre sur la base de la présente loi tendent à créer les conditions d’un développement durable, à accélérer les efforts d’équipement, à favoriser leur inclusion dans leur environnement régional, à compenser les handicaps structurels liés à leur situation géographique, leur isolement, leur superficie et leur vulnérabilité face au changement climatique, à participer à leur rayonnement à l’échelle nationale et à l’échelle internationale, à valoriser leurs atouts et leurs ressources, à assurer l’accès de tous à l’éducation, à la formation, à l’emploi, au logement, aux soins, à la culture et aux loisirs ainsi qu’à instaurer l’égalité entre les femmes et les hommes et à lutter contre toutes les formes de discriminations.
Les politiques publiques et les objectifs mentionnés au présent article sont définis en concertation par l’État, les acteurs économiques et sociaux, les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la Constitution, la Nouvelle-Calédonie et ses provinces, et les établissements publics de coopération intercommunale. Elles tiennent compte des intérêts propres de chacune de ces collectivités au sein de la République, de leurs caractéristiques et de leurs contraintes particulières, de la richesse de leur patrimoine culturel et naturel, terrestre ou maritime, de leur situation géographique, de leur superficie, de leur contribution à la diversité de la Nation et de leur rôle stratégique pour le rayonnement de la France.
M. le président. La parole est à M. Félix Desplan, sur l’article.
M. Félix Desplan. En 1956, Aimé Césaire rappelait que « l’égalité ne souffre pas de rester abstraite ». Ces propos illustrent parfaitement cette quête continuelle d’égalité promise par la République.
Aussi, je veux avant tout saluer en cet instant l’action du Gouvernement, qui, à travers le présent texte, a pris le parti d’étancher cette soif d’égalité, d’agir en faveur de l’amélioration du quotidien et des conditions de vie de ces quelque 2,75 millions d’habitants des douze territoires citoyens de la République française.
L’action que sous-tend ce texte rappelle que la loi de départementalisation, conduite voilà maintenant soixante-dix ans dans certains territoires ultramarins, n’était qu’une amorce dans la marche sur le chemin de l’égalité.
Elle rappelle que l’égalité n’est pas seulement une notion philosophique ; elle est un principe fondamental de notre République.
Elle rappelle que la famille politique à laquelle j’appartiens n’a eu de cesse de s’engager avec force et d’œuvrer en faveur des outre-mer.
Elle me rappelle enfin que, d’où je viens, les écarts de niveau de vie persistent en dépit des politiques de développement volontaristes.
Cette quête pour l’égalité républicaine semble inassouvie, sans fin. En attestent les réussites que la gauche, à travers le quinquennat de François Hollande, peut mettre à son actif : la loi relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer, le plan logement outre-mer, ou encore la loi visant à garantir la qualité de l’offre alimentaire en outre-mer. Le présent texte vient parachever cette lente et longue démarche, sans pour autant y mettre un terme, parce que l’égalité formelle ne suffit plus, parce que la convergence entre tous les territoires de la République s’impose. Rome ne s’est pas faite en un jour ! Il en est de même pour l’égalité réelle.
Là où certains ne voient qu’une déclaration d’intention, je vois pour ma part un nouvel élan dans un lent et long processus. Il prolonge les causes défendues par ceux qui ont mené le combat politique pour la reconnaissance des outre-mer : Aimé Césaire, Léopold Bissol, Raymond Vergès, Joseph Pitat et Joseph Lagrosillière ne sont plus là pour en témoigner, mais ils continuent à vivre dans nos esprits. Ils avaient un rêve, ils se sont fixé des objectifs, un but. Il appartient à chaque Ultramarin, quel que soit son département, sa région ou l’article de la Constitution dont relève son territoire, d’embrasser leurs causes.
Ce projet de loi est loin d’être parfait ; il est jugé incomplet. Certains pensent même qu’il porte les traces de petits arrangements de dernière minute sans rapport avec son objet, et qui ne font pas l’unanimité.
Mais il a du moins le mérite de faire entendre ces voix trop lointaines que nous, élus ultramarins, avons à cœur de défendre pour rappeler qu’elles font aussi la richesse de la France.
M. le président. La parole est à Mme Gélita Hoarau, sur l’article.
Mme Gélita Hoarau. Ce projet de loi repose sur les plans de convergence qui sont définis en concertation entre les collectivités locales et l’État.
Pour la mise en œuvre de ces plans, le texte du Gouvernement prévoyait, dans son article 2, de mobiliser trois dispositifs : l’expérimentation, possibilité ouverte à toutes les collectivités,, quelle que soit leur implantation, ainsi que deux autres mécanismes, ouverts à certaines collectivités d’outre-mer régies par l’article 73 de la Constitution, à savoir, d’une part, l’adaptation des lois et, d’autre part, l’habilitation à rédiger des lois dans un champ très défini par la loi.
Le texte de la commission fait disparaître l’article 2, qui énumérait ces dispositifs.
Je me permets de faire remarquer aux membres de la commission des lois que leur analyse n’est pas tout à fait exacte. En effet, il est écrit dans le rapport que « l’État et les collectivités relevant de l’article 73 de la Constitution – les régions et départements d’outre-mer de Guadeloupe et de La Réunion, les collectivités territoriales de Guyane et de Martinique et le département de Mayotte – pourraient s’appuyer sur les trois leviers institutionnels que constitue le recours aux adaptations, aux expérimentations et aux habilitations prévues aux articles 37-1, 72 et 73 de la Constitution ».
Mes chers collègues, vous n’avez cependant pas tenu compte de l’alinéa 5 de l’article 73 qui exclut La Réunion des possibilités d’adaptation et d’habilitation.
La suppression pure et simple, dans le texte de la commission, de la référence à ces leviers institutionnels que peuvent mobiliser les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution ne saurait en rien changer la réalité constitutionnelle : La Réunion ne peut ni adapter des lois ni rédiger des textes dans un domaine bien défini de compétences. Dès lors, elle part dans cette conquête de l’égalité réelle avec un handicap de taille que rien ne saurait limiter, en l’état actuel de la Constitution.
La Réunion ne pourra donc utiliser que le dispositif d’expérimentation. Et chacun sait bien que tout ne peut être codifié par ce biais.
Comment pourra-t-elle répondre aux remarques – pertinentes, d’ailleurs – exprimées par la commission des lois quant à « la nécessité d’une approche adaptée tenant compte de la diversité des réalités des territoires ultramarins », ou encore à la prise en compte des « contraintes et […] caractéristiques particulières de ces territoires : superficie, environnement, patrimoine culturel et naturel » ?
C’est le deuxième texte sur lequel le Sénat, plus particulièrement sa commission des lois, écrit noir sur blanc ce que nous demandons depuis des années : la reconnaissance de notre réalité, de nos spécificités, de nos contraintes, mais aussi de nos atouts, avec les moyens législatifs adéquats.
C’est une évolution heureuse, sur le plan purement intellectuel. En revanche, sur le plan constitutionnel, La Réunion est condamnée à rester dans le droit commun, à devoir subir les éléments d’une réglementation qui n’est pas faite pour elle et des lois qui ne peuvent apporter aucune réponse positive aux défis qu’elle rencontre.
M. le président. La parole est à M. Antoine Karam, sur l’article.
M. Antoine Karam. Il n’est pas question pour moi de rentrer ce soir dans un débat sémantique sur la notion d’égalité réelle, soixante-dix ans après la départementalisation. En ce sens, je rejoins mes collègues Jacques Cornano et Félix Desplan, qui ont déjà repris à leur compte les propos d’Aimé Césaire à ce sujet : l’égalité est ou n’est pas !
Dans nos territoires, que l’on évoque fréquemment comme des économies de comptoir ou des économies de transferts, c’est bien souvent en descendant dans la rue que nous avons obtenu des avancées. En effet, il faut le dire, en Guyane, la paix sociale s’achète, pourvu que la fusée parte à l’heure !
Pour autant, la discussion du présent texte nous donne une occasion unique de parler de nos territoires et de dessiner leur avenir. Vous le savez, mes chers collègues, ce projet de loi est le fruit d’un rapport de Victorin Lurel, qui dressait une énième fois un constat alarmant. Si je suis un historien attaché aux dates, je suis aussi un pragmatique, qui aime les faits et les chiffres. Ceux-ci sont têtus et leur réalité déplorable.
Les écarts de PIB par habitant vont de 15 % à 75 % selon les zones. Il ne s’agit là encore que du PIB, mais la liste des inégalités est longue. Celles-ci nous sont insupportables, dès qu’il s’agit d’accès aux services publics, aux soins de qualité, à l’emploi, à l’énergie, au logement, ou encore à l’éducation. Rappelons que, en Guyane, entre deux pas de tir de fusées, certains de nos compatriotes n’ont accès ni à l’eau ni à l’électricité.
C’est donc un défi de taille que nous devons relever. Il faut cependant le souligner, le travail réalisé à l’Assemblée nationale a enrichi de manière significative le projet de loi.
Au cours de nos débats, mes chers collègues, je vous proposerai de rectifier certaines anomalies qui subsistent sans que personne sache vraiment pourquoi. Je pense ainsi à la rémunération des prêtres, toujours imputée au budget de la collectivité territoriale de Guyane. Je vous suggérerai d’y mettre fin : il est temps que la séparation entre l’Église et l’État qui remonte en métropole à 1905 arrive dans notre territoire.
C’est aussi cela, l’égalité réelle : rétablir certains pans de droit dans nos territoires.
Chers collègues, profitons de l’examen de ce texte pour reposer les bases d’une relation de confiance entre l’État et ses outre-mer.
Je conclurai en rappelant les conseils précieux de Paul Vergés, citant Jean Jaurès : « Il ne faut avoir aucun regret pour le passé, aucun remords pour le présent, et une confiance inébranlable pour l’avenir. » Que ses mots et son engagement puissent nous inspirer ces prochains jours !
M. le président. La parole est à M. Jacques Gillot, sur l’article.
M. Jacques Gillot. L’intitulé du projet de loi que nous examinons aujourd’hui montre, s’il en était besoin, que la notion d’égalité réelle vise avant tout le développement économique et social. Je ne doute pas un instant que cet objectif soit unanimement partagé dans cet hémicycle.
Le Gouvernement a choisi, avec ce texte, la voie de l’égalité qui honore la gauche, même si la différenciation, ne l’oublions pas, demeure une autre voie tout aussi respectable.
Pour ma part, je ne peux m’empêcher, à ce stade de nos débats, de souligner que le développement socio-économique dans nos territoires ultramarins me semble indissociable du bon fonctionnement de nos institutions locales. Je regrette donc que ce projet de loi, qui a pour objectif l’instauration de l’égalité réelle sur l’ensemble du territoire français, ait négligé l’aspect institutionnel au profit exclusif de l’aspect socio-économique. En effet, en matière de politiques publiques économiques, nous savons tous très bien, en tant que responsables publics locaux, combien les institutions locales jouent également un rôle déterminant.
Nous voyons bien, à travers ce texte, combien les besoins de chaque collectivité peuvent être divers et combien, d’une certaine manière, l’adaptation montre ses limites lorsqu’il s’agit d’atteindre la réalité locale au plus près.
Ainsi, je m’interroge sur le fait de savoir si la diversification des statuts institutionnels dans nos outre-mer ne nuit pas in fine à l’objectif affiché d’égalité. Autrement dit, n’avons-nous pas intérêt à lisser la spécificité législative de nos outre-mer pour l’ensemble de nos territoires ultramarins, exception faite pour la Nouvelle-Calédonie, et à promouvoir, de façon unifiée et simplifiée, l’application de l’article 74 de la Constitution ?
Au minimum, il ne doit plus être tabou de dire que l’identité législative peut, dans certains cas, être un plafond de verre indépassable pour l’adaptation. En effet, on le constate, la diversité des situations ultramarines conduit à une adaptation permanente des textes, souvent par ordonnances. La récente loi d’actualisation du droit outre-mer, qui a constitué une avancée, dont j’espère qu’elle se répétera dans le temps, révèle également la nécessité d’un ajustement régulier dans nos territoires.
Reste que ce texte revêt à mes yeux une autre avancée majeure pour le débat institutionnel que j’appelle de mes vœux, en Guadeloupe en particulier. Il montre sans ambiguïté que la République n’abandonne pas ses collectivités, que celles-ci soient régies par l’article 73 ou par l’article 74 de la Constitution. Cela me semble essentiel, parce que, trop souvent, le débat sur les institutions a été limité, sinon empêché par l’agitation du risque d’abandon de la République.