Présidence de M. Claude Bérit-Débat
vice-président
Secrétaires :
M. Christian Cambon,
Mme Corinne Bouchoux.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Mise au point au sujet de votes
M. le président. La parole est à Mme Leila Aïchi.
Mme Leila Aïchi. Monsieur le président, je souhaite faire une mise au point concernant le scrutin n° 91 sur le projet de loi ratifiant les ordonnances n° 2016-1019 du 27 juillet 2016 relative à l’autoconsommation d’électricité et n° 2016-1059 du 3 août 2016 relative à la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables et visant à adapter certaines dispositions relatives aux réseaux d’électricité et de gaz et aux énergies renouvelables, qui s’est déroulé mardi 24 janvier 2017.
En raison d’un problème technique, les dix membres du groupe écologiste n’ont pas pu prendre part à ce scrutin, alors qu’ils souhaitaient voter pour.
M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
3
Demande d’avis sur un projet de nomination
M. le président. Conformément aux dispositions de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution et en application de l’article L. 131-10 du code de l’environnement, M. le Premier ministre, par lettre en date du 24 janvier 2017, a demandé à M. le président du Sénat de lui faire connaître l’avis de la commission du Sénat compétente en matière d’environnement sur le projet de nomination de M. Philippe Martin aux fonctions de président du conseil d’administration de l’Agence française pour la biodiversité.
Cette demande d’avis a été transmise à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
Acte est donné de cette communication.
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Organisme extraparlementaire
M. le président. M. le Premier ministre a demandé à M. le Président du Sénat de bien vouloir lui faire connaître le nom d’un sénateur appelé à siéger au sein de la Commission supérieure du service public des postes et des communications électroniques.
La commission de la culture a été invitée à présenter un candidat.
La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.
5
Candidatures à une commission mixte paritaire
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de réunion d’une commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi ratifiant les ordonnances n° 2016-1019 du 27 juillet 2016 relative à l’autoconsommation d’électricité et n° 2016-1059 du 3 août 2016 relative à la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables et visant à adapter certaines dispositions relatives aux réseaux d’électricité et de gaz et aux énergies renouvelables.
J’informe le Sénat que la commission des affaires économiques a procédé à la désignation des candidats qu’elle présente à cette commission mixte paritaire.
Cette liste a été publiée conformément à l’article 12, alinéa 4, du règlement et sera ratifiée si aucune opposition n’est faite dans le délai d’une heure.
6
Conventions internationales
Adoption définitive en procédure d’examen simplifié de deux projets de loi dans les textes de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen de deux projets de loi tendant à autoriser la ratification ou l’approbation de conventions internationales.
Pour ces deux projets de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure d’examen simplifié.
Je vais donc les mettre successivement aux voix.
projet de loi autorisant la ratification de l'accord de passation conjointe de marché en vue de l'acquisition de contre-mesures médicales
Article unique
Est autorisée la ratification de l'accord de passation conjointe de marché en vue de l'acquisition de contre-mesures médicales (ensemble quatre annexes), signé à Paris le 22 septembre 2015, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification de l’accord de passation conjointe de marché en vue de l’acquisition de contre-mesures médicales (projet n° 230, texte de la commission n° 326, rapport n° 325).
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.
(Le projet de loi est adopté définitivement.)
projet de loi autorisant la ratification de la convention relative à l'assistance alimentaire
Article unique
Est autorisée la ratification de la convention relative à l'assistance alimentaire, signée à New York le 2 novembre 2012, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant la ratification de la convention relative à l’assistance alimentaire (projet n° 137, texte de la commission n° 328, rapport n° 327).
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.
(Le projet de loi est adopté définitivement.)
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Accord avec l'Italie : nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin
Adoption définitive en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne signé le 24 février 2015 pour l’engagement des travaux définitifs de la section transfrontalière de la nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin (projet n° 271, texte de la commission n° 330, rapport n° 329).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, avec le projet de loi qui est soumis à votre approbation la liaison ferroviaire Lyon-Turin va franchir une étape décisive vers sa réalisation. Il a en effet pour objet d’autoriser l’approbation de l’accord du 24 février 2015 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne pour l’engagement des travaux définitifs de la section transfrontalière de la nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin.
Cet accord intergouvernemental marque la dernière étape de ce grand projet franco-italien et européen, né il y a déjà plus de vingt-cinq ans. Il fait suite à deux précédents accords intergouvernementaux : l’accord intergouvernemental pour la réalisation de la nouvelle ligne ferroviaire permettant la création d’un promoteur public, signé en 2001 ; l’accord intergouvernemental pour définir les modalités de gestion du projet et instituer un nouveau promoteur public chargé de la conception, de la réalisation, puis de l’exploitation de la section transfrontalière, signé en 2012.
Le présent accord, signé le 24 février 2015, vient compléter les deux précédents et comprend trois volets : il permet le lancement des travaux définitifs de la section transfrontalière ; son protocole additionnel valide le coût du projet certifié et en précise les modalités de financement ; le règlement des contrats met en place des dispositions de lutte contre la criminalité organisée, afin de vérifier les règles de passation de marché et les entreprises éligibles.
Les enjeux de la création du tunnel Lyon-Turin sont majeurs.
Sur un plan économique, d’abord, cet accord répond à un objectif de rééquilibrage des flux.
Il y a aujourd’hui un risque que le trafic de marchandises en provenance du Benelux et du Royaume-Uni à destination de l’Italie se déplace progressivement vers la Suisse et l’Autriche, qui se dotent d’infrastructures modernes répondant aux standards ferroviaires de demain : le tunnel du Gothard, le plus long tunnel ferroviaire du monde, inauguré en juin 2016, et celui du Brenner, en construction. Le lancement des travaux définitifs de la section transfrontalière de la ligne ferroviaire Lyon-Turin va permettre d’asseoir la position de la France au cœur des échanges économiques européens.
Le tunnel transfrontalier renforcera la compétitivité de nos entreprises et bénéficiera à nos relations économiques avec l’Italie, qui est notre deuxième partenaire commercial, mais aussi à nos relations économiques avec le reste de l’Europe.
Il s’agit d’ailleurs non pas seulement de relier Lyon et Turin, ni même Paris et Milan, mais aussi de rapprocher les grandes zones économiques des régions Auvergne-Rhône-Alpes, Piémont et Lombardie, qui représentent 3,2 % du produit intérieur brut de l’Union européenne.
Par ailleurs, les retombées économiques de la création du tunnel seront importantes grâce à une démarche de « grand chantier » qui stimulera l’emploi et la croissance de la région.
L’exploitation, l’entretien et le renouvellement de la nouvelle ligne ferroviaire, le renforcement de l’attractivité des territoires sont autant d’atouts pour la création d’emplois.
La liaison Lyon-Turin est aussi la réalisation d’une grande infrastructure européenne, pleinement inscrite dans le corridor transeuropéen méditerranéen reliant la péninsule ibérique à la Slovénie et la Hongrie, qui fera de la France un centre de gravité de l’Europe, à un moment où le trafic entre l’Espagne et l’Italie augmente.
C’est un enjeu majeur, également, sur le plan de l’environnement.
Chaque année, ce sont en effet plus de 2,7 millions de poids lourds qui traversent nos vallées alpines et notre littoral. Ces véhicules empruntent des routes où le trafic de transit pose de graves problèmes, qu’il s’agisse de zones urbanisées et congestionnées – je pense notamment à l’autoroute A8 autour de Nice –, ou encore de zones très sensibles du point de vue environnemental.
Les vallées de l’Arve et de la Maurienne sont particulièrement affectées par la pollution, comme nous l’avons vu ces dernières semaines encore. Nous devons donc absolument favoriser le passage du transport de marchandises de la route vers le rail en facilitant le report modal.
Le transport routier est dominant, mais cela ne peut pas durer. La majorité du trafic de marchandises qui emprunte les tunnels routiers des Alpes franco-italiennes parcourt des trajets de plus de 500 kilomètres et entre ainsi pleinement dans le domaine de pertinence du mode ferroviaire. Nous croyons à l’avenir du transport ferroviaire, en particulier pour le fret.
Lors de la signature de la convention alpine en 1991, mais aussi plus récemment lors de la COP21, nous nous sommes engagés à réduire les émissions de gaz à effet de serre et à lutter contre le réchauffement climatique. Le tunnel Lyon-Turin est un élément important pour le respect de ces engagements, car il permettra au ferroviaire d’assurer plus de 40 % des échanges de marchandises dans la zone, à l’horizon 2035, contre 8,8 % en 2015, soit un report estimé à 700 000 poids lourds vers le rail.
En ce qui concerne le transport de personnes, la création du tunnel Lyon-Turin améliorera la compétitivité du train par rapport à l’avion en termes de facilité d’accès et de rapidité.
Le report modal permet également de renforcer la sécurité des transports dans cette zone transalpine.
Nous avons en mémoire les incendies mortels qui ont eu lieu dans les tunnels routiers des Alpes franco-italiennes en 1999 et 2005, et l’éboulement rocheux sur l’autoroute A8 en 2006.
Les infrastructures ferroviaires existantes, notamment celle du Montcenis, qui date de 1871, ne peuvent pas offrir des services performants répondant aux besoins actuels du trafic. Une modernisation de ces infrastructures est donc indispensable au regard des flux de marchandises et d’usagers dans ce secteur.
Qu’en est-il de la question du coût et du financement de ce projet ?
Le protocole additionnel de l’accord soumis à votre approbation valide le coût certifié global du projet à 8,3 milliards d’euros en valeur 2012.
Signe de son importance pour l’Europe, le projet bénéficie d’une subvention de 813,8 millions d’euros de l’Union européenne, au titre du Mécanisme pour l’interconnexion en Europe, pour la période 2014-2019.
Cette enveloppe, octroyée pour la section transfrontalière, correspond aux taux maximaux possibles de cofinancement par l’Union européenne. Il reste ainsi pour la section transfrontalière 35 % à la charge de l’Italie et 25 % à la charge de la France. Avec le maintien par l’Union européenne de sa participation à hauteur de 40 % au-delà de 2019, la contribution de la France s’élèvera à 2,21 milliards d’euros valeur 2012, soit 2,48 milliards d’euros courants.
Ce financement ne pèsera pas exclusivement sur le budget de l’État ; on aura également recours aux crédits du Fonds de développement d’une politique intermodale des transports dans le massif alpin, le FDPITMA.
La part française des premiers travaux à la réalisation du tunnel de base sera financée en 2017 via l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, l’AFITF.
C’est tout à fait essentiel, et nous ne pouvions pas laisser passer ces financements européens.
M. Michel Bouvard. Très bien !
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Nous nous sommes battus pour que le Mécanisme pour l’interconnexion en Europe soit renforcé et doté de montants très importants dans la programmation européenne 2014-2020 et pour que le tunnel Lyon-Turin soit reconnu comme une infrastructure européenne prioritaire. Il était, dès lors, de notre responsabilité de faire en sorte que la France réponde à temps à tous les appels à projets ; c’est ce que nous avons fait.
Cette mobilisation a été rendue possible par l’accord passé entre la France et l’Italie. Grâce à ce financement européen, la France, qui prend en charge, je le répète, 25 % du financement de cette infrastructure, permettra à ce projet de voir le jour.
Dernier point essentiel de cet accord : l’instauration d’un règlement des contrats qui décline les dispositions de lutte contre les infiltrations mafieuses, prévues dans le droit italien et compatibles avec le droit de l’Union européenne.
Ce règlement des contrats, d’une extrême rigueur, instaure une structure binationale inédite chargée d’écarter toute entreprise qui présenterait des liens avec la criminalité organisée. Son application sera contrôlée par un préfet français désigné par le Gouvernement, qui validera les refus d’inscription d’entreprises françaises sur la liste blanche.
Une inscription sur cette liste blanche sera nécessaire pour toute entreprise souhaitant travailler sur le chantier de la partie centrale de la ligne.
Cette inscription se fera selon des critères prenant en compte certaines condamnations pénales précisées dans le règlement, les infractions prévues dans le droit pénal français ou italien, mais également toute situation conduisant à suspecter que l’entreprise est contrôlée ou influencée par une organisation criminelle de type mafieux.
En Italie, le Sénat et la Chambre des députés ont déjà donné leur aval à la ligne Lyon-Turin, respectivement le 16 novembre et le 20 décembre 2016. Le Président de la République italienne, M. Sergio Mattarella, a promulgué la loi le 12 janvier 2017, finalisant ainsi la procédure de ratification en Italie. La France doit désormais faire de même.
Le projet de ligne ferroviaire Lyon-Turin est en effet un projet d’avenir innovant qui renforcera l’attractivité de nos territoires et stimulera l’emploi. Il contribuera aussi à répondre à nos engagements en faveur du développement durable.
Il est structurant non seulement pour l’économie de la région transalpine, mais aussi pour celles de la France, de l’Italie et, finalement, de l’Europe. Il constitue une nouvelle étape dans la lutte contre le changement climatique. Il s’inscrit dans une dynamique de coopération et de cohésion nécessaire pour relancer le projet européen. Enfin, il est un acte de foi dans la coopération franco-italienne, dans le rapprochement entre nos pays et nos économies, et dans le projet européen lui-même.
Nous avons obtenu, je le redis, une prise en charge majeure par l’Union européenne, dans le cadre du Mécanisme pour l’interconnexion en Europe, ce qui était essentiel à la réussite de ce projet. Nous ne pouvions pas laisser passer cette opportunité. C’est pourquoi le Gouvernement a tout mis en œuvre pour que nous répondions dans les délais à chacun des appels à projets et que nous soyons en mesure, avec nos partenaires italiens, de bénéficier pleinement des soutiens européens.
La ratification de cet accord est donc nécessaire pour qu’aboutisse ce grand projet de nature à renforcer la cohésion entre les territoires européens.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales observations qu’appelle l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne signé le 24 février 2015 pour l’engagement des travaux définitifs de la section transfrontalière de la nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin, qui fait l’objet du projet de loi proposé à votre approbation après l’avoir été à celle de l’Assemblée nationale le 22 décembre dernier. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Yves Pozzo di Borgo, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi, au préalable, de saluer notre collègue Jean-Louis Carrère, qui m’a confié ce dossier voilà quelques années.
Nous sommes appelés à autoriser la ratification de l’accord pour l’engagement des travaux définitifs de la section transfrontalière de la nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin. Ce projet phare de la coopération franco-italienne a déjà fait l’objet de trois accords, tous ratifiés par la France.
Cet accord, prévu à l’article 4 de l’accord de 2001, va permettre de substituer à la ligne de montagne historique de la Maurienne et au tunnel ferroviaire du Fréjus, situé à plus de 1 300 mètres d’altitude, une ligne de plaine, plus compétitive et répondant aux standards internationaux.
La construction du tunnel de base de 57,5 kilomètres de long, dont 45 kilomètres en France et 12,5 en Italie, entre Saint-Jean-de-Maurienne et Suse-Bussoleno, sera réalisée par le promoteur public, la société TELT – Tunnel Euralpin Lyon-Turin –, entre 2017 et 2029. Depuis 2001, trois galeries de reconnaissance ont été réalisées côté France et deux autres sont en cours de réalisation, en France et en Italie. Cela signifie que 10 % des travaux ont été effectués.
Le protocole additionnel de mars 2016, qui fait partie intégrante de l’accord, fixe le coût certifié de la section transfrontalière à un peu plus de 8 milliards d’euros. La Commission européenne a attribué à ce chantier une subvention d’environ 810 millions d’euros, pour la période 2014-2019 – nous espérons que l’Europe perdurera au-delà de 2019 ! –, au titre du Mécanisme pour l’interconnexion en Europe, soit une prise en charge des travaux à hauteur de 40 %, le taux maximal.
La participation financière de la France s’élève à un peu plus de 2 milliards d’euros, soit 25 % du coût total du projet. Il importe de garantir la pérennité du financement par la France de 200 millions d’euros chaque année, sur douze ans. Je souhaite mettre en perspective cette somme avec les 15 milliards d’euros attribués annuellement au transport.
Par ailleurs, 290 millions d’euros d’autorisations d’engagement sont inscrits au budget pour 2017 de l’AFITF. Mais où en est-on de la mise en œuvre des recommandations formulées par la mission parlementaire de MM. Michel Destot et Michel Bouvard – vous avez partiellement répondu sur ce point, monsieur le secrétaire d’État –…
M. Michel Bouvard. Bonne question !
M. Yves Pozzo di Borgo, rapporteur. … et de l’instauration d’un surpéage pour la circulation des poids lourds sur certains tronçons autoroutiers, au titre de la directive Eurovignette de 1999, sachant que ce financement français n’est pas sécurisé sur le long terme ?
L’accord contient également un règlement destiné à lutter contre les infiltrations mafieuses dans les contrats conclus par le promoteur public TELT, qui reprend la législation italienne en la matière.
Je rappelle que, si le droit italien permet d’inscrire une entreprise sur une liste blanche ou noire, le droit français ne le permet qu’à la condition que la société concernée ait déjà été condamnée. Il y a là une difficulté juridique, que l’État a résolue avec le droit européen ; j’espère que cela ne donnera pas lieu à des questions prioritaires de constitutionnalité, mais le travail a bien été fait.
C’est la première fois qu’un tel dispositif antimafia s’appliquera sur le plan transnational à un grand chantier européen de travaux publics. Sans entrer dans le détail, une structure binationale, composée du préfet de Turin et du préfet désigné par la France – celui de la région Auvergne-Rhône-Alpes, m’a-t-on dit –, sera chargée de vérifier les motifs d’exclusion des contrats passés par TELT.
Le préfet français effectuera ces contrôles sur les entreprises françaises sans disposer de moyens propres dédiés. Dans ces conditions, monsieur le secrétaire d’État, je souhaiterais savoir comment il pourra véritablement remplir la mission qui lui sera confiée.
J’ai d’ailleurs adressé un courrier au ministère de l’intérieur à ce sujet. Par exemple, TRACFIN ne peut pas informer le préfet de délits potentiels ; il lui faudra passer par les structures lourdes du ministère de l’intérieur.
Tant qu’il ne connaîtra pas le contenu exact de sa mission, le préfet sera placé dans une situation difficile. Il est donc nécessaire que le Gouvernement nous réponde sur ce point.
Enfin, récapitulons les enjeux de cette section ferroviaire transfrontalière, qui sont bien connus de tous.
Tout d’abord, je veux évoquer le report modal du fret et des voyageurs de la route vers le rail et la sécurisation des transports. Actuellement, les flux routiers représentent 90 % des échanges de fret entre la France et l’Italie, et 2,5 millions de poids lourds traversent chaque année le massif alpin. La part modale du fer n’a cessé de diminuer.
Je rappelle que, globalement, le fret ferroviaire est passé de 55 milliards de tonnes-kilomètre au début des années 2000 à un peu moins de 30 milliards aujourd’hui. C’est dire qu’il est indispensable que la France, dont c’est le point faible, adopte une véritable politique globale en faveur du fret ferroviaire ! Si l’on veut que les trains de la liaison Lyon-Turin, qui engage de lourds moyens, soient remplis de camions, il faut que le Gouvernement, comme ceux qui lui succéderont, s’implique vraiment dans une politique de report modal des transports. Si cette politique n’est pas menée, le tunnel sera vide ! Si elle l’est, on pourra alors espérer le report d’environ un million de poids lourds de la route vers le rail, ainsi que, compte tenu de la réduction des temps de trajet, d’un million de voyageurs en provenance de l’aérien.
Citons ensuite la protection de l’environnement et des Alpes. Notre collègue Loïc Hervé, lors d’une séance de questions d’actualité en décembre dernier, avait évoqué l’importante pollution des zones concernées. La France s’est engagée en signant la convention alpine de 1991. Le train, quatre à cinq fois moins polluant qu’un transport routier, permettra la réduction des émissions de polluants, alors que la fréquence et la durée des pics de pollution sont en augmentation dans les Alpes.
Enfin, la section transfrontalière est un élément clé du corridor transeuropéen méditerranéen, qui assurera la liaison ferroviaire entre la péninsule ibérique, l’arc méditerranéen, le nord de l’Italie, la Slovénie et la Hongrie. On réfléchit même à une sorte d’Eurotunnel sous le détroit de Gibraltar pour aller vers l’Afrique.
M. le secrétaire d’État l’a dit, le futur tunnel entre la France et l’Italie sera le seul tunnel ferroviaire orienté est-ouest. Il devrait permettre à terme un rééquilibrage géostratégique des flux économiques, en favorisant les échanges entre la France et l’Italie – notre deuxième partenaire en termes d’échanges commerciaux –, et notamment entre le Grand Paris et le Grand Milan.
Les aménagements suisses avec les tunnels ferroviaires du Lötschberg et du Saint-Gothard ainsi que le tunnel autrichien du Brenner ont déjà fait basculer hors de France le trafic provenant du Benelux et du Royaume-Uni et à destination de l’Italie. Il nous faut, à tout prix, éviter une « marginalisation » de la France, notamment à l’ouest, c’est-à-dire l’axe atlantique, ce qui risquerait d’arriver si la liaison Lyon-Turin n’était pas réalisée. Je ne reprendrai pas le terme de « finistérisation », pour ne pas gêner mes amis bretons, mais il est parlant…
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous invite donc à adopter le projet de loi qui nous est soumis.
Pour conclure, je veux insister sur la nécessité de construire les aménagements nécessaires autour de la liaison Lyon-Turin – je pense notamment aux voies d’accès. Je lance cet appel au Gouvernement et à la région Auvergne-Rhône-Alpes, qui devront faire des efforts en ce sens. J’espère, pour nos enfants et pour l’Europe, que ce projet verra le jour. Je vous remercie de votre soutien et de votre vote ! (Applaudissements sur les travées du groupe de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Vera, pour le groupe CRC.
M. Bernard Vera. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, près de trois millions de poids lourds passent par la frontière franco-italienne chaque année, soit 7 500 poids lourds par jour.
En augmentation constante depuis quarante ans, le trafic se concentre sur trois axes majeurs, conduisant à une saturation des vallées alpines et de Vintimille, et parfois à des accidents majeurs. Nous gardons tous en mémoire l’incendie dans le tunnel du Mont-Blanc en 1999 ou celui du tunnel de Fréjus en 2005. Rappelons également que la Savoie est aujourd’hui le département le plus pollué de France.
Face à ces défis, il est impératif de permettre le report modal de la route vers le rail. Depuis 1970, la part modale est passée en France de 78 % à moins de 10 % pour le train et, à l’inverse, de 22 % à 90 % pour la route.
La ligne ferroviaire historique passant par le Montcenis et le goulet d’étranglement de Saint-Jean-de-Maurienne est totalement saturée. Elle a atteint ses limites à la fin des années quatre-vingt-dix avec un tonnage de fret de plus de dix millions de tonnes par an. Les mesures mises en œuvre pour tenter de la désengorger, comme l’ouverture du faisceau de Saint-Avre, se sont révélées largement insuffisantes.
De la même manière, à défaut des deux tunnels sous les massifs de Chartreuse et de Belledonne, il est à craindre que des millions de tonnes de fret se déversent sur Chambéry, Aix-les-Bains ou le long du lac du Bourget, perturbant encore un peu plus un secteur ferroviaire dégradé pour les usagers.
L’Union européenne ne s’y était pas trompée en 1994, quand elle a établi une liste de quatorze projets prioritaires en vue du grand réseau ferroviaire transeuropéen. L’idée d’une ligne Lyon-Turin s’est rapidement imposée dans cette liste.
Le tronçon alpin transfrontalier participera à la mise en place du corridor souhaité par l’Union européenne entre l’Espagne et l’Europe orientale. Ce projet s’inscrit donc dans une dynamique européenne favorisant à la fois le développement des transports et la protection environnementale des Alpes. La ligne Lyon-Turin doit ainsi constituer un investissement socialement et écologiquement utile répondant à plusieurs enjeux.
Pour les voyageurs, ce projet entraînera une réduction significative du temps de trajet Lyon-Turin. Le report modal avec une ligne principalement dédiée au fret qui devrait représenter 85 % du trafic permettra également de soulager les axes routiers surchargés.
En matière d’emplois, on estime à 3 000 le nombre de créations directes de postes dans la vallée de la Maurienne, et à 300 les emplois pérennes liés à l’exploitation du tunnel.
Enfin, ce projet sera déterminant dans la lutte contre les pollutions et les nuisances locales. En outre, il ouvrira des possibilités nouvelles pour des cadencements et des TER « grande vitesse » directs entre Lyon et Grenoble, Chambéry et Annecy, ainsi qu’une amélioration des dessertes locales grâce à la libération de la ligne historique.