M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin.
Mme Maryvonne Blondin. Madame la ministre, vous l’avez dit, un vent mauvais souffle sur les droits des femmes dans le monde. Nous vivons des temps troublés, dans un contexte international de montée de l’obscurantisme et des extrémismes religieux qui menacent les droits fondamentaux des femmes, notamment leur liberté de disposer de leur corps et de maîtriser leur fécondité.
Je vous avoue, mes chers collègues, que j’éprouve un sentiment d’inquiétude et de révolte devant les attaques répétées contre les droits des femmes dans de très nombreux pays, attaques qui me font penser au supplice du garrot espagnol, serré petit à petit jusqu’à la suppression par étouffement…
Ainsi, à l’automne dernier, le gouvernement polonais a tenté d’interdire à nouveau l’avortement. La première décision prise par le président Trump a été un décret interdisant le financement d’organisations non gouvernementales internationales soutenant l’avortement. Il y a quelques jours, l’Arkansas a adopté un texte anti-avortement, malgré l’ancienneté de ce droit dans cet État, où il a été établi en 1973. Pis, ce texte permet aux hommes de poursuivre en justice les femmes qui décideront d’avorter ! Redevenir dépendantes des hommes, quel retour en arrière !
Quant à la Russie, elle a dépénalisé les violences domestiques, au nom de la tradition. Quelle tradition, mes chers collègues !
M. Roland Courteau. C’est vrai !
Mme Maryvonne Blondin. Souvenons-nous qu’en 2013 le gouvernement espagnol avait approuvé un avant-projet de loi interdisant l’avortement, avant de renoncer sous la pression de dizaines de milliers de manifestants descendus dans les rues.
Si ce retour des attaques à l’encontre des libertés des femmes ne peut que susciter notre inquiétude, il met en lumière, a contrario, l’action forte d’hommes et de femmes qui se battent pour préserver des droits durement acquis au cours de l’histoire.
Ainsi, la marche noire des militantes polonaises de l’association Sauvons les femmes a contraint leur gouvernement à renoncer, pour le moment, à ses velléités conservatrices, ce qui leur a valu de recevoir le prix Simone de Beauvoir. Nous sommes quelques-unes dans cet hémicycle à avoir contribué à les faire venir à Paris, le mois dernier, pour recevoir ce prix, tant leur mobilisation a suscité notre admiration et nous appelle à mener, ici, dans le pays des droits de l’homme, une véritable bataille contre les esprits rétrogrades.
Est-il besoin de rappeler l’âpre combat mené pour le droit à l’avortement, alors que nous venons de célébrer les anniversaires de la loi Neuwirth, la semaine dernière, et de la loi Veil auparavant ?
Le présent texte s’inscrit dans la continuité de ce combat.
Sous couvert de liberté d’information et d’expression, d’insidieuses campagnes de dissuasion s’organisent sur internet et sur les réseaux sociaux, en utilisant des arguments nauséabonds. Ainsi, les femmes se serviraient-elles de l’avortement comme d’un moyen de contraception, sans aucun état d’âme !
Pensez-vous vraiment, mes chers collègues, que cet acte, avec tout ce qu’il implique dans la vie d’une femme, puisse être abordé avec une telle légèreté par celles qui en font le choix ?
Le traumatisme, aussi bien physique que psychologique, est une réalité ; prétendre l’inverse serait un dangereux mensonge. Nous devons lutter contre la diffusion de telles idées, notamment en ligne, où elles touchent particulièrement le jeune public et les femmes les plus vulnérables.
Il s’agit ici d’étendre le cadre légal du délit d’entrave aux nouvelles technologies. Faut-il rappeler les conditions sordides dans lesquelles les femmes procédaient à l’IVG, les risques sanitaires qu’elles prenaient simplement pour ne pas avoir à subir – car c’est la femme qui la subit ! – une grossesse non désirée ?
Chaque atteinte portée aux droits des femmes constitue un recul pour la société tout entière, chacune des idées conservatrices traversant le débat public ouvre un peu plus la brèche de l’inégalité et prépare le retour, toujours possible, à une vision rétrograde des femmes.
Mes chers collègues, je vous invite évidemment à soutenir l’amendement déposé par notre collègue Patricia Schillinger.
Comme le disait si justement Simone de Beauvoir, soyons vigilantes notre vie durant, car les femmes sont la cible privilégiée dans les moments de crise, quelle que soit leur nature ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Laurence Rossignol, ministre. Je souhaite d’abord remercier M. Mézard ainsi que Mmes Bouchoux, Cohen, Schillinger et Blondin du soutien qu’ils apportent à cette proposition de loi.
Madame Gatel, vous évoquez la prévention des IVG. Nous devrions sans doute nous garder de toute ambiguïté à ce sujet : il ne s’agit pas principalement de prévenir les IVG, mais plutôt les grossesses non désirées. C’est cela qui doit nous mobiliser ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.) Quand advient une grossesse non désirée, alors l’IVG est la solution que doivent pouvoir choisir les femmes, en toute liberté.
Nous travaillons sur la prévention des grossesses non désirées, comme sur l’accès à l’IVG. Il est toutefois étonnant que les courants réactionnaires hostiles à l’IVG se révèlent également opposés à l’éducation à la sexualité à l’école, au motif que la sexualité serait l’affaire des parents et des familles, et non de l’école. (Mêmes mouvements.)
Vous avez évoqué les subventions aux différents organismes de planning familial. Ces mêmes courants les suppriment ou les diminuent, comme en Auvergne-Rhône-Alpes ou encore, très récemment, à Amiens. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Laurence Rossignol, ministre. Je rassure Mme Cohen, depuis 2012, nous avons constamment maintenu et augmenté les subventions au planning familial. La dernière convention pluriannuelle d’objectifs a même prévu une augmentation de 28 %.
Vous nous suspectez de visées électorales, madame Gatel, mais il n’est pourtant pas nécessaire de préparer une proposition de loi pour que l’IVG fasse partie du débat électoral ! Ce n’est pas le candidat que je soutiens…
M. Bruno Gilles. Lequel est-ce ?
Mme Laurence Rossignol, ministre. … qui a jugé utile, en début de campagne, d’affirmer qu’à titre personnel il n’était pas favorable à l’IVG !
Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Quel candidat soutenez-vous donc ?
M. Jean-Louis Carrère. Et vous ? Vous n’en soutenez plus aucun !
Mme Laurence Rossignol, ministre. Ce n’est pas le candidat que je soutiens qui a menti en prétendant avoir voté toutes les lois relatives à l’IVG depuis 1981 !
M. Ladislas Poniatowski. Cessez ces propos de campagne électorale !
M. Jean-François Rapin. Vous n’êtes pas en meeting !
Mme Françoise Gatel. Ce n’est pas le sujet !
Mme Laurence Rossignol, ministre. Le candidat Fillon a menti à chaque étape ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains. – Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.) Il n’a voté aucune des lois qui ont permis d’améliorer l’accès à l’IVG depuis 1981 ! Il a saisi le Conseil constitutionnel contre certains des textes, votés par une majorité de gauche ! À chaque échéance législative, il a manifesté son refus de faciliter l’accès des femmes à l’IVG ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.)
M. Ladislas Poniatowski. Nous sommes au Sénat !
M. le président. Poursuivez, madame la ministre.
Mme Laurence Rossignol, ministre. En effet, mesdames, messieurs les sénateurs, l’IVG s’est invitée dans le débat électoral, mais c’est sur l’initiative de votre candidat, parce qu’il nourrit des réticences philosophiques personnelles à ce sujet ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Les femmes attachées au droit à l’IVG n’ont pas besoin d’une proposition de loi pour savoir qui le défend et qui le combat ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)
M. le président. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion de l’article unique de la proposition de loi, dans la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture.
proposition de loi relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse
Article unique
I. – La deuxième partie du code de la santé publique est ainsi modifiée :
1° L’article L. 2223-2 est ainsi rédigé :
« Art. L. 2223-2. – Est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur une interruption volontaire de grossesse ou les actes préalables prévus par les articles L. 2212-3 à L. 2212-8 par tout moyen, y compris par voie électronique ou en ligne, notamment par la diffusion ou la transmission d’allégations ou d’indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d’une interruption volontaire de grossesse :
« 1° Soit en perturbant l’accès aux établissements mentionnés à l’article L. 2212-2, la libre circulation des personnes à l’intérieur de ces établissements ou les conditions de travail des personnels médicaux et non médicaux ;
« 2° Soit en exerçant des pressions morales et psychologiques, des menaces ou tout acte d’intimidation à l’encontre des personnes cherchant à s’informer sur une interruption volontaire de grossesse, des personnels médicaux et non médicaux travaillant dans les établissements mentionnés au même article L. 2212-2, des femmes venues recourir à une interruption volontaire de grossesse ou de l’entourage de ces dernières. » ;
2° (nouveau) Le 3° de l’article L. 2431-1 est complété par les mots : « et la référence : “au même article L. 2212-2” est remplacée par la référence : “au 1° du présent article” » ;
3° (nouveau) Le dernier alinéa de l’article L. 2446-3 est remplacé par trois alinéas ainsi rédigés :
« 3° L’article L. 2223-2 est ainsi modifié :
« a) Au 1°, les mots : “mentionnés à l’article L. 2212-2” sont remplacés par les mots : “de santé autorisés par la réglementation à pratiquer des interruptions volontaires de grossesse” ;
« b) Au 2°, la référence : “au même article L. 2212-2” est remplacée par la référence : “au 1° du présent article”. » ;
4° (nouveau) Les articles L. 2446-2 et L. 2423-2 sont ainsi modifiés :
a) Au début, est ajoutée la mention : « I. – » ;
b) Il est ajouté un II ainsi rédigé :
« II. – L’article L. 2223-2 est applicable dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse. »
II (nouveau). – (Supprimé)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 2 rectifié, présenté par Mme Gatel et MM. Canevet, Bonnecarrère, Longeot, Kern, Cigolotti, Médevielle, D. Dubois, Guerriau, Gabouty, Capo-Canellas, L. Hervé, Raison, Kennel, Luche et Genest, est ainsi libellé :
I. – Rédiger ainsi cet article :
Après l’article L. 2223-2 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 2223-2-…, ainsi rédigé :
« Art. L. 2223-2-… – Engage sa responsabilité civile toute personne physique ou morale qui crée un dommage à autrui, en diffusant ou transmettant publiquement par voie électronique, des allégations de nature à induire manifestement autrui en erreur, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d’une interruption volontaire de grossesse.
« Le juge peut, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures propres à faire cesser le comportement illicite. Ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé.
« L’action en justice appartient à toute victime de ces allégations, ainsi qu’à toute association régulièrement déclarée depuis cinq ans à la date des faits, ayant, en vertu de ses statuts, vocation à défendre ou assister les femmes, qui en sont les destinataires. »
II. – En conséquence, rédiger ainsi l’intitulé de la proposition de loi :
Proposition de loi relative à la lutte contre les propos intentionnellement trompeurs tenus par voie électronique touchant à l’interruption volontaire de grossesse
La parole est à Mme Françoise Gatel.
Mme Françoise Gatel. Madame la ministre, je ne pense pas être réactionnaire (Sourires sur les travées du groupe CRC.) en proposant un amendement visant à soumettre à des procédures civiles des attitudes ou des propos inadmissibles.
Vous confirmez mes dires en glissant sur un terrain pervers. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Je n’admets pas que l’on diabolise un texte, alors que nous pourrions tous nous accorder s’agissant de veiller à la protection des plus faibles et des plus fragiles. Ce n’est pas bien, madame la ministre !
Cet amendement est né du constat que l’on ne pouvait pas soumettre à la même peine – deux ans de prison – une expression verbale portée sur un support numérique et des entraves physiques.
Vous créez un délit de presse, en contradiction avec un certain nombre de dispositions juridiques européennes ou françaises.
Je crains de n’avoir pas été comprise. Nous proposons effectivement de sanctionner des propos absolument incompatibles avec la loi sur l’IVG, mais l’on ne saurait mettre en prison des gens pour une expression sur des sites librement consultables ni confondre des violences physiques à l’encontre des femmes qui cherchent à se renseigner et des propos, aussi faux soient-ils, tenus sur internet.
Enfin, il convient de respecter le principe de proportionnalité.
Madame la ministre, j’ai été attentive au constat que vous dressiez, mais je vous propose d’être raisonnable, raisonnée et pertinente, en faisant passer ce délit dans le registre civil. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC.)
M. le président. L’amendement n° 1 rectifié bis, présenté par Mmes Schillinger, Bricq et Claireaux, M. Durain, Mme Émery-Dumas, M. Tourenne, Mmes Yonnet, Génisson et Campion, M. Daudigny, Mmes Féret et Riocreux, M. Labazée, Mme Jourda et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
La deuxième partie du code de la santé publique est ainsi modifiée :
1° Le dernier alinéa de l’article L. 2223-2 du code de la santé publique est ainsi rédigé :
« – soit en exerçant, par tout moyen, des pressions morales et psychologiques, des menaces ou tout acte d’intimidation à l’encontre des personnes cherchant à s’informer sur une interruption volontaire de grossesse, des personnels médicaux et non médicaux travaillant dans les établissements mentionnés au même article L. 2212-2, des femmes venues y subir une interruption volontaire de grossesse ou de l’entourage de ces dernières. »
2° Le 3° de l’article L. 2431-1 est complété par les mots : « et les mots : “au même article L. 2212-2” sont remplacés par les mots : “au deuxième alinéa du présent article” » ;
3° Le 3° de l’article L. 2446-3 est ainsi rédigé :
« 3° L’article L. 2223-2 est ainsi modifié :
« a) Au deuxième alinéa, les mots : “mentionnés à l’article L. 2212-2” sont remplacés par les mots : “de santé autorisés par la réglementation à pratiquer des interruptions volontaires de grossesse” ;
« b) Au dernier alinéa, les mots : “au même article L. 2212-2” sont remplacés par les mots : “au deuxième alinéa du présent article”. » ;
4° Les articles L. 2446-2 et L. 2423-2 sont ainsi modifiés :
a) Au début, est ajoutée la mention : « I. – » ;
b) Il est ajouté un II ainsi rédigé :
« II. – L’article L. 2223-2 est applicable dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse. »
La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Cet amendement vise à revenir au texte adopté par le Sénat en première lecture, sur lequel nous nous étions tous accordés.
La rédaction proposée permet de rétablir la distinction nécessaire entre l’objectif poursuivi par les auteurs du délit, qui figure dans le chapeau actuel, et les moyens par lesquels il est constitué, à savoir l’entrave physique, d’une part, et l’entrave psychologique ou morale, d’autre part.
Cette rédaction implique sans ambiguïté que la communication électronique fait partie des moyens par lesquels peuvent s’exercer les pressions et les menaces constitutives du délit d’entrave.
Enfin, par rapport au texte actuel, elle précise que les personnes cherchant à s’informer sur l’IVG, notamment sur internet, peuvent être reconnues victimes de ces pressions. Le texte actuel du code de la santé publique ne vise que les personnes se trouvant dans les établissements de santé ou dans les centres pratiquant des IVG.
Cet amendement tend, par ailleurs, à procéder aux coordinations nécessaires à son application en outre-mer.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Stéphanie Riocreux, rapporteur. L’amendement n° 2 rectifié, présenté par Mme Gatel, a déjà été examiné par notre assemblée en première lecture. Il avait été rejeté, en commission comme en séance, en décembre dernier.
Alors même que les termes du débat n’ont pas changé, la commission des affaires sociales a émis ce matin un avis favorable.
En tant que rapporteur, je ne suis pas totalement certaine que nos débats aient été tout à fait clairs. Je me permets donc de rappeler les raisons qui avaient conduit au rejet en première lecture.
La proposition de loi ne crée pas un délit nouveau, mais s’inscrit dans le cadre du délit d’entrave par voie psychologique, lequel existe depuis 2001. Elle ne change pas non plus la peine pénale maximale, que le juge peut moduler. Par ailleurs, la rédaction adoptée par le Sénat en première lecture répondait aux problèmes de constitutionnalité et de conformité au droit européen. C’est pourquoi, à titre personnel, je la soutiens.
L’avis de la commission sur cet amendement est toutefois, je le redis, favorable.
L’amendement n° 1 rectifié bis reprend le texte qui avait été adopté en première lecture par le Sénat en commission des affaires sociales et en séance, tout en opérant les coordinations nécessaires pour son application en outre-mer.
Comme je l’ai indiqué lors de mon intervention en discussion générale, l’avis de la commission des affaires sociales est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Laurence Rossignol, ministre. Concernant l’amendement n° 2 rectifié, je ne vois pas l’utilité de passer du terrain pénal au terrain civil. Des dispositions pénales sont déjà prévues dans le code de la santé publique, et le délit d’entrave à l’IVG existe. S’agissant d’une extension de ce délit, nous nous référons à l’article pertinent du code de la santé publique. Il n’apparaît donc pas utile d’abandonner le terrain pénal.
L’avis du Gouvernement est défavorable.
En revanche, le Gouvernement est favorable à l’amendement n° 1 rectifié bis, car cette proposition est cohérente avec nos discussions précédentes.
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Yonnet, pour explication de vote.
Mme Évelyne Yonnet. L’amendement présenté par Mme Gatel vise à créer une nouvelle sanction civile dans le code de la santé publique, alors que le texte de la proposition de loi répond à notre objectif en restant dans le cadre du délit d’entrave défini depuis près de quinze ans par notre droit.
Pour plusieurs raisons, nous nous opposons à son adoption.
Tout d’abord, il est totalement inopportun de complexifier le droit en matière d’information et d’accès à l’IVG en juxtaposant dans le code de la santé publique une sanction civile et une sanction pénale. Soit il y a entrave, c’est-à-dire volonté de priver quelqu’un de son droit, et c’est un délit, soit il n’y a pas entrave, et dès lors il n’y pas lieu à sanction, ni civile ni pénale, car sinon on porterait bel et bien atteinte à la liberté d’expression !
Notre groupe votera contre l’amendement n°2 rectifié.
M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux, pour explication de vote.
Mme Corinne Bouchoux. Notre groupe ne pourrait pas voter la proposition de loi si elle reprenait l’option qu’a défendue notre collègue Françoise Gatel, car elle la dénature.
Surtout, pourquoi le texte qui valait voilà quatre mois serait-il caduc aujourd’hui ? Je découvre qu’on lui oppose même de nouvelles objections ! Comment expliquer à l’extérieur que ce que nous avons construit pas à pas, dans le consensus, devrait aujourd’hui être complètement détricoté ? Il nous tient à cœur de montrer que le Sénat et le bicamérisme sont importants. Ne continuons pas, comme nous le faisons depuis quelques semaines, à marquer des buts contre notre camp ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Génisson, pour explication de vote.
Mme Catherine Génisson. En première lecture, lorsque nous avions examiné cet amendement, notre assemblée avait voté ainsi : contre l’amendement, 271 ; pour l’amendement, 36… Mme Bouchoux a raison : ne jouons pas contre notre propre camp !
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau, pour explication de vote.
M. Roland Courteau. Je veux intervenir en faveur de l’amendement présenté par notre collègue Patricia Schillinger.
Les choses doivent être claires : désinformer, mentir, tromper pour imposer une grossesse à une femme qui n’en veut pas parce que ça n’est pas son projet de vie, c’est aussi lui infliger une violence.
Comment, dès lors, peut-on dire que le texte que nous examinons remettrait en cause la liberté d’expression ou la liberté d’opinion ?
Ce texte n’interdit pas de se prononcer contre l’IVG, mais ce n’est pas parce que l’on est contre l’IVG que l’on a le droit de tromper, de mentir, de désinformer, d’exercer des pressions sous couvert d’une information faussement neutre, dans l’objectif de dissuader les femmes d’y recourir. Il ne s’agit pas ici d’exprimer librement une opinion, mais de restreindre les droits des femmes, de les contraindre, par des intimidations morales, à renoncer à l’IVG. Et cela ne mériterait pas d’être sanctionné ?
Ainsi donc, en France, on pourrait pénaliser les propos racistes ou antisémites, l’incitation au suicide, l’homophobie, mais l’on ne devrait pas sanctionner l’intimidation, le harcèlement, la diffusion de fausses informations sur l’IVG dans le but de multiplier les entraves à ce droit fondamental ?... Ce serait incroyable !
Nous ne cherchons qu’à protéger les femmes qui traversent des épreuves difficiles et qui ne demandent rien d’autre que de l’aide et des conseils. Nous voulons simplement lutter contre les effets de la tromperie, de la manipulation, de la désinformation et protéger le droit des femmes de s’informer objectivement. Nous entendons protéger leur liberté contre l’activisme régressif organisé par le camp du recul ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote.
Mme Françoise Gatel. En réponse aux interventions précédentes, je voudrais souligner que l’amendement que je propose n’est pas nouveau : je l’ai déjà présenté.
Encore une fois, je souhaite que chacun d’entre nous entende chacun des mots prononcés. Il ne s’agit nullement de défendre un camp que d’aucuns qualifient de régressif, et nul n’a la capacité se faire juge de la moralité ou de la bien-pensance !
Je propose seulement de positionner dans un registre civil un délit qui mérite d’être sanctionné. Je rappelle qu’il s’agit moins de se rapprocher d’un délit pénal d’entrave, qui existe et qui correspond à la sanction de violences physiques, que de toucher à la liberté d’expression de la presse (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.), cela même que vous nous avez reproché il y a quelques mois. J’aimerais que tout le monde garde en mémoire ces différents moments ! (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour explication de vote.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne vous surprendrai pas en indiquant que mon groupe partage les arguments mis en avant à la gauche de cet hémicycle.
Je voudrais cependant revenir sur un point qui vient encore d’être évoqué : l’amalgame entre la liberté d’expression et la liberté d’opinion, que je respecte parfaitement et que je reconnais à chacun, et le droit, pour chaque femme, d’avoir accès à une information honnête et sincère, qui lui permette, dans des instants toujours difficiles et douloureux, de prendre une décision en conscience.
Croyez-moi, mesdames et messieurs, on ne décide jamais d’avorter de gaieté de cœur, et il ne s’agit pas – loin de là ! – d’un système de contraception ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. Avant de mettre aux voix les amendements nos 2 rectifié et 1 rectifié bis, je vous rappelle, mes chers collègues, que l’adoption de l’un ou l’autre de ces amendements vaudrait adoption de l’ensemble de la proposition de loi.
Je mets aux voix l’amendement n° 2 rectifié.
J’ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe Les Républicains, l’autre, du groupe de l’UDI-UC.
Je rappelle que l’avis de la commission est favorable et que celui du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 98 :
Nombre de votants | 338 |
Nombre de suffrages exprimés | 319 |
Pour l’adoption | 40 |
Contre | 279 |
Le Sénat n’a pas adopté.
La parole est à M. Alain Milon, pour explication de vote sur l’amendement n° 1 rectifié bis.