M. le président. Sur les articles du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je ne suis saisi d’aucun amendement.
Quelqu’un demande-t-il la parole sur l’un de ces articles ?…
Le vote est réservé.
Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je vais mettre aux voix l’ensemble du projet de loi relatif à la sécurité publique dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi relatif à la sécurité publique.
(Le projet de loi est adopté définitivement.)
Mme Catherine Troendlé, vice-présidente de la commission des lois. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Roux, ministre. Je tiens à remercier les sénateurs et les sénatrices. S’il n’y a pas consensus, il y a en tout cas un très large partage des enjeux auxquels notre pays est confronté. Je veux remercier tous ceux qui y prennent leur part, que ce soit par le soutien ou par le débat. (Mme Esther Benbassa applaudit.)
Mme Éliane Assassi. Très bien !
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures cinq, est reprise à quatorze heures quarante-cinq, sous la présidence de Mme Françoise Cartron.)
PRÉSIDENCE DE Mme Françoise Cartron
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
6
Retrait de l’ordre du jour d’une proposition de loi
Mme la présidente. Mes chers collègues, par lettre en date de ce jour, M. Bruno Retailleau, président du groupe Les Républicains, a demandé le retrait de l’ordre du jour du jeudi 23 février 2017 de la proposition de loi permettant un exercice territorialisé de compétences au sein des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre de cinquante communes au moins.
Acte est donné de cette demande.
En conséquence, l’ordre du jour du jeudi 23 février 2017 s’établit comme suit :
À dix heures trente : débat sur le bilan du « choc de simplification » pour les entreprises.
À quinze heures : questions d’actualité au Gouvernement.
À seize heures quinze : proposition de loi pour le maintien des compétences « eau » et « assainissement » dans les compétences optionnelles des communautés de communes.
7
Ratification d'ordonnances relatives à la Corse
Rejet en nouvelle lecture d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, ratifiant les ordonnances n° 2016-1561 du 21 novembre 2016 complétant et précisant les règles budgétaires, financières, fiscales et comptables applicables à la collectivité de Corse, n° 2016-1562 du 21 novembre 2016 portant diverses mesures institutionnelles relatives à la collectivité de Corse et n° 2016-1563 du 21 novembre 2016 portant diverses mesures électorales applicables en Corse (projet n° 426, texte de la commission n° 428, rapport n° 427).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Baylet, ministre de l’aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, le 26 janvier dernier, vous avez rejeté le projet de loi de ratification lors d’une séance sur laquelle je préfère ne pas revenir,…
M. Jean Desessard. Dommage !
M. Jean-Michel Baylet, ministre. … mais au cours de laquelle l’intérêt de la Corse et des Corses ne constituait pas, me semble-t-il, la préoccupation première…
Après l’adoption du texte en première lecture par l’Assemblée nationale, le 9 février dernier, la commission mixte paritaire n’a pu que constater, lundi dernier, sans véritable surprise, l’ampleur du désaccord entre les deux chambres. L’Assemblée nationale a confirmé hier son vote, en nouvelle lecture.
Me voici donc aujourd’hui, une nouvelle fois, devant vous à l’occasion de l’examen en nouvelle lecture du projet de loi de ratification des trois ordonnances qui permettront à la collectivité de Corse de voir le jour, conformément à la loi, le 1er janvier 2018. J’ose encore espérer, même si, je ne vous le cache pas, mon espoir s’amenuise, vous convaincre d’adopter ce projet de loi, qui est, soyez-en convaincus, un bon texte, utile et même nécessaire pour la Corse et les Corses.
Je souhaite, en préambule, vous rappeler que les ordonnances soumises à votre ratification ne font que permettre la mise en œuvre de la future collectivité que vous avez tout de même souhaitée, mesdames, messieurs les sénateurs,…
M. Philippe Kaltenbach. C’est bien vrai !
M. Jean-Michel Baylet, ministre. … en adoptant le 16 juillet 2015 la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, notamment son article 30 relatif à cette future collectivité unique de Corse, adopté en commission mixte paritaire. Je vous rappelle en outre que les élus de l’Assemblée de Corse ont appelé de leurs vœux à une très forte majorité…
M. Philippe Kaltenbach. À 80 % !
M. Jean-Michel Baylet, ministre. … et toutes tendances politiques confondues, le 12 décembre 2014, à la création de cette collectivité unique.
Ces ordonnances complètent et précisent les règles budgétaires, financières et comptables applicables à la collectivité de Corse – c’est l’objet de l’ordonnance n° 2016-1561 –, les mesures institutionnelles relatives à la collectivité de Corse, au travers de l’ordonnance n° 2016-1562, et les diverses mesures électorales applicables en Corse, avec l’ordonnance n° 2016-1563. Je ne peux manquer de préciser que ces ordonnances ont été élaborées avec l’ensemble des élus concernés et que j’ai intégré la quasi-totalité des amendements dont sénateurs et députés souhaitaient l’adoption lors du débat relatif à la loi NOTRe.
Je veux également indiquer que les amendements de votre commission des lois, qui apportaient des précisions rédactionnelles intéressantes, ont été repris par l’Assemblée nationale. À ce titre, je ne citerai que les deux améliorations les plus fondamentales que l’on doit aux parlementaires.
Tout d’abord, une chambre des territoires, non prévue initialement, a été instituée ; elle se situera à Bastia afin d’équilibrer les sièges des institutions dans les deux villes préfectures. Cette chambre permettra de mieux coordonner l’action publique et la solidarité financière entre la collectivité de Corse, les communes et leurs intercommunalités.
Ensuite, les garanties de maintien des conditions de statut et d’emploi du personnel ont été renforcées. Ce point est crucial pour la réussite de la future collectivité, je pense que tout le monde l’admet. Je rends d’ailleurs hommage aux présidents de la collectivité territoriale et des conseils départementaux, qui ont publiquement rassuré, dans une déclaration commune, l’ensemble du personnel et des syndicats sur leur avenir. Je me permettrai simplement de suggérer qu’une ultime assurance sur le sujet pourrait aussi leur être apportée aujourd’hui au Sénat, par la ratification des ordonnances.
Je vous avoue ne toujours pas comprendre la position de la majorité d’entre vous. Comment peut-on, d’un côté, plaider pour la collectivité unique et, de l’autre, ne pas vouloir adopter les ordonnances qui vont permettre de la faire exister ? J’entends souvent l’argument selon lequel il ne s’agirait pas de la collectivité souhaitée, voire rêvée. Je m’inscris en faux contre cet argument, qui n’est pas sérieux.
L’article 30 de la loi NOTRe, qui institue la collectivité de Corse, n’est pas un article de principe. Il définit, en six pages de Journal officiel, dans le détail, sa substitution à la collectivité territoriale de Corse et aux départements de Corse-du-Sud et de Haute-Corse. Pour cela, il réécrit le chapitre du code général des collectivités territoriales relatif à la collectivité territoriale de Corse.
Il n’est donc pas juste de prétendre que ce n’est pas la collectivité qu’il convenait de faire. Ces ordonnances ne sont que la déclinaison des principes votés dans le cadre de la loi ; elles se contentent, ainsi que je viens de le rappeler, de préciser ou d’adapter les règles. Ne pas accepter de les ratifier revient à dire que vous êtes opposés aujourd’hui à la création de ce que vous souhaitiez hier. En ce cas, pourquoi ne pas l’exprimer ainsi, même s’il est sans doute plus compliqué pour les élus corses – je salue d’ailleurs les sénateurs Castelli et Panunzi, présents dans l’hémicycle, qui, chacun à leur manière, apportent leur pierre à l’édifice – de dire à la population qu’un outil au service de la Corse et des Corses est sacrifié au nom d’enjeux électoraux « supérieurs » ?
En ce qui me concerne, au nom du Gouvernement, je demeure fidèle à ce que j’ai toujours dit. Je n’entrerai pas dans les débats politiciens et j’accomplirai jusqu’à la fin de la législature – c’est bien la moindre des choses – le travail qui est le mien ; le fait qu’une quinzaine de jours nous séparent de la fin de cette législature n’entravera pas ma détermination. Le Gouvernement est au travail jusqu’au dernier jour pour assumer ses responsabilités.
Il est indispensable de ratifier ces ordonnances publiées dans les délais légaux, le 22 novembre 2016, afin qu’elles ne disparaissent pas de l’ordre juridique, ce qui empêcherait la création de la collectivité unique. Il est d’autant plus indispensable de les ratifier que les Corses attendent l’action du Gouvernement au service de leur territoire.
La loi a bel et bien été votée, le Gouvernement est aujourd’hui comptable de son application, c’est bien normal. Il s’agit de renouveler la gouvernance des institutions corses afin de la rendre plus efficace et d’améliorer, à moindre coût, les services publics.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, les raisons pour lesquelles je vous demande de nouveau au nom du Gouvernement, et malgré l’échec de la commission mixte paritaire, d’adopter ce projet de loi de ratification. La collectivité unique de Corse doit voir le jour pour que les élus corses puissent mieux assurer l’avenir de l’île et de son peuple. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain. – M. le rapporteur applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Hugues Portelli, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous retrouvons aujourd’hui, après l’échec de la commission mixte paritaire, pour examiner en nouvelle lecture ce texte de ratification d’ordonnances. Il s’agit ainsi de clore une procédure entamée en 2015, avec l’adoption de la loi NOTRe et notamment de son article 30. Celui-ci concernait la collectivité de Corse et prévoyait la rédaction d’ordonnances destinées à en compléter le dispositif.
Le texte qui nous est proposé renoue avec une tradition. Pendant 165 ans, la Corse n’a compté qu’une seule collectivité territoriale, le département. Durant 63 ans, elle en a compté deux, voire trois. Cela fut le cas de 1790 jusqu’en 1811 et depuis l’instauration de la région, qui a entraîné, en forme de compensation, la création de deux départements, différents d’ailleurs de ceux de 1790. Ainsi, la plus grande partie de l’histoire de la Corse est régie par l’existence d’une seule collectivité, pour l’île. Si le texte est voté, je le répète, nous renouerons avec cette tradition. Même si nous passons du département unique à une sorte de super-région, les Corses seront les mêmes, le territoire sera identique, ainsi que le fonctionnement de l’administration.
Ce projet de loi me laisse une impression de déjà-vu : il présente un air de famille avec celui que j’ai défendu et en partie rédigé en 2003, lorsque le gouvernement de l’époque – le ministre de l’intérieur s’appelait alors Nicolas Sarkozy – a proposé un texte qui créait une collectivité unique par fusion des départements. Rejeté, à quelques milliers de voix, à l’issue d’un référendum consultatif, ce texte a été provisoirement rangé dans les tiroirs. Son dispositif est réapparu à l’occasion de la loi NOTRe.
Le présent projet de loi consiste donc à clore le processus engagé en 1981, lorsque l’on a commencé à transférer de façon massive les compétences des départements à la région Corse, mouvement poursuivi lors de la création de la collectivité de Corse, puis, en 2002, au travers de la loi Jospin. Aujourd'hui, il ne reste plus grand-chose des compétences départementales classiques pour les départements corses, qui dérogent véritablement au droit commun.
Lors de l’examen en première lecture, voilà quinze jours, notre commission des lois a décidé de garder le texte du Gouvernement tel quel, excepté quatre modifications de pure forme, auxquelles il faut ajouter l’amendement de la commission des finances, qui n’a pas du tout remis en cause l’essentiel du dispositif. Or, malgré la faveur dont il bénéficiait de la part des deux commissions, le texte, par les miracles du scrutin public sénatorial, a été rejeté au Sénat. Je le regrette. Au reste, j’ai toujours été défavorable au scrutin public : je préférerais que, comme dans tout régime démocratique qui se respecte, ce soient les présents, plutôt que les absents, qui votent les textes.
Les députés ont voté le projet de loi en première lecture. En commission mixte paritaire, les membres des deux assemblées ont constaté leur désaccord et estimé qu’il ne valait pas la peine de poursuivre inutilement les débats.
Ce matin, la commission des lois du Sénat a voté le texte à l’unanimité, tous groupes confondus. (MM. Jean Desessard et Philippe Kaltenbach expriment leur satisfaction.) J’espère que notre assemblée suivra, cette fois, les conclusions de sa commission des lois de manière unanime ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains. – MM. Joseph Castelli et Philippe Kaltenbach applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Le Gouvernement nous demande aujourd'hui, par votre voix convaincue, monsieur le ministre, de ratifier trois ordonnances relatives à la création de la collectivité territoriale unique de Corse. Comme cela a été rappelé, le Gouvernement avait été habilité à prendre ces ordonnances par l’article 30 de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.
Comme nos collègues députés, comme notre rapporteur et comme l’ensemble des groupes parlementaires, je constate que le Gouvernement a parfaitement respecté l’objet et les délais fixés par les ordonnances. Ces dernières respectent trois principes : assurer la neutralité budgétaire, comptable et financière de la réforme, pour permettre à la nouvelle collectivité de fonctionner au 1er janvier 2018 ; maintenir les conditions d’emploi et de statut du personnel ; assurer la continuité de l’action publique dans de bonnes conditions après le 1er janvier 2018.
En fusionnant les deux conseils départementaux avec le conseil régional, ces trois ordonnances viennent parachever un processus entamé depuis près de vingt ans par le « processus de Matignon », engagé par le gouvernement de Lionel Jospin. En effet, la loi du 22 janvier 2002 relative à la Corse était restée au milieu du gué. En 2003, la fusion des collectivités avait été rejetée par les citoyens et citoyennes corses dans le cadre d’un référendum consultatif à l’issue particulièrement serrée, puisque le non avait remporté 51 % des voix, contre 49 % pour le oui, soit 2 000 voix d’avance.
Sept ans plus tard, l’Assemblée de Corse relançait les travaux préparatoires à une fusion des trois collectivités. Ces travaux ont débouché sur la délibération, inscrite dans le cadre de la loi NOTRe, qu’elle a adoptée le 12 décembre 2014. Des mois de concertation ont suivi avec les autorités et les élus corses, portant notamment sur les projets d’ordonnances, qui ont été avalisés par une nouvelle délibération de l’Assemblée de Corse le 7 septembre 2016.
C’est donc un processus de longue haleine, émanant des représentants de l’île et associant le Gouvernement et le Parlement, que l’on nous propose de parachever aujourd’hui. Le groupe écologiste votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain. – M. Joseph Castelli applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Kaltenbach.
M. Philippe Kaltenbach. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous retrouvons après l’échec de la commission mixte paritaire. Cet échec était prévisible, puisque le Sénat avait rejeté le projet de loi le 26 janvier dernier et que l’Assemblée nationale l’avait adopté le 9 février. Les positions étant pour le moins antagonistes, la CMP a logiquement rejeté le texte.
Nous voici donc réunis pour l’examen du projet de loi en nouvelle lecture. Je partage le même optimisme que M. le ministre : j’espère que les opposants du 26 janvier auront changé d’avis. Nous allons profiter du présent débat pour finir de les convaincre.
Je rappelle que le texte achève un processus de simplification des structures, tout en garantissant les spécificités corses. Il répond à une délibération de l’Assemblée de Corse prise en décembre 2014, qui appelait à la création de la collectivité unique. Cette réforme est donc bien le fruit d’une concertation et d’une coécriture transpartisane. Elle est largement consensuelle sur l’île, puisque 80 % des élus corses, de gauche comme de droite, l’ont approuvée. D’ailleurs, je rappelle que les élus corses ont demandé à ce que l’on n’organise pas de consultation des électeurs corses : ils souhaitent que ce soit le Parlement qui mette en place la collectivité unique de Corse. Cela permet de répondre à l’argument des opposants, qui estiment qu’il est nécessaire d’organiser un référendum en Corse.
En créant la collectivité unique, nous allons permettre à la Corse une évolution historique. En effet, cette nouvelle collectivité, dont on parle depuis maintenant plus de dix ans, va remplacer la région Corse et les deux départements corses. C’est en définitive l’aboutissement d’un très long processus, engagé par les statuts Defferre, en 1982, Joxe, en 1991, et Vaillant, en 2002. Chaque fois, il s’agissait de trouver une organisation qui réponde aux spécificités de la Corse, à la fois parce que la Corse est une île, mais aussi parce qu’elle a une identité culturelle extrêmement forte.
La fusion des différents échelons territoriaux s’inscrit pleinement dans le mouvement de décentralisation et de rationalisation de l’action publique, avec pour objectif de rapprocher la décision prise par les élus des populations locales. L’objectif est bien sûr économique – obtenir les meilleurs coûts –, mais il s’agit également de garantir une gouvernance plus solidaire et plus cohérente et de répondre efficacement aux attentes des habitants et aux déséquilibres des territoires. La collectivité unique a bien pour ambition de proposer une meilleure coordination des politiques publiques locales.
Comme d’autres, j’ai été très surpris, le 26 janvier dernier, de la position des groupes de la majorité sénatoriale. Étant donné que nous étions complètement d’accord, en 2015, lors des débats sur la loi NOTRe, le revirement d’une partie des membres de l’hémicycle m’a étonné.
M. Jean-Pierre Sueur. Il était incompréhensible !
M. Philippe Kaltenbach. La cohérence habituelle de la majorité sénatoriale a été prise en défaut… En effet, je veux rappeler que notre ancien collègue Jean-Jacques Hyest, qui était corapporteur de la loi NOTRe au Sénat, avait déclaré ici même : « Le Sénat ne peut qu’être favorable à la fusion de deux départements avec une région pour en faire une collectivité unique. »
Il est vrai que la Corse est aujourd'hui suradministrée, avec plus de 300 communes, deux départements et une région, pour à peine 300 000 habitants. Et je ne compte pas les divers syndicats et les nombreuses agences qui viennent ajouter à la complexité de l’architecture territoriale !
Je veux rappeler que toutes les évolutions statutaires en Corse sont nées d’une volonté des différents gouvernements de répondre à la violence politique qui a trop longtemps sévi sur l’île, avec les mouvements indépendantistes et autonomistes. Elles ont permis de réintégrer progressivement dans le débat démocratique et dans les élections ces groupes, qui utilisaient la violence, et d’apaiser les choses, ce qui n’est tout de même pas anodin.
M. Philippe Kaltenbach. Je crois qu’il faut poursuivre ces évolutions et les faire aboutir. C’est aussi le meilleur moyen de permettre la paix sur l’île.
J’ai bien entendu les arguments avancés par ceux qui s’opposent à cette évolution statutaire. Je comprends que le parti communiste reste sur une position très jacobine, mais je crois que nous devons pouvoir faire évoluer nos organisations territoriales en fonction des réalités locales. L’attachement à l’unité de l’État et à notre République ne doit pas nous empêcher de prévoir des organisations territoriales spécifiques. C’est vrai pour les territoires ultramarins, pour la Corse, comme, par exemple, pour la métropole de Lyon.
Surtout, les groupes de la majorité sénatoriale usent d’arguments très politiciens. Il semble qu’ils aient fait évoluer leur position sur le conseil des élus corses de leur sensibilité, lesquels ont finalement un peu peur de perdre le département de Corse-du-Sud, qu’ils contrôlent aujourd'hui, sans avoir de perspective pour les élections à l’Assemblée territoriale de Corse qui se tiendront en décembre prochain. Il ne faudrait pas que ces considérations politiciennes nous empêchent d’aboutir sur ce dossier, alors que l’évolution, qui permettra à la Corse de mieux fonctionner, est attendue depuis plus de dix ans. Nous devons privilégier les intérêts de la Corse et des Corses, et non les intérêts de tel ou tel parti politique.
À cet égard, j’adhère pleinement aux analyses de notre rapporteur. Je suis très heureux, d'ailleurs, que, ce matin, la commission des lois ait voté ce texte à l’unanimité. Je crois que le Sénat enverrait un excellent message en ratifiant des ordonnances qui, après tout, ne sont que l’application d’un article voté très largement sur toutes les travées de cette assemblée et permettront une évolution statutaire attendue par nos concitoyens corses et par les élus locaux. Soyons raisonnables. Dépassons les intérêts partisans et les calculs boutiquiers !
In fine, c’est l’Assemblée nationale qui aura le dernier mot, et je sais que le ministre a été suffisamment prévoyant pour que le texte soit adopté avant la fin de la session.
M. Philippe Kaltenbach. La collectivité unique sera donc bien créée au 1er janvier 2018 et les élections auront bien lieu à la fin de l’année 2017.
Quoi qu’il en soit, le Sénat s’honorerait à tenir les engagements qu’il a pris lors de l’examen de la loi NOTRe – nous avions alors voté l’article 30 à une très large majorité.
Le Sénat s’honorerait également à permettre l’aboutissement du processus de création d’une collectivité unique en Corse, laquelle simplifiera le paysage en Corse et pourra, en outre, servir d’exemple pour d’autres évolutions dans l’organisation des collectivités. Je pense notamment à l’Île-de-France, où l’on trouve des départements, des conseils de territoire, des communes, la région, la métropole… Prenons exemple sur ce qui se passe en Corse pour simplifier notre organisation territoriale !
Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste et républicain votera évidemment en faveur de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste. – M. Joseph Castelli applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Favier.
M. Christian Favier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, après l’échec de la commission mixte paritaire, nous sommes appelés à nous prononcer, en nouvelle lecture, sur le projet de loi portant ratification de trois ordonnances qui précisent les conditions de mise en place d’une collectivité territoriale unique en Corse.
Je serai bref, ayant eu l’occasion d’exprimer les raisons de notre rejet de ce texte le 26 janvier dernier.
Par son insularité, par son histoire, la Corse dispose de spécificités, qu’il nous faut évidemment prendre en compte.
Loin des images caricaturales que certains distillent, cette région est très loin d’être favorisée. Le revenu par habitant y est le plus faible du pays, et un Corse sur cinq vit aujourd’hui sous le seuil de pauvreté.
La question du coût de la vie est caractéristique des inégalités qui minent la Corse. Alors que l’on continue à consentir toujours plus de dérogations au grand patronat, avec, par exemple, 194 millions d’euros de réfaction de TVA accordée aux leaders de la distribution sur l’île, les produits alimentaires y sont 9 % plus chers que sur le continent.
La Corse a subi, au cours des dernières décennies, un sous-investissement chronique. Le sous-investissement global a conduit à la situation actuelle de quasi-monopole du tourisme, entraînant une précarisation des emplois – les saisonniers sont rémunérés 15 % de moins que la moyenne.
Le sous-investissement économique, au lieu de développer la filière maritime, a conduit l’État à liquider progressivement la SNCM, fleuron de l’économie corse.
Le sous-investissement est aussi énergétique, avec 87 % de la consommation totale d’énergie issue d’approvisionnements extérieurs et un tiers de l’électricité dépendant des importations italiennes.
Enfin, et c’est plus grave, le sous-investissement est numérique : seuls 23 % des foyers ont aujourd'hui accès à l’internet à très haut débit en Corse, contre 50 % dans le reste de l’Hexagone.
Pourtant, mes chers collègues, en trente ans, la Corse aura connu quatre modifications institutionnelles. Mais jamais les vraies questions, les questions de justice sociale, les questions de développement économique, n’auront été au cœur des réformes. En fait, on constate, chaque fois, que les inégalités ne cessent de se creuser. Il est donc particulièrement regrettable qu’elles ne soient toujours pas prises en compte – bien au contraire !
Avec la disparition de l’échelon départemental, dont on connaît le rôle primordial en matière de solidarité sociale, le risque est grand de voir les écarts de richesses se creuser un peu plus encore et les personnes âgées, les personnes handicapées, les enfants en danger toujours plus fragilisés.
L’effacement des structures de proximité que cette réforme opère, au profit d’une concentration des pouvoirs entre les mains de quelques élus, est évidemment très préoccupant. En tout cas, ce n’est pas le signe d’une bonne santé démocratique ! Le danger d’un développement de l’affairisme, déjà malheureusement bien présent sur l’île, sera renforcé par ce recul du contrôle citoyen sur les élus.
Nous n’acceptons pas ce glissement vers le modèle de l’Europe des régions, au détriment des nations. Cette mise en concurrence des territoires et des populations, poussée, on le sait, par les tenants de l’Europe fédérale, affaiblira la Corse et appauvrira ses habitants, qui, comme l’ont été les Grecs, seront dévorés par les directives bruxelloises.
En fait, seuls les affairistes, les sgio, oligarques confisquant les richesses de ceux qui, en Corse, travaillent dur, peuvent se réjouir d’un tel changement.
Et ce n’est pas sans surprise que nous avons vu certains élus, jusque-là attachés au maintien de la Corse dans la République, céder aux sirènes des indépendantistes et des discours populistes.
Enfin, je veux rappeler qu’un changement aussi profond de l’organisation territoriale de la Corse ne peut pas se décider dans le dos de la population. Une ratification par référendum après la tenue d’un grand débat public s’impose. En refusant obstinément cette consultation, monsieur le ministre, vous exprimez une marque de défiance à l’égard des Corses, qui ne seraient pas jugés capables de donner leur avis sur leur avenir.
Pour notre part, nous faisons pleinement confiance aux habitants et aux travailleurs de l’île et à leur capacité d’analyse.
Ce dont ont besoin les Corses, c’est bien d’un renforcement de la solidarité républicaine, d’un nouveau plan de développement, alliant à la fois modernité, progrès social et réussites économiques, et non d’une énième réforme des institutions.
Monsieur le ministre, il faut avoir le courage de la transparence ! Ce n’est pas en catimini, dans un hémicycle quasi désert, en fin de session parlementaire, qu’une telle décision peut être prise. Ouvrons largement le débat avec la population. Sortons des petits arrangements entre amis, sans avoir peur de la démocratie !
Pour l’heure, le groupe communiste confirmera son rejet de ces trois ordonnances.