M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, au début de cette intervention, je souhaite souligner la gravité de la situation que nous avons vécue lors de la réunion de la commission mixte paritaire.
Les situations politiques peuvent conduire à ce que les deux chambres constatent des désaccords entre elles. Les positions sont exprimées, les arguments sont échangés et c’est le rôle de la commission mixte paritaire d’en prendre acte. Mais c’est par l’argumentation que l’on peut construire la confiance. Pourtant, mardi, nos collègues députés de La République en marche n’ont su dire que « non ». « Non parce que non » ! Alors que nous leur demandions d’échanger avec nous sur nos arguments, nous n’avons obtenu aucune réponse. On comprend qu’ils n’aient pas envie de changer d’avis, mais le rôle de la commission mixte paritaire, c’est bien d’échanger des arguments pour éclairer la démocratie.
Le rapport de force, dans le cas du recours à la procédure accélérée, veut que l’Assemblée nationale ait le dernier mot. Or celle-ci doit quand même expliquer pourquoi elle s’en tient à sa position. « Non parce que non ! » C’est un argument… C’est ennuyeux parce que, à la fin, les députés auront le dernier mot sans avoir avancé le moindre argument.
Dans le cadre d’une procédure accélérée, notre seule force, c’est celle de l’argument face à une autre chambre qui a le dernier mot. Si celle-ci passe en force sans répondre à nos questions, cela revient à remettre en cause le sens et l’utilité du bicamérisme, ce qui est inquiétant.
Cela dit, je veux saluer le sens du compromis et l’esprit constructif de notre rapporteur sur ces deux textes, qui ne sont en rien des révolutions, mais qui introduisent des éléments complémentaires de régulation de la vie politique.
D’ailleurs, nous avons pu mesurer l’ambition. Au début, le Gouvernement voulait rétablir la confiance dans l’action publique. Aujourd’hui, nous examinons le projet de loi organique pour la confiance dans la vie politique. Et on laisse supposer que le rétablissement de cette confiance concerne avant tout les élus, alors que c’est l’ensemble du service public qui doit accepter des évolutions pour que la démocratie soit effective.
À cet égard, madame la garde des sceaux, la proposition de loi organique de Bruno Le Roux, votée à l’Assemblée nationale au mois de février 2017, mériterait toute notre attention et une reprise par le Gouvernement. Elle précise les obligations déclaratives et déontologiques des membres du Conseil constitutionnel qui, aujourd’hui, demeurent totalement floues, ce qui tranche avec les règles auxquelles sont soumis les élus.
Sur le présent projet de loi organique subsistent deux désaccords principaux ; ils concernent la réserve parlementaire et les parlementaires en mission, que nous évoquerons à l’occasion de l’examen d’un amendement du Gouvernement.
La réserve parlementaire n’a rien à voir aujourd’hui avec ce qu’elle était au cours des années 2000 et avec la pratique de cette époque.
M. Christian Cambon. Absolument !
M. Jean-Yves Leconte. Depuis 2011, l’exigence de transparence et d’équité a été entendue. Ce qui était auparavant un scandale – de l’argent public distribué sans transparence par des parlementaires aux enveloppes très variables – est devenu transparent et normé. Cette victoire de la transparence, nous la devons aux élus qui, depuis 2011, ont travaillé sur ce sujet et aussi aux citoyens qui se sont battus pour cela.
La confiance, madame la garde des sceaux, ne se décrète pas ; elle se construit progressivement en faisant les bonnes choses au bon moment et en expliquant ce qui est possible et ce qui ne l’est pas.
Le projet de loi organique, dans sa version issue des travaux de l’Assemblée nationale, ne répond pas du tout à cette exigence. Ainsi, le premier alinéa de l’article 9, tel qu’adopté par l’Assemblée nationale, mérite d’être rappelé : « Il est mis fin à la pratique dite de la réserve parlementaire » consistant en l’ouverture de crédits en loi de finances par l’adoption d’amendements du Gouvernement reprenant des propositions de membres du Parlement en vue du financement d’opérations déterminées. »
L’alinéa 2, quant à lui, supprime de la loi organique relative aux lois de finances l’obligation de publication des subventions attribuées sur proposition du Parlement.
Quel est le fondement en droit de la réserve aujourd’hui ? Il s’agit juste d’un amendement gouvernemental discuté lors de l’examen du projet de loi de finances : le Parlement ne pouvant pas proposer de dépenses nouvelles, c’est donc le Gouvernement qui le fait. Si celui-ci ne veut plus de la réserve, alors qu’il ne dépose pas d’amendement lors de la discussion budgétaire et le dossier est clos ; si le Parlement ne veut plus de la réserve, qu’il ne vote pas l’amendement du Gouvernement et le dossier est également clos. C’est tout simple et c’est la seule solution en droit. Pourquoi diable vouloir limiter le pouvoir d’amendement du Gouvernement par cet article 9 ? Pourquoi vouloir restreindre le débat parlementaire lors de l’examen du projet de loi de finances ? Pourquoi vouloir peser sur les orientations budgétaires du Gouvernement en l’empêchant de déposer des amendements au projet de loi de finances sur des propositions qui tiendraient à cœur au Parlement ? Que penser d’une loi organique qui limite la liberté constitutionnelle d’amendement du Gouvernement ?
Lors du débat à l’Assemblée nationale, madame la garde des sceaux – vous l’avez souligné tout à l’heure –, certains ont expliqué que la pratique de la réserve parlementaire était anticonstitutionnelle. Il s’agit pourtant, comme je viens de le dire, d’une disposition de la loi de finances qui est soumise tous les ans au contrôle du juge constitutionnel,…
Mme Isabelle Debré. Absolument !
M. Jean-Yves Leconte. … sans jamais avoir été censurée – ce que vous savez pertinemment, du fait de vos fonctions précédentes. Et si le Conseil de l’Europe s’étonnait de cette pratique voilà quelques années, c’était à une époque où le fonctionnement de la réserve n’avait rien à voir avec ce qu’il est désormais, quinze ans plus tard.
La commission des lois a adopté un amendement et a ainsi amélioré encore la pratique de la réserve. On pourrait aller encore plus loin en menant un débat constructif, plutôt que ce non-débat avec l’Assemblée nationale. Par exemple, on pourrait élaborer de nouvelles procédures d’attribution, imaginer pourquoi pas – rêvons ! – la participation des citoyens, une attribution de crédits publics nationaux de manière participative par collectivité – il n’est question finalement que de 0,05 % du budget de l’État. Pourquoi ne pas vouloir aller dans ce sens-là ? Au lieu de cela, on coupe dans les crédits : 299 millions d’euros dans les crédits des territoires, 296 millions d’euros dans les crédits des affaires étrangères, soit 9 % du budget de ce département ministériel.
Nous en sommes au point où un ambassadeur nous a écrit pour demander le financement par la réserve parlementaire de la fourniture en ampoules électriques de sa résidence. Voilà la situation du budget des affaires étrangères !
M. François Bonhomme. Une politique pas très éclairée ! (Sourires.)
M. Jean-Yves Leconte. Comment peut-on faire ? Face à ces annulations de crédits et aux enjeux que cela représente pour les départements ministériels concernés, les 146 millions d’euros de la réserve, même s’ils sont réattribués aux territoires ou aux affaires étrangères, ne sont rien par rapport aux contraintes auxquels ces départements ministériels doivent faire face.
Notre collègue Josiane Costes, qui a remplacé Jacques Mézard, rappelait ce matin combien la réserve parlementaire est utile aux petites communes. C’est parfois la seule manière pour les alliances françaises d’obtenir des crédits publics. Et je ne parle pas de la sécurisation de nos écoles, de l’action sociale à l’étranger ou de l’accompagnement des élèves qui ont des besoins particuliers. Comment peut-on répondre à ces besoins alors que les budgets se contractent – près de 9 % pour les affaires étrangères, je le répète ?
Alors que nous n’obtenons aucune réponse à propos d’opérations immobilières représentant des millions d’euros et réalisées à l’étranger, malgré nos demandes inlassables d’explications, la réserve des vingt et un parlementaires représentant les Français établis hors de France représente 3 millions d’euros, soit un montant bien inférieur.
Madame la garde des sceaux, après cette dernière séance de la session, à l’issue de ces trois dernières années, nous allons partir en vacances. Certains d’entre nous seront en campagne, d’autres vont nous quitter. Notre belle et grande mission, c’est bien entendu de voter la loi, fonction essentielle pour rendre la société meilleure, pour qu’elle soit plus solidaire et plus solide, tout comme nous devons également contrôler l’action du Gouvernement. Mais il n’y a pas d’action générale qui ne s’appuie sur la connaissance des cas particuliers, sur l’expérimentation, sur la connaissance du terrain que permettait la réserve parlementaire.
Je pense aussi à ce que celle-ci m’a permis de faire voilà quelques années, lorsque j’ai aidé, dans un pays étranger, une association de défense des droits de l’homme à mener des actions de presse qui ont conduit à la libération de deux Français – un peu sur le modèle de la diplomatie parlementaire –, alors que notre pays, via son ambassade, devait continuer à avoir de bonnes relations avec le gouvernement de cet État. Comment pourra-t-on faire différemment ?
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Absolument !
M. Jean-Yves Leconte. Madame la garde des sceaux, il y a des choses que des parlementaires peuvent faire contrairement aux gouvernements. Cette diplomatie parlementaire ne sera plus possible ; c’est donc un pan de l’action politique qui disparaît. J’éprouve non pas la déception, mais vraiment de la rage, parce que c’est une partie de notre capacité à créer du lien et à donner de la confiance qui va disparaître.
Le groupe socialiste et républicain soutiendra le texte dans sa version proposée par la commission des lois, à la rédaction duquel il a contribué avec le rapporteur, Philippe Bas, pour parvenir à un équilibre permettant de faire progresser la transparence en fonction des exigences du moment.
Toujours est-il que nous savons ce qu’il en adviendra à l’Assemblée nationale dans quelques jours. J’espère néanmoins que nos débats n’auront pas été inutiles, parce que nous ne pouvons pas nous résoudre à ce que l’ensemble des actions soutenues par la réserve ne puissent plus disposer d’un soutien financier public. Ce soutien construisait un lien de confiance dans l’action publique, dans ceux qui la conduisent ; il témoignait notre connaissance des réalités de terrain et c’est ce lien que nous cassons. Je sais bien que l’attribution de la réserve parlementaire n’est pas notre première mission, mais cette réserve est un outil essentiel pour expérimenter ce que nous proposons et construire du lien avec nos territoires, avec l’ensemble des citoyens. Finalement, c’est un outil de confiance que nous perdons. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du RDSE, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, cher Philippe Bas, madame la vice-présidente de la commission, chère Catherine Troendlé, mes chers collègues, je voudrais en quelques observations, madame le garde des sceaux, vous dire pourquoi vos explications ne nous ont pas convaincus.
Je ferai une observation d’ordre général et deux observations plus spécifiques sur la fameuse réserve parlementaire.
D’abord, une observation d’ordre général : la confiance ne se décrète pas, et, vous le savez bien, il faudra beaucoup plus qu’un texte pour la rétablir. Pensez-vous vraiment que, en supprimant la réserve parlementaire, vous arriverez, comme vous le souhaitez, à réduire la défiance ? Franchement ! Nous parviendrons à rétablir la confiance dans la vie politique quand la politique commencera à obtenir des résultats concrets pour la vie des Français en matière de chômage, de pouvoir d’achat, de sécurité. Et certainement pas par des facilités jetées à la va-vite pour être dans l’esprit du temps.
M. Christian Cambon. Très bien !
M. Bruno Retailleau. La réserve parlementaire a bon dos. Nous sommes plusieurs sur l’ensemble de ces travées à n’avoir pas compris votre intransigeance et à ne toujours pas la comprendre. Sur ces textes – je pense en particulier à la loi ordinaire –, le Sénat s’est montré plus que disponible ; en réalité, nous avons même souvent été précurseurs, voire à l’avant-garde, en adoptant un certain nombre de dispositifs qui resteront gravés dans la loi ordinaire. Aussi personne ne peut nous faire un procès en blocage.
J’en viens à mes observations plus spécifiques sur la réserve parlementaire.
Madame le garde des sceaux, laisser accroire à l’opinion publique que la réserve parlementaire est à l’origine de cette défiance, de la fatigue démocratique, qu’elle serait finalement une anomalie démocratique, c’est lui faire un bien mauvais procès.
Mes chers collègues, le Sénat n’a attendu personne pour durcir les règles applicables à la réserve parlementaire, pour encadrer par exemple son champ d’intervention, les modalités d’attribution des fonds. Vous savez parfaitement que cette attribution fait l’objet d’un double contrôle : d’une part, du ministère de l’intérieur, qui bloquerait évidemment une subvention qui serait illégale, d’autre part, des services des préfectures. Par ailleurs, par souci de transparence, chaque année, les montants et les destinataires sont rendus publics en open data. Tout cela était donc parfaitement démocratique et transparent.
Vous vouliez aller plus loin, madame la ministre. Le président-rapporteur s’est montré là encore parfaitement coopératif et vous a proposé un dispositif évidemment intelligent, puisque venant de lui, pour sauver l’investissement auprès des collectivités locales et durcissant les conditions d’attribution. Six critères d’éligibilité ont été fixés et la création d’une nouvelle instance de contrôle a été proposée, réunissant le bureau de chacune des assemblées. Et vous avez dit non ! Cette obsession, cette fixation sur la réserve que vous avez d’ailleurs reconnue en parlant tout à l’heure, dans cette enceinte même, si je ne me trompe, d’une opposition principielle, nous ne l’avons absolument pas comprise.
Pour pouvoir la comprendre, pour pouvoir l’éclairer et pour trouver une explication aux obstacles que vous dressez face au nouveau dispositif que nous proposons pour les collectivités, nous en sommes réduits à des supputations.
En réalité, derrière cette intransigeance et derrière nos différences, il y a de vraies divergences : une divergence sur la conception que nous nous faisons du rôle des élus – y compris des parlementaires – et une divergence sur le rôle que nous nous faisons des collectivités.
S’agissant des élus et des parlementaires, je vous ai entendue. Vous dites que les parlementaires ne devraient représenter que l’intérêt général par le vote de la loi et en contrôlant l’action du Gouvernement. Aujourd’hui, madame le garde des sceaux, alors que la fracture territoriale ne cesse de se creuser, ce qui menace notre pays, ce qui pourrait défaire la France à l’heure de la fin du cumul des mandats, c’est cette dissociation entre le local et le national que vous allez accroître précisément en supprimant la réserve parlementaire.
S’agissant du rôle de l’élu, je rejoins ce qu’a dit Loïc Hervé, qui constatait qu’il y avait finalement deux poids deux mesures entre les préfets qui attribuent des fonds et les parlementaires, auxquels cette faculté serait refusée. D’ailleurs, j’ai été très surpris que vous refusiez, avec l’Assemblée nationale, que siègent des parlementaires au sein des commissions d’attribution de la DETR. En réalité, votre conception des élus est la suivante : pour vous, un haut fonctionnaire est plus éclairé pour l’attribution de fonds publics que les parlementaires, qui, eux, votent le budget de la Nation. C’est comme si cette position exprimait une vision de la politique, ou plutôt de la sortie de la politique, réduite à une forme de rêve technocratique selon laquelle, finalement, la fin du clivage serait simplement la réduction de la politique à ce qu’on pourrait appeler une fonction uniquement administrative des choses de la cité.
« L’administration des choses plutôt que le gouvernement des hommes » disait Saint-Simon. Ce n’est pas du tout notre option. Nous avons là une vraie différence.
Et j’ai entendu le Président de la République déclarer, au Sénat, que l’on compte trop d’élus locaux. Les attitudes parfois technocratiques de l’exécutif nous permettent d’y voir plus clair sur le rôle que vous voulez attribuer aux élus, qui sont des corps intermédiaires importants et que vous pourriez affaiblir.
J’en viens aux collectivités territoriales. Oh, je le sais bien, c’est devenu un sport national en France : l’État jacobin reprend toujours d’une main ce que les différentes lois de décentralisation ont accordé aux territoires. Déjà, sous le précédent quinquennat, ce sont les collectivités qui, grâce à leurs efforts, ont le plus contribué à la baisse de la dépense publique. Mais là, chapeau ! Le gouvernement auquel vous appartenez, madame le garde des sceaux, se surpasse : la réforme de la taxe d’habitation, les 13 milliards d’euros en moins dans les dépenses des collectivités, la suppression des 300 millions d’euros de crédits pour leurs investissements dans la politique de la ville, alors même que le Président de la République avait garanti, lors de la Conférence nationale des territoires, qu’il n’en serait rien, qu’il n’y aurait pas de coupes sombres. Rétablir la confiance, cela commence par respecter la parole donnée, par ne pas se déjuger. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Et vous ajoutez à cela la suppression de la réserve parlementaire ! Je pense que c’est une triple erreur.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Une énorme erreur !
M. Bruno Retailleau. Premièrement, qui paiera les pots cassés ? Ce ne sont ni les sénateurs ni les députés ; ce sont les communes, les territoires les plus fragiles. (Applaudissements sur les mêmes travées.) C’est une erreur parce que l’investissement local sera désormais encore plus contraint, au détriment de l’emploi local.
Deuxièmement, je parlais à l’instant de la France périphérique, de ces territoires qui sont souvent en désespérance, qui considèrent que Paris n’a d’yeux que pour l’intérieur du périphérique et que, au-delà, la France n’existe pas. Eh bien, ces territoires disposeront de moins de moyens pour assumer la charge des services publics, de l’investissement public qu’ils doivent à leur population.
Troisièmement, j’en viens à une erreur majeure selon moi. Être maire, être élu local dans des territoires difficiles, dans de petites communes, c’est malaisé, vous le savez, madame le garde des sceaux. Ces élus sont tiraillés entre des injonctions parfaitement contradictoires de leurs administrés, qui veulent payer de moins en moins d’impôts, tout en disposant de services publics toujours plus importants. Mais ils sont soumis par le haut à des injonctions contradictoires de l’État, qui veut que les collectivités dépensent moins tout en se défaussant sur elles. Le plus bel exemple de ces transferts est celui des rythmes scolaires : l’État décide, Paris décide, et ce sont les élus locaux, en bas, qui supportent les problèmes.
Il est difficile d’exercer ces charges et souvent les élus sont découragés. Or cette mesure va les décourager encore davantage, cependant que retombe sur leurs épaules tout ce que l’État central ne résout pas. Ce sont eux qui sont en première ligne, qui expriment la République du quotidien, la démocratie de proximité ; ce sont eux qui, vis-à-vis de leurs concitoyens, ont la charge, si j’ose m’exprimer ainsi, de réparer les vivants, comme pourrait le dire Tchekhov.
Voilà ce que nous voulions vous dire, madame la ministre. Supprimer la réserve parlementaire n’ajoutera rien à la confiance que peuvent avoir nos concitoyens envers les élus, mais pourra contribuer à créer un sentiment profond de découragement chez les 500 000 élus locaux, qui sont la trame de la République et grâce auxquels la France, même lorsqu’elle traverse des crises, tient debout. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme.
M. François Bonhomme. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, plus personne ne l’ignore, la commission mixte paritaire, réunie mardi dernier, n’a pas été en mesure de trouver un accord sur ce projet de loi organique.
Cette absence d’accord illustre des approches radicalement différentes des deux assemblées qui ont examiné ce texte.
Les choses avaient pourtant bien commencé, et l’on ne dira jamais assez combien le patient travail de notre président-rapporteur a permis de faire adopter par l’Assemblée nationale un grand nombre de dispositions ambitieuses introduites par le Sénat dans le projet de loi ordinaire.
Nous étions partis d’un texte lacunaire, qui témoignait d’une volonté insidieuse d’introduire le soupçon – du moins le doute – à l’égard des élus. Le contenu du texte était fort éloigné d’une conception de l’éthique qui s’imposerait à l’ensemble des acteurs de la vie publique.
Le Sénat a permis de rééquilibrer le projet de loi ordinaire, afin de concilier la nécessité de la transparence de la vie publique et le respect des droits et libertés fondamentaux.
En revanche, s’agissant du projet de loi organique, la commission mixte paritaire n’est pas parvenue au même résultat, en raison essentiellement d’un profond désaccord sur la suppression de la réserve dite « parlementaire ».
Je regrette profondément que ni l’Assemblée nationale ni le Gouvernement n’aient souhaité entendre la voix de nos collectivités territoriales.
Tout d’abord, j’aimerais rappeler quelques réalités sur ce dispositif que l’on appelle la « réserve parlementaire ».
Que n’a-t-on dit à son sujet, entre approximations, balivernes et fantasmagories ? Contrairement à ce qui a été affirmé dans les médias et dans le discours du Gouvernement, la dotation d’action parlementaire n’est pas une somme d’argent distribuée arbitrairement par un parlementaire. Il s’agit de crédits inscrits en loi de finances, essentiellement au bénéfice de projets d’investissement locaux, comprenant des pièces de dossier instruites et contrôlées par le ministère de l’intérieur et par les préfectures.
Ce n’est donc pas une manne insaisissable et floue que chacun répandrait et dilapiderait selon son humeur et sa prodigalité. Au contraire, ce sont souvent des aides qui peuvent se révéler essentielles pour des projets d’investissement de petites communes qui n’auraient pas eu d’appui financier autrement.
En outre, le mécanisme d’attribution est parfaitement transparent. Chacun peut d’ailleurs le mesurer puisque le Sénat met en ligne, en open data, la liste des opérations d’investissement local, avec toutes les précisions nécessaires.
Chacun y trouvera des projets d’accessibilité pour les personnes handicapées, de préservation du patrimoine culturel ou de rénovation de crèches. On dira que c’est une liste baroque ou un inventaire à la Prévert. Il n’y a cependant rien de dégradant ou d’infamant à participer à faire émerger de tels projets, importants pour des territoires ruraux souvent oubliés.
Le Sénat s’est toutefois montré prêt à travailler avec le Gouvernement.
Nous avions élaboré un dispositif alternatif répondant aux exigences de transparence et préservant, en même temps, les ressources des collectivités locales.
Nous avions proposé la création d’un fonds de soutien à l’investissement réservé aux communes et à leurs groupements, renforçant les garanties en matière de transparence, avec des critères d’éligibilité.
Nous avions proposé la participation de droit de tous les parlementaires aux commissions attribuant la DETR.
Nous avions aussi renforcé les exigences de publicité s’agissant de la réserve dite ministérielle, avec une publication annuelle en open data.
La chronique parlementaire retiendra que le Sénat s’est montré prêt à renforcer les exigences de transparence dans l’attribution de ces fonds tout en proposant un dispositif alternatif sécurisant les ressources des communes et sanctuarisant une dotation de solidarité.
En commission mixte paritaire, notre président-rapporteur a, inlassablement, proposé un chemin de compromis, main tendue malheureusement refusée.
Cette fin de non-recevoir intervient dans un contexte budgétaire et financier plus difficile que jamais pour les collectivités locales, sur qui repose l’essentiel de l’effort financier de réduction des déficits publics, déficits dont l’État est le premier et principal auteur.
Cette situation est particulièrement déresponsabilisante.
En trois ans, c’est une ponction de 11 milliards d’euros qui a été réalisée sur les budgets locaux. Pour les cinq prochaines années, c’est une réduction de 13 milliards d’euros qui a été annoncée, à laquelle s’ajouteront la suppression de la taxe d’habitation et le gel de 80 % des crédits destinés à l’équipement des territoires ruraux et au soutien à l’investissement local.
C’est un camouflet aux 500 000 élus locaux, bénévoles pour la plupart, que vous allez achever de décourager, alors même qu’ils mesurent chaque jour la nocivité de la loi NOTRe et ses funestes conséquences.
Madame la ministre, comment voulez-vous que le Sénat, représentant des collectivités locales, accepte de supprimer ce levier de développement local en direction de multiples petits projets ?
Le Gouvernement et sa majorité sont restés engoncés dans leurs certitudes et ont soigneusement évité de rechercher une alternative à cette suppression pure et simple. Et que dire de l’attitude des députés membres de la commission mixte paritaire qui ont mécaniquement adopté une position a priori qualifiée de non négociable, affichage d’intention oblige ?
À travers la suppression de la réserve parlementaire, vous avez recherché un totem pour cette loi de moralisation.
Je dis « moralisation », car, bien que vous ayez donné un autre titre au texte, cette moralisation vous est revenue en boomerang avec la démission de quatre ministres. Il est même possible que cela finisse comme le sparadrap dont le capitaine Haddock n’arrive pas à se débarrasser en dépit de ses gesticulations…
Je dis « totem », car, pour mettre fin à cette pratique, il suffisait au Gouvernement de ne pas déposer d’amendement abondant la ligne budgétaire au moment de la prochaine loi de finances. Mais vous avez recherché à tout prix, sur fond déclamatoire pour mieux le brandir, un symbole plutôt qu’une analyse proportionnée et raisonnable, manifestant par là une forme d’infantilisme dans cette préférence donnée à l’affichage des bonnes intentions, au détriment de l’amélioration d’instruments et d’outils de développement local.
Je dis « infantilisme », car je ne peux m’empêcher de penser à Milan Kundera, qui disait que la maturité, politique en l’espèce, se mesure à la capacité à résister au symbole.
Je vous donne rendez-vous à l’automne, car le juge constitutionnel censurera probablement cette disposition dénuée de toute force normative.
Madame la ministre, vous comprendrez que la chambre qui représente les collectivités locales ne puisse suivre l’Assemblée nationale sur un chemin aussi hasardeux qu’incertain. Elle revotera donc le texte proposé par notre président-rapporteur, qui aurait dû vous inspirer bien plus fortement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du RDSE.)