M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Julien Denormandie, secrétaire d'État auprès du ministre de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice, encore une fois, le Gouvernement a bien conscience que la réforme que nous souhaitons engager est compliquée et difficile à mettre en œuvre. Elle ne se fera pas du jour au lendemain et elle devra s’accompagner de beaucoup de discussions, car il faudra notamment prendre en compte toutes les inquiétudes.
Néanmoins, il convient d’être juste quand on aborde le sujet. Il ne s’agit absolument pas, je le répète encore une fois, de ponctionner les bailleurs sociaux de 1,7 milliard d’euros pour mettre cette somme dans les caisses de l’État. J’espère vous avoir suffisamment convaincus aujourd'hui, mesdames, messieurs les sénateurs, de tout ce que nous proposerons aux bailleurs sociaux. Je pense aussi bien aux évolutions récentes qu’à celles que nous envisageons de mettre en œuvre. Pour rebondir sur les propos de Mme Létard, il est évident que ces discussions se poursuivront avec vous, au Sénat, dans le cadre du projet de loi de finances.
Je citerai un exemple très concret, madame la sénatrice, qui englobe plusieurs points de votre question. Le Gouvernement prévoit 3 milliards d’euros de prêt, à des taux très avantageux, en faveur de la rénovation énergétique. Par ailleurs, nous prévoyons également 600 millions d’euros d’un autre type de prêt, encore plus avantageux, toujours en faveur de la rénovation énergétique. Ces prêts seront consentis par l’État, qui prendra à sa charge les coûts, c'est-à-dire la bonification. Ce dispositif permettra, in fine, une diminution des charges via la rénovation énergétique des bâtiments.
Dans cette réforme, notre position est simple : l’objectif d’un bailleur social n’est pas de gagner de l’argent qu’il mettrait de côté, mais est bien plutôt de construire davantage et d’investir au mieux l’argent des locataires. Si, demain, nous diminuons les charges qui pèsent sur les offices, car ce sont eux qui paient les charges, même si les locataires en acquittent une partie, il nous paraît légitime en contrepartie que les offices contribuent à améliorer le système, y compris dans son volet APL. Tel est notre raisonnement.
M. le président. La parole est à M. Daniel Laurent.
M. Daniel Laurent. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette réforme du logement social et de l’APL préoccupe les bailleurs sociaux et les élus. Je suis assez étonné de constater cet après-midi à quel point les différents intervenants, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent, sont tous hostiles à cette réforme.
Monsieur le secrétaire d’État, cela a été dit et répété, mais j’enfoncerai le clou : moins d’investissements, c’est moins d’emplois pour nos entreprises locales. Quant aux collectivités, avec toutes les contraintes qui pèsent déjà sur elles, votre réforme les mettra en péril si elles doivent garantir les emprunts des opérateurs en cas de faillite. Vous les exposez donc à un danger supplémentaire, ce qui soulève une vraie inquiétude.
Par ailleurs, les sommes en jeu sont considérables et les pertes financières peuvent être énormes. De l’avis général, les compensations promises ne seront certainement pas à la hauteur.
Vous ne souhaitez pas ruiner les bailleurs sociaux, dites-vous. Je vous saurais gré dans ce cas de bien vouloir modifier votre politique.
Le deuxième point que je souhaite aborder concerne les difficultés d’application de la loi SRU, notamment dans les zones littorales.
Je suis élu de la Charente-Maritime où la politique foncière urbaine est strictement cadrée. Une commune de mon département vient d’apprendre la déprogrammation de quinze logements alors qu’elle doit rattraper un retard de construction. D’autres communes ont perdu leur droit de préemption au profit de l’établissement public foncier, qui peine également à réaliser des projets en raison du coût du foncier et du nombre insuffisant d’agréments régionaux. Je pense également à la situation des communes nouvellement soumises aux obligations de construction de logements sociaux en dehors du zonage bénéficiant des dispositifs d’aide.
M. le président. Il va falloir conclure !
M. Daniel Laurent. Monsieur le secrétaire d'État, envisagez-vous d’adapter les objectifs de construction aux territoires ? Quelle réponse pouvez-vous nous apporter pour garantir une politique de l’habitat efficace ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Julien Denormandie, secrétaire d'État auprès du ministre de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur l’impact de l’article 52 du projet de loi de finances pour 2018. Je ne saurais que redire avec insistance combien tout cela doit être jugé à l’aune de l’ensemble de la réforme que nous proposons, et pas uniquement de l’article 52. Il faut donc prendre à la fois en compte l’ensemble des financements que j’ai évoqués, l’ensemble de la réforme sur le regroupement portée par les offices et les sociétés d’HLM et l’ensemble de nos actions en faveur de l’accession sociale.
Permettez-moi de revenir un instant sur l’exemple que j’ai pris tout à l’heure de la diminution des charges liée à la rénovation énergétique. Si l’État finance l’efficacité énergétique et que les bailleurs sociaux peuvent la mettre en place à moindre coût, il est juste que les économies réalisées grâce à la baisse des charges soient redistribuées également aux locataires.
Tout à l’heure, j’ai évoqué la vente de logements en accession sociale. J’ai souligné que si l’on ne vendait ne serait-ce que 20 000 logements à 100 000 euros – chiffre pris totalement au hasard –, sur un parc de 4,5 millions de logements, cela représenterait 2 milliards d’euros de recettes, soit environ 10 % de l’ensemble des loyers versés chaque année. Vous imaginez quel impact cela pourrait avoir sur la diminution des loyers pour l’ensemble des locataires ! J’irai même plus loin, le département de la Charente-Maritime compte aujourd’hui 25 000 logements sociaux, 10 000 demandeurs en attente et 2 500 attributions chaque année. Or la vente d’un logement en accession sociale permet en moyenne d’en construire deux ou trois.
M. Philippe Pemezec. Deux et demi !
M. Julien Denormandie, secrétaire d'État. La question fondamentale est la suivante : comment portez-vous cette réforme d’ensemble ? Certes, elle est compliquée à mettre en œuvre, parce que le système fonctionne en l’état depuis des années. Néanmoins, il nous faudra la porter jusqu’à la fin.
M. le président. La parole est à M. Jacques Le Nay.
M. Jacques Le Nay. Monsieur le secrétaire d'État, samedi dernier, j’ai présidé l’assemblée générale de l’association des maires et présidents d’EPCI de mon département.
Les maires des communes périurbaines et rurales, mais également des communes insulaires, ont rappelé avec insistance les difficultés rencontrées pour répondre aux besoins de logement en raison des règles d’urbanisme. C’est pourquoi, monsieur le secrétaire d’État, je me permets d’appeler aujourd’hui votre attention sur les difficultés engendrées par la loi ALUR.
L’impossibilité de construire dans les hameaux entraîne une situation catastrophique, tant pour les propriétaires que pour les personnes désirant accéder à un droit à construire, souvent de jeunes ménages espérant bénéficier d’un prêt à taux zéro. La situation est bien entendu également catastrophique pour le tissu économique local.
Il ne faut pas se cacher derrière la protection des terres agricoles pour justifier cette position. Dans la quasi-totalité des cas, les dents creuses sont des bouts de jardin ou des parcelles de terre à l’abandon, au milieu des villages et hameaux, totalement inadaptées à l’agriculture. Ces espaces représentent, à l’évidence, un fort potentiel de foncier constructible disposant d’équipements et de réseaux déjà financés par les communes.
Autre constat : dans le cadre de la loi SRU, le mode de calcul pour le nombre de logements sociaux prend en compte l’ensemble des résidences principales de la commune, au lieu de considérer le seul périmètre aggloméré. Ce principe de calcul pénalise les communes étendues qui possèdent de nombreux écarts. Par corollaire, le taux de 20 % de logements sociaux devient très difficile à atteindre, d’autant plus que ces communes se trouvent souvent éloignées du cœur de leur bassin de vie.
Compte tenu des difficultés qui s’annoncent pour les bailleurs sociaux, ces collectivités territoriales vont se retrouver doublement pénalisées.
Après trois ans d’application de la loi ALUR, le constat est sans appel : la grande majorité des maires souhaite une évolution en urgence de certaines dispositions de cette loi pour honorer les objectifs fixés dans les PLH.
Monsieur le secrétaire d'État, pouvez-vous envisager d’assouplir les dispositions de la loi ALUR en rendant constructibles les dents creuses dans nos villages et hameaux, ce qui aurait pour effet d’éviter aux maires de France les nombreux contentieux dont ils font l’objet ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Julien Denormandie, secrétaire d'État auprès du ministre de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur, vous avez raison, il ne faut pas toujours se cacher derrière des arguments. L’ingénieur agronome que je suis n’ignore rien de l’artificialisation des terres agricoles. Le sujet me fait revenir à mes premières amours, avec toutes mes convictions. Il n’empêche que l’artificialisation des zones agricoles ne se fait pas au centre d’un hameau, comme vous l’avez dit.
Les dents creuses aujourd'hui, je parle sous votre contrôle, la loi ALUR les permet déjà, dès lors qu’il s’agit d’un bâti. La question qui se pose est : pouvons-nous élargir le dispositif au foncier et ne pas le limiter uniquement au bâti ?
Dans le cadre du projet de loi Logement, en cours de préparation, nous n’avions pas identifié le sujet ; par conséquent, il n’a pas été abordé. Je serai très heureux de pouvoir en discuter avec vous en amont afin de voir s’il est possible d’aller dans le sens que vous souhaitez. Ce projet de loi sera présenté en conseil des ministres mi-décembre et devant le Parlement à partir du premier trimestre de 2018. Nous avons donc un peu de temps devant nous pour étudier la question.
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé.
M. Franck Montaugé. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le modèle économique du logement social en France s’articule autour de cinq spécificités : un équilibre financier à long terme ; l’absence de bénéfices distribués ; un loyer lié aux coûts de production ; la transformation des dépôts sur livret A en prêts à long terme via la Caisse des dépôts et consignations ; et le recours à des subventions publiques.
Ce modèle est en fait un « tout » d’une extrême cohérence. Il est technique et financier, il intègre la production et la gestion locative. Il est basé sur des articulations de dispositifs essentiellement publics : aide à la personne et aide à la pierre ; aides et prêts ; politiques nationales et locales. Il repose sur la sécurisation systémique de tous les acteurs, y compris les locataires.
Compte tenu des décisions prises par le Gouvernement sur la baisse des APL et l’obligation de baisse des loyers, et sur la diminution des aides à la pierre, compte tenu également des conséquences des nouvelles règles du jeu de la fiscalité de l’épargne affectant déjà les dépôts des livrets A, de l’augmentation des coûts de production des logements et de l’affaiblissement des capacités d’intervention des collectivités, ce modèle est de fait remis en question. Quel nouveau modèle le Gouvernement entend-il mettre en œuvre – car c’est de cela qu’il s’agit – et sur la base de quels principes ? Vous parlez vous-même de réforme, monsieur le secrétaire d'État.
Personnellement, je ne souhaite pas le changement de notre modèle. Je pense au contraire qu’il faut le renforcer en donnant à tous les organismes d’HLM le pouvoir effectif de répondre aux objectifs fixés d’intérêt général.
Dans cette optique de justice sociale et d’égalité des territoires, et au regard de la diversité des situations financières constatées, ne pensez-vous pas indispensable et urgent de mettre en œuvre une péréquation nationale au bénéfice des organismes les plus en difficulté, souvent situés en zones rurales, mais pas seulement, et ce sans dégrader la situation de ceux qui se portent bien ou mieux que les autres ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Julien Denormandie, secrétaire d'État auprès du ministre de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur, le modèle global ne doit pas être modifié, car, comme je le dis souvent, je ne crois pas du tout au big-bang. Autrement dit, je déteste les équilibres instables. Il me semble en effet que l’on réforme plus vite en gardant un équilibre ; l’idée est plutôt de l’améliorer.
Je citerai un exemple très concret. Vous avez parlé du taux du livret A, qui est un bon élément pour le financement du logement social. Cependant, quand les taux sont extrêmement bas, comme c’est le cas aujourd'hui, le livret A coûte énormément d’argent aux bailleurs sociaux. Qui plus est, le taux du livret A varie chaque année. Ne nous leurrons pas, les bailleurs sociaux ne s’endettent pas au taux du livret A. À celui-ci, vient s’ajouter une marge de 1,1 % ou de 1,2 % en fonction du type de logement.
Lorsque les taux sont comme aujourd'hui très bas, pourquoi proposons-nous aux bailleurs sociaux des taux fixes avec un remboursement in fine ? Tout simplement parce que c’est plus intéressant pour eux que les taux du livret A qui, avec une telle marge, sont très élevés ! Voilà pourquoi je suis partisan de maintenir les équilibres, mais en cherchant à les améliorer. Par exemple, en fixant le taux du livret A pour donner de la visibilité et de la lisibilité ; je pense à des prêts de long terme, avec un taux fixe et un remboursement in fine.
En ce qui concerne l’aide à la pierre, ma conviction c’est que cela prendra du temps ; on continuera à alimenter le FNAP. Chaque année, vous débattez de savoir s’il faut ou non lui accorder davantage, mais il s’agit toujours de sommes au final assez faibles.
La vraie discussion que nous avons avec les bailleurs sociaux est la suivante : si, demain, ils vendaient 20 000 ou 30 000 logements, contre 8 000 aujourd’hui, puisque ces logements ont bénéficié d’une subvention d’État, et aussi d’ailleurs du FNAP, pourquoi ne pas envisager qu’une partie du montant de chaque vente aille directement alimenter ce fonds ? Cela créerait un système où la vente viendrait financer elle-même la nouvelle construction. Si l’on pouvait arriver à mettre sur pied un tel ensemble, nous pérenniserions totalement le volet de l’aide à la pierre dans un équilibre stable.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier.
M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le secrétaire d’État, comme d’autres collègues, je souhaite vous alerter sur le danger qui guette nos bailleurs sociaux, lesquels n’auront plus la même capacité qu’aujourd'hui pour investir dans les territoires ruraux faute d’autofinancement – ce sera notamment le cas dans mon département, la Mayenne.
Les bailleurs sociaux ruraux seront mis en grande difficulté par la contrainte des baisses de loyers qui leur sera appliquée. En effet, le taux d’APL est élevé dans les territoires, car les locataires ont des revenus souvent très modestes, et le prix des loyers est globalement peu élevé puisqu’il se situe 15 % en dessous des maximums autorisés.
Le projet de loi de finances pour 2018 actera donc une baisse de 30 à 50 euros des loyers pour les locataires qui bénéficient des APL. Pour les bailleurs sociaux de mon département, cette diminution imposée représentera une perte d’environ 7 millions d’euros, ce qui est considérable. Une telle mesure aura une incidence sur l’entretien du patrimoine et sur les capacités d’accompagnement. Des effets se feront aussi sentir sur les entreprises du bâtiment et des travaux publics, ainsi, bien sûr, que sur l’emploi local. Cette baisse impactera également l’État, au travers de la TVA. Néanmoins, les grands perdants seront les ménages eux-mêmes, en particulier les plus fragiles d’entre eux : une telle mesure aura un impact sur la modernisation des logements du parc social et affectera directement leur cadre de vie.
Monsieur secrétaire d’État, quelles contreparties envisagez-vous à cette baisse pour que nos bailleurs sociaux puissent continuer à investir ? Il convient de tenir compte du fait que les bailleurs sociaux permettent souvent dans les territoires ruraux le lancement d’opérations privées, notamment dans les centres-bourgs. En les fragilisant, vous obérez les possibilités d’opérations nouvelles. Dans ce domaine, comme dans d’autres, il importe de bien faire le discernement entre des territoires urbains et les territoires ruraux.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Julien Denormandie, secrétaire d'État auprès du ministre de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur, vous avez raison. J’ai déjà évoqué au fur et à mesure de mes réponses précédentes les contreparties que le Gouvernement entend mettre en place pour soutenir l’activité et l’ensemble des bailleurs : 3 milliards d’euros de prêts pour l’efficacité énergétique ; stabilisation du taux du livret A ; 2 milliards d’euros de prêts de haut de bilan ; 4 milliards d’euros de prêts à taux fixe in fine ; 30 milliards d’euros de rallongement de dette ; et 600 millions d’euros de prêt éco-PTZ.
M. Philippe Dallier. C’est formidable, on se demande pourquoi cela ne convient à personne ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Julien Denormandie, secrétaire d'État. Toutes ces mesures constituent une énorme manne financière.
La difficulté, c’est que les cas sont très différents selon les offices. Votre département constitue un bon exemple. J’ai en tête un office sur votre territoire dont la situation est déjà complexe et pour lequel les outils de financement que nous proposons ne sont pas forcément adaptés. Comment faire pour que certains bailleurs ne se retrouvent pas significativement impactés quand d’autres en tireraient uniquement profit ? Car j’ai cité l’exemple d’un organisme qui retirerait de toutes ces mesures un gain positif.
À mon sens, la difficulté se réglera grâce à la mutualisation et à la péréquation, en mettant en place une organisation entre les différents acteurs. Nous discutons d’ailleurs en ce moment de tout cela avec eux. Quoi qu’il en soit, soyez rassuré, nous avons bien présent à l’esprit le cas que vous avez évoqué.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot.
M. Jean-Claude Tissot. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, dans la version initiale du projet de loi de finances pour 2018, le prêt à taux zéro pour la construction de logements neufs est supprimé dans les zones dites « non tendues », soit les zones B2 et C. Cela représente 93 % des communes, essentiellement rurales, et 60 % de la population. S’ajoute à cela la suppression inacceptable de l’APL accession.
Le 6 octobre dernier, le Président de la République a annoncé le maintien du PTZ dans le neuf encore deux ans en zone rurale. Toutefois, le montant maximal du prêt à taux zéro accordé aux ruraux ne pourra pas dépasser 20 % de l’emprunt total, contre 40 % actuellement. Renchérir ainsi le coût de l’accession à la propriété pour les ménages modestes dans les zones rurales aura des effets non souhaitables : éloigner les familles les plus modestes de l’acquisition d’une construction neuve ; ramener ces familles qui souhaitent investir dans le neuf dans les villes, qui souffrent déjà d’une concentration de personnes à faibles ressources, a contrario des efforts de mixité sociale ; mettre en difficulté l’artisanat et l’économie locale hors des grands centres urbains. Vous n’avez d’ailleurs pas répondu à la question que ma collègue Viviane Artigalas vous a posée sur ce point précis. J’espère obtenir ici une réponse claire de votre part.
Par ailleurs, nous constatons dans nos communes que les bailleurs sociaux ne veulent plus investir dans les territoires ruraux. De fait, le manque d’investissement dans le parc HLM des zones rurales commence à se faire ressentir durement. Il devient ainsi indispensable de rénover les bâtiments construits dans les années quatre-vingt-dix. Nombre de ces logements sont de véritables « passoires énergétiques » et engendrent des charges parfois supérieures au loyer. L’APL, même diminuée, perd ainsi beaucoup de son sens, car elle ne porte que sur le loyer.
Les bailleurs sociaux ne peuvent ni effectuer les investissements nécessaires ni se séparer des logements pour des raisons comptables. J’aimerais donc proposer des pistes pour leur permettre de transmettre leur patrimoine en zones rurales sans aggraver leurs difficultés actuelles. Ne pourrait-on, par exemple, envisager de mettre en place un dispositif facilitant l’acquisition de ces bâtiments par les communes qui souhaitent revitaliser leurs bourgs et mener des programmes sociaux ?
De plus, dans le cadre de la « stratégie logement » du Gouvernement, il est prévu de faciliter l’accession des locataires à la propriété en sécurisant l’achat-vente grâce à une structure dédiée. Cette structure viserait à simplifier et à multiplier le nombre de ventes à l’occupant à moyen terme, portant leur nombre à 40 000 logements par an. Pouvez-vous nous préciser ce dispositif ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Julien Denormandie, secrétaire d'État auprès du ministre de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur, votre question est très dense et comporte de nombreux aspects. Je commencerai par le dernier point que vous avez abordé, à savoir le dispositif visant faciliter l’accession sociale à la propriété.
Aujourd'hui, pour faciliter l’accession sociale – je parle vraiment d’accession sociale et pas du tout de la vente à des institutionnels, qui plus est privés –, plusieurs dispositifs existent. Un certain nombre de mécanismes mériteraient d’ailleurs être simplifiés tant cela relève un peu du parcours du combattant pour les offices d’HLM qui souhaitent promouvoir l’accession sociale. Il serait important que nous puissions travailler à la chose ensemble dans le projet de loi Logement, car toutes les idées sont bonnes à prendre.
En ce qui concerne la copropriété, vous savez aussi bien que moi que les bailleurs sociaux n’en sont pas fans – c’est même un euphémisme ! On peut le comprendre, puisque ce n’est pas leur métier.
M. Philippe Pemezec. Ils savent faire !
M. Julien Denormandie, secrétaire d'État. Comment faire pour améliorer la situation ? Là aussi, le projet de loi Logement explorera un certain nombre de pistes. Nous avons notamment discuté avec Action logement et l’Union sociale pour l’habitat de la mise en place d’une structure qui rachèterait directement des immeubles. Cette structure saurait gérer de la copropriété, puisque telle serait sa finalité. L’idée est que les bailleurs qui le souhaitent, puisque certains n’en sont pas fans, puissent racheter directement un bloc de logements pour faire de la copropriété.
En ce qui concerne le deuxième volet de votre question, effectivement la quotité du prêt à taux zéro a diminué dans le neuf en zone rurale. Nous avons fait ce choix après de nombreuses discussions avec les parties prenantes ; il ne s’agit pas d’une quotité que nous avons inventée ou tirée de notre chapeau. Je vous ferai remarquer qu’elle ne diminue pas dans l’ancien. Cela répond à une partie de votre question : comment revitaliser plutôt que reconstruire dans le neuf ? C’est un vrai sujet. L’outil PTZ ancien versus PTZ neuf en zones B2 et C est aussi un outil d’aménagement du territoire, certes compliqué, avec des effets collatéraux, mais que nous avons essayé de bien calibrer.
M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre.
M. Antoine Lefèvre. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme vous le savez, le rôle des bailleurs sociaux dans nos villes moyennes et dans nos centres-bourgs est déterminant.
Avec une production annuelle de 230 logements, 90 logements démolis et 50 logements vendus aux locataires, l’office d’HLM de l’Aisne et de Laon, que je présidais encore il y a quelques jours, est un acteur local indispensable au territoire : 200 logements réhabilités thermiquement par an, 50 millions d’euros d’investissements annuels, plus de 500 emplois non délocalisables.
Notre bailleur local revitalise nos centres-bourgs en transformant les anciens bâtiments publics, en reconvertissant des friches, en construisant des logements adaptés aux seniors près des commerces et des équipements. La promotion privée n’est pas là pour le faire, car il n’existe pas de marché sur nos territoires. Les très gros bailleurs HLM ne s’intéressent qu’aux métropoles régionales. Seuls les bailleurs locaux permettent de moderniser l’habitat de l’Aisne de façon visible. Ils ne doivent pas devenir des agences locales de gros bailleurs HLM lointains. Or, dans l’une de vos réponses, vous avez affirmé que l’objectif était bel et bien de favoriser les gros offices.
Pourtant, la France doit enrayer une dynamique de fracture territoriale très engagée. Sur un territoire comme l’Aisne, seuls les bailleurs locaux répondent à l’appel. Comment, monsieur le secrétaire d'État, avez-vous pu proposer une loi qui peut réduire à néant la capacité d’investir de nos OPH ? Comment avez-vous pu proposer une loi sans mesurer ni simuler les conséquences sur notre territoire ?
La réduction de loyer de solidarité que vous souhaitez imposer aux bailleurs sociaux pour compenser la baisse des APL va transformer un office HLM sain en un office HLM déficitaire. En ce qui concerne mon office, plus de 6 millions d’euros par an sont en jeu. Le voilà déficitaire et rendu par vos mesures incapable d’investir !
Monsieur le secrétaire d’État, vous proposez des compensations très floues à ce jour. Elles sont pour la plupart inadaptées pour nos territoires fragiles et prioritaires de fait.
Vous nous demandez de voter un projet de loi de finances dont l’article 52 relatif au logement social n’est pas abouti dans son analyse des risques. Vous exposez ainsi les collectivités ayant garanti les emprunts des bailleurs, que votre projet de loi rend déficitaires, et les placez donc, concrètement, en situation de mettre en jeu ces garanties.
Je vous invite, comme l’a très bien fait Daniel Dubois dans son propos introductif, à repousser cette mesure et à prendre le temps de la tester sur notre office avant d’entériner une loi nuisible dans sa formule actuelle pour la cohésion de nos territoires, cohésion à laquelle nous vous savons pourtant par ailleurs attaché.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Julien Denormandie, secrétaire d'État auprès du ministre de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur, il s’avère que, dans le département que vous représentez, le secteur est beaucoup plus performant qu’ailleurs, avec 40 000 logements sociaux pour environ 5 000 demandes et 3 000 attributions chaque année, ratios qui se situent dans la fourchette la plus haute.
Vous avez tout à fait raison, il ne faut pas casser une dynamique, surtout dans les territoires comme le vôtre où ça marche. Bien sûr, tout peut toujours mieux fonctionner : 2 000 personnes n’ont tout de même pas accès au logement social chaque année. Il n’empêche que le système fonctionne déjà bien, et en tout cas beaucoup mieux que dans beaucoup d’autres territoires.
C’est l’exemple concret d’un office en perpétuelle activité, comme vous l’avez dit. C’est pourquoi la piste de la TVA, également mentionnée par M. Dubois dans son propos introductif, est intéressante pour les organismes HLM comme ceux de votre territoire.
Vous estimez que tous les financements que j’évoquais sont un peu flous : s’ils peuvent être difficiles à appréhender, ils ne sont pas flous, et ils ont en plus fait l’objet de communications très précises avec l’ensemble des bailleurs sociaux. Ils sont, c’est vrai, d’autant plus favorables que l’activité est forte. Or la TVA est aussi un vecteur d’activité. C’est pourquoi les offices et les sociétés nous demandent d’étudier avec eux cette piste, qui est très compatible avec l’activité.
Nous avons donc bien en tête la situation que vous décrivez. Nous en discutons, et nous aurons l’occasion d’en rediscuter au Sénat avec vous.