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Politique de la ville : une réforme bien engagée mais fragilisée par un manque de moyens
Débat organisé à la demande de la commission des affaires économiques
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la commission des affaires économiques, sur le thème : « Politique de la ville : une réforme bien engagée mais fragilisée par un manque de moyens ».
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
La commission qui a demandé ce débat disposera d’un temps de parole de dix minutes, y compris la réplique, puis le Gouvernement répondra pour une durée qui ne devra pas excéder dix minutes.
Dans le débat, la parole est à Mme Valérie Létard, au nom de la commission des affaires économiques.
Mme Valérie Létard, au nom de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, trois ans après l’entrée en vigueur de la loi du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, dite « loi Lamy », nous avons été désignées par la commission des affaires économiques, ma collègue Annie Guillemot et moi-même, pour évaluer l’application de cette loi.
Pour ma part, j’évoquerai les contrats de ville ; Annie Guillemot, quant à elle, parlera du Nouveau Programme national pour la rénovation urbaine, le NPNRU. Ce sera l’occasion de vous présenter les conclusions du petit tour de France que nous avons réalisé.
Nous avons cherché à répondre à plusieurs interrogations : la nouvelle géographie prioritaire est-elle pertinente ? Comment sont pris en charge les quartiers sortants ? Comment sont mis en place les contrats de ville ? Les acteurs de la politique de la ville ont-ils été au rendez-vous ? Quel est leur niveau d’engagement ? Les crédits spécifiques de la politique de la ville interviennent-ils en complément des crédits de droit commun ? Comment se sont déployés les conseils citoyens ? Ont-ils les moyens de fonctionner ? Enfin, comment est mis en œuvre le NPNRU ? Comme vous le voyez, les questions ne manquaient pas. Il s’agit de sujets récurrents, qui remontent du terrain et sur lesquels nous souhaitions apporter un éclairage.
Les nouveaux critères de la géographie prioritaire, plus objectifs, sont globalement adaptés à l’objectif de resserrement et de simplification de la géographie prioritaire poursuivie par la loi Lamy. Néanmoins, nous avons constaté lors de nos déplacements que ces critères ne permettaient pas de prendre en compte certains territoires moins denses, comme le bassin minier, ou des poches de pauvreté enclavées dans des zones de mixité sociale.
Nous avons recommandé au Gouvernement d’identifier les poches de pauvreté non retenues dans la géographie prioritaire en raison du seuil d’habitants et d’évaluer si elles nécessitent la mise en place d’outils spécifiques. Pour les quartiers sortants, c’est-à-dire ceux qui ne répondent pas aux critères de la nouvelle géographie prioritaire, la loi Lamy a mis en place un dispositif de veille active. Or nous avons constaté que les moyens et le suivi de ces quartiers sont insuffisants.
Il nous paraît important que tous les quartiers sortants fassent l’objet d’un suivi par l’État, indépendamment de l’existence d’un contrat de ville. Ce suivi permettra de savoir de quels dispositifs ils bénéficient et, surtout, quelle est leur situation économique et sociale, afin que les pouvoirs publics puissent intervenir le plus tôt possible en cas de décrochage. Le risque est en effet réel lorsqu’ils sortent de ce dispositif.
J’en viens aux contrats de ville, qui mettent en œuvre la politique de la ville. Quelque 435 contrats de ville ont été signés. Ils reposent sur trois piliers, qui permettent d’assurer une meilleure cohérence entre les actions menées au titre du volet économique et social et celles qui sont menées au titre du volet urbain.
Les modalités du pilotage des contrats de ville à l’échelle intercommunale sont globalement satisfaisantes. Néanmoins, l’impact des réformes territoriales sur la mise en œuvre de ces contrats, notamment en Île-de-France, devra faire l’objet d’un examen attentif.
Au titre du pilier « cohésion sociale », nous avons choisi de porter notre attention sur la tranquillité publique, question récurrente des habitants des quartiers prioritaires. Outre que les services de police et la justice doivent amplifier leurs actions pour assurer la tranquillité des habitants dans ces quartiers, les bailleurs sociaux ont eux aussi un rôle à jouer, notamment avec la mise en place de gardiens d’immeuble. Nous avons proposé de renforcer leur présence, ainsi que les dispositifs de médiation.
Pour en avoir beaucoup entendu parler lors de nos déplacements dans les quartiers, il nous semble que les questions liées aux rodéos, dont a parlé le Président de la République à l’occasion de sa venue dans le Nord méritent de faire l’objet d’une évolution législative.
On constate toutefois dans certains quartiers l’échec des politiques publiques. Les conditions de vie des habitants et celles des personnels de proximité sont devenues dangereuses et la mise en place d’une zone de sécurité prioritaire ne suffit pas toujours. Il ne faut pas abandonner ces quartiers « en difficulté extrême ». Nous proposons, au contraire, qu’ils fassent l’objet d’un traitement global des difficultés qui nécessitera un renforcement des moyens de droit commun, lequel ne peut se faire au détriment des autres quartiers.
Je dirai un mot du volet économique. La question de l’emploi est fondamentale dans les quartiers, où le taux de chômage est largement supérieur à la moyenne. Nous considérons qu’il ne faut pas opposer les aides à la personne aux aides en fonction de l’implantation géographique des entreprises. Autrement dit, il ne faut pas opposer emplois francs et zones franches urbaines. Une réflexion sur ces deux formes d’actions doit être menée en toute transparence, afin de retenir les dispositifs les plus efficients.
S’agissant des moyens financiers, nous avons constaté que, contrairement à ce que prévoit la loi, les crédits de droit commun sont peu, voire pas détaillés dans les contrats de ville.
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Valérie Létard. Nous avons bien entendu le Président de la République dire que les crédits seraient sanctuarisés. Il ne faudra pas qu’ils soient gelés en fin de parcours ! Nous l’avons vu en 2017. En 2018, il faut que la totalité des crédits soient au rendez-vous : sanctuarisés, ils doivent être disponibles tout au long de l’année.
M. le président. La parole est à Mme Annie Guillemot, au nom de la commission des affaires économiques.
Mme Annie Guillemot, au nom de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il me revient d’évoquer maintenant les conseils citoyens et le Nouveau programme national de renouvellement urbain, ou NPNRU. L’affirmation du principe de coconstruction avec les habitants est un axe majeur de la loi Lamy, qui trouve sa traduction au travers des conseils citoyens et des maisons de projet dans le cadre du NPNRU.
Le conseil citoyen a pour vocation de réunir, au sein d’une même instance, des habitants des quartiers tirés au sort et des représentants des associations, comme des acteurs locaux.
Certains élus ont pu faire preuve d’une certaine réticence à le mettre en place, notamment lorsque préexistaient dans certains territoires des instances de participation ou lorsque la mise en place de précédents dispositifs participatifs avait échoué. Ainsi, 1 054 conseils citoyens ont été recensés et trois quartiers prioritaires sur quatre sont couverts.
Néanmoins, le conseil citoyen nous a paru être encore une instance balbutiante. Son rôle demeure largement à conforter. Ainsi, l’articulation entre les conseils citoyens et les autres dispositifs de démocratie participative doit être précisée. Les moyens dont ils bénéficient, en termes de locaux, de budget et d’accompagnement, seront également décisifs pour éviter leur essoufflement. L’État doit maintenir une participation significative au fonctionnement de cette instance.
J’en arrive au programme national de renouvellement urbain, ou PNRU. À ce propos, il faut, me semble-t-il, noter que, au regard de la satisfaction unanime que recueille le PNRU, la loi Lamy a prévu la mise en œuvre d’un nouveau programme national de renouvellement urbain centré, en priorité, sur les quartiers présentant les dysfonctionnements urbains les plus importants. Ainsi, 216 quartiers ont été retenus. En complément, 274 quartiers dits « d’intérêt régional » ont été choisis, pour lesquels l’ANRU interviendra, mais dans une moindre mesure.
S’agissant du financement du NPNRU, chacun s’accorde à dire que l’enveloppe de 6 milliards d’euros était insuffisante. Les acteurs locaux nous ont fait part de leurs doutes sur l’ambition de ce programme et ont partagé leur crainte de voir leur projet contraint. Comment, dans ces conditions, mobiliser les habitants pour coconstruire le projet ?
Nous avons proposé, avec Valérie Létard, de porter le montant du NPNRU à 10 milliards d’euros et de rétablir la parité de financement entre l’État et Action Logement. Nous avons été partiellement entendues, puisque le projet de loi de finances prévoit que le montant du NPNRU soit porté à 10 milliards d’euros, dont un milliard d’euros, monsieur le ministre, sera financé par l’État.
Toutefois, les modalités de financement de ces 4 milliards d’euros supplémentaires ne sont pas actées à ce stade. S’il semble acquis, en effet, qu’Action logement participera à hauteur de 2 milliards d’euros supplémentaires, la participation des bailleurs sociaux est, pour l’heure, incertaine en raison des débats sur la réforme des aides personnalisées au logement, les APL, dans le parc social.
Nous espérons que ce doublement des crédits dédiés au NPNRU permettra, outre l’augmentation des enveloppes destinées aux quartiers d’intérêt régional, de mener des projets ambitieux de rénovation urbaine, qui porteront sur l’habitat, mais dépasseront le cadre du logement pour inclure l’aménagement et les équipements publics, dont les écoles.
Afin d’éviter une déperdition de concours financiers, nous souhaitons également rendre possible, pour ces quartiers d’intérêt régional, l’insertion, dans les conventions ANRU-région, d’une clause de revoyure qui permettrait, à mi-parcours, de redéployer des crédits au sein d’une région.
Nous avons en outre entendu de nombreuses critiques concernant ce fameux règlement du NPNRU. C’est la raison pour laquelle nous avons proposé plusieurs adaptations : une rationalisation des études demandées pour les projets de rénovation du NPNRU, qui s’inscrivent dans la continuité du PNRU, le réexamen du dispositif de scoring, qui pénalise les communes les plus vertueuses, ainsi que le réexamen des montants des aides octroyées aux bailleurs sociaux.
Nous espérons que l’augmentation du montant du NPNRU permettra ces assouplissements et que sera privilégié le recours aux subventions plutôt qu’à des prêts bonifiés, sous peine d’accroître plus encore l’endettement des communes.
J’en viens enfin à un aspect sur lequel nous voulons insister, ma collègue Valérie Létard et moi-même. Les politiques de peuplement nous paraissent essentielles à la réussite d’un projet de rénovation urbaine. Le NPNRU doit, plus encore que le premier programme de rénovation urbaine, favoriser la mixité sociale et fonctionnelle.
Pour favoriser cette mixité sociale, nous pouvons agir sur les attributions de logements sociaux, en veillant à ce que les ménages les plus modestes ne soient pas systématiquement orientés vers les quartiers faisant l’objet d’un programme de rénovation urbaine. À ce sujet, je dois vous l’avouer, nous craignons que, dans le cadre du projet « Un logement d’abord », tous les locataires en difficulté ne viennent dans les quartiers déjà en difficulté.
La mixité sociale suppose parfois de repenser entièrement le quartier en favorisant les démolitions et en acceptant ce que nous appelons des « jachères urbaines ». Nous croyons qu’il faut aussi prendre en compte cette situation.
Quant au traitement des copropriétés, il constitue l’un des défis majeurs du NPNRU. Nous souhaitons qu’il soit remédié à l’absence de recensement exhaustif des copropriétés situées dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, les QPV. En outre, nous estimons que des outils mieux adaptés doivent également être mis en place pour faire face à l’augmentation du nombre de copropriétés en difficulté.
En conclusion, monsieur le ministre, nous avons estimé que si la réforme de la politique de la ville était bien engagée, elle souffrait cependant d’un manque de moyens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi, tout d’abord, de saluer le travail réalisé par la commission des affaires économiques, qui avait, sous l’égide du président Lenoir, lancé ce rapport. Je veux aussi remercier les deux rapporteurs, qui se sont beaucoup investis sur cette question de la politique de la ville.
Je suis d’autant plus satisfait de m’exprimer devant vous ce soir que cette intervention s’inscrit, vous le savez, dans le prolongement de celle du Président de la République. Lors de son déplacement à Roubaix et à Tourcoing, ce dernier a souligné avec force l’importance qu’il accorde à la politique de la ville, dossier qui constitue selon lui une priorité nationale et nécessite une mobilisation de tous. Ainsi sera-t-il possible d’agir de la manière la plus efficace possible sur ces quartiers fragiles prioritaires dont un certain nombre se heurte, hélas, aujourd'hui à des problèmes particulièrement importants ; sans doute aurai-je l’occasion de revenir sur le sujet en répondant à vos questions.
La politique que nous entendons mener ne se situe pas en opposition aux politiques menées jusqu’alors. Je salue d'ailleurs la présence sur les travées de la Haute Assemblée de Patrick Kanner, qui a eu, lorsqu’il était ministre, la charge de ce dossier. De même, vous avez évalué le travail réalisé dans le cadre de ce qu’on a appelé, à juste titre, la loi Lamy.
Conscient de la somme de travail réalisé et considérant que la critique systématique des politiques menées en la matière serait inopportune, je n’entends pas faire le procès du passé… Je l’ai déjà dit à plusieurs reprises, nous sommes face à une responsabilité collective. Un certain nombre de quartiers posent aujourd'hui des problèmes considérables, pour ceux qui y vivent, au premier chef, mais aussi pour les élus locaux qui doivent quotidiennement faire face à la gestion de ces difficultés.
Nous allons, dans les deux mois qui viennent, travailler en collaboration avec Jean-Louis Borloo pour évaluer un certain nombre de problèmes et essayer de mettre en place des solutions. À défaut de tout changer d’un coup, elles nous permettront de commencer à agir le plus efficacement possible.
Le rapport établi au nom de la commission des affaires économiques contient vingt-sept propositions très claires sur des sujets importants pour la politique de la ville. Je commencerai par le point sur lequel vous avez conclu, madame Létard, les questions financières. Vous avez dit que, s’il y a de bonnes perspectives, la difficulté, ce sont les moyens financiers pour les mettre en œuvre. Mais existe-t-il un dossier qui échappe à cette équation ? (Sourires.)
Votre rapport évoque le programme 147. Nous avons pris l’engagement de sanctuariser ces crédits sur le quinquennat, et nous l’avons fait dès le projet de loi de finances pour 2018, dégageant à leur titre 448 millions d'euros.
Dans le cadre de votre recommandation n° 9, vous soulignez qu’il convient d’éviter le rabot. Le Gouvernement s’y est très clairement engagé. Ce que nous avons été dans l’obligation de faire en septembre dernier est la conséquence d’engagements qui n’avaient pas été financés. Nous prenons l’engagement de ne pas revenir sur ce point. Si tel n’était pas le cas, je ne doute pas que vous sauriez me le rappeler – je connais votre vivacité d’esprit ! (Sourires.)
Dans son discours, le Président de la République a repris l’une de vos propositions : il s’engage à mobiliser tous les ministères dans l’identification des crédits de droit commun. En effet, ce qui est demandé dans ces quartiers où les habitants aspirent à pouvoir vivre dans les mêmes conditions qu’ailleurs, c’est le retour au droit commun. Soyez assurées que nous nous employons à mobiliser tous les ministères pour y parvenir !
Parmi les domaines clairement identifiés par les habitants et les élus locaux, l’on trouve la sécurité. Dans un certain nombre de quartiers, en effet, la vie est devenue très difficile, compte tenu des incivilités – le terme est modéré ! Le Gouvernement entend répondre à cette situation en mettant en place la police de sécurité au quotidien.
J’en arrive à l’éducation, sujet dont je mesure l’importance. Pour m’être déjà déplacé à un certain nombre de reprises, je connais la situation. Je le sais, dans certains quartiers, nombre de parents ne parlent pas le français et il y a 60 % d’allophones. Cela nécessite bien évidemment des mesures spécifiques, que nous avons d'ailleurs commencé à prendre dès cette rentrée avec le dédoublement des classes dans les zones REP +, qui se recoupent assez largement avec les quartiers prioritaires.
Dans la même perspective, nous allons encourager les internats et affichons notre volonté d’assurer un vrai stage à l’issue de la classe de troisième. Des crédits importants sont fléchés pour permettre une politique de formation ambitieuse.
Toujours sur le plan de la lutte contre le chômage, nous allons procéder, dès l’année 2018, à une expérimentation sur les emplois francs dans un certain nombre de quartiers représentant 25 % de la population des quartiers prioritaires. Nous tirerons les leçons de l’expérience précédente, qui n’avait pas été un succès, pour faire en sorte que ces nouveaux emplois francs aient un réel impact positif.
Les services publics constituent un autre volet de notre politique de la ville. Il n’est pas concevable, mais c’est pourtant la réalité, qu’ils aient disparu, ou soient, en tout cas, moins importants qu’ils ne devraient l’être, dans bon nombre de ces quartiers. C’est le cas, par exemple, de La Poste, comme de certains commissariats et d’un nombre non négligeable de services publics.
Au sujet de la politique de restructuration de ces quartiers et du NPNRU, que vous avez évoqué, le Gouvernement a décidé d’y consacrer 1 milliard d'euros. J’ai signé à midi, à quelques minutes près, un protocole d’accord avec Action Logement, qui s’engage à investir 2 milliards d'euros.
Au terme des signatures ou engagements passés, nous en sommes déjà à 8 milliards d'euros, et je ne désespère pas du tout que nous arrivions finalement, même si l’accouchement s’effectue un peu dans la douleur (Sourires.), à trouver une solution avec les bailleurs sociaux pour boucler ce budget à 10 milliards d'euros. Nous répondrions ainsi au souhait très clairement exprimé, tant par les collectivités que par les auteurs du rapport, tous conscients qu’il est absolument indispensable de maintenir une action forte.
Je dirai pour conclure, puisqu’il me reste seulement quelques secondes de temps de parole, que tout cela doit se faire et se fera dans un processus de coconstruction et de rassemblement, au-delà des sensibilités diverses. En décidant de proposer la présidence de l’ANRU à Olivier Klein, maire de Clichy-sous-Bois, nous lançons d'ailleurs un message clair. Sur un tel dossier, compte tenu de la situation particulièrement grave dans quelques dizaines de quartiers, où il faut mener une action très forte et rapide, nous sommes conscients de la nécessité de rassembler au maximum et de travailler ensemble pour apporter des solutions.
Je vous ai d'ailleurs entendu rappeler il y a quelques minutes que nous devons prêter attention à la démographie et au renouvellement des populations. Le plan « logement d’abord » ne doit pas vous inquiéter. Je suis tout à fait conscient qu’il est nécessaire de favoriser la mixité sociale. S’il y a construction, et il y aura construction de 10 000 pensions de famille supplémentaires et de 40 000 logements d’intermédiation locative, nous tiendrons compte de la nécessaire mixité.
M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre.
M. Jacques Mézard, ministre. Monsieur le président, je vous écoute et j’en termine donc par ces propos à la fois rassurants et optimistes ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche. – M. Patrick Kanner et Mme Cécile Cukierman applaudissent également.)
Débat interactif
M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que les auteurs de questions disposent chacun de deux minutes au maximum, y compris la réplique. Le Gouvernement a la possibilité d’y répondre pour une durée équivalente.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Dany Wattebled, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Dany Wattebled. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, le Président de la République est intervenu, le 14 novembre dernier, dans la métropole européenne de Lille, pour fixer le cap d’une politique de la ville renouvelée.
Depuis quarante ans, tous les gouvernements se sont évertués à trouver des solutions, afin de gommer les inégalités entre la périphérie et le centre de nos métropoles. Pourtant, aujourd'hui encore, plus de 5 millions de nos concitoyens vivent dans des quartiers dits « de géographie prioritaire », dont le revenu moyen par habitant est inférieur de 60 % au revenu médian, c'est-à-dire à 11 250 euros par an.
Les collectivités locales et leurs élus sont en première ligne du combat quotidien pour faire en sorte que ces territoires, et surtout leurs habitants, ne décrochent pas totalement.
Je m’appuierai sur le cas de la métropole européenne de Lille pour illustrer le travail des pouvoirs publics locaux. La métropole européenne de Lille pilote l’un des plus importants contrats de ville français. Il concerne 360 000 habitants. Ce contrat de ville inclut un programme de renouvellement urbain à dix ans. Dans ce cadre, 7 000 logements devraient être traités, qu’ils soient détruits, reconstruits ou réhabilités.
Des incertitudes pèsent sur ce programme, dont les deux tiers dépendent des capacités d’autofinancement ou d’emprunt des bailleurs, notamment à cause d’un manque de visibilité.
Monsieur le ministre, ma question porte sur les modalités de mise en œuvre des annonces du Président de la République et sur la place qui sera faite aux collectivités locales.
Sur la forme, dans la définition du plan de bataille voulu par le Président de la République et pour lequel il a confié une mission à M. Jean-Louis Borloo, quelle place sera faite aux collectivités locales et, en premier lieu, aux intercommunalités, qui sont les pilotes de ces contrats de ville ?
Sur le fond, le Président de la République a annoncé le doublement du budget de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, qui passerait de 5 milliards d'euros à 10 milliards d'euros.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Dany Wattebled. Dans quel cadre sera mobilisée l’enveloppe supplémentaire et quelle sera sa destination ? Qui aura la maîtrise sur le terrain de cette enveloppe supplémentaire ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur, vous m’avez interrogé sur la place qui sera faite aux collectivités locales dans ce dossier particulièrement important.
On ne peut agir sur la politique de la ville qu’en collaboration et en coconstruction avec les collectivités locales. Je n’imagine pas qu’il puisse en être autrement ! En effet, je l’ai dit il y a quelques minutes, ce sont nos collègues élus locaux qui sont directement au contact des difficultés, puisqu’ils gèrent leurs collectivités. Il est évident que nous allons – nous le faisons dès aujourd'hui lors de nos discussions – construire avec eux.
De plus, les collectivités locales, quelles que soient les strates, ont un impact important et indispensable sur la politique de rénovation de ces quartiers. Vous ne devez donc ressentir aucune inquiétude à ce sujet.
Le Gouvernement a la volonté de travailler avec les collectivités. Le Président de la République a décidé de mettre en place un conseil présidentiel de la ville. Il fait ainsi la démonstration d’une volonté très forte de faire de ce dossier un enjeu national. Ce conseil devrait se réunir à l’Élysée tous les trois mois. Il est bien évident – cela a déjà été le cas – que nombre d’élus en charge de ces quartiers y seront représentés. Nous travaillerons avec eux.
J’en viens au programme ANRU. Les dossiers sont bien évidemment déjà en cours de finalisation. Le processus se poursuivra, je le rappelle tout de même, jusqu’en 2031, ce qui nous laisse un peu de temps pour les signatures ! (Sourires.) Je souhaite, cela va de soi, que nous allions le plus vite possible. (M. Yvon Collin applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Jean-Pierre Corbisez. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ma question concerne les critères retenus pour le classement des quartiers relevant de la politique de la ville, s’agissant, en particulier, des revenus pris en compte.
Aux termes de la loi de programmation de 2014, le QPV correspond à un espace urbain continu regroupant au moins 1 000 habitants et dont le revenu médian est défini comme critère unique de classification.
Or la référence à ce revenu médian apparaît aujourd'hui pénalisante pour des communes avec des quartiers très défavorisés et les fait sortir de la classification QPV issue de la nouvelle géographie. En effet, d’une certaine manière, des méthodes de calcul du revenu moyen médian neutralisent certes les plus hauts revenus, mais aussi tous les bas revenus, ainsi que les minima sociaux.
C’est ainsi que dans ma commune, l’une des plus pauvres de France, le passage au revenu médian a exclu un quartier anciennement classé.
Cette méthode du revenu médian fait en effet, monsieur le ministre, mes chers collègues, ressortir les quartiers qui font plus de 1 000 habitants, regroupés dans des « carreaux » contigus de 200 mètres de côté et qui concentrent les populations ayant de faibles revenus. Or le territoire de l’ex-bassin minier du Nord-Pas-de-Calais se caractérise par un habitat spécifique en « cités », nettement moins dense que les barres HLM, et par une pauvreté diffuse : l’écart entre les revenus est donc moins important que dans d’autres territoires entre ces quartiers et le reste de la ville. Vous admettrez que cette double peine est difficile à admettre pour les élus locaux !
L’approche antérieure à 2014, fondée sur des critères multiples – minima sociaux, taux de familles monoparentales, taux de chômage, pourcentage de la population sans diplômes… – était donc plus juste, parce que plus proche de la réalité.
Je souhaite donc savoir, monsieur le ministre, si vous entendez intervenir auprès des services de Bercy afin de faire évoluer les critères de classification. Dans la négative, envisagez-vous des mécanismes correctifs ?
J’ajoute, pour conclure, que cet infléchissement de la législation serait en cohérence avec les engagements pris par l’État dans le cadre de l’engagement pour le renouveau du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais signé en mars dernier par le Premier ministre, M. Bernard Cazeneuve. (M. Yvon Collin applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur des critères qui ont été définis par la loi de 2014. Dans ce texte, il est mentionné qu’il n’est pas prévu d’actualisation de la géographie prioritaire avant 2020, ce qui correspondra à l’achèvement de la nouvelle génération des contrats de ville, afin que ceux-ci puissent produire tous leurs effets.
Convenez que cette définition de la géographie prioritaire sur la base d’un critère unique permet tout de même de faciliter son actualisation. Dès lors que la définition d’une politique demande la prise en compte de certains critères, nous entendons protester ceux qui ne répondent pas exactement à ce cadre et considèrent qu’il faut le revoir… Nous en avons récemment fait l’expérience en matière de revitalisation rurale sur les zones de revitalisation rurale, ou ZRR. Là, c’est un peu la même chose.
Je veux, sinon vous rassurer, du moins vous dire que nous sommes très attentifs à ce qui se passe sur votre territoire. Vous avez rappelé le contrat concernant le bassin minier signé par le Premier ministre Bernard Cazeneuve au mois de mars 2017.
J’ai eu l’occasion de le dire, y compris en répondant à des questions d’actualité, lors de son passage à Amiens, le Président de la République a souligné que l’intention du Gouvernement était de respecter intégralement ce contrat. Si ma mémoire est bonne, ce dernier prévoit aussi la rénovation de 23 000 logements, ce qui n’est pas rien. Nous ferons en sorte que l’engagement pris par le Premier ministre Bernard Cazeneuve soit respecté. (M. Yvon Collin applaudit.)