M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert.
Mme Sylvie Robert. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « la jeunesse n’est qu’un mot », disait Bourdieu. Nous nous accorderons tous en tout cas à dire qu’elle est une chance.
D’abord, parce qu’elle est extrêmement diverse : ses origines multiples, qu’elles soient sociales, culturelles ou géographiques, sont autant d’ouvertures au monde, de projets en devenir foisonnants, de lendemains prometteurs qui ne ressembleront pas aux constructions d’hier.
Ensuite, elle reste, dans son ensemble, profondément volontariste et lucide. Malgré certains discours ambiants, où ne jaillissent que nostalgie et angoisses quant à l’avenir, elle résiste, elle s’adapte et plonge dans le présent ainsi que dans le futur, cette « parcelle plus sensible de l’instant », comme l’écrivait Paul Valéry.
Si 78 % des jeunes sont aujourd’hui optimistes quant à leur devenir, ils sont en revanche majoritairement pessimistes sur les sujets qui touchent le monde. Ils ont conscience des problèmes actuels. D’ailleurs, nombre d’entre eux y font face ; ils acceptent le monde tel qu’il est et sont prêts à l’affronter.
S’il y a tant d’initiatives de la part de notre jeunesse, que ce soit dans les domaines de l’entreprise, des arts, du sport, de l’environnement ou de l’engagement, c’est grâce à ce réalisme et à cet optimisme de la volonté, qui nourrissent ce désir de transformer le monde, de l’améliorer, de mieux vivre tout simplement. Albert Camus écrivait que « chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde ». Si une partie de la jeunesse est en capacité de le faire, une autre n’a même pas la possibilité de s’y projeter.
Au fond, ce n’est pas une affaire d’ancien ou de nouveau monde. C’est plutôt une affaire de sens. Quel sens donner au monde ? Quel sens donner à ses propres engagements ? Je crois que les jeunes générations ont une conscience particulièrement aigüe et se posent constamment ces questions. Probablement est-ce cette quête permanente de sens qui les conduit à imaginer, concevoir et entreprendre tant d’initiatives, sans être tétanisés d’emblée par le risque d’échec.
C’est pourquoi nous avons une responsabilité collective envers la jeunesse, et je dirai même envers toute la jeunesse : celle de lui offrir les meilleures conditions pour apprendre, comprendre et réaliser ses projets. En un peu moins de quarante ans, la France a réussi son pari d’amener nombre d’élèves d’une même classe d’âge au baccalauréat, le taux de réussite passant de 64 % en 1980 à presque 90 % en 2017.
Naturellement, cette massification de l’enseignement secondaire, ajoutée au baby-boom des années 2000, se reporte sur l’enseignement supérieur, si bien que l’un des plus grands défis auquel est aujourd’hui confrontée la Nation est sa capacité à accueillir, à former convenablement tous les jeunes qui désirent légitimement poursuivre leurs études et à les insérer dans la société.
Il faut le rappeler, le droit d’accès à l’enseignement supérieur demeure un principe cardinal, qui est à réaffirmer. Or la situation présente n’est pas satisfaisante. Outre les chiffres qui ont été rappelés par mes collègues et qui témoignent de l’essoufflement de notre modèle, il faut ajouter la pratique injuste du tirage au sort et certaines conditions d’accueil inacceptables, par manque de places. Ce constat nous fait comprendre qu’il n’est plus possible de poursuivre dans cette voie.
Madame la ministre, vous avez présenté la réforme que vous souhaitez mettre en œuvre afin de favoriser la réussite étudiante. Je ne m’y appesantirai pas, dans la mesure où nous débattrons prochainement, c’est-à-dire au début de l’année prochaine, de ce projet de loi dans l’hémicycle.
En revanche, j’attire votre attention sur un constat partagé par nombre d’acteurs universitaires, et en particulier le président de la Conférence des présidents d’université, selon lequel « le projet de loi de finances pour 2018 ne peut être, en l’état, considéré à la hauteur des enjeux par les universités. »
Certes, le Gouvernement effectue un effort en augmentant les crédits affectés à l’enseignement supérieur d’environ 1,5 %, soit 190 millions environ, complétés, à l’Assemblée nationale, par l’ouverture de crédits, à hauteur de 15,5 millions d’euros, en faveur des formations supérieures et de la recherche universitaire. Néanmoins, cette hausse est malheureusement en deçà des 250 millions d’euros qui seraient nécessaires en vue d’accueillir décemment de 30 000 à 40 000 nouveaux étudiants.
Plus substantielle à moyen terme, la démographie étudiante, particulièrement dynamique cette dernière décennie, avec 300 000 étudiants supplémentaires depuis 2007, restera très vigoureuse, puisque les projections font état d’une augmentation de 300 000 élèves d’ici à 2025.
Autrement dit, il se révèle primordial que les moyens alloués à l’université continuent de croître intensément pendant cette période. Je doute que le milliard d’euros annoncé pour financer votre réforme, sur l’ensemble du quinquennat, soit suffisant… Si tel n’est pas le cas, la responsabilité collective que j’évoquais en introduction, et qui a pour finalité de créer un environnement propice au succès de nos étudiants, commandera de trouver des financements supplémentaires. Quoi qu’il en soit, la réforme et l’accroissement des effectifs ne doivent pas peser sur le budget de fonctionnement des universités, déjà notoirement mis à mal.
Par ailleurs, notre jeunesse est attachée à la promesse méritocratique. Les bourses sur critères sociaux ont connu une hausse continue lors du précédent quinquennat et sont encore en progression cette année. Veillons donc à ne pas en diminuer le nombre dans les années qui viennent.
Pour autant, les inégalités sont toujours patentes. En effet, si le taux d’élèves boursiers atteint 40 % en première année dans certaines universités, il n’est plus que de 10 % à 12 % en master. Cette statistique n’est pas si surprenante : elle n’est que la continuité de l’étude PISA, qui conclut que notre système éducatif, sans être déficient, est le plus inégalitaire parmi ceux de l’OCDE. Une politique éducative de rééquilibrage, qui part du primaire jusqu’au supérieur, est donc impérieuse.
En corollaire, le plan pour la vie étudiante que vous avez décliné, madame la ministre, a le mérite de s’attaquer à certaines barrières susceptibles d’empêcher les étudiants de suivre le cursus voulu : le logement, la santé, la complexité à concilier études et emploi rémunéré, enfin la mobilité, facteur vraisemblablement le plus discriminant et le plus violent.
Quant à la recherche, elle constitue bien sûr les promesses de demain. Depuis les travaux de l’économiste Paul Romer, l’importance de la recherche pour la croissance, le développement et le rayonnement d’un pays est démontrée. À l’heure où l’économie et la société sont de plus en plus régies par la connaissance, ainsi que par l’exploitation de données, la recherche a un rôle encore plus fondamental.
D’ailleurs, la stratégie Europe 2020 incite chaque État de l’Union européenne à consacrer 3 % de son PIB à la recherche. En France, l’investissement intérieur se situe encore aux alentours de 2,3 %, mais félicitons-nous que le budget pour 2018 de la recherche croisse d’environ 3,5 %.
Certaines baisses nous interpellent. Ainsi, la recherche culturelle et la culture scientifique accusent une baisse de 6,2 % de leurs crédits. Parmi les objectifs de ce programme figure en particulier la promotion auprès du public de la culture scientifique, technique et industrielle, la CSTI, singulièrement par l’intermédiaire d’Universcience, dont le budget diminue dans le cadre de ce projet de loi de finances.
La CSTI n’échappe plus aux remises en cause postmodernes et aux campagnes de désinformation. Par exemple, il est intéressant de citer les polémiques incessantes autour du réchauffement climatique ou de l’efficacité des vaccins. Ainsi la stratégie nationale de CSTI, portée avec volontarisme par notre ancienne collègue Dominique Gillot, a-t-elle pour objet d’améliorer l’accessibilité et la diffusion de cette culture. Elle cible la population française dans son ensemble, mais se focalise principalement sur un public prioritaire, les jeunes de 3 ans à 20 ans.
Parmi les thématiques transversales retenues, je citerai notamment l’égalité entre les femmes et les hommes. Selon moi, si la CSTI est un enjeu scientifique essentiel, elle est aussi devenue un enjeu éducatif et sociétal.
L’accès aux savoirs et leur diffusion passent par les bibliothèques universitaires. Mes chers collègues, vous connaissez mon attachement aux bibliothèques, quelles qu’elles soient. Lors de nos échanges en commission, vous avez expliqué, madame la ministre, les raisons de l’effritement du plan Bibliothèques ouvertes +. Parallèlement, vous avez soutenu l’idée de faciliter l’emploi des étudiants dans les bibliothèques universitaires. Sur ce sujet, peut-être pourrait-il y avoir des dispositions législatives au sein du projet de loi relatif à l’orientation et à la réussite des étudiants ?
Enfin, je suis convaincue que l’avenir de la recherche est éminemment européen. Les États qui investissent le plus dans la recherche et le développement font émerger des champions pointus à l’extrême dans leur domaine de compétences. La coopération européenne existe déjà, avec le laboratoire européen pour la physique des particules, le laboratoire européen de biologie moléculaire ou encore l’agence spatiale européenne, qui en est peut-être l’illustration la plus aboutie.
Pour autant, il serait probant d’aller plus avant dans cette coopération. Tout d’abord, la mutualisation des ressources humaines et financières accélère le processus de recherche. Ensuite, avec l’avènement de l’intelligence artificielle, qui irrigue tous les secteurs d’activité, il pourrait s’avérer pertinent de coordonner les efforts de recherche à l’échelle européenne, afin d’éviter que des pays n’investissent massivement dans les mêmes directions et n’aboutissent aux mêmes découvertes. Piloter les spécialisations aurait la vertu de faire émerger des champions européens par domaine d’activité.
Madame la ministre, vous avez conforté, voire fait progresser, deux budgets essentiels qui représentent l’avenir de la Nation. Si nous soutenons votre ambition pour l’enseignement supérieur, nous restons néanmoins perplexes quant à l’adéquation des moyens avec cette ambition. C’est pourquoi notre groupe s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia.
Mme Catherine Procaccia. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que de nombreuses missions, dans le cadre de ce projet de budget pour 2018, sont mises à contribution pour participer à l’effort de diminution de la dépense publique, le groupe Les Républicains se félicite que les crédits consacrés à la recherche soient globalement en hausse de 4,6 %, comme l’ont rappelé les rapporteurs.
Cet effort était indispensable, car la recherche a clairement été la mal-aimée du précédent gouvernement, dans lequel l’enseignement supérieur et la recherche ne disposait même plus d’un ministère à part entière !
Pour autant, suffira-t-il à faire revenir nos nombreux chercheurs installés à l’étranger et à retenir ceux qui envisagent de partir vers des pays où l’instabilité en matière de financements et, surtout, l’énergie qu’ils doivent consacrer pour les décrocher est moindre ? Je le souhaite, mais nos chercheurs auront besoin de plusieurs années pour être enfin rassurés sur la place que la France entend réellement leur donner.
Je ne citerai que le cas emblématique d’Emmanuelle Charpentier. Formée en France, elle a découvert avec l’Américaine Jennifer Doudna le système CRISPR-Cas9, utilisé maintenant dans les laboratoires du monde entier, qui révolutionne l’ingénierie du génome humain, animal et végétal. Après la Suède et les États-Unis, c’est à l’Institut Max Planck qu’elle travaille, n’ayant pas pensé un seul instant revenir en France.
Tous ces pays ont sans doute la chance de ne pas bénéficier du filtre de l’ANR, l’Agence nationale de la recherche ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.) Cette agence vise normalement à promouvoir la recherche scientifique. C’est notre principal opérateur du financement sur appels à projets et pour les programmes d’investissements d’avenir, les PIA. Nous saluons les 134 millions d’euros attribués pour 2018, qui lui permettent seulement de retrouver son niveau de crédits de 2011.
Autant que la faiblesse des crédits qui lui étaient affectés, c’est la procédure de sélection des appels à projets – moins de 12 % d’entre eux étaient retenus – qui a fini de décourager les équipes de chercheurs et provoqué des démissions, et même une fronde des prix Nobel.
Le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, Daniel Dubois, semble désormais avoir des certitudes concernant la révision du processus de sélection des projets par l’ANR. Il faut l’espérer ! Pour ma part, depuis des années, je n’entends que des chercheurs qui n’y croient plus et ne peux que constater les échecs de certains.
Ainsi en est-il des projets de recherche sur la dépollution des sols antillais contaminés par la chlordécone, un dossier que je suis depuis longtemps. Pour mes collègues, je précise que cette molécule, utilisée jusque dans les années soixante-dix comme pesticide dans les bananeraies des Antilles, continuera à polluer les sols pendant 250 ans à 700 ans. Elle semble avoir des incidences sur les cancers de la prostate.
Il a fallu fermer toutes les piscicultures, mais aussi interdire la pêche dans certaines baies. Pour des îles, c’est une catastrophe, d’autant que, jusqu’à présent, aucune solution n’a été trouvée et que les quelques équipes de chercheurs ayant soumis un projet n’ont pas été encouragées par l’ANR, alors que le plan Chlordécone était prioritaire pour le Gouvernement.
J’évoquerai maintenant la recherche spatiale. La France est non seulement le premier contributeur, devant l’Allemagne et le Royaume-Uni, de l’ESA, l’Agence spatiale européenne, mais aussi, sans chauvinisme aucun, son principal moteur.
Dans la mesure où les rapporteurs l’ont évoquée, je ne reviendrai pas sur l’augmentation de 10,6 % des crédits du programme ni sur la légère baisse de ceux qui sont alloués au CNES, le Centre national d’études spatiales, au profit de l’ESA. La double présidence, assumée par Jean-Yves Le Gall, est de nature à rassurer tous ceux qui, comme moi, soutiennent la recherche et l’industrie spatiale française, cette dernière ne pouvant se développer que dans le cadre européen.
Depuis la conférence de Naples, en 2012, l’industrie spatiale européenne a su se structurer, avec un maître d’œuvre principal pour les lanceurs, Airbus Group, et trois maîtres d’œuvre concurrents pour les satellites, Airbus, Thales et l’allemand OHB.
Le programme des lanceurs spatiaux et le centre spatial guyanais, confortés dans ce budget, doivent permettre d’assurer à l’Europe son indispensable autonomie d’accès à l’espace. J’espère que les 133 millions d’euros prévus en 2018 pour les systèmes spatiaux de télécommunications et Galileo seront suffisants.
Comme notre rapporteur Daniel Dubois, je trouve que l’ESA a été bien longue à faire la promotion du GPS européen, qui est beaucoup plus précis que les systèmes américains et russes et qui, surtout, nous assurera une autonomie. Les signaux ne dépendant pas de puissances étrangères, ils ne pourront être interrompus par ces dernières.
Si, par le passé, je me suis interrogée sur l’opportunité de continuer à financer la station spatiale internationale, la belle opération de promotion de l’espace menée à l’occasion de la mission de Thomas Pesquet me fait dire qu’elle vaut bien 240 millions d’euros.
Je profite de ce chapitre, madame la ministre, pour vous faire part d’une recommandation que j’émets depuis plus de six ans dans le cadre de l’OPECST, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques : le ministère de la recherche et de l’enseignement supérieur doit réintégrer le terme « espace » dans son intitulé.
Mme Sophie Primas. Ah oui !
Mme Catherine Procaccia. Mon dernier point portera sur la recherche industrielle. Mes propos seront à la fois plus critiques et plus interrogatifs, car, en ce domaine, l’érosion du soutien que l’on constate depuis plusieurs années n’est pas freinée dans ce projet de loi de finances.
Ainsi en trois ans, le financement des activités de recherche des SRC, les structures de recherche sous contrat, géré par Bpifrance, est tombé de 50 % à moins de 9 %, alors que l’aide publique à leurs homologues européens se situe entre 50 % et 100 %. C’est le développement technologique en faveur de l’industrie qui est fortement pénalisé, donc l’avenir de notre compétitivité. Je ne comprends pas les raisons d’une telle pénalisation, madame la ministre, et vous remercie de bien vouloir m’éclairer sur ce point.
Sous réserve des éléments de réponses que vous apporterez aux rapporteurs et à mes interrogations, le groupe Les Républicains votera en faveur de ce budget. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Piednoir. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à la lecture des différents rapports et interventions relatifs aux crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur », il ressort un sentiment assez général, partagé par la plupart des groupes politiques de notre assemblée, de bienveillance globale.
Il me semble en effet que nous sommes nombreux sur ces travées à considérer que ce budget a été construit sur des bases de sincérité, avec la volonté de répondre aux importants enjeux liés à cette mission.
En hausse de 2,7 % sur les autorisations d’engagement, ce premier budget du quinquennat vise d’abord à digérer les dernières mesures salariales prises l’an dernier, il est vrai en pleine période électorale. Il envoie aussi un signal positif aux élèves et étudiants de notre pays, au moment même où vous présentez un plan Étudiants, sur lequel je reviendrai.
Toutefois, cette bienveillance s’accompagne d’une vigilance. Je veux tout d’abord souligner l’augmentation constante des effectifs dans l’enseignement supérieur. Avec les pics démographiques des années 2000 et 2001, et de façon encore plus accentuée entre 2005 et 2014, il s’agit surtout de prendre en compte l’évolution positive du nombre de bacheliers et du taux de poursuite dans l’enseignement supérieur. Pour ne donner qu’un chiffre, la projection du ministère fait apparaître 361 000 inscriptions supplémentaires à la rentrée 2025, comparativement à 2015.
Comme il est indiqué dans le rapport pour avis de Jacques Grosperrin, c’est le signe d’un dynamisme évident et aussi la promesse d’une réussite pour notre pays. Chacun le sait ici, gouverner, c’est prévoir. Il est donc légitime de s’interroger sur les moyens mis en œuvre par le Gouvernement pour répondre à cette augmentation.
Par ailleurs, chacun le sait également, la répartition des étudiants par filière est très inégale. Elle ne répond pas toujours à des besoins réels en termes de débouchés et conduit à des tensions récurrentes.
Nous touchons là au délicat sujet de l’orientation, à propos duquel je valide pleinement à la fois les diagnostics et les préconisations de l’excellent rapport réalisé l’an dernier par Guy-Dominique Kennel.
Madame la ministre, je partage les objectifs d’accompagnement et de meilleure orientation des élèves, notamment pour pallier le taux d’échec important en licence, constaté de manière si régulière depuis plusieurs décennies. Le processus d’orientation s’inscrit dans un temps long. Il doit évidemment tenir compte des aspirations de chaque élève, mais nécessite aussi une analyse de ses aptitudes à suivre tel ou tel cursus.
Dès lors, permettez-moi de douter de l’efficacité de certaines mesures du plan Étudiants, prises dans la précipitation, notamment la désignation d’un second professeur principal dans chaque classe de terminale, dans un délai très contraint, alors même que, pour cette mission chronophage et peu valorisée, on peine à trouver suffisamment de volontaires.
Pas plus tard qu’hier, lors d’une réunion de la commission de la culture, Philippe Vincent, secrétaire général adjoint du SNPDEN, le Syndicat national des personnels de direction de l’éducation nationale, nous apprenait que seuls 15 % des proviseurs de lycées avaient recruté, à ce jour, ce second professeur principal.
Quand allons-nous cesser de faire faire aux professeurs tout et n’importe quoi, sans formation préalable ? Pourquoi oublier délibérément dans ce dispositif les conseillers d’orientation-psychologues ? Cela traduit-il la volonté de faire disparaître cette profession ? Voilà beaucoup d’interrogations auxquelles le plan Étudiants ne répond pas.
Une orientation réfléchie doit aussi se traduire par une affectation cohérente. Quoi qu’on en dise, la procédure APB, admission post-bac, a rendu dans ce domaine les services attendus lors de sa mise en place. Elle est victime aujourd’hui d’effectifs devenus trop importants. Il ne faut pas pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain. À titre personnel, je ne suis pas de ceux qui pensent que l’ancien monde n’a que de mauvais côtés !
Mme Françoise Gatel. Très bien !
M. Stéphane Piednoir. Une chose est sûre : personne ne pouvait accepter que perdure le tirage au sort effectué cet été encore pour attribuer des places dans quelques filières sous tension. Comment expliquer en effet à un bachelier ayant obtenu une mention « très bien » que sa candidature n’a pas été retenue, au bénéfice d’un camarade moins méritant ?
Sur la forme, madame la ministre, vous aurez sans doute contenté un certain nombre d’internautes en leur laissant choisir le nom – ParcourSup – de la prochaine procédure d’admission dans le supérieur. Au-delà de cet exercice participatif et, disons-le, quelque peu accessoire, le nouveau système proposé, pour ce que l’on en sait, c’est-à-dire pas grand-chose, inquiète les différentes parties concernées, alors que le calendrier s’annonce des plus serrés.
Il inquiète les élèves de terminale, qui n’ont que très peu d’informations sur les modalités de formulation des vœux, sur les conséquences de l’absence de classement de ces vœux et, in fine, sur la décision des établissements d’accueil.
Il inquiète également les professeurs et proviseurs de lycées, qui auront la lourde tâche, dans quelques semaines, d’expliquer le fonctionnement de la nouvelle plateforme aux élèves et à leurs parents.
Il inquiète enfin les établissements de l’enseignement supérieur, qui peinent parfois à recruter suffisamment d’étudiants. Je pense ici aux classes préparatoires, que je connais bien, puisque, il y a encore deux mois, j’enseignais au sein de l’une d’elles.
En remplaçant l’algorithme de tri d’APB par un algorithme de temps, certaines de ces classes, parmi les moins prestigieuses, devront attendre fébrilement les réponses positives des futurs bacheliers, sans aucune visibilité sur leurs effectifs à la rentrée. J’y vois une menace sur le maintien de cette spécificité française, qui conditionne les parcours d’excellence que nombre de pays nous envient.
Sur le fond, la procédure ne sera pleinement efficiente que si les places offertes dans l’enseignement supérieur correspondent à un réel besoin pour notre pays. On peut évidemment concevoir que le souhait de chaque candidat soit une composante essentielle, mais le rôle des gouvernants est d’avoir une vision globale et de fixer le cap.
Il faut donc en finir avec le sacro-saint droit à l’université pour tous. Bien sûr, il y a des parcours scolaires atypiques ; bien sûr, il faut laisser la place au droit à l’erreur d’aiguillage. Mais cessons de nier l’évidence des inscriptions fantaisistes au sein de nos universités ! Vous avez fait un pas en suggérant – que dis-je, en susurrant ! – que des attendus pourraient être exigibles à l’entrée à l’université. La sémantique a été soignée pour éviter même le terme de prérequis…
Pour ma part, je considère que la sélection n’est pas une vilenie, que cela constitue même un service à rendre à tous ceux qui subissent deux ou trois années d’échec. Tout cela a un coût important, de 10 000 euros par étudiant, que vous n’ignorez évidemment pas. En ces temps de recherche d’efficience budgétaire, il est de votre responsabilité de mener cette réflexion jusqu’au bout.
Une autre mesure régulièrement repoussée, parfois pour de bonnes raisons, souvent par dogmatisme, consisterait à revaloriser les droits d’inscription. Là aussi, j’ai noté sur ce sujet récurrent une certaine convergence au sein de la commission des finances. Il y va de la compétitivité de nos universités, qui peinent aujourd’hui à rivaliser sur le plan mondial. L’autonomie ne suffit pas, il faut permettre aux universités d’avoir les moyens de leurs ambitions.
Une telle hausse des droits d’inscription devrait, bien sûr, s’accompagner d’une augmentation compensatrice des bourses sur critères sociaux pour les familles modestes. Elle ne devra pas être un prétexte, pour l’État, à se désengager. Peut-être pourriez-vous, madame la ministre, clarifier la position du Gouvernement sur ce point ?
Enfin, le Gouvernement a annoncé une réforme du baccalauréat. Je forme le vœu que celle-ci soit ambitieuse, pour redonner de la valeur à ce premier diplôme de l’enseignement supérieur. L’un de mes collègues du lycée où j’enseignais avait ce bon mot pour décrire la situation actuelle de cette évaluation : « Il ne faut jamais sous-estimer la capacité du bac à se faire avoir ». Au-delà de la boutade, cette formule traduit le mal-être profond de certains professeurs.
En diluant les enseignements, en multipliant les options obligatoires ou facultatives, on a donné la possibilité d’obtenir le baccalauréat sans valider ses connaissances dans les matières fondamentales. Pis, aucun contrôle d’assiduité ne vient réellement faire obstacle à certains élèves, qui, en dépit d’absences injustifiées répétées, peuvent se présenter aux épreuves et obtenir ce sésame pour l’enseignement supérieur.
Un enseignement de qualité ne peut être dispensé que par des professeurs motivés et convaincus de l’utilité de leurs cours. J’espère que ce modeste témoignage pourra trouver un écho dans la réflexion qui sera menée pour réformer cette institution. Puissions-nous éviter, cette fois, un nivellement par le bas !
Madame la ministre, réformer l’enseignement supérieur pour permettre une meilleure orientation et une meilleure réussite des étudiants est une belle ambition, que nous partageons. Un grand chantier a débuté avec le plan Étudiants, pour lequel vous avez augmenté les crédits de la MIRES, la mission interministérielle recherche et enseignement supérieur, que nous votons aujourd’hui.
Pour l’exercice budgétaire à venir et les suivants, nous serons vigilants et veillerons à ce que leur utilisation réponde de manière effective aux enjeux majeurs auxquels nous devons répondre, dans l’intérêt de notre jeunesse. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.