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Candidatures à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures ont été publiées pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte commun sur le projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
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Libre-échange entre l’Union européenne, l’Australie et la Nouvelle-Zélande
Adoption d’une proposition de résolution européenne dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande de la commission des affaires économiques, de la commission des affaires européennes et de la commission des affaires étrangères, de la proposition de résolution au nom de la commission des affaires européennes, en application de l’article 73 quater du règlement, sur les directives de négociation en vue d’un accord de libre-échange entre l’Union européenne et l’Australie, d’une part, et la Nouvelle-Zélande, d’autre part, présentée par MM. Pascal Allizard et Didier Marie (proposition n° 229, rapport n° 301).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le président de la commission des affaires européennes, en remplacement de MM. Pascal Allizard et Didier Marie, auteurs de la proposition de résolution et rapporteurs pour avis.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, en remplacement de MM. Pascal Allizard et Didier Marie, auteurs de la proposition de résolution et rapporteurs pour avis de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires économiques, mes chers collègues, c’est la première fois que nous sommes amenés à débattre en séance publique de mandats de négociation concernant des accords de libre-échange avant leur adoption par le Conseil. Notre assemblée est ainsi en mesure de faire valoir, en amont des négociations, les points essentiels sur lesquels elle souhaite être entendue par la Commission, par le Conseil, mais aussi, monsieur le secrétaire d’État, par le Gouvernement.
Notre démarche prend une signification particulière à l’heure où les futurs accords de libre-échange pourraient ne plus être systématiquement soumis, à la fin des négociations, à la ratification des parlements nationaux. C’est la conséquence de l’avis de la Cour de justice de l’Union européenne rendu en mai dernier, qui a déterminé ce qui, dans ces accords, relève de la compétence exclusive de la Commission ou des compétences partagées avec les États membres.
De là l’importance pour les parlements nationaux d’être impliqués – ou de s’impliquer d’eux-mêmes, comme c’est le cas ce soir – le plus en amont possible des négociations. De là aussi l’importance pour nous d’être également associés, de façon régulière et transparente, au déroulement des négociations qui s’ensuivront. Je rappelle que tant la commission des affaires européennes que la commission des affaires économiques ont toujours été extrêmement attentives aux demandes des différents collègues qui souhaitaient que ces débats se tiennent en séance plénière, et non pas seulement en commission.
J’en viens à la proposition de résolution européenne que la commission des affaires européennes a adoptée le 18 janvier dernier, sur l’initiative de nos collègues Pascal Allizard et Didier Marie, rapporteurs pour avis, dont je vous prie d’excuser l’absence aujourd’hui. Ils sont retenus à Vienne par les travaux de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe.
Le rapport de notre collègue Anne-Marie Bertrand, fait au nom de la commission des affaires économiques, a fort bien approfondi les enjeux.
De quoi s’agit-il ? Ces projets d’accords de libre-échange avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande concernent deux pays qui, pour être géographiquement très éloignés du nôtre, nous sont proches sur le plan des valeurs démocratiques comme de la conception multilatéraliste des relations entre États. Nous entretenons déjà avec eux des partenariats politiques et des liens commerciaux significatifs.
La proposition de résolution européenne affirme un certain nombre de principes et de garde-fous. Ils doivent bien sûr valoir pour ces deux accords, mais aussi guider les négociations sur tout autre accord de même nature et sur la politique commerciale européenne en général. J’en vois quatre : la transparence, l’équilibre, la réciprocité et l’exigence normative.
En ce qui concerne la transparence, d’abord, nous revenons de loin. Nous devons avoir l’honnêteté de reconnaître que de réels progrès ont été accomplis. Ils sont venus de la Commission européenne elle-même, récemment encore de son président Jean-Claude Juncker. Ils sont aussi venus du Gouvernement, qui a su associer parlementaires et société civile aux avancées – ou au blocage – des négociations de certains accords passés.
On doit aussi ce progrès aux mouvements d’opinion qui ont pu prospérer sur l’opacité qui était jusqu’alors la règle. Ils ont mis au jour les craintes, souvent légitimes, parfois aussi exagérées, que suscitait cette pratique du secret.
Ce progrès vient également du Sénat, qui, du fait de son souci de prospective et de son attachement aux territoires, a bien compris l’intérêt d’ouvrir ce type de débats.
En matière d’équilibre, ensuite, il s’agit de faire preuve d’une vigilance constante, en particulier pour les produits agricoles sensibles, au premier rang desquels, en l’espèce, les viandes bovine et ovine, mais aussi les sucres spéciaux.
La proposition de résolution européenne s’appuie sur ce que le Sénat a depuis longtemps mis en avant, à savoir que, accord après accord, les mêmes menaces s’accumulent sur les mêmes filières déjà fragilisées dans nos territoires. Nous avons d’ailleurs à l’esprit, en toile de fond, les ultimes arbitrages en cours sur l’accord avec le Mercosur. Cela n’exonère certes pas certaines de ces filières de procéder à d’opportunes restructurations. Je l’ai souvent rappelé, notamment en ce qui concerne la filière bovine. Ce n’est pas faire injure aux différents acteurs ni les provoquer, car nous sommes à leur côté, en ce qui concerne tant la redéfinition et le redimensionnement du fonds d’adaptation à la mondialisation que la structuration proprement dite de la filière, notamment au travers de la création des organisations de producteurs par bassin.
Il reste que l’on se trouve là au cœur de l’ambiguïté de la mondialisation : ses bénéfices sont globaux, mais ses effets négatifs sont locaux. Ils affectent nos régions, nos campagnes, des exploitations, des hommes et des femmes. C’est aussi pourquoi nous voulons que les crédits de la politique agricole commune soient préservés dans le prochain cadre financier pluriannuel. Nous nous sommes exprimés, les uns et les autres, sur ce sujet ; nous arrivons à une période cruciale, et j’aimerais que la France soit aussi déterminée qu’elle le fut par le passé en la matière.
L’Union européenne a créé un fonds d’ajustement à la mondialisation. C’est en effet de cela qu’il s’agit : permettre aux filières en transition de s’ajuster aux enjeux d’un commerce ouvert. Malheureusement, ce fonds n’est ni doté ni structuré à la mesure de cette ambition. La proposition de résolution vise à aborder ce sujet de front. Doté de quelque 150 millions d’euros, le fonds ne concerne que les entreprises fragilisées par les différents accords de libre-échange et qui procèdent à un nombre important de licenciements, mais jamais n’est abordée la problématique purement agricole.
La gestion attentive et prudente des contingents accordés aux partenaires, le déclenchement rapide de mesures de sauvegarde efficaces, une évaluation régulière de l’impact cumulé de ces accords de libre-échange : voilà trois priorités. En matière de mesures de sauvegarde, il faut reconnaître qu’il existe une grande différence entre l’Union européenne et les États-Unis, pays fédéral par essence : les frontières de ce dernier peuvent être fermées en quelques minutes, alors que l’accord des vingt-sept États membres de l’Union européenne est requis pour faire de même, ce qui demande souvent quelques mois.
Sur le plan de la réciprocité, il y a beaucoup de terrain à reconquérir, en particulier en ce qui concerne l’accès aux marchés publics des pays partenaires. L’Union européenne a longtemps été très généreuse, trop généreuse, voire quelquefois naïve, au contraire de bien des pays avec lesquels nous scellons ou scellerons des accords de libre-échange. Je vous rappelle, monsieur le secrétaire d’État, que tant la commission des affaires économiques que la commission des affaires européennes du Sénat ont contribué à la réflexion sur ce sujet en vue de « muscler » la politique européenne.
Enfin, la proposition de résolution le rappelle, le niveau d’exigence normative européen en matière sanitaire et phytosanitaire pour les produits agricoles et agroalimentaires doit rester le même. S’il le faut, il doit même être amélioré et mis à jour régulièrement, sans que les accords de libre-échange y fassent obstacle. Il en est de même des normes sociales et environnementales. La proposition de résolution demande, à cet égard, que les dispositions relatives au développement durable soient opposables et contraignantes, dans le cadre de procédures de règlement interétatique adaptées en conséquence.
Le nécessaire maintien de ce droit des États à légiférer m’amène à aborder la question de la protection des investissements. Les deux propositions de directives de négociation ne prévoient pas de dispositions spécifiques de règlement des différends entre investisseur et État. L’absence d’une telle mention, qui aurait conféré un caractère mixte aux deux accords, s’inscrit, comme je l’ai déjà mentionné, dans la logique de l’avis de la Cour de justice de l’Union européenne.
La Commission en a tiré les conséquences, en privilégiant une procédure de négociation et de conclusion « accélérée ». In fine, celle-ci n’impliquera, outre la Commission elle-même, que le Parlement européen et le Conseil, celui-ci se prononçant à la majorité qualifiée, et non plus à l’unanimité. C’est la raison pour laquelle j’estime que des débats très en amont sont nécessaires pour définir un cahier des charges à l’adresse du négociateur de la Commission, en l’occurrence Mme Malmström.
Il nous semble essentiel qu’en cas de litige les parties –investisseurs européens, néo-zélandais, australiens – puissent, si elles le souhaitent, se tourner vers un système juridictionnel spécifique, même si les systèmes judiciaires nationaux néo-zélandais et australien obéissent à des règles et des standards comparables aux nôtres.
Au surplus, la configuration nouvelle du système juridictionnel des investissements a opportunément amélioré et moralisé l’ancien système d’arbitrage privé. Nous souhaitons donc que, parallèlement à la négociation des deux accords de libre-échange, la Commission engage des accords particuliers pour la protection des investissements.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il y a, je crois, dans cette assemblée, une majorité favorable à une politique commerciale européenne ambitieuse, pour peu qu’elle respecte les principes d’équilibre et de réciprocité. Nos entreprises peuvent y valoriser leurs intérêts offensifs, qui sont nombreux, y compris parfois dans certains secteurs agricoles.
En tant qu’élu de Normandie, je n’ose rappeler que le CETA conclu avec le Canada aura permis d’abaisser drastiquement les barrières tarifaires pour un certain nombre de fromages et d’obtenir la reconnaissance de quarante-trois indications géographiques de provenance. Cela n’exclut cependant pas une grande vigilance sur ce type d’accords, pour la bonne raison que toutes les filières et tous les agriculteurs ne sont pas armés pour affronter les grands marchés internationaux, d’où l’intérêt du Fonds européen d’adaptation à la mondialisation. Le Président de la République n’a-t-il d’ailleurs pas émis l’idée d’ouvrir une ligne budgétaire de 5 milliards d’euros à destination des filières voulant se réformer et se moderniser ? Nous devrons ouvrir un débat sur ce point, car nombre d’agriculteurs sont plongés dans une situation de détresse profonde.
Cette politique commerciale est d’autant plus opportune que, au même moment, la première économie mondiale, celle des États-Unis, choisit la fermeture et le protectionnisme. Au même moment aussi, l’Organisation mondiale du commerce n’est, hélas, plus en situation de faire avancer ses projets. Au même moment, en revanche, les économies chinoise et indienne voient dans le commerce international un terrain de chasse où des normes exigeantes et protectrices n’ont guère de place.
Dans le sillage d’une politique commerciale européenne bien conduite, ce sont nos normes sociales, sanitaires et environnementales qui trouveront à s’appliquer. J’ai la faiblesse de croire que, à terme, les citoyens du monde peuvent avoir à y gagner, les normes européennes devenant en quelque sorte les normes mondiales. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Anne-Marie Bertrand, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens en premier lieu à saluer l’initiative et la qualité du travail de nos collègues Pascal Allizard et Didier Marie : le texte qu’ils ont déposé, et qui a été adopté à l’unanimité par la commission des affaires européennes le 18 janvier dernier, est à la fois opportun, complet et pertinent.
Le président de la commission des affaires européennes, Jean Bizet, en a rappelé le contexte, les enjeux et les principales dispositions. Je m’associe aux remarques qu’il vient de formuler. J’ajoute que la commission des affaires économiques a, elle aussi, largement approuvé cette proposition de résolution, après y avoir apporté trois amendements.
Notre commission a tout d’abord introduit une référence à la notion d’enveloppe globale pour les produits sensibles. Je rappelle qu’il s’agit là d’une demande forte des autorités françaises et des milieux agricoles. Elle vise à prendre en compte les impacts cumulés des accords commerciaux, à la fois les accords déjà conclus et ceux en cours de négociation, avant toute ouverture supplémentaire des filières sensibles au commerce mondial. En effet, seule une prise en compte globale de l’ensemble des contingents d’importation autorisés ou en cours d’autorisation peut permettre de juger si l’ouverture d’un contingent supplémentaire sera supportable pour des marchés sensibles comme ceux de l’élevage, du lait ou des sucres spéciaux.
La commission des affaires économiques a également adopté un amendement de notre collègue Marc Daunis visant à ce que soient réalisées des évaluations ex ante par filière, fournissant une appréciation du nombre d’emplois créés et détruits à court, moyen et long termes.
Enfin, la commission a souhaité donner plus de poids à la disposition qui recommande la mise en place de mesures de sauvegarde pour protéger les filières sensibles, en indiquant que ces mesures doivent être non seulement spécifiques, mais également précises et opérationnelles.
Lors de l’examen du texte en commission, j’ai pu percevoir, malgré tout, quelques interrogations et réticences à soutenir cette proposition de résolution. Plusieurs amendements que nous examinerons tout à l’heure traduisent ces réserves. Je peux les comprendre, même si je ne les partage pas toutes.
La politique commerciale de l’Union européenne est un sujet sensible. Elle fait depuis plusieurs années l’objet de vives critiques portant à la fois sur les objectifs et le contenu des accords commerciaux conclus, mais également sur les méthodes de travail de la Commission européenne. Manque de transparence, manque de réciprocité, manque de réalisme –pour ne pas dire naïveté –, ou encore traitement inadéquat des enjeux agricoles : tels sont des défauts fréquemment dénoncés, ici au Sénat et, plus largement, dans notre pays.
La politique commerciale européenne suscite en particulier une inquiétude très forte dans certains de nos territoires métropolitains ou ultramarins et pour certaines de nos filières agricoles sensibles, telles que les viandes ovine et bovine, le lait et les sucres spéciaux. Une exposition sans précaution au commerce international peut mettre ces filières en danger. Cela tient à différentes raisons, notamment au fait que les normes sanitaires et phytosanitaires, sociales et environnementales qui s’appliquent chez nous sont beaucoup plus strictes que celles de la plupart de nos concurrents.
Mais c’est bien parce que ces risques sont réels que la France doit chercher à peser par tous les moyens possibles sur la définition des mandats de négociation des futurs accords et sur le déroulement des négociations. C’est bien parce que ces risques sont réels qu’il est important pour nous de soutenir des propositions de résolution pragmatiques, comme celle que nous examinons ce soir. Il peut être tentant de dire que la politique commerciale de l’Union européenne n’est pas bonne, qu’elle n’est pas assez protectrice, que nous n’en voulons pas. Il peut être tentant de dire : « Réservons le commerce aux pays qui s’alignent sur toutes nos normes » ou « Excluons purement et simplement les produits agricoles des négociations ». C’est tentant, mais est-ce de nature à faire évoluer la politique commerciale de l’Union européenne dans un sens utile et bénéfique pour notre économie, et notre agriculture en particulier ?
Les accords commerciaux que l’Union négocie prennent en compte les intérêts souvent divergents de l’ensemble des États membres. La France a ses intérêts offensifs et défensifs et elle doit les défendre, mais ce qui est bon pour la France ne l’est pas forcément pour l’Allemagne, la Pologne ou l’Espagne. La réalité, c’est que les positions défendues par l’Union européenne dans les négociations commerciales sont le fruit de compromis âprement négociés entre les vingt-sept États membres.
Plutôt que de nous retrancher dans un refus de principe confortable ou de soutenir des propositions peu réalistes, il est de notre responsabilité de chercher à mieux faire partager nos vues, à convaincre nos partenaires par des propositions équilibrées et à peser sur la définition des mandats de négociation européens avec les instruments dont nous disposons.
La proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui est l’un de ces instruments. Elle reprend nombre de positions défendues unanimement par le Sénat depuis plusieurs années au travers de résolutions précédentes. Elle reprend aussi plusieurs points-clés du plan d’action relatif à la mise en œuvre du CETA adopté par le Gouvernement l’année dernière. C’est donc un texte qui contient des propositions à la fois ambitieuses et pragmatiques.
Sur les questions agricoles, qui seront sans doute au cœur de nos échanges de ce soir, je rappelle que la proposition de résolution vise à demander que les produits sensibles, en particulier les produits de l’élevage, le lait ou les sucres spéciaux, fassent l’objet de contingents d’importation limités, et qu’ils puissent bénéficier de mesures de sauvegarde spécifiques et effectives.
Elle tend également à demander la mise en place d’un suivi global des contingents à travers la notion d’enveloppe globale, ainsi que la reconnaissance du système des indications géographiques.
Elle insiste pour que les accords avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande intègrent, dans leur volet relatif au développement durable, des dispositions contraignantes et opposables dans le cadre des mécanismes interétatiques de règlement des différends.
Elle fixe enfin l’objectif d’un degré élevé d’exigence dans l’élaboration de normes communes sociales, environnementales, ainsi que sanitaires et phytosanitaires. Il me semble que nous ne pouvons que soutenir de telles recommandations.
Ne nous y trompons pas : tous les États membres n’ont pas des positions aussi offensives que les nôtres en la matière. Néanmoins, la France, qui a souvent été pionnière, a déjà vu plusieurs de ses attentes satisfaites au cours des dernières années. Elle doit donc continuer à mettre l’Union européenne sous pression pour faire avancer ses vues.
Il est utile que le Gouvernement, qui est en train de discuter avec ses partenaires européens le texte définitif des mandats de négociation, puisse se prévaloir de l’appui du Parlement. Cela lui donnera plus de poids. Nous devons donc être capables de dégager des positions communes fortes et pragmatiques sur des points essentiels pour notre pays. Gouvernement et Parlement doivent parler d’une seule voix sur ces questions pour que la France ait une chance de convaincre ses partenaires européens.
Je terminerai en soulignant quelques enjeux économiques et stratégiques liés à ces deux accords.
La libéralisation des échanges avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande ouvrira aux entreprises françaises et européennes de nouvelles opportunités commerciales. Le commerce de la France avec ces deux pays est excédentaire – le cas n’est plus si fréquent ! –, mais nous devons absolument protéger nos filières sensibles.
Par ailleurs, l’enjeu de ces accords est d’exporter non seulement des biens et des services, mais aussi nos normes sociales et environnementales, ainsi que nos normes en matière de protection des données et de sécurité alimentaire. C’est à nous de peser sur les négociations afin d’imposer un certain nombre de conditions pour l’accès à notre marché. Nous avons l’occasion de faire mieux reconnaître certaines de nos normes.
Enfin, ces deux accords permettront d’ancrer ces deux pays dans un système commercial fondé sur des règles. À l’heure où le cadre multilatéral se porte mal – c’est peu de le dire –, faire de l’Union européenne le moteur et le point d’agrégation d’un commerce mondial respectueux des règles est un enjeu stratégique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, au nom de la commission des affaires étrangères.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam, au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons, au travers de cette proposition de résolution européenne, les directives de négociation proposées par la Commission en vue de la conclusion d’accords de libre-échange avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande.
Nous nous réjouissons bien sûr de la publication de ces directives, qui témoigne des progrès de la transparence. Mais la transparence suffira-t-elle à obtenir l’adhésion des peuples au projet européen, singulièrement en matière de négociations commerciales internationales ? Sur le fond, les mandats de négociation proposés par la Commission sont-ils de nature à nous rassurer ?
Ils susciteront de ma part trois remarques.
La première portera sur le périmètre proposé pour les accords. L’objectif prioritaire de la Commission européenne, figurant en tête des deux directives de négociation, semble être de restreindre ce périmètre : ainsi, les accords ne devraient contenir que des dispositions relevant des domaines de compétence exclusive de l’Union européenne, à l’exclusion de tout domaine de compétence partagée avec les États membres, et donc à l’exclusion de toute ratification des futurs accords par les parlements nationaux.
Nous approuvons, à ce sujet, le texte de la proposition de résolution européenne visant à demander des négociations concomitantes sur les sujets de compétence partagée. Nous nous interrogeons sur l’opportunité d’un découpage en plusieurs accords, qui nous conduirait à n’examiner in fine pour ratification qu’une partie d’un ensemble dont la logique globale nous échapperait.
Ma deuxième remarque concernera la transparence. Celle-ci est un devoir non seulement pour la Commission européenne, mais aussi pour le Gouvernement, en amont et en aval des réunions du Conseil. Mais les négociations internationales de ce type sont, par nature, à la main de l’exécutif et peu propices à la publicité.
On peut légitimement s’interroger sur la portée des informations qui nous sont transmises lorsque l’on apprend dans la presse, par exemple, que la Commission propose au Mercosur des quotas d’importation de viande de bœuf augmentés de 40 %, en échange de concessions dans d’autres secteurs, sans analyse approfondie de l’impact d’une telle proposition, ce qui donne l’impression que l’on sacrifie les intérêts agricoles de l’Union européenne à ses intérêts industriels. On ne saurait ensuite s’étonner d’une certaine défiance de l’opinion, et d’une certaine perplexité, devant la volonté d’ouvrir de nouvelles négociations avec d’autres grands États agricoles.
Cela m’amène à ma troisième et dernière remarque, relative à la multiplication des négociations commerciales.
La Commission est aujourd’hui présente sur tous les fronts. Tout en ne délaissant pas les pays émergents, elle se tourne aussi vers d’autres pays industriels. Au total, une quinzaine d’accords de libre-échange sont en cours de négociation, dont cinq sont proches d’un aboutissement : avec le Canada – c’est le CETA, sur lequel nous devrons nous prononcer dans les prochains mois –, mais aussi avec le Japon, Singapour, le Vietnam et le Mercosur. Tous ces accords sont sensibles. Quant aux relations avec la Nouvelle-Zélande et l’Australie, deux accords ont été signés par l’Union européenne avec ces pays, en 2016 et en 2017. Ce sont des accords mixtes, dont nous n’avons pas encore autorisé la ratification. Peut-être pourrait-on, déjà, se donner le temps de les examiner ?
En conclusion, je me demande si la machine n’est pas en train de s’emballer et si la Commission maîtrise vraiment les effets cumulés de tous les accords qu’elle négocie. À ce propos, les dispositions de la proposition de résolution européenne en faveur d’une évaluation renforcée des effets des accords commerciaux et d’une meilleure gestion de leurs impacts redistributifs me paraissent tout à fait bienvenues. Je voudrais en tout cas remercier ses auteurs de nous permettre de débattre aujourd’hui de ces questions essentielles. Je remercie également notre excellent président de la commission des affaires européennes, Jean Bizet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires économiques, monsieur le président de la commission des affaires européennes, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux d’être parmi vous ce soir pour ce premier débat en séance publique sur un mandat de négociation qui n’a pas encore été validé. C’est tout à l’honneur du Sénat que d’avoir pris cette initiative.
Cette implication des parlementaires français dès le début du processus de négociations commerciales souvent longues et décriées pour leur manque de transparence est tout à fait bienvenue. Elle va dans le sens des engagements pris par le Gouvernement dans le cadre du plan d’action relatif au CETA.
Aujourd’hui, nous le vivons tous sur nos territoires, les négociations commerciales sont confrontées à une authentique « crise de sens », particulièrement en France. Nos concitoyens ne comprennent pas toujours pourquoi la France, au travers de l’Union européenne, ouvre de nouvelles négociations avec des partenaires parfois lointains, alors qu’ils éprouvent déjà chaque jour les incidences de la mondialisation économique sur leur vie de tous les jours, parfois de manière positive, mais parfois aussi de manière négative.
Notre débat de ce soir s’inscrit dans la lignée d’un certain nombre de discussions qui ont eu lieu dans cet hémicycle. Mes souvenirs à cet égard ne remontent pas au-delà de 2014, mais nous pouvons nous appuyer sur l’expertise et l’expérience de Jean Bizet, très impliqué sur ces sujets depuis de nombreuses années et qui était présent à l’OMC, en décembre dernier, au côté du Gouvernement.
Il y a à l’évidence un besoin d’explication et de pédagogie sur l’intérêt d’engager de telles négociations. Les citoyens et les élus doivent pouvoir disposer d’informations plus amples sur le contenu des accords commerciaux et leur impact. Nous sommes devant un enjeu de légitimité démocratique au niveau national, en dépit de l’implication du Parlement européen en la matière. On parle souvent de l’Accord économique et commercial global, l’AECG, conclu entre le Canada et l’Union européenne : le Parlement européen s’est prononcé sur cet accord, ce qui a permis son entrée en vigueur provisoire. On touche là à l’un des fondements de la politique européenne, car s’il y a une politique dont on a consenti dès l’origine qu’elle soit conduite à l’échelon communautaire, c’est bien la politique commerciale. Le Parlement européen est l’émanation des peuples européens ; de ce point de vue, il ne peut y avoir de contestation, dès lors que l’on est authentiquement européen. Néanmoins, les parlements nationaux ont leur rôle à jouer, rôle qui est amené à se développer de plus en plus en amont. Tel est d’ailleurs l’exercice qui nous réunit ce soir.
Ce constat, le Président de la République l’a établi lors de son discours de la Sorbonne du 26 septembre dernier, lorsqu’il a mis l’exigence de la transparence au cœur des orientations du Gouvernement.
Notre discussion de ce soir est un exemple de bonne pratique, qui va nous donner l’occasion d’évoquer nos objectifs, les intérêts offensifs que nous défendons et la vigilance dont nous devons faire preuve quant à un certain nombre d’intérêts défensifs. Le plan d’action relatif à l’AECG/CETA adopté en conseil des ministres le 25 octobre dernier comprend un engagement résolu du Gouvernement de faire des points de suivi réguliers avec les parlementaires sur les positions défendues à Bruxelles. Cela prendra plusieurs formes. Le Gouvernement se tient à la disposition des commissions compétentes des assemblées pour répondre à toutes questions relatives aux positions françaises lors de l’adoption des mandats et lors de la négociation proprement dite. Par ailleurs, le Gouvernement s’est engagé, au travers du plan d’action relatif au CETA, à demander la publication des mandats de négociation. Le mandat adopté par le Conseil pour la négociation avec le Chili a ainsi été publié en janvier : c’est un pas important dans la bonne direction. Dans le même esprit, la Commission publie maintenant les propositions de mandat, ce qui fait qu’aujourd’hui vous disposez du même niveau d’information que les membres du Gouvernement. La Commission participe donc elle aussi pleinement à cet effort de transparence, avec la publication de ses propositions de textes sur son site internet.
Au-delà de la publication des textes bruts, les études d’impact contribuent à cette nécessaire information. Vous l’avez dit, madame la rapporteur, la commission des affaires économiques du Sénat a adopté un amendement tendant à demander le développement de ces études ex ante, afin que l’on puisse savoir où l’on va. Elle a adopté un autre amendement, relatif à l’évaluation d’un plafond global des concessions pouvant être consenties par filières sensibles, qui est lui aussi bienvenu et va dans le sens des positions que nous défendons au quotidien à Bruxelles. Je tiens à saluer le travail d’ores et déjà accompli par cette commission. S’agissant de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, une étude d’impact commandée par la Commission européenne à la London School of Economics prend en compte un certain nombre d’éléments économiques, sociaux et environnementaux. On tend donc à s’inscrire de plus en plus dans une démarche de transparence et de prise en compte de données chiffrées. C’est d’autant plus indispensable que le contexte institutionnel de la politique commerciale évolue, comme l’a rappelé avec justesse le président Bizet. Nous avons tous en tête les conséquences de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne sur le projet d’accord entre l’Union européenne et Singapour, qui a établi que seules les stipulations relatives à la protection des investissements relevaient de la compétence nationale des États. De ce fait, les deux projets de mandat de négociation avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande ne comprennent que des éléments relevant de la compétence exclusive de l’Union européenne.
Des discussions sont en cours au sein du Conseil pour tirer les enseignements de la décision de la Cour de justice de l’Union européenne. La démarche qui prévaut actuellement est celle du cas par cas : il n’y a pas de doctrine établie. Le fait qu’un unique parlement régional, dans une Union à vingt-huit États membres, puisse remettre en cause au dernier moment le fruit de longues années de négociations pose un problème de crédibilité de l’Union à l’égard de ses partenaires et plaide pour que l’on s’en tienne à la compétence exclusive de celle-ci. Inversement, nos intérêts offensifs nationaux et l’exigence démocratique plaident en faveur de la mixité et de l’implication des parlements nationaux.
Ce débat important n’est pas encore tranché sur le plan de la doctrine ; c’est donc une approche pragmatique qui prime.
Pour ce qui concerne les objectifs des négociations commerciales avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande, il convient de rappeler, en premier lieu, que la France, « pays monde » présent sur la plupart des continents et disposant d’une zone maritime très étendue, est une puissance du Pacifique, au travers de ses collectivités d’outre-mer, qui constituent pour elle une richesse. Cette zone géographique ne nous est donc pas étrangère. Nous avons avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande des valeurs et des intérêts communs. Ce sont deux démocraties, héritières de la tradition européenne des Lumières, dont les économies sont fondées sur la règle de droit et la transparence des procédures. Enfin, l’Australie est un partenaire stratégique majeur pour la France. Voilà presque un an, le 3 mars 2017, le ministre des affaires étrangères français et son homologue australien endossaient conjointement un partenariat stratégique, qui repose sur une analyse partagée des enjeux stratégiques du Pacifique et sur une collaboration militaire et industrielle.
Joëlle Garriaud-Maylam le rappelait, un partenariat politique a été conclu au niveau européen. Le projet de loi de ratification de cet accord politique, et non commercial, est en cours d’examen au Conseil d’État.
La proximité de vues s’exprime aussi dans le domaine commercial : l’Australie et la Nouvelle-Zélande sont deux pays très attachés à une mondialisation régulée par le droit, garantissant une concurrence équitable entre toutes les entreprises.
Il ne s’agit pas ici de faire de grandes déclarations de principes, mais de se confronter à la réalité : le multilatéralisme commercial traverse une crise profonde. Nous l’avons vécu au mois de décembre dernier, à l’occasion de la conférence ministérielle de l’OMC à Buenos Aires, qui s’est soldée par un constat de faillite.
Il est tout de même ahurissant que nous n’arrivions pas à nous mettre d’accord pour prendre et des sanctions contre la pêche illégale et des mesures contre les subventions qui lui sont accordées !
Vous le savez, des critiques sont adressées à ce système multilatéral commercial, notamment par les États-Unis, sur la question de l’ouverture commerciale : les États-Unis considèrent qu’ils peuvent frapper, directement ou indirectement, par des mesures unilatérales les intérêts commerciaux d’autres pays de par le monde. Nous estimons, pour notre part, qu’il faut préserver une enceinte où l’on peut régler les problèmes et disposer d’un organisme de règlement des différends qui fonctionne. Il y a là une différence entre nous.
Nous pouvons rejoindre un certain nombre de critiques formulées par les États-Unis sur les dysfonctionnements du système commercial international. Effectivement, certaines puissances émergentes ont tendance à appliquer les règles du jeu avec une souplesse parfois déconcertante… Mais nous ne devons pas être naïfs : il faut nous adapter à cette nouvelle donne. Au reste, l’Australie et la Nouvelle-Zélande sont à bord avec nous pour essayer de remédier à cette situation.
Face au retrait des États-Unis, dans une zone marquée par l’émergence forte de la Chine, ces projets d’accords commerciaux constituent pour l’Union européenne et la France une chance de peser sur les grands équilibres commerciaux du Pacifique.
L’Australie et la Nouvelle-Zélande sont situées au sud de la zone de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est, l’ASEAN, de la Chine et du Japon : c’est là que la croissance mondiale accélère et que les exportations de nos entreprises sont dynamiques. Par conséquent, nous sommes fondés à vouloir y peser encore davantage.
Cela a été dit par le président de la commission des affaires européennes, il s’agit aussi, au travers de ces accords, de fixer les normes qui s’appliqueront aux produits et services au XXIe siècle. Ce n’est pas une petite affaire : il s’agit d’une occasion historique d’entraîner un certain nombre de partenaires, voire de faire en sorte qu’un certain nombre de normes et de valeurs européennes soient appliquées à une échelle plus vaste que celle de notre continent.
Je veux vous apporter quelques informations complémentaires sur le contenu des projets d’accord avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Depuis la publication des propositions de mandats, la France négocie au sein du Conseil pour renforcer la partie qui définira les règles des deux accords commerciaux.
Naturellement, nous souhaitons que ces textes fassent explicitement référence au respect de l’accord de Paris. C’est une position que nous défendons de façon générale.
J’ai le souvenir de débats que nous avons eu dans cet hémicycle sur le projet de traité entre l’Union européenne et les États-Unis. Si ces derniers quittent définitivement l’accord de Paris et que nous nous l’appliquons, dans ce cas, « pas d’accord de Paris » égale « pas de traité commercial » ! Nos amis et alliés sont prévenus. Cette ambition environnementale, qui a été endossée par les États du monde entier, doit trouver à s’appliquer.
La France souhaite aussi que les mandats de négociation fassent référence aux conventions de l’Organisation internationale du travail. De même, nous avons pris position pour que les mandats mentionnent explicitement le principe de précaution, afin qu’il n’y ait aucun doute sur le fait que celui-ci continue de s’appliquer sur le territoire de l’Union européenne.
Toujours en application du plan d’action sur le CETA, la France soutient des amendements aux deux projets de mandats pour établir un lien explicite entre les accords commerciaux à venir et les travaux en cours au sein des organisations relatives au transport aérien et au transport maritime.
Même si l’impact de ces deux accords sur les émissions de gaz à effet de serre du transport international sera réduit, nous devons le prendre en compte et essayer de le réduire le plus en amont possible, en intégrant ces secteurs dans l’effort collectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
De façon plus générale, la France est mobilisée pour que les mandats de négociation incluent une prise en compte transversale des enjeux de développement durable, notamment pour les investissements et les marchés publics.
Nous voulons faire en sorte que la politique commerciale permette de faire avancer les politiques climatiques et d’avoir une mondialisation régulée, avec un certain nombre de règles, pour que ce ne soit pas la loi de la jungle. Ces enjeux sont fondamentaux. Pour autant, ils ne doivent pas occulter les sujets commerciaux « classiques ». Ces négociations seront aussi l’occasion de promouvoir nos intérêts offensifs et de faire preuve de vigilance sur nos intérêts défensifs.
Revenons quelques instants sur les enjeux offensifs : ils portent sur la levée des barrières non tarifaires pour le secteur agricole et pour l’industrie, sur l’accès au marché des services, sur les marchés publics ou encore, pour ce qui concerne le monde agricole, sur la reconnaissance et la protection des indications géographiques.
Le CETA a permis la reconnaissance de certaines indications géographiques protégées françaises : c’était une première, qui n’a pas forcément satisfait les États-Unis, mais que nous allons essayer de dupliquer pour apporter de beaux débouchés à des produits de nos terroirs.
Ces accords permettront également d’éliminer les droits de douane existant dans le secteur industriel et dans le secteur agroalimentaire.
De manière concrète, selon l’étude d’impact que vous avez citée, l’accord pourrait permettre jusqu’à 27 % de hausse des exportations pour la pharmacie et les cosmétiques. De la même façon, le secteur de la mécanique verrait ses exportations croître de 63 %. Cette augmentation pourrait atteindre 6 % pour les vins et spiritueux et 30 % pour les fromages. Certains de nos territoires peuvent trouver là des raisons d’espérer.
Toutefois, le Gouvernement mesure bien sûr pleinement la sensibilité de ces deux négociations pour les filières agricoles françaises. L’Australie et la Nouvelle-Zélande sont de longue date des exportateurs importants de produits agricoles, du fait de l’avantage comparatif que leur procure la géographie. Sont concernés la filière bovine, les produits laitiers, le sucre et les céréales.
Sur ce sujet, la position du Gouvernement est claire, et le Président de la République l’a récemment rappelée lors de ses vœux au monde agricole : la France n’acceptera pas que les négociations commerciales conduisent à déstabiliser l’équilibre économique des filières dont nous connaissons la fragilité.
Au mois de décembre dernier, des craintes ont été exprimées, notamment par la filière bovine, sur la conclusion du projet d’accord avec le Mercosur. Que s’est-il passé ? La France n’est pas restée les bras ballants, elle a réactivé une coalition de onze États membres qui ont des sensibilités agricoles. Nous avons pesé auprès des commissaires Phil Hogan et Cecilia Malmström, ainsi que des négociateurs européens, pour que ces sensibilités soient prises en compte.
Nous croyons en notre agriculture avec la foi chevillée au corps ; nous ne sommes pas là pour la brader. On peut avoir le sentiment en écoutant les prises de parole ici ou là que la France serait quelque peu en arrière de la main. Pour être en première ligne sur ce sujet, je puis vous assurer qu’il n’en est rien.
Le montant des concessions qui pourront être faites à l’Australie et la Nouvelle-Zélande dans ces filières sensibles dépendra directement de ce qui aura pu être concédé au préalable, au niveau de l’OMC, avec le Canada et éventuellement avec le Mercosur.
On ne peut pas avoir, au fur et à mesure que les accords s’empilent, des concessions qui augmentent indéfiniment. C’est la raison pour laquelle j’ai salué l’amendement de la commission sur le plafond des concessions et sur l’enveloppe globale par filière, que la France défend au niveau européen. Nous souhaitons que les filières bénéficient de visibilité et de prévisibilité, afin qu’elles puissent trouver leurs équilibres et connaître le contexte dans lequel elles vont se mouvoir.
Naturellement, nous sommes toujours à l’offensive. Nous nous battons pour mettre en place des clauses de sauvegarde et étaler l’entrée en vigueur d’un certain nombre de contingents. Par conséquent, il est nécessaire de réaliser un travail d’accompagnement.
L’enveloppe globale doit intégrer le départ proche du Royaume-Uni, qui est un pays très peuplé à la consommation dynamique. Il faut prendre en considération cet élément, en le retranchant des enveloppes qui ont pu être consenties par le passé afin d’éviter toute déstabilisation.
Enfin, la France sera attentive aux effets éventuels de ces accords sur l’outre-mer, notamment sur la Nouvelle-Calédonie, dont l’Australie est la troisième destination à l’exportation, comme cela a été le cas pour Saint-Pierre-et-Miquelon dans le cadre de la négociation de l’AECG-CETA avec le Canada.
Au total, nous nous félicitons de la tenue de ce débat ce soir sur ces deux projets de mandats de négociation. Le Gouvernement continue à rester à la disposition du Parlement, dans le cadre constitutionnel, pour rendre compte de son action.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de m’excuser d’avoir été un peu long, mais j’espère avoir pu vous apporter quelques éléments sur la volonté et la détermination du Gouvernement à porter une ambition commerciale au niveau international. En effet, il y a un moment français, qu’il ne faut pas gâcher, mais utiliser à plein.
Nous nous plaignons parfois de ne pas exporter assez. Ces accords de libre-échange sont l’occasion de trouver de nouveaux débouchés, et j’en veux pour preuve un rapport intéressant qui a été réalisé par la Commission européenne sur le suivi de ces accords depuis 2010.
Ce document a été mis sur la table au mois de décembre dernier. Il y est indiqué, par exemple, que l’accord de libre-échange avec la Corée, entré en vigueur provisoirement en 2011 et définitivement en 2015, a permis d’inverser la tendance. De mémoire, l’Union européenne est passée d’un déficit commercial de – tenez-vous bien ! – environ 11 milliards d’euros avec la Corée à un excédent de 4 milliards d’euros. On le voit, c’est aussi l’occasion de marquer des points dans des zones qui sont très dynamiques. Nous aurions bien tort de nous en priver.
Mesdames, messieurs les sénateurs, voilà les quelques éléments que je souhaitais vous apporter sur ces négociations importantes. Je mesure toute la pédagogie qu’il faut faire, et c’est aussi pour cette raison que j’ai été un peu long.
En réalité, nous sommes bien plus nombreux à nous intéresser à cette question que les seuls présents ce soir dans l’hémicycle. Je suis persuadé que des associations, des ONG, des citoyens suivent ces débats via internet. Nous leur devons ces explications, que je réitérerai et compléterai lors d’un comité de suivi de la politique commerciale qui se tiendra le 6 mars prochain. Cette réunion sera l’occasion de faire le point avec toutes les parties prenantes. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)