Sommaire
Présidence de M. Philippe Dallier
Secrétaires :
Mme Agnès Canayer, M. Yves Daudigny.
Mme Éliane Assassi, présidente du groupe CRCE ; M. Philippe Bas, président de la commission des lois ; Mme Nathalie Goulet ; M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics ; M. Marc Daunis : M. Jean-Claude Requier, président du groupe du RDSE ; M. Philippe Bas, président de la commission des lois ; M. le président.
Suspension et reprise de la séance
3. Qualité des études d’impact des projets de loi. – Discussion d’une proposition de loi organique dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Franck Montaugé, auteur de la proposition de loi organique
4. Convocation de la conférence des présidents
5. Qualité des études d’impact des projets de loi. – Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi organique dans le texte de la commission modifié
Discussion générale (suite) :
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur de la commission des lois
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics
Clôture de la discussion générale.
Article additionnel avant l’article 1er A
Amendement n° 9 de Mme Élisabeth Lamure. – Retrait.
Article 1er A (nouveau) – Adoption.
Amendement n° 1 rectifié de M. Franck Montaugé. – Rejet.
L’article demeure supprimé.
Article 1er bis (nouveau) – Adoption.
Amendement n° 10 de Mme Élisabeth Lamure. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 7 de M. Pierre-Yves Collombat. – Rejet.
Amendement n° 2 rectifié de M. Franck Montaugé. – Rejet.
Amendement n° 3 rectifié de M. Franck Montaugé. – Rejet.
Adoption de l’article.
Article additionnel après l’article 2
Amendement n° 4 de M. Jean-Pierre Grand. – Retrait.
Amendement n° 5 de M. Jean-Pierre Grand. – Retrait.
Article 3 (nouveau) – Adoption.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois
Adoption, par scrutin public n° 67, de la proposition de loi organique dans le texte de la commission, modifié.
6. Conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être. – Discussion d’une proposition de loi
Discussion générale :
M. Franck Montaugé, auteur de la proposition de loi
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur de la commission des lois
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics
Clôture de la discussion générale.
Demande de renvoi à la commission
Suspension et reprise de la séance
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
8. Communication d’avis sur deux projets de nomination
9. Revalorisation des pensions de retraite agricoles. – Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé
11. Revalorisation des pensions de retraite agricoles. – Suite de la discussion et retrait de l’ordre du jour d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. Dominique Watrin, rapporteur de la commission des affaires sociales
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé
Retrait de l’ordre du jour de la proposition de loi.
12. Finance mondiale, harmonisation et justice fiscales. – Rejet d’une proposition de résolution
Discussion générale :
M. Éric Bocquet, auteur de la proposition de résolution
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances
Clôture de la discussion générale.
Texte de la proposition de résolution
13. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Philippe Dallier
vice-président
Secrétaires :
Mme Agnès Canayer,
M. Yves Daudigny.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour un rappel au règlement.
Mme Éliane Assassi, présidente du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, mon intervention se fonde sur l’article 36 de notre règlement.
Mon groupe a inscrit dans son espace réservé de cet après-midi une proposition de loi, adoptée le 2 février 2017 à l’Assemblée nationale, qui permet une revalorisation sensible des retraites agricoles.
Cette proposition de loi est attendue par le monde rural tant est grand le dénuement des agriculteurs après une vie passée au service de notre pays et de nos territoires – car que serait la France sans leur travail ? Cette proposition de loi a été adoptée à l’unanimité en commission des affaires sociales. Son adoption conforme et donc définitive était acquise.
C’était sans compter l’obstination antisociale du Gouvernement, qui, ce matin et ce matin seulement, a déposé un amendement en annonçant un vote bloqué sur ce texte, dans le cadre de l’article 44, alinéa 3, de la Constitution. En clair, le coup de force du Gouvernement est de n’autoriser l’adoption de ce texte qu’accompagné de l’amendement proposé. Or cet amendement, c’est l’enterrement du texte, puisqu’il reporte sine die son application, voire son existence même : le Gouvernement entend vérifier la compatibilité de la proposition avec la future réforme des retraites…
De toute façon, la poursuite de la navette n’aura pas lieu, car le texte, qui sera non conforme, ne sera pas inscrit par le Gouvernement à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.
Monsieur le président, mes chers collègues, il s’agit d’un coup de force d’une rare violence contre le Parlement ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
C’est un coup de force inédit, car l’article 44, alinéa 3, qui est en somme le 49.3 du Sénat, est invoqué contre une proposition de loi inscrite dans un espace réservé à l’initiative parlementaire.
Mais ce n’est qu’un coup de force qui s’inscrit dans toute une série d’autres actions : recours aux ordonnances, application anticipée de la loi Parcoursup avant le vote définitif et annonce, hier, d’une liquidation du droit d’amendement par le Premier ministre.
Monsieur le président, cela fait des années que nous alertons sur le recul des pouvoirs du Parlement, sur son abaissement. Aujourd’hui, j’ai le sentiment que nous parvenons à un moment grave pour notre démocratie, face à la volonté d’Emmanuel Macron d’accaparer tous les pouvoirs.
Le Gouvernement doit aujourd’hui – aujourd’hui ! - abandonner le recours au vote bloqué, qui va provoquer l’enterrement de cette proposition de loi.
Nous vous demandons de réunir dans l’urgence une conférence des présidents pour permettre au Sénat de riposter dans la plus large unanimité possible face à ce coup de force ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. Madame la présidente, avant de vous répondre, je donne, à sa demande, la parole à M. le président de la commission des lois.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, si je vous ai demandé la parole, ce n’est pas pour vous dire combien il est urgent de revaloriser les retraites agricoles. Je crois que nous partageons ce point de vue sur toutes les travées, tant nos retraités de l’agriculture ont aujourd’hui des revenus qui les pénalisent par rapport aux autres Français, après une vie de labeur souvent commencée, sans qu’elle puisse être prise en compte, avant l’âge de seize ans.
Si je prends la parole, c’est parce que, dans notre Haute Assemblée, la commission des lois est aussi celle du Règlement, avec un R majuscule, qui désigne le règlement du Sénat.
Je voudrais m’associer à ce rappel au règlement pour vous dire, monsieur le secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics, que je n’ai pas connaissance de précédents de l’utilisation de cet article 44, troisième alinéa, relatif au vote bloqué depuis de très nombreuses années, et jamais autrement que pour faire aboutir un projet du Gouvernement lorsque la discussion est difficile. L’opposer aujourd’hui à la discussion d’une proposition de loi d’origine parlementaire adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale constitue, de mon point de vue, un précédent extrêmement dangereux.
Il y a le droit, bien sûr, mais il y a aussi l’abus de droit…
M. Pierre-Yves Collombat. La forfaiture !
M. Bernard Jomier. Honteux !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. … quand on sort de l’esprit de la Constitution, ce que vous avez fait en prenant cette décision, que je crois être largement improvisée.
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est la raison pour laquelle je vous demande à mon tour, solennellement, de prendre dans la journée la décision nécessaire pour que le débat ait lieu et qu’il puisse aboutir. Car c’est mal augurer de l’avenir de nos discussions sur le travail législatif que de procéder par l’utilisation de moyens qui exercent sur le Parlement un rapport de force tout à fait inadmissible.
Je dois vous dire aussi ma conviction profonde que le recours à ces instruments de rationalisation du parlementarisme, alors qu’il n’y a pas, dans notre pays, de problèmes de majorité pour le gouvernement actuel, est un aveu de faiblesse !
Mme Éliane Assassi. Tout à fait !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Si le Gouvernement avait des arguments pour convaincre le Parlement, il n’aurait pas besoin de recourir à de tels artifices dans la procédure législative.
Pardonnez la véhémence et la solennité de mon propos, mais je crois que le sujet est grave. Nous ne pouvons pas laisser passer ce type de décisions unilatérales, non précédées de concertation, et dans un contexte qui n’est pas celui dans lequel on utilise habituellement – et le moins souvent possible, d’ailleurs ! – le troisième alinéa de l’article 44 de notre Constitution. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – M. Pierre Ouzoulias se lève et applaudit longuement.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. M. le président de la commission des lois a énoncé mieux que je ne saurais le faire ce que je souhaitais dire. Je m’associe évidemment au rappel au règlement de Mme Assassi et aux propos de M. Bas.
Comme cela vient d’être souligné, le climat de tension procédurale autour de la réforme constitutionnelle et les annonces qui ont été faites hier laissent mal augurer de la suite.
Alors qu’une réforme constitutionnelle doit être une réforme apaisée, celle-là s’annonce tout de même bien mal ! On confond vitesse et précipitation ; on confond légiférer vite et légiférer bien ! Nous étions déjà très, très mal engagés avec toutes ces procédures d’urgence ; cela ne fait que continuer !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je dois avoir l’humilité de le dire, si je répondais au rappel au règlement de Mme Assassi et à l’intervention de président de la commission des lois rappelant la rareté de l’utilisation d’une telle procédure, je sortirais de ma condition.
Toutefois, je puis à tout le moins prendre l’engagement de rapporter ces propos à M. le Premier ministre, chef du Gouvernement, afin qu’il en ait connaissance dans les plus brefs délais et que la proposition de loi inscrite à l’ordre du jour du Sénat puisse être examinée.
Je serai à vos côtés lors des débats sur les deux propositions de loi déposées par le groupe socialiste et républicain, puis l’un de mes collègues du Gouvernement me succédera pour l’examen de la proposition de loi déposée par le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. le président. La parole est à M. Marc Daunis.
M. Marc Daunis. Je le dis avec une certaine solennité, le groupe socialiste et républicain s’associe avec force aux propos qui viennent d’être tenus par nos différents collègues.
Il tient à exprimer son indignation face à l’utilisation de cette procédure, ainsi que son incompréhension, dans un contexte général de volonté de passer en force et de ne pas mener les débats devant le Parlement.
Le groupe socialiste et républicain tiendra compte des réponses qui seront apportées au Sénat, compte tenu de l’engagement pris par M. le secrétaire d’État de rapporter fidèlement au Premier ministre les propos qui viennent d’être tenus, pour en tirer toutes les conséquences et arrêter sa position s’agissant de la suite de nos débats de l’après-midi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier, président du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. Le groupe du RDSE, dans sa diversité et sa liberté, s’associe entièrement au rappel au règlement de Mme Assassi.
Je ne suis sénateur que depuis un peu plus de six ans, mais je n’avais jamais vu encore la procédure du vote bloqué. Je dois dire que je la découvre. J’ai un peu de mal à concevoir que cela bloque un processus parlementaire.
Au demeurant, je ne crois pas que le Gouvernement veuille ici faire voter un projet de loi pour l’imposer. Il est donc un peu difficile de comprendre une telle démarche.
Pour notre part, nous sommes très attachés au Parlement, à la liberté des parlementaires, ainsi qu’au droit d’amendement ; nous aurons l’occasion d’y revenir.
Nous soutenons entièrement la démarche de nos collègues, et je m’associe aux propos de M. le président de la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est de nouveau à M. le président de la commission des lois.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Monsieur le président, je sollicite une suspension de séance d’au moins cinq minutes.
M. le secrétaire d’État nous a offert de joindre toute affaire cessante M. le Premier ministre pour l’informer de la situation qui prévaut au Sénat à la suite de ce rappel au règlement. Je souhaite qu’il puisse le faire dès maintenant, car il y a urgence, puisque le texte concerné est inscrit à notre ordre du jour de la fin de l’après-midi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle les termes de l’article 29, alinéa 2, du règlement du Sénat : « La conférence des présidents est convoquée à la diligence du Président du Sénat. La réunion de la conférence des présidents peut être également demandée par deux groupes au moins pour un ordre du jour déterminé. »
Je constate, à la suite du rappel au règlement de Mme la présidente du groupe CRCE et de l’intervention du président du groupe du RDSE, que deux groupes ont formulé cette demande. Je vais donc la transmettre à M. le président du Sénat.
Nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants. Toutefois, la suspension sera brève, dans la mesure où nous sommes dans un ordre du jour réservé du groupe socialiste et républicain, et le temps est contraint.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quatorze heures quarante-cinq, est reprise à quatorze heures cinquante.)
M. le président. La séance est reprise.
3
Qualité des études d’impact des projets de loi
Discussion d’une proposition de loi organique dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste et républicain, de la proposition de loi organique visant à améliorer la qualité des études d’impact des projets de loi, présentée par M. Franck Montaugé et les membres du groupe socialiste et républicain (proposition n° 610 rectifié [2016-2017], texte de la commission n° 318, rapport n° 317).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Franck Montaugé, auteur de la proposition de loi organique.
M. Franck Montaugé, auteur de la proposition de loi organique. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les deux textes que j’ai le plaisir de vous présenter cet après-midi au nom de mon groupe répondent à l’objectif, que je crois largement partagé, d’améliorer la qualité de la loi et le suivi de ses effets.
L’exécutif, le législatif, les autorités de contrôle et les citoyens sont directement concernés par ce sujet, dans un contexte national et international qui nous amène à penser l’évaluation des normes et des politiques publiques dans le rapport aux enjeux du développement durable - et a fortiori depuis l’accord de Paris et les engagements qui en résultent pour la France !
Sur l’initiative du président Nicolas Sarkozy, le rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi a ouvert la voie en 2009. La recommandation centrale de ce rapport, qui a fait date et autorité, est que la croissance est soutenable quand on transmet aux générations futures un patrimoine national susceptible d’assurer la couverture de leurs besoins et de garantir sur le long terme leur bien-être.
Cela suppose de pouvoir évaluer le patrimoine national en recensant les divers types de capitaux ou d’actifs qui le composent, en stock et en flux, au nombre desquels figurent le capital économique, privé et public, qui est composé du capital productif ; le capital humain, qui renvoie au niveau d’éducation de la société, aux compétences, au niveau de formation et de qualification du travail ; le capital social, qui est un actif intangible mesurant la qualité des institutions et des rapports sociaux, comme la culture ou le mode d’organisation de la société – il s’agit d’ailleurs d’un indicateur permettant de mesurer le degré de cohésion de la société – et le capital naturel, qui est composé des ressources naturelles, comme les énergies fossiles, l’eau, les terres, et l’ensemble des écosystèmes.
Certains économistes ajoutent encore à ce bilan patrimonial de la Nation un actif intangible, comme la démocratie.
Au passif du bilan patrimonial de la Nation figurent la dette publique et la dette privée.
Pour Jean-Paul Fitoussi, disposer d’un tel bilan patrimonial de la Nation permet d’éclairer les choix politiques, notamment les choix budgétaires. C’est en cela que cette approche nous concerne tout particulièrement.
Dans le même esprit, la loi portée par la députée écologiste Éva Sas permet depuis 2015 de « prendre en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques ». Ce texte a été une première étape importante dans la reconnaissance d’indicateurs permettant de mesurer différents aspects de notre développement : le taux d’emploi, l’effort de recherche, l’endettement, l’espérance de vie en bonne santé, la satisfaction dans la vie, les inégalités de revenus, la pauvreté en conditions de vie, les sorties précoces du système scolaire, l’empreinte carbone et l’artificialisation des sols.
Dans l’édito du troisième rapport sur les nouveaux indicateurs de richesse, que nous venons de recevoir, le Premier ministre, M. Édouard Philippe, évoque aussi les dix-sept objectifs de développement durable du Programme de développement durable de l’ONU à l’horizon 2030, auxquels ont adhéré 193 États – tout de même !
Je cite M. le Premier ministre : « Cette dynamique […] a un sens politique profond. Il s’agit de savoir ce sur quoi nous fondons collectivement notre appréciation de ce que l’on entend par croissance, développement, bien-être ou progrès. » Et il indique que les principales réformes engagées par le Gouvernement seront « évaluées à l’aune de ces indicateurs ».
Si nous suivons les propos du Premier ministre, l’utilisation des nouveaux indicateurs de richesse de la loi Sas dans les études d’impact, comme le prévoyait notre article 1er, n’était pas incongrue. Et la réintroduction de l’article 1er initial permettrait facilement de surmonter la contradiction entre les propos du Premier ministre et la position de la commission des lois.
Au mois de juillet dernier, le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable de notre Haute Assemblée, Hervé Maurey, et notre collègue Jérôme Bignon organisaient au Sénat une table ronde pour faire le point sur la prise en compte par l’État et notre pays des objectifs de développement durable.
Je vais me permettre de citer quelques extraits de leurs propos tenus à cette occasion. Nos deux collègues pourront peut-être s’exprimer sur le sujet s’ils nous rejoignent.
Hervé Maurey posait à la fin de son propos introductif la question suivante : « Comment nous, parlementaires, pourrions-nous mieux appréhender ces objectifs dans la mise en œuvre des différentes politiques que nous examinons ? »
La nécessité de territorialiser ces indicateurs, d’y associer la société civile, de faire en sorte que le Sénat et l’Assemblée nationale puissent y travailler ensemble – c’est tout le sens de notre proposition, pour le deuxième texte, d’un Conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être – que nos commissions organiques ou spéciales ne travaillent plus en silo était rappelée à juste titre par Jérôme Bignon.
En 2011, l’OCDE se dotait d’une démarche du même ordre, intitulée L’initiative du vivre mieux, permettant des comparaisons internationales sur des thèmes aussi importants pour la qualité de vie de chacun de nos concitoyens que l’emploi et les salaires, le rapport vie professionnelle/vie privée, le logement, la qualité de l’environnement, l’état de santé, l’éducation et les compétences, les liens sociaux, l’engagement civique et la gouvernance, la sécurité personnelle et tout ce qui relève du bien-être subjectif.
L’Union européenne a aussi développé son propre modèle, et de nombreux pays se sont engagés dans cette voie, chacun à leur manière.
En réalité, il y a beaucoup d’indicateurs et de systèmes différents. Cette profusion nuit au sens, à la compréhension et à l’appropriation. Et tant que nous n’avançons pas dans ce sens, le PIB reste le point de repère exclusif, si ce n’est l’objectif majeur.
Dans ce contexte, confortés par de nombreuses auditions auxquelles nous avons procédé, nous avons ouvert le vaste chantier de l’amélioration de la fabrique de la loi et de l’évaluation des politiques publiques.
Et nous avons été rattrapés – si j’ose dire –, mais ce n’est pas une difficulté, par le projet de réforme constitutionnelle engagée par le Président de la République. Dans son discours du 3 juillet 2017, celui-ci appelait à réserver du temps « au contrôle et à l’évaluation », à « l’ardente obligation de bien suivre l’application des lois en s’assurant de leur pertinence dans la durée, de leurs effets dans le temps pour les corriger ou y revenir ».
De son côté, le président du Sénat indique dans la présentation du rapport de François Pillet que le contrôle et l’évaluation ont jusqu’à présent été les « parents pauvres de Ve République » et que nous devons « davantage investir notre mission de contrôle et d’évaluation ». C’est là tout le sens de nos propositions !
Venons-en maintenant au fond du texte.
Dans sa version initiale, l’article 1er de la proposition de loi dont nous allons discuter prévoyait que les études d’impact soient réalisées de manière plus qualitative, en tenant compte des indicateurs de la loi Sas.
Nous voulions, à partir de l’usage de ces indicateurs dans les études d’impact, rappeler la nécessité de penser l’action publique au regard des objectifs de développement durable que notre pays reconnaît dans le cadre des accords de Paris issus de la COP 21.
Les indicateurs de la loi Sas ne sont pas gravés dans le marbre, mais ils peuvent être mis en rapport avec les dix-sept objectifs de développement durable. Ces « ODD » nécessitent une déclinaison et une appropriation par chaque pays ; les nouveaux indicateurs de richesse de la loi Sas peuvent en être une traduction pertinente et, bien entendu, perfectible.
Ce qui importe donc, pour être cohérents avec nos engagements internationaux, c’est que nous nous engagions à les prendre en compte, à nous y référer dans nos études d’impact et nos évaluations.
Là était l’esprit de l’article 1er, c’est-à-dire, en réalité, l’essentiel de ce texte.
La discussion de l’amendement visant à le réintroduire dans le texte nous permettra, je l’espère, de mieux nous comprendre et d’arriver à un accord.
Le rapporteur de la commission des lois, notre collègue Jean-Pierre Sueur, a voulu privilégier dans ce texte l’amélioration de la procédure des études d’impact dont traite l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009. Ce point de vue n’est pas contradictoire avec la réintroduction de l’article 1er. L’article 2 a donc été modifié ; il prévoit désormais – c’est un point important – que « les évaluations sont réalisées par des organismes indépendants ». Nous sommes d’accord avec cette disposition, mais, par cohérence avec la nécessité de faire usage de nouveaux indicateurs, nous amenderons le point relatif aux modalités de réalisation des évaluations.
Le texte initial prévoyait également que les « évaluations so[ie]nt réalisées par des organismes publics indépendants et pluralistes ». Les amendements présentés par le rapporteur en commission en respectent l’esprit, mais le pluralisme est davantage, pour nous, un principe de droit qu’une lubie de circonstance. Nous expliciterons ce point en présentant un amendement de réintroduction de cette notion.
La commission des lois a aussi voulu confier au Conseil d’État le soin de définir la liste des organismes habilités, les modalités de leur désignation et les modalités techniques de réalisation des études d’impact et d’évaluation. Nous le proposerons nous-mêmes dans quelques instants. Nous sommes donc d’accord sur ce sujet.
Je tiens à souligner que le Gouvernement n’est en rien empêché de mener comme il l’entend et comme le prévoient les textes existants ses propres études d’impact.
Enfin, constatons ensemble que les autres modifications introduites par la commission reposent sur la prise en compte des propositions 15 et 18 du rapport du président Gérard Larcher, relatives à l’amélioration de la qualité des études d’impact.
En définitive, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, l’adoption du texte dont la commission s’est saisie ferait, je le crois, progresser sensiblement le Parlement dans la mise en œuvre des missions de contrôle et d’évaluation des politiques publiques que lui confère l’article 24 de la Constitution, cela dans le cadre d’un paradigme qui répond aux enjeux impérieux d’un développement durable et inclusif. La France a donné la meilleure image d’elle-même avec l’Accord de Paris. Il nous revient, à nous parlementaires, d’en tirer toutes les conséquences dans notre travail quotidien de législateur. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
4
Convocation de la conférence des présidents
M. le président. Mes chers collègues, je vous informe que M. le président du Sénat a décidé de réunir la conférence des présidents à dix-huit heures quarante-cinq, en salle 216.
5
Qualité des études d’impact des projets de loi
Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi organique dans le texte de la commission modifié
M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi organique visant à améliorer la qualité des études d’impact des projets de loi.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux tout d’abord rendre hommage à Franck Montaugé, qui nous donne l’occasion, cet après-midi, de travailler de nouveau sur l’étude d’impact.
En 2008, nous avons eu de grands débats sur l’étude d’impact, certains considérant que ce serait une innovation très utile, d’autres, dont j’étais, estimant que, après tout, l’impact de la loi constitue finalement l’objet même du débat parlementaire : ceux qui pensent que cet impact sera positif votent la loi, ceux qui sont d’avis contraire votent contre !
Je reconnais cependant que cette thèse est quelque peu simpliste, certaines expertises pouvant être tout à fait bénéfiques et utiles. Toutefois, il est assez difficile de distinguer les choses. Prenons l’exemple, déjà évoqué naguère par l’un de nos collègues, d’une étude d’impact sur les OGM : je suis prêt à parier que, dès l’amorce de la discussion du texte, des collègues, d’ailleurs d’avis différents, affirmeront que l’étude d’impact n’est pas objective, tant il est difficile d’imaginer qu’il existerait une vérité totalement objective surplombant les divergences et le débat politique.
C’est pourquoi une disposition de la proposition de loi de Franck Montaugé, qui a d’ailleurs été approuvée à l’unanimité par la commission des lois du Sénat, me paraît particulièrement importante : celle visant à prévoir, à l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009, que le Gouvernement fasse nécessairement appel à un organisme indépendant pour procéder à l’étude d’impact. C’est là une idée très riche, car, dans la pratique, nous le savons, le ministre qui prépare un projet de loi demande à ses services de réaliser une étude d’impact, laquelle montre naturellement que l’impact de la loi sera plutôt positif…
Je ne critique pas a priori la méthode. La bonne démarche consiste sans doute à bâtir le projet de loi en même temps que s’élabore l’étude d’impact, afin que le texte puisse prendre en compte les éléments apportés par l’expertise. Néanmoins, tout cela n’est pas évident, et le fait que la commission des lois ait choisi, en votant l’article 2, de rompre avec cette sorte de monolithisme qui veut que le Gouvernement présente à la fois le projet de loi et l’étude d’impact est de nature à crédibiliser cette dernière. En effet, des organismes indépendants, tels que le CNRS, des universités ou l’INSEE, par exemple, apporteront leur expertise.
J’aborderai maintenant un second point auquel notre collègue Franck Montaugé tient énormément, à juste titre : les évaluations doivent prendre en compte non seulement des mesures quantitatives, mais également toute une série de mesures qualitatives. Il est certain que la loi Sas représente, à cet égard, un apport non négligeable. Toutefois, il est apparu à la commission des lois que les critères pouvaient être très nombreux et qu’ils relevaient davantage des textes d’application que de la loi elle-même. La commission des lois n’est pas hostile à ce que l’on prenne en compte tous les critères relatifs à la qualité de la vie et de l’environnement ou au développement durable, mais convient-il de les énumérer dans le corpus législatif ? Sans nier le grand intérêt de la démarche, nous avons préféré renvoyer cela à des textes d’application.
Par ailleurs, nous avons retenu un amendement présenté par Mme Lamure tendant à ce que les conséquences des projets de loi sur les collectivités locales et sur les entreprises soient spécifiquement explicitées dans les études d’impact.
Nous avons également retenu trois amendements émanant du groupe de travail mis en place par le président Larcher et dont François Pillet était le rapporteur : le premier porte sur les moyens mis en œuvre par le projet de loi, le deuxième sur la simplification des normes, le troisième sur les délais dans lesquels la conférence des présidents pourra déclarer insuffisante l’étude d’impact. Il s’agit de propositions ayant recueilli un large accord au sein de ce groupe de travail. C’est une manière d’avancer dans le sens d’une réforme constitutionnelle qui accroisse les droits du Parlement. J’espère, monsieur le secrétaire d’État, que vous y êtes sensible… (Sourires.)
Enfin, nous avons introduit un amendement reprenant une proposition de loi à laquelle avait travaillé naguère notre collègue Alain Richard, portant création d’une haute autorité chargée du contrôle et de la régulation des normes applicables aux collectivités locales.
Une proposition de loi que j’ai eu l’honneur de commettre avec Mme Jacqueline Gourault, aujourd’hui membre du Gouvernement, a instauré le Conseil national d’évaluation des normes applicables aux collectivités locales, présidé par M. Alain Lambert. Il s’agit d’une instance très utile, car elle permet aux représentants des élus locaux de s’exprimer en amont sur les projets de loi et de décret ayant un impact sur les finances locales. Les avis de ce conseil sont très précieux pour le Gouvernement. M. Alain Richard avait souhaité qu’ils fussent joints aux projets de loi, au même titre que les études d’impact, en faisant observer qu’une loi organique était nécessaire pour ce faire. Nous avons déposé une proposition de loi à cette fin, qui malheureusement n’a jamais été inscrite à l’ordre du jour de notre assemblée. Nous avons donc entendu sauver cette œuvre commune de Jacqueline Gourault, d’Alain Richard et de moi-même au travers d’un amendement que la commission des lois a bien voulu adopter.
Voilà, mes chers collègues, comment, à partir du travail important de Franck Montaugé et de la commission des lois, nous sommes parvenus à un accord sur le texte maintenant soumis à votre approbation. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, monsieur Franck Montaugé, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux d’être parmi vous aujourd’hui pour l’examen des deux textes présentés par le groupe socialiste et républicain du Sénat.
Ces propositions de loi tendent à améliorer deux phases de la procédure législative : en début de parcours, la présentation des projets de loi par le Gouvernement et la qualité de l’information qu’il produit à l’attention du Parlement au travers des études d’impact ; à l’issue du vote des assemblées, l’évaluation des politiques publiques et de la législation, à l’aune de nouveaux indicateurs de richesse prévus dans la loi dite « Sas » du 13 avril 2015.
Le Gouvernement entend saluer, comme l’a d’ailleurs fait la commission des lois, la cohérence et la qualité du travail accompli par l’auteur de ces textes, Franck Montaugé, ainsi que par le groupe socialiste et républicain, qui ont cherché à améliorer l’ensemble du processus législatif, en voulant que le Parlement soit mieux informé, ou informé différemment, à l’occasion du vote des projets de loi qui lui sont soumis, et mieux doté en outils de contrôle de l’application des textes votés et d’évaluation des politiques publiques.
C’est la proposition de loi organique visant à améliorer la qualité des études d’impact des projets de loi que nous allons d’abord examiner.
Ce texte est né d’une déception, que le Gouvernement peut entendre. Le parlementaire que j’ai été le sait : les études d’impact prévues par le législateur organique dans la loi organique du 15 avril 2009, qui sont censées éclairer le Parlement sur la pertinence du recours à une nouvelle législation, ne sont pas toujours à la hauteur des attentes qui avaient été placées en elles.
Perçues à l’origine, lors de la révision constitutionnelle de 2008, comme une clé pour mieux légiférer, elles peuvent parfois apparaître comme incomplètes, biaisées ou, pour le dire autrement, orientées.
Je sais que le Sénat est particulièrement vigilant sur ce sujet. Votre ancien collègue Jean-Jacques Hyest, désormais membre du Conseil constitutionnel, n’a jamais vraiment tenu ces études d’impact en haute estime. Hugues Portelli, éminent professeur de droit public et de sciences politiques, a en outre remis en 2015 sur ce sujet un rapport qui a fait date.
Que la Haute Assemblée se saisisse de ces questions, en ayant pour objectif d’améliorer constamment la qualité de la loi, dans sa préparation, son élaboration et son évaluation, est tout à son honneur. Pour le Gouvernement, l’examen critique de ces pratiques n’est pas toujours un moment agréable, j’en conviens, mais il s’agit d’un aiguillon, d’un stimulant indispensable pour améliorer le travail normatif et pour trouver, ensemble, des réponses à une situation perçue comme insatisfaisante.
La proposition de loi organique que nous examinons cet après-midi s’inscrit dans la lignée des travaux engagés par le Sénat pour améliorer la qualité des études d’impact. Elle vient s’ajouter à une proposition de loi organique relative aux études d’impact des projets de loi déposée le 28 septembre 2017 par Mme Élisabeth Lamure et M. Olivier Cadic. Son ambition est de permettre une évaluation plus qualitative des projets de loi, par l’intégration dans les études d’impact de nouveaux indicateurs et, pour la réalisation de ces études, par le recours à des organismes indépendants, ainsi qu’à des personnalités qualifiées désignées par le Parlement.
Bien qu’il salue l’objectif et puisse comprendre, comme je l’ai dit, les préoccupations exprimées par les parlementaires sur ces questions, le Gouvernement est réservé sur les solutions proposées au travers de ces textes pour résoudre les problèmes identifiés.
En premier lieu, le Gouvernement ne peut être favorable, par principe, à un texte qui, bien que sensiblement modifié par la commission des lois, ne correspond pas aux orientations données par le Président de la République dans le cadre de la révision constitutionnelle.
Sans nier l’intérêt qu’il y a, pour le Parlement, à disposer de la meilleure information possible avant de voter sur un projet de loi, le Gouvernement considère en effet que les dispositions déjà existantes concernant les études d’impact sont suffisantes et que la priorité doit porter sur l’évaluation ex post des textes adoptés
La qualité d’une étude d’impact ne préjuge pas la qualité de la loi : il peut y avoir de mauvaises études d’impact et de bonnes lois ; il peut aussi y avoir de très belles études d’impact et des lois insatisfaisantes. Il faut admettre qu’il s’agit là d’un exercice difficile : comment juger les effets d’une disposition encore inexistante ?
J’ajoute, à l’attention de M. le sénateur Montaugé et du groupe socialiste et républicain, en anticipant un peu sur nos débats de l’après-midi, que le défi serait encore plus difficile à relever avec une étude d’impact plus « qualitative ». Il est déjà délicat de satisfaire les parlementaires avec des critères dits « quantitatifs », ceux actuellement requis : qu’en serait-il avec des critères plus souples et qui se définissent encore moins facilement ?
Il faut, à cet égard, se rappeler que le Conseil constitutionnel se garde, avec raison, de définir ce que serait une étude d’impact satisfaisante. Saisi par le Premier ministre à l’occasion de l’examen du projet de loi NOTRe, le Sénat refusant d’inscrire le texte à l’ordre du jour au motif que son étude d’impact ne respectait pas les prescriptions de la loi organique, le Conseil constitutionnel a ainsi jugé que les dispositions organiques n’avaient pas été méconnues, alors que les critiques étaient féroces.
En réalité, lorsque nous élaborons la loi, nous ne manquons pas d’analyses ou d’études, ni même de l’avis d’organismes indépendants, qui ne se privent nullement de le donner. Nous manquons souvent de suite dans les idées. Nous devrions pouvoir prendre le temps de mieux évaluer la loi et d’en tirer les leçons quant à sa pertinence, à son efficacité ou à son utilité.
Plutôt que de nous livrer, toujours plus avant, à un exercice d’analyse a priori qui, quelles que soient les garanties qui l’entourent, sera toujours frustrant, nous devons consacrer des moyens importants à l’évaluation et au contrôle a posteriori des politiques publiques. Nous devons, pour cela, donner au Parlement un « droit de suite » : le droit de légiférer sur la base de ses propres évaluations.
Ce sont les orientations définies et annoncées par le Président de la République dans le cadre de la révision constitutionnelle qui s’annonce : il s’agit de faire marcher le Parlement sur ses deux jambes, si je puis m’exprimer ainsi, à savoir le vote de la loi, d’une part, et l’évaluation des politiques publiques, d’autre part.
Le Président de la République et le Premier ministre ont plusieurs fois évoqué un « printemps de l’évaluation », par exemple avec un examen rénové de la loi de règlement, mais aussi – cette piste a été envisagée devant la Cour des comptes – avec l’audition de chacun des ministres par les commissions parlementaires sur le bilan de l’année écoulée et sur le programme de travail de l’année à venir.
Il faudrait, en somme, que le Gouvernement passe moins de temps à convaincre, et plus à rendre compte. Cela vaut en matière budgétaire, bien sûr, comme pour les autres domaines de l’action publique. Le Gouvernement doit se rendre disponible pour présenter au Parlement les résultats ministériels, tant dans l’application des lois que dans la performance des politiques publiques. C’est une ambition forte, et le gage d’un fonctionnement sain de notre démocratie et de la séparation des pouvoirs.
Rééquilibrer le calendrier parlementaire, en somme, tel est l’enjeu pour nous. Cela passera peut-être, aussi, par l’enrichissement de la semaine de contrôle, qui n’apporte aujourd’hui pas pleinement satisfaction aujourd’hui aux parlementaires, alors qu’elle pourrait être un outil formidable de suivi et de contrôle de l’action du Gouvernement.
De tout cela, mesdames, messieurs les sénateurs, vous serez amenés à discuter à brève échéance. C’est une position de principe ambitieuse, une volonté forte du Gouvernement et du Président de la République, qui seront soumises à votre examen dans les semaines et les mois à venir.
Des consultations vont être engagées à partir de cette semaine pour recueillir les avis et les expertises de toutes les parties prenantes en vue de la révision constitutionnelle, qui devra être adoptée avant l’été. Cette proposition de loi organique vient donc heurter le calendrier de cette grande réforme constitutionnelle. Cela justifie les plus grandes réserves du Gouvernement quant à son éventuelle adoption.
En second lieu, le Gouvernement émet sur ce texte plusieurs réserves d’ordre juridique qui plaident également pour un rejet.
Sans trop anticiper le débat sur chacun des amendements, je soulignerai d’ores et déjà que ces réserves portent principalement sur l’article 2 de la proposition de loi, qui prévoit que les évaluations figurant dans les études d’impact « sont également réalisées par des organismes indépendants ».
Cette rédaction convient mieux au Gouvernement que la version initiale du texte, qui prévoyait le recours à des organismes publics indépendants et pluralistes, ainsi qu’à des personnalités qualifiées désignées par le Parlement, pour la réalisation des évaluations figurant dans les études d’impact. Elle lève ainsi la principale objection qui pouvait être formulée à l’égard du texte initial, tenant au fait qu’une étude d’impact a pour objet de compléter l’exposé des motifs des projets de loi par une analyse précise des avantages attendus et des multiples incidences du texte. Une étude d’impact ne constitue donc pas un diagnostic préalable pouvant relever de la seule compétence d’une autorité indépendante.
Néanmoins, l’obligation de contre-expertise indépendante que ces dispositions entraînent pourrait ne pas être conforme aux dispositions de l’article 39 de la Constitution. Cet article n’habilite en effet le législateur organique qu’à réglementer les conditions de « présentation » des projets de loi. Or une telle exigence pourrait être regardée comme touchant non pas à la présentation, mais à l’élaboration même des projets de loi.
Mesdames, messieurs les sénateurs, au-delà des réserves d’ordre juridique que j’ai brièvement mentionnées et sur lesquelles j’aurai l’occasion de revenir lors de l’examen des amendements, vous aurez compris que ce sont des raisons de principe, de calendrier et d’orientations de la révision constitutionnelle qui conduiront le Gouvernement à donner un avis défavorable à l’adoption de la présente proposition de loi organique par votre assemblée.
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur de la commission des lois, monsieur l’auteur de la proposition de loi, mes chers collègues, en 2007, dans le rapport pour « une Ve République plus démocratique », le comité de réflexion présidé par Édouard Balladur recommandait « que l’existence de ces études d’impact soit une condition de la recevabilité d’un projet de loi au Parlement, à charge pour le Conseil constitutionnel de vérifier […] que ce document satisfait aux exigences qu’une loi organique pourrait prévoir ».
Cette conception, très clairement énoncée, a guidé le pouvoir constituant en 2008 lors de la modification de l’article 39 de la Constitution, puis lors de l’adoption de la loi organique du 15 avril 2009.
Cela n’a pas empêché la pratique et la jurisprudence constitutionnelle de s’éloigner de l’esprit du texte de 2009. Dès les premières manifestations de cette dérive, le groupe du RDSE avait réagi en proposant de clarifier la rédaction de l’article 8 de la loi organique, afin que les dispositions de celle-ci ne puissent plus donner lieu à une interprétation trop restrictive, aboutissant au contrôle, minimal, de la simple existence d’une étude d’impact. Si le législateur avait fixé des critères, c’était pour que le Conseil constitutionnel en sanctionne le cas échéant le non-respect !
Le caractère imparfait des études d’impact est aujourd’hui largement reconnu, y compris par le Conseil d’État. Nous saluons donc l’initiative prise par nos collègues socialistes de remettre ce sujet à l’ordre du jour, ainsi que les améliorations apportées par le rapporteur, dans le prolongement des réflexions conduites par notre collègue François Pillet.
La généralisation des études d’impact à tous les projets de loi n’a pas produit les effets escomptés, à savoir l’amélioration de la qualité de la loi et la limitation de l’inflation normative, leur qualité étant trop aléatoire. Certains d’entre nous gardent le souvenir de l’étude fournie à l’appui de la loi du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, qui n’expliquait ni les calculs retenus, ni le détail des options possibles, ni les raisons pour lesquelles certains découpages avaient été préférés à d’autres.
Dans de nombreux cas, les études d’impact donnent l’impression d’être destinées à noyer leurs lecteurs sous des détails encyclopédiques, sans pour autant répondre à l’objectif fixé par la loi organique.
Soumettre aux parlementaires des études d’impact de qualité est également un enjeu en termes de rééquilibrage institutionnel, dans un contexte de marginalisation du Parlement. L’avenir du parlementarisme en France dépend de la possibilité, pour les membres de nos assemblées, de disposer de données agrégées pour formuler des propositions réalistes, en adéquation avec les attentes des citoyens exprimées sur le terrain.
C’était d’ailleurs l’esprit de l’amendement déposé par le président Requier visant à soumettre à l’exigence de la fourniture d’une étude d’impact non seulement les projets de loi, mais également les amendements substantiels déposés par le Gouvernement sur ses propres textes.
M. Jean-Claude Requier. Eh oui !
Mme Maryse Carrère. Trop souvent, le dépôt d’amendements du Gouvernement en séance aboutit à contourner cette exigence et participe à l’inflation législative.
M. Jean-Claude Requier. Exactement !
Mme Maryse Carrère. L’irrecevabilité de cet amendement déclarée par la commission des lois illustre à nos dépens l’autorégulation dont la Haute Assemblée est capable !
Bien que les modifications proposées ne permettent pas de renforcer le contrôle exercé par le Conseil constitutionnel sur le contenu des études d’impact, je me félicite du consensus trouvé sur ce texte en commission. Cela a permis d’étoffer la proposition de loi. Si quelques membres du groupe regrettent que la réflexion de notre collègue Montaugé sur les nouveaux indicateurs de richesse ne soit pas prise en compte dans la version finale, nous sommes en revanche très favorables à l’extension de la liste des informations devant figurer dans l’étude d’impact. Il s’agit, en particulier, d’y inclure les données concernant les collectivités territoriales et les entreprises, au travers de l’article 1er A, et les données relatives aux moyens humains et informatiques nécessaires à la mise en œuvre de nouvelles dispositions, au travers de l’article 1er bis.
Est également reprise l’obligation de préciser « l’apport des dispositions envisagées en matière de simplification et, en cas de création d’une nouvelle norme, les normes dont l’abrogation est proposée ». Cela permettra d’atteindre l’objectif de simplification des normes cher à l’ensemble des membres du groupe RDSE.
Le texte prévoit en outre de permettre que la production d’évaluations des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales des dispositions envisagées, ainsi que de leurs conséquences sur l’emploi public, soit effectuée par des organismes indépendants, de manière complémentaire.
Si nous nous réjouissons de cet apport, nous serons néanmoins attentifs aux modalités de désignation de ces organismes, ainsi qu’aux les modalités de réalisation de ces évaluations, dans un souci de transparence, le texte ouvrant la voie à l’évaluation par des organismes privés.
L’alinéa 2 permettant, le cas échéant, la prise en compte des avis rendus par le Conseil national de l’évaluation des normes représente une réelle avancée, car cela permettra d’estimer par avance les coûts d’une mesure, non seulement pour nos collectivités territoriales, mais également pour nos entreprises. Cette disposition aurait pu s’avérer bien utile pour nombre de dirigeants d’exécutifs locaux lors des différentes réformes de ces dernières années.
L’allongement des délais de saisine du Conseil constitutionnel par la conférence des présidents pourrait également aller dans le bon sens si elle s’accompagnait d’une évolution effective du contrôle assuré par le Conseil constitutionnel.
Bien qu’il ne remédie pas à toutes les insuffisances que j’ai relevées, le groupe du RDSE est favorable à ce texte. Il s’agit d’un premier débat, qui a vocation à ouvrir la voie à celui, plus vaste, sur la réforme constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Daniel Gremillet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, je voudrais moi aussi saluer cette proposition de loi visant à améliorer la qualité des études d’impact présentée par M. Franck Montaugé. Lorsqu’il l’a élaborée, notre collègue n’imaginait sans doute pas qu’elle serait débattue dans un tel contexte politique !
Je salue également le travail réalisé par la commission des lois et son rapporteur, qui a permis d’enrichir le texte. Il était urgent et important d’avancer sur cette question des études d’impact, d’autant que, dans un avis du 8 mars 2017, le Conseil d’État soulignait que, « livrées très tardivement au Conseil d’État, elles ne servent la plupart du temps qu’à justifier la réforme déjà décidée », en déplorant « l’absence de contrôle externe sur la qualité de l’étude d’impact, faite par l’administration qui prépare la norme », « l’absence de confrontation systématique aux destinataires de la norme, à l’exception notable des collectivités territoriales » et le fait que le champ de l’étude d’impact soit souvent insuffisant. Le jugement était sévère !
Il convient d’envisager cette réflexion sur l’étude d’impact à la lumière de l’évolution de la Constitution depuis 2008.
Les amendements approuvés par la commission des lois ont d’abord trait aux collectivités. Selon le Conseil national d’évaluation des normes, le CNEN, le seul projet de décret relatif aux obligations de travaux d’amélioration de la performance énergétique dans les bâtiments existants à usage tertiaire, en application de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, avait entraîné, pour les collectivités territoriales, un coût estimé à 4,41 milliards d’euros. À cet égard, l’amendement du rapporteur relatif à l’évaluation des coûts est très important pour nos collectivités, trop souvent abandonnées.
La simplification des normes a été un autre champ d’intervention pour la commission des lois. Il est nécessaire que les normes supprimées soient de la même portée que celles qui sont créées.
Enfin, pour ce qui concerne les entreprises, je veux rendre hommage au travail effectué par la délégation sénatoriale aux entreprises, présidée par Élisabeth Lamure. En vue de renforcer la performance économique de notre pays, il importe de pouvoir disposer d’une évaluation des coûts induits par l’application des textes pour les entreprises.
Dans une perspective plus large, quel travail législatif voulons-nous pour demain ? Quelle confiance notre pays place-t-il en ses parlementaires ?
Le sujet dont nous débattons cet après-midi fait naturellement écho – cela a été dit – à la réforme constitutionnelle annoncée par le Président de la République. Or, en la matière, les signaux envoyés par l’exécutif sont extrêmement préoccupants. Je pense à deux mesures visant à restreindre le droit d’amendement qui font la une des journaux d’aujourd’hui : l’interdiction du dépôt en séance publique d’un amendement ayant été rejeté par la commission chargée d’examiner le texte en amont ; la limitation, au prorata de la taille du groupe, du nombre d’amendements pouvant être déposés par un parti d’opposition. Ces mesures reviennent sur un droit constitutif du Parlement : ce n’est pas acceptable.
Je ne partage pas cette vision du travail parlementaire et du rôle du Parlement. Au contraire, je crois au courage politique et au caractère absolument stratégique de l’action des parlementaires pour ce que nous avons de plus précieux, à savoir le bon fonctionnement de notre démocratie.
À rebours des discours populaires, pour ne pas dire populistes, qui voudraient nous faire croire que le temps parlementaire est trop long, que mener des auditions et associer le plus en amont possible les parties prenantes, faire se confronter les points de vue, débattre entre représentants de sensibilités politiques différentes dans cet hémicycle, y compris à une heure avancée de la nuit, ne servirait à rien, j’estime qu’il faut avoir le courage de dire à nos concitoyens que le débat parlementaire est absolument fondamental pour prendre les bonnes décisions et permettre à notre pays de faire des choix structurants pour l’avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour le groupe La République En Marche.
M. Alain Richard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous revenons, à l’occasion de l’examen de cette proposition de loi organique, sur l’étude d’impact préalable au dépôt d’un projet de loi prévue dans la réforme constitutionnelle de 2008. Cette disposition a constitué, aux yeux du groupe auquel j’appartiens, un excellent apport pour notre système de construction de la loi issu de cette réforme et de la loi organique qui a suivi, le 15 avril 2009.
L’expérience du recours à ces études d’impact est donc désormais menée depuis sept ans. Il n’est pas injustifié de s’y pencher et de la confronter à un certain nombre d’exigences supplémentaires de qualité ou de précision.
Le moment est opportun pour constater que cette mesure a constitué, en soi, un progrès. La masse des informations qui figurent dans les études d’impact est d’ores et déjà tout à fait considérable et offre des outils d’analyse utiles au législateur pour approfondir l’objet du texte et notre projet, pluraliste, visant à perfectionner et à compléter la loi.
Observons simplement que, comme à chaque fois qu’il est question de présentation d’informations ou de données, le caractère pléthorique du contenu de l’étude d’impact a une conséquence négative : plus la masse d’informations est lourde, plus l’information réellement pertinente risque d’être difficile à appréhender.
Oserais-je dire que le temps consacré par un parlementaire moyen à la lecture de l’étude d’impact, qui représente souvent des centaines de pages, avant qu’il ne se prononce sur le projet de loi, n’est pas toujours à la hauteur du contenu qui y figure ?
La proposition de loi organique part d’une bonne intention : il y a un outil, qui est déjà très important, mais il convient de le perfectionner. Ce texte relève d’objectifs qui peuvent être salués. Je prendrai toutefois la liberté de souligner le caractère quelque peu superfétatoire de certaines mentions, lesquelles ne sont en réalité que des commentaires de ce qui figure déjà dans la loi organique de 2009.
J’en prendrai deux exemples.
Premièrement, la proposition de loi organique demande que figurent dans l’étude d’impact « les conséquences du projet de loi pour les entreprises et les collectivités ». Or le texte en vigueur dispose qu’il faut évaluer les conséquences « sur chaque catégorie d’administration publique », ce qui englobe clairement les collectivités, et « sur chaque catégorie de personnes physiques et morales intéressées », ce qui comprend évidemment les entreprises.
Deuxièmement, la proposition de loi organique prévoit qu’il soit procédé à « l’analyse des moyens nécessaires à la mise en œuvre des dispositions envisagées ». Or le texte en vigueur dispose qu’il faut « évaluer les conséquences des dispositions envisagées sur l’emploi public ».
Il est donc possible d’objecter que cette proposition de loi est quelque peu inflationniste.
L’une des innovations du présent texte mérite débat. Il s’agit de l’obligation de faire réaliser une partie de l’étude d’impact – l’évaluation des conséquences – par des organismes extérieurs à l’État. Ce choix me paraît fort discutable et peu motivé.
Cette possibilité existe d’ores et déjà aujourd’hui : le Gouvernement, auteur et responsable politiquement du projet de loi, peut tout à fait demander à tel ou tel organisme indépendant, y compris au sein de l’État – nous avons évoqué l’Institut national de la statistique et des études économiques, l’INSEE –, de porter sa propre appréciation et d’apporter sa contribution à l’analyse des conséquences anticipées du projet de loi.
Faire de cette possibilité une obligation me paraît être un saut dans l’inconnu, et surtout une remise en cause – M. le secrétaire d’État y faisait allusion précédemment. En effet, l’étude d’impact fait partie du projet de loi en tant qu’elle est l’un des éléments du texte soumis au Parlement, lequel relève de la responsabilité entière du Gouvernement.
Il est donc contradictoire d’envisager qu’une partie du projet de loi puisse ne pas émaner du Gouvernement. En outre, cela participe d’une forme de suspicion : lorsqu’il s’agit d’analyser les conséquences d’un texte, l’honnêteté et la rigueur intellectuelles d’un organisme extérieur seraient supérieures à celles du service public…
J’ajoute qu’il existe d’ores et déjà des moyens de critiquer la qualité de l’étude d’impact.
L’un est informel et non obligatoire, c’est le contrôle du Conseil d’État. Notre collègue Daniel Gremillet a fait justement remarquer que le Conseil d’État exerçait une surveillance vigilante de la qualité des études d’impact et alertait le Gouvernement sur leur caractère parfois insuffisant.
L’autre moyen est le pouvoir souverain reconnu au Parlement, via la conférence des présidents, de refuser d’inscrire un texte à l’ordre du jour, ou de demander que l’étude d’impact soit complétée, à condition qu’une majorité se dégage au sein de la conférence des présidents pour procéder à cette demande.
Je vois dans ce texte, en revanche, des dispositions utiles.
Je citerai celle que Jean-Pierre Sueur a rappelée, et que j’avais préconisée voilà quelques années : l’avis du CNEN devrait figurer, par nature, dans l’étude d’impact.
Il y a aussi le délai supplémentaire accordé à la conférence des présidents, dans le cas où elle opposerait une objection à l’étude d’impact, pour que celle-ci soit vérifiée, contre-expertisée, afin d’être soumise ensuite au Conseil constitutionnel.
Cette proposition de loi organique comprend donc des éléments préparatoires à un débat utile sur les études d’impact, mais elle est à plusieurs égards soit exagérément complexe, soit prématurée. Il me semble qu’il serait beaucoup plus simple d’attendre les modifications qu’apportera la réforme constitutionnelle, lesquelles viseront certainement à parfaire la qualité de la législation et donneront lieu à un complément de la loi organique. Je préférerais donc que l’on reporte l’examen de ce texte à plus tard. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, quand on se rappelle avec quelle désinvolture le Conseil constitutionnel a validé l’étude d’impact accompagnant le projet de redécoupage régional, on a quelques doutes sur la destinée des propositions d’amélioration desdites études que pourraient faire les parlementaires… D’ailleurs, le Gouvernement vient de nous le dire, tout va très bien ! Soit dit par parenthèse, cela signifie que les prétendues « avancées » de la réforme constitutionnelle de 2008 ont plutôt fait du sur-place.
Cela étant dit, la proposition de loi initiale de notre collègue Franck Montaugé était bienvenue. Quant au sort que lui ont réservé le rapporteur et la commission des lois, c’est une autre question… Nous y reviendrons. C’est fou comme, ces derniers temps, les propositions de loi ont tendance à rétrécir au lavage de la commission des lois ! (Sourires.) Là encore, je m’interroge sur l’effet réel de la réforme constitutionnelle de 2008.
Deux dispositions de la proposition de loi initiale me paraissaient bienvenues.
Il s’agit, tout d’abord, de la prise en compte de l’impact qualitatif des projets de loi au regard des nouveaux indicateurs de richesse définis par la loi du 13 avril 2015, ou loi Sas. Comme on sait, il s’agit notamment d’indicateurs d’inégalités, de qualité de vie, de développement durable et, d’une manière générale, d’indicateurs qualitatifs. Ils auraient été très utiles lors de l’examen de la loi NOTRe !
Notre « mission de contrôle et de suivi », pour reprendre les termes employés dans le rapport d’évaluation du Sénat sur la loi NOTRe, a en effet constaté que « le renforcement de certaines collectivités au détriment d’autres a généré des gagnantes et des perdantes qui ont le sentiment d’être des oubliées de l’État, notamment les petites communes rurales ». Avec la multiplication des métropoles, on risque d’en avoir une cruelle confirmation.
Quand on sait, en outre, comment est fabriqué le PIB, qui laisse délibérément de côté la plupart des activités non marchandes, mais qui intégrera bientôt le trafic de drogue, on a tout lieu de soutenir cette proposition !
La seconde disposition intéressante à mes yeux tendait à ce que ces études d’impact ne soient plus « mitonnées » au sein des services de l’État – juge et partie –, mais confiées à des organismes indépendants et pluralistes comme le Conseil économique, social et environnemental, le CESE, ou l’INSEE, l’Assemblée nationale et le Sénat ayant toujours la possibilité de désigner des universitaires et des personnes qualifiées selon l’objet des projets de loi.
Dans le prolongement de cette idée, j’ai déposé un amendement visant à prévoir que ces organismes devraient consulter, préalablement au commencement de leurs travaux, les commissions saisies au fond à l’Assemblée nationale et au Sénat des points et des sujets qu’elles souhaitent voir traiter dans l’étude d’impact. Je ne suis pas le seul à avoir constaté que les études d’impact répondent rarement aux interrogations des parlementaires : on y trouve essentiellement ce que l’on ne cherche pas !
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Pierre-Yves Collombat. Il ne nous est pas possible, en revanche, de soutenir le second volet des propositions de loi. Si ce volet – la création d’un « Conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être » chargé d’« informer le Parlement sur la politique suivie […] au regard des nouveaux indicateurs de richesse » – fait l’objet d’un texte spécifique, il n’en est pas moins étroitement lié à celui que je viens d’évoquer. Ce conseil se composerait de dix-huit sénateurs et de dix-huit députés, et serait assisté d’un comité scientifique encore plus pléthorique, comptant trente membres.
Très franchement, on ne voit pas bien quel bénéfice pourrait apporter la création de cette nouvelle délégation parlementaire chargée d’évaluer et d’améliorer les indicateurs utilisés au titre des études d’impact, évaluations et améliorations devant elles-mêmes faire l’objet d’une contre-expertise. En bonne logique, nous soutiendrons donc la proposition de renvoi à la commission du rapporteur.
Par contre, comme l’auteur de la proposition de loi organique, si l’on en juge par les amendements qu’il a déposés avec son groupe, nous soutiendrons le rétablissement de l’article 1er, supprimé par la commission – on se demande bien pourquoi ! –, ainsi que le rétablissement du caractère public des organismes indépendants chargés de réaliser l’étude d’impact. Nous ne pensons pas, en effet, qu’être soumis aux contraintes du marché et au bon vouloir de ses clients soit la meilleure garantie d’indépendance…
Nous avons proposé, en outre, que les amendements déposés par le Gouvernement modifiant substantiellement les propositions de loi ou les projets de loi initiaux soient, eux aussi, accompagnés d’une étude d’impact. Notre amendement en ce sens a été déclaré irrecevable au titre de l’article 45 de la Constitution, interprété de manière très extensive. À part ça, comme on nous le dit régulièrement, l’urgence est au renforcement des pouvoirs du Parlement ! Peut-être faudrait-il qu’il commence par les renforcer lui-même…
Tel est donc l’esprit dans lequel nous abordons la discussion des deux textes soumis à notre examen, en regrettant que la commission ait cru bon de transformer une proposition de loi simple, claire et utile en un texte trop compliqué pour avoir une chance de survivre à la navette. Mais peut-être était-ce le but ?
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi organique que nous examinons aujourd’hui nous invite à dresser un bilan du recours aux études d’impact.
Je voudrais tout d’abord insister sur la question préalable, si j’ose dire, posée par le texte tel qu’il résulte des travaux de notre commission des lois, mais aussi sur la question qu’il ne pose pas.
La question préalable est de savoir si, à travers l’examen de la proposition de loi organique visant à améliorer la qualité des études d’impact des projets de loi, nous pouvons procéder à une sorte d’anticipation du débat sur la révision constitutionnelle à venir.
Le rapporteur, M. Sueur, a fait substantiellement évoluer la proposition de loi en intégrant dans les études d’impact l’évaluation des conséquences, pour les entreprises et les collectivités territoriales, notamment en termes de coût, des dispositions envisagées. Il y ajoute l’évaluation des moyens humains, financiers et informatiques nécessaires à leur mise en œuvre, ainsi qu’une analyse du bilan des normes créées et abrogées. Par ailleurs, il propose le recours à un certain nombre d’organismes indépendants énumérés de manière non limitative, en complément du débat, que chacun de nous a en tête, sur la mise à disposition du Parlement de la Cour des comptes.
Enfin, le texte issu des travaux de la commission des lois intègre la proposition n° 18 du groupe de travail du Sénat sur la révision constitutionnelle en ce qui concerne les conditions dans lesquelles la conférence des présidents de l’assemblée pourrait constater que les obligations relatives aux études d’impact ne sont pas remplies.
En résumé, mes chers collègues, le texte de la commission des lois reprend trois propositions du groupe de travail sénatorial sur la révision constitutionnelle.
Je le dis immédiatement, ces propositions ont l’agrément du groupe Union Centriste. Cela étant, il ne nous est pas interdit de nous poser collectivement la question suivante : est-il pertinent de mener ce débat aujourd’hui ou conviendrait-il plutôt de l’intégrer à celui, plus général, qui devrait – je préfère m’exprimer au conditionnel – se tenir dans notre assemblée ? Cette question a déjà été posée par l’un des orateurs qui m’ont précédé et par M. le secrétaire d’État.
La question que ne pose pas la proposition de loi organique en l’état est celle de l’intégration de la démocratie participative, de l’expression plus directe du citoyen, au travers des études d’impact, en amont du processus législatif.
Cette question est posée par la société française. Il existe en effet une large aspiration à ce que notre démocratie soit plus participative, dans une meilleure complémentarité avec la démocratie représentative à laquelle nous sommes tous attachés, pour aboutir à ce que notre collègue Henri Cabanel et moi-même avions appelé, voilà un an, une démocratie « coopérative ».
Tout un mouvement de la société civile résumé dans la notion de civic tech tend à ce que l’expression du citoyen soit généralisée et facilitée par le biais, notamment, de modalités numériques.
De telles dispositions peuvent être mises en œuvre par une réactivation du droit de pétition devant les assemblées parlementaires, tombé en désuétude, par un mécanisme de consultation numérique ou par des conférences de consensus et autres panels citoyens. Cela pourrait concerner, en particulier, les textes à vocation sociétale ou touchant des sujets scientifiques.
Après vous avoir incités à vous demander d’abord s’il y a ou non lieu d’anticiper le débat constitutionnel à venir, je soulignerai que la question des études d’impact peut être envisagée dans une perspective plus générale et mériterait sans doute d’être encore travaillée par notre assemblée. Ces observations préalables étant formulées, j’admets bien volontiers, avec mon groupe, que les mesures proposées sont plutôt de bon aloi, pertinentes et de nature à rendre les études d’impact plus efficaces. C’est pourquoi le groupe Union Centriste apportera son soutien au texte dans son état actuel, sans demander le renvoi à un débat ultérieur. Nous sommes néanmoins attentifs aux moyens de mieux associer nos concitoyens à l’élaboration de la norme législative et à la probable réforme des institutions, dont nous sommes nombreux à souhaiter la réussite. (Applaudissements au banc des commissions, ainsi que sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Alain Marc, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Alain Marc. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la généralisation des études d’impact accompagnant les projets de loi – ou, s’agissant des projets de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale, des évaluations préalables qui en tiennent lieu – a constitué une réelle amélioration, puisqu’en principe elle oblige, depuis 2009, le Gouvernement à éclairer le Parlement sur les raisons de légiférer, sur les options alternatives et sur l’ensemble des conséquences des dispositions envisagées.
La proposition de loi organique que nous examinons aujourd’hui prévoit, d’une part, que les études d’impact des projets de loi doivent comporter une « évaluation qualitative de l’impact des dispositions envisagées au regard des nouveaux indicateurs de richesse », et, d’autre part, que les évaluations devant figurer dans les études d’impact doivent être réalisées par des « organismes publics indépendants et pluralistes », auxquels les assemblées parlementaires pourraient adjoindre des personnalités qualifiées.
L’examen de ce texte renvoie au débat sur l’utilité et sur la qualité des études d’impact, alors que le Gouvernement, conformément à l’annonce faite le 3 juillet 2017 par le Président de la République devant le Parlement réuni en Congrès, élabore un projet de révision constitutionnelle dont la discussion pourra précisément être l’occasion d’évoquer la question de la qualité des études d’impact.
L’obligation de joindre aux projets de loi, dès leur transmission au Conseil d’État, puis lors de leur dépôt sur le bureau de l’une ou l’autre des deux assemblées, une étude d’impact comportant une série d’informations et d’évaluations, a été instaurée par la loi organique du 15 avril 2009. Cette obligation d’information du Parlement à la charge du Gouvernement est entrée en vigueur pour les projets de loi déposés à compter du 1er septembre 2009.
Si les études d’impact constituent une indéniable avancée et une incontestable garantie de meilleure information du Parlement, leur contenu, leur qualité et leur procédure d’élaboration doivent néanmoins être améliorés. En effet, la pratique s’est révélée décevante depuis 2009 au regard des espoirs placés dans cet outil pour faire progresser la qualité du processus d’élaboration des lois.
C’est pourquoi l’examen de cette proposition de loi organique est l’occasion de reprendre les travaux antérieurs du Sénat sur les études d’impact et d’introduire dans le texte les propositions formulées en janvier 2018 par le groupe de travail du Sénat sur la révision constitutionnelle, lorsqu’elles ne nécessitaient pas de modification de la Constitution.
Je me réjouis donc que la commission des lois, sur l’initiative du rapporteur, ait décidé – à l’unanimité – de relever le niveau d’exigence pour les études d’impact des projets de loi, par le biais de l’adoption de sept amendements.
Ainsi, en complément des évaluations réalisées par le Gouvernement, les études d’impact devront comporter des évaluations réalisées par des organismes indépendants, afin de renforcer l’objectivité de l’information du Parlement sur les conséquences des projets de loi.
Les études d’impact devront aussi comporter une évaluation des moyens nécessaires à la mise en œuvre des projets de loi par l’État et les administrations publiques, d’un point de vue à la fois humain, budgétaire et informatique, ainsi que des délais nécessaires à leur mise en œuvre.
En outre, elles devront évaluer spécifiquement les coûts induits par les projets de loi pour les collectivités territoriales et pour les entreprises, ainsi que l’apport des projets de loi en matière de simplification.
Elles devront également préciser, dans l’hypothèse où la création de nouvelles normes est envisagée, les normes qu’il est proposé d’abroger en contrepartie. Les avis rendus par le CNEN devront ainsi y être joints.
Enfin, en matière de procédure, la conférence des présidents de la première assemblée saisie devra disposer d’un délai allongé de dix à trente jours pour apprécier la qualité de l’étude d’impact et s’opposer à l’inscription du projet de loi concerné à son ordre du jour si l’étude d’impact est jugée insuffisante.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les amendements adoptés en commission des lois modifient de façon substantielle la proposition de loi organique en y incorporant les conclusions du groupe de travail sur la révision constitutionnelle. Notre groupe votera en faveur de l’adoption de ce texte. (Applaudissements au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Éric Kerrouche. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il n’aura échappé à personne – à part peut-être au Gouvernement ! – que c’est dans cet hémicycle que se fait la loi. Cela requiert, de notre part, un niveau d’exigence élevé et une responsabilité permanente. Cela requiert également une objectivation de nos décisions, sans pour autant que nous abdiquions nos convictions de gauche, de droite ou d’ailleurs…
En tant que parlementaires, l’objectivation de nos décisions passe par le recours à un certain nombre d’outils en vue de confronter des points de vue divergents, pluralistes : auditions, tables rondes, conférences, rapports…
En effet, la décision publique, le choix politique ne devraient jamais céder avec trop de facilité démagogique à la tentation de l’émotion et de l’air du temps, mais plutôt se fonder, en responsabilité, sur la raison, pour que la loi soit de qualité.
Aux fins d’amélioration de la qualité de la loi et de limitation de l’inflation législative, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 et la loi organique du 15 avril 2009 ont instauré l’obligation de joindre aux projets de loi une étude d’impact comportant une série d’informations et d’évaluations.
L’étude d’impact a un rôle : éclairer le Parlement. Toutefois, comme l’a souligné notre rapporteur, qu’il faut remercier de son travail, les études d’impact ont fait l’objet de critiques régulières et parfois sévères quant à leur utilité, à leur contenu et à leurs modalités d’élaboration. Tantôt pures formalités, tantôt justifications a posteriori d’un projet de loi, elles ne donnent pas satisfaction et ne permettent pas de fournir une information de qualité au Parlement.
Ainsi – c’est mon premier point –, la proposition de loi organique de notre collègue Franck Montaugé vise justement à améliorer la qualité de ces études et à garantir leur indépendance. Elle tend à instaurer des études d’impact répondant réellement à leur objectif. Je tiens à saluer ici l’important travail fourni, dans la durée et en intensité, par notre collègue, et à remercier celui-ci d’attirer notre attention sur une problématique qui touche à un aspect essentiel de la décision publique.
La proposition de loi organique porte, d’une part, sur le contenu des études d’impact, et, d’autre part, sur la nature des organismes qui peuvent les réaliser.
En ce qui concerne l’amélioration de la qualité des études d’impact, il n’est plus possible, c’est vrai – je rejoins en cela les conclusions de Franck Montaugé –, de se fonder uniquement sur le PIB, parce que cette grille d’interprétation conditionne notre façon d’appréhender le monde, et donc la manière dont sont conduites les politiques publiques. Si le PIB est un indicateur indispensable pour mesurer la croissance, voire pour juger de l’efficacité des politiques publiques, il n’est pas, il ne peut plus être le seul instrument de mesure.
Ce constat est étayé par une littérature importante, qu’elle provienne des Nations unies, avec l’IDH, l’indicateur de développement humain, ou de l’OCDE, de la commission Stiglitz-Sen-Fitoussi ou encore de France Stratégie. Tous ces organismes s’accordent pour affirmer, à l’instar de l’OCDE en 2007, que le PIB n’est plus suffisant et qu’il est nécessaire « de procéder à une mesure du progrès social dans chaque pays [qui aille bien] au-delà [de ces] mesures […] conventionnelles ».
Ce qui est ici en jeu, c’est une approche pluraliste, avec des critères multiples, permettant de sortir de la suprématie d’une mesure uniquement économique, alors que l’économie ne constitue qu’une dimension parmi d’autres de la réalité sociale, omettant la question environnementale et celle des inégalités sociales, de plus en plus prégnante dans l’ensemble des pays occidentaux.
Il est donc nécessaire pour nous d’embrasser l’ensemble des disciplines, de développer des indicateurs alternatifs, afin de mesurer vraiment la qualité de la décision publique. En conséquence, notre collègue propose de prendre en compte dans les études d’impact les nouveaux indicateurs de richesse issus de la loi Sas du 13 avril 2015 visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques, afin que l’analyse ne se limite pas à des critères uniquement économiques et quantitatifs, mais englobe la mesure du bien-être ou celle des inégalités, dans un contexte de soutenabilité environnementale.
Édouard Philippe précise, dans son éditorial du rapport de 2017 sur les nouveaux indicateurs de richesse, que les dix indicateurs dont nous disposons sont « un outil unique. C’est un constat sans appel de l’évolution de notre société, c’est un rappel puissant au Parlement et au Gouvernement de leurs responsabilités. »
Nous regrettons que l’article 1er de cette proposition de loi organique n’ait pas été retenu par la commission, et nous soutiendrons son rétablissement, en profitant de la possibilité qui nous est encore offerte d’amender librement les textes… (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Pierre-Yves Collombat. Bravo !
M. Éric Kerrouche. Par ailleurs, il faut des études d’impact indépendantes, pour en garantir l’objectivité. Il est en effet curieux, sinon incongru, que l’étude d’impact soit réalisée par l’instance qui rédige le projet de loi. Au mieux, cela biaise l’interprétation ; au pire, cela limite profondément les possibilités d’ouverture. L’indépendance des études d’impact pourrait produire des effets qualitatifs importants. En ce qui nous concerne, nous tenons au maintien du caractère public et pluraliste des organismes habilités à élaborer ces études, parce que cela serait aussi un moyen de mettre en valeur notre recherche publique. Néanmoins, concernant l’article 2, il y a lieu de reconnaître que la position consensuelle qui a émergé grâce au travail de notre rapporteur est intéressante.
D’une part, la proposition de loi organique, telle qu’elle est rédigée, permet d’assurer la réalisation d’évaluations complémentaires par des organismes indépendants, dont le contenu serait intégré au document rendant compte de l’étude d’impact. Nous pouvons nous féliciter de cette avancée, qui permettra de renforcer l’objectivité de l’information du Parlement, même si, je le répète, nous tenons au caractère public et pluraliste de ces organismes.
D’autre part, comme l’ont déjà souligné d’autres orateurs, l’intégration dans cette proposition de loi des réflexions du groupe de travail sénatorial sur la révision constitutionnelle apporte réellement des éléments discriminants.
Les études d’impact devront désormais intégrer une évaluation des moyens nécessaires pour la mise en œuvre du texte par l’État et les administrations, l’apport du projet de loi en matière de simplification, l’évaluation des coûts induits pour les collectivités et pour les entreprises. En outre, la conférence des présidents disposera d’un délai de trente jours, au lieu de dix, pour apprécier la qualité de l’étude d’impact et s’opposer, s’il y a lieu, à l’inscription de l’examen du projet de loi à son ordre du jour.
Nous approuvons l’ensemble de ces propositions, qui concourront à améliorer la qualité et l’objectivité des études d’impact et à enrichir notre culture de l’évaluation.
Nous voterons bien entendu cette proposition de loi organique, mais nous estimons, comme notre collègue Franck Montaugé, que la réflexion sur les nouveaux indicateurs de richesse doit être poursuivie et que ces indicateurs mériteraient d’être intégrés dans nos grilles d’interprétation pour éviter que l’économie demeure l’unique grammaire de nos politiques.
Pour conclure, si j’étais taquin – mais je ne le suis pas –, je dirais, pour faire suite aux propos de M. le secrétaire d’État et de M. Alain Richard selon lesquels il faut attendre la réforme constitutionnelle et ne pas se hâter de voter ce texte,…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. C’est le contraire !
M. Éric Kerrouche. … que nous avons au contraire intérêt à nous précipiter.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Oui !
M. Éric Kerrouche. En effet, étant donné l’amour immodéré et le profond respect du Président de la République pour le Parlement, votons pendant que nous le pouvons encore ! (Sourires. – Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Didier Mandelli, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Didier Mandelli. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la révision constitutionnelle de 2008 a introduit une nouvelle procédure législative à l’article 39 de la Constitution. Cette procédure, définie à l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009, prévoit que les projets de loi soient accompagnés d’études d’impact. Ces études doivent être jointes aux projets de loi dès la transmission de ceux-ci au Conseil d’État ; elles sont déposées sur le bureau de la première assemblée saisie, en même temps que les projets de loi auxquels elles se rapportent.
Les études d’impact doivent servir à la fois deux objectifs : relever les effets de la législation en vigueur que l’on envisage de modifier, et anticiper les effets des modifications apportées par le projet de loi à cette législation. Pour être valables, elles doivent satisfaire à neuf obligations définies par la loi organique. Elles ont pour objets essentiels de répondre au problème de l’inflation législative, en faisant état des lois existantes, et d’anticiper les difficultés auxquelles sera confronté le législateur, notamment via l’évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales, ainsi que des coûts et bénéfices financiers attendus de la mise en œuvre des dispositions envisagées pour chaque catégorie d’administrations publiques et de personnes physiques ou morales intéressées.
La proposition de loi de notre collègue Franck Montaugé vise à améliorer la qualité de ces études d’impact. Son article 1er tendait à prendre en compte de nouveaux indicateurs de richesse. L’article 2 prévoit que ces études soient réalisées par « des organismes publics, indépendants et pluralistes ».
Si cette proposition de loi répond à des objectifs louables, sa discussion intervient alors même que l’application de l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 reste tout à fait partielle et insatisfaisante pour le Parlement.
En effet, les études d’impact n’ont que peu d’influence, ou pas d’influence du tout, sur le sort des projets de loi ; souvent réalisées rapidement, elles ne jouent pas pleinement leur rôle. La conférence des présidents n’a qu’un court délai de dix jours pour examiner l’étude d’impact et, quand bien même elle apparaîtrait incomplète, le Parlement n’a aucun pouvoir, à ce stade, pour demander le retrait du projet de loi auquel elle se rattache.
Cette situation a été clairement mise en évidence lors de l’examen du projet de loi NOTRe, en 2014. À l’unisson, plusieurs groupes politiques du Sénat avaient déploré les lacunes de l’étude d’impact accompagnant ce projet de loi. La conférence des présidents avait entériné ce constat et décidé de retirer le texte de l’ordre du jour. Malgré cette décision, le Conseil constitutionnel, saisi par le Premier ministre, avait jugé que le texte avait été présenté dans des conditions conformes à la loi organique, et s’était déclaré impuissant à juger la qualité de l’étude d’impact.
Il est évident qu’une modification de la loi organique s’impose, afin de rendre indispensable la réalisation d’une étude d’impact reposant sur des indicateurs précis, dont la qualité pourra être appréciée par le Conseil constitutionnel.
Au regard de ces critiques, la commission des lois a modifié en profondeur la proposition de loi, afin d’en faire un texte de simplification des normes.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Oui !
M. Didier Mandelli. En 2016, le Conseil national d’évaluation des normes a examiné 544 projets de texte, contre 398 en 2015, soit une progression supérieure à 36 %. En juillet dernier, le Premier ministre annonçait vouloir supprimer deux normes pour toute nouvelle norme créée ; il est temps de se saisir de ces questions, depuis longtemps évoquées mais jamais traitées.
Cette proposition de loi nous permet également d’échanger sur l’application de l’article 39 de la Constitution et de pointer du doigt les défaillances de la législation actuelle concernant la réalisation et l’examen de ces études d’impact. Il est de notre intérêt de revoir en profondeur la manière dont celles-ci sont réalisées et examinées. Elles doivent, à mon sens, permettre au Parlement de statuer sur une loi sur le fondement d’une connaissance approfondie des dispositions de celle-ci. Les neuf obligations inscrites dans la loi organique n’ont pas de valeur si elles ne sont pas correctement respectées et si le Conseil constitutionnel n’a aucun pouvoir pour contester la qualité des études d’impact.
C’est pourquoi il est nécessaire de revoir les modalités de réalisation de ces études afin de pouvoir réellement apprécier l’impact environnemental, sociétal, financier et économique des projets de loi. Depuis la réforme constitutionnelle de 2008, nous avons un formidable outil à notre disposition ; il nous incombe de le rendre plus efficace pour qu’il puisse nous accompagner au mieux dans notre approche des projets de loi, en vue d’améliorer le travail du Parlement. Je souligne à mon tour le rôle essentiel, pour l’équilibre de nos institutions, d’un Parlement fort. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Exactement !
M. le président. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Patricia Morhet-Richaud. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, qui trop embrasse mal étreint, a-t-on coutume de dire. Il est vrai que, au fil des mandatures successives, le législateur a ajouté des contraintes réglementaires, multiplié les dispositifs, complexifié les normes et exigé une étude d’impact pour tout nouveau projet de loi.
Nous voici réunis aujourd’hui pour examiner une proposition de loi organique visant à améliorer la qualité des études d’impact des projets de loi, la réalité de ces études étant, on le sait, très éloignée de l’outil d’aide à la décision publique qui avait été imaginé en 2009. Nous sommes d’ailleurs un certain nombre à avoir cosigné, sur l’initiative de nos collègues Élisabeth Lamure et Olivier Cadic, une autre proposition de loi organique portant sur ce thème, tant les améliorations à apporter sont nombreuses.
En effet, nous sommes bien loin de combattre l’inflation législative, comme le souhaiteraient pourtant vivement nos concitoyens, puisque, outre qu’elles n’apportent rien sur le fond au débat parlementaire, les délais étant trop contraints, les études d’impact sont muettes sur la pertinence du texte et n’abordent pas ses conséquences financières. C’est pourquoi je m’interroge sur l’opportunité d’en étendre le champ et d’en élargir le contenu, comme le propose notre collègue.
Est-il nécessaire de préciser, mes chers collègues, que, au bout du compte, qu’il s’agisse des collectivités territoriales ou des entreprises, ce sont bien les Français qui supportent les coûts de l’inflation normative ? Dans ces conditions, quel bénéfice y aurait-il à prendre en compte des indicateurs de richesse si cela ne permet pas d’améliorer le contenu des projets de loi ? Le surcoût financier affecte directement les impôts locaux et pèse sur la compétitivité des entreprises. Il est toujours utile de rappeler combien nous nous distinguons de bon nombre de nos voisins européens en termes d’obligations réglementaires et de charge administrative, et que cela a un impact très significatif sur l’emploi.
En tant que membre de la délégation sénatoriale aux entreprises, je veux d’ailleurs faire référence à l’excellent rapport d’information de nos collègues Élisabeth Lamure et Olivier Cadic intitulé « Simplifier efficacement pour libérer les entreprises ». On le sait, le fardeau administratif pèse lourd dans la balance commerciale de la France… À ce jour, l’étude d’impact doit satisfaire à pas moins de neuf obligations, sans que le volet économique et financier soit ciblé, sans que la faisabilité soit simplement évoquée.
C’est pourquoi, si nous devons revoir ce dispositif, je souhaite, pour ma part, que cette révision le rende plus efficient, afin que ces études d’impact soient utiles au travail législatif, mais aussi moins pénalisantes pour le secteur économique.
Si vouloir améliorer la qualité des études d’impact est certes louable, il faut aussi introduire, si nous voulons tendre réellement vers l’objectif ambitieux d’une simplification réglementaire et administrative, une obligation d’évaluation a posteriori. Je souhaite que le présent texte soit amendé dans ce sens. L’étude d’impact doit aller au-delà du simple contrôle formel et de l’incidence juridique du projet de loi, pour investir un champ plus pragmatique, conformément à ce qu’attendent les Français.
Dans un monde qui évolue très rapidement, dans une économie mondialisée, il faut évaluer en toute objectivité les politiques mises en œuvre, sans esprit partisan, à l’aide d’éléments factuels. Il ne faut pas craindre une évaluation approfondie des résultats obtenus au regard des objectifs fixés aux lois, bien au contraire. Pour renforcer le rôle du Parlement, il est utile d’évaluer a posteriori les lois qui ont été votées. Je suis donc réservée sur la pertinence de ce texte, qui ne nous permettra pas d’améliorer les règles.
À l’heure où les Français demandent une véritable simplification et davantage de lisibilité, il est grand temps d’améliorer l’efficience des études d’impact. Mes chers collègues, j’espère que l’examen de ce texte permettra d’aller plus loin à cet égard et d’intégrer un certain nombre de préconisations. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi organique visant à améliorer la qualité des études d’impact des projets de loi
Article additionnel avant l’article 1er A
M. le président. L’amendement n° 9, présenté par Mme Lamure, M. Adnot, Mme Berthet, MM. Bouchet, Cadic et Canevet, Mme Deromedi, MM. Forissier, Kennel, Labbé et D. Laurent, Mme Loisier, M. Meurant, Mme Morhet-Richaud et MM. Nougein, Paul, Pierre et Vaspart, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er A
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au deuxième alinéa de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution, après le mot : « loi », sont insérés les mots : « et les critères d’évaluation de son efficacité au regard de ceux-ci ».
La parole est à Mme Élisabeth Lamure.
Mme Élisabeth Lamure. Au nom de la délégation sénatoriale aux entreprises, Olivier Cadic et moi-même avons produit un rapport intitulé Simplifier efficacement pour libérer les entreprises. Sur ce fondement, nous avons déposé, en septembre dernier, une proposition de loi organique relative aux études d’impact, tendant notamment à prévoir d’emblée quelles données doivent être collectées pour apprécier les effets de la loi et pouvoir valablement comparer la situation initiale à celle qui résulte de la mise en œuvre de la loi.
Cet amendement vise à préciser que l’étude d’impact ex ante d’un projet de loi doit définir non seulement les objectifs du texte, mais aussi les critères de l’évaluation de son efficacité au regard de ces objectifs, afin de rendre possible une évaluation rigoureuse de l’application de la loi ex post.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Il s’agit de la reprise d’un amendement que Mme Lamure avait présenté en commission et que celle-ci n’avait pas retenu, puisqu’il porte sur l’évaluation de la loi, dont nous allons parler lors de l’examen de la proposition de loi suivante. La question de l’évaluation est distincte de celle du contenu de l’étude d’impact.
La commission vous demande, ma chère collègue, de bien vouloir retirer votre amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Le Gouvernement sollicite lui aussi le retrait de cet amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable. J’ajoute qu’il nous paraîtrait quelque peu compliqué de fixer les critères d’évaluation d’un texte qui, par nature, peut connaître des évolutions au cours de la navette parlementaire.
M. le président. Madame Lamure, l’amendement n° 9 est-il maintenu ?
Mme Élisabeth Lamure. Si l’on part du principe qu’il ne faut rien faire parce que c’est compliqué, on ne pourra jamais avancer… (M. Jean-Claude Tissot applaudit.) Sans évaluation chiffrée des effets de la loi, la qualité des études d’impact ne pourra pas s’améliorer.
Je veux bien retirer cet amendement, dans la mesure où il n’a guère de chances de prospérer, mais je regrette tout de même que l’on ne prenne pas pleinement conscience de l’intérêt de disposer d’une évaluation chiffrée de l’impact d’un projet de loi.
Je retire l’amendement.
M. le président. L’amendement n° 9 est retiré.
Article 1er A (nouveau)
Au huitième alinéa de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution, après le mot : « intéressées, », sont insérés les mots : « en particulier pour les collectivités territoriales et les entreprises, ».
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er A.
(L'article 1er A est adopté.)
Article 1er
(Supprimé)
M. le président. L’amendement n° 1 rectifié, présenté par MM. Montaugé, Durain, Kerrouche, Kanner et Bérit-Débat, Mme Blondin, MM. Botrel, M. Bourquin, Cabanel, Courteau, Daunis et Duran, Mme Espagnac, M. Jeansannetas, Mme G. Jourda, M. Lalande, Mmes Lepage et Lienemann, MM. Lozach, Manable et Marie, Mmes Monier et Perol-Dumont, M. Raynal, Mme S. Robert, M. Roux, Mme Tocqueville, MM. Tourenne et Vaugrenard, Mme Artigalas, M. J. Bigot, Mmes Bonnefoy, Cartron, Conconne, M. Filleul et Guillemot, MM. Houllegatte, Iacovelli, Jacquin et Madrelle, Mme Préville, MM. Tissot et Todeschini, Mmes Ghali et Meunier, MM. P. Joly, Mazuir, Daudigny et Devinaz, Mme Lubin, MM. Antiste, Jomier, Fichet et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Après le huitième alinéa de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« - l’évaluation qualitative de l’impact des dispositions envisagées au regard des nouveaux indicateurs de richesse créés par la loi n° 2015-411 du 13 avril 2015 visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques ; ».
La parole est à M. Franck Montaugé.
M. Franck Montaugé. Il est dommage que, en supprimant l’article 1er de ce texte, la commission n’ait pas voulu prendre en compte la question importante de la pertinence des indicateurs utilisés dans les études d’impact.
Cela a été rappelé, la commission Stiglitz a relancé le débat sur les indicateurs de richesse et sur l’intégration d’objectifs de développement durable dans les politiques publiques, pour aller au-delà de la seule prise en compte du produit intérieur brut. Des initiatives en ce sens se sont multipliées dans de nombreux pays et à l’échelon international. Ainsi, l’Union européenne a mené sa propre démarche, intitulée « au-delà du PIB », de même que l’OCDE et l’ONU, avec les dix-sept objectifs de développement durable. Quant à la France, elle s’est dotée de nouveaux indicateurs de richesse et adhère au système de l’ONU.
Dès lors, la question, pour nous parlementaires, est de savoir comment articuler, de façon cohérente et lisible, les objectifs de développement durable auxquels notre pays a souscrit et les indicateurs dont nous disposons pour la réalisation des études d’impact et, plus largement, l’évaluation des politiques publiques.
Réintroduire l’article 1er du texte initial, qui prévoit l’utilisation des dix indicateurs de richesse de la loi Sas, permettra d’engager cette démarche d’articulation des nouveaux indicateurs de richesse avec les objectifs de développement durable de l’ONU, dont notre travail de législation et d’évaluation des politiques publiques ne doit pas être complètement déconnecté. Tel est mon credo.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. M. Montaugé le sait très bien, l’amendement n° 1 rectifié est contraire à la position de la commission. Celle-ci, je tiens à le dire, n’est pas du tout hostile aux critères qualitatifs dont M. Montaugé souligne l’intérêt. Simplement, les critères permettant de mesurer la richesse du point de vue humain – qualité de la vie, de l’environnement, développement durable,…
M. Pierre-Yves Collombat. L’égalité !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. … égalité – peuvent être nombreux. Il a semblé à la commission qu’il était préférable de les inscrire dans des textes d’application plutôt que dans le corpus législatif lui-même.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Le Gouvernement souscrit à l’argumentation de la commission des lois et émet, pour les mêmes raisons, un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.
M. Éric Kerrouche. Le groupe socialiste et républicain soutient cet amendement. Comme Franck Montaugé l’a indiqué, il n’est pas possible d’avoir pour seul prisme de lecture le PIB, indicateur daté qui ne permet que des comparaisons quantitatives et laisse de côté un ensemble de dimensions essentielles, qu’il s’agisse de l’environnement ou des inégalités sociales.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Malgré la sympathie que j’ai pour l’auteur de l’amendement et ses intentions, je suis obligé de dire que nous ne pourrions pas voter ce texte si cet amendement devait être adopté.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président de la commission, cela a au moins le mérite d’être clair…
Il ne s’agit pas que d’un problème de procédure ou métaphysique ; il s’agit d’un problème très concret. J’ai évoqué tout à l’heure la loi NOTRe, je pourrais évoquer toutes les lois de réforme territoriale : on n’a jamais parlé de leurs effets en termes d’égalité – ou d’inégalité – entre collectivités territoriales. Or il est clairement apparu que les résultats ne sont pas exactement ceux que l’on attendait. Je pense qu’un certain nombre d’inconvénients, que l’on découvre progressivement, de cette réforme territoriale auraient au moins pu être atténués si l’on avait disposé de quelques informations sur ses conséquences possibles. On n’en serait pas à déplorer que des territoires soient laissés à l’abandon.
Je veux bien entendre vos raisons, je veux bien admettre que l’on s’oppose à la multiplication des critères, mais je souhaiterais que les critères dont on dispose pour juger soient pertinents. Nous sommes noyés sous les informations, mais, comme je l’ai dit tout à l’heure, il manque celles dont nous aurions besoin…
Je trouve tout de même un peu difficile à avaler que l’on rejette un tel amendement, qui mérite d’être soutenu.
M. le président. En conséquence, l’article 1er demeure supprimé.
Article 1er bis (nouveau)
Après le huitième alinéa de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 précitée, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« – l’évaluation des moyens nécessaires à la mise en œuvre par l’État et les administrations publiques des dispositions envisagées, en termes de crédits et d’emplois, en indiquant la méthode de calcul retenue, ainsi que de mise à niveau des systèmes d’information, et des délais nécessaires à cette mise en œuvre ; ». – (Adopté.)
Article 1er ter (nouveau)
Après le neuvième alinéa de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 précitée, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« – l’apport des dispositions envisagées en matière de simplification et, en cas de création d’une nouvelle norme, les normes dont l’abrogation est proposée ; ».
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Lamure, sur l’article.
Mme Élisabeth Lamure. Cet article prévoit que l’étude d’impact mentionne l’apport des dispositions envisagées en matière de simplification et qu’elle précise, en cas de création d’une nouvelle norme, les normes dont l’abrogation est proposée.
Au nom de la délégation sénatoriale aux entreprises, je me félicite de cette avancée. En effet, depuis sa création à la fin de l’année 2014, la délégation ne cesse d’aller à la rencontre des entrepreneurs dans les territoires, et il n’est jamais arrivé que nous ne les entendions pas déplorer tant le poids des normes que l’instabilité normative. Or le temps que les entreprises doivent consacrer à la gestion de cette complexité normative est perdu pour la conquête de nouveaux marchés et l’innovation ! En 2010, l’OCDE en a estimé le coût à 60 milliards d’euros. Selon le critère du poids de la réglementation, la France est classée au 115e rang sur 138 pays par le Forum économique mondial.
De nombreux pays européens ont bien compris l’enjeu en termes de compétitivité économique. Nous nous sommes rendus dans plusieurs d’entre eux avant d’adopter le rapport d’information intitulé « Simplifier efficacement pour libérer les entreprises ». Les préconisations de ce rapport nous ont conduits à déposer, en septembre dernier, plusieurs textes cosignés par de nombreux membres de la délégation, dont deux propositions de loi : une proposition de loi organique prévoyant que l’étude d’impact mentionne les conséquences du projet de loi en termes de simplification du droit, afin d’inciter le Gouvernement à mieux prendre en compte cet impératif – je me réjouis que la commission des lois ait intégré cette disposition dans son texte – et une proposition de loi constitutionnelle visant à introduire une obligation de compenser la création de toute nouvelle charge pour les entreprises par la suppression d’une charge équivalente.
Dans le même esprit, l’article 1er du présent texte pose le principe de l’abrogation de normes pour toute création de nouvelle norme. Je salue ce progrès.
Toutefois, avec mes collègues de la délégation, je défendrai un amendement tendant à assurer l’efficacité du dispositif, en garantissant que la charge financière que représente la norme abrogée l’emporte sur celle de la norme créée. Nos voisins Allemands, en procédant ainsi, sont parvenus à économiser 14 milliards d’euros en cinq ans. La France doit pouvoir réussir elle aussi à alléger enfin le boulet qui freine ses entreprises dans la course mondiale : à nous de les soutenir !
M. le président. L’amendement n° 10, présenté par Mme Lamure, M. Adnot, Mme Berthet, MM. Bouchet, Cadic et Canevet, Mme Deromedi, MM. Forissier, Kennel, Labbé et D. Laurent, Mme Loisier, M. Meurant, Mme Morhet-Richaud et MM. Nougein, Paul, Pierre et Vaspart, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Compléter cet alinéa par les mots :
, ainsi que les économies de charges en résultant, en particulier pour les collectivités territoriales et les entreprises
La parole est à Mme Élisabeth Lamure.
Mme Élisabeth Lamure. La commission des lois propose d’enrichir l’étude d’impact préalable en prévoyant que celle-ci expose l’apport du projet de loi en matière de simplification et, en cas de création d’une nouvelle norme, les normes dont l’abrogation est proposée.
Pour garantir que cette avancée sera substantielle, il convient d’assurer que la simplification normative apporte un allégement effectif, ce qui implique que la charge financière engendrée par les normes nouvellement créées soit inférieure à la charge financière représentée par les normes supprimées en contrepartie.
En janvier 2016, le Sénat a adopté une proposition de loi constitutionnelle qui prévoyait déjà d’assortir toute mesure législative ou réglementaire ayant pour effet de créer ou d’aggraver une charge pour les collectivités territoriales de la suppression de mesures représentant une charge équivalente ou d’une compensation financière.
Cet amendement vise à orienter la simplification de façon à permettre de dégager de réelles économies financières pour les entreprises et pour les collectivités territoriales.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. La commission s’est interrogée sur cet amendement. La notion de « charges » peut être critiquée. Elle est peut-être redondante avec ce que la loi organique prévoit déjà, à savoir la mention des coûts et bénéfices attendus. C’est pourquoi la commission a décidé de solliciter le retrait de cet amendement.
Toutefois, eu égard aux insuffisances d’un certain nombre d’études d’impact, je m’en remettrai, à titre personnel, à la sagesse du Sénat.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Le Gouvernement sollicite lui aussi le retrait de l’amendement. À défaut, il émettra un avis défavorable.
En effet, si le dispositif de cet amendement devait être interprété comme non contraignant, l’article ne revêtirait qu’une portée résiduelle, dans la mesure où l’impact sur l’ordre juridique interne mais également l’incidence économique d’une mesure législative doivent déjà être précisés dans les études d’impact, sur le fondement de l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009.
À l’inverse, si le dispositif de l’amendement devait être interprété de manière beaucoup plus contraignante, sa constitutionnalité poserait question, puisqu’il toucherait au pouvoir d’initiative en matière de projets de loi, lequel appartient au seul Premier ministre.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Grand, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Grand. Ayant lu l’article sur le droit d’amendement paru dans l’édition d’hier du journal Le Monde, je ne résiste pas, monsieur le secrétaire d’État, au plaisir de vous faire remarquer que, si la réforme constitutionnelle que le Gouvernement s’apprête visiblement à nous soumettre était déjà entrée en vigueur, le texte de la commission s’imposerait à nous sans autre forme de procès (M. Laurent Duplomb applaudit.) et nous aurions été privés d’une discussion qui a permis de faire évoluer la position personnelle du rapporteur, ainsi que de l’avis du ministre, lequel n’a pas l’occasion de s’exprimer en commission. Voilà un exemple concret de ce qu’il convient de faire et, surtout, de ne pas défaire ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. Madame Lamure, l’amendement n° 10 est-il maintenu ?
Mme Élisabeth Lamure. L’avis exprimé à titre personnel par M. Sueur me conforte dans ma décision de ne pas le retirer. L’obligation de compenser toute création de norme par la suppression d’une autre n’aura guère de portée s’il n’y a pas équivalence de l’impact financier.
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er ter, modifié.
(L’article 1er ter est adopté.)
Article 2
L’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 précitée est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« Les évaluations prévues aux huitième et neuvième alinéas sont également réalisées par des organismes indépendants. Ces évaluations sont incluses dans les documents rendant compte de l’étude d’impact. Un décret en Conseil d’État détermine la liste et les modalités de désignation des organismes concernés ainsi que les modalités de réalisation des évaluations.
« S’il y a lieu, les avis rendus par le conseil national d’évaluation des normes en application de l’article L. 1212-2 du code général des collectivités territoriales sont également inclus dans les documents rendant compte de l’étude d’impact. »
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, sur l’article.
M. Franck Montaugé. L’article 2 de la proposition de loi prévoyait, dans sa rédaction initiale, que les études d’impact telles que prévues par la loi organique de 2009 soient réalisées par des organismes publics indépendants et pluralistes.
La commission des lois a jugé nécessaire d’étendre aux organismes privés la possibilité de réaliser ces évaluations.
Or nous considérons, pour notre part, que c’est le caractère public de ces organismes qui garantit leur indépendance, en empêchant d’éventuels conflits d’intérêts liés notamment au mode de financement des organismes privés.
L’amendement vise donc à réintroduire le texte initial de la proposition de loi, qui prévoyait que les évaluations des conséquences économiques, sociales, financières et environnementales des projets de loi puissent être réalisées par des organismes publics indépendants.
Je veux rappeler que l’Observatoire français des conjonctures économiques, par exemple, a été créé au tout début des années quatre-vingt, avec d’autres instituts publics de conjoncture et d’analyse économique et sociale, afin de renforcer l’indépendance de l’expertise dans ce domaine par rapport au Gouvernement.
En effet, à la fin des années soixante-dix, des rapports publics avaient dénoncé de manière récurrente le monopole que détenait l’administration dans le domaine de l’expertise économique et sociale. Le rapport de René Lenoir et de Baudouin Prot, commandé par Valéry Giscard d’Estaing en 1979, a joué un rôle extrêmement important dans la démocratisation de l’analyse économique et sociale en France. Ce rapport préconisait la création de plusieurs instituts de conjoncture économique publics indépendants du Gouvernement. Ainsi sont nés, par exemple, l’OFCE et l’Institut de recherches économiques et sociales, l’IRES. De tels organismes, dont les ressources sont constituées de subventions publiques, assurent « le pluralisme dans l’analyse économique, l’évaluation des politiques publiques et l’étude de la conjoncture économique, en France et en Europe », comme l’indiquent les statuts de l’OFCE. Ils ont pour mission de « mettre au service du débat public en économie les fruits de la rigueur scientifique et de l’indépendance universitaire ».
Notre amendement n° 2 rectifié a pour objet de réintroduire le caractère public des organismes visés à l’article 2, afin d’assurer l’indépendance et le pluralisme des évaluations incluses dans les études d’impact des projets de loi.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 7, présenté par M. Collombat, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer cet alinéa par trois alinéas ainsi rédigés :
« Ces évaluations sont réalisées par des organismes publics indépendants et pluralistes comprenant notamment le Conseil économique, social et environnemental, l’Observatoire français des conjonctures économiques, l’Institut national de la statistique et des études économiques.
« Ces organismes publics indépendants préalablement au commencement de leurs travaux, consultent les commissions saisies au fond à l’Assemblée nationale et au Sénat des points et des sujets que ces dernières souhaitent nécessairement voir traiter dans l’étude d’impact.
« Pour réaliser ces évaluations, l’Assemblée nationale et le Sénat peuvent désigner des universitaires et des personnes qualifiées en fonction de leur compétence par rapport aux domaines du projet de loi. Le mode de désignation des universitaires et des personnes qualifiées est déterminé par le règlement de chaque assemblée.
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Cet amendement vise trois objectifs.
Premièrement, comme les amendements nos 2 rectifié et 3 rectifié, il tend à rétablir le caractère public, indépendant et pluraliste des organismes réalisant les évaluations figurant dans les études d’impact.
Deuxièmement, il vise à prévoir que les commissions saisies au fond des assemblées parlementaires soient consultées sur les sujets qu’elles souhaiteraient voir traiter dans l’étude d’impact. Cela éviterait le travers que j’ai dénoncé tout à l’heure, à savoir que l’on trouve tout dans les études d’impact, sauf ce que l’on y cherche…
Troisièmement, l’amendement prévoit que les assemblées puissent désigner des universitaires et des personnes qualifiées en fonction de leur compétence sur les sujets traités, pour que les parlementaires puissent être éclairés sur les dispositions qu’on leur soumet.
M. le président. L’amendement n° 2 rectifié, présenté par MM. Montaugé, Durain, Kerrouche, Kanner et Bérit-Débat, Mme Blondin, MM. Botrel, M. Bourquin, Cabanel, Courteau, Daunis et Duran, Mme Espagnac, M. Jeansannetas, Mme G. Jourda, M. Lalande, Mmes Lepage et Lienemann, MM. Lozach, Manable et Marie, Mmes Monier et Perol-Dumont, M. Raynal, Mme S. Robert, M. Roux, Mme Tocqueville, MM. Tourenne et Vaugrenard, Mme Artigalas, M. J. Bigot, Mmes Bonnefoy, Cartron, Conconne, M. Filleul et Guillemot, MM. Houllegatte, Iacovelli, Jacquin et Madrelle, Mme Préville, MM. Tissot et Todeschini, Mmes Ghali et Meunier, MM. P. Joly, Mazuir, Daudigny et Devinaz, Mme Lubin, MM. Antiste, Jomier, Fichet et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 2, première phrase
Après le mot :
organismes
insérer le mot :
publics
La parole est à M. Franck Montaugé.
M. Franck Montaugé. L’amendement est défendu, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 3 rectifié, présenté par MM. Montaugé, Durain, Kerrouche, Kanner et Bérit-Débat, Mme Blondin, MM. Botrel, M. Bourquin, Cabanel, Courteau, Daunis et Duran, Mme Espagnac, M. Jeansannetas, Mme G. Jourda, M. Lalande, Mmes Lepage et Lienemann, MM. Lozach, Manable et Marie, Mmes Monier et Perol-Dumont, M. Raynal, Mme S. Robert, M. Roux, Mme Tocqueville, MM. Tourenne et Vaugrenard, Mme Artigalas, M. J. Bigot, Mmes Bonnefoy, Cartron, Conconne, M. Filleul et Guillemot, MM. Houllegatte, Iacovelli, Jacquin et Madrelle, Mme Préville, MM. Tissot et Todeschini, Mmes Ghali et Meunier, MM. P. Joly, Mazuir, Daudigny et Devinaz, Mme Lubin, MM. Antiste, Jomier, Fichet et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 2, première phrase
Compléter cette première phrase par les mots :
et pluralistes
La parole est à M. Franck Montaugé.
M. Franck Montaugé. Cet amendement est également défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Je ne cacherai pas la sympathie que j’éprouve, à titre personnel, pour l’amendement n° 2 rectifié, notamment, mais, en ma qualité de rapporteur, je me dois d’indiquer que la commission a émis un défavorable sur ces trois amendements.
M. Pierre-Yves Collombat. Argumentation imparable !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Pour les raisons que j’ai évoquées lors de la discussion générale, le Gouvernement est défavorable aux trois amendements.
Nous considérons que la constitutionnalité de l’article 2, dans la version adoptée par la commission, pose déjà question. Les amendements présentés renforcent cette interrogation, et donc nos réserves. Leur dispositif touche lui aussi à l’élaboration de la loi, et non à sa présentation.
M. Pierre-Yves Collombat. Intervention puissante !
M. le président. La parole est à M. Alain Marc, pour explication de vote.
M. Alain Marc. Le fait de prévoir que seuls des organismes publics puissent réaliser les évaluations me gêne. Pour ne parler que de mon expérience personnelle, je ne suis pas sûr que, dans l’éducation nationale, les évaluations menées par l’administration aient permis à notre système éducatif d’évoluer dans le bon sens ! Notre régression dans le classement PISA tend plutôt à prouver le contraire… Le fait que les évaluations soient réalisées par des organismes publics n’est pas forcément un gage de qualité.
M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.
M. Éric Kerrouche. Nous disposons d’un appareil de recherche public extrêmement performant, avec des organismes de niveau mondial, tels l’INSERM ou le CNRS. Il convient de s’appuyer sur eux.
M. le président. Je mets aux voix l’article 2.
(L’article 2 est adopté.)
Article additionnel après l’article 2
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 4, présenté par M. Grand, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les versions des projets de loi transmis au Conseil d’État, y compris, le cas échéant, celles des saisines rectificatives et l’avis de celui-ci ou, lorsque le Gouvernement estime que des motifs impérieux d’intérêt général s’opposent à sa publication intégrale, une note en synthétisant les principales observations sont joints à l’étude d’impact. »
La parole est à M. Jean-Pierre Grand.
M. Jean-Pierre Grand. Je défendrai conjointement les amendements nos 4 et 5.
En vertu de l’article 39 de la Constitution, le Conseil d’État est obligatoirement saisi de tous les projets de loi avant leur adoption par le conseil des ministres et leur dépôt devant le Parlement.
Si le Gouvernement n’est pas tenu de suivre l’avis du Conseil d’État, il arrive bien souvent que certaines dispositions du projet de loi soient modifiées entre l’émission de cet avis et le dépôt du texte. Aussi existe-t-il, entre le texte dont le Conseil d’État est saisi et celui qui est déposé devant le Parlement, un décalage qui complexifie le travail parlementaire.
Je propose donc, mes chers collègues, que les différentes versions des projets de loi et les éventuelles saisines rectificatives soient jointes à l’étude d’impact.
Lors de l’examen de l’avant-projet, le Conseil d’État dispose de l’étude d’impact et ne manque pas de s’appuyer sur elle pour rendre son avis. L’étude d’impact étant jointe à l’avant-projet, il ne serait pas aberrant que, symétriquement, l’avant-projet soit joint à l’étude d’impact lors de la transmission du projet de loi au Parlement.
Il est également proposé que l’avis du Conseil d’État soit lui aussi annexé à l’étude d’impact et ainsi rendu public. Dans les faits, ses avis sont rendus publics depuis la fin du précédent quinquennat. Il est donc proposé d’officialiser cette pratique en l’inscrivant dans la loi, tout en permettant au Gouvernement de s’opposer à cette publication intégrale pour des motifs impérieux d’intérêt général. L’avis serait alors remplacé par une note synthétisant les principales observations. Si l’avis du Conseil d’État devait être publié officiellement, il serait fort logique que l’avant-projet l’accompagne.
Plus généralement, mes chers collègues, j’avais souhaité profiter de cette initiative parlementaire pour modifier d’autres dispositions relatives à nos travaux, mais l’irrecevabilité de mes amendements m’a été opposée en commission.
En quelques mots, sans remettre en cause leur droit d’amendement, je considère que le Gouvernement et la commission saisie au fond devraient être soumis aux mêmes délais de dépôt que les parlementaires, sauf pour leurs amendements destinés à assurer le respect de la Constitution, à opérer une coordination avec les textes en cours d’examen ou à corriger une erreur matérielle.
De même, le Gouvernement pourrait être tenu de réaliser une étude d’impact pour ses amendements. En effet, il a aujourd’hui trop souvent tendance à s’exonérer de ses obligations en insérant des dispositions nouvelles par voie d’amendement, donc sans avis du Conseil d’État ni réalisation d’une étude d’impact. De surcroît, ces amendements ne sont souvent déposés que quelques minutes avant la séance…
Il s’agit là, mes chers collègues, de propositions dont nous débattrons lors de la révision constitutionnelle, qui constituera, j’en suis certain, un rendez-vous intéressant.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Sûrement !
M. le président. L’amendement n° 5, présenté par M. Grand, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« L’avis du Conseil d’État ou, lorsque le Gouvernement estime que des motifs impérieux d’intérêt général s’opposent à sa publication intégrale, une note en synthétisant les principales observations est joint à l’étude d’impact. »
Cet amendement a été précédemment défendu.
Quel est l’avis de la commission sur les deux amendements ?
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. J’en suis désolé pour M. Grand, mais la commission est défavorable à ses deux amendements.
C’est le projet de loi qu’il dépose qui engage le Gouvernement, et non ses moutures préalables, dont l’avant-projet soumis au Conseil d’État. Pourquoi vouloir imposer que ces différentes versions soient publiées ? Quand on édite un livre, on n’en publie pas les brouillons, même si ceux-ci présentent sans aucun doute un grand intérêt pour les historiens de la littérature ou pour le brillant agrégé de philosophie qu’est M. Collombat !
Quant à l’avis donné par le Conseil d’État au Gouvernement, doit-il ou non être rendu public ? Le débat sur ce point est légitime, d’autant qu’il y a de nombreux précédents. En tout état de cause, doit-il figurer dans l’étude d’impact ? Non, il n’y a pas sa place.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission est défavorable à l’amendement n° 4, ainsi qu’à l’amendement de repli n° 5.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Le Gouvernement se rallie aux arguments de M. le rapporteur concernant la publication des avant-projets et émet, sur ce fondement, un avis défavorable sur les deux amendements.
Pour ce qui concerne les avis du Conseil d’État, traditionnellement, ceux-ci ne sont pas rendus publics et ne sont pas communicables aux personnes qui en font la demande, car ils entrent dans la catégorie des documents administratifs dont la consultation et la communication porteraient atteinte au secret des délibérations du Gouvernement, tel que défini par le 2° de l’article L. 311-5 du code des relations entre le public et l’administration.
Toutefois, en application d’une décision orale du Président de la République annoncée le 20 janvier 2015 lors de la cérémonie des vœux aux corps constitués, les avis sur les projets de loi sont, depuis le 19 mars 2015, intégralement rendus publics par le Gouvernement sur le site Légifrance dès que ces textes ont été délibérés en conseil des ministres. Le Gouvernement les transmet à la première assemblée saisie au moment du dépôt du projet de loi. Le texte retenu par le Conseil d’État, quant à lui, n’est pas rendu public. Par exception, cette nouvelle pratique ne s’applique pas aux avis sur les projets de loi de finances, de financement de la sécurité sociale ou de ratification d’une ordonnance ni aux avis sur les projets de loi autorisant la ratification d’un engagement international.
Nous considérons que cette pratique, décidée par l’exécutif en 2015, permet d’assurer un juste équilibre entre la préservation du rôle du Conseil d’État en tant que conseil du Gouvernement et la bonne information du Parlement et du citoyen. Il ne nous paraît donc ni nécessaire ni opportun de faire figurer une obligation de transmission des avis du Conseil d’État dans la loi, sauf à méconnaître le rôle et le positionnement de conseiller juridique du Gouvernement du Conseil d’État.
M. le président. Monsieur Grand, les amendements nos 4 et 5 sont-ils maintenus ?
M. Jean-Pierre Grand. Non, je les retire, monsieur le président.
M. le président. Les amendements nos 4 et 5 sont retirés.
Article 3 (nouveau)
L’article 9 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 précitée est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, le mot : « dix » est remplacé par le mot : « trente » ;
2° Au second alinéa, les mots : « jusqu’au dixième jour qui précède le début » sont remplacés par les mots : « jusqu’à l’ouverture ». – (Adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi organique, je donne la parole à M. Jean-Claude Requier, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Requier. J’avais déposé un amendement qui visait à mettre sur un pied d’égalité le Sénat et le Gouvernement en rendant l’étude d’impact obligatoire pour les amendements déposés par le Gouvernement au cours de l’examen du texte. Trop d’amendements du Gouvernement nous parviennent à la dernière minute…
Cependant, la commission des lois, dans sa grande sagesse, sans aucun doute, a déclaré cet amendement irrecevable. Je le regrette un peu. Je voterai néanmoins ce texte, qui va dans la bonne direction.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Monsieur le président, je me permets de faire irruption dans ce débat bien réglé pour dire à M. Requier que l’amendement qu’il a présenté traduit une aspiration qui nous est commune.
Nous avons vu, par le passé, des textes, adoptés en première lecture au Sénat, prendre ensuite un volume tout à fait inattendu à l’Assemblée nationale, par l’ajout de mesures nouvelles, pour la plupart émanant du Gouvernement ou inspirées par celui-ci.
Cela a été le cas de la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle. Puisque l’urgence avait été déclarée, il n’y a pas eu de nouvelle lecture par l’Assemblée et le Sénat. Or les sénateurs membres de la commission mixte paritaire n’avaient aucune espèce de mandat du Sénat pour s’exprimer sur toutes les mesures nouvelles qui avaient été introduites à l’Assemblée nationale et ne savaient pas quelle aurait été la position de celui-ci s’il avait pu en discuter. Comment voulez-vous, dans ces conditions, aboutir à un accord en commission mixte paritaire ?
C’est pourquoi l’absence de règles limitant la possibilité, pour la seconde assemblée saisie, d’introduire des mesures nouvelles que la première n’aura l’occasion de discuter avant la tenue de la CMP est, en réalité, une remise en cause sournoise, insidieuse du bicamérisme.
Mon cher collègue, je comprends très bien que vous ayez voulu, par votre amendement, poser une règle pour restreindre cette pratique, mais nous n’y parviendrons pas par cette voie. La seule façon d’obtenir satisfaction est d’inscrire dans la Constitution que les mesures nouvelles votées par la seconde assemblée saisie doivent obligatoirement être délibérées par la première assemblée avant la réunion d’une commission mixte paritaire. Sinon, il n’est pas possible d’aboutir à un accord en CMP. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Nous aurions volontiers voté la proposition de loi initiale, mais nous ne pouvons pas suivre nos collègues et soutenir ce qu’il reste de leur texte… Nous nous abstiendrons.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi organique visant à améliorer la qualité des études d’impact des projets de loi.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 67 :
Nombre de votants | 324 |
Nombre de suffrages exprimés | 309 |
Pour l’adoption | 309 |
Le Sénat a adopté.
6
Conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être
Discussion d’une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste et républicain, de la proposition de loi visant à instituer le Conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être, présentée par M. Franck Montaugé et les membres du groupe socialiste et républicain (proposition n° 611 rectifié [2016-2017], résultat des travaux de la commission n° 320, rapport n° 319).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Franck Montaugé, auteur de la proposition de loi.
M. Franck Montaugé, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, messieurs les présidents de commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comme je l’ai souligné lors de la discussion générale de la proposition de loi organique visant à améliorer la qualité des études d’impact des projets de loi, le texte dont nous allons maintenant discuter a aussi pour objet d’améliorer la fabrique de la loi à partir de l’implication effective et structurée des parlementaires dans le processus d’évaluation des politiques publiques.
L’article 24 de la Constitution donne explicitement au Parlement la mission d’évaluer les politiques publiques. Les missions d’enquête, les rapports d’information y concourent, les études d’impact abordent le sujet, mais aucune démarche ou organisation, propre à chaque chambre ou commune, n’est prévue dans la loi ou dans les règlements intérieurs des assemblées.
Les politiques publiques et leur évaluation constituent un champ de savoir et de recherche à part entière. Cette « science de l’État en action », comme certains l’appellent, est aussi la branche la plus récente de la science politique.
Si tous les acteurs de la société sont concernés de manière générale, au titre de leur citoyenneté, ils le sont aussi en tant qu’acteurs et sujets de politiques publiques sectorielles, spécifiques à tel ou tel champ de la société. Nous, législateurs, sommes particulièrement impliqués dans la fabrique des lois, l’appréciation de leur mise en œuvre et leur évaluation.
Au-delà de l’appréciation personnelle que chacun d’entre nous porte sur son expérience parlementaire, la question de l’efficacité, si ce n’est de l’efficience, de notre action collective et de notre contribution aux évolutions de la société française est posée dans le débat public. Réformer les institutions doit permettre d’y répondre, mais, pour ce qui est de l’évaluation des politiques publiques, la question de fond, selon moi, est de savoir comment s’y prendre pour engager effectivement, concrètement le Parlement dans cette voie.
Pour moi, la réponse est non pas institutionnelle, mais organisationnelle. C’est là tout le sens et la raison d’être de ce texte.
Les expériences antérieures de l’Office parlementaire d’évaluation de la législation, l’OPEL, de l’Office parlementaire d’évaluation des politiques publiques, l’OPEPP, et même de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois n’ont pas été probantes.
Forts de ce constat, nous avons voulu, au travers de ce texte, complémentaire du précédent, faire des propositions visant à nous doter d’une démarche structurée à même de permettre aux parlementaires de monter en connaissance et en compétence sur le sujet, à la fois politique et technique, de l’évaluation des politiques publiques.
Ma conviction est que, en travaillant en lien avec les institutions spécialisées et le monde académique compétent sur ces sujets, en nous appuyant également sur les compétences et l’expertise remarquable des administrations de nos deux chambres, nous pourrions, nous parlementaires, beaucoup mieux remplir le rôle que nous a confié le constituant en matière de contrôle et d’évaluation.
Avant d’entrer dans le détail de cette proposition de loi, j’aimerais proposer une définition de la notion de politique publique : les politiques publiques sont le lieu où des sociétés définissent leur rapport au monde et à elles-mêmes ; une politique publique se présente sous la forme d’un programme d’action gouvernementale dans un secteur de la société ou un espace géographique.
Quant à l’évaluation, c’est l’activité de rassemblement, d’analyse et d’interprétation de l’information concernant la mise en œuvre et l’impact de mesures visant à agir sur une situation sociale, ainsi que la préparation de mesures nouvelles.
À partir de ces considérants, nous proposons, à l’article 1er, d’instituer une délégation parlementaire, dénommée « conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être », composée de dix-huit sénateurs et de dix-huit députés désignés à la proportionnelle des groupes et en respectant la parité hommes-femmes.
Cette délégation serait assistée d’un conseil scientifique pluraliste, composé de trente membres – économistes, sociologues, historiens, anthropologues… – désignés pour trois ans, dans le cadre du règlement de la délégation. La mission de ce conseil serait d’informer le Parlement sur les conséquences des politiques publiques sur le bien-être et sur leur soutenabilité, de mettre en œuvre et d’animer une plateforme participative numérique relative aux nouveaux indicateurs de richesse – il s’agit là de la dimension citoyenne et participative qu’il est indispensable de donner à cette démarche –, d’organiser chaque année, lors de l’examen de la loi de règlement, une conférence citoyenne sur l’état des inégalités en France.
À l’article 2, nous proposons qu’un bilan d’évaluation des nouveaux indicateurs de richesse de la loi Sas soit réalisé tous les trois ans et que soient éventuellement formulées, à cette occasion, des propositions d’amélioration et d’adaptation.
L’article 3 prévoit qu’une contre-expertise indépendante du rapport prévu par la loi Sas soit réalisée en vue de favoriser l’objectivité de l’évaluation des politiques publiques portée au débat public, les organismes chargés de conduire cette étude étant désignés tous les deux ans par décret en Conseil d’État.
Des membres éminents de la commission des lois estimant que le dispositif présenté est trop lourd, trop complexe, le rapporteur proposera dans quelques instants le renvoi du texte à la commission, pour préserver la suite de la réflexion.
Bien entendu, j’aurais préféré que la proposition de loi soit approuvée et que le Sénat engage un dialogue avec l’Assemblée nationale sur cette base. Cependant, peut-être est-il plus sage que la chambre haute s’engage sur la voie de l’évaluation des politiques publiques dans le cadre d’une adaptation de son règlement intérieur donnant aux commissions toutes prérogatives en la matière.
Toutefois, je tiens à attirer l’attention sur un point qui me paraît fondamental : il faudra, si nous voulons être ambitieux – je souhaite que nous le soyons –, que nous travaillions ensemble sur nombre de politiques publiques présentant un caractère transverse. Les enjeux du développement durable, par exemple, ne souffrent pas les raisonnements « en silo », selon le périmètre strict de chaque commission. Il nous faudra bien envisager, à certains moments et sur certains sujets, d’entreprendre un travail commun, à l’aune des grands enjeux devant constituer le substrat, le postulat de nos raisonnements et de nos méthodes d’évaluation.
Si le périmètre des politiques publiques se borne parfois, dans des cas simples, à des secteurs de la société bien délimités, il concerne le plus souvent plusieurs secteurs à la fois, et partant plusieurs de nos commissions permanentes. La complexité de nos sociétés affecte nos politiques publiques. Il nous faudra donc trouver une organisation interne adaptée pour tenter d’appréhender cette complexité du réel dans notre travail d’évaluation.
Les nouveaux indicateurs de richesse, comme les objectifs de développement durable, reflètent la prise en compte de cette complexité. Considérer les premiers comme des éléments de décor et les seconds comme de simples éléments de comparaison serait un contresens manifeste.
C’est aussi pour cette raison que les nouveaux indicateurs de richesse tiennent une place importante dans notre texte et que nous souhaitons que leur pertinence soit évaluée et qu’ils puissent faire l’objet d’évolutions dûment documentées. Nous aurions pu inscrire dans notre texte, avec tout autant de pertinence, les objectifs de développement durable de l’ONU.
Enfin – il s’agit depuis peu d’un point d’accord entre des institutions libérales telles que le FMI et l’OCDE et des institutions moins orthodoxes –, nous pensons que la question des inégalités doit faire l’objet d’un suivi particulier, régulier, et que le Sénat, qui se veut défenseur des libertés, doit donner l’exemple en la matière. Il n’est pas, nous le savons tous, de pleine liberté quand on est victime d’inégalités. La République ne prend tout son sens que dans l’équilibre relatif des trois valeurs de sa devise. C’est dans cet esprit que nous proposons qu’une conférence nationale sur les inégalités soit organisée chaque année au Sénat.
Je voudrais, pour terminer, aborder la dimension démocratique de l’évaluation des politiques publiques.
L’analyse des politiques publiques doit nous permettre, au-delà des valeurs et des options partisanes qui sont les nôtres, de porter un autre regard sur le politique.
Le modèle d’action publique de la France a connu, depuis le XIXe siècle, des transformations profondes. Le mode d’action publique issu de l’après-guerre, qui s’est développé jusque dans les années soixante-dix, était construit sur le rôle central de l’État en matière de développement économique. L’élite politico-administrative de cette période avait développé les politiques publiques à partir d’un modèle fondé sur la place centrale de l’État dans le développement économique.
La place grandissante de l’Union européenne et l’ouverture à une économie de plus en plus mondialisée ont, petit à petit, débouché sur un affaiblissement de la centralité de l’État. La disqualification, voire le rejet, du politique – et des politiques – comme de l’État s’explique par le sentiment d’impuissance qu’éprouve un nombre croissant de nos concitoyens à l’égard des institutions en général. Les syndicats et d’autres formes de représentation collective n’échappent pas non plus à ce phénomène profond.
Selon Pierre Muller, chercheur honoraire au CNRS et spécialiste des politiques publiques, « cette crise […] débouche sur une profonde transformation de l’espace public, entendu à la fois comme lieu de production du sens et comme lieu d’expression des intérêts sociaux en même temps qu’à l’émergence de nouveaux rapports sociaux entre l’individu et l’action collective ».
Il ajoute que cette crise « doit surtout conduire à réfléchir sur la fonction politique aujourd’hui et notamment au découplage croissant entre la fonction d’élaboration des politiques publiques (policies) et la fonction de représentation politique (politics). […] Entre les contraintes liées au contexte extérieur qui déterminent de plus en plus clairement le contenu des politiques publiques et les demandes de nouvelles formes de participation politique formulées par les citoyens, les responsables politiques devront trouver de nouveaux modes de transaction sous peine de voir se développer les différentes formes de populisme porteuses de visions du monde à la fois simplistes et dangereuses. »
La révision constitutionnelle aurait pu être posée en ces termes. Mais ne désespérons pas des débats que, je l’espère, elle suscitera sur le nécessaire regain d’intérêt et d’engagement du citoyen pour la chose publique.
Eu égard aux enjeux de fond qui sous-tendent notre texte, je souhaite que le renvoi de celui-ci à la commission ne constitue pas un enterrement, fût-il de première classe. Si tel devait être le cas, nous aurions perdu une occasion de progrès collectif vers davantage d’efficacité dans notre propre action politique, et donc dans la réhabilitation du politique auprès de nombre de nos concitoyens. L’actualité européenne nous l’a encore rappelé ce week-end. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il est un pouvoir qu’ont tous les membres du Gouvernement : celui de ne pas appliquer la loi… C’est scandaleux, et pourtant vrai : si un ministre décide de ne pas publier un décret d’application, la loi qui prévoit celui-ci ne s’applique pas. C’est scandaleux, car le premier devoir d’un ministre, qui est un serviteur de la loi, est de tout mettre en œuvre pour que la loi votée par le Parlement, fût-ce sur l’initiative de son prédécesseur, soit appliquée.
C’est pourquoi il est essentiel de parler de l’application et de l’évaluation de la loi, les deux étant indissociables.
M. Claude Kern. Exact !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Certes, tout citoyen peut saisir la justice administrative et demander la condamnation de l’État pour non-application de la loi, mais il s’agit d’une procédure lourde, complexe et assez rarement mise en œuvre.
J’ai vécu, à cet égard, une expérience dont je me souviendrai toujours. En 2004, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, le Sénat a adopté, contre l’avis du Gouvernement, une disposition s’appliquant aux femmes exposées in utero au distilbène, médicament produisant des effets sur les filles, voire les petites-filles, des femmes auxquelles il a été prescrit. Le Sénat a considéré que ces femmes devaient bénéficier d’un congé maternité adapté. J’avais à l’époque travaillé avec l’association Réseau DES France.
Cette disposition a également été votée par l’Assemblée nationale. La loi a été promulguée le 20 décembre 2004 ; deux décrets d’application étaient prévus, concernant l’un les personnels de la fonction publique, l’autre les salariées du secteur privé. Toutes les femmes concernées ont salué l’adoption de cette disposition.
Or, mes chers collègues, il a fallu un certain temps pour que ces deux décrets paraissent. J’ai dû interpeller successivement trois ministres, multiplier les interventions et les questions, orales et écrites. Le second décret a été publié le 3 juillet 2009, soit exactement cinq ans, six mois et quatorze jours après la promulgation de la loi…
Les femmes qui nous avaient félicités d’avoir adopté cette disposition étaient extrêmement fâchées, contrariées de voir qu’une mesure votée ne s’appliquait pas. Certaines m’ont même demandé si le Gouvernement attendait, pour publier ces décrets, qu’elles ne puissent plus avoir d’enfants…
Une telle situation ne doit plus exister dans la République française. On pourrait citer des centaines d’autres exemples de cet ordre, monsieur le secrétaire d’État. C’est pourquoi il est nécessaire non seulement d’élaborer et de voter la loi, mais aussi de suivre scrupuleusement ses conditions d’application ou de non-application, à commencer par la publication des textes réglementaires. Il s’agit là d’une impérieuse nécessité. La Constitution confie d’ailleurs au Parlement la mission de contrôler le Gouvernement : nous sommes ici au cœur de cette mission de contrôle.
Franck Montaugé propose de créer un nouvel organe qui comprendrait trente-six parlementaires, dix-huit députés et dix-huit sénateurs. Le rapport présente l’historique des différentes instances qui ont été instaurées pour évaluer et contrôler l’application de la loi. La commission a jugé très pertinent l’objet de la proposition de loi de M. Montaugé, mais elle a considéré que l’instrument imaginé n’était pas forcément le plus adapté. Il nous a semblé préférable que le contrôle de l’application de la loi s’opère de la manière la plus concrète possible, c’est-à-dire en commission.
À titre d’exemple, un organe tel que l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques fait un travail remarquable, mais ne se réunit que trois ou quatre fois par an. Une instance créée sur ce modèle serait assez lourde et son mode de fonctionnement ne permettrait pas d’entrer dans le détail de l’écriture et de l’application des lois, ligne à ligne, alinéa après alinéa, paragraphe après paragraphe, article après article… En laissant aux commissions le soin de contrôler l’application des lois sur lesquelles elles ont travaillé, on atteindra sans doute à une plus grande efficacité.
C’est pourquoi, mes chers collègues, j’ai proposé à la commission des lois de voter le renvoi du texte à la commission. Cela ne veut pas dire que nous nous dessaisissions du sujet. Je tiens à rassurer Franck Montaugé : nous allons continuons à y travailler, d’autant qu’il sera certainement abordé dans le cadre de la réforme constitutionnelle à venir.
Je compte d’ailleurs déposer très prochainement avec Franck Montaugé une proposition de résolution relative au règlement du Sénat prévoyant que le rapporteur d’un texte le reste jusqu’à la fin de son mandat et présente chaque année devant la commission une communication sur l’état d’avancement de l’application de la loi. Ainsi, le rapporteur suivrait l’élaboration de la loi, mais aussi son application, année après année, et il pourrait, à ce titre, interpeller le ministre concerné si, par exemple, sur vingt décrets prévus, trois seulement sont parus. Le président de la commission compétente ne manquerait pas d’appuyer sa démarche. Il arrive très souvent que peu de décrets aient été publiés un an après la promulgation de la loi. Il s’agit donc d’une préoccupation tout à fait légitime.
Nous allons ensemble travailler aux différents outils qui nous permettront de progresser, de manière concrète et pragmatique, vers un suivi scrupuleux et vigilant de l’application de la loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, monsieur le sénateur Franck Montaugé, mesdames, messieurs les sénateurs, l’examen de cette proposition de loi nous permet de prolonger le débat entamé au travers de nos échanges sur la proposition de loi organique, et en particulier sur la pertinence du recours aux nouveaux indicateurs de richesse prévus dans la loi Sas.
Si le sort de cette proposition de loi, sans préjuger le vote de votre assemblée, semble ne pas faire de doute – la commission ayant une nouvelle fois déposé une motion tendant à son renvoi à la commission –, son examen représente, pour le Gouvernement et le Parlement, l’occasion de réfléchir ensemble aux formes que pourrait prendre la mission de contrôle et d’évaluation des politiques publiques.
La présente proposition de loi vise en effet « à favoriser le développement de nouveaux indicateurs de richesse, leur utilisation et leur appropriation citoyenne afin de faire rentrer dans les mœurs une autre culture de l’évaluation fondée sur des indicateurs alternatifs au PIB ». À ce titre, elle tend à enrichir la loi du 13 avril 2015, qui se borne à prévoir la remise d’un rapport du Gouvernement au Parlement sur ce sujet.
Ce texte prévoit la création d’une délégation parlementaire dénommée « conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être », sur le modèle de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, chargée « d’informer le Parlement sur la politique suivie par le Gouvernement, notamment en matière de choix budgétaires, au regard de nouveaux indicateurs de richesse ».
La proposition de loi prévoit également que ce conseil parlementaire évalue, tous les trois ans, la pertinence desdits indicateurs de richesse prévus par la loi Sas et formule des propositions.
Enfin, le texte précise que le rapport remis par le Gouvernement au Parlement en application de la loi Sas doit faire l’objet d’une contre-expertise par un ou plusieurs organismes indépendants.
Ce texte soulève en somme deux questions : comment doit s’organiser l’évaluation des politiques publiques ? Sur quels critères doit-elle s’appuyer pour être pertinente ?
La première question rejoint les réflexions dont je vous ai fait part tout à l’heure lors de mon intervention liminaire sur la proposition de loi organique visant à améliorer la qualité des études d’impact des projets de loi.
La volonté du Gouvernement et du Président de la République est de donner au Parlement tous les outils pour renforcer ses méthodes d’évaluation des lois, ses capacités d’expertise des effets emportés par les dispositions votées et pour remplir au mieux sa mission de contrôle de l’action du Gouvernement.
Dans le système actuel, nous passons effectivement trop de temps à discuter des effets anticipés d’une disposition, et trop peu à les vérifier. Nous adorons prédire le meilleur ou le pire pour une réforme, mais rechignons souvent à quantifier et à qualifier ses échecs ou ses succès.
Il n’est pas sain, pour notre démocratie, de sembler n’avoir pas de suite dans les idées. Il n’est pas sain que le Gouvernement n’ait pas plus à rendre compte de son action auprès de la représentation nationale. Il n’est pas sain, donc, que le Parlement ne marche que sur une jambe. La représentation nationale doit pouvoir mieux assumer le deuxième versant de sa mission constitutionnelle : le contrôle de l’action du Gouvernement et l’évaluation des politiques publiques.
Je sais le Sénat très désireux d’améliorer la capacité du Parlement à suivre l’application des lois, à les évaluer dans la durée, à exercer sa mission de contrôle. Les discussions entamées cette semaine par le Premier ministre en vue de la révision constitutionnelle permettront précisément d’atteindre cet objectif et de renforcer cette évaluation.
Je pense, par exemple, au rôle nouveau que pourrait assumer la Cour des comptes dans les missions d’évaluation et de contrôle du Parlement, ou encore à la possibilité d’enrichir la semaine de contrôle, d’en faire l’outil qu’elle aurait dû être depuis sa mise en place, au service d’un contrôle efficace de l’action du Gouvernement et du suivi de l’application des lois.
Je l’ai dit lors de ma précédente intervention : nous devons rééquilibrer le travail et le calendrier parlementaires, favoriser notamment la tenue d’un débat budgétaire de printemps consistant, efficace, permettant de suivre l’application des lois dans la durée et d’analyser au mieux les résultats de l’action gouvernementale.
Là encore, le calendrier de l’examen de cette proposition de loi vient heurter celui de la révision constitutionnelle. L’adoption de ce texte pourrait contribuer à figer inutilement les positions.
À cet élément de calendrier, il faut ajouter quelques remarques de fond.
La présente proposition de loi tend à créer une délégation parlementaire dénommée « conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être », sur le modèle de l’Office parlementaire d’évaluation de la législation, l’OPEL, et de l’Office parlementaire d’évaluation des politiques publiques, l’OPEPP, communs aux deux assemblées et tous deux créés en 1996.
L’OPEPP a été supprimé en 2000, l’OPEL en 2009. Ce dernier a produit, en tout et pour tout, trois rapports en treize ans, malgré des moyens importants. Cela laisse à penser que la formule retenue n’est peut-être pas la bonne.
Par ailleurs, pour ce qui concerne la sphère de l’État, le Gouvernement s’est fixé comme règle de ne plus créer d’instance nouvelle, de conseil ou de comité. Tout en respectant le principe de séparation des pouvoirs, il ne peut donc voir d’un œil particulièrement bienveillant l’apparition d’un nouveau conseil.
Il semble surtout que l’option déjà retenue par le Sénat de confier aux commissions permanentes le soin de veiller au suivi et à l’évaluation des lois soit plus pertinente et plus efficace. En effet, c’est en leur sein que se trouvent déjà toutes les compétences nécessaires à un suivi efficace des textes adoptés. Il est parfaitement logique de confier à la commission qui a longuement travaillé à l’élaboration d’un rapport, qui a ensuite voté un texte, qui s’est positionnée sur des amendements, le soin de se pencher ensuite, plusieurs mois ou années après, sur l’application et l’évaluation de la loi.
Le Gouvernement regardera donc d’un œil attentif le sort réservé à la proposition de résolution présentée par M. Sueur visant à modifier le règlement du Sénat pour que le rapporteur d’un texte puisse en suivre l’application pendant toute la durée de son mandat. Je ne peux m’empêcher, monsieur le rapporteur, en écho à votre intervention, de souligner que le secrétariat général du Gouvernement est désormais chargé d’établir un point semestriel sur la publication des décrets d’application, de manière à éviter les mésaventures que vous avez pu connaître.
Si le Gouvernement a des propositions fortes à faire au Parlement pour renforcer ses missions de contrôle et d’évaluation, il compte aussi sur le Parlement pour se saisir de ses pouvoirs et trouver les meilleures solutions pour renforcer son action de contrôle et d’évaluation.
La seconde question posée par cette proposition de loi a trait aux critères retenus pour mener à bien une évaluation satisfaisante des politiques publiques.
S’il ne revient pas au Gouvernement d’interférer dans le choix des méthodes retenues par le Parlement pour évaluer les lois et les politiques publiques, je puis du moins vous assurer, mesdames, messieurs les sénateurs, que les nouveaux indicateurs de richesse prévus par la loi dite « Sas », que la présente proposition de loi veut promouvoir, sont d’ores et déjà largement pris en compte dans de nombreuses administrations.
Ainsi, à Bercy, les indicateurs de niveau mission, qui rendent compte des grandes priorités des politiques publiques conduites par le Gouvernement, sont, pour la plupart, mis en cohérence avec ces nouveaux indicateurs de richesse dans les projets annuels de performance depuis 2017.
Dans la troisième édition du rapport annuel sur les nouveaux indicateurs de richesse, publiée voilà deux semaines, le Gouvernement s’est engagé à aller encore plus loin. Comme l’a annoncé le Premier ministre, « dès l’année prochaine, les principales réformes engagées par le Gouvernement seront ainsi évaluées à l’aune de ces indicateurs pour juger de leur adéquation avec notre volonté d’engager la France vers une croissance plus verte et plus inclusive ».
L’Assemblée nationale et le Sénat ont également pris les choses en main, avec la mise en place, au sein de leurs commissions du développement durable respectives, d’un groupe de travail chargé d’examiner les expériences étrangères de présentation du budget à l’aune d’objectifs de développement durable. Nous ne sommes encore qu’au début de l’aventure, mais les chantiers sont lancés, et l’ambition politique est là. Nous constatons qu’elle est partagée.
Vous l’aurez compris, le Gouvernement estime utile la contribution de cette proposition de loi au débat sur l’évaluation des politiques publiques. Il est tout à fait vertueux que, dans cette période particulière de la législature – la première année, si importante pour les relations entre le Gouvernement et le Parlement, dans un moment essentiel pour l’avenir de nos institutions, celui des consultations menées par le Premier ministre en vue de la révision constitutionnelle –, nous prenions le temps du dialogue, de l’échange de vues sur des points qui structureront notre travail en commun.
C’est ainsi que, avec la commission des lois et son rapporteur, nous considérons cette proposition de loi comme un texte utile au dialogue et à la réflexion, mais probablement insuffisant pour répondre pleinement à tous les enjeux de l’évaluation des lois. C’est la raison principale pour laquelle le Gouvernement soutiendra la motion de la commission des lois tendant au renvoi du texte à la commission.
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que je devrai suspendre la séance à dix-huit heures quarante, la conférence des présidents se réunissant à dix-huit heures quarante-cinq.
Il y a huit orateurs inscrits dans la discussion générale ; viendra ensuite l’examen de la motion tendant au renvoi de la proposition de loi à la commission. Je demande à chacun de respecter strictement son temps de parole, afin que nous puissions achever l’examen de ce texte avant la suspension de la séance.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Josiane Costes, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Mme Josiane Costes. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « le bien-être présent dépend à la fois des ressources économiques comme les revenus et des caractéristiques non économiques de la vie des gens : ce qu’ils font et ce qu’ils peuvent faire, leur appréciation de leur vie, leur environnement naturel ». C’est ainsi que le rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi, établi en 2008, définissait le « bien-être présent », qu’il distinguait de la soutenabilité.
Depuis la publication de ce rapport commandé par le président Sarkozy et destiné à améliorer la mesure des performances économiques et du progrès social, peu d’initiatives législatives ont visé explicitement à mettre en œuvre ses recommandations. Elles s’adressaient en effet en premier lieu aux instituts produisant les statistiques à partir desquelles sont construites nos politiques publiques, ainsi qu’à la communauté scientifique, afin que soit mieux prise en compte la pluridimensionnalité du bien-être.
Il est important de le souligner, les auteurs du rapport, tous d’éminents membres de la communauté des chercheurs, avaient conscience d’ouvrir un long débat, destiné à « aborder les valeurs sociétales auxquelles nous attachons du prix et déterminer dans quelle mesure nous agissons réellement en faveur de ce qui importe ». Ces préconisations continuent donc de faire leur chemin : le Parlement s’est récemment saisi de la question, en adoptant la loi du 13 avril 2015 visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques.
Dans le même temps, la position de la France dans le classement mondial établi par le PNUD, le Programme des Nations unies pour le développement, à partir de l’indicateur de développement humain s’est dégradée : entre 1995 et 2016, la France est passée de la huitième à la vingt et unième place. La valeur absolue de l’indice calculé par le PNUD s’est également affaiblie, passant de 0,93 à 0,89.
C’est à juste titre que les auteurs de cette proposition de loi cherchent à prolonger le débat ouvert en 2008, même si les évolutions suggérées ne nous paraissent pas totalement satisfaisantes.
Tout d’abord, le rapporteur a rappelé l’échec des précédents organes parlementaires dédiés à l’évaluation des politiques publiques, avec les suppressions successives de l’Office parlementaire d’évaluation des politiques publiques et de l’Office parlementaire d’évaluation de la législation, en 2000 et en 2009. La création d’un conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être, à la composition certes innovante, semble viser à ressusciter ces offices, sans que rien permette de penser qu’il ne subirait pas le même sort.
Les autres dispositions, plus anecdotiques, tendent à institutionnaliser une évaluation, tous les trois ans, de la pertinence des indicateurs de richesse existants et à permettre la production de contre-expertises au rapport publié au moment de l’examen de la loi de finances, en application de la loi de 2015 déjà citée.
Ces dispositions ont le mérite de souligner que la prise en compte d’autres indicateurs que le PIB doit être constamment recherchée, tout au long de la chaîne d’élaboration de nos politiques publiques. Elles passent cependant à côté du problème central, à savoir le déficit d’intégration de critères qualitatifs de croissance lors des arbitrages politiques et budgétaires.
Cela s’explique par différents facteurs : le temps qu’il faut pour qu’un changement de paradigme innerve l’ensemble de la chaîne des acteurs, en premier lieu, mais aussi la remise en cause régulière des nouveaux indicateurs de bien-être. Certains se sont par exemple étonnés que, en 2017, l’indice de développement humain de la Libye, alors en guerre, tel que calculé par le PNUD, ait été supérieur à celui du Maroc…
Afin d’accroître l’influence des nouveaux indicateurs de bien-être proposés dans le rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi, il aurait été intéressant de les intégrer à la liste des éléments devant figurer dans les études d’impact prévue à l’article 8 de la loi du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.
Une autre piste à explorer serait le renforcement des liens entre le monde universitaire et les personnes chargées d’élaborer les politiques publiques françaises et européennes. De nombreux chercheurs français se distinguent sur la scène scientifique internationale dans des domaines concernés par les recommandations de la commission Stiglitz, qu’il s’agisse de l’élaboration de nouveaux indicateurs de richesse, de l’évaluation des inégalités, de la prise en compte des activités non marchandes ou encore de l’évaluation de la soutenabilité. Il serait utile de réfléchir à des mécanismes qui permettraient de mieux tenir compte de l’ensemble des résultats de leurs recherches, au-delà des analyses produites par les chercheurs d’instances telles que le Conseil d’analyse économique.
Enfin, la présence de pays à faible densité de population comme la Norvège et le Canada en tête des classements mesurant le bien-être me conduit à penser que cette dimension devrait également être mieux prise en compte en France, dans le cadre de notre politique d’aménagement du territoire. Trop souvent, le mal-être lié aux grandes concentrations de population est sous-estimé dans nos politiques publiques.
Malgré tout l’intérêt du sujet abordé au travers de cette proposition de loi, et dans l’attente de réflexions à venir sur les thèmes que je viens d’évoquer, le groupe du RDSE votera la motion tendant au renvoi du texte à la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, pour le groupe Les Républicains.
M. François Bonhomme. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en 2008, le gouvernement français sollicitait la création de la Commission sur la mesure de la performance économique et du progrès social, dans un contexte de remise en cause croissante de la pertinence des indicateurs de performance économique et de progrès social existants.
Cette commission, présidée par le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz, était chargée de déterminer les limites de l’utilisation du PIB comme indicateur de performance économique et de progrès social.
De fait, il s’agissait d’une critique formelle de l’utilisation du PIB en tant qu’instrument de mesure central de la « richesse des nations ». Ainsi, dans son rapport final, la commission concluait que « l’adéquation des instruments actuels de mesure des performances économiques, notamment de ceux qui reposent uniquement sur le PIB, pose problème depuis longtemps ». Elle élargissait le champ de la notion de « bien-être présent » à des éléments non économiques.
Devant un tel constat, certaines initiatives ont visé à mettre en place des indicateurs et des instruments de mesure économiques, sociaux, environnementaux ou culturels plus pertinents. Ces « nouveaux indicateurs de prospérité » se sont ainsi multipliés aux échelles locale, nationale et internationale.
En 2012, la conférence des Nations unies sur le développement durable, dite « Rio+20 », a été l’occasion pour l’ONU de proposer un indice de richesse globale, « PIB vert » intégrant un « capital naturel » au PIB classique.
De son côté, la France a adopté en 2015 la loi visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques, sur l’initiative de notre collègue députée Éva Sas. Cette loi prévoyait la prise en compte de dix nouveaux indicateurs de qualité de vie et de développement durable pour l’élaboration des décisions publiques, en sus d’instruments de mesure de la production tels que le produit intérieur brut. Dans cette optique, elle impose au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport annuel présentant l’évolution, à moyen terme, de ces indicateurs de qualité de vie et de développement durable.
C’est dans la continuité de ces différentes initiatives que s’inscrit la proposition de loi de notre collègue Franck Montaugé. Elle vise notamment à favoriser l’utilisation et l’appropriation par nos concitoyens de nouveaux indicateurs de richesse.
Ce texte comporte trois articles.
L’article 1er vise à instituer un conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être comprenant dix-huit sénateurs et dix-huit députés. Cette délégation parlementaire serait appuyée par un comité scientifique composé d’universitaires et de représentants d’organismes publics et indépendants. Elle devrait organiser de façon annuelle une conférence « citoyenne » – adjectif galvaudé à force d’être utilisé à tout propos – sur l’état des inégalités en France.
L’article 2 prévoit que le conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être présente tous les trois ans un rapport – un de plus ! – évaluant la pertinence des indicateurs de richesse existants et formulant des propositions d’amélioration de ces derniers et de création de nouveaux indicateurs « plus qualitatifs ».
Enfin, l’article 3 dispose que le rapport gouvernemental visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques prévu par la loi devra désormais inclure une contre-expertise réalisée par des experts indépendants. On le voit bien, cela se complique un peu ! Finalement, dans notre pays, chacun est expert en quelque chose…
L’objet de cette proposition de loi est certes louable, puisqu’il s’agit de faire évoluer nos instruments de mesure de richesse afin que nous puissions disposer d’indicateurs précis et opérationnels. Ce texte ouvre une réflexion intéressante sur la pertinence du PIB. Toutefois, mes chers collègues, gardons à l’esprit que la multiplication de structures en tout genre ne saurait constituer à elle seule une solution satisfaisante. Il est en effet à craindre qu’elle ne se révèle être source de complexification et ne soit finalement contre-productive.
La nécessité de créer de nouveaux indicateurs paraît, quant à elle, discutable, à l’heure où, comme il est d’ailleurs précisé dans l’exposé des motifs, l’utilisation des nouveaux indicateurs à des fins d’action publique ou de pilotage des politiques publiques se révèle encore limitée.
Enfin, les auteurs de la proposition de loi préconisent que le rapport gouvernemental présentant l’évolution des nouveaux indicateurs prévus par la loi Sas inclue une contre-expertise menée par des experts « indépendants », alors même que l’application de cette loi reste à l’heure actuelle insatisfaisante et mériterait d’être améliorée.
En effet, la loi Sas prévoit que le Gouvernement remette au Parlement chaque premier mardi d’octobre un rapport présentant l’évolution des nouveaux indicateurs. Or le rapport de 2017 a paru avec quatre mois de retard. Une meilleure application de la loi Sas devrait donc être envisagée.
En définitive, la révision de nos instruments de mesure de richesse ne saurait se faire au prix de la multiplication des structures et au détriment de la simplification du droit. Vous comprendrez, mes chers collègues, que les réserves que m’inspire ce texte ne me permettent pas de le voter.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je serai bref.
Cette proposition de loi prévoit la création d’un conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être chargé d’« informer le Parlement sur la politique suivie […] au regard des nouveaux indicateurs de richesse ». Ce conseil, composé de dix-huit sénateurs et de dix-huit députés, serait assisté d’un comité scientifique encore plus pléthorique, puisque comptant trente membres.
Que faut-il en penser ?
Premièrement, les nouveaux indicateurs de richesse ont quasiment disparu. Par conséquent, la création d’une telle délégation perd l’essentiel de son intérêt.
Deuxièmement, je ne vois pas bien quel bénéfice apporterait la création d’une délégation parlementaire nouvelle chargée d’évaluer et d’améliorer les indicateurs utilisés pour la réalisation des études d’impact, évaluations et améliorations devant elles-mêmes faire l’objet d’une contre-expertise produite par des organismes indépendants. Cela fait beaucoup !
En bonne logique, nous soutiendrons la motion tendant au renvoi du texte à la commission présentée par le rapporteur. (M. le rapporteur applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour le groupe Union Centriste.
M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la première question que je me suis permis de poser tout à l’heure, lors de l’examen de la proposition de loi organique, reste d’actualité : est-il ou non pertinent de débattre aujourd’hui de dispositions qui, nous le savons, seront d’une façon ou d’une autre soumises à notre examen dans quelques semaines, à l’occasion de la révision de la Constitution ? Certains peuvent estimer qu’une telle anticipation est une manière d’ouvrir le débat, d’autres peuvent juger préférable, pour la cohérence de celui-ci, d’appréhender les problématiques globalement.
Notre groupe n’est pas opposé au renvoi de ce texte à la commission, essentiellement en raison de l’inadaptation du véhicule proposé. Nous ne sommes pas très favorables à la création de comités supplémentaires. Cette position relève, en quelque sorte, d’une logique de parallélisme des formes : notre assemblée reproche régulièrement au Gouvernement de créer trop d’autorités administratives indépendantes, nous nous plaignons d’une forme d’« agencification » de l’action publique de l’État ; par conséquent, n’alimentons pas, pour notre part, une forme de « comitologie » qui serait le pendant parlementaire des mauvaises pratiques que nous reprochons à l’État !
Plus fondamentalement, nous souhaitons tous que le Parlement assure complètement non seulement sa fonction législative d’élaboration des normes juridiques, mais aussi son rôle d’évaluation des politiques publiques et de contrôle de l’action gouvernementale, conformément à la volonté exprimée par le Président de la République.
En matière d’évaluation de l’application des lois par le Parlement, les marges d’amélioration sont considérables. M. Sueur a proposé en commission que le rapporteur d’un texte en suive l’application après son éventuelle adoption. A minima, il s’assurerait que les décrets d’application soient pris. Dans une interprétation plus large, un rôle d’évaluation de l’application de la loi dans la durée pourrait lui être confié. En tout état de cause, l’idée d’instaurer un continuum dans le suivi de l’application des lois me paraît intéressante.
Cela concerne l’aval. Peut-être conviendrait-il de s’intéresser également à l’amont, en se penchant sur la question de l’intégration. M. Cabanel et moi-même invitons le Sénat à aller plus loin dans la prise en compte de la démocratie participative, en recourant à des modalités assez classiques, pratiquées par exemple par la Commission européenne, qui met en œuvre de façon systématique des mécanismes de consultation numérique avant l’adoption des normes européennes. C’est un sujet que connaît bien notre assemblée, le président Larcher souhaitant promouvoir un Sénat « numérique ».
Sans systématiser les choses, une consultation numérique, des panels citoyens ou des conférences de consensus pourraient être mis en place en amont de l’examen d’un texte de loi, lorsque la commission compétente l’estime pertinent. Cela pourrait valoir, en particulier, pour les textes à vocation sociétale.
Je veux espérer que la motion tendant au renvoi de la proposition de loi à la commission sera adoptée et que, au-delà, nous poursuivrons, les uns et les autres, notre réflexion, dans le cadre de la révision constitutionnelle à venir, bien sûr, pour ce qui concerne le plus haut niveau de la norme juridique, mais aussi dans celui, beaucoup plus modeste, de la modification de notre règlement intérieur. En effet, l’amélioration de l’évaluation de l’application de la loi, en aval, et l’intégration de processus participatifs ou la revitalisation du droit de pétition, en amont, sont des domaines qui relèvent, mes chers collègues, du règlement de notre assemblée.
Je confirme le soutien du groupe Union Centriste à la motion tendant au renvoi du texte à la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Alain Marc, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Alain Marc. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’article 1er de la proposition de loi que nous examinons cet après-midi institue un « conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être » – un bien-être sans doute fort difficile à évaluer, quels que soient les critères que l’on peut définir à cette fin…
Composé de dix-huit députés et de dix-huit sénateurs, assisté d’un comité scientifique, ce conseil parlementaire aurait pour mission non seulement d’informer le Parlement des conséquences des politiques publiques sur le bien-être des populations, mais aussi de mettre en place une plateforme participative numérique relative aux « nouveaux indicateurs de richesse », afin que les citoyens s’approprient les indicateurs alternatifs au PIB et fassent vivre le débat démocratique.
Cette plateforme a pour vocation l’élaboration et la mise en débat citoyen les nouveaux indicateurs, afin de rétablir le lien entre politiques et citoyens et d’attirer l’attention, notamment des médias, sur l’état de la société au travers des grands enjeux démocratiques. À cet effet, le conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être organiserait chaque année au Sénat une conférence citoyenne sur l’état des inégalités en France.
L’article 2 de la proposition de loi instaure un bilan d’évaluation de la pertinence des nouveaux indicateurs de richesse issus de la loi du 13 avril 2015 visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques, ou loi Sas, laquelle a débouché sur la création de dix nouveaux indicateurs de richesse. Ainsi, tous les trois ans, le conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être évaluerait la pertinence des indicateurs de richesse existants. Il formulerait des propositions d’amélioration ou de création de nouveaux indicateurs.
Enfin, l’article 3 de la proposition de loi prévoit que le rapport issu de la loi Sas et remis par le Gouvernement au Parlement fasse l’objet d’une contre-expertise indépendante. Plus simple, il n’y a pas !
Cette proposition de loi appelle un certain nombre de remarques.
En premier lieu, l’évaluation et le contrôle sont au cœur de la mission du Parlement, comme le dispose l’article 24 de la Constitution. Cette fonction vise à garantir la qualité des textes de loi en amont et à en évaluer les effets en aval. De l’avis général, elle est insuffisamment exercée et valorisée.
Il apparaît donc indispensable de développer les travaux et de renforcer les méthodes et les capacités d’expertise et d’évaluation du Parlement, afin d’améliorer l’évaluation de l’application des lois et, plus largement, l’évaluation des politiques publiques. Cette mission appartient aux commissions permanentes, ainsi qu’aux délégations et autres organes permanents ou temporaires.
En second lieu, de nombreuses réflexions sur le renforcement du contrôle et de l’évaluation ont été entreprises et, déjà, des pistes ont été dégagées.
Ainsi, il paraîtrait intéressant de renforcer l’assistance de la Cour des comptes. Actuellement, seules deux procédures permettent aux instances parlementaires d’être à l’initiative et de passer commande à la Cour des comptes d’enquêtes sur des sujets de leur choix.
Il s’agit, d’abord, de la faculté reconnue aux commissions des finances, puis aux commissions des affaires sociales, d’user d’un droit de tirage dans le cadre du contrôle de l’exécution des lois de finances et de l’application des lois de financement de la sécurité sociale.
Il s’agit, ensuite, de la possibilité ouverte au président de chaque assemblée de demander la réalisation d’enquêtes au titre de l’évaluation des politiques publiques. Étendre à toutes les commissions permanentes la faculté de solliciter la Cour des comptes pour la réalisation d’enquêtes peut constituer une piste intéressante.
De même, lever l’interdiction faite aux assemblées parlementaires de créer des commissions d’enquête sur des faits faisant l’objet de poursuites judiciaires, sous réserve du respect du secret de l’instruction, peut sembler pertinent.
La création d’une commission d’enquête est un outil essentiel du contrôle parlementaire. Toutefois, une règle de recevabilité prohibe la création d’une commission d’enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires aussi longtemps que ces poursuites sont en cours. Si une commission a déjà été créée, sa mission prend fin dès l’ouverture d’une information judiciaire relative aux faits sur lesquels elle était chargée d’enquêter. Le respect de cette règle repose, dès lors que la création d’une commission d’enquête est envisagée, sur une saisine systématique du garde des sceaux.
Cette règle de recevabilité a, par le passé, limité les investigations des commissions d’enquête consacrées au Service d’action civique, aux sectes, au régime étudiant de la sécurité sociale ou encore au Crédit lyonnais, par exemple. Le comité Balladur s’était prononcé en faveur de sa suppression. L’abroger ne permettrait pas au Parlement d’interférer dans une procédure judiciaire ni de se substituer à l’autorité judiciaire !
Enfin, prévoir un délai impératif de réponse de deux mois aux questions écrites posées par les parlementaires au Gouvernement irait dans le sens d’une valorisation des activités de contrôle et d’évaluation du Parlement.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ces quelques exemples illustrent des voies d’amélioration et de développement des travaux d’évaluation.
Dans ce contexte, la proposition de loi visant à instituer un conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être apporte une contribution utile. Toutefois, au vu de l’importance du sujet, une réflexion plus large semble nécessaire. Pour cette raison, notre groupe votera en faveur de l’adoption de la motion tendant au renvoi du texte à la commission. (M. le rapporteur applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Jérôme Durain. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’indicateur du PIB a été instauré en 1945, aux fins de quantifier les besoins des Français, en pleine période de reconstruction. Il s’agissait alors de mesurer le développement de la société, ses progrès, avec l’objectif presque exclusif d’apprécier sa capacité à produire toujours plus de richesses.
Cet indicateur, aujourd’hui au service de la compétitivité, vieux de plus de soixante-dix ans, a besoin d’évoluer en profondeur. En effet, le PIB souffre de plusieurs lacunes : il ne mesure pas la répartition des richesses dans la société ; il ne prend pas en compte les ressources naturelles des pays, en termes énergétiques ou de biodiversité ; pis encore, le PIB, ne permettant pas de prévisions ou d’anticipations, n’étant qu’un indicateur-bilan des résultats économiques du pays, ne mesure pas la pérennité de la croissance.
Notre société doit s’intéresser au bien-être et à la qualité de vie de sa population, être à l’écoute des citoyens et cesser de se focaliser uniquement sur les enjeux économiques, comme cela a pu être le cas par le passé. Ce constat est aujourd’hui largement partagé, sur tous les bords politiques.
Nicolas Sarkozy, en 2008, avait installé la commission Stiglitz, dite « commission sur la mesure de la performance économique et du progrès social ». Cette commission avait engagé une réflexion sur les moyens d’échapper à une approche trop quantitative, trop comptable, de la mesure de nos performances collectives.
En 2000, la région Nord-Pas-de-Calais, devenue depuis lors la région Hauts-de-France et chère à Xavier Bertrand, avait mis en place des indicateurs de richesse complémentaires au PIB, en lien avec l’ARF, l’Association des régions de France. La loi Sas, votée en 2015, a prévu la prise en compte de dix nouveaux indicateurs de richesse, qui donnent lieu à la publication d’un rapport annuel permettant d’évaluer l’état de la France.
Plus récemment, le député du « nouveau monde » Bruno Bonnell – j’ai parcouru l’ensemble du spectre politique ! – s’est créé une certaine notoriété en déclarant : « On n’entend que ça, le pouvoir d’achat, comme si la vie se résumait au pouvoir d’acheter ». Même si je suis en désaccord total avec M. Bonnell en ce qui concerne sa conclusion, je crois, comme lui, comme M. Sarkozy, comme Mme Sas et comme M. Stiglitz, que nous aurions beaucoup à gagner à utiliser des indicateurs plus adaptés à nos évolutions sociétales.
Quels sont les indicateurs à retenir ? Quelles seraient les conclusions que nous pourrions tirer des nouvelles tendances ? Nous n’en savons encore rien.
Une telle évolution permettrait-elle de dissimuler la question du pouvoir d’achat, comme le souhaite M. Bonnell ? Permettrait-elle de mettre au jour de nouvelles inégalités, comme l’estime Amartya Sen, qui déclarait en 2009 : « Les indicateurs de production ou de consommation de marchandises ne disent pas grand-chose de la liberté et du bien-être, qui dépendent de l’organisation de la société, de la distribution des revenus. »
La loi Sas avait défini dix nouveaux indicateurs. Actuellement, nous ne pouvons pas, avec le seul indicateur qu’est le PIB, anticiper l’impact d’une décision sur l’écologie ou sur la soutenabilité de la dette, ses conséquences pour les citoyens. Il s’agit à mon sens d’une problématique beaucoup plus large que celle du seul contrôle des politiques publiques tel qu’il s’exerce déjà dans nos assemblées. Il y va d’une véritable révolution culturelle – M. Montaugé me pardonnera si je trahis sa pensée.
Le PIB mesure le niveau de vie du pays ; c’est donc un indicateur qui évalue, mais qui ne porte pas d’ambition sociale ou transformatrice. Les dix indicateurs de la loi Sas étaient le taux d’emploi, l’effort de recherche, l’endettement, l’espérance de vie en bonne santé, la satisfaction dans la vie, les inégalités de revenus, la pauvreté en conditions de vie, les sorties précoces du système scolaire, l’empreinte carbone, l’artificialisation des sols.
La promotion de ces indicateurs vise donc à changer les pratiques du Gouvernement, à le forcer à prendre en compte des indicateurs qu’il négligeait, afin de répondre aux enjeux d’aujourd’hui et de demain.
Selon les mots d’Édouard Philippe – vous voyez, mes chers collègues, que j’ai toujours de bonnes références – dans le dernier rapport sur ces indicateurs de richesse, « Cette dynamique n’est pas un travail en chambre, elle n’est pas simplement un exercice de spécialistes, elle a un sens politique profond. Il s’agit de savoir ce sur quoi nous fondons collectivement notre appréciation de ce que nous entendons par les termes de croissance, de développement, de bien-être ou de progrès ».
Il est vrai que certains de ces indicateurs sont plus difficilement mesurables, comme le niveau de satisfaction dans la vie. Bien que les réponses apportées soient subjectives, elles n’en restent pas moins révélatrices de l’état actuel de notre société ; à ce titre, les valeurs en question sont à prendre au sérieux.
Il y a donc les indicateurs, et ces nouveaux indicateurs sont une très bonne avancée. Il y a aussi, et c’est tout aussi important, notre capacité collective à les évaluer : non pas comme le fait le Gouvernement, c’est-à-dire de manière annuelle, en mesurant les résultats établis durant l’année, mais dans leur efficacité, leur utilité, leur impact concret. Nous pensons qu’il est important de faire un bilan d’évaluation sur la pertinence de ces indicateurs, avec la possibilité de les compléter, donc d’en ajouter, afin de les rendre plus complets et plus exhaustifs.
Pour vous donner un exemple, nous pourrions ajouter aux indicateurs existants des « blocs d’indicateurs ». Serait ainsi créé un indicateur de soutenabilité sociale, qui regrouperait des indicateurs d’inégalités fondés sur des indicateurs de répartition, mesurant les inégalités de revenus, les inégalités territoriales – elles ont été citées tout à l’heure – concernant l’accès aux dispositifs de l’État et les inégalités des chances.
À ce premier bloc s’ajouterait la création d’un indicateur de l’état du patrimoine national, mesurant, donc, le capital productif de la France, son capital humain, son capital social, mais également son capital naturel, autant de mesures essentielles pour améliorer notre bien-être dans le futur.
Enfin, un dernier bloc consisterait en un indicateur de responsabilité écologique de la France dans le monde, nous permettant de mesurer l’impact écologique de notre pays en recourant aux indicateurs d’empreinte carbone et de consommation carbone.
Pour le moment, le rapport annuel présente l’évaluation de l’impact des principales réformes engagées par le Gouvernement, mais il est principalement utilisé dans le cadre des lois de finances.
Un élargissement de son utilisation, s’agissant notamment du respect de la contrainte écologique, est important. Plusieurs indicateurs concernent l’environnement et doivent donc être utilisés au maximum de leur potentiel. Vous le savez, mes chers collègues, l’enjeu écologique est essentiel ; dans la lignée de la COP 21 et de ses résolutions ambitieuses, il est de notre devoir de prendre très au sérieux les contraintes écologiques dans nos études d’impact, au moyen des indicateurs nouvellement adoptés.
Afin de rendre ces indicateurs vraiment efficaces, une évaluation plus qualitative des projets de loi, via l’intégration des nouveaux indicateurs de richesse dans les études d’impact, est une nécessité. Un renforcement de la prise en compte des nouveaux indicateurs mettrait en lumière ces derniers et permettrait de mieux prévoir les incidences des lois futures sur la vie de nos concitoyens.
Nous proposons en outre, via le texte de Franck Montaugé, que le rapport annuel issu de la loi Sas, qui est remis par le Gouvernement au Parlement, puisse faire l’objet d’une contre-expertise indépendante.
Cette proposition est importante. En effet, le rapport est actuellement rédigé par les services du Premier ministre et vise à évaluer la politique du Gouvernement, ce qui peut créer des conflits d’intérêts et conduire à négliger certaines données révélées par les indicateurs.
Pour cette raison, la rédaction d’un second rapport, qui viserait à garantir l’objectivité du premier, pourrait être réalisée par l’Observatoire français des conjonctures économiques, l’OFCE, qui est un organisme de prévision indépendant. Un rapport de cet observatoire, dont les qualités et l’expertise des agents sont reconnues, garantirait une impartialité des données et un éclairage plus large.
Une contre-expertise serait d’autant plus la bienvenue qu’a été votée, en septembre dernier, la loi pour la confiance dans la vie politique. Permettre au Parlement de demander une contre-expertise irait dans le même sens, celui du contrôle accru des actions du Gouvernement, et octroierait plus de légitimité aux résultats dudit rapport, accroissant ainsi la confiance qui leur est accordée.
Le groupe socialiste et républicain soutient la proposition de création d’un Conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être de notre collègue Franck Montaugé. Composé de dix-huit députés et de dix-huit sénateurs, ce conseil aurait pour ambition de tenir le Parlement informé des conséquences des politiques publiques sur le bien-être des populations, ainsi que de la soutenabilité desdites politiques.
Cette avancée permettrait de prendre en compte la mesure du bien-être, prise en compte déjà amorcée par le biais de l’indicateur de satisfaction dans la vie, mais l’élargirait à d’autres points essentiels, tels que la présence de tel ou tel commerce ou service public, la qualité de l’air, etc., avec des données plus précises. Elle serait beaucoup plus importante que de simples rapports annuels, dont nous mentirions, mes chers collègues, si nous affirmions que nous les dévorons tous in extenso…
J’ai compris que la commission des lois ne partageait pas les intentions de M. Montaugé, dont j’estime que la concrétisation constituerait un réel progrès. L’OPECST, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, et la délégation aux entreprises auraient-ils la chance d’être créés aujourd’hui si on leur appliquait le même raisonnement que celui de la commission des lois s’agissant de ce nouveau conseil ?
L’évaluation des politiques, angle mort de notre vie publique, nécessite de la créativité. Dans cette perspective, avec sa proposition, Franck Montaugé fait œuvre utile. Il manifeste, avec ses deux textes, une impatience qui fait honneur au Parlement et qui vient répondre à une demande sans cesse formulée : c’est souvent « pour demain », ce n’est jamais le moment…
Aujourd’hui, c’est la question de la réforme constitutionnelle qui nous amène à différer ce travail. Nous avons entendu les arguments de M. le rapporteur, dont l’intention, par le renvoi en commission, est d’améliorer ce texte que nous propose Franck Montaugé.
Nous ne nous opposerons pas au renvoi en commission, pleins d’espoir dans le travail à venir, mais nous nous abstiendrons avec sagesse, en attendant que soient enfin pris en compte ces indicateurs de richesse et engagées ces politiques d’évaluation que l’on nous promet toujours et qui n’arrivent jamais. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton, pour le groupe Les Républicains.
Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, on ne peut évidemment s’en remettre à la seule création de richesse pour mesurer la bonne santé d’un pays et de ses habitants : il est absolument nécessaire de s’assurer de la pérennité et des impacts des politiques publiques en procédant à leur évaluation.
Ces politiques doivent répondre à un objectif de développement durable, ou soutenable, tel qu’il a été défini en 1987 par la Commission mondiale pour l’environnement et le développement de l’Organisation des Nations unies : « […] Un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ».
Lorsque l’on s’intéresse à un pays, la focalisation sur la seule création de richesses ne reflète absolument pas la réalité du niveau de vie de ses habitants. À l’idée fausse qu’une performance économique entraîne nécessairement une amélioration des conditions sociales, il manque, entre autres, une information sur la répartition de la richesse créée, en écart de rémunération et de patrimoine bien sûr, mais surtout en termes de possibilité pour chacun d’accroître sa rémunération et son patrimoine.
Le critère pécuniaire n’est toutefois pas le seul à prendre en compte dans l’estimation de la qualité de vie d’un individu. Il faut en effet s’intéresser aussi aux facteurs physiques, psychologiques et sociaux, éléments constitutifs du bien-être d’une personne : l’espérance de vie en bonne santé, l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, les liens sociaux, l’accès à l’éducation pour ses enfants, ou encore le respect des droits fondamentaux.
L’idée d’ajouter une telle grille de lecture au calcul de la richesse d’un pays et à l’évaluation des politiques publiques est tout à fait pertinente.
Il est essentiel également d’inclure dans l’analyse des évaluations de soutenabilité des politiques économiques, afin d’avoir une vision plus prudente de leurs résultats. Il s’agirait ainsi de prévenir de nouvelles crises, comme celle qui est survenue en 2008, lorsque les performances en apparence brillantes de l’économie mondiale entre 2004 et 2007 se révélèrent avoir été obtenues au détriment de la croissance à venir.
En ce sens, la présente proposition de loi visant à instituer le Conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être, présentée par notre collègue Franck Montaugé, va dans le bon sens : elle tente d’apporter une réponse à ces différentes préoccupations. Le dispositif proposé, néanmoins, n’est pas satisfaisant.
Il faut avoir en mémoire toutes les expériences précédentes de ce genre qui se sont révélées peu probantes, tels l’OPEL, l’Office parlementaire d’évaluation de la législation, et l’OPEP, l’Office parlementaire d’évaluation des politiques publiques, organes communs aux deux assemblées, créés en 1996 et supprimés depuis lors, après n’avoir publié que très peu de rapports et avoir souffert des discordances entre les majorités respectives des deux chambres.
Au chapitre de ces expériences figure également la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, créée en 2011 et supprimée à son tour par manque de productivité.
Créer encore une nouvelle structure exigera nécessairement un investissement supplémentaire de temps et d’énergie de la part des parlementaires. À force de dispersion, les élus finissent par travailler de manière moins efficace.
Rappelons aussi que la mission d’évaluation des lois et des politiques publiques est normalement la prérogative des commissions permanentes.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est très vrai !
Mme Nicole Duranton. C’est la raison pour laquelle l’OPEPS, l’Office parlementaire d’évaluation des politiques de santé, avait été supprimé lui aussi, malgré sa production relativement importante, au motif que ses travaux pouvaient être menés au sein des commissions des affaires sociales de chaque assemblée.
Il est vrai que l’on s’est aujourd’hui rendu compte du manque de pertinence du PIB dans l’évaluation des politiques publiques, de la nécessité d’intégrer dans cette évaluation des indicateurs supplémentaires, de développement durable ou de bien-être, notamment ; de ce point de vue, la présente proposition de loi va dans le bon sens.
Toutefois, le dispositif proposé, comme je l’ai dit, n’est pas satisfaisant. Il faut comprendre que la critique porte sur le mode d’application choisi et non sur l’esprit de la proposition de loi ; il me semble d’ailleurs pertinent de poursuivre la réflexion de son auteur, afin de la parfaire.
Je souhaite donc le renvoi du texte en commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant au renvoi à la commission.
Demande de renvoi à la commission
M. le président. Je suis saisi, par M. Sueur, au nom de la commission, d’une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission la proposition de loi visant à instituer le Conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être (n° 611 rectifié, 2016-2017).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seul droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n’est admise.
La parole est à M. le rapporteur, pour la motion.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, vous comprendrez que je me réfère aux arguments que j’ai invoqués lors de la présentation de mon rapport pour défendre cette motion de renvoi en commission.
Cette motion est non pas une clause de style – j’ai fourni l’illustration concrète de la proposition de résolution que nous allons déposer –, mais une véritable incitation à travailler ardemment, à partir du point de départ que représente cette proposition de loi, sur cette question de l’évaluation des politiques publiques, et principalement de l’application des lois.
Je pense, mes chers collègues, en avoir assez dit ! (M. Pierre-Yves Collombat applaudit.)
M. le président. Personne ne demande la parole contre la motion ?…
Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Puisque la concision du propos de notre rapporteur m’offre l’occasion, sans risquer de faire dériver nos débats vers un horaire qui serait excessif, de prendre la parole, je rappellerai simplement que le groupe de travail présidé par Gérard Larcher et dont François Pillet est le rapporteur, qui poursuit sa tâche pour déterminer les propositions du Sénat en matière de révision des institutions, a été parfaitement conscient du problème soulevé par cette proposition de loi.
C’est la raison pour laquelle il a lui-même formulé des propositions que je crois extrêmement utiles, tant sur le renforcement des études d’impact, dispositif dont la substance n’a pas été suffisamment vérifiée par le Conseil constitutionnel et qui, de ce fait, est resté largement lettre morte, que sur l’évaluation de la mise en œuvre des lois, notamment des dispositions réglementaires nécessaires.
Notre assemblée, quand bien même elle adopterait cette motion, est donc déjà force de proposition. Elle pourra d’ailleurs traduire elle-même ses propositions dans les textes dont elle aura à discuter, pour améliorer la qualité de la loi par des études d’impact, pour renforcer l’indépendance du Parlement par rapport aux organismes gouvernementaux dans l’évaluation des effets des projets de loi adoptés et pour faire en sorte que l’abstention du Gouvernement dans la mise en œuvre des lois par des décrets soit sanctionnée, notamment par les recours devant le Conseil d’État, sous astreinte, que pourront faire, au nom de leur assemblée respective, les présidents de chacune des deux chambres.
Il est très important de le rappeler. Notre débat, en effet, s’inscrit dans un contexte qui est celui de la réforme et de la modernisation de nos institutions. Quand on parle de modernisation des institutions, le Sénat répond évidemment présent ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Je souhaite simplement remercier les orateurs qui sont intervenus dans la discussion générale de la qualité de leurs propositions et réitérer le souhait du Gouvernement de travailler plus avant sur la question de l’évaluation et de l’application.
J’ai dit tout à l’heure que le Gouvernement était favorable à cette motion de renvoi en commission, pour les raisons qui ont été exposées par M. le rapporteur. Je répète donc, en cet instant, l’avis favorable émis par le Gouvernement sur cette motion.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant au renvoi à la commission.
(La motion est adoptée.)
M. le président. En conséquence, le renvoi de la proposition de loi à la commission est ordonné.
Mes chers collègues, je vais à présent suspendre la séance. Je vous rappelle que la conférence des présidents se réunira à dix-huit heures quarante-cinq ; la séance sera reprise à l’issue de cette réunion. Je vous invite à rester à proximité de l’hémicycle.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures vingt, est reprise à dix-neuf heures trente-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
7
Organisation des travaux
M. le président. Mes chers collègues, lors de la conférence des présidents, certains groupes ont exprimé le souhait de se réunir, afin de discuter de la situation. (Exclamations sur les travées du groupe La République En Marche.)
Nous allons donc de nouveau interrompre nos travaux. (Protestations sur diverses travées.) Nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Vincent Delahaye.)
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
8
Communication d’avis sur deux projets de nomination
M. le président. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a émis, d’une part, un avis favorable à la nomination de Mme Chantal Jouanno aux fonctions de président de la Commission nationale du débat public, et, d’autre part, un avis favorable à la nomination de M. Arnaud Leroy aux fonctions de président du conseil d’administration de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie.
9
Revalorisation des pensions de retraite agricoles
Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer (proposition n° 368 [2016-2017], texte de la commission n° 316, rapport n° 315).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires sociales, cher Alain Milon, monsieur le rapporteur Dominique Watrin, mesdames, messieurs les sénateurs, votre assemblée est saisie de l’examen d’une proposition de loi visant à assurer la revalorisation des retraites agricoles.
Cette proposition entend remédier à une situation dont nous pouvons tous partager le constat et à laquelle le Gouvernement est particulièrement sensible : la faiblesse des retraites agricoles. (Marques d’ironie sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme Cécile Cukierman. Cela ne se voit pas !
Mme Éliane Assassi. Nous attendons des actes !
Mme Agnès Buzyn, ministre. Les pensions des exploitants agricoles et, plus encore, celles des conjoints et des aides familiaux sont en effet, à durée d’activité comparable, plus faibles que celles des autres retraités de notre pays, et cela même s’il faut prendre en compte le fait que de nombreux retraités sont polypensionnés.
Cette situation reflète d’abord et avant tout la faiblesse des revenus agricoles, qui se répercute directement sur le niveau des pensions. Elle tient également à la mise en place tardive de certains éléments fondamentaux de la couverture sociale en matière de retraite, comme le régime complémentaire obligatoire, institué seulement en 2003.
Pour les agriculteurs des DOM, le montant plus faible encore de leurs pensions tient à des durées de cotisations fréquemment plus courtes et à des cotisations plus faibles qu’en métropole.
Face à cette situation, qui se traduit parfois par des montants de pensions très faibles après une vie de travail, la solidarité nationale est active et manifeste le lien très particulier qui unit les Français et leurs agriculteurs. Elle l’est dans le financement du régime des retraites agricoles, au travers du mécanisme de compensation démographique d’une part, de l’affectation de diverses taxes d’autre part. Ces transferts représentent au total 73 % des dépenses du régime de retraite des exploitants agricoles. Il s’agit donc d’un soutien important et durable.
Ce soutien de la solidarité nationale s’est également manifesté dès la création du régime de retraite complémentaire, avec l’attribution de points gratuits aux chefs d’exploitation qui ont permis d’améliorer les droits à pension.
M. Claude Bérit-Débat. Qui est à l’origine de cette mesure ?
M. Roland Courteau. Lionel Jospin !
Mme Agnès Buzyn, ministre. Il a plus récemment pris la forme du plan de revalorisation des retraites agricoles : la loi du 20 janvier 2014 a ainsi fixé la pension minimale pour une carrière complète de chef d’exploitation à 75 % du SMIC net, mesure pleinement effective depuis l’an dernier, et a attribué de nouveaux droits gratuits aux conjoints et aides familiaux pour les années antérieures à la création du régime de retraite complémentaire obligatoire.
M. Claude Bérit-Débat. Merci Hollande !
Mme Agnès Buzyn, ministre. Le Gouvernement est pour sa part particulièrement attentif à la situation des petites retraites. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)
Mme Laurence Cohen. Cela ne se voit pas !
M. Roland Courteau. On attend de voir !
Mme Agnès Buzyn, ministre. Conformément à l’engagement du Président de la République, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 a ainsi prévu la majoration de 100 euros du minimum vieillesse, pour le porter à un peu plus de 900 euros par mois d’ici à 2020, avec une première hausse de 30 euros dès le 1er avril prochain. (Mêmes mouvements.)
Mme Esther Benbassa. Formidable !
Mme Agnès Buzyn, ministre. Cette revalorisation bénéficiera à l’ensemble des personnes âgées dont les ressources sont inférieures au montant du minimum vieillesse, donc aux retraités agricoles concernés.
Engagé dans cette démarche de solidarité, le Gouvernement ne peut en revanche être favorable en l’état à la proposition de loi que vous examinez aujourd’hui. (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.) Celle-ci pose en effet une double question, de méthode et de calendrier.
M. Pierre Ouzoulias. Parlons-en, de votre méthode !
Mme Agnès Buzyn, ministre. Question de méthode, tout d’abord, les mesures avancées dans cette proposition de loi n’ont pas de réelles contreparties en termes de financement.
Le coût des mesures portées par la proposition de loi est de 400 millions d’euros. Pour couvrir ce coût, il est prévu d’augmenter de 0,1 % la taxe sur les transactions financières et de relever les droits à tabac. Je crois que nous pouvons dire qu’il s’agit là de gages « pour ordre » et que beaucoup d’entre vous, sur les travées de cette assemblée, ne jugeraient pertinente ni l’une ni l’autre de ces recettes.
Dans ces conditions, il n’y a donc pas réellement de financement prévu pour ces mesures et l’alternative qui est ouverte est de creuser le déficit de la sécurité sociale ou de faire supporter la charge par la collectivité nationale et par l’impôt. (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe Les Républicains.)
Mme Cécile Cukierman. C’est faux !
Mme Agnès Buzyn, ministre. Le Gouvernement est attaché à une gestion avisée des finances publiques et au retour à l’équilibre des comptes de la sécurité sociale à l’horizon 2020. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.) Il considère que des dispositions aussi importantes par leur impact ne peuvent être adoptées sans que toutes les garanties d’un financement pérenne aient été apportées.
Mme Cécile Cukierman. Il vous appartient de faire des propositions !
Mme Agnès Buzyn, ministre. Le Gouvernement veut rappeler à cet égard que le schéma de financement prévu par la loi de 2014 ne s’est pas révélé opérationnel et qu’un apport supplémentaire a dû être trouvé pour éviter, en 2017, de fragiliser le régime complémentaire obligatoire des exploitants agricoles.
Mme Laurence Cohen. Et l’impôt sur la fortune ?
Mme Agnès Buzyn, ministre. Outre la question de méthode, se pose également, et surtout, une question de calendrier. La proposition de loi est en effet prématurée…
M. Roland Courteau. Pas pour les anciens agriculteurs !
Mme Agnès Buzyn, ministre. … au regard du débat qui va s’engager sur la réforme de nos régimes de retraite.
Ce débat sera notamment l’occasion de préciser les modalités d’un système plus équitable et la place que nous entendons accorder, dans la constitution des droits à la retraite, aux dispositifs de solidarité, notamment aux minima de pensions.
Le Gouvernement, comme vous le savez, s’est mis en ordre de marche pour porter cette réforme de fond. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe Les Républicains.)
Jean-Paul Delevoye, le Haut-Commissaire à la réforme des retraites, a reçu et continuera de recevoir l’ensemble des parties prenantes, et je puis vous indiquer que nous recevrons ensemble, dans le cadre de cette concertation, les représentants agricoles, de façon à ce qu’il soit tenu compte le plus complètement de leur situation.
M. François Bonhomme. Nous voilà rassurés ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Agnès Buzyn, ministre. Avant ce débat, qui concernera l’ensemble des Français, le Gouvernement considère logiquement qu’aucune modification de paramètres importants des régimes existants n’a vocation à intervenir, a fortiori de façon sectorielle.
Mme Laurence Cohen. C’est scandaleux !
Mme Agnès Buzyn, ministre. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, je viens d’exposer la position du Gouvernement. Celui-ci ne refuse pas de prendre en compte la situation particulière des retraités agricoles, mais il considère que les conditions qui le permettraient ne sont pas réunies et que légiférer aujourd’hui serait prématuré. (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Et hop !
M. Gilbert Bouchet. C’est scandaleux !
Mme Agnès Buzyn, ministre. Le Gouvernement entend prendre ses responsabilités.
J’ai l’honneur, en conséquence, de vous informer que, en application de l’article 44, alinéa 3, de la Constitution et de l’article 42, alinéa 7, du règlement du Sénat, le Gouvernement demande à la Haute Assemblée de se prononcer par un seul vote. (Huées prolongées sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Républicains. – De nombreux sénateurs martèlent leur pupitre.)
Mme Cécile Cukierman. C’est un déni de démocratie !
M. Gilbert Bouchet. C’est scandaleux !
M. Pierre Cuypers. Quelle honte !
M. Jackie Pierre. Cela ne s’était jamais fait !
M. le président. Mes chers collègues, je vous demande de rester calmes et de laisser Mme la ministre achever son propos.
Mme Agnès Buzyn, ministre. Nous vous demandons donc, mesdames, messieurs les sénateurs, de vous prononcer par un seul vote sur l’ensemble du texte, ainsi que sur l’amendement n° 3 à l’article 1er.
10
Demande de vote unique
M. le président. En application de l’article 44, dernier alinéa, de la Constitution et de l’article 42, alinéa 7, du règlement, le Gouvernement demande au Sénat de se prononcer par un seul vote sur les articles et les amendements, en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le Gouvernement, ainsi que sur l’ensemble de la proposition de loi. (Vives protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Mme Éliane Assassi. On ne veut pas !
M. Pierre Cuypers. C’est scandaleux !
Mme Laurence Cohen. C’est vraiment très démocratique !
M. le président. Mes chers collègues, nous pouvons en penser ce que nous voulons, mais la Constitution et le règlement du Sénat permettent au Gouvernement de procéder de la sorte.
Seul l’amendement n° 3 est retenu par le Gouvernement.
Acte est donné de cette demande.
11
Revalorisation des pensions de retraite agricoles
Suite de la discussion et retrait de l’ordre du jour d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. Nous poursuivons la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
M. Dominique Watrin, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, la décision du Gouvernement de recourir à l’alinéa 3 de l’article 44 de la Constitution a fait l’effet d’une douche froide lors de sa communication ce matin à la commission des affaires sociales.
M. Claude Bérit-Débat. Qu’en pensent les retraités présents dans les tribunes ?
M. Dominique Watrin, rapporteur. « Recul de la démocratie », « procédure insupportable », « incompréhension de la méthode sur un sujet qui fédère » : voilà quelques exemples de réflexions entendues sur différentes travées. (Marques d’approbation sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson. Absolument !
M. Dominique Watrin, rapporteur. Loin d’être un simple report dans le temps, cette décision signe l’arrêt de mort de la proposition de loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles.
En renvoyant la définition du minimum de pension à l’hypothétique future réforme systémique des retraites, le Gouvernement compromet la mise en œuvre immédiate de la mesure principale de ce texte : la garantie de retraite des exploitants agricoles à 85 % du SMIC. Cela engage votre entière responsabilité, madame la ministre !
Cette méthode brutale heurte l’unanimité qui a prévalu chez tous les parlementaires, conscients de l’urgence sociale à laquelle se trouve confronté le monde rural.
M. Gilbert Bouchet. Absolument !
M. Dominique Watrin, rapporteur. C’est à l’unanimité que ce texte a été adopté par l’Assemblée nationale le 2 février 2017, sur le rapport de notre collègue André Chassaigne et grâce au travail de notre collègue Huguette Bello.
C’est à l’unanimité, aussi, que la commission des affaires sociales du Sénat l’a adopté, sans modification, le 21 février dernier.
C’est à l’unanimité, enfin, que la même commission a émis ce matin un avis défavorable sur l’amendement du Gouvernement et condamné son choix de recourir à la procédure du « vote bloqué ».
Au lieu de dialoguer avec la représentation parlementaire, vous avez choisi de fermer le débat avant même son commencement.
M. Roland Courteau. Drôle de pratique !
M. Dominique Watrin, rapporteur. J’étais pourtant prêt à répondre à deux objections que vous étiez susceptible de nous adresser, madame la ministre : le prétendu coût financier de cette proposition de loi et sa supposée incompatibilité avec la réforme systémique des retraites annoncée.
Aussi, avant de revenir sur la méthode que vous avez décidé d’employer, je souhaite dire quelques mots sur ces deux objections.
Sur le coût budgétaire, tout d’abord, je rappelle que l’article 1er de la proposition de loi prévoit de faire passer le minimum garanti pour la pension de base et complémentaire des anciens chefs d’exploitation agricole de 75 % à 85 % du SMIC net agricole, soit de 871 euros à 987 euros par mois. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe Les Républicains.)
Mme Esther Benbassa. Énorme !
M. Dominique Watrin, rapporteur. L’article 3 propose d’assouplir les conditions d’accès à ce minimum garanti de 75 % du SMIC pour les exploitants agricoles ultramarins.
Les services du ministère de l’agriculture évaluent l’impact financier de l’article 1er à environ 350 millions d’euros et celui de l’article 3 à 50 millions d’euros pour 2018, soit un total de 400 millions d’euros. Trois arguments me semblent toutefois relativiser ce coût.
Le premier repose sur un constat que nous partageons tous : le régime des non-salariés agricoles sert actuellement le plus petit niveau de pension parmi tous les régimes de retraite de notre pays. Pour une carrière complète, les exploitants agricoles touchent en moyenne 730 euros par mois en 2015 et seulement 650 euros par mois en moyenne dans les outre-mer, soit la plus petite pension des régimes de retraite, moins que le seuil de pauvreté, moins que le minimum vieillesse.
Porter le minimum garanti de 75 % à 85 %, c’est augmenter d’un peu plus de 100 euros par mois le pouvoir d’achat des 230 000 bénéficiaires actuels du dispositif. C’est aussi permettre à 30 000 retraités agricoles supplémentaires de voir leur pension progresser.
Si nous savons que le principal problème des retraites agricoles réside dans la faiblesse des revenus professionnels, soumis à des aléas climatiques ou de marché qui dépassent bien souvent les agriculteurs, il nous a paru urgent de faire bénéficier chaque agriculteur d’une pension décente au moment où il cesse son activité.
Le deuxième argument qui doit nous faire relativiser ce chiffre, c’est le vieillissement de la population des exploitants agricoles. La dépense associée au minimum garanti devrait en effet diminuer à mesure de l’arrivée à l’âge de la retraite de nouvelles générations qui auront beaucoup plus cotisé que les précédentes.
Enfin, l’estimation du coût du dispositif : en 2014, lorsque la réforme des retraites a mis en place la garantie à 75 %, le Gouvernement évaluait le coût annuel de ce dispositif entre 140 et 160 millions d’euros, un niveau stable jusqu’en 2030. Je constate toutefois que, en 2018, ce dispositif coûte moins – 130 millions d’euros – et qu’il ne devrait représenter que 125 millions d’euros en 2020. Dès lors, il n’est pas interdit de penser que l’impact financier de l’augmentation du minimum garanti ne sera pas si élevé.
Je précise surtout que ce texte prévoit, à l’article 2, un financement suffisant et même dynamique : une taxe additionnelle de 0,1 % à la taxe sur les transactions financières.
Le passage de 0,3 % à 0,4 % me paraît raisonnable, puisque cela revient à prélever 4 centimes d’euros au lieu de 3 centimes lors de l’achat d’une action de 10 euros et permettra de rapporter au moins 450 millions d’euros par an, que le texte prévoit d’affecter à la Mutualité sociale agricole.
Cette recette, qui est supérieure au coût des mesures proposées, consoliderait donc aussi financièrement le régime de retraite des non-salariés agricoles, qui plus est sans que cela ne coûte un centime à l’État ou au contribuable, madame la ministre, tout en assurant des retombées positives sur l’économie réelle.
Je dirai un mot sur l’article 4. Celui-ci est important, car il met fin à une discrimination qui touche les salariés agricoles de Guadeloupe, de La Réunion et de Mayotte, en prévoyant l’extension à leur bénéfice de la retraite complémentaire. Ils sont en effet les derniers salariés à ne pas être couverts. Cela n’est plus supportable.
J’en viens à la supposée contradiction avec la réforme systémique annoncée. La logique de la réforme proposée par le Président de la République, qui veut qu’un euro cotisé rapporte la même chose pour tous, nécessitera de réinterroger tout notre système de retraite, en particulier ses dispositifs de solidarité.
Dans ce contexte, le dispositif de minimum garanti que nous proposons et qui devra être intégré à cette large réflexion présente déjà l’avantage de fonctionner sur un système d’attribution de points de retraite complémentaire à titre gratuit.
À ce stade, je ne vois donc pas de contradiction avec le vote de cette proposition de loi, qui offre une perspective immédiate de revalorisation des pensions de retraite agricoles modestes, sauf bien sûr si votre intention est de minimiser les dispositifs de solidarité.
J’en viens enfin aux conditions d’examen de cette proposition de loi, inscrite à l’ordre du jour du Sénat depuis plusieurs semaines.
En tant que rapporteur, j’ai mené une série d’auditions avec l’ensemble des acteurs concernés, auditions auxquelles ont assisté de nombreux collègues sénateurs de toutes les sensibilités. Elles ont permis de consolider l’esprit de consensus face à l’urgence sociale que j’évoquais et à la nécessité d’y apporter une réponse.
Nous avons en particulier auditionné les représentants des administrations de l’agriculture et de la sécurité sociale, qui n’ont pas été en mesure de nous communiquer la position du Gouvernement.
Madame la ministre, je regrette d’avoir appris hier soir, très tardivement, votre décision non seulement de vous opposer à ce texte, mais également de recourir au vote bloqué, ce qui n’est pas conforme à la nécessité d’un dialogue respectueux entre le Gouvernement et le Parlement. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Comme je l’ai rappelé ce matin en commission, cette procédure n’avait pas été utilisée depuis 1993 sur une proposition de loi. Et l’argument de l’obstruction ne peut tenir ici ! Notre commission réunie ce matin a, je le répète, unanimement condamné cette décision, et mes collègues s’en feront sans doute l’écho dans la discussion à venir.
À ce stade, je me borne à rappeler la position de notre commission, qui est d’adopter ce texte de manière conforme, afin qu’il puisse entrer en vigueur le plus rapidement possible. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Mme Esther Benbassa. Bravo !
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour le groupe Les Républicains. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. François Patriat. Le concours de démagogie peut commencer…
M. René-Paul Savary. Madame la ministre, vous rendez-vous bien compte du message que vous adressez au monde agricole alors que le salon international de l’agriculture vient à peine de refermer ses portes ?
Pourtant, nous misons tout sur nos agriculteurs ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) Ce sont eux qui sont chargés de nous nourrir, de protéger l’environnement et d’opérer la transition écologique. Il est donc important que la société les reconnaisse dignement, en particulier via le système des retraites.
Par ailleurs, quel message entendez-vous adresser au Sénat, madame la ministre, au moment même où sont engagés des travaux en vue d’une réforme constitutionnelle ? La mesure violente que vous allez prendre ce soir ne peut que constituer un message de non-respect du Sénat et du Parlement en général. Ce n’est pas acceptable ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Je souhaite, en tant que futur rapporteur du projet de la loi sur les retraites, formuler quelques remarques, tant sur le fond que sur la forme.
Sur le fond, la proposition de loi illustre clairement le problème du régime de retraite des non-salariés agricoles. Cette profession est très spécifique, puisque les revenus dépendent de cours mondiaux et sont donc très variables. En outre, les prestations sont pilotées et les disparités dans l’organisation des exploitations peuvent entraîner des différences dans le niveau des cotisations.
Le régime de retraite actuel est fondé sur des prestations définies, et le passage à un système par points, qui correspond finalement à des cotisations définies, n’augmentera en rien le montant des retraites agricoles. Il faudra être particulièrement attentif sur ce point.
En ce qui concerne les modalités de calcul des pensions, il existe, là aussi, des différences importantes entre les régimes : pour le monde agricole, l’ensemble de la carrière est pris en compte, alors que, pour le monde salarié, il s’agit des vingt-cinq meilleures années et, pour les fonctionnaires, des six derniers mois.
On le voit, si nous voulons transformer les régimes de retraite en un régime universel, tous ces éléments méritent d’être évalués attentivement, en respectant les spécificités qui existent.
Par ailleurs, madame la ministre, je conteste nettement, avec tout le respect que j’ai pour vous, votre argument fondé sur la solidarité nationale. Certes, cette solidarité existe, elle est même inévitable du fait du déséquilibre entre le nombre de pensionnés et celui des cotisants – trois pour un ! –, mais n’oublions pas les fortes particularités du régime agricole : la solidarité passe par le régime complémentaire obligatoire, le RCO, et ce sont les actifs du secteur, déjà insuffisamment nombreux, qui payent des cotisations supplémentaires pour financer le minimum vieillesse des retraités agricoles. C’est clairement un exemple à ne pas suivre ! Il faut le souligner et en tenir compte pour la future réforme des retraites.
Sur la forme, utiliser au Sénat l’article 44, alinéa 3, de la Constitution, c’est comme employer l’article 49, alinéa 3, à l’Assemblée nationale.
Mme Esther Benbassa. Exactement !
M. René-Paul Savary. Ce n’est pas acceptable pour le Sénat ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Madame la ministre, vous sortez l’artillerie lourde ! Et pourquoi ? Pour une proposition de loi qui ne constitue tout de même pas une transformation sociétale extraordinaire…
M. François Patriat. Ce sont 400 millions d’euros qui sont en jeu !
M. René-Paul Savary. Et avec cette artillerie lourde, vous donnez le sentiment de museler les sénateurs. C’est particulièrement douloureux et difficile à accepter. (Mêmes mouvements.)
M. Roland Courteau. Absolument !
M. Pierre Cuypers. C’est inacceptable !
M. René-Paul Savary. Le groupe Les Républicains estime que ce n’est pas aux retraités agricoles de payer la méthode brutale utilisée par le Gouvernement. C’est ce qui guidera notre expression commune et notre vote sur cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier, pour le groupe La République En Marche. (Exclamations sur diverses travées.)
Mme Esther Benbassa. Bon courage…
M. Martin Lévrier. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il y a maintenant un peu plus d’un an, l’Assemblée nationale adoptait à l’unanimité la proposition de loi d’Huguette Bello, d’André Chassaigne et des députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, visant à assurer la revalorisation des retraites agricoles.
Ce texte a permis de rappeler les nombreuses difficultés du monde agricole et a mis en exergue le fait que la pension minimum de cette catégorie de travailleurs demeure inférieure au seuil de pauvreté et au montant du minimum vieillesse. Les pensions moyennes des retraités non-salariés agricoles étaient de 710 euros en 2014 – 850 euros pour les hommes et seulement 570 euros pour les femmes.
M. Jean-François Husson. C’est pour cela qu’il faut les augmenter !
M. Martin Lévrier. Le seuil de pauvreté s’élevait en 2014 à 840 euros mensuels pour une personne seule. L’allocation de solidarité aux personnes âgées – ASPA – était fixée à 800 euros jusqu’à la dernière loi de financement de la sécurité sociale, et elle atteindra 900 euros en janvier 2020.
Les retraités agricoles et les exploitants et salariés de ce secteur attendent un geste fort de soutien, de reconnaissance de leur travail et d’amélioration de leurs conditions de vie. (Ah ! sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
Mme Laurence Cohen. C’est le grand soir ! (Sourires.)
M. Martin Lévrier. Les États généraux de l’alimentation ont été clôturés il y a deux mois. L’un de leurs objectifs est de relancer la création de valeur et d’en assurer l’équitable répartition, notamment pour permettre aux agriculteurs de vivre dignement de leur travail. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
Par conséquent, loin de nous l’idée de rejeter le message de solidarité envoyé par nos collègues députés. (Mêmes mouvements.)
Pour autant, la solidarité doit s’associer à la réalité et à l’équité. Vous le savez aussi, le Gouvernement s’est engagé dans une grande réforme, qui a pour objectif d’harmoniser les retraites,…
Mme Esther Benbassa. Par le bas !
M. Martin Lévrier. … au travers d’un système universel. Aussi, mes chers collègues, quelle est la finalité du travail parlementaire, de notre travail ? (Exclamations.)
Mme Françoise Laborde. La démocratie !
M. Jean-François Husson. Le 49.3 ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Martin Lévrier. Faire une loi qui, à peine publiée au Journal officiel, sera supprimée et modifiée, puisque d’autres textes législatifs sont en gestation et arriveront rapidement ? (« Quels textes ? Dites-le ! » sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
Inscrire une énième loi éphémère, qui ne servirait qu’à nous donner bonne conscience, mais qui ne réglerait pas le problème ? Notre rôle est-il de travailler l’urgent au détriment de l’important ? (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
M. Fabien Gay. Il y a urgence pour les retraites agricoles !
M. Martin Lévrier. La crise de confiance des Français envers le travail parlementaire est trop souvent associée à ces lois qui ne durent que le temps d’une rose et qui ne sont jamais appliquées.
M. Pierre Laurent. C’est Emmanuel Macron qui a parlé des retraites au salon international de l’agriculture !
M. Martin Lévrier. À l’aube de cette grande réforme voulue par le Gouvernement, comment proposer un texte qui ne revalorise qu’un seul type de pension, celui des retraites agricoles, à l’exclusion de toutes les autres, en particulier de certaines qui sont tout aussi faibles ? (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe Les Républicains.)
M. Claude Bérit-Débat. C’est laborieux…
M. François Patriat. C’est courageux et responsable !
M. Martin Lévrier. C’est pourquoi il est indispensable que la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France métropolitaine et outre-mer soit intégrée dans la réforme générale des retraites prévue en 2020. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Bonfanti-Dossat. Et en attendant ?
M. Martin Lévrier. En outre, cette pension pourra être financée par des systèmes pérennes.
M. Pierre Cuypers. Enfumage !
M. Martin Lévrier. L’adoption de l’amendement n° 3 présenté par le Gouvernement, qui a pour objet de rappeler que l’amélioration des petites pensions agricoles ne peut être envisagée indépendamment des autres évolutions qui affectent notre système de retraite, est donc nécessaire.
M. Jean-François Husson. Il n’y a pas de « grosses » retraites agricoles ! Cela n’existe pas !
M. Martin Lévrier. Pour ces raisons, le groupe La République En Marche votera l’amendement présenté par le Gouvernement et la proposition de loi ainsi modifiée. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Huées sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Mme Élisabeth Doineau. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comme aime à le rappeler notre président, Gérard Larcher, nous sommes des représentants des territoires. Et nombre d’entre nous représentent les territoires ruraux. Il est donc probable que vous ayez reçu, tout comme moi, ces courriers manuscrits de retraités agricoles vous interpellant sur l’indigence de leur situation.
Mes chers collègues, qui, parmi vous, n’a pas noté ces écritures frêles, mais déterminées, ces rédactions fébriles, mais pudiques, ce choix des mots résigné, mais courageux ?
Qui parmi vous n’a pas remarqué la précision des montants, au centime près, nous prouvant à chaque ligne qu’avec peu, on peut faire encore beaucoup, mais que, quand survient l’impossible, l’imprévu, l’hiver plus froid, la panne d’un appareil ménager, la maladie, le décès d’un proche – tous ces aléas et malheurs qui vous tombent dessus –, la peur et, parfois, la colère vous font sortir du silence, de votre pudeur et de vos gonds ?
Qui parmi vous n’a pas observé les demandes, de plus en plus fréquentes, de ces mêmes retraités au fonds de solidarité logement pour l’achat de bois ou de fuel ?
Qui parmi vous n’a pas été sollicité pour compléter le paiement des frais de réparation d’une voiture, qui sert quotidiennement et permet de continuer à ne dépendre de personne pour ses déplacements ?
Qui parmi vous n’a pas été touché par les difficultés rencontrées pour acheter un appareil dentaire ou auditif, pour payer des frais d’ambulance ou d’obsèques ?
Et que répondons-nous à ces personnes, mes chers collègues, après avoir interrogé la Mutualité sociale agricole et plaidé leur cause auprès d’elle ? Nous leur répondons presque systématiquement qu’elles n’ont pas assez cotisé ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – Mme Françoise Laborde approuve.)
Or, nous le savons bien toutes et tous, à une certaine époque, on ne cotisait pas, en particulier les femmes. Et quand on cotisait, c’était pour des montants peu élevés, parce que les revenus étaient eux-mêmes peu élevés.
Aujourd’hui, nous avons la possibilité de corriger une situation inacceptable. Une situation où un non-salarié agricole ayant réalisé une carrière complète se retrouve, une fois à la retraite, avec une pension moyenne bien inférieure au seuil de pauvreté.
M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Élisabeth Doineau. La pension moyenne demeure inférieure au montant du minimum vieillesse – 803 euros, montant qui sera certes revalorisé d’ici à 2020 pour atteindre 900 euros, mais qui restera en dessous du seuil de pauvreté.
Les prestations constitutives de l’ancien minimum vieillesse – l’ASPA, dorénavant – ne sont demandées que par 1,3 % des retraités agricoles. On le sait, le recours sur succession est un barrage psychologique ; il est difficilement accepté par ces générations, qui ont mis toute une vie de labeur à se constituer un petit patrimoine, susceptible de servir et souvent sanctuarisé pour la prise en charge de la dépendance lorsque le moment viendra.
Derrière ces chiffres, ce sont des femmes et des hommes qui ont travaillé dur toute leur vie.
Ce qu’il faut rappeler aussi, c’est l’inégalité entre les femmes et les hommes en matière de retraites agricoles : un différentiel de 258 euros par mois en moyenne au détriment des premières. À la pauvreté s’ajoute donc l’inégalité. Ces femmes ne sont pourtant pas moins méritantes que leurs conjoints. Elles sont même des maillons indispensables au sein des exploitations agricoles. La délégation aux droits des femmes, présidée alors par notre ancienne collègue Chantal Jouanno, en avait pris la mesure ; son rapport est un document précieux et j’invite celles et ceux qui ne l’ont pas lu à en prendre connaissance rapidement.
Face à cette réalité, que propose le texte qui nous est soumis aujourd’hui ? Je rappelle que cette proposition de loi a été adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale avant la présidentielle de 2017.
M. François Patriat. Période propice…
Mme Élisabeth Doineau. L’article 1er vise à augmenter le niveau de pension de base et complémentaire minimal : de 75 % du SMIC, soit actuellement 871 euros, il passerait à 85 % du SMIC, soit 987 euros, ce qui le rapprocherait sensiblement du niveau du seuil de pauvreté. Cela représenterait 55 000 bénéficiaires supplémentaires pour un total de 280 000 retraités et un coût de 350 millions d’euros.
L’article 2 organise le financement de cette mesure, en instituant une taxe additionnelle de 0,1 % à la taxe sur les transactions financières. La recette attendue – 450 millions d’euros – couvrirait le coût de l’ensemble des mesures de la proposition de loi, dont celles qui concernent les agriculteurs des outre-mer que je vais maintenant aborder et qui sont inscrites aux articles 3 et 4.
J’évoquais tout à l’heure l’inégalité que vivent les agriculteurs face à l’ensemble des retraités, mais également l’inégalité vécue par les agricultrices par rapport aux agriculteurs. Je n’avais pas mentionné celle à laquelle font face les outre-mer.
Pour une carrière complète, les non-salariés agricoles ultramarins perçoivent une pension moyenne d’environ 200 euros de moins qu’un retraité en métropole. Par ailleurs, moins du quart des monopensionnés ultramarins du régime des non-salariés agricoles ont réalisé une carrière complète. Par conséquent, rares sont ceux qui peuvent bénéficier du dispositif de garantie de 75 % du SMIC. En réalité, la moyenne des pensions versées est inférieure à 300 euros.
Je ne développerai pas davantage mon propos sur ces articles 3 et 4, afin de respecter mon temps de parole. D’autres orateurs ne manqueront pas de les évoquer plus précisément.
Unanimement persuadés du bon fondement de cette proposition de loi, les membres du groupe Union Centriste avait décidé de voter ce texte de manière conforme. Ce matin, en commission des affaires sociales, l’annonce de l’usage de l’article 44, alinéa 3, de la Constitution par le Gouvernement a suscité de vives indignations. C’est mépriser le monde agricole comme le travail parlementaire !
Au sein du groupe Union Centriste, nous n’avons de cesse de rappeler la nécessité d’une refonte en profondeur de notre système de retraite. Notre inclination historique est même de privilégier la voie d’un système unique, afin de favoriser l’instauration d’un mode de calcul de l’ensemble des pensions sur la base d’un système à points. Pour autant, voter ce texte n’entre pas en contradiction avec la future réforme systémique annoncée par le Gouvernement.
Aujourd’hui, l’urgence commande de soutenir le monde agricole, et ce texte nous permettait d’effacer une honte nationale ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme Françoise Laborde. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Nadine Grelet-Certenais, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Nadine Grelet-Certenais. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il y a quelques jours, au salon international de l’agriculture, le Président de la République a été fortement interpellé par les agriculteurs, preuve que les revendications sont prégnantes et que le monde agricole ne va pas bien. Le président a dit connaître les angoisses et les souffrances des agriculteurs.
Après un vote unanime de l’Assemblée nationale sur la proposition de loi de nos collègues communistes, puis d’un vote unanime et enthousiaste de la commission des affaires sociales du Sénat, vous décidez ce soir, madame la ministre, de passer outre, en déposant un amendement afin de reporter l’application de la mesure, voire de procéder à son enterrement, et en ayant recours au vote bloqué – procédure rarissime pour une proposition de loi. Comme l’a rappelé Dominique Watrin, sa dernière utilisation pour ce type de texte date de 1993 !
Oserais-je dire : « Courage, fuyons » ? Vous attendez la fin du salon de l’agriculture pour afficher vos intentions… Vous nous contraignez à nous mettre à votre service. Quelle brutalité, quel déni de démocratie ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. Roland Courteau. Tout à fait !
Mme Nadine Grelet-Certenais. Cette attitude augure mal de votre réforme institutionnelle : notre démocratie parlementaire est-elle en danger ? Nous pouvons être inquiets, mais ceux qui le seront inévitablement, ce sont nos agriculteurs. Vous exercez un marchandage tactique sur leur dos, ce qui n’est pas acceptable.
On ne peut sans cesse parler des agriculteurs, déplorer leur condition, dénoncer le fait que les choses ne vont pas comme elles devraient, inscrire dans les programmes électoraux la nécessité de leur venir en aide en améliorant leurs revenus et ne pas agir en conséquence. (Mme Victoire Jasmin applaudit.)
M. Roland Courteau. Voilà !
Mme Nadine Grelet-Certenais. C’est la raison pour laquelle nous ne participerons pas à cette mascarade ; le monde agricole vaut mieux que tout cela. Et il est tout de même étonnant de constater un tel acharnement du Gouvernement à empêcher l’aboutissement d’une proposition de loi consensuelle visant à améliorer le quotidien des retraités agricoles.
Rappelons que la retraite moyenne d’un non-salarié agricole, tous bénéficiaires confondus, s’élève aujourd’hui à 766 euros par mois, soit un niveau inférieur à la fois au seuil de pauvreté et à l’allocation de solidarité aux personnes âgées.
La Mutualité sociale agricole, dans un rapport de la fin de l’année 2016, avait tiré la sonnette d’alarme, en révélant qu’un tiers des non-salariés agricoles percevaient une retraite inférieure à 400 euros par mois. Le nouveau seuil de 85 % permettrait de dépasser tout juste le seuil de pauvreté, qui, calculé à hauteur de 60 % du revenu médian, est d’environ 1 000 euros. Convaincus de la pertinence de cette mesure, nous l’avions soutenue à l’automne dernier, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Sur la question du financement, le déséquilibre démographique du régime de retraite agricole explique à lui seul le recours à la solidarité nationale. Sans mesure nouvelle, le déficit de la MSA ne cesserait de se creuser.
Il est désormais urgent de trouver des ressources pérennes, seules à même de garantir le redressement financier du régime de retraite complémentaire obligatoire, le RCO. Cette proposition de loi esquisse une bonne piste de financement, à travers une taxe additionnelle à la taxe sur les transactions financières. Par ailleurs, compte tenu de la réduction du nombre d’actifs, le régime des retraites agricoles pourrait, à terme, améliorer le ratio entre retraités et cotisants.
Ce texte s’inscrit donc dans la poursuite de la politique volontariste menée par François Hollande durant le précédent quinquennat, qui a permis d’atteindre pour les chefs d’exploitation le minimum garanti de pension globale – base et complémentaire – de 75 % du SMIC net en 2017, objectif qui avait été défini, sous Lionel Jospin, dans le cadre de la loi du 4 mars 2002, dont l’initiative revient à Germinal Peiro.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. François Patriat. Il fallait aller jusqu’au bout…
Mme Nadine Grelet-Certenais. Il faut aussi citer l’attribution de droits gratuits aux conjoints et aux aides familiaux pour les années antérieures à leur affiliation au régime complémentaire en 2011.
Ainsi, les nouvelles avancées proposées par ce texte viennent confirmer ce sillon politique et corriger les injustices qui caractérisent le régime des retraites agricoles, aussi bien sur le territoire hexagonal qu’en outre-mer.
Cette proposition de loi présente également l’avantage d’être unanimement soutenue par les syndicats agricoles et les associations de retraités agricoles, qui sont présents dans les tribunes et nous regardent. Tous appellent de leurs vœux un vote conforme de ce texte, afin que la mesure, qui répond concrètement à leurs difficultés d’existence, puisse s’appliquer au plus tôt.
Repousser l’entrée en vigueur de ce texte reviendrait à nier l’urgence sociale et la précarité vécue par des milliers d’anciens travailleurs de la terre.
Garantir une retraite minimale digne pour nos agriculteurs, c’est donner un espoir important à ce secteur qui en a bien besoin. C’est également penser à l’avenir, faciliter la transmission de l’exploitation dans le cadre d’une agriculture familiale et assurer l’entretien et la pérennité de nos paysages.
La commission des affaires sociales avait ouvert la voie à une adoption conforme du texte en l’état. Puisque le texte était bien ficelé…
Mme Patricia Schillinger. Mais pas financé !
Mme Nadine Grelet-Certenais. … et que nous partagions l’objectif d’intérêt général de la proposition de loi, puisque nous détenions une solution clef en main validée par l’ensemble de la profession et des associations, nous aurions pu saisir l’occasion inédite de voter ce texte, sans risquer de prolonger inutilement l’examen avec une seconde lecture plus qu’incertaine.
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Nadine Grelet-Certenais. Le message politique adressé à nos agriculteurs, qui plébiscitent cette proposition de loi, aurait été fort. Malheureusement, le Gouvernement a choisi de museler le Sénat en recourant à la procédure du vote bloqué, ce qui, quelle que soit l’issue de cette dernière, entravera l’adoption rapide du texte.
Telles sont les raisons pour lesquelles notre groupe ne prendra pas part au vote. Quelle occasion manquée pour les agriculteurs, qui assistent, à leur grande surprise, à la suppression de fait d’une proposition de loi que le Sénat s’apprêtait à voter sans modification ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Jean-Pierre Decool. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la situation des pensions agricoles est douloureuse au lendemain du salon international de l’agriculture, à l’occasion duquel les Français ont pu rencontrer et échanger avec leurs agriculteurs. Ces derniers ne peuvent plus tenir ; cette évidence mérite d’être redite publiquement !
Comment peut-on accepter, au XXIe siècle, que ces hommes et ces femmes qui se sacrifient au service de la Nation et nourrissent le pays à la sueur de leur front souffrent d’une véritable misère sociale ?
Pour aggraver cette situation, la Mutualité sociale agricole, qui a commis, en décembre dernier, une erreur regrettable dans le versement des pensions de retraite, demande aujourd’hui à récupérer les trop-perçus.
Certes, le Gouvernement et la Mutualité sociale agricole se sont engagés à ce que ces retenues échelonnées ne dépassent pas 15 %. Cependant, ce sont aujourd’hui ces mêmes agriculteurs qui sont injustement tenus de mener des démarches pour obtenir des attestations d’erreur de versement et modifier leurs déclarations d’imposition sur le revenu. Tout cela est inacceptable, et nous serons vigilants sur le déroulement de cette pénible affaire.
Aurait-on oublié dans ce pays ce que le duc de Sully, conseiller d’Henri IV, disait de notre agriculture : « Labourage et pâturage sont les deux mamelles dont la France est alimentée » ? (Sourires.) N’oublions pas que le monde agricole fait la fierté de notre pays ! En conséquence, il est de notre devoir, en tant que représentants de la Nation, d’être à l’écoute des agriculteurs et de réparer l’injustice qui leur est faite aujourd’hui. Avec une retraite moyenne de 736 euros, les agriculteurs français ne peuvent pas vivre décemment.
Certes, depuis la loi du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraites, des efforts avaient été consentis.
Tout d’abord, une revalorisation des petites retraites agricoles a été mise en œuvre. Actée par décret dès mai 2014, elle a accordé des points gratuits aux conjoints et aides familiaux.
Ensuite, le Gouvernement s’était engagé à l’attribution d’un complément différentiel de points de retraite complémentaire permettant d’atteindre un montant minimum de retraite à 73 % du SMIC en 2015 et à 75 % du SMIC en 2017.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe Les Indépendants – République et Territoires ne pourra que soutenir une initiative de revalorisation réelle des retraites agricoles, dont mon collègue Daniel Chasseing vous dira ce qu’il en pense. Soyons à l’écoute des souffrances du monde agricole et travaillons à leur apporter une solution viable et durable ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la volonté du Gouvernement d’utiliser le 44.3, comme les braqueurs le 11.43 (Sourires.), soit le revolver de l’exécutif posé sur la tempe du législatif, prenant en otage les agriculteurs par le biais du vote bloqué, constitue une nouvelle agression faite au Parlement et, donc, à la démocratie. Elle est aussi une violence de plus infligée à nos paysans, à nos agriculteurs.
Tout d’abord, rien ne nous garantit qu’une telle disposition sera retenue dans le projet à venir sur les retraites.
Ensuite, les parlementaires font figure de quantité négligeable et méprisée, ce qui est tout à fait insupportable, d’autant que la détresse du monde paysan est absolument terrible et devrait faire honte à celles et ceux qui en sont responsables !
Puisque le Gouvernement a décidé de rester sourd, les Français doivent entendre et retenir ce chiffre effroyable : un agriculteur se suicide tous les deux jours en France ! Un agriculteur met fin à ses jours toutes les quarante-huit heures, mes chers collègues ! Vous évoquiez tout à l’heure, madame la ministre, un débat prématuré. C’est le deuil de familles entières qui est prématuré !
Comment en est-on arrivé là, alors que près de 800 millions d’individus dans le monde souffrent de la faim, dont un certain nombre dans notre propre pays ? Face à cette situation scandaleuse, quelles sont vos réponses ? (M. François Patriat s’exclame.)
Les transferts sociaux en faveur des nouveaux venus sur notre territoire n’ayant jamais cotisé sont plus élevés que la retraite de nos agriculteurs, qui, eux, ont cotisé toute leur vie en ayant travaillé sept jours sur sept, douze, voire quinze heures par jour ! (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
Mme Éliane Assassi. Chassez le naturel, il revient au galop !
M. Stéphane Ravier. Il s’agit d’un scandale d’État, qui se transmet et se confirme gouvernement après gouvernement.
Il est évident que nous accueillerons très favorablement cette proposition de loi, même si elle est aujourd’hui entachée d’un coup de force de l’exécutif, qui a pris l’habitude d’exécuter tout débat.
Porter le minimum de la retraite à 85 % du SMIC est une mesure salutaire. Le minimum retraite agricole dans notre pays est en effet scandaleusement bas. Avec un montant moyen de 766 euros mensuels, il est inférieur de 10 % au seuil de pauvreté.
Le déficit structurel lié aux retraites du monde paysan est le fruit des politiques agricoles menées ces dernières décennies, qui visent à concentrer au maximum les exploitations et à faire baisser dans la dépense globale des Français le montant de leurs dépenses consacrées au secteur alimentaire.
Vous aurez beau créer des numéros verts et augmenter les enveloppes pour financer les aides temporaires aux agriculteurs en difficulté, vous ne changerez rien au problème. Il ne faut pas seulement s’attaquer aux conséquences, les retraites ; il faut aussi travailler sur les causes et accorder à nos paysans une rémunération à la juste valeur de leur difficile et noble travail.
Rappelons que, en 2015, un tiers des agriculteurs percevaient un salaire de 354 euros par mois. De plus, la Mutualité sociale agricole a reçu, en 2016, quelque 200 000 demandes de revenu de solidarité active, ou RSA, ce qui représente un tiers des exploitants et deux tiers des salariés agricoles.
Aussi, je voterai cette proposition de loi, car les agriculteurs ne méritent vraiment pas une violence supplémentaire. Mais je le dis ici : honte à ce gouvernement d’utiliser des méthodes de voyous, piétinant allègrement le Parlement et prenant en otage des hommes et des femmes qui sont déjà à l’agonie.
Au reste, que le président du grand déracinement veuille en finir avec la paysannerie française n’a finalement rien de surprenant.
M. Martin Lévrier. Poil aux dents ! (Sourires sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. Éric Gold, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. Éric Gold. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’examen de cette proposition de loi s’inscrit dans un contexte de profond désarroi au sein du monde agricole. En effet, les zones rurales se sentent souvent abandonnées.
Pour rappel, ce texte a été voté à l’unanimité par l’Assemblée nationale. Il semblait, jusqu’à ce jour, faire consensus et répondre aux attentes des agriculteurs, qui ont encore fortement interpellé les acteurs publics, jusqu’au Président de la République, lors du dernier salon international de l’agriculture, dont les portes viennent de se fermer.
Nous sommes tous sensibles, sur les travées de cette assemblée, aux inquiétudes des agriculteurs et aux difficultés auxquelles ils doivent faire face pendant toute la durée de leur activité professionnelle.
Arrivée à l’âge de la retraite, une majorité d’entre eux ne parvient pas à accéder à un niveau de revenu décent. Mes prédécesseurs à la tribune en ont déjà parlé, mais il me semble important de marteler les chiffres des montants de retraite, qui se situent en deçà du seuil de pauvreté, et de l’allocation de solidarité aux personnes âgées.
En moyenne, la pension d’un chef d’exploitation ou d’entreprise agricole s’élève actuellement à 730 euros. Et, comme l’a souligné le rapport Watrin, cette moyenne ne doit pas occulter les inégalités entre les retraités eux-mêmes, notamment en ce qui concerne les conjoints collaborateurs – presque toujours des femmes –, dont la retraite moyenne s’élève à moins de 600 euros.
Cette proposition de loi s’attaquait également au chantier des pensions en outre-mer, où la situation est particulièrement alarmante et dont les spécificités ont encore plus éloigné les retraités d’un niveau de vie décent. Pour eux, les articles 3 et 4 de la proposition de loi vont dans le sens d’une réelle amélioration, et notre groupe y était très sensible.
Les raisons du faible niveau des retraites agricoles, nous les connaissons : les profils de carrière discontinus, l’effort contributif insuffisant, les problèmes structurels de la caisse de retraite qui fragilisent le financement des pensions… Cette proposition de loi apparaît particulièrement opportune. En effet, malgré plusieurs réformes successives, l’écart n’a cessé de se creuser entre les pensions des non-salariés agricoles et celles des autres régimes.
Revaloriser les retraites est pourtant un souci récurrent. Le groupe du RDSE, toujours sensible aux conditions de vie des exploitants agricoles, avait déposé, dès 1998, par la voix de deux de ses membres, une proposition de loi allant dans ce sens.
M. Jean-Claude Requier. Exact !
M. Éric Gold. Parmi les principales mesures venues améliorer le niveau de vie des retraités du secteur agricole, je citerai également la loi Peiro du 4 mars 2002, qui, en instaurant le principe d’une pension à 75 % du SMIC, a laissé de côté les paramètres de cotisation spécifiques au monde agricole, souvent sources de moindres droits, pour se concentrer sur un objectif chiffré et intangible, en tout cas théoriquement.
Ces mesures n’ont malheureusement pas suffi, l’indexation de la pension sur l’évolution des prix plutôt que sur celle du SMIC aboutissant à un niveau de pension à 70 % du SMIC en 2012. Le précédent gouvernement n’est pas resté inerte. Avec le plan quinquennal de revalorisation, qui mobilisera près de 900 millions d’euros, et la réforme de 2014, les retraités ont vu leur situation s’améliorer. Toutefois, cette amélioration repose essentiellement sur le régime de retraite complémentaire obligatoire, le RCO, dont on connaît la fragilité en termes de financement.
Dans ces conditions, une nouvelle initiative était plus que bienvenue, et il faut la saluer. Porter le niveau de pension minimum à 85 % du SMIC permettrait de l’élever à 987 euros cette année, un rattrapage qui accorderait à environ 55 000 retraités supplémentaires des conditions de vie meilleures.
Certes, le financement des retraites demeure fragile, compte tenu du déséquilibre entre retraités et cotisants actifs. Cependant, cette fragilité ne doit pas nous exonérer d’une réflexion et, surtout, d’une action envers ceux qui ont consacré leur vie à nous nourrir et à travailler la terre. L’agriculture contribue à la richesse économique de notre pays et à l’équilibre de nos territoires. C’est la raison pour laquelle il est juste de faire appel à la solidarité nationale pour financer le régime des retraites agricoles.
Comme je l’ai redit en introduction de mon propos, cette proposition de loi a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale. La commission des affaires sociales du Sénat n’a pas souhaité l’amender, pour lui donner toutes les chances d’aboutir.
On peut aussi rappeler que le candidat Emmanuel Macron avait fait de la revalorisation des retraites agricoles l’un de ses sujets de campagne. Si toutes les conditions semblaient donc réunies pour une adoption définitive du texte, nous avons été surpris en prenant connaissance de la position du Gouvernement.
M. Roland Courteau. Le mot est faible !
M. Éric Gold. Le groupe du RDSE, fidèle à son souci d’apporter plus d’équité au sein des régimes de retraite, était, bien sûr, favorable à cette proposition de loi.
La procédure utilisée par le Gouvernement fait partie de ses prérogatives constitutionnelles, mais elle vise à empêcher le vote unanime et la mise en application de cette loi, ce qui est très largement contesté sur les travées de cette assemblée.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Éric Gold. Attaché au débat et au respect de l’initiative parlementaire, le groupe du RDSE regrette vivement le procédé employé, qui repousse encore la revalorisation des retraites agricoles et adresse un signal inquiétant aux territoires ruraux. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, jusqu’à ce matin, j’avais prévu, comme très certainement beaucoup d’entre nous, une intervention visant à saluer le travail effectué par l’Assemblée nationale. Je voulais me féliciter de l’unanimité des votes recueillis sur le texte élaboré par mon collègue et ami André Chassaigne et par ma collègue, Huguette Bello, après plus de deux ans de réflexions et de rencontres avec l’ensemble des retraités du monde agricole.
J’avais également prévu de souligner la qualité des travaux de la commission des affaires sociales, laquelle, comme l’ont rappelé les représentants de la plupart des groupes du Sénat, avait souhaité préserver cette unanimité en votant conforme ce texte, pour lui permettre d’aboutir dans les délais les plus rapides.
La commission des affaires sociales entendait ainsi répondre à une urgence sociale, celle des retraités agricoles, qui, aujourd’hui, ne peuvent plus vivre dignement. En effet, comment parler de dignité quand le niveau de revenu se situe entre 700 et 800 euros en métropole et se réduit parfois à seulement 100 euros dans nos territoires ultramarins ?
Ces retraités agricoles, je veux les saluer, parce qu’ils sont présents ici – je les vois nombreux dans les tribunes. Comme nous, ils ont tous suivi l’évolution de cette journée à partir de neuf heures vingt-trois, quand la décision du Gouvernement a été rendue publique. Ils ont vécu les minutes et les heures qui ont suivi ; ils ont entendu la commission des affaires sociales annoncer l’utilisation par le Gouvernement du vote bloqué, ce qui a été confirmé ce soir en conférence des présidents. Et en début de séance, vous avez rappelé, madame la ministre, que vous alliez recourir coûte que coûte à cette procédure.
Cette attitude, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, est indigne ! Je veux vous le dire ici solennellement : les parlementaires et les retraités agricoles ne sont les paillassons ni du Gouvernement ni du Président de la République, qui a ouvert le salon de l’agriculture.
Nous sommes ici les représentants du peuple, les représentants des territoires.
M. François Patriat. Nous aussi !
Mme Cécile Cukierman. Nous sommes l’expression de la démocratie dans notre pays. En utilisant le 44.3, vous voulez nous imposer au final le verrou de Matignon, le verrou gouvernemental. Vous vous attaquez ainsi aux retraités du monde agricole par un coup de force exceptionnel, cela a été dit, qui n’a été utilisé que de façon très rare pour une proposition de loi – six fois depuis 1959, la dernière remontant à 1993.
Avant même la révision constitutionnelle, vous nous imposez votre volonté et vous multipliez le recours aux ordonnances, le recours au vote bloqué. Continuez ainsi, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État ! Bientôt, il n’y aura plus besoin de réduire le droit d’amendement, il n’y aura plus besoin de réduire le nombre des parlementaires ! En effet, vous êtes aujourd’hui en train de nous rendre sourds, incapables d’agir et de proposer.
Madame la ministre, vous nous avez parlé du dialogue social qui est en cours. Mais ce soir, le dialogue social gît dans un cercueil, parce que vous l’avez tué en niant la concertation au terme de laquelle cette proposition de loi a pu être élaborée, avant d’être débattue à l’Assemblée nationale et de venir en discussion aujourd’hui au Sénat.
Vous êtes incapables de gouverner ! Vous divisez, vous êtes incapables de rassembler. Vous stigmatisez, à l’instar du Président de la République, qui, au salon international de l’agriculture, a cherché à opposer les cheminots au monde agricole. Et lors de la séance de ce soir, vous les renvoyez dos à dos, les abandonnant à leur maigre pouvoir d’achat et à leurs difficultés pour vivre !
Alors, oui, aujourd’hui, les retraités agricoles sont désespérés. J’ose même dire qu’ils sont effondrés ! Je vous invite à réfléchir au message politique que vous envoyez après l’adoption unanime de cette proposition de loi par l’Assemblée nationale et la commission des affaires sociales.
Monsieur le secrétaire d’État, dois-je vous rappeler que vous apparteniez alors, à l’Assemblée nationale, à un groupe qui ne s’est pas opposé à ce vote ? (Vifs applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Cécile Cukierman. Quel message de la vie politique envoyez-vous à notre pays en recourant aujourd’hui au 44.3 ?
Votre coup de force, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, c’est le mépris du monde rural, c’est le mépris des retraités, c’est le mépris des parlementaires et de l’ensemble des groupes politiques et du pluralisme dans notre pays !
Madame la ministre, je vous ai entendue. Pour différer l’application de cette proposition de loi, vous nous opposez l’argument du financement. Mais j’ai le regret de vous le dire, vous n’allez pas au bout du débat. En effet, l’amendement – le seul et l’unique ! –, que vous nous proposez en vote bloqué n’a pas pour objet d’aborder la question du mode de financement ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Vous esquivez cette question et le débat politique. Vous avez décidé ce soir de prendre en otage les retraités agricoles et de faire un coup de force, ici, au Sénat, pour apporter la démonstration que, demain, seul le Gouvernement décidera dans notre pays de ce qu’est la démocratie.
Eh bien, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, c’est indigne, je l’ai déjà dit ! Je crois que nous nous en rendons compte, votre « nouveau monde » est dangereux. Tout d’abord, au bout du compte, il n’est qu’une pâle copie des pires caricatures de l’ancien monde ! (M. Roland Courteau approuve.)
Ensuite, pour changer les choses, il faut le vouloir ! Or vous n’avez pas de convictions profondes, si ce n’est cette volonté d’exercer le pouvoir, un pouvoir venu d’en haut, un pouvoir qui ne répond aux attentes que de quelques-uns, un pouvoir qui ne prend pas en compte la réalité de l’ensemble des femmes et des hommes dans la diversité de nos territoires, en France métropolitaine comme dans les outre-mer.
Vous le comprendrez – je crois que tous les orateurs de groupes l’ont dit –, nous sommes profondément déçus de ce coup de force que vous voulez nous imposer ce soir. Mais plus que tout, nous sommes déçus pour ces milliers de femmes et d’hommes retraités agricoles qui attendaient beaucoup. Au-delà d’un geste de reconnaissance, ils espéraient pouvoir rentrer chez eux demain la tête haute et, enfin, vivre dignement ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Viviane Malet, pour le groupe Les Républicains.
Mme Viviane Malet. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, durement frappés par les pluies diluviennes de ce début d’année, les agriculteurs réunionnais méritent qu’un texte législatif soit adopté pour leur assurer des conditions d’existence meilleures.
Qu’ils soient éleveurs, planteurs de canne, producteurs maraîchers, ces femmes et ces hommes travaillent sans relâche sur leurs terres. L’insularité et un climat tropical rendent leurs conditions de travail plus difficiles et entravent la diversification agricole. Leurs terres sont en effet plus exiguës qu’en métropole et les périodes de sécheresse ou de pluies intenses peuvent avoir des conséquences dramatiques.
Aussi, lorsque cette vie de labeur vient à s’arrêter, au moment de partir à la retraite, se pose la question du montant des pensions.
Comme l’a évoqué la députée réunionnaise, Huguette Bello, lors des débats qui ont eu lieu sur ce texte à l’Assemblée nationale l’an dernier, les agriculteurs réunionnais retraités perçoivent un montant moyen de pension de 375 euros, et un quart d’entre eux perçoivent moins de 100 euros… C’est indigne !
Les difficultés sont notamment dues à la mise en place différée du régime de retraite agricole outre-mer, ce qui a retardé l’acquisition de points, donc la constitution de droits pour les non-salariés agricoles. Si les périodes d’activités antérieures à 1964 ont été validées gratuitement au titre de la retraite forfaitaire, comme en métropole, aucune validation n’est intervenue pour la retraite proportionnelle.
Enfin, les cotisations RCO outre-mer sont calculées en fonction de la surface réelle pondérée de l’exploitation et non sur les revenus professionnels. Cette assiette dérogatoire implique le versement de cotisations plus faibles, s’accompagne de droits réduits et explique la faiblesse des pensions versées.
La situation est tout aussi critique pour les salariés agricoles réunionnais, privés d’un accès au régime complémentaire d’assurance vieillesse.
Il n’est plus acceptable aujourd’hui de laisser perdurer un tel système. En effet, s’attacher à revaloriser le montant de ces pensions, ce serait favoriser l’activité agricole réunionnaise dans son ensemble. Des départs à la retraite différés, ce sont des jeunes qui ne peuvent pas s’installer. Au 1er février 2018, la Réunion compte 1 077 actifs de plus de soixante-deux ans, dont 124 ont plus de quarante-deux ans d’activité non salariée agricole.
Aussi, même si le financement de ce texte peut être discutable, il m’apparaît impérieux de permettre aux chefs d’exploitation ultramarins de bénéficier de l’accès à la garantie de 75 % du SMIC dès lors qu’ils peuvent justifier d’une pension à taux plein, et aux salariés agricoles de bénéficier d’un accès à la retraite complémentaire.
Ne laissons pas nos agriculteurs vivre avec des retraites inférieures au seuil de pauvreté, les plongeant dans une détresse d’autant plus choquante que leurs carrières ont été longues et dures !
Telle est la raison pour laquelle je déplore la décision du Gouvernement de recourir au vote bloqué. Nous devons aller vite sur ce sujet. Nous le devons à nos agriculteurs et nous devons reconnaître la valeur du travail ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Victoire Jasmin, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Victoire Jasmin. Monsieur le président, mesdames, messieurs les agriculteurs, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, je souhaite souligner la brutalité du Gouvernement, qui vient de bafouer un travail parlementaire en déposant un amendement dont l’unique objet est de reporter l’application immédiate de ce texte.
Une telle façon de faire est indigne du travail fourni par nos deux assemblées. Celles-ci ont pris leurs responsabilités et jugé que la dignité de nos agriculteurs a un coût. Nos comptes publics peuvent le supporter, et il y va d’une démocratie qui se respecte !
À quelques jours de la fin du salon de l’agriculture, je souhaite à mon tour saluer le travail des auteurs de ce texte, notamment celui de ma collègue députée ultramarine, Huguette Bello, ainsi que celui du rapporteur, notre collègue Dominique Watrin, sur ce sujet si prégnant pour les retraités de nos territoires, qui sont en très grande souffrance.
Aussi, on peut regretter le contexte inédit dans lequel se déroulent nos débats, qui ne participe pas à grandir notre démocratie et nos institutions !
Aussi, les petits calculs politiciens de votre gouvernement au cours des dernières heures pour repousser aux calendes grecques une revendication légitime et raisonnable de nos agriculteurs, revendication pour laquelle l’Assemblée nationale et le Sénat ont œuvré ensemble et à l’unanimité, sont révélateurs d’un mépris pour nos territoires, pour nos agriculteurs et, enfin, pour notre démocratie. C’est triste !
Abus de droit, mais, surtout, aveu d’indifférence envers les plus pauvres, l’usage du 44.3 pour cette proposition de loi qui se voulait une réponse immédiate aux attentes des professionnels de l’agriculture devant la paupérisation grandissante des retraités de ce secteur, tant en France continentale qu’en outre-mer, est indigne de votre gouvernement, à la fois par sa brutalité et par son incohérence.
En effet, il s’agit ici de non-assistance à un secteur en danger. Il y a urgence à agir ! L’urgence est de leur manifester notre engagement, notre soutien et notre volonté d’améliorer de façon immédiate et effective les conditions de vie déjà si difficiles de presque 1,5 million d’exploitants agricoles actuellement à la retraite dans notre pays.
En effet, c’est une profession estimable et digne qui mérite, après une vie de dur labeur, une retraite décente. Les nombreuses avancées en la matière lors du précédent quinquennat ont témoigné d’une politique volontariste avec laquelle vous rompez aujourd’hui. Et c’est encore plus triste !
Le constat est édifiant : la retraite moyenne d’un non-salarié agricole, tous bénéficiaires confondus, s’élève aujourd’hui à environ 766 euros par mois, soit un niveau inférieur à la fois au seuil de pauvreté et à l’allocation de solidarité aux personnes âgées, l’ASPA. Un non-salarié agricole sur trois perçoit une retraite inférieure à 350 euros par mois. Oui, 350 euros par mois !
Vous le comprendrez donc aisément, car c’est de cela qu’il s’agit, s’il est vrai que le groupe socialiste et républicain soutient toute démarche visant à rétablir la confiance de nos agriculteurs et, singulièrement, des plus jeunes d’entre eux, sur la pérennisation de leurs retraites, il ne peut décemment prendre part à un vote qui est un simulacre de démocratie et qui entrave l’applicabilité directe et immédiate de cette proposition de loi.
Comme il est regrettable, madame la ministre, qu’après un long marathon médiatique dans les travées du salon international de l’agriculture, ce gouvernement s’apprête à bafouer le fruit d’un travail parlementaire de qualité, qu’il convenait de respecter et de valoriser. Cela ne laisse rien présager de bon pour la révision constitutionnelle.
Aussi, s’il devait y avoir encore un argument pour tenter de vous convaincre de voter en l’état ce texte, sans y adjoindre l’amendement du Gouvernement, il me semble que l’urgence de la situation des retraités agricoles en outre-mer devrait être celui-là. Bien sûr, il ne nous appartient pas, ici, de hiérarchiser les douleurs, mais comment rester indifférent quand la misère fait concurrence à l’iniquité ?
On compte, dans les départements d’outre-mer, près de 43 000 exploitations pour plus de 130 000 hectares. L’agriculture, qui est un secteur économique traditionnel dans ces départements, pèse 1,7 % du PIB, soit 47 000 emplois annuels à plein-temps, dont 32 000 actifs familiaux et 8 000 salariés permanents.
Or depuis 1988, le nombre d’exploitations a été divisé par deux, avec une surface agricole utile, la SAU, diminuant également de 20 % sur l’ensemble des outre-mer. Comme dans l’Hexagone, les raisons de la désaffection pour une profession largement exposée aux risques climatiques et sanitaires sont multiples. Pour autant, le très faible niveau des retraites et les spécificités outre-mer en la matière n’y sont pas étrangères. En effet, la pension moyenne mensuelle de droit direct des 27 600 retraités des territoires ultramarins s’élève à 293 euros, contre 445 euros dans l’Hexagone.
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Victoire Jasmin. Sur la base de ces éléments, en dépit du soutien qu’il apporte au monde agricole, le groupe socialiste et républicain ne prendra pas part à la mascarade orchestrée par ce gouvernement, qui veut que les agriculteurs continuent à se suicider. C’est bien dommage et bien triste ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, mon collègue Jean-Pierre Decool a évoqué avec émotion la situation des agriculteurs. Ils sont en effet 1,5 million à cultiver la terre, à élever des troupeaux dans l’Hexagone et outre-mer. Nous devons leur permettre d’avoir des revenus décents.
De même, nous devons exprimer notre reconnaissance aux 4 millions de retraités agricoles de notre pays, qui perçoivent aujourd’hui des sommes infimes, cela a été dit – 860 euros pour les hommes, 570 euros pour les femmes –, ce qui est pour eux source de précarité. Porter à 85 % du SMIC, soit 987 euros, le montant des retraites agricoles constitue donc un enjeu national : il s’agit de respecter le dur travail que ces générations ont produit pour leurs compatriotes.
Revaloriser les retraites agricoles, c’est aussi nous engager résolument dans la modernisation de l’agriculture. En effet, la situation des retraites agricoles bloque la disponibilité foncière. En accordant des retraites plus généreuses, nous encouragerons le renouvellement des exploitants agricoles et nous permettrons aux retraités de vivre, certes modestement, sans exploiter.
La solidarité nationale doit bien cela à celles et ceux qui, depuis leur très jeune âge, n’ont cessé d’œuvrer pour nourrir les Français, mais aussi pour contribuer à l’expansion de notre commerce extérieur, dont l’agroalimentaire fut longtemps le fleuron.
De surcroît, les agriculteurs contribuent à l’entretien des paysages et au maintien de la vie dans les territoires. Ils constituent le lien essentiel dans notre culture entre notre patrimoine traditionnel et le monde contemporain, ce que tant d’écrivains de la terre ont souligné, à l’instar de mon concitoyen Claude Michelet.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe Les Indépendants – République et Territoires croit à l’intérêt de la proposition de loi de nos collègues du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. Ce texte vise à accompagner davantage les retraités agricoles, à leur témoigner la solidarité et le respect de la Nation et à offrir des possibilités aux jeunes agriculteurs en favorisant la libération du foncier.
Pour toutes ces raisons, notre groupe votera cette proposition de loi très attendue dans les territoires. Madame la ministre, les agriculteurs méritent au plus vite une mise en œuvre concrète de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Vivette Lopez, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Vivette Lopez. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, à mon tour, j’enfoncerai le clou.
La proposition de loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer avait été adoptée à une large majorité. Déposée par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine à l’Assemblée nationale, elle a été inscrite par le groupe communiste républicain citoyen et écologiste à l’ordre du jour de la Haute Assemblée.
En comparaison avec les autres régimes de retraite, le niveau des pensions agricoles est très faible, malgré les dispositifs de solidarité créés pour soutenir les non-salariés agricoles et un large recours à la solidarité nationale. En effet, pour une carrière complète dans le régime, les non-salariés agricoles perçoivent une pension moyenne – de base et complémentaire – de 730 euros par mois, ce qui est bien inférieur au seuil de pauvreté, fixé à 846 euros mensuels.
Enfin, au sein même du régime des non-salariés agricoles, d’importants écarts sont constatés selon les statuts, révélant de fortes inégalités entre les femmes et les hommes. Et je n’évoquerai pas la situation des agriculteurs outre-mer, ni les pensions de réversion.
Ce déséquilibre démographique résulte directement du vieillissement de la population, comme le montre la pyramide des âges du régime. Nombre de retraités agricoles demandent à bénéficier de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, mais avec mesure, car un recours sur succession est possible. Cette crainte est d’ailleurs plus vive en outre-mer.
Ce texte vise notamment à porter la pension des chefs d’exploitation à carrière complète à 85 % du SMIC. Pourtant, on peut être très inquiet s’agissant du financement de la taxe additionnelle, dont le taux, fixé à 0,1 %, sera affecté à la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole.
L’impact de la revalorisation est très important, puisqu’il représentera 10 % de retraite en plus, soit 116,18 euros par mois. Aussi devrons-nous veiller à ce que cette revalorisation soit compensée intégralement, tant l’équilibre est fragile. Il y va de la survie du système tout entier.
Nous devrons aussi veiller à la pérennité de son financement et être vigilants face à d’éventuelles tentations d’augmenter les cotisations agricoles. Bien entendu, ce serait alors les faibles revenus de nos exploitants agricoles qui seraient affectés. N’oublions pas que ce sont les faibles revenus ayant entraîné de faibles cotisations qui génèrent aujourd’hui de si faibles pensions et la souffrance de nos agriculteurs.
Nous devrons enfin nous interroger sur la nécessité de faire porter demain ce type de dispositif non pas par le régime complémentaire, mais par les retraites de base, afin de réduire les risques financiers. Après la hausse de la CSG, qui a affecté nombre de nos retraités, nos retraités agricoles sont effondrés.
La décision prise par le Gouvernement d’imposer un vote bloqué remet totalement en cause cette proposition de loi, qui devait revaloriser les pensions de retraite agricoles en France et outre-mer. Quelle image déplorable au lendemain de la fermeture du salon international de l’agriculture ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Jackie Pierre, pour le groupe Les Républicains. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jackie Pierre. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comme nombre de mes collègues issus des territoires ruraux, je rencontre régulièrement les agriculteurs de mon département. Force est de constater leur désarroi, la profonde détresse dans laquelle ils se trouvent, en raison des difficultés quotidiennes qu’ils rencontrent pour faire vivre leur exploitation et essayer d’en tirer un revenu substantiel, lequel n’est souvent pas à la hauteur de l’investissement humain.
Face à ce quotidien difficile et qui ne cesse de se dégrader, la question de la retraite est souvent abordée et demeure une source d’inquiétude. En effet, après une vie de labeur, de nombreux agriculteurs ne bénéficient pas d’une retraite décente.
Le régime de retraite des non-salariés agricoles, instauré par la loi du 10 juillet 1952, a été amélioré par des réformes successives : reconnaissance d’un statut de collaborateur en 1999 ; création d’un régime de retraite complémentaire obligatoire en 2002, étendu à tous les salariés agricoles en 2011 ; mise en place de l’attribution d’un complément de points de retraite permettant d’atteindre le montant minimum de 75 % en 2017, soit 891 euros en 2018, avec la loi du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraites.
Malgré ces réformes, les niveaux des pensions sont encore souvent inférieurs au seuil de pauvreté et aux minima sociaux. Ils se situent à 570 euros en moyenne pour les femmes et à 800 euros pour les hommes.
Il faudrait donc permettre aux salariés agricoles de gagner décemment leur vie lorsqu’ils sont en activité, afin qu’ils puissent cotiser plus et ainsi s’assurer une retraite décente. Il faut pour cela replacer la production au cœur des politiques agricoles, afin de soutenir la productivité et la compétitivité de l’agriculture française, comme le préconisait notre ancien collègue Jean-Claude Lenoir au travers de sa proposition de loi, adoptée en mars 2016 par le Sénat et que j’avais cosignée, à l’instar des autres membres du groupe Les Républicains.
Il faut également soutenir l’investissement pour encourager l’innovation et continuer à mettre en place des politiques de régulation visant à réduire la volatilité des prix agricoles.
Malheureusement, le budget de la PAC, encore revu à la baisse et approuvé la semaine dernière par le Président de la République pour répondre aux exigences de la Commission de l’Union européenne,…
M. François Patriat. C’est faux !
M. Jackie Pierre. … est une désillusion supplémentaire pour les agriculteurs, dont il va accentuer la fragilité.
In fine, la baisse des aides de la PAC et la crise que connaît le monde agricole depuis plusieurs années conduisent à une détérioration des conditions de vie des agriculteurs, qui se sentent trahis, non soutenus et qui assistent, impuissants, à une baisse de leurs revenus et, de facto, de leurs retraites. C’est pourquoi j’ai envisagé de voter cette proposition de loi, même si la question du financement se pose.
Toutefois, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, votre demande de vote bloqué est vécue par les sénateurs comme une marque de grand mépris, un acte antidémocratique, l’annonce d’une future dictature. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain. – MM. Gilbert Roger et François Patriat protestent.)
J’ignore quel sort sera réservé à cette proposition de loi. Elle n’est certes pas la panacée, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mais elle constitue un appel, qui, je l’espère, sera entendu par le Gouvernement et par votre majorité, notamment lors de la réforme globale des retraites que vous envisagez. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État. (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Christophe Castaner, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, mon intervention sera brève, mais il est important que toutes les vérités puissent être dites en ce lieu.
Mme Cukierman a déclaré que j’avais voté ce texte dans le passé. (Vives protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme Cécile Cukierman. Ce n’est pas ce que j’ai dit, monsieur le secrétaire d’État ! Vous m’avez mal écoutée !
Mme Esther Benbassa. Quel cynisme !
M. Christophe Castaner, secrétaire d’État. Le compte rendu intégral des débats nous permettra de trancher cette question. Pour ma part, je vous indique que je n’ai pas voté ce texte.
N’ayant pas toujours une excellente mémoire, je me suis plongé dans les textes. J’ai ainsi relu la réponse de Stéphane Le Foll, alors ministre de l’agriculture, sur les interrogations que suscite ce texte. Nous devons tous en effet être cohérents. Il déclarait : « Vous souhaitez que l’on fasse plus, monsieur le rapporteur, et vous proposez certains financements spécifiques ou d’affectation. Dans ce cas, le débat porte sur l’opportunité de créer des taxes nouvelles. »
Il faut en effet avoir à l’esprit, mesdames, messieurs les sénateurs, que, s’il était adopté, ce texte entraînerait la création de 400 millions d’euros de taxes nouvelles. (Vives protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)
M. Pierre Laurent. Sur les transactions financières !
M. Christophe Castaner, secrétaire d’État. Assumons-le ! Appelons un chat un chat. Sur ce sujet essentiel,…
M. René-Paul Savary. Vraiment ?
M. Christophe Castaner, secrétaire d’État. … qui mérite mieux que des coups politiques ou des cris d’orfraie et qui devrait nous inciter à la mobilisation plutôt qu’au jeu politique, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous invite à assumer la création de 400 millions d’euros de taxes. (Huées sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)
Ne vous inquiétez pas, je ne manquerai pas de vous rappeler dans quelques instants les propos tenus par un sénateur du groupe Les Républicains il y a quelques semaines sur ce même sujet…
Stéphane Le Foll poursuivait : « Vous avez fait le choix d’une ressource extérieure au monde agricole au travers de la taxe sur les transactions financières. Cette taxe en vigueur sur la place de Paris n’a pas pu être instaurée au niveau européen et le Brexit constitue de ce point de vue un obstacle supplémentaire. Le débat est ouvert, mais, en l’état, elle ne peut constituer une solution de financement pour votre proposition. »
C’est bien ce dont nous parlons. Nul doute que personne, ici, mesdames, messieurs les sénateurs, ne pense que le niveau des retraites agricoles en France est satisfaisant. (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)
Mme Laurence Cohen. Faites donc quelque chose !
M. Christophe Castaner, secrétaire d’État. Personne ne le pense ! Nombreux sont ceux qui, sur ces travées, ont contribué ces dernières années aux politiques de rattrapage. La volonté du Gouvernement aujourd’hui est de poursuivre ces politiques.
M. Pierre Ouzoulias. Faux ! C’est nous qui avons cette volonté !
M. Christophe Castaner, secrétaire d’État. Mesdames, messieurs les sénateurs, je l’ai dit, il est important d’être cohérent. Permettez-moi donc de vous citer les propos tenus par un sénateur du groupe Les Républicains il y a quelques semaines. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) N’ayez pas peur, mesdames, messieurs les sénateurs, ce n’est pas grave, c’est plutôt intéressant. La cohérence a toujours du bon !
Lors du vote du projet de loi de financement de la sécurité sociale, ce sénateur du groupe Les Républicains, s’exprimant au nom de la commission des affaires sociales, sur la même proposition, formulée à l’identique, avait tenu les propos suivants : « Le coût de ce dispositif supplémentaire est estimé à 266 millions d’euros – je précise qu’il est plutôt de 400 millions d’euros –, ce qui, à l’évidence, ne pourrait pas être couvert par le gage sur les tabacs. Ce sujet mérite une réflexion plus approfondie. Elle pourra se mener dans le champ d’un travail plus large sur le taux de remplacement, qui constitue un critère dans le dispositif des retraites, quel que soit le régime. »
Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement ne dit pas autre chose que ce sénateur du groupe Les Républicains il y a quelques semaines !
Par ailleurs, j’ai entendu des mots d’une violence n’ayant pas lieu d’être dans cet hémicycle. (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme Esther Benbassa. Et la violence du vote bloqué ?
M. Christophe Castaner, secrétaire d’État. Il a en effet été question de « dictature ». Mesdames, messieurs les sénateurs, la Constitution française, quand elle s’applique, n’est pas une dictature. Si le vote bloqué était une anomalie démocratique,…
Mme Esther Benbassa. Mais c’est une anomalie !
M. Christophe Castaner, secrétaire d’État. … et je n’utilise pas cette expression totalement par hasard dans cette enceinte, je ne doute pas que le groupe de travail du Sénat sur la réforme constitutionnelle aurait traité du vote bloqué et que le président Larcher aurait formulé des propositions à cet égard au Gouvernement. Or ce n’est pas le cas.
Permettez-moi donc de vous communiquer les chiffres exacts sur le recours au vote bloqué ici, dans cet hémicycle, et à l’Assemblée nationale depuis qu’il existe, car ceux qui ont été cités ne correspondent pas à la réalité.
Le vote bloqué a été utilisé non pas six fois, comme je l’ai entendu dire ce soir, mais 226 fois au Sénat et 386 fois à l’Assemblée nationale ! (Vives protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe Les Républicains.)
Mme Cécile Cukierman. C’est faux ! Nous parlions des propositions de loi !
M. Christophe Castaner, secrétaire d’État. Mesdames, messieurs les sénateurs, si le Gouvernement a déposé un amendement et demandé un vote bloqué ce soir, c’est non pas pour vous demander de renoncer à ce texte ou pour vous faire hurler, mais pour reporter son entrée en vigueur au 1er janvier 2020, tout simplement parce que nous n’allons pas trouver 400 millions d’euros, comme cela, en plein mois de mars ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Protestations prolongées sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe Les Républicains.)
M. Pierre Cuypers. Non, 250 millions d’euros !
M. Jean-François Husson. C’est scandaleux !
M. le président. S’il vous plaît, mes chers collègues, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Christophe Castaner, secrétaire d’État. Il faut faire les choses dans le bon ordre. Ce texte sera voté, afin de répondre au problème sur lequel nous sommes tous mobilisés.
Le report au 1er janvier 2020 nous permettra simplement de trouver un financement et de ne pas créer une nouvelle taxe. Cette décision devrait nous rassembler, au lieu de nous opposer. Mais chacun fait de la politique à sa façon. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)
M. Raymond Vall. C’est nul !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Je souhaite revenir sur les propos de M. le secrétaire d’État, car ils sont quelque peu dérangeants.
Que je sache, le sénateur du groupe Les Républicains dont vous avez cité l’avis donné au nom de la commission des affaires sociales n’est pas le conseiller du Gouvernement, même si je lui souhaite de le devenir un jour ! (Sourires.) Ce qu’il a dit est assez clair : il faut en effet trouver un moyen de financer la mesure figurant dans la proposition de loi. C’est tout à fait vrai.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Ce que nous vous reprochons, monsieur le secrétaire d’État, c’est non pas de refuser l’instauration d’une nouvelle taxe – à la rigueur, pourquoi pas ? –, mais de ne pas avoir proposé un autre mode de financement. La voilà, la vérité ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Lors de la campagne présidentielle, les candidats, dont le vôtre, ont proposé d’autres modes de financement. Ainsi, tout le monde sait très bien que les organismes complémentaires font des bénéfices considérables. Peut-être aurait-on pu envisager de ponctionner une partie de ces bénéfices pour financer la retraite des salariés agricoles, que tout le monde a qualifiée d’extrêmement insuffisante ?
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Enfin, concernant le vote bloqué, il est vrai, comme vous l’avez dit, qu’il a été utilisé plus de 200 fois. Ce que vous n’avez pas dit, en revanche, c’est qu’il n’a été utilisé que neuf fois dans le cas d’une proposition de loi. (Applaudissements prolongés sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Les sénateurs du groupe Les Républicains scandent : « Bravo ! », certains martelant leurs pupitres.)
Mme Éliane Assassi. Exactement !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite tout d’abord revenir sur l’utilisation de l’article 44, alinéa 3, de la Constitution.
Je rappelle que cette proposition de loi a été adoptée par l’Assemblée nationale à la toute fin de la précédente mandature. Or nous ne pouvons pas imaginer qu’une disposition aussi importante puisse être adoptée sans que l’Assemblée nationale élue en juin dernier ait pu le faire à son tour. (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)
Mme Esther Benbassa. Quelle excuse !
Mme Éliane Assassi. Quel argument !
M. Mathieu Darnaud. C’est nul !
Mme Agnès Buzyn, ministre. Le Gouvernement estime effectivement que les parlementaires doivent pleinement jouer leur rôle. (Mêmes mouvements.)
Mme Éliane Assassi. Ils l’ont joué !
Mme Agnès Buzyn, ministre. Je respecte d’ailleurs votre engagement sur ce sujet.
La prochaine réforme systémique des retraites sera l’occasion d’un intense débat parlementaire, notamment sur les sujets relatifs aux solidarités, qui seront bien entendu traités.
Comme je l’ai indiqué, une réforme de cette nature doit être cohérente avec la réforme des retraites que nous sommes en train de préparer. Vous pouvez donc compter sur mon engagement, ainsi que sur celui du Haut-Commissaire… (Exclamations ironiques sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)
Mme Esther Benbassa. Alors là !
M. René-Paul Savary. Surtout pas !
Mme Agnès Buzyn, ministre. Oui, vous pouvez compter sur mon engagement, pour que la question des retraites des agriculteurs soit pleinement prise en compte lors de la réforme des retraites.
Mme Laurence Cohen. Quand ?
Mme Esther Benbassa. En quelle année ?
Mme Agnès Buzyn, ministre. Vous proposez une augmentation des droits sur le tabac. Le Gouvernement a en effet proposé une hausse importante du prix du paquet de cigarettes, mais avec un objectif de santé publique. Cette hausse de la fiscalité revient aujourd’hui à l’assurance maladie pour la politique de lutte contre le tabac.
M. Pierre Laurent. De nouvelles taxes sont donc possibles ?
Mme Agnès Buzyn, ministre. Quant à la taxe sur les transactions financières, elle est affectée au financement de l’aide au développement. Ce n’est donc pas une ressource mobilisable pour l’augmentation des pensions de retraite agricoles.
Nous devons donc trouver un financement pérenne pour la retraite des agriculteurs.
Mme Cécile Cukierman. Proposez-nous une solution !
Mme Laurence Cohen. Il ne faut surtout pas taxer les riches !
Mme Agnès Buzyn, ministre. … si celle-ci n’est pas responsable d’un point de vue purement financier. Cela dit, je partage pleinement vos préoccupations s’agissant des conditions de vie et de retraite de nos agriculteurs.
Pour terminer, j’ai entendu bien des choses injustes sur la politique du Gouvernement vis-à-vis des agriculteurs. La première des préoccupations de Stéphane Travert, lorsqu’il est arrivé au ministère de l’agriculture, a été de lancer les États généraux de l’alimentation. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)
Mme Esther Benbassa. Bavardages !
M. Michel Raison. C’est n’importe quoi !
Mme Agnès Buzyn, ministre. Il l’a fait pour permettre aux agriculteurs de vivre dignement de leur travail face à la grande distribution. Tel était l’objectif affiché des États généraux, conformément à l’engagement pris par le Président de la République pendant sa campagne présidentielle.
Alors, oui, les agriculteurs en France méritent aujourd’hui notre pleine attention. (Vives exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Des actes !
M. Gilbert Bouchet. Vous n’avez pas de convictions !
Mme Agnès Buzyn, ministre. De manière cohérente, la question de leurs retraites sera traitée lors de la réforme des retraites de l’ensemble de la population française, à laquelle le Haut-Commissaire et moi-même sommes en train de travailler. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Huées sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe Les Républicains.)
Rappel au règlement
M. François Patriat. Ah bon ?
Mme Éliane Assassi. On en a encore le droit !
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, mon intervention se fonde sur l’article 36 du règlement.
Ce soir, l’ensemble des groupes, à l’exception de l’un d’entre eux, a fait part de son désaccord sur la procédure utilisée. Si elle est certes conforme à la Constitution, vous conviendrez, monsieur Castaner, qu’elle n’a été utilisée que de façon très exceptionnelle lors de l’examen d’une proposition de loi.
Par ailleurs, pour répondre aux parlementaires, il faut bien écouter ce qu’ils disent. Personne n’a donné de chiffre global. Nous avons évoqué le recours au vote bloqué sur des propositions de loi.
Par ailleurs, je ne vous ai jamais dit, monsieur le secrétaire d’État, que vous aviez voté la proposition de loi à l’Assemblée nationale. J’ai simplement indiqué que vous apparteniez à un groupe qui ne s’y est pas opposé !
M. François Patriat. Il avait quitté le groupe à l’époque !
Mme Cécile Cukierman. Le texte n’ayant pas été mis aux voix par scrutin public, chacun peut dire s’il a voté ou non le texte…
Nous avons bien entendu ce qu’ont dit les membres de l’ensemble des groupes, à l’exception de l’un d’entre eux. Nous souhaitons tous qu’une solution soit trouvée pour les retraités agricoles. Ce n’est donc évidemment pas de gaieté de cœur que nous prenons la décision ce soir, en lien avec les représentants des associations de retraités agricoles, de reporter l’examen de ce texte et de l’inscrire dans notre « niche » du 16 mai.
Il s’agit de trouver le temps nécessaire, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, pour discuter du fond de ce texte et débattre des arguments que vous avez évoqués ce soir. Les majorités se feront, la démocratie tranchera, mais que l’on n’utilise pas des artifices constitutionnels et de faux arguments pour « tacler » – il n’y a pas d’autre mot –, le matin même de son examen, une proposition de loi ayant eu l’assentiment de la commission des affaires sociales du Sénat !
Le Sénat a interrompu ses travaux la semaine dernière. Vous me permettrez donc de vous faire remarquer, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, que vous n’avez certainement pas découvert hier soir ou ce matin que notre commission des affaires sociales avait émis un avis favorable sur ce texte. Nous aurions peut-être pu anticiper un peu plus la discussion, si tant est que le Gouvernement ait jamais eu la volonté de trouver une solution pour les retraités agricoles de notre pays.
Force est de constater, compte tenu de la méthode que vous avez utilisée, que tel n’était certainement pas votre objectif ! (Les sénateurs du groupe communiste républicain citoyen et écologiste se lèvent et applaudissent longuement. – Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. Acte est donné de ce rappel au règlement, madame Cukierman, ainsi que du retrait de son espace réservé de l’ordre du jour, par le groupe communiste républicain citoyen et écologiste, de la proposition de loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer.
Mme Cécile Cukierman. La discussion est seulement reportée ! Nous inscrirons de nouveau la proposition de loi à l’ordre du jour.
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Finance mondiale, harmonisation et justice fiscales
Rejet d’une proposition de résolution
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen, à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, de la proposition de résolution pour une Conférence des parties, ou COP, de la finance mondiale, l’harmonisation et la justice fiscales, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par MM. Éric Bocquet, Pascal Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste (proposition n° 271).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Éric Bocquet, auteur de la proposition de résolution.
M. Éric Bocquet, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le sujet qui nous occupe ce soir surgit régulièrement dans l’actualité, au travers des révélations successives faites ces dernières années sur la réalité et l’ampleur de l’évasion fiscale internationale.
Nous pouvons tous aisément citer de mémoire les affaires HSBC, UBS, Offshore Leaks, LuxLeaks, FootLeaks, « Panama papers », et plus récemment encore les « Paradise papers ». Toutes ces affaires rythment désormais l’actualité quotidienne, scandalisant systématiquement et légitimement l’opinion publique.
Le sujet est donc sur la table en France et dans le monde, car ce que chacun retient de ces révélations, c’est d’une part l’ampleur des chiffres qui nous sont donnés, et, d’autre part, le caractère systémique de ces pratiques d’évitement fiscal qui déstabilisent les États et qui, au fond, finissent par poser un sérieux problème démocratique.
La proposition que nous examinons ce soir, dont la principale mesure vise à instaurer une Conférence des parties, ou COP, de la finance et de la fiscalité mondiales, est donc une démarche constructive visant à mettre cette question au niveau requis.
Mes chers collègues, si les gaz à effet de serre causent des trous dans la couche d’ozone, les paradis fiscaux et l’opacité créent des gouffres dans la finance mondiale.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Éric Bocquet. Cette finance est en surchauffe au même titre que le climat. L’évasion fiscale représente des montants annuels colossaux, rappelons-les incessamment : 1 000 milliards d’euros au niveau de l’Union européenne, 100 milliards d’euros pour les pays en développement, de 60 milliards à 80 milliards d’euros pour notre pays, soit un chiffre supérieur au déficit constaté pour 2017 ou annoncé pour 2018.
Ce sont autant de moyens pour répondre aux besoins des peuples et de la collectivité, ce qui inévitablement pose la question du consentement à l’impôt, qui ne peut fonctionner qu’à certaines conditions : d’abord que l’impôt soit juste, équitablement réparti, progressif et surtout que personne n’y échappe au nom de l’intérêt général ; il y va de la stabilité de la République et de l’harmonie de notre société.
Selon l’ancien secrétaire au Trésor des États-Unis, Henry Morgenthau, dans les années trente : « L’impôt est le prix à payer pour vivre dans une société civilisée ».
Aujourd’hui, sous l’effet conjugué de la mondialisation et de la concurrence fiscale effrénée entre États, l’évitement fiscal qui inclut aussi bien la fraude que l’optimisation et l’évasion fiscales s’est largement propagé, bien aidé en cela par l’ingénierie des banques, des cabinets d’audit et de conseils et autres avocats fiscalistes, qui exploitent habilement l’opacité et les failles des législations fiscales pour mettre au point des schémas aussi complexes qu’efficaces.
À l’heure du shopping fiscal, les États organisent les soldes. La concurrence fiscale tourne désormais à plein régime et siphonne peu à peu les ressources publiques. Les recettes que les États collectent via l’impôt sur les sociétés ont ainsi chuté de manière spectaculaire en quelques années.
À cela s’ajoutent les paradis fiscaux, qui agissent comme de grandes lessiveuses, pour recycler l’argent du blanchiment, de la fraude, du commerce des armes, de la prostitution, de la drogue, voire, ces derniers temps, du trafic des migrants vers l’Europe ou même du terrorisme.
Ces phénomènes conduisent à une situation où tout le monde est perdant, à l’exception notable des grandes multinationales, notamment les géants du numérique et les individus les plus fortunés, qui chaque année augmentent leur patrimoine dans des proportions insensées.
Les paradis fiscaux ne sont pas un dysfonctionnement de l’économie, ils sont au cœur du libéralisme financier, mondialisé, dérégulé et qui profite à une infime minorité.
Cette situation fragilise les pactes sociaux. En exacerbant les inégalités et en favorisant l’hyperconcentration des richesses. L’ONG Oxfam montrait il y a quelques semaines dans un rapport sur la pauvreté que 82 % des richesses créées dans le monde l’an dernier avaient profité au 1 % les plus riches de la population mondiale. En douze mois, la richesse des milliardaires a augmenté de 762 milliards de dollars.
On constate trop souvent que le financier a bel et bien pris le pouvoir et impose sa domination aux États et au monde entier. La finance de l’ombre représente 45 000 milliards de dollars, chiffre publié hier matin dans un grand quotidien économique de notre pays. En quelques mots, le dumping fiscal est devenu féroce, la dette s’accumule et l’austérité s’aggrave.
En dépit des avancées accomplies ces dernières années – je pense, par exemple, sous l’impulsion de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, au plan d’action concernant l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, le système BEPS –, le risque d’un grand bond en arrière est bien réel.
Il nous revient d’affirmer un autre modèle de développement et de relations internationales misant sur la coopération fiscale, la régulation et une nouvelle gouvernance mondiale. C’est la raison pour laquelle nous pensons que la France devrait être à l’initiative de la tenue d’une conférence des parties, une COP de la finance et de la fiscalité, sur le modèle de la COP environnementale et sous l’égide de l’Organisation des Nations unies.
Quelques éléments pour la définir concrètement : cette COP aurait vocation à avancer sur plusieurs chantiers, tels qu’une définition universelle des paradis fiscaux, la régulation des conventions et des rescrits fiscaux et la lutte contre les dérives de la finance. Elle pourrait conduire à terme à la création d’une organisation mondiale de la finance débouchant sur l’ouverture régulière de négociations, procédant à l’évaluation des progrès obtenus et à la définition de sanctions en cas de comportement non coopératif.
Pourquoi placer cette COP sous l’égide de l’ONU ? Les travaux de l’OCDE, du G7, du G8 et du G20 ont incontestablement apporté des avancées, mais ces organisations s’apparentent davantage à des clubs de pays riches qu’à de réelles instances de concertation globale.
Or, au grand jeu de l’évitement fiscal, les pays en développement sont les grands perdants. Dès lors, il faut garantir à tous une égale participation à la définition des politiques fiscales mondiales.
Aussi la démarche que nous proposons se veut-elle complémentaire et non concurrente des travaux menés par ailleurs. À ce propos, l’an dernier, le G77 n’a-t-il pas indiqué que la lutte contre les paradis fiscaux serait l’une de ses priorités, avec pour objectif la mise en place d’une instance fiscale aux Nations unies ?
Voilà une formidable occasion ! La France, par sa stature internationale, par la place et la compétence de sa diplomatie a de nombreux atouts pour engager ce mouvement. Notre pays a vocation à porter un message de paix, de justice et de démocratie. Il a vocation à favoriser les équilibres et à être le porte-voix des plus fragiles. Une large conférence permettrait d’entendre ceux que l’on n’entend jamais, le but étant de mettre les 200 États du monde autour de la même table.
Elle permettrait également d’isoler tous ceux qui seraient tentés par l’aventure fiscale et financière individuelle. Voilà un outil puissant pour générer du commun et substituer au vieil adage : « L’argent est le nerf de la guerre », celui d’une autre ambition, pour faire de l’argent le nerf de la paix.
« Vivre sans espoir, c’est cesser de vivre », disait Dostoïevski. Évidemment, chacun mesure combien la tâche est titanesque et ne saurait être gagnée du jour au lendemain ; c’est sans doute le travail d’une génération. Mais lancer sans attendre ces discussions permettra à coup sûr de sensibiliser l’opinion et de mobiliser la société civile. L’engagement citoyen reste plus que jamais à nos yeux un levier indispensable dans cette bataille décisive.
Enfin, notre démarche se veut résolument européenne, car le défi est immense également pour l’Europe : si celle-ci n’avance pas résolument vers la coopération et l’harmonisation fiscale, elle disparaîtra sous les coups des populismes dangereux et des extrémismes les plus noirs, que l’on pensait à jamais disparus sur notre continent.
Mes chers collègues, cette idée de COP fiscale fait son chemin, tout doucement. Ainsi, le Conseil économique, social et environnemental l’a faite sienne dans une résolution le 13 décembre 2016. À son tour, l’Assemblée nationale l’a adoptée lors de la séance du 2 février 2017. Au Parlement européen, lors de l’adoption du rapport de la commission spéciale sur les « Panama papers », le 13 décembre 2017, les députés ont inscrit une recommandation n° 160 préconisant « d’organiser un sommet mondial sur la lutte contre le blanchiment de capitaux, l’évasion et la fraude fiscales, en vue de lever le secret dans le secteur financier ».
Le Sénat a su montrer ces dernières années sa sensibilité profonde à ces sujets, au-delà des engagements des uns et des autres. Souvenons-nous des votes unanimes des deux rapports des commissions d’enquête en 2012 et en 2013 et de la capacité que notre assemblée a eue de se rassembler pour adopter en trois occasions des amendements visant à la suppression du « verrou de Bercy ». Citons enfin la décision prise au sein de la commission des finances de créer un groupe de suivi sur la lutte contre l’évasion fiscale.
Mes chers collègues, le Sénat a l’occasion, ce soir, de se joindre à la volonté de l’Assemblée nationale et de faire que cette résolution devienne celle de tout le Parlement français. Cela marquerait une nouvelle avancée, nullement symbolique, mais hautement politique, au moment où, en haut lieu, on semble s’interroger sur l’utilité des parlements et des parlementaires.
Les deux chambres de la République, ce sont les deux jambes de la démocratie. Voter cette résolution ce soir, c’est faire œuvre utile pour l’intérêt général et les générations futures ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain. – Mme Nathalie Goulet et M. Joël Labbé applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud, pour le groupe La République En Marche.
M. Didier Rambaud. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les problèmes sous-jacents à cette proposition de résolution rapprochent, je le crois, l’ensemble des groupes politiques. La fraude fiscale, qui est un phénomène ancien, a connu un nouvel essor à mesure que les frontières se sont ouvertes : l’espace économique s’est mondialisé, tandis que l’espace fiscal est demeuré strictement national.
Je préfère définir les termes du débat : la fraude fiscale est bien un acte illégal visant à contourner l’impôt ; elle n’est pas l’optimisation, qui consiste à utiliser tous les moyens légaux disponibles pour réduire la charge fiscale.
D’après un rapport de 2007 du Conseil des prélèvements obligatoires, ou CPO, quatre tendances expliquent l’évolution de la fraude aux prélèvements obligatoires : la complexité des règles, le travail dissimulé du fait du passage à une économie de services, l’internationalisation des mécanismes de fraude et les évolutions technologiques.
Ce rappel du cadre du débat vous montre que nous sommes face à un problème évidemment complexe. Les conséquences en sont tout aussi majeures : d’une part, un manque à gagner pour les finances publiques de 30 milliards à 40 milliards d’euros d’après les estimations du CPO ; d’autre part, une atteinte grave aux principes de la République. Je rappellerai l’article XIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, selon lequel la contribution commune doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.
Pour ces raisons, l’arsenal répressif et technique s’est renforcé. En plus d’amendes, des sanctions pénales peuvent s’appliquer : une personne coupable de dissimulation frauduleuse d’avoirs risque jusqu’à deux millions d’euros d’amende et sept ans d’emprisonnement en cas de domiciliation fictive à l’étranger. Comme outils, je pourrais citer la création d’une Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, celle d’un parquet financier ou encore les dispositifs de circulation auprès de TRACFIN, la cellule de traitement du renseignement et de l’action contre les circuits financiers clandestins.
Ce renforcement de l’arsenal législatif se nourrit des propositions du Sénat, et je salue ici le travail de notre collègue Éric Bocquet, rapporteur de la commission d’enquête sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales. Saluons aussi le travail des services et des agents de l’État, bien loin des caricatures désignées dans le texte que nous discutons ce soir.
Ce vaste chantier de la lutte contre la fraude ne peut rester national. La communauté internationale a d’ailleurs pris acte, tardivement, des risques que fait peser l’évasion fiscale sur l’économie. Le G8 et le G20 ont ainsi donné l’impulsion politique nécessaire pour confier mandat à l’OCDE d’agir dans cette lutte, l’OCDE qui anime depuis 2000 le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales, visant à identifier les États qui ne respectent pas les standards internationaux.
L’une des réponses du multilatéralisme passe en effet par l’échange automatique d’informations : ici encore, il s’agit d’une impulsion du G20, traduite par l’adoption en février 2014 par l’OCDE d’une norme mondiale unique relative à l’échange automatique de renseignements.
Le 30 septembre 2017, est entré en vigueur l’accord multilatéral entre autorités compétences pour l’échange automatique de renseignements, qui prévoit d’importants échanges bilatéraux. En clair, cet outil va permettre au fisc français de connaître automatiquement le contenu des comptes bancaires offshore ou onshore de tous les Français dans chacun des pays signataires. Il ne concerne que cinquante et une juridictions à ce jour, mais des territoires souvent visés ont signé, comme Jersey et l’île de Man. Il faut aller plus loin et convaincre notamment les États-Unis.
De manière plus approfondie, l’Union européenne a beaucoup avancé depuis la directive épargne de 2003. Le Conseil de l’Union européenne a complété cette dernière en mars 2014, et, depuis 2017, l’échange d’informations financières est une réalité sur les intérêts, les dividendes, les produits de ventes d’actifs, les produits d’assurance vie et les revenus perçus par des structures intermédiaires localisées dans des États tiers.
L’Union européenne conclut par ailleurs des accords bilatéraux dans le cadre du secret bancaire : le 1er janvier 2018 a marqué la fin du secret bancaire suisse pour les ressortissants étrangers.
Toutes ces mesures arrivent tardivement, nous en conviendrons, mais elles arrivent. Le chantier de la lutte contre l’évasion fiscale est toutefois un énorme chantier, et il reste beaucoup à faire, tant pour harmoniser les fiscalités que pour lutter contre la fraude.
La question de l’harmonisation souligne aussi l’importance de la taxation des acteurs du numérique. Depuis septembre 2017, la France est à la pointe de la bataille pour que les GAFA paient leurs impôts au niveau approprié : cela ne peut plus durer.
Le second point, la lutte contre la fraude fiscale, montre l’importance du plan préparé par le ministre de l’action et des comptes publics, Gérald Darmanin, en la matière. Il saura, je le crois, répondre à une partie des manques qui sous-tendent cette proposition de résolution.
En conclusion, mes chers collègues, il y a beaucoup à faire et cette proposition de résolution nous le rappelle ; elle est en ce sens salutaire. Elle nous rappelle que le cadre de coopération utile est le cadre multilatéral, notamment au sein de la Convention multilatérale concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale, qui rassemble 117 juridictions à ce jour.
Le groupe La République En Marche entend aborder avec réalisme la complexité de ce problème. Il travaillera au Sénat sur ces questions concrètes, mais ne soutiendra pas cette proposition de résolution, qui ne nous paraît pas constituer la bonne solution.
Les questions d’évasion demandent des réponses techniques, de longue haleine, pour éviter les trous dans la raquette et des législations imparfaites ; c’est aussi le risque que nous encourrons avec un accord international, fruit de négociations sur les virgules et peu normatif.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite orienter notre réflexion vers quelques enjeux internationaux recouverts par la question.
Tout d’abord, le caractère pour le moins restreint de la liste des mauvais élèves de la fiscalité, ceux que l’on appelle les « paradis fiscaux », des territoires paradisiaques par les facilités qu’ils offrent à quelques entreprises à vocation transnationale de domicilier sur leur territoire, le plus souvent dans des « immeubles boîtes aux lettres », tout ou partie de leurs activités, plus que pour leur population.
Ainsi, en 2015, les Bahamas comptaient officiellement 13 % de chômeurs - plus de 35 % chez les jeunes -, la Barbade 12,3 %, le Belize 11,3 %. Si l’on prend le paramètre de la dette publique, la même année 2015, Antigua-et-Barbuda présentait une dette de 105,5 % du PIB et la Barbade de 103,3 %, ces deux pays encadrant le pourcentage des États-Unis…
Si l’on examine maintenant la question du commerce international, on trouve, parmi les vingt premiers excédents commerciaux de la planète, seize pays ayant de près ou de loin à voir avec le commerce des produits pétroliers bruts ou raffinés ou de matières premières stratégiques, à savoir les pétromonarchies du Golfe, le Sultanat de Brunei, les ex-Républiques gazières et pétrolières de l’URSS, les Pays-Bas et quatre autres nations dont je ne peux manquer de vous délivrer les noms : le Grand-Duché de Luxembourg, la ville-État de Singapour, l’archipel des Maldives et la République d’Irlande…
Les spécialistes acérés de la lutte contre l’évasion fiscale auront sans doute remarqué que nous sommes en ce cas plutôt en présence de pays ayant développé quelques pratiques d’opportunisme fiscal, bien connues des économies spécialisées, dans le secteur des « services financiers ».
Cela m’amène aux considérations suivantes. D’une part, la fraude et l’évasion fiscales ne sauraient se résumer à une affaire de groupes plus ou moins habiles à tirer parti des failles législatives nées d’une absence d’harmonisation des règles fiscales.
Je ne sais pas si je vais vous convaincre, mes chers collègues, mais il faut nous parler avec la plus grande des sincérités : l’optimisation fiscale est une sorte de forme légale de la fraude, qui procède de lois votées par des autorités élues, lois souvent promues par certains groupes. Il y a, en ces matières, une évidente coconstruction entre les milieux d’affaires et les responsables politiques.
Nous le voyons bien dans un pays comme les États-Unis, où le président Trump vient d’ouvrir la guerre des taux pour amener les champions de son économie à revenir au pays et à y rapatrier emplois et bénéfices, et cela nonobstant les conséquences, singulièrement du point de vue de la transition écologique…
L’Europe n’est pas en reste ! N’oublions pas, plus près de nous, que la coalition victorieuse des élections italiennes préconise, entre autres, une flat tax de 15 % pour tout impôt !
En France, quelle utilité par exemple à vouloir aligner la fiscalité des revenus du capital sur celle d’autres pays, plus libéraux, ou à réduire le taux facial d’un impôt sur les sociétés qui ne représente déjà plus que moins de 1,5 % du PIB ? Pour aider les entreprises, nous dit-on… Franchement, ce sont des sornettes – je reste correct –, des balivernes ! Qui peut le croire ?
Je rappelle qu’avant de solliciter l’épargne publique et singulièrement les marchés financiers, solution la plus coûteuse pour se développer, les entreprises disposent de deux outils fondamentaux pour se financer.
Le premier, c’est le produit de leur développement intrinsèque, c’est-à-dire la réaffectation des bénéfices qu’elles réalisent dans des investissements de capacité productive renouvelée. Le second, c’est le recours à la ressource bancaire, dont le coût, en termes de taux d’intérêt réel, demeure inférieur à la préemption exercée par le versement de dividendes sur le résultat de l’entreprise.
La remontée de l’endettement privé des entreprises me laisse d’ailleurs penser que le premier terme, c’est-à-dire l’autofinancement, est appauvri dans bien des cas par l’importance des bénéfices distribués.
La chance des entreprises françaises, c’est de travailler dans un pays où l’impôt est suffisamment important pour permettre, par la réalisation de la dépense publique, par l’investissement local comme national, la création d’un espace favorable à l’activité économique.
L’impôt juste et justement recouvert et acquitté, ce n’est pas juste l’impôt ! Ce sont les réseaux routier et ferroviaire, sur lesquels vont circuler les marchandises, c’est le réseau de téléphonie moderne, qui va faciliter les échanges, c’est la vente à distance, c’est l’appareil de formation et d’éducation d’où vont venir les ingénieurs, les techniciens, les ouvriers qualifiés de demain.
Prenez en compte les points de croissance que nous laissons en route, parce que la concurrence n’a pas résolu le problème de la couverture du territoire en haut débit !
L’Union européenne, qui n’est pas exempte de reproches en matière de concurrence fiscale déloyale, semble poursuivre depuis quelque temps une étrange logique d’harmonisation fondée sur l’allégement de l’impôt perçu dans l’entreprise et le développement de la fiscalité de consommation – taxe sur la valeur ajoutée, taxes sur l’essence, contribution carbone – et de la fiscalité dite « comportementale » – taxes sur l’alcool, les tabacs… Et cela n’arrange pas du tout les affaires du reste du monde !
Si je devais d’ailleurs formuler une proposition concrète de lutte immédiate contre la fraude et l’évasion fiscales, j’inviterais le Gouvernement à faire en sorte que les élus du personnel, ceux du comité d’entreprise entre autres, soient avisés du montant des royalties perçues lors de la cession de brevets ou d’actifs immatériels, informés des prêts financiers intragroupes ou du prix des transferts. Ça, ce serait une innovation sociale et démocratique en marche !
Fruit de la collaboration entre entreprises transnationales et gouvernements à l’autorité souvent faible, fraude et évasion fiscales conduisent, bien souvent, au pillage des ressources naturelles des pays, nous le savons tous ici. L’insuffisance de ressources publiques de bien des pays en voie de développement demeure un dangereux vecteur des idées obscurantistes. Combattre sans répit la fraude fiscale, c’est aussi éviter l’exil forcé de populations appauvries, qui est le ferment du terrorisme.
J’ai bien écouté le discours de notre collègue de La République En Marche…
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Pascal Savoldelli. Franchement, monsieur Rambaud, pourquoi conclure que vous n’allez pas voter cette proposition de résolution ?
Permettez-moi de citer Victor Hugo, dont j’aperçois le siège depuis la tribune : « La fraude est vilaine et donne un profit nul ; mentir ou se tuer, c’est le même calcul. » (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain. – M. Joël Labbé applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour le groupe Union Centriste.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes dans la même configuration que le 27 octobre dernier, ce qui m’oblige à être un peu créative par rapport à ce que j’avais dit, qui était pourtant très bien. (Sourires.)
Je regrette franchement que l’hémicycle se soit vidé,…
M. Joël Labbé. Très juste !
Mme Nathalie Goulet. … car le problème de l’évasion fiscale et celui des retraites ne sont pas sans relation de cause à effet. Et l’on parle de 766 euros d’un côté et de 80 milliards d’euros de l’autre ! Si l’on rapatriait l’argent concerné, on arriverait probablement à améliorer les retraites de nos agriculteurs… (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – M. Jean-Jacques Panunzi applaudit également.)
Je vais vous parler, moi aussi, des territoires et des États non coopératifs. Juste pour le plaisir, parce que nous sommes entre nous, j’évoquerai l’excellent rapport d’Éric Bocquet, qui date tout de même de 2012. Aussi, lorsque vous estimez, les uns et les autres, que nous avons beaucoup progressé, je trouve que l’on fait plutôt du surplace…
J’en viens à la carte du tendre des paradis fiscaux – je reprends le plan du rapport : une cartographie à géométrie variable ; des paradis perdus – mais pas pour tout le monde ; des paradis à l’ombre des listes officielles ; 2012, des listes allégées ; le Forum mondial : la transparence au milieu du gué – on n’en est toujours pas sorti ; une grille de lecture complexe de la liste française ; une liste française à dimension discrétionnaire – c’est toujours le cas aujourd’hui.
La deuxième partie du rapport évoquait les paradis retrouvés ; les « territoires coquilles », où l’on retrouve l’ensemble des territoires cités, dont la Barbade, les Seychelles, l’île Maurice ; les paradis officiels, comme les Îles Marshall ; un début théorique – j’insiste sur ce mot, mon cher collègue de La République En Marche – de transparence ; le marché ciblé de l’évasion fiscale ; les milliers de mètres carrés de ports francs en Suisse ; les 30 000 mètres carrés de nouveaux ports francs au Luxembourg ; le Liechtenstein et les îles anglo-normandes, bien entendu ; les « paradis sélectifs » de Monaco et d’Andorre.
Enfin, le rapport de 2012 avait identifié les paradis technologiques et le problème irrésolu de l’imposition des bénéfices du numérique. Nous avions le tort d’avoir raison trop tôt !
La mise à jour de la liste française des États et territoires non coopératifs, les ETNC, se fait, comme vous le savez, madame la secrétaire d’État, sur la base de l’article 238-0 A du code général des impôts. L’actualisation de la liste, qui a lieu chaque année, est largement mécanique : la simple signature d’une convention fiscale avec la France suffit à retirer un État de cette liste. Cette situation n’est pas satisfaisante !
La radiation ne devrait intervenir qu’a posteriori, une fois constaté que la mise en œuvre de la convention signée par la France avec cet État ou territoire permet effectivement à l’administration fiscale d’obtenir les renseignements nécessaires à l’application de la législation fiscale française.
Ce n’est pas nouveau : c’était la proposition 40 figurant à la page 585 du rapport de 2012, qui n’est toujours pas appliquée ! Je vous en donne lecture : « Conditionner le retrait d’un État de la liste française des ETNC non pas à la simple signature d’une convention fiscale avec la France, mais à la mise en œuvre effective d’une coopération fiscale de cet État avec la France au titre de cette convention. » Nous avons une marge de progrès très importante.
Sur ce sujet majeur, notre collègue député Fabien Roussel vient de déposer une proposition de loi extrêmement intéressante et fournie visant à établir une liste française des paradis fiscaux. Nous la soutiendrons, comme nous soutiendrons la proposition de résolution présentée ce soir par le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
La proposition de loi est d’ailleurs intéressante, car, pour faire court, c’est toujours : « Un scandale, une annonce » ! En 2015, dans le sillage de LuxLeaks, on annonce un premier pas vers une approche commune et cohérente, à l’échelon européen, des paradis fiscaux, ainsi qu’une première liste noire. La méthode retenue souligne la portée symbolique de la démarche. La liste, dépourvue de sanctions, est laissée à la libre appréciation des États ; Gibraltar et Jersey n’y figurent pas.
Deux ans plus tard surviennent les « Paradise papers ». Là encore, un scandale, une annonce ! Le 5 décembre 2017, les ministres des finances des pays membres de l’Union européenne annoncent une nouvelle liste. Là encore, le résultat déçoit : 17 noms sont inscrits sur la liste noire, 47 sur une « liste grise ». Pourquoi avoir écarté les États membres de l’Union européenne ? Ce n’est pas pour autant qu’ils respectent les règles ! L’organisation Oxfam, citée tout à l’heure, a établi que l’Irlande, les Pays-Bas, Malte et le Luxembourg auraient dû figurer sur la liste noire.
Cette fois encore, il faudrait retenir plus de critères. Sur la base de ceux qui ont été retenus par Oxfam, ce sont cinquante-huit pays, et non plus dix-sept, qui figurent sur la liste noire. L’association Tax Justice Network effectue également un travail remarquable.
Dans ces conditions, autant dire que le bricolage européen et les annonces purement cosmétiques constituent, madame la secrétaire d’État, une insulte réitérée à notre intelligence. Les listes s’allongent et se rétrécissent…
Le Conseil constitutionnel ayant estimé que l’intervention du législateur dans la fixation de la liste des paradis fiscaux contreviendrait à la distinction des domaines de la loi et du règlement opérée aux articles 34 et 37 de la Constitution, je vous propose, madame la secrétaire d’État, en cette saison de modifications constitutionnelles, celle de l’article 34, en précisant, au quatrième alinéa, que la loi fixe également les règles concernant « les dispositifs de lutte contre l’évasion fiscale ». Ce serait au moins aussi intéressant que d’y inscrire la lutte contre le changement climatique !
Ainsi, mes chers collègues, cela permettra au Parlement d’avoir toute compétence sur un sujet qui, reconnaissez-le, nous concerne tout de même un petit peu. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Le travail parlementaire est freiné par le contenu des articles 34 et 37 de la Constitution. L’extension du champ de l’article 34 contribuera, pour le coup, à faire de ce sujet une priorité, qui n’était pas celle du candidat Macron et qui, manifestement, n’est toujours pas celle des parlementaires de son parti aujourd’hui.
Sur les paradis, je terminerai en vous disant que toutes les recettes sont là (L’orateur brandit le rapport précédemment évoqué.) et qu’il suffit de les appliquer. Je voudrais saluer à mon tour, pendant les quelques secondes qui me restent, l’initiative de nos collègues de l’Assemblée nationale sur le « verrou de Bercy ». Nous avons, là aussi, été précurseurs. Le Sénat a voté par trois fois la suppression de ce verrou et la commission d’enquête de 2013–2014 a, elle aussi, proposé de supprimer cette anomalie procédurale. Je remarque que nos collègues de l’Assemblée nationale ont plus de latitude que nous pour les commissions d’enquête, et je regrette, au regard du travail franchement remarquable qui a été fait, que nous n’en ayons pas autant. Nous sommes proches du résultat, ici, dans la maison de Victor Hugo, qui siégea dans ce même hémicycle. Il faut espérer que, comme les murailles de Jéricho, au septième tour, ce verrou s’écroulera. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. Joël Labbé. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour le groupe socialiste et républicain. (M. Thierry Carcenac applaudit.)
Mme Sophie Taillé-Polian. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le sujet de l’évasion fiscale et de la fiscalité internationale est d’une importance cruciale. C’est pourquoi je remercie les auteurs de cette proposition de résolution, et je salue le travail de notre collègue Éric Bocquet.
L’économie mondialisée au sein de laquelle la France s’insère est atteinte d’un mal terrible, résultant de la compétition que se livrent les juridictions fiscales à l’échelle mondiale. Cette compétition généralisée est désastreuse, parce qu’elle tarit les ressources financières des États et qu’elle freine la coopération entre les pays. Ce sont autant de ressources qui devraient être mobilisées dans l’objectif d’une redistribution plus juste des richesses.
La fraude fiscale et l’optimisation fiscale utilisent les mêmes stratégies. Ces phénomènes sont qualitativement différents, l’optimisation étant légale. Mais cette dernière n’en reste pas moins immorale. Dans les deux cas, il s’agit, pour certains, de tout mettre en œuvre pour éviter de payer la part, légitime, qui leur incombe dans le cadre de la contribution aux dépenses publiques collectives.
Ces détournements de richesses sont possibles grâce à la mondialisation des flux de capitaux et aux progrès technologiques, qui permettent, en quelques clics, de créer des sociétés écrans ou d’orienter les flux de bénéfices des entreprises multinationales vers des territoires fiscalement avantageux.
Ces phénomènes, qu’il est bien difficile de maîtriser dans le système bancaire conventionnel, sont totalement hors de contrôle dans la zone d’ombre du shadow banking. Ils permettent souvent à la corruption et à l’argent sale de prospérer.
Quelles sont les conséquences de ce système – car il s’agit bien d’un système généralisé s’appuyant sur une industrie de l’ingénierie fiscale –, qui est malheureusement toléré par les États ?
Pour les pays en voie de développement, cela représenterait dix fois le montant de l’aide au développement : largement de quoi lutter contre la pauvreté, voire l’éradiquer. En France, les montants estimés de cette fraude représenteraient de 60 milliards à 80 milliards d’euros par an : cela ferait une vraie différence dans nos débats budgétaires si nous disposions d’une telle somme. Je rejoins Mme Goulet lorsqu’elle relie ce débat avec celui que nous avons eu précédemment sur les retraites agricoles, que nous verrions en effet d’un tout autre œil : la vraie question, c’est non pas l’addiction aux dépenses publiques, mais plutôt la rupture avec l’addiction à la fraude fiscale. (Applaudissements sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. Éric Bocquet. Très bien !
Mme Sophie Taillé-Polian. La fraude fiscale pose fondamentalement la question de la démocratie et du contrat social sur lequel elle est fondée, c’est-à-dire le consentement à l’impôt. Nos concitoyens ne peuvent comprendre la tétanie des autorités nationales et internationales lorsqu’ils mesurent les montants en jeu, et alors qu’on fait toujours appel à eux pour se serrer la ceinture. L’évasion et la fraude fiscales sont de véritables cancers pour notre démocratie, et il est temps que le Gouvernement prenne ses responsabilités en la matière.
Ce dernier multiplie les baisses d’impôt pour les plus riches et les mesures d’austérité, juge les fonctionnaires trop nombreux, veut en finir avec les « profiteurs » qui abusent de statuts prétendument privilégiés, entend faire la chasse aux « fraudeurs aux aides sociales ». Nous sommes en droit d’attendre, et ce devrait être une priorité, que la traque aux fraudeurs fiscaux et à toutes les stratégies d’optimisation qui flirtent avec l’illégalité soit intraitable.
Pour y arriver, il reste des chantiers extrêmement importants à mener. Des mesures ont été prises lors du précédent quinquennat : réforme bancaire de 2013, loi Sapin II de 2016, vote de l’échange automatique d’informations au début de 2017. D’ailleurs, ces éléments auraient pu être intégrés dans le texte présenté ici, comme ils l’avaient été, en février 2017, à l’Assemblée nationale.
J’en conviens, le présent texte reste très largement à compléter avec des éléments indispensables : la levée du verrou de Bercy, cela a été dit, la protection plus forte des lanceurs d’alerte, le reporting pays par pays ; mon collègue Thierry Carcenac y reviendra.
Aussi, nous attendons avec une grande impatience le projet de loi pour lutter contre l’évasion et la fraude fiscales, que le Gouvernement a annoncé. Car nous ne saurions attendre la communauté internationale pour agir. La France doit, conformément à ses valeurs multiséculaires, se montrer avant-gardiste en la matière.
Revenons à la proposition émise par ce texte, que nous soutenons totalement, car elle insiste sur l’importance de la coordination entre les différents États dans la lutte contre le dumping fiscal et contre l’évasion fiscale. Les grandes organisations internationales prétendent toutes avoir la volonté d’enrayer ce fléau. Mais l’un des principaux problèmes est qu’aucune ne fait comme les autres : elles ne s’arrêtent pas sur les mêmes définitions, les mêmes critères, les mêmes listes de paradis fiscaux, rendant toute mise en place de mesures concrètes impossible, voire utopiste. Les listes de paradis fiscaux publiées relèvent plus de tractations diplomatiques que de réalités statistiques.
La dernière liste de paradis fiscaux établie par l’Union européenne le démontre : ses États membres en ont été écartés d’office, y compris ceux dont la fiscalité est reconnue comme étant avantageuse, pour ne pas dire accommodante. On nous a promis hier, et on nous le promet encore aujourd’hui même, d’épingler les mauvais élèves. Très bien ! Toutes les avancées sont bonnes à prendre, nous verrons ce qu’il en sera réellement. Dans cette même liste, en outre, certains pays mentionnés ne sont vraisemblablement pas les paradis fiscaux les plus prisés.
Les organisations internationales ne font qu’inviter les « paradis » à prendre les décisions adéquates, mais ne formulent aucune menace. Et si ces « paradis » les acceptent, aucune évaluation réelle n’est prévue pour en mesurer l’impact.
Nous sommes ainsi très favorables à ce que la France porte la présente proposition de résolution pour la mise en place d’une conférence des parties, sous l’égide des Nations unies, car elle serait le signe d’une mobilisation générale. La présence active de la société civile dans ce type de réunions et de mobilisations serait un garde-fou essentiel, et nous devons nous appuyer sur le travail exceptionnel, qu’il faut saluer, qu’ont réalisé nombre d’ONG sur ces questions.
L’émergence d’une véritable coopération internationale au service d’une plus juste répartition des richesses est absolument indispensable.
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je terminerai en regrettant que le groupe LREM ne soutienne pas cette proposition de résolution. Cela ne peut que nous faire douter sur la volonté du Gouvernement de lutter à tous les niveaux contre le fléau de la fraude fiscale. La France s’honorerait pourtant de prendre la tête de cette croisade, à l’intérieur de nos frontières comme à l’international. C’est peut-être une vision du vieux monde, mais ce nouveau monde, visiblement, n’est pas le nôtre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe Union Centriste. – M. Joël Labbé applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Joël Guerriau. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, on a beaucoup parlé, ces dernières années, de la « finance », souvent pour la diaboliser. Je crois que ce raccourci nous freine collectivement pour réfléchir sereinement sur l’économie financière et proposer des politiques publiques adaptées.
Nous sommes loin d’avoir affaire à un monde monolithique et caricatural : la diversité des métiers, des pratiques et des finalités de la finance, au service de l’économie réelle et des ménages, doit nous inciter à la prudence dans nos mots et dans nos actes.
Le système financier français est un fleuron souvent envié par bien d’autres pays ; sachons le préserver. Parlons plutôt ici d’impôt, de fraude, de mécanismes internationaux qui favorisent des pratiques d’évitement fiscal. Il me semble que l’amalgame entre finance et fraude qui est fait dans cette proposition de résolution participe à une confusion des genres.
Sans nier la réalité des pratiques frauduleuses, appuyées sur des montages financiers complexes, mettre tout le monde dans le même panier ne nous aide pas à apporter des solutions fines et précises sur un sujet de dimension internationale. Derrière la fraude fiscale internationale il y a, certes, des institutions financières complices, mais également des États, des entreprises et des particuliers coupables.
Il y a bien une galaxie d’acteurs dont les intérêts convergent et vont à l’encontre de ce que vous appelez, chers collègues du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, la « justice fiscale ». Comme vous, je le déplore et, comme vous, j’estime qu’il faut lutter contre la coalition des intérêts. En revanche, notre vision de la réponse à y apporter n’est pas la vôtre, celle de l’écrasement d’une économie qui serait intoxiquée par la finance. Nous croyons à l’efficacité des marchés et à l’internationalisation des flux de capitaux, à condition, bien sûr, que ces marchés soient régulés par des institutions pour tendre vers une justice sociale internationale.
En matière de régulation, force est de constater que des actions ont bien déjà été engagées depuis la crise de 2008, notamment sous l’impulsion d’un Français, que je souhaiterais saluer, Pascal Saint-Amans, directeur du centre de politique et d’administration fiscale de l’OCDE. Il mène depuis plusieurs années une véritable croisade contre la fraude fiscale internationale, qui a permis de moderniser le droit. L’OCDE a ainsi mis en place un cadre inclusif, rassemblant plus de cent pays et juridictions qui travaillent en collaboration pour mettre en œuvre des politiques de lutte contre l’érosion de la base fiscale et les transferts de bénéfices. La clause anti-abus, visant à éviter l’utilisation excessive des dispositions des conventions fiscales, en est une bonne illustration.
L’OCDE a également élaboré une norme d’échange automatique d’informations bancaires, adoptée le 29 octobre 2014 par l’ensemble des pays qui la composent et par les membres du G20.
En Europe, la Commission européenne a récemment relancé le projet de directive visant à l’adoption d’une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés, pour mettre fin à la concurrence fiscale entre États membres. Le paquet TVA, en cours de négociation, a pour objectif de mettre fin à une fraude communautaire qui coûte plus de 150 milliards d’euros par an aux États de l’Union européenne.
Le cadre international de lutte contre la fraude fiscale n’a donc plus rien à voir avec ce qu’il était voilà encore quelques années. Néanmoins, je vous rejoins dans l’idée que des progrès sont toujours possibles. Si nous pouvons y contribuer, nous devons le faire. Soulignons, à cet égard, trois éléments.
Tout d’abord, les listes internationales de paradis fiscaux sont encore trop timides et soumises à des considérations politiques qui les vident de leur substance. Ensuite, les États, y compris européens, se livrent toujours à des politiques non coopératives en matière fiscale, avec une multiplication des « visas dorés » par des pays comme Chypre ou Malte, avec des rescrits fiscaux ou une course au moins-disant en matière d’impôt sur les sociétés. Enfin, la nouvelle économie, celle des GAFA, questionne les politiques fiscales des États, qui sont peu adaptées pour capter les bénéfices internationaux tirés des effets de réseaux. L’initiative française de taxation des géants du net est ainsi la bienvenue, même si elle doit être menée dans une logique d’équité et non punitive.
Des marges de progression existent donc pour atteindre la justice fiscale mondiale que nous appelons, bien sûr, tous de nos vœux. Cependant, je crois à la volonté des institutions et des professionnels pour combler ces lacunes et avancer dans le sens d’une régulation plus efficace. Nous ne pensons pas qu’il faille ajouter à cet ensemble une organisation de plus, dont la conception s’éloigne, de surcroît, de la logique pragmatique et technique qui nous semble devoir s’appliquer sur cette question.
Pour toutes ces raisons, et bien que nous partagions votre préoccupation devant l’ampleur de la tâche qu’il reste à accomplir, le groupe Les Indépendants – République et Territoires, pas plus que La République En Marche, n’approuvera cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Jean-Marc Gabouty. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le fonctionnement de l’économie mondiale et son évolution depuis la crise financière de 2008 et la crise des dettes publiques suscitent de nombreux débats.
L’opacité du fonctionnement de la sphère financière, renforcée par une mathématisation extrême, éveille de plus en plus d’inquiétudes sur la stabilité des marchés, comme l’a montré le mini-krach de février dernier, passé quasiment inaperçu. Ainsi, le mathématicien Nicolas Bouleau, dans une chronique parue le week-end dernier dans le quotidien Le Monde, évoque des marchés « fumigènes », qui tendent aujourd’hui à brouiller l’information sur l’état réel de l’économie.
Un débat sur l’évasion et la fraude fiscales a eu lieu au Sénat en octobre 2016, sur l’initiative de nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen, et une proposition de résolution européenne a été adoptée, au début de 2017, par l’Assemblée nationale sur le même sujet.
Le bien-fondé du sujet ne fait pas de doute. Aujourd’hui, l’évasion et la fraude fiscales représentent des pertes colossales pour les États, aggravant les déficits et pénalisant le financement des services publics : 1 000 milliards d’euros à l’échelle de l’Union européenne, 60 milliards à 80 milliards d’euros par an en France, soit un montant équivalant au déficit public.
Dans ce contexte, la liste des paradis fiscaux, adoptée par les ministres des finances de l’Union européenne le 5 décembre dernier, se veut une réponse politique globale. Toutefois, les noms qui y figurent – Corée du Sud, Mongolie, Namibie, Tunisie,… – et, surtout, les absents trahissent de graves insuffisances.
Trois critères ont été retenus par Bruxelles dans la lutte contre les paradis fiscaux : la conformité aux standards d’échange automatique de l’OCDE, la limitation de l’implantation de sociétés offshore et l’adoption des lignes directrices de l’OCDE de lutte contre l’évasion fiscale des multinationales.
Mais il y a plusieurs bémols importants : cette liste, comme certains de mes collègues l’ont dit, exclut de facto les pays européens, qui sont réputés se conformer a priori au droit de l’Union européenne en matière de lutte contre l’évasion et la fraude fiscales, malgré les interrogations qui existent depuis longtemps sur des États comme l’Irlande, le Luxembourg, les Pays-Bas, Chypre, ou encore les micro-États entretenant des relations particulières avec l’Union, comme Monaco, Andorre ou le Liechtenstein. Par ailleurs, de grands pays extra-européens qui ne remplissent pas ces critères, comme les États-Unis ou la Russie, n’y figurent pas non plus. On peut donc considérer qu’une telle liste est plus théorique qu’opérationnelle.
La France n’est malheureusement pas en reste, avec des conventions fiscales très avantageuses, signées notamment avec des États du Golfe, mais avec bien d’autres pays aussi, et qui assurent par exemple des exonérations sur les plus-values immobilières et l’impôt sur la fortune immobilière au bénéfice des non-résidents. Un ancien ministre, Jean-Louis Borloo, dans le cadre des consultations menées en 2012–2013 sur la remise à plat de la fiscalité, avait proposé de revenir sur ces régimes outrageusement avantageux, qui coûtent chaque année plusieurs centaines de millions, voire plusieurs milliards d’euros à l’État français.
Paradoxalement, pour investir en France, il vaut mieux être qatari ou koweïtien que japonais ou canadien. (M. Éric Bocquet sourit.)
Enfin, une certaine tolérance, pour ne pas dire une réelle complaisance, existe à l’égard des vedettes du sport ou du divertissement. On peut ainsi s’étonner que des entreprises soient jugées sévèrement, certes, parfois à juste titre, par l’opinion publique, tandis que tel sportif ou tel artiste domicilié en Suisse ou à Monaco bénéficie d’une image de quasi-héros national, sans que cela corresponde à une quelconque exemplarité en matière fiscale.
Ces insuffisances manifestes rendent nécessaire une revue d’ensemble de nos conventions fiscales bilatérales, pour tenir compte a minima des standards établis par l’OCDE. Concernant, par exemple, la convention bilatérale avec le Qatar, l’ancien secrétaire d’État au budget, Christian Eckert, interrogé sur ce sujet en 2016, avait parlé d’un « précédent qui ne se [renouvellerait] pas ». Force est de constater que ce cas spécifique demeure aujourd’hui.
Au niveau européen, il serait nécessaire également de codifier les relations fiscales entre les États membres. Comment la France et l’Europe peuvent-elles apparaître comme des interlocuteurs crédibles, voire des donneurs de leçons, si elles n’ont pas préalablement remis de l’ordre dans leur propre maison ?
Par ailleurs, les réglementations mises en place à la suite des accords de Bâle III dans le secteur bancaire montrent aussi leurs limites, avec, en plus et de manière pénalisante, des procédures parfois lourdes et des règles prudentielles insuffisamment différenciées selon la taille des acteurs.
En conclusion, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je soulignerai que, si l’on ne peut que souscrire à l’existence d’un enjeu au niveau mondial et à la nécessité de lutter plus efficacement contre l’instabilité financière et les paradis fiscaux, il ne faudrait pas que l’organisation d’une grande conférence de type « COP » relègue au second plan les enjeux plus locaux au niveau national et au niveau européen.
Pour ces différentes raisons, la majorité des membres du groupe du RDSE se prononcent pour une abstention bienveillante ou un vote positif sur cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Lavarde. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de résolution de nos collègues du groupe CRCE a plusieurs mérites : sur le fond, celui d’aborder la question de la régulation de la finance, qui intéresse le Sénat depuis plusieurs années, sur toutes les travées ; sur la forme, celui de souligner la constance du groupe CRCE sur ce sujet, puisque, déjà sur son initiative, un débat relatif à l’organisation d’une conférence internationale sur l’évasion fiscale avait été organisé au Sénat en octobre 2016.
Comme en 2016, notre collègue Éric Bocquet entend porter ce sujet au niveau international au travers de l’organisation d’une conférence. Nous partageons certaines de ses préoccupations. Comme l’ont montré les révélations relatives aux « Panama papers » ou aux « Paradise papers », l’évasion fiscale est un phénomène global, qui contribue à l’appauvrissement des nations.
En effet, le coût de l’évasion fiscale a été évalué entre 30 milliards et 50 milliards d’euros par an par le Sénat, dans un rapport d’information publié en juillet 2012, fait au nom de la commission d’enquête sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales. Cependant, par définition, un tel phénomène reste difficile à chiffrer.
Pour autant, notre groupe se questionne sur l’opportunité de l’organisation d’une conférence internationale des parties relative à la lutte contre l’évasion fiscale : y souscrire reviendrait à penser que ce sujet n’est pas déjà une véritable préoccupation pour les décideurs européens et internationaux.
Mme Nathalie Goulet. Eh oui !
Mme Christine Lavarde. Or une telle supposition ne résiste pas à l’examen des faits.
Ainsi, que ce soit au niveau du G20 ou de l’Union européenne, des initiatives fortes ont été entreprises dans le sens d’une plus grande transparence fiscale, afin, notamment, de permettre à la fois d’identifier les paradis fiscaux et de lutter contre eux.
Lors du G20 de Londres de 2009, les responsables politiques des principales puissances économiques mondiales avaient déjà qualifié la lutte contre l’évasion fiscale de « priorité absolue ». C’est sur cette base et dans le cadre d’une étroite collaboration avec l’OCDE que de nombreux progrès ont d’ores et déjà été accomplis.
L’accord multilatéral du 29 octobre 2014, qui permet au niveau mondial d’assurer l’échange automatique d’informations, constitue à ce titre une avancée historique. Cet échange se caractérise notamment par le partage de renseignements à la demande des administrations, lorsque celles-ci ont de bonnes raisons de penser qu’une information bancaire dans un autre pays leur est utile. Il favorise aussi l’échange automatique de renseignements, obligeant chaque pays à demander à l’ensemble de ses institutions financières de collecter chaque année l’information financière sur les comptes détenus via des trusts ou des sociétés par des non-résidents.
À la suite de cette avancée, l’OCDE a proposé un ensemble de recommandations sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices, dit programme BEPS, dans le cadre du projet pour une approche internationale coordonnée de la lutte contre l’évasion fiscale des entreprises multinationales. En effet, les stratégies fiscales de certaines entreprises sont de nature à créer une disjonction importante entre le lieu de création de la plus-value et celui de son imposition.
Cependant, je ne partage pas l’avis exprimé par Éric Bocquet voilà quelques minutes sur cette initiative, et ce pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, le projet BEPS facilite la coopération entre les pays, pour mettre fin à ce que les Anglo-Saxons appellent le treaty shopping, c’est-à-dire la pratique des investisseurs qui recherchent délibérément à bénéficier de la protection plus avantageuse d’un traité bilatéral d’investissement signé entre un État dont ils n’ont pas la nationalité et l’État hôte dans lequel ils ont investi. C’est ainsi que de nombreuses multinationales sont logées artificiellement à Maurice pour bénéficier des accords de ce pays avec l’Inde.
Ensuite, le BEPS favorise un reporting par pays, obligeant les entreprises concernées à fournir aux administrations fiscales un certain nombre d’informations financières, comme la localisation de leur chiffre d’affaires ou de leurs actifs. En France, c’est l’article 21 de la loi de finances pour 2016 qui a instauré cette obligation pour les groupes réalisant un chiffre d’affaires consolidé supérieur à 750 millions d’euros.
Sur cette question du reporting, une divergence de fond nous oppose au groupe CRCE : c’est une des raisons qui nous empêchera de voter cette proposition de résolution. Nos collègues, en son alinéa 39, insistent sur la nécessité de rendre public le reporting par pays. Nous estimons, au contraire, que cette publication serait contre-productive, car elle pourrait fragiliser nos champions nationaux. Si l’administration fiscale doit pouvoir détenir ces informations, pour autant elles n’ont pas à être accessibles aux concurrents américains ou asiatiques de nos entreprises.
Nous sommes attachés à la protection du patrimoine informationnel de nos entreprises, car il est un élément essentiel de leur compétitivité sur les marchés mondiaux. C’est la raison pour laquelle notre groupe s’était opposé aux amendements, introduits au cours de la discussion de la loi Sapin II de décembre 2016, prônant la publication de ces informations extrêmement sensibles.
Mme Nathalie Goulet. Dommage !
Mme Christine Lavarde. Le Conseil constitutionnel avait d’ailleurs jugé cette disposition contraire à la Constitution, au nom de la liberté d’entreprendre, et avait censuré l’article 137 de la loi Sapin II qui prévoyait la publication des données des entreprises.
Le Parlement européen s’est également saisi de cette question et a adopté, en juillet 2017, une proposition obligeant les multinationales dont le chiffre d’affaires excède 750 millions d’euros à publier les impôts qu’elles paient pays par pays. Néanmoins, il a également adopté une mesure permettant à un État membre d’accorder une exemption de publication de certaines informations jugées sensibles d’un point de vue commercial. Cette possibilité de restriction de la publicité des données nous semble essentielle.
Aujourd’hui, le projet BEPS est porté par l’ensemble des pays de l’OCDE, auxquels s’ajoutent les huit pays du G20 non membres de cette organisation, soit 90 % de l’économie mondiale. Une telle convergence sur un projet aussi ambitieux, qui vise à créer un cadre universel propice au développement d’une transparence fiscale globale, témoigne du dynamisme dont fait preuve la communauté internationale sur un sujet aussi crucial.
Nous saluons ces progrès et continuons de défendre une démarche intégrée allant dans le sens d’une pleine réciprocité dans l’application de normes parfois très contraignantes pour les entreprises.
De surcroît, le Conseil des ministres des finances de l’Union européenne a publié, en décembre dernier, une liste noire de dix-sept États jugés non coopératifs en matière fiscale et une liste grise de quarante-sept pays, dont la Suisse, placés sous surveillance et qui ont pris des engagements de bonne conduite. Cette liste semble efficace puisque, depuis sa publication, neuf pays sont récemment passés de la liste noire à la liste grise, à la suite d’engagements pris en matière de lutte contre l’évasion fiscale.
Même si nous pouvons juger que les choses peuvent toujours aller plus vite et plus loin, nous constatons que, peu à peu, les comportements changent et les lignes bougent.
Ainsi, au niveau européen, rappelons l’amende record infligée par la Commission européenne à Apple en raison de ses deux rescrits fiscaux, dits tax rulings, avec le fisc irlandais.
Rappelons aussi que, dans son quatrième paquet sur la lutte contre l’évasion fiscale, la Commission européenne avait inclus le projet d’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés, dit ACCIS. Ce projet ambitionne une plus grande intégration fiscale en Europe, afin de lutter contre l’optimisation fiscale mettant les États membres en concurrence. De cette manière, l’ACCIS pourrait, selon la Commission européenne, « constituer un instrument puissant pour lutter contre l’évasion fiscale des entreprises en supprimant les disparités entre les systèmes nationaux et en établissant des dispositions communes en matière de lutte contre l’évasion fiscale ».
Ce projet a été relancé dans le cadre d’une nouvelle proposition de directive, formulée par la Commission en octobre 2016. Bruxelles espère aboutir d’ici à 2019, même si les règles d’unanimité freinent pour le moment le projet.
Aujourd’hui même, la Commission européenne a mis au ban sept pays de l’Union européenne, dont l’Irlande, le Luxembourg et les Pays-Bas, lesquels, selon le commissaire européen à la fiscalité, Pierre Moscovici, ont des pratiques qui « nuisent à l’équité, empêchent une concurrence loyale dans le marché intérieur et augmentent le fardeau des contribuables européens ». Cette actualité semble avoir échappé à certains.
Rappelons, par ailleurs, la création en France, en 2017, de l’Agence française anticorruption, qui contrôle le respect de l’obligation de vigilance par les grandes entreprises dans le domaine de la lutte contre la corruption et le trafic d’influence, et qui dispose d’un pouvoir de sanction.
Ce bref rappel des avancées que nous avons pu observer aux niveaux français, européen et international ne signifie pas que le combat contre l’évasion fiscale est gagné. Les mesures relatives au BEPS et au paquet européen doivent encore être effectivement mises en œuvre de manière globale.
Ce rappel nous offre cependant un éclairage salutaire sur la question qui nous réunit ce soir. Éric Bocquet appelle à la convocation d’une conférence internationale des parties sur cette question. Or force est de constater que, sur ces sujets, ses vœux ont déjà en grande partie été réalisés. Des plateformes internationales de discussion existent déjà et, comme nous venons de le voir, fonctionnent relativement bien.
Il est donc légitime de s’interroger sur la pertinence d’une telle conférence, qui risque d’apparaître comme superfétatoire au regard de la pratique internationale.
S’il doit y avoir débat, il doit non pas être d’ordre institutionnel, mais plutôt porter sur les modalités de mise en œuvre des accords internationaux et le suivi de ces derniers.
Mais cela ne saurait se limiter à des vœux pieux sous-tendus par une idéologie à laquelle nous n’adhérons pas. L’exposé des motifs et les considérants de la proposition de résolution que nous examinons ce soir sont excessivement idéologiques et ne peuvent pas rassembler l’ensemble des voix du Sénat.
L’unanimité est souvent possible dans notre Haute Assemblée, mais le rassemblement s’effectue autour d’un propos modéré et empreint de sagesse.
Le tableau caricatural qui est dressé du capitalisme et les termes excessifs utilisés ne permettent pas de rassembler les voix de notre groupe en faveur de cette proposition de résolution. Nous ne souscrivons pas aux termes évoquant une « économie mondialisée […] gangrenée », un « mythe de la compétitivité », une « logique nocive de la concurrence », « une course funeste », « une économie intoxiquée par la finance » dont « le combat […] représente […] un enjeu majeur pour la survie de tous ». C’est excessif et caricatural.
Pour ces raisons, le groupe Les Républicains ne votera pas cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Thierry Carcenac, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Thierry Carcenac. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales et contre le blanchiment de fraude fiscale est un combat de tous les instants.
En effet, comme cela a été souligné, les conséquences de ces pratiques sont désastreuses pour notre économie et nos politiques publiques ; le consentement à l’impôt, qui fonde notre pacte républicain, s’en trouve gravement affecté.
Des progrès ont été, sont et seront réalisés sous l’impulsion de l’OCDE, du G8, du G20, du FMI, de l’Union européenne, de notre volonté politique, aussi ici, en France.
L’appui des médias, des ONG et de l’opinion publique indignée est nécessaire pour traquer ces abus et inciter les pouvoirs publics à réagir. Les scandales d’optimisation fiscale se succèdent. Après les « Panama papers », les « Paradise papers » ont révélé au grand public des stratégies fiscales agressives d’évitement de l’impôt et ont conduit à des prises de décision pour lutter contre ces abus.
La proposition que nous examinons, même si elle comporte des points que nous ne pouvons pas totalement partager, a le mérite de permettre d’ouvrir ce débat, ici au Sénat, dans le prolongement de celui qui avait été engagé et approuvé en 2017 à l’Assemblée nationale, sous le précédent gouvernement.
La liberté de circulation des capitaux entamée dans les années quatre-vingt a conduit les États à assouplir leur législation fiscale, à adopter des mesures de dumping fiscal et à assumer la concurrence des moins-disants sociaux, fiscaux et réglementaires d’une mondialisation libérale sans pouvoir enrayer cette fuite en avant, qui aggrave les inégalités.
Ainsi que je l’indiquais, une prise de conscience s’est développée, et des mesures ont été prises pour lutter contre ce fléau, qui permet à certains de placer leur argent sur les places financières les plus rentables et les plus opaques moyennant des montages de plus en plus sophistiqués et des schémas fiscaux complexes conçus par des cabinets de conseil très expérimentés.
Il ne faut donc pas baisser la garde, la créativité de nouveaux montages permettant de contourner les mesures prises.
Une recherche de moyens plus efficaces est par conséquent nécessaire pour harmoniser à l’échelon européen nos politiques fiscales et mettre au ban des nations les territoires non coopératifs. L’OCDE, puis le G20 ont promu « l’échange automatique d’informations bancaires annuelles ». C’est un progrès indéniable, mais qui, à peine promu, voit déjà certaines failles se profiler, notamment par l’octroi de visas contre investissements et permis de résidence « non habituels » délivrés par des États.
Par ailleurs, les échanges ne concernent pas les biens immobiliers détenus à l’étranger ; il reste l’assistance fiscale administrative, au bon vouloir des administrations fiscales, et parfois difficile à mettre en œuvre.
La directive que l’Union européenne projette de mettre en œuvre visant à taxer les GAFA sur un pourcentage de leur chiffre d’affaires en Europe n’est pas encore acquise. Qu’en est-il ? Il aura fallu attendre six ans pour que les montages astucieux évoqués par la commission d’enquête du Sénat dès 2012 soient contrés. Étaient déjà mentionnés le « double irlandais » et le « sandwich hollandais », que nos multinationales du numérique pratiquent.
À l’échelon national, les définitions juridiques doivent être mieux précisées au vu de jurisprudences récentes. Il en va ainsi des notions d’« établissement stable », de « résidence » et d’« abus de droit ».
Le « verrou de Bercy », qui prévoit que le délit de fraude fiscale ne peut être poursuivi qu’à la suite d’une plainte de l’administration validée par la Commission des infractions fiscales, laisse supposer que certains pourraient échapper à des poursuites pénales. Il mérite un réexamen approfondi, et sa suppression.
J’en viens aux moyens humains mis en œuvre : la création, en 2002, du Service national de la douane judiciaire ; en 2010, du Bureau national de répression de la délinquance fiscale, qui dépend du ministère de l’intérieur ; en 2013, du Parquet national financier, qui dispose d’une procédure : la convention judiciaire d’intérêt fiscal ; de l’Office central de lutte contre la corruption et la fraude fiscale et, maintenant, la création envisagée d’une police judiciaire fiscale avec un plaider-coupable… Voilà qui montre toute la complexité de notre arsenal répressif, qui devrait être simplifié.
Je n’aborderai pas ici les besoins en formation des agents, le recrutement de personnels très qualifiés à profil informatique à encourager
Madame la secrétaire d’État, au-delà de cette proposition de résolution, que nous voterons et que Sophie Taillé-Polian a brillamment appuyée, le groupe socialiste et républicain ne peut que vous encourager à poursuivre les efforts engagés aux échelons français, européen et mondial pour que s’épanouisse une société plus juste. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – M. Joël Labbé applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à saluer la présente proposition de résolution. Bien qu’introduite, dans son exposé des motifs, en des termes qui paraissent souvent excessifs, parfois caricaturaux, elle a le mérite de provoquer un débat sur des thématiques importantes, où des convergences transpartisanes apparaissent possibles. Je remercie les différents orateurs des échanges de qualité qui ont eu lieu ce soir.
Beaucoup d’entre vous l’ont rappelé, d’importantes avancées ont été obtenues au cours des dernières années dans la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.
Depuis de nombreuses années, la France est à la pointe de ce combat, aussi bien en interne qu’à l’échelon international.
L’action de notre pays porte également de façon très ambitieuse sur la lutte contre l’optimisation fiscale, qui suppose d’agir avec les autres États et, dans certains cas, comme pour l’économie numérique, de travailler à une refonte des règles internationales.
J’en profite pour préciser la différence entre la fraude fiscale, qui est une violation de la loi fiscale, et l’optimisation fiscale, laquelle s’appuie sur les failles du système fiscal afin de payer le moins d’impôts possible.
Sur ces deux notions, la France est engagée, car il s’agit de protéger nos finances et nos politiques publiques, de préserver une concurrence loyale entre les acteurs économiques, d’éviter une course au moins-disant entre les États et, finalement, de faire respecter la justice fiscale, qui est une attente fondamentale de nos concitoyens, attente partagée très largement sur les travées de cet hémicycle.
Il est primordial que tous les contribuables, entreprises et particuliers, quelle que soit leur taille, paient leur juste part d’imposition, en France comme en Europe.
Les révélations médiatiques auxquelles vous faites allusion dans votre proposition de résolution ont illustré une nouvelle fois, s’il en était encore besoin, l’absolue nécessité de renforcer nos exigences et notre action dans tous les domaines.
Nous partageons donc les mêmes objectifs, et le Gouvernement est pleinement mobilisé pour y parvenir. Notre action est très déterminée sur trois points que je vais détailler : la transparence fiscale, la lutte contre l’optimisation et la taxation des géants du numérique.
Premièrement, en matière de transparence fiscale, l’action de la France a favorisé les progrès considérables accomplis par la communauté internationale à tous les niveaux : G20, OCDE et Union européenne.
Sous la présidence française, le G20 a demandé à l’OCDE d’établir une liste internationale des paradis fiscaux. Cela a permis de faire progresser depuis 2010 la mise en œuvre des standards internationaux de transparence fiscale. Le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales, sous l’égide par l’OCDE, rassemble aujourd’hui 148 membres. Il passe en revue les lois et les pratiques d’échange à l’aune de standards toujours plus exigeants, par exemple s’agissant de l’identification des bénéficiaires effectifs de certaines structures opaques et complexes qui ont été dénoncées ici.
L’action de ce Forum mondial a également permis de mettre en place pour 100 pays la Convention multilatérale concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale, qui fixe les règles de l’échange d’informations. La France a aussi joué un rôle moteur dans le développement au niveau mondial de l’échange automatique d’informations sur les comptes bancaires, qui a permis de mettre fin au secret bancaire. Cette année devrait être celle de la mise en œuvre complète du standard mondial d’échange automatique d’informations sur les comptes financiers, que la France a vivement promu et adopté dès son origine en 2014.
L’Union européenne s’est également dotée d’un cadre juridique renforcé en matière de transparence. Plusieurs directives majeures ont été adoptées, en matière d’échange automatique d’informations en 2014, d’échange des décisions fiscales anticipées en 2015, de lutte contre l’optimisation fiscale des entreprises et d’échange automatique des déclarations pays par pays en 2016. Une proposition de directive obligeant des intermédiaires à déclarer les montages fiscaux qu’ils créent est en cours de discussion et devrait être adoptée très prochainement.
Deuxièmement, en matière de lutte contre l’optimisation fiscale et la fiscalité dommageable, les travaux internationaux menés ces dernières années ont visé à renforcer les moyens des États pour lutter contre l’optimisation fiscale des multinationales.
Ces travaux, dont l’initiative revient à quelques États, dont la France, ont été conduits sur demande du G20 et dans le cadre de l’OCDE au titre du chantier Base Erosion and Profit Shifting, ou BEPS, qui a été évoqué par plusieurs d’entre vous. L’OCDE a tenu à y associer le plus grand nombre de pays, y compris les pays émergents et les pays en développement : près de 110 États et territoires y ont adhéré à ce jour. Il s’agit donc bien d’un processus inclusif.
L’OCDE s’appuie sur un accord multilatéral juridiquement contraignant, l’instrument multilatéral, pour la mise en œuvre de BEPS. Il modifiera à terme plusieurs centaines de conventions fiscales bilatérales en vigueur, dont environ quatre-vingts pour la France. La France l’a signé le 7 juin 2017, et il sera prochainement soumis à ratification. L’action de l’OCDE a donc changé de nature, dans la mesure où les normes qu’elle produit acquièrent une force contraignante accrue, tout en étant partagées largement par la communauté internationale.
L’Union européenne s’est également engagée dans une action résolue pour faire respecter les standards internationaux, en matière aussi bien de transparence que de fiscalité équitable.
Cela a conduit à établir une liste d’États et territoires non coopératifs au mois de décembre 2017. Vous l’avez remarqué, cette liste diminue aujourd’hui à raison des engagements pris par les États et territoires concernés, mais ces derniers devront respecter ces engagements, faute de quoi ils seront à nouveau inclus dans la liste européenne, ce qui fera son efficacité.
Toutefois, de nombreux défis restent encore à relever. Par exemple, des contre-mesures efficaces et dissuasives doivent être appliquées de manière coordonnée à l’encontre des États et territoires qui figurent sur la liste européenne. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Il faut persévérer pour convaincre nos partenaires réticents à aller dans ce sens. La France montrera l’exemple et appliquera des mesures défensives. Nous travaillons actuellement aux modalités permettant de transposer la liste européenne dans notre droit de la manière la plus ambitieuse possible. Cette réforme, qui implique une modification législative, pourrait se concrétiser dans l’année.
Mais la France ne doit pas être le seul pays à le faire.
Troisièmement, en matière de taxation des géants du numérique, il s’agit essentiellement ici de corriger les inadaptations des règles de la fiscalité internationale à cette nouvelle forme d’économie et de faire en sorte que les multinationales paient l’impôt là où elles réalisent leurs profits et créent de la valeur.
L’idée est simple, mais ce chantier confié par le G20 à l’OCDE implique de trouver un accord partagé avec l’ensemble des États. Il sera mené sur le long terme, mais nous devons aussi agir vite, notamment en Europe, pour rétablir à très court terme des conditions de concurrence équitables. C’est urgent, car les enjeux déjà considérables vont s’accroître avec les progrès de la transformation numérique.
C’est pour cette raison que la France a activement défendu depuis l’été dernier le lancement de travaux européens pour que des mesures opérationnelles et efficaces soient rapidement adoptées. Bien évidemment, les réponses strictement nationales ne sont pas adaptées à l’ampleur du défi. Elles seraient même contre-productives à l’heure où l’Union européenne travaille à développer en son sein un marché unique numérique concurrentiel et dynamique.
Nous avons donc proposé à nos partenaires européens une taxe sur le chiffre d’affaires réalisé dans chaque pays de l’Union. Elle compenserait l’impôt sur les sociétés qui aurait dû être payé dans chaque État membre par ces grands opérateurs du numérique.
La Commission européenne va faire des propositions opérationnelles dans les prochaines semaines. Vous pouvez compter sur notre action résolue pour qu’elles soient adoptées rapidement.
Il faut en même temps avancer au niveau de l’OCDE. En ce sens, Bruno Le Maire, le ministre de l’économie et des finances, a signé un courrier avec ses homologues allemand, britannique, espagnol et italien, ainsi que le commissaire européen Pierre Moscovici et le vice-président de la Commission européenne Valdis Dombrovskis.
La France agit là où son action peut être efficace, c’est-à-dire à Bruxelles et au sein du G20. C’est ainsi que les travaux ont jusqu’à présent permis de fédérer la communauté internationale autour d’un standard partagé par de très nombreux pays, développés ou non. C’est dans ces enceintes que se mettent en place les standards que vous appelez de vos vœux. Multiplier les lieux de négociation sur ces sujets complexes et techniques ne semble pas être un gage d’efficacité ni de vitesse. (M. Éric Bocquet s’exclame.) Par ailleurs, nous voulons travailler sur des textes précis et juridiquement efficients.
Je crois enfin que l’Union européenne a vocation à montrer la voie dans certains domaines, comme le numérique ou l’harmonisation de l’impôt sur les sociétés. Le Gouvernement pèse de façon très ferme à Bruxelles dans ce sens. Pour autant, l’Europe n’a pas intérêt à s’imposer systématiquement des règles que d’autres États, dont les plus importants, comme les États-Unis, ne s’appliquent pas à eux-mêmes.
Sur ce point, je ne partage pas votre souhait d’appliquer la transparence publique des rescrits fiscaux. L’administration n’hésite pas à publier au Bulletin officiel des finances publiques certains rescrits de manière anonymisée. C’est le cas des positions formelles de portée générale, qui participent à la stabilité juridique pour les contribuables. Aller plus loin serait remettre en cause le principe du secret fiscal. (Mme Laurence Cohen et M. Éric Bocquet s’exclament.)
M. Joël Labbé. Ah !
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État. La France et son gouvernement agissent dans toutes les enceintes pertinentes, en assumant un rôle moteur auprès de ses principaux partenaires et en ayant le souci d’associer le maximum d’États, sans se satisfaire du statu quo. Elle joue pour cela de son influence au G20 et au sein de l’Union européenne.
Cette action volontaire, nous la menons et nous continuerons à la mener avec une grande résolution.
Mme Laurence Cohen. Ça ne se voit pas !
M. le président. La discussion générale est close.
Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.
proposition de résolution pour une conférence des parties (cop) de la finance mondiale, l’harmonisation et la justice fiscales
Le Sénat,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Vu les articles 50 bis à 50 quater du règlement du Sénat,
Vu la Charte des Nations Unies,
Vu le Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Vu le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels,
Vu la Convention relative à l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques du 14 décembre 1960,
Vu le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,
Vu le Traité sur l’Union européenne,
Vu le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de l’union économique et monétaire,
Vu la Charte sociale européenne,
Vu la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique du 9 mai 1992,
Vu la communication de la Commission européenne au Parlement européen et au Conseil du 28 janvier 2016, intitulée « Paquet de mesures contre l’évasion fiscale : prochaines étapes pour assurer une imposition effective et davantage de transparence fiscale dans l’Union européenne », COM(2016) 23 final,
Vu la communication de la Commission européenne au Parlement européen et au Conseil du 28 janvier 2016 sur une stratégie extérieure pour une imposition effective, COM(2016) 24 final,
Vu la proposition de directive du Conseil du 28 janvier 2016 modifiant la directive 2011/16/UE en ce qui concerne l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal, COM(2016) 25 final,
Vu la proposition de directive du Conseil du 28 janvier 2016 établissant des règles pour lutter contre les pratiques d’évasion fiscale qui ont une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur, COM(2016) 26 final,
Vu la recommandation de la Commission européenne du 28 janvier 2016 concernant la mise en œuvre de mesures contre l’utilisation abusive des conventions fiscales, C(2016) 271 final,
Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil du 12 avril 2016 modifiant la directive 2013/34/UE en ce qui concerne la communication, par certaines entreprises et succursales, d’informations relatives à l’impôt sur les bénéfices, COM(2016) 198 final,
Vu la norme d’échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers en matière fiscale du 21 juillet 2014,
Vu le projet OCDE/G20 sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (« BEPS ») de 2015,
Vu le rapport mondial sur la compétitivité 2016-2017 du Forum économique mondial,
Vu le document « Fiscal policy and long-term growth » du Fonds Monétaire International de juin 2015,
Vu le rapport intitulé « World Investment Report 2016 » de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement,
Vu le rapport d’information au Sénat, « L’évasion fiscale internationale, et si on arrêtait ? », de la commission d’enquête sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, Philippe Dominati, président, et Éric Bocquet, rapporteur, juillet 2012,
Vu la mission d’information pour la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, « Lutte contre les paradis fiscaux : si l’on passait des paroles aux actes », rapport présenté par Alain Bocquet et Nicolas Dupont-Aignan, octobre 2013,
Vu la commission d’enquête sur le rôle des banques et acteurs financiers dans l’évasion des ressources financières et ses conséquences fiscales, « Évasion des capitaux et finance : mieux connaître pour mieux combattre », François Pillet, président, et Éric Bocquet, rapporteur, octobre 2013,
Vu l’avis du Conseil économique, social et environnemental sur les mécanismes d’évitement fiscal et leurs impacts sur la cohésion sociale voté le 16 décembre 2016.
Considérant indispensable de juguler les dérives spéculatives de la finance mondiale ;
Considérant que la fraude et l’évasion fiscales sont des fléaux planétaires, affectant tous les États, quel que soit leur niveau de développement, portant préjudice à la cohésion sociale, contribuant à l’accroissement des inégalités, au détriment du plus grand nombre et pour le seul profit d’une minorité ;
Considérant que la réponse à cet enjeu planétaire appelle la mobilisation de la communauté internationale ;
Considérant qu’il convient donc d’engager une démarche politique globale en matière de régulation financière et de lutte contre l’évasion fiscale au niveau de l’Organisation des Nations Unies (ONU), à l’instar de la Conférence des Parties (COP) sur le changement climatique ;
Considérant qu’il revient à notre pays de prendre une telle initiative afin que l’ONU se réunisse et entame des négociations autour d’une convention-cadre qui doit permettre d’assurer la coopération fiscale internationale, la prise et le suivi d’engagements durables en matière de régulation financière et de lutte contre l’évasion fiscale ;
Considérant que cette démarche permettra également d’impliquer sur un pied d’égalité les pays en voie de développement afin qu’ils puissent bénéficier des ressources qui devraient légitimement revenir à leur population ;
Considérant par ailleurs que les États membres de l’Union européenne se livrent à une dangereuse concurrence fiscale conduisant à la réduction progressive de la contribution des entreprises à l’effort collectif, privant également les États des moyens d’action dont ils auraient pourtant besoin pour lutter efficacement contre la pauvreté et le réchauffement climatique ;
Considérant que cette concurrence fiscale est illustrée par la croissance exponentielle des rescrits fiscaux, sur lesquels la transparence et le contrôle démocratique doivent désormais s’imposer pour pouvoir faire la lumière sur d’éventuelles pratiques fiscales agressives ;
Considérant que cette concurrence fiscale mortifère est exacerbée par l’existence de paradis bancaires, fiscaux et judiciaires, pour certains situés au sein même de l’Union européenne, faisant sortir des pans entiers de l’économie de tout contrôle démocratique ;
Considérant que les initiatives politiques prises depuis 2008, tant en France qu’au niveau international, ne sauraient être considérées comme suffisantes compte tenu de la multiplication des affaires révélées et des montants qui échappent chaque année aux puissances publiques ;
Considérant l’obligation de développer un cadre global d’échange d’informations entre les administrations fiscales et une « liste noire » des paradis fiscaux objective, ne laissant place à aucune exception pour pouvoir être utile et efficace ;
Considérant l’impérieuse nécessité d’une transparence fiscale renforcée pour les sociétés multinationales, à travers notamment la mise en place d’une obligation d’information et de publication de rapports publics pays par pays, détaillant avec précision les données d’activité pour chaque pays où elles sont présentes ;
Considérant que les prérogatives et les moyens actuels de la justice pénale française ne lui permettent pas d’agir en toute efficacité contre la fraude et l’évasion fiscales ;
Considérant qu’il en va de l’intérêt des États et de la collectivité, et notamment en France et en Europe, de protéger les lanceurs d’alerte, notamment en matière fiscale ;
Considérant que les peuples, les acteurs du monde du travail et de la société civile ont également un rôle essentiel à jouer dans ce combat ;
1° Propose au Gouvernement français d’être à l’initiative d’une grande conférence internationale, sous l’égide des Nations Unies, portant sur la régulation mondiale de la finance, l’harmonisation et la justice fiscales et dont l’objectif serait de parvenir à un accord global visant à l’instauration d’une instance permanente de coopération et de régulation fiscale internationale, permettant la bonne application des engagements pris par les États-parties et l’ouverture régulière de nouvelles négociations,
2° Appelle le Gouvernement à s’engager en faveur d’une définition large, objective et sans exception de la notion de paradis bancaire, fiscal et judiciaire dans les négociations internationales auxquelles il participe à ce sujet, notamment au niveau européen ;
3° Alerte le Gouvernement sur l’urgence de l’élaboration d’une norme européenne, voire mondiale, de transparence fiscale à l’égard des multinationales, assorties de sanctions afin de lutter efficacement contre l’érosion des bases fiscales ;
4° Suggère à la Commission européenne, au Conseil européen et au Parlement européen d’œuvrer à l’élaboration d’une norme de transparence commune quant aux rescrits fiscaux, permettant aux citoyens d’avoir accès aux informations importantes de ces accords entre les administrations fiscales et les entreprises, sur tout le territoire de l’Union européenne ;
5° Propose à la Commission européenne, le Conseil européen et le Parlement européen de débattre des conséquences à long terme de la concurrence fiscale sur l’intérêt général, l’environnement et le bien-être des populations et de déterminer les dispositions à prendre pour mettre en place une véritable coopération fiscale européenne ;
6° Propose au Gouvernement d’agir au sein des instances européennes pour instaurer un statut européen protecteur pour les lanceurs d’alerte, afin que l’alerte puisse être effectuée dans des conditions favorables sur tout le territoire de l’Union européenne.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explication de vote.
Je mets aux voix la proposition de résolution.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe La République En Marche. (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme Éliane Assassi. Ce sont les membres du groupe Les Républicains qui ont demandé à ceux du groupe La République En Marche de déposer une demande de scrutin public à leur place ! Ils n’ont même pas le courage d’assumer leurs actes !
M. le président. Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 68 :
Nombre de votants | 333 |
Nombre de suffrages exprimés | 322 |
Pour l’adoption | 152 |
Contre | 170 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Mme Éliane Assassi. C’est bien dommage !
13
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, jeudi 8 mars 2018 :
À quinze heures : questions d’actualité au Gouvernement.
De seize heures quinze à vingt heures quinze :
(Ordre du jour réservé au groupe La République En Marche)
Proposition de loi de simplification, de clarification et d’actualisation du code de commerce (n° 790, 2013–2014) ;
Rapport de M. André Reichardt, fait au nom de la commission des lois (n° 657, 2015–2016) ;
Texte de la commission (n° 658, 2015–2016).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le jeudi 8 mars 2018, à zéro heure quarante.)
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD