Sommaire

Présidence de M. David Assouline

Secrétaires :

Mme Mireille Jouve, M. Victorin Lurel.

1. Procès-verbal

2. Communication d’un avis sur un projet de nomination

3. Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 22 et 23 mars 2018

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes

M. Franck Menonville

Mme Fabienne Keller

M. André Gattolin

M. Pierre Ouzoulias

M. Philippe Bonnecarrère

Mme Sylvie Robert

Mme Colette Mélot

M. Stéphane Ravier

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances

Mme Nathalie Loiseau, ministre

Débat interactif et spontané

M. Pascal Allizard ; Mme Nathalie Loiseau, ministre.

M. Jean-Yves Leconte ; Mme Nathalie Loiseau, ministre.

Mme Nathalie Goulet ; Mme Nathalie Loiseau.

M. André Reichardt ; Mme Nathalie Loiseau, ministre.

Mme Sylvie Robert ; Mme Nathalie Loiseau, ministre.

Mme Denise Saint-Pé ; Mme Nathalie Loiseau, ministre.

M. Michel Canevet ; Mme Nathalie Loiseau, ministre.

M. Benoît Huré ; Mme Nathalie Loiseau, ministre.

Mme Gisèle Jourda ; Mme Nathalie Loiseau, ministre.

M. Olivier Cadic ; Mme Nathalie Loiseau, ministre.

M. Sébastien Meurant ; Mme Nathalie Loiseau, ministre.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes

Suspension et reprise de la séance

4. Protection des données personnelles. – Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Article 12 (suite)

Amendement n° 152 de la commission. – Après une demande de priorité de la commission, rejet.

Amendement n° 46 rectifié de M. Georges Patient. – Retrait.

Amendements identiques nos 40 de Mme Maryse Carrère, 42 de M. Alain Schmitz, 53 de M. Loïc Hervé, 60 de M. Rachel Mazuir, 90 du Gouvernement, 136 de Mme Sylvie Robert et 149 rectifié bis de M. Bernard Delcros. – Adoption des amendements nos 40, 42, 53, 90, 136 et 149 rectifié bis, l’amendement n° 60 n’étant pas soutenu.

Amendements identiques nos 41 de Mme Maryse Carrère, 43 de M. Alain Schmitz, 61 de M. Rachel Mazuir, 91 du Gouvernement et 135 rectifié de Mme Sylvie Robert. – Adoption des amendements nos 41, 43, 91 et 135 rectifié, l’amendement n° 61 n’étant pas soutenu.

Amendements identiques nos 92 du Gouvernement et 144 de M. Georges Patient. – Adoption de l’amendement n° 92, l’amendement n° 144 n’étant pas soutenu.

Amendement n° 27 rectifié ter de M. Patrick Chaize. – Retrait.

Amendement n° 153 de la commission. – Adoption.

Adoption de l’article modifié.

Article additionnel après l’article 12

Amendement n° 80 rectifié de M. Loïc Hervé. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.

Article 13

Amendement n° 12 rectifié de Mme Annie Delmont-Koropoulis. – Adoption.

Amendement n° 21 rectifié bis de M. Alain Marc. – Retrait.

Amendement n° 49 de M. Arnaud de Belenet. – Rejet.

Amendement n° 117 du Gouvernement. – Adoption.

Amendement n° 93 du Gouvernement. – Adoption.

Adoption de l’article modifié.

Article 13 bis – Adoption.

Article additionnel après l’article 13 bis

Amendement n° 94 du Gouvernement. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.

Article 14 AA – Adoption.

Articles additionnels après l’article 14 AA

Amendement n° 8 rectifié septies de Mme Marie-Thérèse Bruguière. – Non soutenu.

Amendement n° 68 rectifié de Mme Esther Benbassa. – Rejet.

Amendement n° 37 rectifié de Mme Maryse Carrère. – Rejet.

Amendement n° 38 rectifié de Mme Maryse Carrère. – Retrait.

Amendement n° 54 rectifié bis de M. Alain Marc. – Retrait.

Amendement n° 75 rectifié bis de M. Alain Marc. – Retrait.

Amendement n° 76 rectifié bis de M. Alain Marc. – Retrait.

Amendement n° 26 rectifié ter de M. Alain Marc. – Retrait.

Article 14 A (supprimé)

Article 14

Amendement n° 95 du Gouvernement. – Adoption.

Amendement n° 96 du Gouvernement. – Rejet.

Amendement n° 138 de Mme Sylvie Robert. – Adoption.

Amendements identiques nos 97 du Gouvernement et 133 de M. Jérôme Durain. – Adoption des deux amendements.

PRÉSIDENCE DE M. Thani Mohamed Soilihi

Amendement n° 98 du Gouvernement. – Rejet.

Amendement n° 145 de Mme Maryse Carrère. – Adoption.

Amendement n° 134 rectifié de M. Jérôme Durain. – Devenu sans objet.

Amendement n° 99 du Gouvernement

Suspension et reprise de la séance

Amendement n° 99 du Gouvernement (suite). – Rejet.

Adoption de l’article modifié.

Article additionnel après l’article 14

Amendement n° 24 rectifié bis de M. Alain Marc. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.

Article 14 bis – Adoption.

Article 15

Amendement n° 140 de Mme Sylvie Robert. – Retrait.

Amendement n° 141 de Mme Sylvie Robert. – Retrait.

Amendement n° 139 de Mme Sylvie Robert. – Retrait.

Adoption de l’article.

Articles additionnels après l’article 15

Amendement n° 1 rectifié ter de Mme Florence Lassarade. – Retrait.

Amendement n° 2 rectifié ter de Mme Florence Lassarade. – Retrait.

Article 16 A

Amendement n° 101 du Gouvernement. – Rejet.

Amendement n° 130 de M. Jérôme Durain. – Rejet.

Adoption de l’article.

Article 16

Amendement n° 25 rectifié de M. Alain Marc. – Retrait.

Amendement n° 100 du Gouvernement. – Retrait.

Adoption de l’article.

Article 17 – Adoption.

Article 17 bis (nouveau)

Amendement n° 102 du Gouvernement. – Adoption de l’amendement rédigeant l’article.

Article additionnel après l’article 17 bis

Amendement n° 78 rectifié de Mme Catherine Morin-Desailly. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.

Article 18

Amendement n° 131 de M. Jérôme Durain. – Adoption.

Adoption de l’article modifié.

Article 19

Amendement n° 103 du Gouvernement. – Rejet.

Amendement n° 104 du Gouvernement. – Adoption.

Amendement n° 69 de Mme Esther Benbassa. – Retrait.

Amendement n° 132 de M. Jérôme Durain. – Adoption.

Amendement n° 105 du Gouvernement. – Rejet.

Amendement n° 106 du Gouvernement. – Rejet.

Amendement n° 107 du Gouvernement. – Rejet.

Amendement n° 70 de Mme Esther Benbassa. – Retrait.

Amendement n° 148 de Mme Maryse Carrère. – Adoption.

Amendement n° 108 du Gouvernement. – Rejet.

Amendement n° 147 de Mme Maryse Carrère. – Retrait.

Amendement n° 109 du Gouvernement. – Rejet.

Adoption de l’article modifié.

Articles additionnels après l’article 19

Amendements identiques nos 3 rectifié septies de Mme Marie-Thérèse Bruguière et 71 de Mme Esther Benbassa. – Rejet de l’amendement n° 71, l’amendement n° 3 rectifié septies n’étant pas soutenu.

Amendement n° 72 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.

Amendements identiques nos 4 rectifié septies de Mme Marie-Thérèse Bruguière et 73 de Mme Esther Benbassa. – Rejet de l’amendement n° 73, l’amendement n° 4 rectifié septies n’étant pas soutenu.

Amendements identiques nos 5 rectifié septies de Mme Marie-Thérèse Bruguière et 74 de Mme Esther Benbassa. – Rejet de l’amendement n° 74, l’amendement n° 5 rectifié septies n’étant pas soutenu.

Article 19 bis (nouveau)

Amendement n° 110 du Gouvernement. – Rejet.

Amendement n° 146 de Mme Maryse Carrère. – Rejet.

Adoption de l’article.

Article 19 ter (nouveau)

Amendement n° 118 du Gouvernement. – Rejet.

Adoption de l’article.

Articles additionnels après l’article 19 ter

Amendement n° 81 de M. Loïc Hervé. – Rejet.

Amendement n° 28 rectifié ter de M. Patrick Chaize. – Retrait.

Article 20 (supprimé)

Amendement n° 111 du Gouvernement et sous-amendement n° 156 de la commission. – Adoption du sous-amendement et de l’amendement modifié rétablissant l’article.

Article 20 bis (supprimé)

Amendement n° 112 du Gouvernement. – Rejet.

L’article demeure supprimé.

Article 21 – Adoption.

Article 22

Amendement n° 113 du Gouvernement. – Adoption.

Adoption de l’article modifié.

Article 23

Amendement n° 114 du Gouvernement. – Rejet.

Amendement n° 115 du Gouvernement. – Rejet.

Amendement n° 116 du Gouvernement. – Rejet.

Adoption de l’article.

Article 23 bis (supprimé)

Article 24 – Adoption.

Articles additionnels après l’article 24

Amendement n° 44 rectifié sexies de M. Henri Leroy. – Retrait.

Amendement n° 45 rectifié sexies de M. Henri Leroy. – Retrait.

Vote sur l’ensemble

Adoption du projet de loi dans le texte de la commission, modifié.

5. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. David Assouline

vice-président

Secrétaires :

Mme Mireille Jouve,

M. Victorin Lurel.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Communication d’un avis sur un projet de nomination

M. le président. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a émis un avis favorable – 13 voix pour, 6 voix contre et 5 bulletins blancs ou nuls – à la nomination de M. Gilles Leblanc aux fonctions de président de l’Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires.

3

Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 22 et 23 mars 2018

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 22 et 23 mars 2018.

Dans le débat, la parole est à Mme la ministre.

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est un plaisir pour moi de vous retrouver ici pour préparer avec vous le Conseil européen des 22 et 23 mars prochains. Ce rendez-vous important donnera lieu, en réalité, à plusieurs réunions différentes, que j’aborderai successivement.

Le Conseil européen à proprement parler se déroulera jeudi après-midi. Il reviendra sur plusieurs sujets assez classiques, qu’il s’agisse du semestre européen ou du marché unique. Il devra, notamment, fixer l’objectif de faire adopter d’ici la fin de la législature deux priorités européennes : le paquet numérique, sur lequel les travaux commencent à peine, et le projet d’union de l’énergie, qui doit permettre d’atteindre les objectifs de transition énergétique très ambitieux que l’Union s’est fixés pour 2030. Nous y reviendrons, si vous le souhaitez.

Je voudrais surtout relever que le Conseil européen devrait soutenir notre approche d’une Europe plus protectrice en abordant de façon positive trois domaines sensibles dans lesquels le point d’équilibre européen évolue progressivement en notre faveur.

Tout d’abord, il s’agit de la mention d’une « forte politique industrielle européenne », qui est une priorité pour nous, mais qui ne va jamais de soi à l’échelle de l’Union.

Sur le commerce, ensuite, l’appel pour que les colégislateurs trouvent un accord afin de mieux contrôler les investissements et un meilleur équilibre dans l’ouverture des marchés publics va clairement dans notre sens. Nous souhaitons que la discussion permette aussi d’évoquer la mise en œuvre des mesures de défense commerciale et de rappeler combien il est nécessaire que les futurs accords commerciaux prennent pleinement en compte l’accord de Paris. Je relève que le Conseil européen devrait demander à la Commission de présenter une stratégie de réduction des émissions de gaz à effet de serre compatible avec cet accord.

Enfin, le projet d’autorité européenne du travail proposé par le président de la Commission, M. Jean-Claude Juncker, vise à aller vers une plus grande convergence sociale par le haut, dans l’esprit de la révision de la directive sur le détachement des travailleurs.

Au-delà, le Conseil européen reviendra sur la décision prise par les États-Unis d’augmenter les droits de douane sur leurs importations d’aluminium et d’acier, pour des motifs allégués de sécurité nationale, au détriment, notamment, de l’industrie européenne. La Commission, soutenue par les États membres, travaille avec les États-Unis pour obtenir une exemption en faveur de l’Union. Néanmoins, elle se prépare également, si cela devait se révéler nécessaire, à prendre des mesures de sauvegarde de nos intérêts industriels et de rééquilibrage de nos échanges, dans le respect des règles de l’Organisation mondiale du commerce. C’est cet équilibre que le Conseil européen devrait refléter.

Les chefs d’État et de gouvernement continueront leurs échanges réguliers sur la refondation de l’Europe. Le thème choisi par le président Tusk pour ce Conseil est la fiscalité du numérique. La discussion portera sur la proposition, rendue publique aujourd’hui même par la Commission, de taxer les GAFA – Google, Apple, Facebook et Amazon – en prélevant une part limitée des revenus générés par leurs activités numériques en Europe. La France, vous le savez, porte fortement ce dossier avec l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne.

Même si ces discussions sont toujours difficiles et s’il faut sans doute, à terme, un cadre international, chacun voit bien qu’il y a un vrai enjeu européen dans la régulation d’un secteur d’activité nouveau.

Vendredi matin, les vingt-sept chefs d’État et de gouvernement se réuniront en format « article 50 ».

L’enjeu est double. Il s’agira d’abord de faire un état de lieux des négociations de l’accord de retrait du Royaume-Uni. Ce projet d’accord reprend les trois questions prioritaires traitées en décembre – les droits des citoyens, l’Irlande et le règlement financier –, mais aussi les questions de gouvernance et la transition.

Michel Barnier a fait état, lundi dernier, d’importants progrès, mais il a aussi souligné qu’il restait des points à trancher ou à préciser. C’est le cas, par exemple, des marchés publics, de la gouvernance de l’accord ou encore de la question irlandaise. Sur ce dernier sujet, le principe est posé d’un alignement réglementaire, proposé par l’Union européenne, mais il n’y a pas de vision commune quant à ses modalités.

Londres espère, dans ce contexte, pouvoir faire état d’un accord, au moins politique, sur la transition, principalement afin de rassurer les investisseurs. Nos grands principes sont respectés, notamment la limitation dans le temps au 31 décembre 2020, la pleine application de l’acquis et l’impossibilité pour le Royaume-Uni de continuer à participer au processus de décision. Le Conseil européen devra néanmoins, tout en saluant les progrès, rappeler fermement que rien n’est agréé tant que tout n’est pas agréé.

Le deuxième objectif des Vingt-Sept sera de se mettre d’accord sur des lignes directrices qui permettront à Michel Barnier de négocier le cadre général des relations futures entre l’Union européenne et le Royaume-Uni.

Nous devons préserver une approche d’ensemble cohérente : certes, nous préférerions que les Britanniques restent dans le marché unique ou dans l’union douanière à l’issue de la période de transition, mais, s’ils ne peuvent accepter les quatre libertés et qu’ils veulent pouvoir passer librement leurs propres accords commerciaux, le seul modèle possible pour l’Union européenne est celui d’un accord de libre-échange, avec un équilibre à respecter entre les droits et les obligations qui s’y rattachent. Cela implique que certains domaines, comme les services financiers, fassent l’objet de mesures autonomes de l’Union.

D’autres thèmes pourront donner lieu à des accords spécifiques, comme la coopération policière et judiciaire ou la politique étrangère et de sécurité commune. Il faudra cependant insister sur la nécessité de respecter entièrement l’autonomie du processus de décision de l’Union européenne.

Le Conseil européen devrait enfin mentionner la pêche, compte tenu de son importance et de la nécessité de trouver un équilibre entre accès aux zones de pêche et possibilité de vendre les produits de la mer britanniques dans le marché unique. Sur ce secteur, le principe de l’accès des pêcheurs européens aux zones de pêche britanniques pendant la période de transition a été clairement réaffirmé.

Les chefs d’État et de gouvernement se réuniront ensuite à dix-neuf en formation « sommet zone euro ». La France propose une approche, ambitieuse, qui consiste à avancer à court terme sur l’union des marchés de capitaux et l’union bancaire, y compris en mettant en place un filet de sécurité, mais aussi en allant vers la création, à plus long terme, d’une capacité budgétaire propre de la zone euro. Il s’agit de contribuer à une véritable stabilisation macroéconomique et de pouvoir maintenir les investissements dans des politiques qui soutiennent la productivité, en particulier en matière de recherche et d’innovation.

Nous travaillons étroitement sur ces questions sensibles avec le nouveau gouvernement allemand. Nous sommes déterminés à suivre le calendrier défini par le Président de la République et la Chancelière Merkel, qui a été repris par le Conseil européen de décembre. Aussi le Président et la Chancelière ont-ils rappelé, vendredi dernier, que nous travaillons au sein du couple franco-allemand à une feuille de route dans la perspective du Conseil européen de juin. Un rendez-vous franco-allemand est envisagé dès le mois d’avril, sans doute un autre en mai : vous voyez que nous sommes déterminés à avancer.

Les chefs d’État et de gouvernement évoqueront au dîner les questions internationales les plus urgentes. Ils marqueront leur totale solidarité avec le Royaume-Uni, après l’attaque de Salisbury, dont tout conduit à penser que la Russie est responsable.

Sur les Balkans occidentaux, nous souhaitons bien distinguer ce qui relève du processus d’élargissement, qui doit rester très exigeant et pour lequel les conditions d’un progrès ne semblent pas encore remplies, et l’appui qui peut et doit être apporté à ces pays, sous la forme d’un « agenda positif », pour les aider dans leurs réformes. Ce sera tout l’enjeu du sommet qui se tiendra le 17 mai prochain à Sofia.

Il est enfin possible qu’une discussion s’engage à nouveau sur les actions menées par la Turquie en mer Égée, vis-à-vis tant de la Grèce que de Chypre.

Je me tiens maintenant à votre disposition mesdames, messieurs les sénateurs, pour vous écouter et répondre à vos commentaires et à vos questions. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe de lUnion Centriste et du groupe socialiste et républicain. - M. le président de la commission des affaires européennes applaudit également.)

M. le président. J’indique au Sénat que la conférence des présidents a décidé d’attribuer un temps de parole de huit minutes aux orateurs de chaque groupe politique et de cinq minutes à la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, la commission des affaires européennes et la commission des finances interviendront ensuite durant huit minutes chacune.

Le Gouvernement répondra aux commissions et aux orateurs, puis nous aurons, pour une durée d’une heure maximum, une série de questions avec la réponse immédiate du Gouvernement ou de la commission des affaires européennes. Ainsi, tout sénateur présent dans l’hémicycle pourra intervenir s’il le souhaite.

Dans la suite du débat, la parole est à M. Franck Menonville, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

M. Franck Menonville. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les présidents de commission, mes chers collègues, nous sommes face à une actualité européenne et internationale extrêmement dense.

Je souhaiterais évoquer en préambule deux faits qui rappellent combien, même dans un monde devenu multipolaire, les agissements des États-Unis et de la Russie sont toujours au premier rang de nos préoccupations.

Tout d’abord, le président Donald Trump vient d’exiger de l’Union européenne un abaissement des barrières douanières et réglementaires sur les produits américains. Ajoutons à cela la taxation des importations d’acier et d’aluminium. J’espère que la commissaire européenne Cecilia Malmström, actuellement à Washington, trouvera une issue favorable à ce dossier.

Ensuite, je voulais également souligner la réélection du président russe Vladimir Poutine. Quoi qu’on en pense, c’est une donnée avec laquelle notre diplomatie doit continuer de travailler. La Russie détient en effet, on le sait, une des clés de la résolution du conflit syrien.

L’actualité récente m’amène également à évoquer la montée des populismes en Europe. Les dernières élections italiennes le confirment, hélas, avec les scores élevés du Mouvement 5 étoiles et de la Ligue. Néanmoins, cette réalité politique occulte à tort les vraies attentes d’une majorité de citoyens européens : ils veulent, non pas moins d’Europe, mais plus d’Europe pour faire face à des défis dont on sait que la seule dimension nationale ne suffira pas à les résoudre.

Je pense en particulier au phénomène migratoire. Sans l’intervention de l’Union européenne, il aurait débordé encore un peu plus les États membres qui l’affrontent en première ligne. Faut-il alors rappeler à tous ces partis eurosceptiques que, dans le monde tel qu’il est aujourd’hui, le repli sur soi n’est pas la solution ?

En réponse à la crise migratoire, l’Europe a mené un certain nombre de politiques qu’il faut poursuivre et approfondir, que ce soit le développement de la coopération avec les pays d’origine ou de transit, le renforcement du contrôle aux frontières extérieures ou encore la gestion des flux par des dispositifs tels que les accords de réadmission. Je n’oublie pas non plus la réforme du régime d’asile européen, sur laquelle il faudra encore avancer.

Le Conseil européen est censé parvenir à mettre au point une « politique migratoire durable » d’ici à juin 2018. Espérons qu’il y parvienne ; pour cela, il faudra que les États membres aient la même vision de l’Europe : celle d’une communauté de destin, et non pas celle d’un simple marché unique.

J’en viens ainsi au cas du Royaume-Uni, un pays qui a voulu jouer sa propre carte du destin, mais qui essaie aujourd’hui de ne pas trop se couper de l’Europe.

Il sera bien sûr largement question du Brexit au prochain Conseil européen. Comme vous le savez, mes chers collègues, il ne reste que six mois pour négocier le traité de sortie, un nouveau traité bilatéral et la période de transition entre les deux statuts.

Force est de constater que la marge de manœuvre entre les lignes rouges britanniques et les principes fondamentaux de l’Union européenne est extrêmement étroite.

Trois points sont essentiels ; nous sommes nombreux, me semble-t-il, à y tenir. Je citerai la garantie des droits des citoyens européens résidant au Royaume-Uni et des citoyens britanniques sur le territoire de l’UE, la solution à la question irlandaise et le règlement financier.

Avant-hier, une étape a été franchie grâce à un accord entre Londres et Bruxelles sur la période de transition pendant laquelle le Royaume-Uni bénéficierait des avantages du marché unique.

Nous pouvons y adhérer, car personne n’a au fond intérêt à une relation déséquilibrée avec un pays qui reste malgré tout lié à l’histoire de l’Europe et un partenaire commercial important.

Je souhaite à présent aborder un autre sujet majeur : la fiscalité du numérique.

À ce jour, deux critères ont été arrêtés : la taxe viserait les entreprises qui se présentent comme un réseau social ou comme une plateforme d’échange. Les rentrées fiscales annuelles pourraient atteindre entre 5 et 8 milliards d’euros par an à l’échelle de l’Union européenne ; c’est une bonne chose au regard des enjeux budgétaires de l’Union.

Au-delà de l’aspect financier, on ne peut que partager l’objectif d’envoyer un signal politique aux citoyens de l’Union en leur prouvant la détermination de Bruxelles à lutter activement contre l’injustice fiscale.

Je voudrais poursuivre mon intervention sur les perspectives de l’Union européenne plus de soixante ans après le traité de Rome.

Profitons de l’amélioration de la conjoncture économique pour oser une véritable refondation de l’Union européenne, même si la fenêtre est limitée, compte tenu des élections prévues en mai 2019. La France et l’Allemagne ont promis une impulsion commune pour réformer la zone euro et relancer l’Union européenne. On ne peut que s’en réjouir. La grande coalition nouvellement réinstallée autour de la Chancelière Merkel pourra nous y aider.

Lors de son discours à la Sorbonne, en septembre dernier, le Président de la République a affirmé que les défis lancés à l’Union et à ses États membres exigeaient de faire revivre une ambition politique européenne sur le plan interne comme sur le plan externe.

Le groupe du RDSE partage cette volonté. Pour qu’elle s’accomplisse, il faut que soient défendus nos valeurs, nos préférences collectives et nos intérêts communs tant géopolitiques qu’économiques. C’est le sens de « l’Europe souveraine » défendue par le Président de la République.

Je souhaiterais revenir sur cette défense de nos préférences collectives en me concentrant notamment sur l’agriculture. Comme vous le savez, madame la ministre, les agriculteurs ont fermement exprimé des craintes quant à leur avenir lors du récent Salon international de l’agriculture.

Le groupe du RDSE reste très vigilant quant aux accords de libre-échange que négocie actuellement l’Union européenne. Le Sénat est d’ailleurs très mobilisé à ce sujet : il prend régulièrement l’initiative de propositions de résolution européenne invitant à la protection de nos filières agricoles les plus fragiles. C’est le cas de la proposition de résolution relative aux échanges européens avec le Mercosur, portée par Jean-Claude Requier, président de notre groupe.

Enfin, en tant que sénateur d’un territoire rural, je voudrais relayer les inquiétudes de nos agriculteurs sur la réforme de la politique agricole commune, la PAC, même si cela n’est pas à l’ordre du jour du Conseil européen. Les sénateurs du RDSE sont opposés à toute renationalisation. La PAC ne doit pas être une variable d’ajustement budgétaire. Il nous semble essentiel, et non négociable, que cette politique reste « commune », conformément au C du sigle PAC. Le cadrage financier prévu pour mai prochain nous permettra sûrement d’y voir plus clair et, je l’espère, de ne pas sacrifier ceux qui ont contribué à la richesse et au progrès économique de l’Europe.

Pour conclure, je tiens à rappeler que la construction européenne est consubstantielle au groupe du RDSE. Je réaffirme donc qu’il faut plus d’Europe et mieux d’Europe ! C’est la solution qu’il faut à ce monde tourmenté, comme s’y emploie très bien le Président de la République, à qui nous apportons notre soutien sur le projet européen. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe de lUnion Centriste et du groupe socialiste et républicain. - M. le président de la commission des affaires européennes applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Fabienne Keller, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Fabienne Keller. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi, dans ce débat préalable au Conseil européen qui aura lieu demain et vendredi, d’aborder plus particulièrement trois sujets : le Brexit, la zone euro et les questions fiscales, avec un focus d’actualité sur les GAFA.

Comme vous l’avez rappelé, madame la ministre, le Brexit sera l’un des points importants abordés lors de ce Conseil européen.

Beaucoup de discussions se sont tenues durant les dernières semaines. Vous avez mentionné le compromis qui vient d’être trouvé. La date du 31 décembre 2020 marquera bien la fin de la période de transition. L’Union européenne a obtenu gain de cause sur beaucoup d’éléments qu’elle défendait : les droits des citoyens européens, mais aussi la non-participation du Royaume-Uni aux décisions politiques durant la transition. Elle a toutefois aussi fait quelques concessions concernant le règlement des différends ; si j’ai bien compris, il sera renvoyé à un comité mixte, et non à la Cour de justice de l’Union européenne comme nous le souhaitions.

Le projet de lignes directrices pour définir le cadre de la future relation entre l’UE et le Royaume-Uni annonce d’âpres négociations. Un projet a été établi par M. Donald Tusk en réponse au discours de Mansion House, où la Première ministre britannique avait posé des conditions. Selon M. Tusk – vous avez d’ailleurs repris cette position, madame la ministre –, dans ces conditions, seul un accord de libre-échange serait possible, un accord qui couvrirait les biens, mais ne dirait mot sur les services financiers.

Madame la ministre, pouvez-vous nous indiquer ce qui s’est décidé hier, au cours de la réunion ministérielle, concernant l’inclusion des services financiers dans le futur accord ? C’est évidemment un sujet important, en particulier pour le développement des services financiers à Paris et dans l’Europe des Vingt-Sept à la suite de la sortie du Royaume-Uni de l’Union.

Je voudrais évoquer un deuxième sujet relatif au Brexit, celui, tellement délicat, de l’Irlande du Nord. Personne n’ignore que c’est un point sensible de la négociation, car on traite là de la seule frontière terrestre entre le Royaume-Uni et l’Union. L’objectif premier était d’éviter la recréation d’une frontière physique entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande, ce afin de maintenir l’accord du Vendredi saint, dont je rappelle que c’est le dernier accord de paix conclu au sein de l’Union européenne, il y a une vingtaine d’années à peine.

La conclusion qu’en ont tirée les négociateurs européens, en vue de protéger l’intégrité du marché unique, est la nécessité pour l’Irlande du Nord de ne pas s’éloigner du cadre réglementaire communautaire. Or un important désaccord a vu le jour sur ce point, lors de la publication du projet d’accord de retrait. L’Union proposait ainsi de maintenir l’Irlande du Nord dans l’union douanière si les négociations n’aboutissaient pas à aucun accord. Cette proposition a été initialement rejetée par le Royaume-Uni, mais Mme May semble avoir évolué sur ce point et accepte peut-être à présent cette solution comme un dernier recours.

Madame la ministre, pouvez-vous nous éclairer sur cette situation, très délicate ? Pensez-vous, comme les représentants britanniques, que la future coopération en matière douanière pourra être suffisamment puissante pour éviter le retour d’une frontière physique ou le déplacement de la frontière en mer d’Irlande tout en préservant les intérêts européens, alors même que les Britanniques souhaitent quitter l’union douanière ?

Plus largement, quelle stratégie le Gouvernement entend-il mener, en coopération avec ses vingt-six partenaires, pour que ces négociations progressent de manière favorable ? Je voudrais ici souligner le rôle tout à fait remarquable, mais parfois difficile, qu’assure le grand négociateur qu’est Michel Barnier.

J’en viens à mon deuxième grand sujet : la zone euro. Vous avez rappelé, madame la ministre, qu’en raison des récentes élections allemandes le projet franco-allemand pour la réforme de la zone euro ne sera pas présenté lors de ce Conseil européen. Vous avez indiqué que deux sommets franco-allemands auraient lieu prochainement ; je m’en réjouis. Ils traiteront de cette question et peut-être, plus largement, de l’avenir de l’Union européenne.

À propos de la zone euro, je voudrais insister sur deux points : l’union bancaire et le parlement de la zone euro.

Je rappelle que le projet d’union bancaire comporte trois piliers, qui ont pour but de limiter les risques de défaillance des banques européennes et de protéger les épargnants. À la suite de la crise que nous avons connue, ces points sont fondamentaux. Or il semblerait aujourd’hui, madame la ministre, qu’un certain nombre de difficultés techniques – mais nous savons bien que le technique cache toujours le politique – pourraient mettre en péril un accord. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Le deuxième point, qui me tient personnellement très à cœur, est le projet de parlement de la zone euro. Avec M. Éblé, président de notre commission des finances, nous avons participé, les 19 et 20 février dernier, à la conférence sur l’article 13 du traité de stabilité, qui fait le point sur le semestre européen.

Je rappelle que cette conférence réunit des représentants des commissions des finances des parlements nationaux, ainsi que des parlementaires européens et des membres de la Commission européenne. C’est un lieu de dialogue particulièrement intéressant ; les échanges sont riches et utiles, cela permet de mieux comprendre les positions des différents États membres. Néanmoins, à ce stade, cela ne conduit à aucun avis concret et à aucune prise de position.

C’est pourquoi, madame la ministre, je voudrais ici soutenir la création d’un parlement de la zone euro. Il s’agirait non pas de nouveaux élus, mais d’élus des parlements nationaux et du Parlement européen, ainsi que de Commissaires. Ce parlement constituerait un lieu de dialogue et d’échanges au niveau européen et national ; il trouverait naturellement son lieu de réunion à Strasbourg, capitale européenne.

L’objectif de cette initiative est bien sûr de mieux coordonner les politiques économiques et monétaires des pays de l’Union européenne et d’assurer la coordination des travaux à l’échelle nationale et européenne. Je voudrais rappeler que le représentant du Bundestag présent à la « conférence article 13 » a salué cette idée et l’a clairement soutenue.

Madame la ministre, pourriez-vous nous indiquer si ce projet progresse et, plus globalement, nous dire la position du gouvernement français concernant le parlement de la zone euro ?

J’en viens à mon dernier point : la fiscalité. Je voudrais traiter du sujet des GAFA, mais surtout de l’ACCIS, l’assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés. Ce projet d’assiette commune, qui est en quelque sorte préparatoire à la convergence des taux, a été relancé en 2016 par la Commission européenne et adopté par le Parlement européen le 15 mars dernier sur le rapport de notre collègue député européen Alain Lamassoure.

L’ACCIS constituera un ensemble de règles communes en matière d’imposition pour les entreprises transfrontalières des vingt-sept pays de l’Union. L’idée est de limiter l’intérêt des délocalisations de résultats, de valeur ajoutée, de marges, entre des pays de l’Union européenne. Cela permettrait d’avoir un système unique, donc d’harmoniser l’assiette fiscale entre les États membres, et d’éviter ainsi les niches, exemptions et avantages fiscaux qui créent un différentiel entre les pays.

S’agissant plus particulièrement des GAFA, le commissaire européen Pierre Moscovici a annoncé tout à l’heure qu’il progressait sur ce sujet, dont j’imagine qu’il fera l’objet de discussions lors du prochain Conseil européen. M. Moscovici devrait proposer, demain, la taxation à 3 % du chiffre d’affaires des entreprises de ce secteur à partir d’une certaine taille.

Je rappelle qu’il est également proposé, notamment par Alain Lamassoure, que le projet de l’ACCIS intègre une disposition spécifique aux GAFA de manière à pérenniser la possibilité de les fiscaliser.

En tout cas, cette fiscalité plus juste et plus équitable est un sujet très sensible pour nos concitoyens ; une règle mieux respectée et harmonisée est attendue par l’ensemble des Européens. Madame la ministre, là encore, pouvez-vous faire le point pour nous sur ce dossier ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. La parole est à M. André Gattolin, pour le groupe La République En Marche.

M. André Gattolin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Conseil européen qui se tiendra les 22 et 23 mars prochains restera peut-être dans les annales de l’institution. Certes, il est à ce jour difficile de présumer que son caractère particulier dépendra de l’importance des décisions qui y seront prises, mais une chose est certaine, c’est que ce Conseil sera particulier au moins par sa forme et la nature des questions qu’il sera amené à soulever.

Sur la forme, tout d’abord, le prochain Conseil européen entérine dans les faits l’idée que l’Union européenne ne peut aujourd’hui avancer qu’à plusieurs vitesses. Il débutera en effet dans un format à 28, avant de passer rapidement à un format à 27 – sans le Royaume-Uni – pour s’achever à 19, au format propre de la zone euro. Nous faisons donc, à l’échelle du Conseil européen, ce que nous rechignons encore à faire clairement à l’échelon de la Commission et du Parlement européens, à savoir engager un processus de discussion et de décision bien distinct entre les États membres les plus intégrés et les autres.

Ce Conseil européen sera aussi particulier dans sa forme en ce que son ordre du jour est, pour une fois, relativement restreint, en tout cas plus raisonné et moins hétéroclite dans les sujets à aborder que lors des Conseils passés. La démocratie y gagne toujours en clarté et en lisibilité des choix.

Sur le fond, le Conseil européen ne pourra cependant pas manquer d’évoquer la soudaine et brusque tension diplomatique entre le Royaume-Uni et la Russie, à la suite de la tentative d’empoisonnement perpétrée à Salisbury à l’endroit de Sergueï et Ioulia Skripal. La réaction britannique à cette énième tentative d’assassinat laissant planer une intervention des services russes a été forte, très forte, et d’une ampleur sans précédent depuis la fin de la guerre froide.

Le 14 mars dernier, la Première ministre, Theresa May, annonçait en effet l’expulsion de vingt-trois diplomates russes. Le lendemain, les gouvernements français, allemand et américain exprimaient leur solidarité avec Mme May. Dans la foulée, la ministre de l’intérieur britannique, Mme Amber Rudd, accueillait favorablement la demande parlementaire de réouverture des enquêtes sur quatorze décès suspects – quatorze, pas moins ! - survenus sur le territoire britannique au cours des quinze dernières années.

Nous ne pouvons nous empêcher de tirer deux enseignements importants dans ce contexte.

Premier enseignement, malgré sa décision tonitruante de quitter l’Union européenne, le Royaume-Uni n’est pas une île : il a, sur ce sujet comme sur bien d’autres, besoin du soutien et de la coopération de ses alliés européens. Chaque jour qui passe ne manque d’ailleurs pas de rappeler aux autorités britanniques cette vérité qui dérange…

Second enseignement, cette affaire a incidemment l’avantage de ressouder un peu politiquement l’opinion britannique, mais aussi la majorité et le gouvernement de Mme May, sérieusement mis mal par les divergences de plus en plus nombreuses quant à leur gestion post-référendaire du pays.

En creux, l’affaire Skripal met cependant en lumière la mansuétude coupable dont les gouvernements britanniques successifs ont fait preuve à une époque où leur objectif principal était d’attirer massivement sur leur territoire, en particulier sur la place de Londres, les investissements de quelques oligarques peu recommandables.

La réalité qui se fait jour aujourd’hui, c’est que le Royaume-Uni, contrairement à ce que disent ses médias et une grande partie de sa classe politique, a souffert non de trop d’Europe, mais de son attitude répétée de cavalier seul en Europe et de son manque absolu de vision sérieuse de sa place au sein de l’Union européenne.

En effet, ce que l’aventure inédite du Brexit met très concrètement en lumière aujourd’hui, c’est le coût réel de la non-Europe. Certes, l’Union européenne est loin d’être parfaite et nous sommes les premiers à appeler à sa refondation. Bien plus, du fait même de son caractère institutionnel et politique complexe et inachevé, elle a du mal à répondre simultanément à toutes les crises qui la traversent et à relever tous les défis auxquels elle est confrontée. Aussi, nombre de voix s’élèvent partout en Europe pour déclarer que l’Union européenne aurait finalement échoué à réaliser son credo fondateur, celui d’instaurer durablement un espace de paix et de prospérité sur le continent européen.

C’est vrai, des tensions de plus en plus nombreuses émergent ou réémergent ces dernières années au sein de l’Union européenne entre certains de ses États membres, voire au sein même de ces États, comme en Catalogne, en Flandre ou en Écosse. Il est vrai aussi que, depuis la crise financière de 2008, la croissance dans l’Union européenne et dans la zone euro demeure assez atone au regard de celle qui est observée ailleurs, aux États-Unis et surtout dans les pays émergents.

Mais c’est oublier un peu vite le rôle majeur joué par l’Union européenne non seulement dans la réconciliation franco-allemande – tout cela est acquis –, mais aussi dans la consolidation démocratique de pays comme l’Espagne et le Portugal ou encore dans la réunification allemande, dans la réconciliation entre l’ouest et l’est de l’Europe, dans la pacification des Balkans orientaux et, last but not least, dans la fin de la guerre civile en Irlande du Nord.

Sur ce dernier point, le blocage idéologique et souverainiste dont souffre encore le gouvernement britannique dans les négociations actuelles sur les questions de la frontière irlandaise va à l’encontre de la réalité historique, à savoir le poids de l’Union européenne et le rôle capital qu’elle a joué dans le règlement de cette guerre civile aux relents de guerre de religion.

Pourtant, cette réalité a été écrite noir sur blanc dans un très intéressant rapport du mois de décembre 2016, rédigé par nos collègues de la Chambre des Lords, soulignant le rôle majeur de l’Union européenne dans le processus de paix, notamment au regard des garanties apportées par l’Union européenne dans l’application concrète de l’accord de Belfast de 1998, de son effet sur la transformation des relations bilatérales et l’apaisement des tensions communautaires en Irlande du Nord et de l’impact considérable qu’ont eu et continuent d’avoir les financements européens en Irlande du Nord.

Alors oui, c’est incontestable, l’appartenance à l’Union européenne est encore et toujours source de pacification. Souhaitons que Mme May revienne vite à la raison et accepte la proposition juste et mesurée formulée par les négociateurs européens sur la question irlandaise.

L’Union européenne est donc un espace de paix, mais aussi toujours un espace de prospérité. Certes, il faut bien le dire, cette prospérité est à présent relative et assez fragile. Aussi est-il indispensable de la relancer : c’est notamment pourquoi la France propose de renforcer la zone euro, d’harmoniser les politiques fiscales et industrielles, de taxer les revenus des grands groupes du numérique.

Toutefois, le coût d’une future non-appartenance à l’Europe s’observe déjà très concrètement dans l’évolution récente et à venir de la croissance au Royaume-Uni. Il est en effet déjà loin le temps où, en 2014, l’ex-Premier ministre, M. David Cameron, plastronnait et promettait la tenue d’un référendum sur le maintien ou non dans l’Union européenne. Cette année-là, le Royaume-Uni affichait une insolente progression de 3,1 % de son PIB, quand la zone euro n’était qu’à 1,3 %. Aujourd’hui, les courbes ne cessent de s’inverser, puisque toutes les prévisions pour l’année en cours et les années à venir laissent entrevoir un différentiel important au bénéfice de la zone euro.

J’espère, madame la ministre, qu’à l’occasion de ce Conseil européen la France et ses partenaires auront à cœur de ramener nos amis britanniques à plus de raison, en leur rappelant peut-être cette belle formule du grand écrivain anglo-australien Arthur Upfield : « Ce que l’on croit n’a aucune importance. Seuls les faits comptent. » (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste.)

M. Loïc Hervé. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, aux premiers temps de la République romaine, au début du Ve siècle avant notre ère, à plusieurs reprises, la plèbe décida et organisa sa sécession en se rassemblant hors de la Ville pour protester contre les abus de pouvoir des patriciens, le poids des dettes qui pesaient sur elle et son exclusion des magistratures. En s’insurgeant de la sorte, elle voulut montrer son opposition à une forme de gouvernement qui l’excluait et qui ignorait son souhait d’être mieux associée à la vie politique de la cité.

Vous me permettrez de considérer que les électeurs italiens viennent de manifester, par la radicalité de leurs votes, une forme moderne de ce retirement. À l’occasion de ce débat, il nous incombe de comprendre pourquoi le rejet de l’Europe est devenu, dans ce pays fondateur de l’Union européenne, le socle commun des extrémismes et de la xénophobie, d’autant que le séisme politique qui vient de toucher l’Italie s’ajoute à ceux qui ont déjà ébranlé l’Allemagne, l’Autriche, la Lettonie, la Hongrie, le Danemark, la Suède, la Slovaquie.

Dans tous ces pays, une extrême droite résolument raciste et anti-européenne s’est solidement installée dans les parlements et, parfois, dans les gouvernements. Au délitement de l’idée européenne fondée sur la démocratie, la paix, les droits de l’homme et la solidarité, elle oppose la fermeture des frontières, la chasse aux étrangers, le repli identitaire et, souvent, la volonté de constituer de nouvelles entités nationales au-delà ou en deçà des limites actuelles des États. Des élections européennes se dérouleront, dans un peu moins d’un an, au mois de mai 2019. Chers collègues, tremblons à l’idée, de moins en moins invraisemblable, que ces forces puissent devenir la principale composante du futur Parlement européen.

Comment en est-on arrivé là ? Comment l’Italie, pays connu depuis toujours comme l’un des plus actifs partisans de la construction européenne, s’en éloigne-t-elle aujourd’hui avec autant de violence ?

D’aucuns ont estimé, non sans raison, que l’afflux de réfugiés dans la péninsule avait contribué à déstabiliser une société déjà fragilisée par la crise. Il est vrai que l’Italie comme la Grèce ont dû gérer cet accueil sans grande aide de l’Union européenne, dont la plupart des membres leur ont refusé toute forme de solidarité.

Les organisations non gouvernementales évaluent à plus de 10 000 le nombre de réfugiés qui vivent en Italie, dans des campements de fortune, sans aucune aide. Malgré les appels du pape François, qui exhorte les Italiens à les recevoir dignement, parce que « les pauvres sont [notre] trésor », la peur de l’étranger est devenue la manifestation d’une opposition radicale à la globalisation, dans sa variante européenne, et de ses conséquences toujours plus destructrices.

Parcourez l’Italie du Sud et la Sicile et comprenez, à la vue de leurs innombrables friches industrielles, que le mal est là, dans ces tissus économiques totalement déstructurés par trente années d’une crise sans fin. La carte électorale de l’Italie est aujourd’hui celle de la pauvreté, celle des régions en voie de sous-développement, celle de l’exode des jeunes diplômés vers le nord, dans un mouvement similaire à celui qui avait poussé hors du pays leurs grands-parents et leurs arrières grands-parents.

Au-delà de ces terres du Sud, partout en Europe, vous trouverez des régions entières subissant ce même déclin et manifestant, vis-à-vis de l’Union européenne, le même dédain.

Ainsi, pour les mêmes raisons, les Midlands, accablées par la perte de leurs industries, ont voté massivement en faveur du Brexit. La production manufacturière ne représente plus que 9 % du PIB du Royaume-Uni, et son recul a été le plus dévastateur dans ces régions qui constituaient naguère le cœur historique de la révolution industrielle. Pour leurs chômeurs, ce déclin est associé à la construction européenne et il leur est parfaitement indifférent que la City perde son passeport financier à la suite du Brexit, tant le destin de cet îlot de richesse leur est devenu aujourd’hui étranger.

En France, des processus similaires sont à l’œuvre et je vous rappelle que, depuis quarante ans, la valeur ajoutée de l’industrie manufacturière dans l’économie a été divisée par deux.

Ce reflux général a vidé de leur substance nombre d’anciens bassins industriels.

Ces déclassements de régions entières sont les conséquences d’une redistribution géographique majeure de la production industrielle, qui se réalise maintenant à l’échelle européenne. De nombreux emplois parmi les moins qualifiés ont migré vers l’est de l’Europe et les productions à haute valeur ajoutée sont maintenant concentrées dans un petit nombre de pays de l’Europe du Nord, qui ont maintenu, puis renforcé leur capacité dans ces domaines.

Ces emplois perdus ont rarement été remplacés par de nouveaux postes créés dans d’autres secteurs économiques. Il en résulte de fortes disparités géographiques de la richesse qui ne cessent de s’accroître et qui minent les fondements d’une Europe qui ne peut se perpétuer sans être solidaire.

L’Allemagne est souvent considérée comme la responsable de ces déséquilibres économiques, parce qu’elle aurait imposé une politique économique et monétaire favorable à ses seuls intérêts. La critique est en partie injuste, car son gouvernement a soumis son propre peuple au même ordo-libéralisme, avec les mêmes conséquences sociales.

Dans son rapport du 7 mars dernier, la Commission européenne note ainsi que la faiblesse de la demande intérieure et la stabilité des salaires, associées à une production économique inférieure à celle de 2009, ont eu pour conséquence d’accroître considérablement les inégalités sociales et la pauvreté en Allemagne. Plus de 60 % des richesses de ce pays sont détenues par 10 % de la population, alors que la moitié des ménages les plus pauvres n’en détiennent que 1 %. L’emploi à temps partiel a beaucoup progressé ; surtout, près de trois millions de travailleurs sont obligés d’exercer un second emploi pour vivre. De façon synthétique, le coefficient de Gini, qui mesure les inégalités de traitement, place l’Allemagne au sommet des pays les plus inégalitaires de l’Europe.

Face à cette crise de l’Europe, une nouvelle fois, le renforcement de la relation franco-allemande nous est proposé comme la seule solution possible. Elle est sans espoir à défaut d’une analyse radicale de l’ordo-libéralisme institué comme principe régulateur de l’espace économique européen. Cette doctrine impose l’équilibre budgétaire, l’indépendance monétaire et un niveau élevé de concurrence pour mettre l’entreprise au service de la société et prétendument offrir à chacun de ses membres la faculté d’y prospérer.

Alors que le XXIe siècle nous est présenté comme celui d’une ère sans idéologie, il est urgent d’abandonner ce dogme dont l’état social de l’Europe montre qu’il nous conduit à l’abîme. Notre Union européenne n’a pas besoin de grande déclamation, depuis la colline de la Pnyx ou l’amphithéâtre de la Sorbonne (M. Roger Karoutchi sexclame), pour convoquer les mânes des pères fondateurs de l’Europe, si nous sommes incapables de comprendre qu’il nous faut d’abord trouver, dans l’urgence de la catastrophe qui vient, des moyens pour soulager le quotidien de millions d’Européens qui vivent dans ces territoires de relégation, condamnés par des processus économiques qui les excluent.

Ayons l’audace salvatrice d’affirmer, dans les discussions à venir, que le seul horizon pour sauver l’Europe est celui de la réduction des inégalités. Des politiques en rupture avec les dogmes de l’ordo-libéralisme sont expérimentées en ce moment. Elles prouvent, par leur succès, qu’il est possible de concilier le développement, la redistribution de la richesse et l’indispensable solidarité entre les individus et les territoires. Sortons de la pensée unique pour poser les bases d’une analyse rigoureuse des conséquences sociales des politiques économiques.

Replaçons maintenant l’humain et la société au cœur de nos préoccupations. Soyons humanistes pour tenter d’éviter que l’Europe de demain ne soit plus qu’un espace dédié à la libre circulation des marchandises et livré aux forces antidémocratiques. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Président de la République a demandé et obtenu la confiance des Français sur un programme faisant une large place à la construction européenne et à l’affirmation de notre communauté de destin.

À plusieurs reprises, il a exprimé l’ambition européenne de notre pays, qui prend la forme d’une exigence. Il en a présenté les fondements intellectuels et historiques, mais en a également tracé les perspectives lors de son discours de la Sorbonne, auquel il a été fait référence.

À la veille du prochain Conseil européen, le soutien à l’action européenne du Président de la République est plus que jamais nécessaire. Mon propos n’est pas simplement la manifestation de ce soutien, même si je l’assume volontiers, il est aussi l’expression des intérêts de notre pays.

Mes chers collègues, nous pouvons aisément mesurer l’imbrication des enjeux français et des enjeux européens par le nombre, la diversité, l’importance des sujets que vous évoquez les uns et les autres à la suite de l’intervention de Mme la ministre. Cela illustre assez bien vos attentes, ce que vous avez appelé, suivant des formules différentes, le coût de la non-Europe, l’espoir de plus d’Europe ou d’une autre Europe. Quels que soient les points de vue exprimés par les différents groupes, un fil rouge se devine, me semble-t-il : une forme de gravité, peut-être un peu plus lourde encore que celle que nous avons pu entendre lors d’autres débats de ce type.

La République romaine, voire l’Empire romain, puis les Midlands de la seconde moitié du XIXe siècle ont été rappelés à notre attention. Je partage, chers collègues, l’intérêt de cette mise en perspective historique, je la crois même indispensable. J’aurais toutefois tendance à y ajouter, pour le saluer, le travail qui a été accompli depuis la Seconde Guerre mondiale par les gouvernements successifs des États membres de l’Europe – c’est tout à leur honneur -, ainsi que l’ampleur des chantiers entrepris tout autant que – et c’est heureux – les résultats.

Il est important de conserver cette perspective historique, y compris pour le couple franco-allemand, dont on nous disait il y a un instant qu’il était sans espoir. Je considère qu’il est au contraire plein d’espoir ; en tout cas, il est de nouveau opérationnel, avec un axe européen marqué dans le contrat de grande coalition. Mais il existe aussi des prudences rédactionnelles, de sorte que, entre ambition européenne et prudences rédactionnelles, des inquiétudes sur le risque d’un statu quo peuvent surgir. D’une certaine manière, il faut faire attention à ne pas s’en tenir aux formules de style quand on parle du couple franco-allemand. Certes, c’est un élément essentiel, mais il convient de souhaiter que, au-delà de la formule, le contenu soit à la hauteur des enjeux dans les mois qui viennent.

Le thème même du Conseil européen, à savoir l’emploi, la croissance et la compétitivité, pourrait inciter à une forme de statu quo. Je nourris quelques craintes à cet égard tant pour certains, notamment pour les pays du nord de l’Europe, l’Union européenne apparaît dans la durée comme une forme d’îlot de stabilité et de prospérité, du moins par rapport aux malheurs du monde.

Reste que, vous le savez, rien n’est acquis, en particulier pour notre pays, qui a devant lui de nombreuses réformes à mener – nos partenaires nous le rappellent régulièrement – pour regagner une position de leader économique en Europe que nous n’aurions jamais dû quitter et réduire notre taux de chômage, comme l’ont fait avec succès plusieurs de nos voisins.

C’est dire, chers collègues, que la politique économique de la zone euro, sa gouvernance, l’union bancaire, le marché unique des capitaux ont besoin de décisions, que la convergence fiscale, sur laquelle plusieurs d’entre vous ont insisté, est à mettre en œuvre, depuis les taux de l’impôt sur les sociétés en passant par les rescrits fiscaux, sans oublier la fiscalité du numérique, qui confine à la caricature.

Ainsi, Google paierait un impôt représentant 9 % de son chiffre d’affaires hors de l’Union européenne, à comparer au minuscule 1 % – 0,92 % paraît-il-, payé dans l’Union européenne. Et que dire de Facebook, qui réussirait la performance de descendre à moins de 0,10 % ?

La question des droits de douane est venue s’ajouter à ces difficultés, avec les initiatives individuelles des États-Unis, qui sont graves par leurs conséquences européennes, mais surtout par le fait que ce pays tourne le dos à toute forme de régulation internationale. Cela vaut pour l’aspect économique, mais aussi pour d’autres grands enjeux plus stratégiques, en particulier la question de l’accord sur le nucléaire autour de l’Iran et la deadline du 12 mai prochain.

Madame la ministre, vous comprendrez que, pour mes collègues comme pour moi-même, la voix de l’Europe soit particulièrement attendue sur ces différents sujets.

Il faut dire aussi que le contexte géopolitique est très lourd, du Moyen-Orient à la Russie, de l’Ukraine à la mer de Chine. Même pour ceux qui ont la foi européenne chevillée au corps, le découplage entre les enjeux géostratégiques, la montée en puissance militaire d’États-continents et les précautions oratoires ou les pudeurs qui peuvent exister en Europe, par exemple autour de la politique de défense, peuvent quelque peu agacer.

Mes chers collègues, à côté des enjeux économiques que je viens d’évoquer rapidement et des enjeux géostratégiques, l’Europe a des défis particuliers à relever, en matière de sécurité, d’immigration, de gouvernance économique.

En matière de sécurité, les risques sont nombreux, qu’il s’agisse des questions de défense ou de lutte contre le terrorisme. Ils trouvent maintenant leur véritable horizon de traitement à l’échelon de l’Europe. Si, en la matière, un seul doute persistait, l’exemplaire obsession de nos amis Britanniques à rester dans le cercle européen de la défense ou le cercle européen de la lutte contre le terrorisme le lèverait.

Il en est de même pour les enjeux en matière d’immigration. Plusieurs d’entre vous ont rappelé qu’à ne pas traiter correctement ces questions on s’exposait à des risques similaires à ceux qui viennent de se traduire sur le plan électoral en Italie.

Cette situation n’est peut-être pas unique, nous la retrouverons d’une certaine manière dans quelques semaines avec la réforme du droit d’asile, qui donne lieu à de nombreux débats dans notre pays. Sur ce sujet, je dois dire que, même pour des observateurs bienveillants vis-à-vis du Gouvernement, cette réforme peut paraître quelque peu surprenante tant la problématique du droit d’asile n’est plus franco-française, mais doit trouver sa place à l’échelon européen.

La gouvernance démocratique a été évoquée. J’aurais souhaité mentionner les consultations citoyennes comme l’importance de la conservation des idéaux, mais le temps me manque.

En conclusion, madame la ministre, je souhaite que, demain et après-demain, le Conseil européen puisse prendre des décisions. Le plus grave est aujourd’hui la non-décision. Au-delà des contenus, dont il ne faut pas se désintéresser, une aspiration forte s’exprime pour que des décisions soient arrêtées et qu’une feuille de route soit fixée. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – M. le président de la commission des affaires européennes et M. le président de la commission des affaires étrangères applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour le groupe socialiste et républicain.

Mme Sylvie Robert. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Conseil européen des 22 et 23 mars prochains se déroule dans un contexte où l’instabilité et les inquiétudes s’intensifient. L’imposition de droits de douane sur les importations d’aluminium et d’acier aux États-Unis ainsi que les tensions accrues avec la Russie tendent encore davantage les relations diplomatiques.

En interne, l’Union européenne doit avancer tangiblement sur des dossiers cruciaux, qui détermineront son avenir à moyen terme, parmi lesquels la question de son budget après 2020, la sortie du Royaume-Uni ou encore l’amélioration du dialogue social. Ce Conseil européen a donc un rôle majeur à jouer en termes d’impulsion politique, d’autant plus qu’il se situe à un an des élections européennes. Il sera l’occasion de vérifier, ni plus ni moins, l’ambition des chefs d’État pour l’Europe, à un moment où il se révèle impérieux de conforter le pôle de stabilité, de solidarité et de protection qu’est l’Union européenne.

Dans cette perspective, le profil du futur cadre financier pluriannuel de l’Union européenne sera un signal essentiel. En effet, le Brexit va créer un manque à gagner estimé entre 12 milliards d’euros et 15 milliards d’euros par an, soit 10 % à 15 % des ressources propres de l’Union européenne.

En parallèle, la Commission européenne et les dirigeants des États membres n’ont de cesse d’exprimer leur volonté de voir l’Union européenne monter en puissance sur un certain nombre de missions pour le moins non négligeables. C’est, par exemple, le cas en matière d’asile et de gestion des flux migratoires, de défense et de sécurité européennes, de soutien à l’industrie et à l’innovation. En d’autres termes, le cadre financier pluriannuel post 2020 est une équation : comment répondre à l’ensemble des défis, toujours plus nombreux, qui se posent à l’Union européenne sans la contribution du Royaume-Uni ?

La réponse logique voudrait qu’il faille augmenter le montant du budget actuel. À cet égard, le Parlement européen vient de démontrer, dans sa position adoptée très largement, que, pour remplir a minima ses missions actuelles, l’Union européenne devrait voir son budget porté à 1,3 % du PIB européen. Pour rappel, il est actuellement à 1 %, alors qu’il représentait 1,25 % du PIB de l’Union européenne en 1999.

Or la Commission européenne semble aujourd’hui s’orienter vers un plafond maintenu à 1 %, voire à 1,1 % du PIB européen, tandis que les États membres, à l’occasion du Conseil européen informel du mois de février dernier, paraissent avoir acté une baisse des ressources du budget pour cause de Brexit. Il est pourtant clair que l’on ne peut faire plus avec moins…

Avoir une réelle ambition pour l’Europe aujourd’hui oblige à élargir les ressources propres de l’Union européenne. Par-delà les éventuelles hausses de contribution des États membres, qui sont certes un signal, mais aucunement une solution pérenne, nous ne pouvons pas reporter, encore une fois, les négociations sur cette thématique. C’est le moment idoine !

Par conséquent, madame la ministre, le Gouvernement est-il prêt à appuyer l’idée d’une augmentation des ressources propres de l’Union européenne ? Sans cela, ce sont les politiques européennes essentielles à la matérialisation du principe de solidarité qui risquent d’en subir les conséquences : la PAC et les politiques de cohésion au premier chef. Ce serait une erreur colossale !

Vous connaissez notre attachement, ici, au Sénat, à ces deux politiques structurelles, qui permettent d’établir un lien direct entre Bruxelles et tous les territoires, de lutter contre le sentiment d’éloignement que peuvent ressentir les citoyens européens à l’égard de l’Union européenne, de tout simplement rendre concrètes les avancées si nombreuses que favorise l’Union européenne.

Dans le climat actuel, caractérisé par une montée généralisée du populisme ainsi que par une critique facile à l’encontre des institutions européennes, la PAC et les politiques de cohésion sont précieuses. Il convient de les préserver à tout prix, tout en assurant à l’UE d’avoir les moyens de répondre aux nouveaux enjeux. Il convient de ne pas oublier que le budget européen n’est pas uniquement un instrument financier ; il est l’expression de choix politiques qui traduisent une ambition. Nous avons besoin d’avoir des preuves de cette ambition, et il est temps de convaincre !

Par ailleurs, la réforme de la zone euro, dont la feuille de route doit être adoptée en juin prochain, est l’occasion de marquer une ambition pour l’Europe. Or, eu égard aux dernières réunions au niveau ministériel, des inquiétudes de taille peuvent poindre : l’achèvement de l’union bancaire semble être en difficulté, en particulier sur la question clé du fonds européen de garantie des dépôts ; la réforme du semestre européen risque, quant à elle, d’aboutir à conditionner l’attribution des fonds de cohésion à l’aboutissement de réformes structurelles. Les collectivités ne doivent surtout pas être tenues responsables des choix budgétaires des gouvernements.

Avoir une ambition pour l’Europe, c’est aussi regarder vers l’avenir, donc vers la jeunesse. Le programme Erasmus, peut-être davantage que tout autre de l’Union européenne, a fait ses preuves et est reconnu. De nombreux étudiants ont bénéficié et bénéficient encore de cette ouverture à l’Europe, de la richesse d’un séjour dans un autre pays membre. Au retour de leur expérience, ils deviennent, en quelque sorte, des ambassadeurs de l’Europe et incarnent, concrètement, cette idée d’union des peuples européens.

Ainsi, il est heureux que les ministres de l’éducation aient annoncé, unanimement, leur volonté de renforcer considérablement Erasmus. Certains prônent un doublement de la dotation, fixée à 14,7 milliards d’euros pour la période 2014-2020, d’autres un triplement. Néanmoins, au-delà de la problématique afférente au montant du programme, il est intéressant de s’interroger sur l’ouverture d’Erasmus à l’enseignement professionnel, voire au secondaire ou aux jeunes diplômés, comme quelques États membres le recommandent. Surtout, nous nous inquiétons du risque de substitution d’un système de bourses à un système de prêts individuels, afin de tenir l’objectif d’un doublement d’Erasmus. Nous aimerions avoir des précisions et des garanties du Gouvernement sur ce point, madame la ministre, car Erasmus doit pouvoir profiter à l’ensemble des jeunes et non à quelques-uns qui auraient un capital financier de départ plus substantiel.

Enfin, dans nos rangs, vous le savez, notre ambition a toujours été sociale. Jacques Delors a lancé ce mouvement indispensable, car le marché unique sans le bien-être social des citoyens européens n’a que peu d’intérêt. Pourtant, ce dialogue social européen s’est amplement essoufflé ces deux dernières décennies. C’est pourquoi nous ne pouvons que nous réjouir des récentes avancées qui consolident le pilier social européen.

La proposition de la Commission concernant la création d’une autorité européenne du travail était attendue. Elle ne sera pas la résultante d’une fusion entre les agences existantes et aura comme principale tâche, en tout cas dans l’immédiat, de garantir la libre circulation des travailleurs, dans le respect des règles européennes en matière de détachement, dont la réforme vient justement d’aboutir.

La proposition sur la coordination des systèmes de sécurité sociale visant à améliorer l’accès à la protection sociale en élargissant la couverture à tous les travailleurs et en rendant plus effectifs les droits sociaux des citoyens fixe des objectifs qui donnent tout son sens à l’Union européenne : protéger et améliorer le quotidien de chacun.

Les vingt principes du socle européen des droits sociaux, proclamés l’automne dernier, assoient cette finalité sociale de l’UE. Sans attendre les actes juridiques européens, qui donneront corps à ces principes, la Commission a encouragé les États membres à les traduire, in concreto, dans leur ordre interne. Il y va de l’égalité entre les femmes et les hommes, de l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée, du dialogue social dans l’entreprise ; en somme, de thèmes sociaux majeurs, à l’actualité contemporaine et aux incidences multiples : le congé de paternité, l’égalité salariale, le rôle de l’entreprise, etc. Où en est le Gouvernement dans la traduction nationale de ce socle européen ?

Mes chers collègues, ce Conseil européen n’est pas anodin : il permettra de jauger l’ambition des États membres pour l’Europe. Nous espérons que le Président de la République saura mettre en conformité ses déclarations avec des engagements tangibles et élevés au service de l’UE et, surtout, au service de ses citoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.

Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Conseil européen des 22 et 23 mars sera d’une grande importance pour l’Europe économique et pour l’Europe sociale. Il sera d’abord l’occasion pour les chefs d’État ou de gouvernement de lancer le fameux « semestre européen », en adoptant les priorités économiques de l’Union, fondées sur l’examen annuel de la croissance.

Le « semestre européen » est le principal outil de convergence des économies européennes et s’articule autour de trois axes de coordination : premièrement, les réformes structurelles, qui visent principalement à promouvoir la croissance et l’emploi, conformément à la stratégie Europe 2020 ; deuxièmement, les politiques budgétaires, dans le but d’assurer la viabilité des finances publiques, conformément au pacte de stabilité et de croissance ; enfin, la prévention des déséquilibres macroéconomiques excessifs.

Sur ce dernier point, je me réjouis de la récente décision de la Commission européenne de sortir la France de la catégorie des pays à « déséquilibres macroéconomiques excessifs » pour la première fois depuis dix ans. Le 6 mars dernier, la Commission a en effet publié son diagnostic annuel sur la santé des pays européens, et la France a recueilli un satisfecit pour les réformes entreprises.

Cette nouvelle est encourageante, mais fait peser une responsabilité accrue sur le Président de la République et sur le Gouvernement pour poursuivre l’assainissement des finances publiques et les réformes de structure. Par exemple, le niveau de notre dette publique et l’aggravation continuelle de notre déficit commercial depuis plusieurs années sont des points très préoccupants,…

Mme Colette Mélot. … qui devront faire l’objet d’actions extrêmement fermes à court terme.

Lors de l’examen des lois financières de l’automne, notre groupe a défendu cette logique de responsabilité budgétaire et de réformes structurelles ambitieuses. Elle est pour nous cruciale pour retrouver notre crédibilité en Europe et la capacité d’entraînement politique qui nous a fait défaut ces dernières années.

Ce Conseil européen sera donc éminemment économique, mais son ordre du jour apporte également beaucoup d’espoir aux tenants d’une Europe plus sociale, plus juste et plus solidaire. Je crois en effet que ces deux aspects de la construction européenne vont de pair et que l’Europe sociale a trop longtemps été négligée au profit du marché unique. Le primat du « grand marché » a sans doute été une cause du désenchantement des peuples que nous observons depuis plusieurs années. Il est heureux que l’Union européenne tente enfin de marcher sur les deux jambes de l’efficacité économique et de la justice sociale. L’une ne peut aller sans l’autre.

Un discours du pape Benoît XVI, ce grand européen, m’a beaucoup marquée. En 2007, à Vienne, devant le corps diplomatique, il évoquait avec attachement notre « maison Europe », notre « modèle européen », qu’il qualifiait « d’ordre social qui conjugue efficacité économique avec justice sociale, pluralité politique avec tolérance, libéralité et ouverture ». Il affirmait que ce modèle était menacé par une mondialisation qu’il ne s’agissait pas de combattre - c’est une illusion populiste -, mais de canaliser, de réguler, pour préserver l’autonomie des plus fragiles et le bien-être des générations futures. Je crois qu’il exprimait ainsi le sens profond du projet européen et le rôle historique de ses institutions.

Aussi, je me félicite que l’ordre du jour social de ce Conseil européen soit fourni et ambitieux. La mise en œuvre concrète du « socle de droits sociaux » est par exemple une nécessité pour harmoniser les conditions de vie des travailleurs européens.

La proposition de création d’une « autorité européenne du travail et pour l’accès à la protection sociale » est également une bonne initiative de la Commission : elle permettra de remédier aux failles du marché unique, tout en exploitant tout son potentiel pour la mobilité des travailleurs. Sa mission sera d’encourager la coopération des États membres en matière réglementaire, d’échange d’informations et de médiation. Dans la continuité de l’initiative du Président de la République sur le travail détaché, la France devra soutenir la création d’une institution puissante et efficace, au mandat élargi.

En matière de fiscalité numérique, c’est toujours l’idée d’un équilibre entre l’efficacité économique et la justice fiscale qui devra présider aux mesures qui seront présentées lors du prochain Conseil européen.

Ce dossier est complexe. Il inclut de nombreux facteurs, dans un environnement technologique changeant. Il impose de trouver un équilibre politique entre l’encouragement de l’innovation et la juste contribution aux charges communes. Les plus grands économistes du monde, dont le prix Nobel français Jean Tirole, ont admis que la fiscalité de l’économie numérique est un grand défi contemporain : il s’agit bien ici de prendre en compte des modèles économiques en réseau, qui échappent par nature à la territorialité de l’impôt et qui profitent de surcroît de la concurrence fiscale entre les États membres de l’Union.

Cette question illustre parfaitement pourquoi nous avons besoin de plus d’Europe : seule une Union européenne unie, solidaire et parlant d’une seule voix sera capable de peser face aux géants du numérique américains et, demain, chinois.

Je terminerai donc par ce dernier point : l’Europe doit être plus efficace, je l’ai dit ; elle doit être plus juste, je l’ai rappelé, mais elle doit également être plus unie et plus forte pour défendre ses valeurs et ses intérêts dans le monde.

Avec le départ du Royaume-Uni, la France doit plus que jamais entraîner l’Union européenne vers un avenir de puissance, notamment avec nos partenaires et amis allemands. Le cinquante-cinquième anniversaire du traité de l’Élysée, que nous avons fêté il y a deux mois, a d’ailleurs démontré la volonté du Président de la République et de la Chancelière allemande de relancer le projet européen grâce à la force motrice indiscutable du couple franco-allemand. Pour autant, l’Union européenne compte vingt-huit, bientôt vingt-sept États membres, et chacun aura un rôle essentiel à jouer afin que nous puissions incarner une véritable « Europe puissance ».

Cette « Europe puissance », défenseur de ses intérêts et protectrice de ses valeurs, ne peut néanmoins fonctionner que si tous ses États membres et institutions jouent le jeu. J’en veux pour preuve la récente nomination de Martin Selmayr au poste de secrétaire général de la Commission européenne, dans des conditions inacceptables, qui jette une ombre sur le projet européen. Le président du groupe Les Indépendants, Claude Malhuret, l’a d’ailleurs parfaitement expliqué lors de sa question au ministre de l’Europe et des affaires étrangères, la semaine dernière : « À l’aube des élections européennes, cette nomination dans des conditions obscures est un cadeau aux europhobes, qui vont dénoncer l’opacité, les manœuvres internes et le manque de démocratie qu’ils reprochent à l’Europe. » Il est absolument nécessaire que la France conteste cette nomination lors du prochain Conseil européen, en dénonçant le manque de transparence de la procédure ainsi que la surreprésentation de l’Allemagne au sein des postes clés des institutions de l’Union.

Sans hurler avec les loups populistes et eurosceptiques, les partisans de la construction européenne doivent avoir le courage de critiquer ce qu’ils aiment et qu’ils défendent : non pas dans une critique abrasive, destructrice, haineuse, celle des europhobes, mais dans une critique constructive et bienveillante, avec l’idée de rebâtir la « maison Europe » sur des fondations plus fermes et plus durables. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe La République En Marche, du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste. – M. le président de la commission des affaires européennes applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les sujets abordés lors de ce Conseil européen seront multiples. Je me concentrerai donc sur un seul point, et non des moindres, celui de l’adhésion possible de la Turquie à l’Union européenne.

M. Stéphane Ravier. Car, au-delà de l’enfumage médiatique et des déclarations d’un certain nombre de nos collègues parlementaires nationaux, la vérité, que nous devons aux Français, est que les négociations entre la Turquie et les mondialistes de l’Union européiste vont bon train. J’en veux pour preuve une réunion prévue le 26 mars à Varna, en Bulgarie, où les dirigeants de l’Union rencontreront le Président turc Erdogan pour faire le point sur les relations entre l’Union européenne et la Turquie.

« Nous devons normaliser les relations avec la Turquie », a soutenu le Premier ministre bulgare lors d’une réunion avec M. Juncker, le 12 janvier à Sofia. Le président de la Commission européenne avait, pour sa part, déploré la détérioration des relations avec Ankara. Je le cite : « La Turquie s’éloigne d’elle-même à grands pas de l’Europe. »

Cette rencontre de Varna veut permettre de renouer le dialogue. Personne ne s’en cache ! « Elle doit nous permettre de partager nos points de vue sur la façon de faire avancer notre relation, sur la base du respect mutuel et de l’intérêt commun », ont insisté MM. Tusk et Juncker dans leur lettre au Président Erdogan.

Alors, nous le disons, nous, au Front national, et nous sommes les seuls : nous ne voulons pas renouer le dialogue avec la Turquie ! Nous demandons, et ce depuis le début des négociations, l’arrêt définitif du processus d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne.

Pourquoi ? Car, mes chers collègues, l’histoire, c’est avant tout la géographie ! Prenez une carte du monde : vous aurez beau la présenter dans tous les sens, la secouer, la rouler en boule, la déployer, la Turquie ne fera toujours pas et ne fera jamais partie du continent européen !

Pourquoi ? Car la Turquie islamique ne fait pas partie culturellement de l’Europe chrétienne ; n’en déplaise aux talibans de la laïcité et aux marchands du temple, l’Europe, c’est avant tout un héritage helléno-judéo-chrétien !

Pourquoi ? Car la Turquie dictatoriale d’Erdogan ne fait pas partie de l’Europe démocratique. Depuis la tentative de pu-putsch de l’été 2016, l’état d’urgence perdure en Turquie, et il est bien évidemment un prétexte pour étendre la répression bien au-delà de la mouvance accusée d’avoir fomenté le coup d’État.

Un rapport du Haut-Commissariat de l’ONU, en date du 20 mars dernier, dénonce les arrestations arbitraires et le renvoi des fonctionnaires. Les chiffres donnent le vertige : 50 000 arrestations, dont 160 journalistes, 150 universitaires ; 150 000 fonctionnaires ont été suspendus ou radiés. On ne compte plus les remises en cause de l’État de droit et de l’indépendance de la justice.

Un siècle après le terrible génocide arménien, les Turcs continuent de persécuter les quelques communautés chrétiennes qui subsistent dans ce pays en pleine réislamisation, délaissant le patrimoine chrétien pourtant multiséculaire.

Avec ses 80 millions d’habitants, l’adhésion de la Turquie fera de l’Europe une autre petite nièce de l’islam et une cible de l’islamisme, comme pourraient le craindre certains intellectuels français. Cela aussi, je tiens à le dénoncer.

Réduction du rôle du Parlement et concentration de ses pouvoirs entre les mains du Président, presse aux ordres, justice sous pression, opposition muselée, islamisme conquérant, décidément, la Turquie ressemble de plus en plus à la Macronie ! (Protestations sur de nombreuses travées.) C’est la raison pour laquelle, peut-être, Emmanuel Macron recevait en grande pompe, en janvier dernier, à l’Élysée, le Président turc. Alors, de grâce, mes chers collègues, finissons-en…

M. Olivier Cadic. Oui, de grâce…

M. Stéphane Ravier. … avec cette hypocrisie, car l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne est un processus qui avance masqué, mais qui avance, et à marche forcée, contre l’avis des peuples, contre l’avis des Français et avec le soutien zélé de nos collègues socialistes et Les Républicains au Parlement européen.

Mme Nathalie Goulet. N’importe quoi !

M. Stéphane Ravier. La Turquie, qui après avoir reçu 7 milliards d’euros de l’Europe, doit en recevoir 6 milliards de plus dans les trois ans à venir, et ce en échange de la maîtrise des flux migratoires, comme le veut un accord funeste signé en mars 2016.

Insupportable chantage du Président Erdogan ! L’adage chiraquien, qui veut que les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent, prend toute sa signification lorsque M. Erdogan promet de freiner les flux migratoires.

Chiffres à l’appui - ça rentre comme il pleut ! -, ce sont plus de 5 millions de migrants,…

M. Fabien Gay. Vous parlez d’êtres humains !

M. Stéphane Ravier. … de clandestins qui ont déferlé sur l’Europe entre 2011 et 2017.

Mme Nathalie Goulet. C’est long, cinq minutes !

M. Stéphane Ravier. Et la Turquie continue d’être une terre de passage, alors que le nombre de traversées mensuelles de la mer Égée continue d’avoisiner les 5 000 !

Alors, madame la ministre, mes chers collègues, je vous le dis, pour des raisons géographiques, historiques, culturelles, politiques et démocratiques : non, définitivement non à la Turquie en Europe !

M. Antoine Lefèvre. Ce n’est pas le sujet !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – Mme Colette Mélot applaudit également.)

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. « Retrouver l’esprit de Rome », plaidait, en février 2017, le rapport du Sénat sur l’état de l’Europe.

Le Brexit, tout autant que les doutes de nos concitoyens exigent que l’on refonde une Europe déjà en crise. C’est cette priorité qu’ont réaffirmée le Président de la République et la Chancelière à Paris, vendredi dernier.

Le rapport du Sénat disait qu’il fallait retrouver un leadership : le couple franco-allemand est désormais à nouveau sur pied. Alors, halte aux dérives bureaucratiques, repoussoir du projet européen, recentrons-nous sur l’essentiel : une Europe offensive, centrée sur ses vraies priorités ! Mon collègue Bonnecarrère les a rappelées : la sécurité, l’emploi, l’immigration, les investissements d’avenir.

L’alternative, mes chers collègues, est claire : le sursaut ou la sortie de l’histoire. En 2050, aucun État européen ne pèsera plus de 1 % de la population mondiale. Seule l’Allemagne fera encore partie des dix premières puissances économiques mondiales. C’est donc à travers l’Union européenne, et elle seule, que les États européens pourront continuer à vivre. C’est aussi en regroupant ses forces que l’Europe pourra préserver son modèle de société et défendre ses valeurs.

Porté par les États-nation, le projet européen doit être renouvelé. Le Sénat avait tracé la « feuille de route » de ce nouveau départ, largement repris dans le discours de la Sorbonne par le Président de la République. Nous ferons mi-avril, avec mon collègue et ami le président Bizet, au sein de notre groupe de suivi du Brexit, le point sur la mise en œuvre de cette « feuille de route » que nous proposerons à l’exécutif.

En quoi l’ordre du jour du prochain Conseil européen nous rapproche-t-il de cette exigence de refondation ? Je laisse à Jean Bizet le soin de s’exprimer, en notre nom à tous les deux, sur la renégociation du Brexit à proprement parler ; je ne ferai que deux remarques, qui recouvrent, mais différemment, les propos de l’orateur précédent.

Ma première remarque a trait aux Balkans occidentaux.

Dans l’ordre du jour, on trouve en effet un point concernant les négociations d’adhésion en cours avec la Serbie et le Monténégro. L’ouverture prochaine de négociations avec l’Albanie et l’Ancienne République yougoslave de Macédoine est envisagée, tandis que la perspective européenne semble plus éloignée pour la Bosnie-Herzégovine et le Kosovo.

Bien sûr, personne ne peut nier la dimension historique et géopolitique de ce processus, dans une région longtemps qualifiée de « poudrière », où les rivalités stratégiques ont toujours été fortes, avec des jeux d’influence russes, turcs, élargis maintenant à la Chine. C’est dans cette région que la Première Guerre mondiale, dont nous commémorons cette année le centenaire de l’armistice, a démarré. C’est également là que s’est déroulé le premier et dernier conflit majeur qu’ait connu l’Europe à ce jour depuis la Seconde Guerre mondiale.

Mais si l’Union européenne devait s’élargir aux Balkans occidentaux, ce devrait être plutôt pour consolider l’ensemble européen et non pas pour le déstabiliser. Or, franchement, madame la ministre, je vous le demande, la relance de l’élargissement est-elle vraiment souhaitable, au moment même où l’Europe doit se concentrer sur sa refondation, et alors que nos capacités financières vont être réduites par le Brexit ?

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Évidemment, le processus d’adhésion est un puissant levier de réforme dans les pays candidats, dans des domaines essentiels tels que l’État de droit, la sécurité et les migrations, ainsi que pour la pacification des relations à l’intérieur des Balkans. Mais, je le dis fortement à la lumière des précédents élargissements, il ne faudra faire preuve d’aucun laxisme, et les pays candidats devront, le moment venu, être parfaitement prêts. Notre conviction est que l’Union européenne devra l’être également, ce qui sous-entend qu’elle ait pu elle-même mener les réformes institutionnelles et financières nécessaires à sa relance.

Est-il raisonnable d’envisager les premières adhésions, celles de la Serbie et du Monténégro, à l’horizon de 2025 ? Pourquoi se fixer ainsi une échéance, au risque de décevoir les opinions des pays concernés ?

Nous appelons le Gouvernement à la plus grande prudence. Tirons les enseignements du référendum britannique sur le Brexit, en reconnaissant que l’Europe doit d’abord se consolider elle-même avant de poursuivre un processus d’élargissement qui contribue à la défiance des opinions publiques européennes à son égard.

M. André Reichardt. Absolument !

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Ma deuxième remarque porte sur la Turquie. Parlons-en !

La Turquie, candidate à l’adhésion depuis 1999, risque de percevoir l’accélération du processus d’élargissement des Balkans comme un affront pour elle-même.

Un sommet Union européenne-Turquie doit avoir lieu le 26 mars prochain à Varna, en Bulgarie. La Turquie souhaite en effet une accélération de son processus d’adhésion, comme nous l’a indiqué, récemment encore, son ambassadeur à Paris.

Nous savons tous, et je le dis à l’orateur précédent, que cette perspective n’est pas crédible, ne serait-ce qu’en raison de la situation des droits de l’homme et des libertés fondamentales actuellement en Turquie.

M. Michel Savin. C’est vrai !

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Si une réaction des autorités était légitime après la tentative de coup d’État du 15 juillet 2016, le régime d’état d’urgence entraîne des atteintes manifestement disproportionnées à la liberté d’expression et une remise en cause de l’indépendance de la justice.

D’autre part, nous le regrettons, la Turquie est à nouveau à l’origine d’une montée des tensions en Méditerranée orientale, où elle a encore récemment bloqué une plateforme de forage italienne, tout près de Chypre, et a été à l’origine de plusieurs incidents avec la Grèce.

À cela s’ajoutent, mes chers collègues, les préoccupations liées à l’intervention turque en Syrie, dans la zone d’Afrin, où la situation humanitaire est absolument catastrophique. (Applaudissements sur la plupart des travées.)

À la différence de l’orateur précédent, je dirai qu’il est clair que la Turquie demeure un partenaire stratégique majeur, membre de l’OTAN, avec qui nous devons dialoguer, malgré son éloignement constant et croissant du camp occidental. Notre relation bilatérale est certes compliquée, mais marquée par de nombreux sujets d’intérêt commun, en matière de sécurité notamment. Dois-je rappeler, par exemple, que la Turquie a scrupuleusement respecté l’accord signé avec l’Union européenne en mars 2016, dans lequel elle s’engageait à bloquer le flux d’une immigration clandestine ? De la même manière, nos relations économiques sont absolument essentielles. Et la société civile turque, qui souffre actuellement, nous demande constamment de ne pas rompre un dialogue qui demeure un instrument en faveur de transformations internes !

Le Président de la République s’est prononcé, lors de son entretien de janvier avec le Président Erdogan, pour une reformulation du dialogue Union européenne-Turquie. Nous pensons que c’est la bonne voie ; vous aurez certainement l’opportunité, madame la ministre, de nous préciser les modalités de ce dialogue nouveau. Nous avons d’autres exemples : le statut avancé du Maroc avec l’Union européenne en est un. C’est l’une des possibilités.

Mes chers collègues, nous le voyons, la France est de retour en Europe. Au Gouvernement d’utiliser cette force pour créer une dynamique pour relancer le projet européen, car c’est bien l’attente de tous les peuples d’Europe ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les 22 et 23 mars prochains se tiendra un Conseil européen de printemps particulièrement riche avec, en premier lieu, une nouvelle étape importante pour ce qui concerne le retrait du Royaume-Uni.

Un projet d’accord de retrait, paru le 28 février, a transcrit en termes juridiques le rapport conjoint des négociateurs du 8 décembre 2017. Il doit permettre d’aboutir à un accord final d’ici au mois d’octobre 2018. Cet accord devra résoudre les trois questions clés portant sur les droits des citoyens, le règlement financier et la délicate question de l’Irlande.

Cette dernière question demeure la plus complexe et la plus lourde de conséquences potentielles. Comment ne pas reconstituer une nouvelle frontière en Irlande si le Royaume-Uni renonce au marché unique et à l’union douanière ? Comment éviter de faire renaître des tensions qui avaient été apaisées avec l’accord du Vendredi saint ? Nous prenons acte de l’annonce faite par les négociateurs d’un accord autour de la mise en place d’un « espace réglementaire commun » incluant l’Union et l’Irlande du Nord sans frontières intérieures. C’est en pointillé, oserais-je dire, sans provocation, une réunification de l’Irlande qui se profile. En l’absence d’une alternative, c’est probablement la solution la plus sage. Pouvez-vous en dire plus, madame la ministre ? C’est aussi l’occasion pour moi de saluer une nouvelle fois l’excellent travail effectué par le négociateur de l’Union, notre compatriote et ancien collègue Michel Barnier.

Pour la relation future, Mme May a désormais clarifié la position britannique. La solution d’un accord de libre-échange est la seule voie possible. Soyons clairs : il en résultera des complications et un coût élevé pour les entreprises, mais c’est la conséquence du choix britannique.

Il ne saurait non plus y avoir un marché unique « à la carte ». L’intégrité de celui-ci doit être préservée. Les services financiers seraient soumis à un dispositif d’équivalences améliorées. Enfin, la coopération avec le Royaume-Uni devra demeurer étroite dans des domaines comme la défense ou la sécurité intérieure.

Je salue d’ailleurs la dernière proposition du président Tusk de barrières tarifaires symboliques. En revanche, rien n’a été dit au sujet des barrières non tarifaires… Or on sait que les barrières tarifaires représentent en moyenne 15 % du coût d’une transaction.

Une période de transition paraît inévitable, mais elle sera conditionnée à un accord sur les modalités du retrait. Nous approuvons les principes posés par l’Union : cette période ne doit pas aller au-delà du cadre financier pluriannuel en cours, soit au-delà du 31 décembre 2020, ni être reconductible. Le Royaume-Uni devra respecter l’ensemble de l’acquis communautaire, mais il ne sera plus partie au processus de décision…

M. André Reichardt. Heureusement !

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. … puisqu’il sera désormais un État tiers. Les quatre libertés, en particulier la liberté de circulation, devront être maintenues. Nous prenons bonne note d’un accord trouvé par les négociateurs sur cette transition. Pouvez-vous, madame la ministre, apporter plus de précisions au Sénat sur ce point ?

Pendant que le Royaume-Uni organise son isolement, parce que c’est ainsi, je crois, qu’il faut le nommer, l’Europe doit continuer à avancer, en affirmant son unité. Le Conseil européen de juin devra marquer une étape importante pour la relance européenne. Mais, dès sa réunion de mars, le Conseil européen abordera des questions cruciales. Je pense à la stratégie du marché unique, au marché unique du numérique, à l’union des marchés de capitaux et à l’union de l’énergie. D’ici à décembre, la Commission devrait faire un point sur la mise en œuvre de la législation existante. Il appartient aussi à l’Union de se doter d’une stratégie industrielle forte. C’est un enjeu majeur.

En s’appuyant sur l’atout que constitue son marché unique, véritable joyau, fruit de plus de cinquante ans de travail en commun, l’Europe doit organiser une véritable reconquête industrielle. Le défi du numérique et, maintenant, de l’intelligence artificielle est à relever. L’Europe ne peut être simplement consommatrice ; elle doit être aussi productrice. Pour cela, il nous faut faire émerger des champions européens. Nous le répétons souvent depuis plusieurs années, ici, au Sénat, la politique de la concurrence a été conçue voilà plus d’un demi-siècle dans un contexte, dirais-je, particulier : les enjeux d’autrefois n’ont plus rien à voir avec ceux d’aujourd’hui. Le monde a changé. L’autorité de la concurrence doit en faire de même et réformer sa politique, pour permettre à l’Union de relever le défi de la reconquête industrielle. La fiscalité du numérique est aussi un enjeu important.

Madame la ministre, que peut-on attendre du Conseil européen sur cette épineuse question, au regard des propositions et des réflexions de la Commission et de l’OCDE en la matière ?

Le Conseil européen devrait affirmer son engagement pour un multilatéralisme commercial régulé, avec l’Organisation mondiale du commerce en son centre, et soutenir les négociations en cours sur des accords de libre-échange. Le système multilatéral est malheureusement en crise. Les États-Unis ne sont pas étrangers à tout cela : ils empêchent depuis plusieurs mois, si ce n’est quelques années, le bon fonctionnement de l’organe de règlement des différends, à savoir le tribunal commercial international, en refusant la nomination de trois juges en remplacement de ceux qui sont partis à la retraite.

L’Union européenne a un rôle actif à jouer pour tenter de redresser ce multilatéralisme. Dans un tel contexte, des accords commerciaux bilatéraux peuvent lui être bénéfiques, à condition qu’elle défende fermement ses intérêts et exige la réciprocité. Le Sénat a fait valoir cette position lorsqu’il a débattu de la proposition de résolution européenne sur les directives de négociation en vue d’un accord avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Notre commission examinera, à l’issue de ce débat, le rapport de Pascal Allizard et Didier Marie relatif à la proposition de notre collègue Jean-Claude Requier sur les négociations avec le Mercosur. Nous pourrons ainsi réaffirmer avec beaucoup de clarté nos positions.

Enfin, le Conseil européen devrait évoquer les relations avec les Balkans occidentaux, le président Cambon l’a mentionné précédemment, et ce quelques semaines avant le sommet qui se tiendra à Sofia, le 17 mai prochain. Nos rapporteurs, Claude Kern et Simon Sutour, se rendront en Serbie et au Monténégro, qui négocient leur adhésion. Nous sommes favorables aux initiatives qui permettront de renforcer la connexion de cette région avec l’Union ou de prévoir un engagement commun sur des défis tels que la sécurité ou les migrations. Mais nous devons aussi veiller à prendre en compte l’état de nos opinions publiques à l’égard d’une procédure d’élargissement qui a paru aller un peu trop vite. Ayons donc le courage de dire qu’il faut assumer et confirmer le moratoire sur l’élargissement, pour conforter l’acquis communautaire ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe La République En Marche.)

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au cours de ces derniers mois, le contexte économique au Royaume-Uni, en Allemagne ou encore en Italie, ainsi que les divergences, toujours aussi profondes, entre les États membres sur l’avenir de la zone euro ont pu éloigner la perspective d’un Conseil européen ambitieux.

Néanmoins, concernant le Brexit, l’accord trouvé lundi dernier sur la période de transition va permettre d’enrichir considérablement les échanges entre les États membres et d’ouvrir le début des discussions relatives aux relations futures entre l’Union européenne et le Royaume-Uni. Plus précisément, après avoir ouvert la seconde phase de négociations en décembre dernier, les vingt-sept États membres devront adopter les orientations présentées par le président Tusk au début du mois et relatives au cadre des relations futures avec le Royaume-Uni.

La question de l’inclusion des services financiers dans le futur accord de libre-échange cristallise les tensions. Le projet d’orientation, qui devait être initialement présenté au Conseil européen, les en écartait. Toutefois, les ministres des affaires étrangères et européennes des vingt-sept États membres ont approuvé hier, cela a été dit, un projet incluant les services financiers dans une annexe.

Comme je l’avais déjà rappelé en décembre, notre commission des finances a estimé, dans le cadre de ses travaux sur la compétitivité des places financières, qu’un accord couvrant l’ensemble des services financiers ne s’imposait pas. Le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, a évoqué la mobilisation des régimes d’équivalence existants. Notre commission des finances a souhaité appeler votre attention l’année dernière sur la nécessité de rendre plus exigeants ces régimes d’équivalence, afin d’éviter les risques de divergence réglementaire. Cela pourrait se traduire par l’introduction d’un mécanisme de réexamen régulier des décisions d’équivalence ainsi que par une obligation de réciprocité.

Madame la ministre, pouvez-vous nous confirmer que les services financiers seront bien inclus dans les négociations à venir sur l’accord de libre-échange avec le Royaume-Uni ? Si tel est le cas, compte tenu des risques que je viens de rappeler, je souhaiterais souligner qu’il est préférable que les services financiers soient soumis à des régimes d’équivalence renforcés plutôt qu’à un régime ad hoc propre au Royaume-Uni.

Par ailleurs, concernant l’accord de transition, l’impasse politique semble résolue. En achevant la période de transition le 31 décembre 2020, la question de la participation du Royaume-Uni au prochain cadre financier pluriannuel est donc tranchée.

Madame la ministre, bien que ce point ne soit pas spécifiquement inscrit à l’ordre du jour du Conseil européen, je me permets de souligner que les discussions portant sur le prochain cadre financier pluriannuel soulèvent des inquiétudes quant à l’avenir des politiques communes. Nous souhaiterions donc une clarification de la position française, notamment au sujet du financement de la politique agricole commune, dans un contexte où le retrait du Royaume-Uni devrait se traduire par une perte d’au moins 10 milliards d’euros pour le budget de l’Union européenne.

J’en reviens à l’ordre du jour du Conseil européen, car de nombreux autres points intéressent notre commission des finances.

S’agissant tout particulièrement du sommet de la zone euro, les propositions avancées par la Commission européenne en décembre dernier s’avéraient plus pragmatiques que celles qui étaient défendues par le Président de la République. Toutefois, aucune mise en œuvre concrète n’est envisagée et les blocages politiques demeurent, comme l’a souligné le refus de huit pays d’Europe du Nord, y compris les Pays-Bas, de mener des réformes « ambitieuses ». Le seul point d’accord est celui de la mise en place d’un Fonds monétaire européen, un FME, qui servirait de prêteur en dernier ressort au Fonds de résolution unique, appelé plus communément FRU, en cas de défaillance bancaire. Je me réjouis de cette avancée, mais je tiens également à réaffirmer la nécessité, pour le futur Fonds monétaire européen, de voir sa responsabilité engagée devant les parlements nationaux.

Dans ce contexte, il semble que la consolidation de la zone euro devra encore attendre le sommet de juin prochain. La publication d’une feuille de route franco-allemande sera sans doute nécessaire pour avancer. Certes, nous sommes a priori moins pressés, compte tenu de l’embellie économique constatée au sein de la zone euro. Néanmoins, il semble plus que jamais opportun de renforcer la résilience de notre système bancaire et la convergence des économies nationales.

Madame la ministre, mes chers collègues, je terminerai en abordant la question de la fiscalité du numérique, qui, vous le savez, intéresse particulièrement la commission des finances du Sénat.

Sur ce sujet, la Commission européenne a présenté ce matin trois textes différents pour mettre en œuvre une taxation des entreprises du secteur numérique dans les pays où elles réalisent leurs activités. À court terme, il s’agirait d’instaurer une taxe de 3 % sur les recettes brutes de certaines activités numériques.

Dans une perspective de plus long terme, la Commission présentera une proposition de directive visant à taxer non plus le chiffre d’affaires, mais le bénéfice, grâce à la notion de « présence numérique significative », appréhendée par des critères tels que l’utilisation des données personnelles. Je tiens à saluer ces propositions, qui s’inscrivent dans le sillage des recommandations de la France et qui vont, évidemment, dans le bon sens. Comme vous le savez, la commission des finances du Sénat travaille depuis plusieurs années sur la fiscalité du numérique, et ce dans le cadre d’un groupe de travail.

Toutefois, il est à craindre que cette méthode graduée ne permette pas pour autant d’aboutir à des résultats aussi probants que souhaités avant longtemps. À cet égard, je rappelle que notre commission des finances avait déjà regretté cette approche graduée de la Commission européenne, notamment en matière d’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés, plus communément appelée ACCIS. On a vu aujourd’hui les limites d’une telle approche.

Madame la ministre, j’espère que la France encouragera ses partenaires européens à prendre une décision en matière de taxation des entreprises du secteur numérique, pour prolonger l’initiative à laquelle elle a participé l’année dernière. C’est un enjeu absolument majeur, au regard du faible taux d’imposition auquel sont aujourd’hui soumises les entreprises connues sous l’appellation GAFA et les enjeux que cela représente. Pas plus tard que ce matin, la commission des finances a organisé une nouvelle table ronde sur ce sujet, qui, comme de nombreux autres dans des domaines variés, retient particulièrement son attention. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe La République En Marche et du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nathalie Loiseau, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de vos interventions. Si je me permettrai de me concentrer sur les remarques qui relèvent directement de l’ordre du jour du Conseil, je reviendrai tout de même rapidement, après vous avoir entendus, messieurs Menonville et Ouzoulias, sur la lecture que l’on peut faire du résultat des élections italiennes.

Je partage le point de vue exprimé, selon lequel les électeurs italiens ont regretté non pas trop d’Europe, mais plutôt pas assez, au moment où l’Italie avait le plus besoin que nous exprimions notre solidarité à son endroit, qu’il s’agisse des conséquences de la crise financière ou de l’afflux massif de migrants auxquels elle a eu à faire face.

MM. Jean-Yves Leconte et Gilbert Roger. Il faut le dire à votre collègue ministre de l’intérieur !

Mme Nathalie Loiseau, ministre. Nous devons avoir tout cela à l’esprit au moment où nous travaillons sur la réforme de l’Union européenne, comme nous l’avons pleinement au moment où nous travaillons sur celle du régime de l’asile et des migrations, y compris sur le plan national, puisque le projet de loi Asile et immigration vise précisément à pouvoir davantage harmoniser l’examen des demandes d’asile à travers l’Union européenne, ce qui est directement inspiré des pratiques, notamment, de nos voisins allemands.

J’en viens à l’ordre du jour du Conseil.

Vous avez été nombreux à évoquer le Brexit. Je vous en remercie, monsieur le président Bizet, monsieur le rapporteur général, madame Keller, messieurs Gattolin et Menonville, car vous me donnez l’occasion de revenir sur ce sujet important.

Oui, monsieur Gattolin, oui, monsieur le président Bizet, le mode de règlement de la question irlandaise est encore flou, je vous le concède bien volontiers, et cela constitue un objet de préoccupation pour nous. Éclaircir cette question avant octobre est une priorité. Il reste, malgré tout, que l’accord exprimé par les Britanniques sur ce qu’on appelle le back stop, ce qui revient à ce que, faute de mieux, l’Irlande du Nord reste, de fait, dans l’union douanière, constitue un petit progrès.

S’agissant des services financiers, nous avons rappelé que le Royaume-Uni ne pouvait plus bénéficier des passeports financiers, la Première ministre britannique l’ayant elle-même reconnu. Nous avons insisté pour que les services financiers soient traités en dehors de l’accord de libre-échange, par des mécanismes d’équivalence renforcée définis unilatéralement par l’Union européenne. J’espère ainsi avoir répondu à votre préoccupation, monsieur le rapporteur général.

Monsieur le sénateur André Gattolin, vous avez rappelé la gravité de ce qui vient de se passer à Salisbury, au Royaume-Uni. Nous avons exprimé notre totale solidarité à l’égard de notre voisin, partenaire et allié britannique. Qu’il reste dans l’Union européenne ou qu’il la quitte ne change rien à ce voisinage, à ce partenariat et à cette alliance. Le Conseil européen reviendra sur la question jeudi soir et s’exprimera sans doute fortement. La double tentative d’assassinat intervenue à Salisbury est en effet le premier exemple, depuis 1945, d’utilisation, sur le sol européen, d’un agent neurotoxique prohibé ; c’est donc une affaire particulièrement sérieuse.

Plusieurs d’entre vous ont également souhaité revenir sur les sujets relatifs à la zone euro. Monsieur le rapporteur général, mesdames Keller et Mélot, croyez bien que nous sommes pleinement mobilisés à travailler au renforcement de la zone euro, à la finalisation de l’union bancaire, au renforcement du mécanisme européen de stabilité ou bien encore à la création d’une capacité budgétaire de la zone euro, afin de faire face aux prochains chocs économiques et de pouvoir maintenir le niveau d’investissement. C’est précisément au moment où la croissance est revenue dans la zone euro que nous sommes en situation de travailler à ces sujets. Il y a évidemment des nuances dans les positions des différents États membres, des sujets techniques qu’il faut surmonter les uns après les autres. Nous progressons, je l’ai dit précédemment, puisque nous nous sommes engagés à présenter conjointement une feuille de route avec l’Allemagne pour le prochain Conseil européen de juin.

J’ai bien noté, madame la sénatrice Keller, votre intérêt pour un contrôle parlementaire accru, intérêt que je ne saurais contester ici, en ces lieux, et que nous partageons. J’oserai tout de même dire qu’aujourd’hui la priorité est à la finalisation de l’union bancaire, à l’union des marchés de capitaux et à la mise en place d’une capacité budgétaire. C’est petit à petit que nous progresserons dans le renforcement de la zone euro.

Vous l’avez signalé s’agissant du semestre européen, madame la sénatrice Mélot, la sortie de la France de la catégorie des déséquilibres excessifs est une bonne nouvelle. Nous ne devons pas pour autant relâcher nos efforts : la reprise est là, elle doit encore être soutenue, notamment par des réformes structurelles. C’est également indispensable pour garantir la soutenabilité de nos finances publiques. À ce titre, pour 2017, pour la première fois depuis dix ans, notre déficit public passera sous la barre des 3 % du PIB.

S’agissant du budget européen, monsieur le rapporteur général, monsieur Menonville, madame Robert, il nous faut aborder la négociation du prochain cadre financier pluriannuel en étant cohérents avec nos ambitions pour l’Union européenne. Il y a un consensus, d’une part, pour considérer que de nouvelles priorités doivent être traitées au niveau de l’Union européenne et, d’autre part, pour ne pas sacrifier les politiques traditionnelles. De ce point de vue, notre détermination à poursuivre les politiques historiques, en priorité la PAC, est totale. Nous sommes d’ailleurs clairement opposés, je vous rassure, monsieur Menonville, à toute renationalisation de la PAC, et donc à tout cofinancement national du premier pilier. Cela signifie qu’il faut d’abord fixer nos priorités avant de définir l’enveloppe du budget européen.

Je relaie, madame Robert, votre encouragement à explorer de nouvelles ressources propres. Un gros travail de réflexion a été accompli dans ce domaine ; je pense en particulier au groupe de haut niveau présidé par Mario Monti. En matière de nouvelles ressources propres pour le budget de l’Union européenne, il n’est plus temps d’en faire l’objet de colloques et de discussions intellectuelles, il s’agit de traduire, dans les faits, ce sur quoi nous pouvons nous mettre d’accord. J’ajouterai que, au moment où le Royaume-Uni quitte l’Union européenne, l’heure est venue de mettre fin à toutes les formes de rabais qui avaient été négociés et adoptés au fur et à mesure des années et qui n’ont plus leur place, aujourd’hui, dans le budget européen.

S’agissant de la politique de cohésion, je voudrais aussi vous dire dans quel état d’esprit nous abordons la négociation. Selon nous, celle-ci doit être conditionnée au respect des valeurs de l’Union européenne et, donc, en particulier, de l’État de droit, ainsi qu’aux efforts de convergence fiscale et sociale, qui sont le gage de la cohésion.

Vous avez été nombreux à parler de fiscalité du numérique. Monsieur le rapporteur général, monsieur Menonville, mesdames Keller et Mélot, il s’agit d’un des défis majeurs de notre temps. Nous sommes, à ce titre, déterminés à aboutir à une juste taxation des géants du numérique au niveau européen, sans attendre qu’un accord soit trouvé à l’échelon international. Nous voulons une Europe de l’équité et de la justice fiscales. Bien entendu, le sujet est complexe, mais le statu quo ne peut perdurer. Nos concitoyens attendent des résultats, et nous sommes, de ce point de vue, pleinement en phase avec la proposition présentée aujourd’hui par la Commission, qui fera demain l’objet d’un débat lors du dîner du Conseil.

Vous avez également mentionné, madame la sénatrice Keller, monsieur le rapporteur général, les discussions sur l’ACCIS, qui, vous le savez, au sein du Conseil, ne progressent pas. Nous le regrettons, et nous sommes déterminés à avancer sur une harmonisation de l’assiette de l’impôt sur les sociétés au niveau franco-allemand. À cet égard, le travail a repris avec la nomination d’un nouveau gouvernement allemand, et nous allons essayer d’aller de l’avant, en bilatéral, afin que la France et l’Allemagne, dirais-je, donnent l’exemple, pour faire en sorte que ce qui est faisable entre Paris et Berlin s’élargisse à l’ensemble de l’Union européenne.

En matière d’Europe sociale, mesdames Mélot et Robert, la Commission vient de présenter son projet d’autorité européenne du travail, que nous sommes en train d’examiner en détail. L’enjeu est important, puisqu’il s’agit de lutter contre les fraudes et de nous donner les moyens, collectivement, de faire respecter nos règles du jeu communes. L’absence d’une telle autorité explique une partie des fraudes au détachement des travailleurs. Sur ce dernier sujet, vous l’avez évoqué, l’accord intervenu permet d’encourager la mobilité des travailleurs tout en convergeant vers le haut, en avançant vers une Europe qui protège mieux ses citoyens.

Sur les Balkans occidentaux, messieurs les présidents Cambon et Bizet, je partage votre point de vue. Fixer une échéance théorique pour l’adhésion de nouveaux membres de l’Union européenne est artificiel et n’a pas de sens en soi. À sa décharge, ce n’est pas exactement ce que fait la Commission. Le président Juncker a été très clair publiquement sur le caractère impératif des critères à remplir pour les pays candidats. Nous serons fermes sur le respect de ces critères, y compris pour l’Albanie et l’Ancienne République yougoslave de Macédoine. Ceux-ci, de notre point de vue, ne paraissent pas aujourd’hui en situation de les remplir dans un délai rapproché, ce qui ne permet pas d’ouvrir les négociations.

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !

Mme Nathalie Loiseau, ministre. Il est également indispensable, et vous le soulignez à raison, monsieur le président Bizet, de continuer à travailler étroitement avec ces pays, en particulier dans le domaine de l’État de droit, où il reste encore beaucoup à faire, mais aussi pour promouvoir des politiques en faveur, par exemple, de la jeunesse, de la sécurité, d’une intégration plus forte dans le secteur des transports ou des télécommunications. C’est l’objet non seulement du sommet de Sofia du 17 mai prochain, mais également des échanges bilatéraux que nous avons avec ces pays. L’Union européenne doit impérativement renforcer son partenariat avec les Balkans, pour ne pas laisser le champ libre à la Turquie, à la Chine, à la Russie ou à d’autres pays dont les logiques et les intérêts diffèrent des nôtres.

Bon nombre d’entre vous sont revenus sur les annonces du Président Trump en matière commerciale, qui ont fait l’actualité. Nous le savons tous, une guerre commerciale avec les États-Unis sur l’acier et sur l’aluminium ne ferait que des victimes, et des victimes très concrètes, puisqu’il s’agirait des producteurs européens. Face aux mesures américaines, messieurs Bonnecarrère et Menonville, l’Union européenne doit donc réagir dans l’unité. Nous cherchons, en priorité, à en être exemptés. Le temps presse. En cas d’échec, notre réaction devra être forte et respectueuse du multilatéralisme. Nous nous y préparons, c’est ce que la Commission fait avec notre appui.

Je terminerai en disant un mot de la Turquie.

Monsieur le président Cambon, monsieur Ravier, je vous confirme que nous trouvons parfaitement naturel de dialoguer avec la Turquie, voisine géographique de l’Union européenne, partenaire difficile, mais essentiel, dans la lutte contre le terrorisme ou dans la réponse aux défis migratoires, qui vous préoccupent tant, monsieur Ravier. Mais nul ne songe à poursuivre les négociations d’adhésion avec la Turquie, dont nous constatons le blocage dû à des choix politiques opérés par Ankara, qui l’éloignent, chaque jour davantage, des valeurs de l’Union européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très juste !

Débat interactif et spontané

M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif et spontané, dont la durée a été fixée à une heure par la conférence des présidents.

Je vous rappelle que chaque sénateur peut intervenir pour deux minutes maximum. S’ils sont sollicités, la commission des affaires européennes ou le Gouvernement pourront répondre pour deux minutes également.

Dans le débat interactif et spontané, la parole est à M. Pascal Allizard, pour le groupe Les Républicains.

M. Pascal Allizard. Madame la ministre, vous l’avez précisé, à l’agenda de ce prochain Conseil, les sujets ne manqueront pas. Il s’ouvrira, une nouvelle fois, sur une Europe en crise, aux prises avec des menaces intérieures comme extérieures, qui mettent en péril son avenir. Parmi les plus grands dangers, je pense au populisme, à la division et, au final, au risque de désintégration de l’Union européenne. Le Royaume-Uni a déjà un pied dehors, les pays du groupe de Visegrád marquent souvent leur différence, voire leur défiance, et l’Italie, cela a été rappelé aussi, vient d’envoyer un message politique très clair.

Cette montée des populismes, à laquelle la France n’échappe pas, n’est pas apparue ex nihilo. Elle a des causes profondes et multiples. Il y a, évidemment, le terrorisme, qui continue d’inquiéter sur le Vieux Continent, l’avenir de la zone euro, les tensions toujours fortes avec la Russie, la concurrence économique mondiale exacerbée. Mais je crois que le point de jonction de tous les eurosceptiques est sans doute la crise migratoire, celle que l’Union européenne a gérée maladroitement, dans l’urgence, en laissant notamment l’Italie en première ligne trop longtemps. On en mesure aujourd’hui les conséquences.

Lors d’un déplacement à Bruxelles, voilà quelques jours, consacré à la politique migratoire, j’ai été particulièrement choqué par ce verbiage technocratique et condescendant de fonctionnaires européens à l’égard de ceux qui, prétendument, pensent mal ou ne comprennent rien, ces citoyens européens en plein désarroi, auxquels nous, sénateurs, nous nous adressons au quotidien dans nos territoires. Ils ont besoin d’actions, d’explications, de gestes qui rassurent, et pas de stigmatisation. Il est toujours plus commode de montrer du doigt de prétendus égarés que de s’attaquer réellement au problème.

Madame la ministre, dans ce contexte que j’estime dangereux, quelles leçons la France tirera-t-elle du scrutin italien et quelle politique migratoire défendra-t-elle auprès des instances européennes ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur Allizard, comme je l’ai dit précédemment, nous considérons que les électeurs italiens ont adressé un message clair : l’Europe n’a pas été assez présente pour les aider à faire face aux défis migratoires qu’ils devaient relever.

C’est la raison pour laquelle, depuis l’été dernier, la France s’attache à traiter la dimension externe de la crise migratoire, d’une part, en travaillant davantage avec les pays d’origine des migrations, notamment en orientant plus systématiquement l’aide au développement vers la formation et l’emploi des jeunes, en particulier en Afrique subsaharienne, et, d’autre part, en travaillant à la stabilisation politique des pays de transit. Nous avons tous en mémoire les horreurs que subissent les candidats aux migrations lorsqu’ils traversent la Libye. Nous cherchons également à ce que les demandes d’asile puissent être examinées dans des pays comme le Niger ou le Tchad. Nous encourageons les autres pays européens à faire de même.

Sur la réforme du régime européen de l’asile, nous n’avons pas beaucoup avancé, même si l’on note des progrès sur certains aspects. Il faudra à l’évidence, une fois le nouveau gouvernement constitué à la suite des dernières élections, dialoguer avec l’Italie, un partenaire important, particulièrement impacté par l’immigration.

Évitons de blâmer la technocratie de Bruxelles. Ce dont l’Italie a le plus souffert, c’est du manque de solidarité de certains États membres, qui veulent bien recevoir des crédits européens, mais pas de demandeurs d’asile !

M. André Reichardt. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour le groupe socialiste et républicain.

M. Jean-Yves Leconte. Je souhaite exprimer deux convictions avant de poser ma question.

La première est qu’on ne peut pas opposer élargissement et approfondissement de l’Union européenne. Historiquement, soit on a fait l’un et l’autre en même temps, soit on n’a fait ni l’un ni l’autre, par manque de courage.

Ma deuxième conviction est que, si l’Union préfère la stabilité à la défense de ses valeurs, elle perdra sa stabilité et n’aura plus de valeurs. C’est la raison pour laquelle je salue l’évolution du président Jean-Claude Juncker sur la question des Balkans. En 2014, au moment de sa prise de fonction, il indiquait qu’il n’y aurait pas d’élargissement au cours de son mandat. En 2017, il avançait l’idée d’une feuille de route crédible et, le 2 février 2018, il a offert cette feuille de route, indispensable selon moi.

Les conséquences des fausses négociations actuelles, qui ont transformé une perspective européenne en état de négociations, sont dramatiques. Dans la plupart de ces pays, l’État de droit est dans une situation préoccupante, les trafics criminels se développent et les conditions économiques et sociales incitent à l’immigration massive, contrairement à ce que l’on constate en Europe centrale, où il y a plutôt une embellie économique.

Enfin, nous sommes préoccupés par la conclusion d’accords d’investissement extraterritoriaux entre la plupart de ces pays et les Émirats, l’Arabie saoudite, le Qatar ou la Chine.

En laissant prospérer cette instabilité et ces menaces à nos frontières, c’est l’ensemble de l’Union européenne que nous menaçons.

L’Allemagne a bien compris ces enjeux. Malheureusement, la position de la France est plus ambiguë, comme en témoignent vos réponses, madame la ministre, et l’intervention du président de la commission des affaires étrangères. Il est triste que, cent ans après le front d’Orient, essentiel pour l’image et la présence de la France dans cette région, le rôle de la France se réduise aujourd’hui à une place sur l’étagère de la nostalgie.

Quelles initiatives la France entend-elle prendre pour ne pas être à la remorque de l’Allemagne sur cette question majeure de l’élargissement aux Balkans ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur Leconte, comme je l’ai indiqué précédemment, nous avons intérêt à un partenariat étroit entre les Balkans et l’Union européenne. Nous avons une histoire commune, une géographie commune et, donc, un destin commun. Si l’Union européenne ne s’intéresse pas aux Balkans, d’autres le feront à sa place – certains le font déjà.

C’est la raison pour laquelle, à l’occasion du sommet de Sofia du 17 mai, nous promouvrons un agenda positif à destination des pays des Balkans, qu’il s’agisse de venir en aide à leur jeunesse, notamment en développant les mobilités étudiantes vers les universités de l’Union européenne – nous devons toutefois prendre garde de ne pas alimenter la fuite des cerveaux dont ces pays sont victimes –, ou de soutenir la mise en place d’infrastructures de transports et de télécommunications leur permettant d’être mieux équipés et mieux intégrés sur le plan régional.

Tendre la main aux Balkans, c’est aussi rendre service aux réformistes et aux progressistes de ces pays en les aidant à pousser un agenda de réformes indispensables, à adopter, mais surtout à mettre en œuvre, qu’il s’agisse de l’État de droit ou de la lutte contre la corruption et le crime organisé.

Ces pays ont encore beaucoup à faire. Nous sommes prêts à les aider, mais il serait irresponsable de leur faire miroiter une adhésion à l’Union européenne tant qu’ils ne se seront pas davantage rapprochés de ses valeurs.

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour le groupe Union Centriste.

Mme Nathalie Goulet. Comme le dit très bien notre ancien collègue Jean Arthuis, l’Europe ne parle pas aux Européens. En vous écoutant, madame la ministre, on peut même dire que la priorité est aux marchés financiers.

Pour ma part, je voudrais parler de l’Europe qui est inaudible face aux barbaries. On a vu ce qui s’est passé avec le drame des yézidis et des Syriens. Je voudrais aujourd’hui évoquer le Yémen, pays qui traverse une crise ancienne.

Depuis 2015, l’Europe a fourni à hauteur de 200 millions d’euros d’aide. Il me semble qu’elle devrait également apporter une assistance technique pour permettre aux populations de recevoir cette aide.

Lors de la dernière conférence des donateurs à Genève, l’Arabie saoudite a proposé plus de 1 milliard d’euros, après avoir déjà versé un autre milliard. Les Émirats et d’autres pays veulent aussi aider les populations yéménites. Toutefois, l’aide n’arrive jamais à l’endroit où elle est supposée arriver. Cet argent pourrait très bien tomber entre de mauvaises mains et servir à leurs adversaires dans des pays voisins. L’Europe, qui dispose d’une technocratie que le monde entier lui envie, pourrait assister ces pays pour qu’ils dirigent au mieux l’aide humanitaire, alimentaire, médicale et financière.

Ma question est simple : pensez-vous que l’Europe puisse également proposer une aide technique au Yémen pour permettre à l’aide financière de parvenir effectivement à ces populations dramatiquement touchées ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Madame la sénatrice Goulet, le Yémen vit une tragédie, qui tient au fait – vous n’en avez pas véritablement fait état – qu’un conflit dure depuis des années dans ce pays. À ce stade, nous réclamons la possibilité pour l’aide humanitaire d’entrer dans un pays où les aéroports sont détruits, où les installations portuaires sont occupées, où les convois humanitaires ne peuvent pas circuler. Comme vous le savez, des membres de l’organisation Médecins sans frontières ont même été pris pour cible au Yémen.

L’urgence est de mettre fin aux activités militaires, de trouver une forme de règlement politique et, évidemment, de travailler pour les populations à une reconstruction du Yémen. Il n’est pas anormal que les pays du Golfe, compte tenu de leur responsabilité dans la situation actuelle, soient loin devant pour participer à la reconstruction de ce pays. Ce n’est pas nous qui avons participé à sa destruction.

M. le président. La parole est à M. André Reichardt, pour le groupe Les Républicains.

M. André Reichardt. L’approfondissement de l’union économique et monétaire sera au menu du sommet de la zone euro de vendredi. En la matière, la proposition phare d’Emmanuel Macron est la création d’un parlement de la zone euro, qui aurait notamment vocation à contrôler l’exécution d’un budget autonome devant atteindre plusieurs points de PIB, soit un montant se chiffrant en centaines de milliards d’euros.

D’ores et déjà, l’idée d’un parlement spécifique semble devoir connaître le même sort que la proposition de listes transnationales pour les élections européennes, enterrée le mois dernier par le Parlement européen et les chefs d’État ou de gouvernement.

Quant au budget de la zone euro, la réalité politique rattrape ce projet du Président de la République. La Commission européenne n’a ainsi pas jugé bon d’aller au-delà de la proposition d’une simple ligne budgétaire intégrée au budget général de l’Union.

Par ailleurs, les pays d’Europe du Nord ont adressé le 6 mars une fin de non-recevoir catégorique à cette idée, arguant, non sans raison à mon sens, que l’avenir de la zone euro passait avant tout par la remise en ordre des politiques économiques et budgétaires nationales.

Quant au partenaire allemand, il risque bien d’être difficile à convaincre. L’accord de coalition conclu entre la CDU-CSU et le SPD, qui place l’Europe au cœur de son projet, ignore totalement cette proposition.

Madame la ministre, dans ces conditions, ma question est simple : la création d’un budget autonome de la zone euro est-elle encore vraiment une proposition officiellement soutenue par la France et qu’en est-il de la feuille de route que la France discutera prochainement avec Berlin en vue du Conseil européen de juin ? Si vous répondez par l’affirmative à cette première question, pouvez-vous nous en dire plus sur le montant et l’affectation de ce budget ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur Reichardt, permettez-moi tout d’abord de rappeler que dans le contrat de coalition signé entre les partis qui constituent aujourd’hui le gouvernement allemand figure précisément le renforcement de la zone euro.

Il peut être facile de signer une lettre dans un journal quand tout va bien, quand la zone euro est en croissance, indiquant qu’on se préoccupera de son renforcement plus tard… Mais quand ? Quand tout ira mal ? Quand on devra, comme on a dû le faire voilà quelques années, agir dans la précipitation, quand il faudra rendre des comptes aux populations – ce qui n’a guère été fait d’ailleurs pendant la gestion de la crise financière ?

Le contrôle démocratique des décisions prises dans la zone euro est indispensable, car c’est précisément ce contrôle qui a cruellement manqué lors du traitement de la crise grecque. C’est ce qui explique aujourd’hui le désamour vis-à-vis de l’Union européenne d’une partie de l’Europe du Sud, région la plus favorable pourtant à la construction européenne autrefois.

On peut décider de ne rien faire, d’attendre que tout aille encore plus mal, que les populistes progressent davantage à chaque échéance électorale… ou on peut décider, à l’inverse, de prendre ses responsabilités. Il ne suffit pas d’appeler à plus de rigueur et à faire le ménage chez soi ; la prévention et le partage des risques sont également des notions importantes, qui apparaissent comme la conséquence normale de la monnaie commune. Nous avons besoin de l’union bancaire et de l’union des marchés de capitaux, qui sont favorables à la croissance et à l’emploi dans l’Union européenne.

C’est pourquoi, comme vous l’avez très justement rappelé, nous travaillons, notamment avec l’Allemagne, à la rédaction d’une feuille de route d’ici au mois de juin. Quelques jours seulement après la constitution du gouvernement allemand, vous me permettrez néanmoins de ne pas vous communiquer immédiatement les résultats des premiers entretiens du Président de la République avec Mme Merkel et de Bruno Le Maire, Jean-Yves Le Drian et moi-même avec nos homologues.

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour le groupe socialiste et républicain.

Mme Sylvie Robert. M. Vaugrenard ne pouvant malheureusement pas être présent parmi nous cet après-midi, il m’a chargée de vous poser la question qu’il voulait soulever, madame la ministre.

Je souhaiterais aborder la question des droits sociaux, notamment les dernières propositions de la Commission européenne sur la mise en œuvre du socle européen des droits sociaux. Il s’agit du projet de création d’une autorité européenne du travail ainsi que d’une initiative visant à garantir l’accès à une protection sociale pour tous les travailleurs salariés et non salariés.

Aujourd’hui, ceux qui travaillent à temps partiel dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée ou ceux qui travaillent sans être salariés représentent près de 40 % de ceux qui occupent un emploi. Ces personnes n’ont pas toujours une bonne couverture sociale, ne bénéficient pas systématiquement d’une assurance chômage et n’ont pas obligatoirement accès à des droits à pension. La proposition de la Commission vise donc à fixer un cap aux États membres afin de favoriser l’accès à la protection sociale pour tous les travailleurs, salariés ou non. Il est également prévu de publier une analyse des mesures prises et des progrès réalisés au niveau national en matière d’emploi, ainsi que dans le domaine social.

Ces initiatives vont dans le bon sens, mais force est de constater, trop souvent, la lenteur des prises de décision et de leur application. Les discussions à Vingt-Sept sont en effet particulièrement complexes. Ne serait-il pas temps de modifier la lourdeur des procédures européennes et de rendre possibles des prises de décision à la majorité, voire à moins ?

Dans le contexte international que nous traversons, l’Europe ne pourra peser que si elle accepte d’agir sans être obligatoirement et systématiquement d’accord à l’unanimité. Il s’avère donc nécessaire et urgent de réfléchir à la remise en cause de la règle absolue de l’unanimité. Pouvez-vous, madame la ministre, me donner la position du Gouvernement sur cette ambition de décision à géométrie variable, selon les sujets évoqués, notamment sociaux ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Madame la sénatrice Robert, en matière d’Europe sociale, le sommet de Göteborg a été un moment important, car il a permis de proclamer un socle de droits sociaux dans l’Union européenne. Il nous faut maintenant traduire cette déclaration d’intention en projet législatif européen, un objectif auquel nous sommes attachés. Je vous parlais moi-même, tout à l’heure, de notre soutien de principe à la création d’une autorité européenne du travail.

Toutefois, je ne vous le cache pas, le climat n’est pas simple, pour une raison assez facile à comprendre. D’un côté, les pays du nord de l’Europe ont peur que tout travail d’harmonisation sociale dans l’Union européenne se fasse en dégradant leur modèle social. De l’autre, les pays de l’est de l’Europe considèrent que leur croissance économique repose sur le dumping social.

Aujourd’hui, pour pouvoir avancer, il nous semble nécessaire, dans le prochain budget européen, de conditionner les fonds de la politique de cohésion à la convergence sociale, afin que l’on ne puisse pas financer une politique de travailleurs low cost par des fonds européens. Il nous paraît essentiel de nous faire entendre sur ce point.

S’agissant du mode de décision et, éventuellement, de l’idée de recourir à une Europe différenciée, je nous mets en garde s’agissant de l’Europe sociale. Il est possible qu’une avant-garde puisse avoir des projets plus ambitieux, mais nous risquons d’entretenir une concurrence interne à l’Union européenne, alors même que, dans le climat économique et commercial du moment, nos concurrents sont surtout en dehors de l’Union européenne. Nous devons donc renforcer notre cohésion entre États membres et travailler à une plus grande convergence sociale.

M. le président. La parole est à Mme Denise Saint-Pé, pour le groupe Union Centriste.

Mme Denise Saint-Pé. La semaine dernière, à l’occasion des trente ans du GIEC et de sa quarante-septième assemblée plénière à l’UNESCO, des scientifiques et économistes européens ont avancé des propositions pour un « pacte finance-climat » ambitieux.

Dans un contexte international houleux, où les États-Unis se désengagent de l’accord de Paris, mais laissent entendre un éventuel retour négocié dans l’accord, l’Union européenne doit afficher une volonté ferme de conduire la transition énergétique et de sauver le climat.

Madame la ministre, dans la perspective du cadre financier pluriannuel post-2020, l’énergie sera-t-elle une priorité politique ? La France va-t-elle impulser une dynamique auprès de l’Union pour que l’Europe reprenne le leadership en matière de finance-climat ? S’achemine-t-on vers la création d’un vrai budget climat européen permettant d’investir massivement dans la recherche, dans la transition énergétique et de financer le développement durable des continents voisins avant que les migrations climatiques ne secouent l’Europe encore davantage ?

Oui, l’enjeu est grand, comme l’a déclaré le Président de la République, et le défi reste à relever !

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Madame la sénatrice Saint-Pé, nous avons défini un ambitieux cadre énergie-climat pour 2030 dans l’Union européenne, qui repose sur trois grands objectifs : au moins 40 % de réduction des gaz à effet de serre par rapport à nos émissions de 1990, au moins 27 % d’énergies renouvelables dans le mix énergétique européen et au moins 30 % d’efficacité énergétique.

Nous sommes en train de négocier les législations qui déclinent ces objectifs de manière opérationnelle. Le travail est déjà accompli aux deux tiers, et l’on peut espérer qu’il sera terminé à la fin de cette année.

Du côté du climat, nous venons de rénover le marché du carbone et les politiques de réduction des émissions hors marché du carbone.

Du côté de l’énergie, nous achevons la négociation du paquet « Une énergie propre pour tous les Européens » de novembre 2016, composé de huit directives et règlements sur l’énergie. Il y a deux enjeux majeurs : mettre en place une gouvernance européenne des politiques énergétiques, en demandant à chaque État membre de se doter d’un plan national énergie-climat concourant à l’atteinte des objectifs européens ; adapter le fonctionnement du marché de l’électricité aux caractéristiques particulières des nouvelles sources d’énergies renouvelables, souvent intermittentes, pour leur permettre progressivement de trouver à se financer sur le marché.

M. le président. La parole est à M. Michel Canevet, pour le groupe Union Centriste.

M. Michel Canevet. Nous pouvons nous réjouir des avancées constatées dans la construction d’une Europe plus intégrée et plus harmonieuse. Il n’en demeure pas moins qu’un certain nombre de difficultés persistent, en particulier dans le secteur primaire.

Dans ce secteur, où les politiques européennes sont importantes, on constate un certain nombre de distorsions de concurrence. Je pense notamment aux secteurs du porc et du lait, pour lesquels le Gouvernement est en train de chercher des solutions permettant de rémunérer correctement les producteurs. Dans le domaine porcin, par exemple, on s’aperçoit que les exploitations allemandes sont indûment aidées par les pouvoirs publics. Aux Pays-Bas, on a identifié un certain nombre d’exploitations fantômes, et l’on s’étonne ensuite de dénombrer 360 000 tonnes de poudre de lait stockées au niveau européen, qu’il faudrait pouvoir évacuer au plus vite !

Le Gouvernement doit faire en sorte que les conditions de concurrence soient les mêmes sur l’ensemble du territoire européen, de façon à ne pas désavantager nos producteurs.

On peut également se réjouir qu’un accord puisse être trouvé dans le cadre du Brexit. J’appelle toutefois l’attention du Gouvernement sur la situation de nos marins pêcheurs.

La France est la deuxième puissance mondiale si l’on considère l’étendue de son domaine maritime. Mais on sait que les zones de pêche sont pour l’essentiel dans les eaux britanniques. Il importe que nos professionnels ne soient pas laissés pour compte et que, dans l’accord avec les Britanniques, le Gouvernement prenne effectivement en compte cette question des zones de pêche.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur Canevet, vous avez raison, la politique agricole commune est historiquement l’une des premières politiques intégrées de l’Union européenne, l’une des plus importantes aussi, pas seulement en termes de crédits alloués, mais aussi parce qu’elle permet la souveraineté alimentaire de l’Union européenne. Cette politique souffre toutefois de défauts et, lorsque nous appelons à sa réforme et à sa rénovation, c’est pour mieux traiter les sujets que vous avez mentionnés, en particulier pour mieux encourager l’organisation et la « durabilité » de nos filières.

C’est justement pour éviter ce risque de distorsion que nous sommes défavorables à la renationalisation de la politique agricole commune – les modèles agricoles risqueraient alors de diverger bien plus encore. Nous sommes aussi très attentifs à ce que la politique agricole commune puisse mieux prendre en charge la prévention et la gestion des crises auxquelles les filières agricoles sont confrontées.

Vous avez parlé de la situation des marins pêcheurs dans le contexte du Brexit. Comme je l’indiquais précédemment, nous avons obtenu, contrairement aux déclarations politiques un peu rapides de certains hommes politiques britanniques, que l’accès aux eaux britanniques pour les marins pêcheurs européens soit maintenu durant la période de transition. Il est évident que l’accès des produits de la mer issus de la pêche britannique au marché unique européen ne se fera pas sans conditions. Ce sera un aspect important de la négociation de la relation future avec le Royaume-Uni, et je vous assure que le négociateur européen, Michel Barnier, est particulièrement sensibilisé à cette question.

M. le président. La parole est à M. Benoît Huré, pour le groupe Les Républicains.

M. Benoît Huré. Le projet des pères fondateurs de l’Europe est dangereusement fragilisé. Pourtant, il a permis, entre autres réalisations, de vivre en paix pendant plus de soixante-dix ans, du jamais vu sur ce continent.

Pour relancer ce projet d’Union sur le continent européen, il faut renforcer les coopérations économiques, sociales, diplomatiques et militaires, en y consacrant les moyens nécessaires.

Les autorités européennes doivent être fermes sur le respect des conditions de coopération, mais elles ne doivent pas donner l’impression de vouloir enrégimenter les pays membres en les privant de toute expression, particulièrement sur les aspects spécifiques de leur identité et leur manière de vivre ensemble. L’union, dans ces domaines, ne peut s’imposer ni se décréter – il faut laisser le temps au temps –, et je pense que les générations Erasmus y contribueront efficacement.

Les pays de l’Union doivent plus et mieux se parler, s’expliquer, se rassurer. Les échanges entre parlements nationaux peuvent y contribuer, mais il faut les amplifier. Ces démarches et initiatives parlementaires doivent aller de pair avec toutes les autres actions visant à combattre l’euroscepticisme, voire l’europhobie.

Le temps presse : les années 2019 et 2020 vont être déterminantes. Notre responsabilité à l’égard des générations suivantes, comme du monde, est grande.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur Huré, je partage votre vision selon laquelle nous devons entendre les préoccupations des États membres. C’est ce que fait le Président de la République depuis son élection et c’est ce que je fais à ses côtés.

Nous nous sommes rendus dans un très grand nombre d’États membres de l’Union européenne et avons reçu l’ensemble de nos homologues, en plus des contacts que nous avons à Bruxelles. Nous dialoguons avec tout le monde, en étant fermes sur nos convictions, mais dans le respect des préoccupations de nos partenaires. Nous n’aurions d’ailleurs pas réussi à obtenir la révision de la directive sur les travailleurs détachés, dont on nous avait annoncé qu’elle serait emblématique d’une division entre l’est et l’ouest de l’Europe, si nous n’avions pas adopté une telle démarche.

Dans le même temps, il y a des éléments communs aux États membres de l’Union européenne. L’Union n’est pas seulement un marché unique, ni un carnet de chèques. Adhérer à l’Union européenne, c’est adhérer à ses valeurs fondamentales, notamment en matière d’État de droit, de séparation des pouvoirs et de valeurs démocratiques. Les pays qui ont rejoint l’Union à la suite des membres fondateurs l’ont fait en sortant d’années de dictature ou du joug soviétique. C’est justement parce qu’ils aspiraient à rejoindre ses valeurs qu’ils sont venus dans l’Union européenne. Nous ne l’oublions pas, et ces pays ne doivent pas l’oublier non plus.

S’agissant des progrès que nous pouvons accomplir aujourd’hui dans le fonctionnement de l’Union européenne, nous considérons que l’Europe différenciée n’est pas un gros mot. Sur certains sujets, ceux qui veulent aller de l’avant doivent pouvoir le faire, sans forcer ceux qui ne sont pas prêts ou qui n’en ont pas la volonté, mais sans être bloqués par eux non plus.

M. le président. La parole est à Mme Gisèle Jourda, pour le groupe socialiste et républicain.

Mme Gisèle Jourda. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’aborderai la question du Brexit sous l’angle de la politique de sécurité de l’Union européenne, et plus particulièrement des répercussions qu’entraînera le retrait du Royaume-Uni de celle-ci en matière de coopération policière et judiciaire.

Promouvoir la sécurité au sein de l’Union européenne a toujours été d’une importance cruciale. Le traité de Lisbonne a donné un nouveau souffle à ce combat en octroyant de nouvelles compétences à Eurojust et à Europol, qui sont donc des acteurs clés en matière non seulement de sécurité intérieure, mais aussi de sécurité extérieure, puisque ces agences coopèrent, au-delà des frontières de l’Union, avec Frontex, des partenaires extérieurs et des États tiers.

Il n’est un secret pour personne que nous vivons dans un monde globalisé, où les activités criminelles ne s’arrêtent pas aux frontières ni ne se limitent à un territoire de l’Union. Terrorisme, trafic de drogue, blanchiment d’argent, trafic d’êtres humains, contrefaçons, et j’en passe, sont autant de menaces criminelles qui transcendent les frontières étatiques.

Aussi est-il essentiel que le Royaume-Uni, malgré son retrait, puisse continuer à coopérer avec Europol et Eurojust, agences au sein desquelles il a joué un rôle déterminant. Le directeur actuel d’Europol est anglais, et le Royaume-Uni contribue ardemment à alimenter la base de données de cette agence. De plus, la sortie de ce pays d’Eurojust aurait des conséquences lourdes, notamment en ce qui concerne la reconnaissance des décisions de justice et la mise en œuvre du mandat d’arrêt européen.

Le Brexit constitue donc un défi majeur pour Europol et Eurojust, alors même qu’une régression de la sécurité des citoyens de l’Union est inenvisageable.

Dès lors, madame la ministre, j’aimerais connaître les modalités de coopération qui peuvent être développées entre le Royaume-Uni et ces agences afin de continuer, à l’avenir, le travail entrepris, et savoir où en sont les négociations dans ce domaine.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Madame la sénatrice, je partage votre analyse : en matière de criminalité et de lutte contre le terrorisme, les frontières n’existent pas. On ne peut, de ce point de vue, que regretter le départ du Royaume-Uni. S’il a, jusqu’à présent, largement contribué à Europol, dont la nouvelle directrice exécutive, que je viens de rencontrer, est belge, il en a aussi énormément bénéficié.

Ce mépris des frontières de la part des réseaux criminels ou terroristes est une autre raison de renforcer notre partenariat avec les pays des Balkans, dont je parlais tout à l’heure, puisque les enjeux de la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée concernent aussi ces États tiers, qui sont proches.

En ce qui concerne le Royaume-Uni, il est évident que les Vingt-Sept sont déterminés à maintenir un partenariat étroit avec les Britanniques en matière de justice et d’affaires intérieures, qu’il s’agisse de coopération judiciaire ou de coopération policière. Ces aspects seront pris en compte dans la définition de la relation future entre l’Union et le Royaume-Uni. Ils sont d’ailleurs clairement mentionnés dans les directives de négociation qui vont être données à Michel Barnier après le Conseil européen des 22 et 23 mars.

M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour le groupe Union Centriste.

M. Olivier Cadic. Madame la ministre, j’ai été quelque peu surpris par les réserves que vous avez émises concernant l’objectif d’adhésion à l’Union européenne de certains États des Balkans. Il me semblait pourtant que M. Macron, lors du discours qu’il a prononcé à la Sorbonne, avait donné à entendre que l’adhésion de la Serbie et du Monténégro, par exemple, pourrait intervenir dans un avenir proche.

David Davis et Michel Barnier se félicitent de s’être accordés sur la question des citoyens lundi dernier. Étant l’un de ceux-ci, je m’en réjouis. J’ai ici un recueil de témoignages poignants d’Européens qui vivent au Royaume-Uni. (Lorateur brandit un livre.) J’espère, monsieur le président Bizet, que nous aurons un jour l’occasion d’entendre leurs représentants en commission.

Selon la formule employée par Donald Tusk dans sa lettre au Conseil en date d’hier, les 3 millions de ressortissants européens installés au Royaume-Uni et le million de Britanniques résidant dans les autres pays membres de l’Union européenne ne ressentiront pas les effets du Brexit. Les personnes concernées ne partagent pas cet optimisme. J’assistais lundi à une journée de conférences organisée à Londres sous l’intitulé Should I stay or should I go ? Pour avoir longuement parlé avec des représentants des associations de citoyens The3million et British in Europe, je puis vous dire que celles-ci ont l’impression qu’un accord se fait sur leur dos.

Les ressortissants européens au Royaume-Uni devront se soumettre à une procédure de demande de statut migratoire, celui-ci étant destiné à remplacer leur statut actuel dérivé du droit européen. Ils n’ont pas de certitude de succès, car la procédure n’est pas déclaratoire comme c’est actuellement le cas, et certains droits seront perdus. La jeunesse européenne en fera les frais. Par exemple, un jeune Français de Londres ne pourra pas faire venir sa future femme selon les règles du regroupement familial, passée une date butoir.

Pour les Britanniques installés en France et dans les autres pays membres, le problème est différent. Ils perdront leur liberté de circulation et seront obligés de rester dans leur pays d’accueil actuel. Cela semble être, là encore, une discrimination.

La France est-elle prête à soulever ces questions et à exiger que les réserves des associations de citoyens soient prises en compte ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur, l’accord auquel l’Union européenne des Vingt-Sept et le Royaume-Uni sont parvenus au mois de décembre et qui trouve aujourd’hui sa traduction dans le projet d’accord de retrait prend en compte la situation des citoyens européens au Royaume-Uni, de même que celle des citoyens britanniques résidant dans l’Union européenne.

En vertu de cet accord, les Européens pourront continuer à résider, à étudier et à travailler au Royaume-Uni dans les mêmes conditions qu’actuellement. Ils continueront à bénéficier de la même protection sociale, par exemple en termes d’accès aux soins. C’est un élément essentiel, auquel nous avons été extrêmement attentifs. Nous avons également obtenu que les citoyens européens arrivant au Royaume-Uni pendant la période de transition ne soient pas discriminés par rapport à ceux qui s’y trouvaient avant le 29 mars 2019, ce qui n’était pas acquis au départ. Ce succès est à mettre au crédit de la négociation menée par Michel Barnier.

Nous allons continuer à être extrêmement attentifs à la situation des Européens, et en particulier de nos 300 000 compatriotes, vivant au Royaume-Uni. Notre consulat à Londres est en contact étroit avec les associations qui les représentent. Les autorités britanniques multiplient les réunions d’information concernant la situation future des ressortissants européens.

Cela étant, je suis d’accord avec vous sur un point : devenant un État tiers, le Royaume-Uni n’accordera pas à ceux qui le rejoindront après la fin de la période de transition les mêmes avantages que ceux qui sont consentis aux ressortissants de l’Union européenne actuellement. C’est une des raisons qui nous font regretter le vote intervenu en faveur du Brexit, mais il s’agit là d’une décision souveraine du peuple britannique, dont nous avons réussi à accompagner les effets de la meilleure manière possible. Nous resterons quoi qu’il en soit très attentifs, je le répète, à la situation de nos compatriotes résidant au Royaume-Uni.

M. le président. La parole est à M. Sébastien Meurant, pour le groupe Les Républicains.

M. Sébastien Meurant. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme Benoît Huré, je suis très inquiet du devenir de l’Union européenne.

De quelle Europe parlons-nous ? Où ses frontières s’arrêtent-elles ? L’Union européenne est perçue par les peuples comme étant très éloignée de leurs préoccupations et, au fil des élections, nous voyons progresser ceux que j’appellerai, pour simplifier, les europhobes.

Ma première question concerne la Turquie, ce drôle d’allié qui occupe le nord de Chypre depuis plus de quarante ans, qui se permet aujourd’hui d’occuper une partie de la Syrie, qui massacre nos alliés objectifs contre Daech et qui a exporté du pétrole pour le compte de ce groupe terroriste. Quelle est la position de l’Union européenne à l’égard de la Turquie ? (Mme Catherine Procaccia applaudit.)

Ma deuxième question porte sur le Brexit. Le général de Gaulle disait de l’Angleterre qu’elle choisirait toujours le grand large. De fait, le Royaume-Uni a gagné ! L’Europe est un continent où s’exacerbent les divergences sociales et fiscales, où prospèrent les pratiques d’optimisation fiscale, par exemple via la constitution de holdings. La France, ses entreprises et ses travailleurs en sont les premières victimes.

Ma troisième et dernière question a trait à l’espace Schengen. Mes chers collègues, je vous invite à consulter le texte n° E 12809 relatif à l’application, par la France, de l’acquis de Schengen. Notre pays, en 2016, était bien loin de répondre aux souhaits des institutions européennes, qui ne souhaitaient déjà pas grand-chose… La France est notamment incapable d’assurer la sécurité intérieure en contrôlant correctement les entrées sur son territoire, en particulier à Roissy. Madame la ministre, quelles sont les mesures prises par la France pour respecter les « acquis » de Schengen ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur, il s’agit là plus de remarques que de questions…

La Turquie est un partenaire indispensable dans la lutte contre le terrorisme. Nous lui devons de pouvoir identifier et contrôler les apprentis djihadistes français qui se rendent en Syrie ou en Irak en passant par son territoire. Ne l’oublions pas !

C’est aussi un partenaire difficile. Je me suis exprimée hier, ici au Sénat, sur l’offensive menée par la Turquie en Syrie. Nous comprenons que la Turquie se préoccupe de la sécurité de sa frontière, mais pas qu’elle pénètre profondément dans le territoire syrien et cause des déplacements de populations aggravant une situation humanitaire déjà dramatique. Nous lui demandons de laisser passer l’aide humanitaire et de permettre aux citoyens syriens de rentrer chez eux.

Concernant les divergences fiscales et sociales que l’on constate au sein de l’Union européenne, le Président de la République considère que le projet européen ne peut aujourd’hui s’approfondir que si l’on travaille à renforcer la convergence sociale et fiscale. Sans cela, le fait d’avoir une monnaie unique ne suffira pas à promouvoir l’Europe en tant que puissance économique. C’est la raison pour laquelle, en matière fiscale, nous plaidons par exemple pour la mise en place d’un « corridor » de taux d’impôt sur les sociétés et nous sommes favorables à ce que le versement de certains fonds européens soit conditionné au respect de la convergence fiscale et sociale.

Enfin, en ce qui concerne l’espace Schengen, nous considérons que l’heure n’est pas venue de l’élargir, même si certains États membres sont candidats. Il convient au préalable de le réformer et de le renforcer, en particulier en travaillant à un meilleur contrôle des frontières extérieures de l’Union européenne. Pour cela, il faut accroître les moyens et les effectifs. Nous nous y sommes engagés. Nous travaillons aussi à une meilleure interopérabilité des systèmes d’information entre États membres de l’Union européenne. Ce sont là des enjeux que nous prenons très au sérieux.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Je voudrais remercier Mme la ministre de s’être prêtée à cet exercice, qui n’est pas toujours facile.

Les questions de nos collègues m’ont semblé traduire l’inquiétude que ressentent nos concitoyens. Nous vivons dans un monde qui n’a jamais été aussi incertain, et les Françaises et les Français souhaitent une Europe qui protège – je n’ai pas dit « protectionniste ».

L’Union européenne n’avait pas été conçue en fonction d’une vague migratoire de l’ampleur de celle que nous avons connue. L’espace Schengen et l’agence Frontex n’avaient pas été dimensionnés pour y faire face. L’Union européenne réagit à sa vitesse, qui est celle des vingt-sept États membres. Notre collègue Sylvie Robert s’est demandé pourquoi il fallait toujours que les règles soient adoptées à l’unanimité. Or celle-ci est surtout requise quand il s’agit de questions financières ; dans d’autres domaines, c’est la majorité qualifiée qui prévaut, laquelle n’est pas non plus toujours facile à réunir.

Sur le plan des marchés de capitaux, après la chute de Lehman Brothers, en 2008, l’Union européenne a fini par constituer un corpus réglementaire très solide, mais cela a pris du temps.

Une Europe qui protège, c’est aussi une Europe qui, au travers de la coopération structurée permanente, élabore tout doucement une défense européenne ; là encore, il y faut du temps.

Une Europe qui protège, c’est enfin une Europe qui essaie de sanctionner les fraudes, les dérives constatées dans certains États, tels que l’Allemagne, où la filière porcine s’est livrée à des pratiques frauduleuses en matière de TVA, ou les Pays-Bas. J’ai adressé à Mme la ministre un courrier portant sur ce point précis. Il n’est pas normal qu’existent de telles distorsions au sein même de l’Union européenne. Les divergences seront corrigées, c’est ainsi que fonctionne l’Europe.

Pour conclure, je dirai qu’il faut trouver un juste équilibre entre les coopérations renforcées, qui nous permettent d’aller plus vite – sans aller jusqu’à créer une Europe à double vitesse, peut-être faut-il des « premiers de cordée » –, et le maintien de la cohésion de l’Europe des Vingt-Sept, de l’Europe des valeurs qu’appelle de ses vœux notre collègue Benoît Huré. La construction de l’Europe n’aura jamais de fin, parce qu’elle est toujours à parfaire.

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 22 et 23 mars 2018.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures quinze, est reprise à dix-sept heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

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Article 12 (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la protection des données personnelles
Article 12

Protection des données personnelles

Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la protection des données personnelles (projet n° 296, texte de la commission n° 351, rapport n° 350, rapport d’information n° 344).

Dans la discussion du texte de la commission, nous poursuivons, au sein du chapitre IV du titre II, l’examen de l’article 12.

TITRE II (suite)

MARGES DE MANŒUVRE PERMISES PAR LE RÈGLEMENT (UE) 2016/679 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL DU 27 AVRIL 2016 RELATIF À LA PROTECTION DES PERSONNES PHYSIQUES À L’ÉGARD DU TRAITEMENT DES DONNÉES À CARACTÈRE PERSONNEL ET À LA LIBRE CIRCULATION DE CES DONNÉES, ET ABROGEANT LA DIRECTIVE 95/46/CE

Chapitre IV (suite)

Dispositions relatives à certaines catégories particulières de traitements

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi relatif à la protection des données personnelles
Article additionnel après l'article 12 - Amendement n° 80 rectifié

Article 12 (suite)

L’article 36 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, les mots : « historiques, statistiques ou scientifiques » sont remplacés par les mots : « archivistiques dans l’intérêt public, à des fins de recherche scientifique ou historique ou à des fins statistiques » ;

2° Les deuxième et cinquième alinéas sont supprimés ;

3° Sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :

« Lorsque les traitements de données à caractère personnel sont mis en œuvre par les services publics d’archives à des fins archivistiques dans l’intérêt public conformément à l’article L. 211-2 du code du patrimoine, les droits prévus aux articles 15 et 18 à 21 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 précité ne s’appliquent pas dans la mesure où ces droits rendent impossible ou entravent sérieusement la réalisation de ces finalités. Un décret en Conseil d’État, pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, détermine les conditions d’application du présent alinéa, ainsi que les garanties appropriées pour les droits et libertés des personnes concernées et les limitations à apporter à la diffusion des données traitées.

« Un décret en Conseil d’État, pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, détermine dans quelles conditions et sous réserve de quelles garanties il peut être dérogé en tout ou partie aux droits prévus aux articles 15, 18 et 21 du même règlement, en ce qui concerne les autres traitements mentionnés au premier alinéa du présent article. »

M. le président. Je suis saisi de quatorze amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 46 rectifié, présenté par M. Patient et les membres du groupe La République En Marche, est ainsi libellé :

Alinéa 5

1° Première phrase

Après la référence :

15

insérer la référence :

, 16

2° Seconde phrase

Remplacer cette phrase par deux phrases ainsi rédigées :

Les conditions et garanties appropriées prévues à l’article 89 du même règlement sont déterminées par le code du patrimoine et les autres dispositions législatives et réglementaires applicables aux archives publiques. Elles sont également assurées par le respect des normes conformes à l’état de l’art en matière d’archivage électronique.

La parole est à M. Arnaud de Belenet.

M. Arnaud de Belenet. Georges Patient propose de rétablir l’alinéa 5 dans sa rédaction d’origine. Il rappelle que l’article 89 du règlement général sur la protection des données, le RGPD, permet des dérogations à certains droits en matière d’archives.

M. le président. Les amendements nos 40,42, 53,60, 90, 136 et 149 rectifié bis sont identiques.

L’amendement n° 40 est présenté par Mmes M. Carrère et Costes.

L’amendement n° 42 est présenté par M. Schmitz.

L’amendement n° 53 est présenté par M. L. Hervé.

L’amendement n° 60 est présenté par M. Mazuir.

L’amendement n° 90 est présenté par le Gouvernement.

L’amendement n° 136 est présenté par Mmes S. Robert et Van Heghe, MM. Durain, Féraud et Fichet et Mme Blondin.

L’amendement n° 149 rectifié bis est présenté par MM. Delcros, Kern, Henno, Janssens et Laugier, Mme Vermeillet, M. Bonnecarrère, Mme Billon, MM. Mizzon, Longeot et Canevet, Mme Férat, M. Détraigne, Mme Loisier et MM. Bockel et Cigolotti.

Ces sept amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 5, première phrase

Après la référence :

15

insérer la référence :

, 16

La parole est à Mme Josiane Costes, pour défendre l’amendement n° 40.

Mme Josiane Costes. L’introduction d’un droit de rectification des archives, en apparence anodine, soulève plusieurs questions qui méritent d’être débattues ici. Je me réjouis qu’elles aient trouvé tant d’écho dans notre chambre.

Il y a tout d’abord la question, d’ordre scientifique, de l’authenticité des archives. Peut-on altérer des documents à valeur historique en vertu d’un droit de rectification accordé à nos contemporains au nom de la mémoire de leurs aïeux ou de tel ou tel argument ? Ne s’agit-il pas là d’une pratique qui risque de nuire aux débats scientifiques de chercheurs s’efforçant de déterminer des vérités historiques ou sociales selon des règles déontologiques qui leur sont propres ? Même les erreurs révèlent une part de vérité. En outre, les rectifications sont déjà possibles par le biais de publications commentant les archives.

Il y a, ensuite, la question plus prosaïque de la charge de travail que ces modifications impliqueront pour les archivistes, largement sous-estimée ici.

Madame la rapporteur, nous saluons votre effort pour trouver un compromis, mais nous considérons que la rédaction que vous proposez reste insuffisamment protectrice. Le principe d’authenticité des archives ne peut s’accommoder de nuances.

M. le président. La parole est à M. Alain Schmitz, pour présenter l’amendement n° 42.

M. Alain Schmitz. Il est nécessaire que les traitements mis en œuvre par les services publics d’archives dérogent au droit de rectification. Les traitements visés par l’article 12 ne portent que sur les archives « définitives » ou « historiques », et en aucun cas sur les archives « courantes » et « intermédiaires », également appelées « archives vivantes », qui sont, quant à elles, bel et bien soumises au droit de rectification.

Les deux principes importants de l’archivistique sont l’intégrité et l’authenticité.

Les informations contenues dans les archives historiques sont souvent périmées et incomplètes du seul fait de leur ancienneté. Elles comportent parfois des inexactitudes et des erreurs volontaires. Accorder un droit de rectification de ces archives historiques reviendrait à porter atteinte à leur authenticité, notion qui est à distinguer de celle de véracité. Or la mission de l’archiviste est, bien entendu, de garantir l’authenticité des documents.

Comme vient de le dire notre collègue, ce droit à rectification des archives historiques engendrerait, de surcroît, une charge de travail extrêmement lourde : songeons aux kilomètres de linéaires que peuvent occuper des archives, qu’elles soient nationales, départementales ou communales.

M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé, pour présenter l’amendement n° 53.

M. Loïc Hervé. Il est défendu.

M. le président. L’amendement n° 60 n’est pas soutenu.

La parole est à Mme la garde des sceaux, pour présenter l’amendement n° 90.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Cet amendement a pour objet de rétablir la rédaction initiale de l’article 12 du projet de loi, qui prévoyait une dérogation au droit de rectification pour les traitements à des fins archivistiques dans l’intérêt public. Cette dérogation ne vise que les archives dites historiques, qui sont déjà anciennes et conservées par les services publics d’archives, et non les archives vivantes, effectivement soumises, quant à elles, au droit de rectification. Elle garantit leur intégrité et leur authenticité au regard de l’histoire.

S’agissant des archives historiques, il convient de distinguer le caractère original et authentique des documents de la véracité de l’information qu’ils contiennent. Les services d’archives ont pour mission de conserver des documents authentiques. Il revient aux chercheurs, aux historiens d’apprécier, éventuellement, la véracité des informations que ceux-ci contiennent.

Par ailleurs, la rectification de documents vieux de vingt, trente, quarante ans ou plus constituerait, me semble-t-il, une charge démesurée pour les services publics d’archives, qui conservent des kilomètres d’archives et des centaines de téraoctets de données. L’exercice de ce droit se révélerait en réalité impossible, en raison de l’extrême difficulté, pour ces services, de vérifier l’exactitude des informations demandées.

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour présenter l’amendement n° 136.

Mme Sylvie Robert. Il est défendu.

M. le président. La parole est à M. Bernard Delcros, pour présenter l’amendement n° 149 rectifié bis.

M. Bernard Delcros. Il me paraît extrêmement important de rétablir cette dérogation au droit de rectification, lequel continuerait bien entendu à valoir pour les archives vivantes.

Il faut protéger les archives historiques. Elles contiennent des données qui sont exactes au regard de la réalité des faits de l’époque, d’autres qui sont inexactes. Ces inexactitudes sont parfois volontaires et répondent à des préoccupations très précises : nous avons tous en tête des exemples concernant les périodes les plus tragiques du XXe siècle. Il est donc essentiel que les historiens et les chercheurs puissent disposer de toutes les données, qu’elles soient exactes ou inexactes, parce qu’elles permettent de comprendre ce qui s’est passé, en vue d’écrire l’histoire. Ne pas protéger les archives historiques serait une erreur.

M. le président. L’amendement n° 152, présenté par Mme Joissains, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Alinéa 5, après la première phrase

Insérer une phrase ainsi rédigée :

En outre, par dérogation à l’article 16 du même règlement, lorsqu’un document conservé par un service public d’archives comprend des données à caractère personnel inexactes, la personne concernée a le droit d’obtenir de ce service qu’il soit fait mention de cette inexactitude, soit en marge du document, soit dans un document spécialement annexé à cet effet.

La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Sophie Joissains, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Depuis la fin des années soixante-dix, l’articulation entre les principes régissant respectivement la conservation des archives, l’accès aux documents administratifs et la protection des données à caractère personnel a fréquemment soulevé des difficultés.

Je tiens d’abord à dissiper quelques malentendus. Le droit en vigueur ne prévoit aucune dérogation au droit de rectifier des données personnelles inexactes au bénéfice des services publics d’archives. Il prévoit seulement une dérogation à la durée normale de conservation des données, une dérogation aux obligations de confidentialité, une dérogation au droit d’accès des personnes physiques aux données personnelles qui les concernent tel qu’il est défini par la loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, une dérogation au droit d’opposition à voir ces données traitées.

Le droit de rectification est strictement encadré par le droit français et communautaire. Comme l’a confirmé le Contrôleur européen de la protection des données, il ne s’applique qu’aux données objectives et factuelles, pas aux déclarations subjectives, qui, par définition, peuvent être erronées d’un point de vue factuel.

La CNIL, la Commission nationale de l’informatique et des libertés, nous a assuré que cette interprétation étroite du principe d’exactitude correspondait en tous points à sa pratique.

Le droit de rectification n’implique pas d’effacer des données inexactes. Il peut y être fait droit, par exemple, en apposant une mention en marge du document ou en ajoutant au dossier des pièces complémentaires. Comme tous les droits reconnus aux personnes physiques sur leurs données personnelles, ce droit s’éteint au décès de l’intéressé et n’est pas transmissible aux héritiers, comme c’était le cas jusqu’en 2004.

Ces mises au point étant faites, la question demeure : faut-il introduire une nouvelle dérogation au droit de rectification au bénéfice des services publics d’archives ?

Une telle dérogation pourrait être justifiée d’une part par la nécessité de maintenir l’intégrité des archives, d’autre part par les règles de communication des archives publiques, qui protègent, dans une certaine mesure, les personnes vivantes contre les atteintes à la vie privée, puisqu’elles prévoient des délais de communication plus ou moins longs. Néanmoins, ces délais n’empêchent pas que les documents soient communiqués, voire largement diffusés, avant la mort des intéressés ; tel est bien le problème.

En outre, les archives peuvent, dans certains cas, être communiquées avant l’expiration des délais légaux, et l’administration des archives conserve le droit d’ouvrir des fonds d’archives, à tout moment, avec l’accord de l’administration dont elles émanent.

La semaine dernière, la commission des lois a estimé légitime qu’une personne vivante ayant connaissance du fait qu’un document d’archives publiques la concernant contient des informations inexactes puisse en obtenir la rectification. Il convient d’opérer une juste conciliation entre les objectifs d’intérêt général des services publics d’archives et la protection des droits des personnes sur leurs données.

On ne saurait ignorer le préjudice que pourrait causer à ces personnes la publicité donnée à des informations factuellement erronées. J’aimerais mentionner un exemple de nature à nourrir notre réflexion sur ce sujet délicat : en 2013, les ministères de la défense et de la culture ont demandé à la CNIL l’autorisation de procéder à la numérisation, à l’indexation et à la diffusion sur internet des registres matricules du recrutement militaire des soldats ayant participé à la Première Guerre mondiale. Ces registres matricules comprennent, notamment, des données sensibles issues du dossier militaire des soldats : blessures, état général, santé, maladies, contaminations… Par conséquent, il avait été prévu d’étendre à tout internaute – ce qui est exceptionnel – le droit de demander la rectification des données inexactes des bases de données d’indexation et des registres matricules numérisés. La CNIL avait alors souligné l’intérêt d’une telle disposition, relevant qu’aucune analyse de l’exactitude des données n’avait été préalablement menée et que les pratiques suivies pour constituer un registre matricule variaient d’un bureau de recrutement à un autre.

Bien sûr, en 2013, il n’y avait plus beaucoup de combattants de cette guerre encore en vie ! Pour autant, ces soldats auraient-ils voulu que des informations fausses les concernant soient diffusées auprès du plus large public, même après leur mort ? Et que dire de leurs enfants ou de leurs petits-enfants, qui pouvaient voir la mémoire de leur père ou de leur grand-père injustement abîmée ?

Afin d’apaiser ces inquiétudes, je propose, par l’amendement n° 152, d’expliciter dans la loi que l’exercice du droit de rectification n’implique pas d’effacer des données inexactes, mais qu’il peut y être fait droit soit en apposant une mention rectificative en marge du document, soit en y annexant un document rectificatif.

Plusieurs amendements de nos collègues visent aussi à supprimer le renvoi à un décret en Conseil d’État, ajouté par la commission des lois pour tenir compte des observations de la CNIL. En effet, le RGPD prévoit que la loi nationale peut déroger au droit reconnu aux personnes physiques sur leurs données en ce qui concerne les traitements à des fins archivistiques dans l’intérêt public, mais ces dérogations ne sont permises que sous réserve de garanties appropriées et dans la mesure où ces droits risqueraient de rendre impossible ou d’entraver sérieusement la réalisation des finalités spécifiques de ces traitements.

Il convient donc de préciser par décret en Conseil d’État la portée de ces dérogations, les garanties offertes aux personnes concernées et les limitations à apporter à la diffusion des données traitées, notamment en ce qui concerne l’indexation de ces données sur les moteurs de recherche.

Je demande, au nom de la commission, que l’amendement n° 152 soit mis aux voix par priorité.

M. le président. Les amendements nos 41,43, 61, 91 et 135 rectifié sont identiques.

L’amendement n° 41 est présenté par Mmes M. Carrère et Costes.

L’amendement n° 43 est présenté par M. Schmitz.

L’amendement n° 61 est présenté par M. Mazuir.

L’amendement n° 91 est présenté par le Gouvernement.

L’amendement n° 135 rectifié est présenté par Mmes S. Robert et Van Heghe, MM. Durain, Féraud et Fichet et Mme Blondin.

Ces cinq amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 5, seconde phrase

Remplacer cette phrase par deux phrases ainsi rédigées :

Les conditions et garanties appropriées prévues à l’article 89 du même règlement sont déterminées par le code du patrimoine et les autres dispositions législatives et réglementaires applicables aux archives publiques. Elles sont également assurées par le respect des normes conformes à l’état de l’art en matière d’archivage électronique.

La parole est à Mme Josiane Costes, pour présenter l’amendement n° 41.

Mme Josiane Costes. Il est défendu.

M. le président. La parole est à M. Alain Schmitz, pour défendre l’amendement n° 43.

M. Alain Schmitz. L’article 89 du RGPD permet aux traitements à des fins archivistiques dans l’intérêt public de déroger à certains droits en contrepartie de conditions et garanties appropriées. Cette disposition ne concerne que les archives définitives ou les archives historiques, et seulement les traitements des services publics d’archives qui ont pour mission de collecter les archives publiques à l’issue de leur durée d’utilité administrative.

Or la gestion de ces archives est encadrée par un ensemble de textes législatifs et réglementaires très dense – plus de 150 dispositions inscrites dans le code du patrimoine, des dizaines de dispositions figurant dans d’autres textes, notamment dans le code des relations entre le public et l’administration, et plus d’une centaine d’instructions ministérielles.

Toutes les étapes de la chaîne archivistique – tri, sélection, traitement, conservation et communication – sont ainsi juridiquement très encadrées. Ce corpus législatif et réglementaire et le respect des normes en matière d’archivage électronique apportent des garanties fortes et suffisantes. Dès lors, instaurer une nouvelle couche de droits ne semble pas nécessaire. Cela créerait de surcroît une complexité inutile.

Par ailleurs, le décret d’application de l’article 6 de la loi pour une République numérique, dont la parution, après avis de la CNIL, devrait intervenir prochainement, déterminera précisément les conditions de diffusion sur internet des documents d’archives et de leurs instruments de recherche. Des dispositions réglementaires supplémentaires sont donc inutiles en ce qui concerne les traitements archivistiques mis en œuvre par les services publics d’archives.

M. le président. L’amendement n° 61 n’est pas soutenu.

La parole est à Mme la garde des sceaux, pour présenter l’amendement n° 91.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Cet amendement vise à rappeler que seules les finalités définies à l’article 89 du RGPD permettent de déroger à certains droits des personnes concernées.

Le RGPD n’interdit pas de procéder à des traitements de données archivées à d’autres fins que les fins archivistiques dans l’intérêt public, les fins de recherche scientifique ou historique ou les fins statistiques. Néanmoins, les traitements en question sont soumis au régime de droit commun du RGPD et de la loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. Ces traitements ne bénéficient pas des dispositions spécifiques attachées aux traitements précités.

La nouvelle rédaction de l’alinéa, qui impose certaines conditions spécifiques, n’est pas conforme au RGPD. Le présent amendement a donc pour objet de revenir à la rédaction initiale du projet de loi.

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour présenter l’amendement n° 135 rectifié.

Mme Sylvie Robert. Il est défendu.

M. le président. J’ai été saisi, par la commission, d’une demande de vote par priorité de l’amendement n° 152.

Je rappelle que, aux termes de l’article 44, alinéa 6, du règlement du Sénat, lorsqu’elle est demandée par la commission saisie au fond, la priorité est de droit, sauf opposition du Gouvernement.

Quel est donc l’avis du Gouvernement sur cette demande de priorité formulée par la commission ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je ne m’oppose pas à la demande de priorité formulée par Mme la rapporteur. Je souligne toutefois que je suis très attachée à ce que l’amendement n° 90 du Gouvernement et les amendements identiques soient adoptés…

M. le président. La priorité est ordonnée.

Madame la garde des sceaux, pour votre information, si l’amendement n° 152 de la commission est adopté, le vôtre deviendra sans objet, de même que l’amendement n° 46 rectifié et les amendements identiques nos 40, 42, 53, 136 et 149 rectifié bis.

Quel est l’avis du Gouvernement sur les amendements nos 46 rectifié et 152 ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Le Gouvernement est défavorable à ces amendements.

M. le président. La parole est à M. Arnaud de Belenet, pour explication de vote sur l’amendement n° 152.

M. Arnaud de Belenet. Si j’ai bien compris, la commission et le Gouvernement ont le même but, mais les moyens envisagés pour l’atteindre sont très différents.

Mme la rapporteur propose de rendre possible l’apposition de mentions correctives marginales. Le Gouvernement et les auteurs d’amendements identiques au sien proposent quant à eux de rétablir un cadre dérogatoire pour ce qui concerne les archives historiques.

Ce qui me dérange fortement dans la proposition de Mme la rapporteur, c’est qu’elle repose de fait sur le postulat que la vérité d’aujourd’hui sera celle de demain. Je ne suis pas certain que ce soit exact. Quand il s’agit d’histoire, d’analyse des documents d’archives, je ne pense pas que le législateur soit plus qualifié que les spécialistes. Pourquoi autoriser l’inscription dans les archives de la vérité d’aujourd’hui ? C’est ainsi que j’entends l’amendement de la commission.

Mme Esther Benbassa. Ce n’est pas son objet ! Sinon, nous aurions réagi !

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour explication de vote.

Mme Sylvie Robert. Ce que nous propose Mme la rapporteur représente finalement un accommodement, une demi-mesure. Elle a essayé de trouver une forme de compromis, mais son amendement ne prend pas en compte les aspects pratiques du processus de rectification, en termes tant de coûts indirects que de charge de travail pour les services d’archives. Il faut avoir conscience des incidences qu’aurait son adoption.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois, constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Je voudrais tenter d’apporter une contribution au débat en livrant un éclairage personnel.

Passionné par la question des archives, je me suis beaucoup impliqué dans cette problématique lorsque j’étais président du conseil départemental de la Manche. Pour tout vous dire, le directeur des archives départementales, chartiste comme beaucoup de nos archivistes, homme extrêmement cultivé – j’espère que ces compliments iront jusqu’à lui ! (Sourires.) –, n’a pas manqué de m’alerter sur ce sujet. Je comprends sa motivation.

Je trouve tout à fait intéressant que survivent dans nos archives, à l’épreuve du temps, de nombreuses inexactitudes qui n’ont jamais été corrigées et qui ont une valeur historique de très grande importance. Aussi bien, nous ne pouvons pas nous permettre ici d’adopter une disposition qui effacerait la trace des inexactitudes et empêcherait les historiens de demain de pouvoir les exploiter, en quelque sorte, pour servir la vérité historique et scientifique.

Mme Esther Benbassa. Tout à fait !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Au fond, tous les amendements en discussion partent de cette idée fondamentale que l’inexactitude a une valeur scientifique et historique au regard de la vérité que devront établir les historiens du futur.

M. Loïc Hervé. Absolument !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Là-dessus, il n’y a pas de débat entre nous.

Cela étant posé, nous pensons que l’amendement de la commission est meilleur que les autres parce qu’il atteint une forme de compromis. Le règlement général pour la protection des données prévoit que l’on puisse corriger les inexactitudes. Soit ! Nous proposons simplement que les inexactitudes portant sur ses propres données personnelles archivées puissent être corrigées à la demande de l’intéressé, mais en gardant la trace de ces inexactitudes. Nous pensons en toute bonne foi qu’il s’agit là d’un bon compromis et espérons que nos archivistes s’en contenteront ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.

Mme Catherine Morin-Desailly. En tant que rapporteur, avec notre ancien collègue René Garrec, de la dernière loi sur les archives, je serais plutôt d’avis de ne toucher à rien.

Bien entendu, le RGPD nous amène à réfléchir sur l’accumulation de données, de documents, au fil du temps, de l’histoire. Comment mettre tout cela en perspective ? Comment l’histoire s’écrit-elle ?

Cependant, cela a été dit, il ne faut pas confondre le rôle de l’historien et celui de l’archiviste. Les archives sont des documents bruts, qui peuvent comporter des données inexactes. Ce qui compte, c’est leur authenticité. Il appartient ensuite à l’historien – le président Bas l’a très bien souligné – de les confronter, de les analyser, de les décrypter, de les mettre en perspective. On ne peut récrire l’histoire que sous le regard avisé des spécialistes.

Je ne suis donc pas très favorable à ce que l’on touche à quoi que ce soit. Tel est mon sentiment. Je comprends que certains veuillent porter la vérité à la connaissance de tous, mais c’est aux historiens de l’établir. Encore une fois, les archives sont des documents bruts.

M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.

M. Marc Laménie. On apprend tous les jours, comme on dit ! Je salue le travail accompli par le président Bas, la rapporteur et l’ensemble des membres de la commission des lois sur un texte qui n’est pas simple.

Le président Philippe Bas a rappelé le rôle des historiens et des archivistes locaux et départementaux. Pour ma part, je suis non pas historien, mais géographe, les deux disciplines étant néanmoins liées. Je profite de cette occasion pour saluer la qualité du travail de la division des archives du Sénat.

Mme la rapporteur a développé une argumentation forte et passionnée à l’appui de sa demande de mise aux voix par priorité de son amendement. Je voterai celui-ci, après avoir souligné qu’il faut toujours mesurer les incidences des dispositions que nous adoptons.

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. Lors de la séance du 8 janvier 2008, dans cet hémicycle, Robert Badinter nous avait expliqué comment il avait sauvé les archives du tribunal de la Seine et comment, garde des sceaux, il avait recherché, après une conférence à Vienne, les archives du procès Landru, qui avaient été égarées. Je vous invite à lire le compte rendu de cette séance, madame le garde des sceaux. Ce rappel constitue la preuve qu’il peut parfois être utile de faire trois mandats consécutifs…

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Mais pas plus ! (Sourires.)

Mme Nathalie Goulet. Je rejoins tout à fait les propos de Catherine Morin-Desailly et soutiens donc l’amendement du Gouvernement.

Le temps des archives est une chose, celui de l’histoire en est une autre. Les archives, ce n’est pas Wikipédia, monsieur le président de la commission des lois.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Je le croyais, pourtant ! (Sourires.)

Mme Nathalie Goulet. On ne peut pas les rectifier sur simple demande de la personne concernée. C’est à l’historien qu’il appartiendra éventuellement de le faire, dans le temps qui est celui de sa discipline.

Par ailleurs, j’indique que je ne lis jamais les amendements pré-rédigés que l’on nous envoie. J’ignore donc quelles suggestions les archivistes ont adressées aux parlementaires, mais il me semble évident qu’il faut laisser aux historiens et aux archivistes leurs rôles respectifs. Dans son merveilleux discours du 8 janvier 2008, Robert Badinter a tout dit sur le sujet : je vous y renvoie !

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.

Mme Esther Benbassa. En tant qu’historienne, je me demande sur quelle base les rectifications seront apportées. Qu’est-ce que la vérité ? La question peut sembler naïve, mais quand nous, historiens, consultons des archives, nous devons lire entre les lignes et interpréter, car il n’y a pas d’histoire brute ; l’histoire s’écrit. Au nom de quoi rectifier les archives ? De quelle vérité ? Tout historien se pose la question de l’authenticité des archives sur lesquelles il travaille. Si l’on considère a priori que la rectification est plus proche de la vérité que l’original, on risque de biaiser quelque peu l’écriture de l’histoire.

M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain, pour explication de vote.

M. Jérôme Durain. Je remercie la rapporteur du compromis qu’elle nous propose au travers de l’amendement n° 152. Toutefois, si je comprends sa volonté de trouver un équilibre, je crois que, en certaines matières, les compromis ne tiennent pas et débouchent sur une cote mal taillée. C’est le cas, me semble-t-il, en l’occurrence.

L’histoire est le produit d’un regard porté sur le passé par une société donnée, avec sa culture, ses codes, ses références. Si l’on permet de rectifier une archive, d’y inscrire des mentions en marge ou en annexe, faudra-t-il aussi prévoir la possibilité de revenir sur cette rectification ultérieurement, afin de pouvoir prendre en compte, le cas échéant, de nouveaux éléments ? Cela paraît très compliqué ! Pour ma part, je suis partisan de la simplicité, c’est-à-dire du rétablissement de la version initiale du texte. Manifestement, l’amendement n° 152 ne fait pas recette et il ne satisfera pas les archivistes.

M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour explication de vote.

Mme Maryse Carrère. En matière d’archives, il ne faut pas confondre véracité et authenticité. Comme l’a dit Mme Benbassa, il revient aux chercheurs et aux historiens d’établir la véracité des faits par le croisement des sources et l’analyse critique des documents.

Par ailleurs, il existe déjà des textes permettant d’engager des procédures de révision des archives, sans pour autant que l’on en arrive à corriger les originaux.

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur, que j’invite à donner l’avis de la commission sur les amendements identiques nos 41,43, 91 et 135 rectifié.

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Je pense que je me suis mal fait comprendre et qu’il y a là un vaste malentendu.

Madame Benbassa, il ne s’agit pas de toucher aux archives. Il revient bien entendu à l’historien de les analyser. Les éventuelles inexactitudes qu’elles recèlent contribuent elles aussi à nourrir son travail et son interprétation. Nous sommes tout à fait d’accord sur ce point.

Mme Morin-Desailly a dit que les données étaient parfois subjectives ; c’est vrai. Il y a en fait deux types de données : les données factuelles – M. Untel a été jugé tel jour – et les données subjectives – M. X pensait telle ou telle chose de M. Untel. Bien entendu, il ne faut surtout pas toucher à ces données subjectives.

Nous proposons simplement de permettre la rectification de données factuelles fausses concernant des personnes encore en vie, le droit à la rectification n’étant pas transmissible.

Imaginons, madame Goulet, qu’un document d’archives accessible sur internet comporte des éléments erronés vous concernant. Ne souhaiteriez-vous pas pouvoir le rectifier et rétablir ainsi la vérité ? Il me semble important de pouvoir concilier la vie des archives et la vie de l’individu. Nous pouvons concilier ces deux intérêts majeurs simplement, en permettant que l’on appose des rectifications en marge du document, voire en annexe, afin de rétablir une vérité purement factuelle. Cela peut tout de même avoir de l’intérêt pour l’honneur des vivants ! Tout à l’heure, nous avons cité l’exemple des combattants de la Grande Guerre et de leurs familles.

Il y va de la considération que l’on doit à l’individu, et nous pouvons tous demain être concernés. À l’époque d’internet, peut-on s’imaginer que les archives sont des documents poussiéreux qui n’intéressent que les historiens ? Il existe des archives publiques qui concernent des individus encore en vie. Le droit de rectification ne pourra être exercé que par celles-ci. Je le répète, il ne s’agit pas du tout de permettre la rectification de données subjectives, mais uniquement celle des données factuelles.

Mme Esther Benbassa. Pourriez-vous donner un exemple ?

M. le président. Veuillez conclure, madame le rapporteur.

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Je maintiens l’amendement n° 152, qui permet à mon sens de concilier le droit des vivants et celui des archives, et je sollicite le retrait des autres.

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. La démonstration que vient de faire Mme Joissains n’est pas tout à fait exacte. En effet, si un document est disponible sur internet, il est dès lors vivant et peut donc bien sûr, à ce titre, faire l’objet d’une rectification.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Une archive, en revanche, n’est pas communicable pour une durée comprise entre cinquante et cent vingt ans, selon les cas.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Au terme de ce délai seulement, les historiens peuvent y accéder et faire leur travail. J’ai moi-même eu l’occasion de travailler, en tant qu’historienne du droit, sur des archives relatives au Conseil de chancellerie datant de 1777, dans lesquelles j’ai repéré des inexactitudes !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. L’intervention de Mme le garde des sceaux me force à reprendre la parole.

On numérise des archives, puis on les diffuse sur internet. Si elles comportent des inexactitudes concernant des personnes vivantes, ces dernières doivent pouvoir en obtenir la rectification, à la condition que cela n’amène pas la destruction des documents d’origine. Le problème se pose véritablement !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 152.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Monsieur de Belenet, l’amendement n° 46 rectifié est-il maintenu ?

M. Arnaud de Belenet. Non, je le retire au profit de l’amendement n° 90 du Gouvernement, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 46 rectifié est retiré.

Je mets aux voix les amendements identiques nos 40, 42, 53, 90, 136 et 149 rectifié bis.

(Les amendements sont adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 41, 43, 91 et 135 rectifié.

(Les amendements sont adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L’amendement n° 92 est présenté par le Gouvernement.

L’amendement n° 144 est présenté par M. Patient.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 6

Après la référence :

15,

insérer la référence :

16,

La parole est à Mme la garde des sceaux, pour présenter l’amendement n° 92.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Cet amendement vise à rétablir la dérogation au droit de rectification des données à caractère personnel pour les archives définitives.

Cette dérogation, je le rappelle, est permise par l’article 89 du RGPD. Elle était inscrite dans le projet de loi initial et, dans son avis sur celui-ci, la CNIL n’a pas émis de réserves sur ce sujet.

Il me semble opportun de rappeler que l’article 12 du présent projet de loi ne vise que les archives définitives ou les archives historiques, et non les archives courantes ou les archives intermédiaires, parfois appelées « archives vivantes », qui restent, elles, soumises au droit de rectification.

À l’issue de leur durée d’utilité administrative, les archives qui sont sélectionnées pour être conservées par un service public d’archives, qu’il s’agisse des archives nationales, régionales, départementales ou communales, ne doivent plus être modifiées : c’est l’un des grands principes de l’archivistique, qui garantit des sources intègres, authentiques et non dénaturées, nécessaires à tout travail d’historien.

Modifier des archives historiques sous prétexte de rectifier une donnée personnelle reviendrait en réalité à porter atteinte à l’intégrité originale des documents, avec un risque de falsification et d’atteinte à leur caractère authentique, ou bien à altérer un travail futur de recherche.

La commission des lois a modifié la rédaction de l’article 36 de la loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés en prévoyant que les traitements archivistiques peuvent déroger à une partie des droits des personnes prévues par le RGPD, mais elle a omis d’inclure le droit de rectification dans la liste de ces dérogations. Cet amendement a pour objet de rétablir la dérogation susvisée.

M. le président. L’amendement n° 144 n’est pas soutenu.

Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 92 ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 92.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. L’amendement n° 27 rectifié ter, présenté par MM. Chaize, Grosdidier, Raison et Perrin, Mme Eustache-Brinio, M. Sol, Mme Giudicelli, M. Hugonet, Mmes Lavarde, Bories et Garriaud-Maylam, M. Lefèvre, Mme Estrosi Sassone, MM. Babary, Savary, Bazin et Vaspart, Mme Lassarade, MM. D. Laurent, Kennel et Mouiller, Mmes Deromedi, Lamure et Deseyne, MM. Paccaud, Poniatowski, Buffet, de Nicolaÿ, Bonhomme, Milon, Bascher et Vogel, Mmes Boulay-Espéronnier, Deroche et Imbert, M. Bouchet, Mme de Cidrac et MM. B. Fournier, Bonne, Revet, Laménie, Leleux, Savin et Gremillet, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

« Le ou les responsables conjoints d’un traitement de données personnelles à finalité de production d’une information anonyme de nature statistique peuvent conserver, en marge du traitement auquel peuvent être appliquées les mesures appropriées visant à garantir la protection des données personnelles, notamment la pseudonymisation, pendant la durée prévue au 5° de l’article 6 de la présente loi, le nom et l’adresse postale ou électronique des personnes dont les données ont servi par agrégation sur un effectif de taille suffisante, à produire l’information statistique, afin d’informer lesdites personnes de leurs droits visés aux articles 12 et suivants du règlement (UE) 2016/679, notamment à l’article 16 relatif au droit de rectification, et de leur droit d’accéder à l’information statistique. »

La parole est à M. René-Paul Savary.

M. René-Paul Savary. Le présent amendement, dont le premier signataire est M. Chaize, vise à compléter le dispositif de l’article 12.

Disposer du résultat d’un traitement de données à finalité statistique ne permet pas d’identifier les personnes dont les données ont servi à la production dudit résultat.

Par conséquent, en l’absence de dérogations particulières, le responsable du traitement ne peut plus informer directement les personnes concernées de leurs droits, notamment de leur droit de rectification, lequel permet d’assurer la qualité de la production statistique, ni prendre l’initiative de les informer directement de leur droit d’accéder au résultat statistique, pourtant prévu par le code des relations entre le public et l’administration.

Le présent amendement vise à préciser les moyens dont peut disposer le responsable d’un traitement de données à finalité statistique pour permettre aux personnes concernées d’exercer effectivement leurs droits, notamment celui d’accéder à l’information statistique qu’elles contribuent à produire. Son adoption permettra d’assurer une meilleure cohérence, dans les faits, avec les dispositions du code des relations entre le public et l’administration.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. La commission souhaite connaître l’avis du Gouvernement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Cet amendement vise à permettre la conservation de données personnelles non nécessaires à un traitement dont la finalité est la production d’une information anonyme. Il est donc contraire, me semble-t-il, au respect du principe de nécessité et de minimisation des données posé à l’article 5.1 du RGPD.

La conservation des données personnelles en marge de traitements ayant pour finalité la production de statistiques anonymes aux seules fins de respecter le droit d’information des personnes concernées est également en contradiction avec l’article 11 du RGPD.

J’émets donc un avis défavorable.

M. le président. Quel est maintenant l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Avis défavorable.

M. le président. Monsieur Savary, l’amendement n° 27 rectifié ter est-il maintenu ?

M. René-Paul Savary. Non, je le retire, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 27 rectifié ter est retiré.

L’amendement n° 153, présenté par Mme Joissains, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

II. – Au 4° du IV de l’article L. 1461-1 du code de la santé publique, le mot : « deuxième » est remplacé par le mot : « premier ».

La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de coordination.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Avis favorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 153.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 12, modifié.

(Larticle 12 est adopté.)

Article 12
Dossier législatif : projet de loi relatif à la protection des données personnelles
Article 13

Article additionnel après l’article 12

M. le président. L’amendement n° 80 rectifié, présenté par M. L. Hervé et les membres du groupe Union Centriste, est ainsi libellé :

Après l’article 12

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

À la fin de la seconde phrase de l’article L. 212-4-1 du code du patrimoine, les mots : « à fiscalité propre » sont supprimés.

La parole est à M. Loïc Hervé.

M. Loïc Hervé. Conformément au code du patrimoine, le service public d’archives d’une collectivité peut mutualiser la conservation d’archives numériques avec un autre service public d’archives.

En pratique, cette possibilité ne concerne pas exclusivement les établissements publics de coopération intercommunale, les EPCI, à fiscalité propre.

Le présent amendement a pour objet d’adapter la rédaction de l’article susvisé afin d’étendre son champ d’application à d’autres groupements qui interviennent également dans ce domaine – syndicats mixtes informatiques ou groupements d’intérêt public.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Avis favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Le présent amendement vise à modifier les conditions de mutualisation de l’archivage des documents électroniques publics, qu’ils contiennent ou non des données personnelles. Je l’analyse comme un cavalier législatif et j’émets donc un avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 80 rectifié.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 12.

Article additionnel après l'article 12 - Amendement n° 80 rectifié
Dossier législatif : projet de loi relatif à la protection des données personnelles
Article 13 bis

Article 13

I. – Le chapitre IX de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est ainsi rédigé :

« CHAPITRE IX

« Traitements de données à caractère personnel dans le domaine de la santé

« Section 1

« Dispositions générales

« Art. 53. – Outre aux dispositions du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 précité, les traitements contenant des données concernant la santé des personnes sont soumis aux dispositions du présent chapitre, à l’exception des catégories de traitements suivantes :

« 1° Les traitements relevant des 1° à 6° du II de l’article 8 ;

« 2° Les traitements permettant d’effectuer des études à partir des données recueillies en application du 6° du II de l’article 8 lorsque ces études sont réalisées par les personnels assurant ce suivi et destinées à leur usage exclusif ;

« 3° Les traitements mis en œuvre aux fins d’assurer le service des prestations ou le contrôle par les organismes chargés de la gestion d’un régime de base d’assurance maladie ainsi que la prise en charge des prestations par les organismes d’assurance maladie complémentaire ;

« 4° Les traitements effectués au sein des établissements de santé par les médecins responsables de l’information médicale, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article L. 6113-7 du code de la santé publique ;

« 5° Les traitements effectués par les agences régionales de santé, par l’État et par la personne publique désignée par lui en application du premier alinéa de l’article L. 6113-8 du même code, dans le cadre défini au même article L. 6113-8.

« Art. 54. – I. – Les traitements relevant du présent chapitre ne peuvent être mis en œuvre qu’en considération de la finalité d’intérêt public qu’ils présentent. La garantie de normes élevées de qualité et de sécurité des soins de santé et des médicaments ou des dispositifs médicaux constitue une finalité d’intérêt public.

« II. – Des référentiels et règlements types, au sens des a bis et b du 2° du I de l’article 11, s’appliquant aux traitements relevant du présent chapitre sont établis par la Commission nationale de l’informatique et des libertés, en concertation avec l’Institut national des données de santé mentionné à l’article L. 1462-1 du code de la santé publique et des organismes publics et privés représentatifs des acteurs concernés.

« Les traitements conformes à ces référentiels peuvent être mis en œuvre à la condition que leurs responsables adressent préalablement à la Commission nationale de l’informatique et des libertés une déclaration attestant de cette conformité.

« Ces référentiels peuvent également porter sur la description et les garanties de procédure permettant la mise à disposition en vue de leur traitement de jeux de données de santé présentant un faible risque d’impact sur la vie privée.

« III. – Les traitements mentionnés au I qui ne sont pas conformes à un référentiel mentionné au II ne peuvent être mis en œuvre qu’après autorisation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.

« IV. – La Commission nationale de l’informatique et des libertés peut, par décision unique, délivrer à un même demandeur une autorisation pour des traitements répondant à une même finalité, portant sur des catégories de données identiques et ayant des catégories de destinataires identiques.

« V. – La Commission nationale de l’informatique et des libertés se prononce dans un délai de deux mois à compter de la réception de la demande. Toutefois, ce délai peut être prolongé une fois pour la même durée sur décision motivée de son président ou lorsque l’Institut national des données de santé est saisi en application du II du présent article.

« Lorsque la Commission nationale de l’informatique et des libertés ne s’est pas prononcée dans ces délais, la demande d’autorisation est réputée acceptée. Cette disposition n’est toutefois pas applicable si l’autorisation fait l’objet d’un avis préalable en application de la section 2 du présent chapitre et que l’avis ou les avis rendus ne sont pas expressément favorables.

« Art. 55. – Par dérogation à l’article 54, les traitements de données à caractère personnel dans le domaine de la santé mis en œuvre par les organismes ou les services chargés d’une mission de service public figurant sur une liste fixée par arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, ayant pour seule finalité de répondre, en cas de situation d’urgence, à une alerte sanitaire et d’en gérer les suites, au sens de la section 1 du chapitre III du titre Ier du livre IV de la première partie du code de la santé publique, sont soumis aux seules dispositions de la section 3 du chapitre IV du règlement (UE) 2016/79 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 précité.

« Les traitements mentionnés au premier alinéa du présent article qui utilisent le numéro d’inscription des personnes au répertoire national d’identification des personnes physiques sont mis en œuvre dans les conditions prévues à l’article 22 de la présente loi.

« Les dérogations régies par le premier alinéa du présent article prennent fin un an après la création du traitement si ce dernier continue à être mis en œuvre au-delà de ce délai.

« Art. 56. – Nonobstant les règles relatives au secret professionnel, les membres des professions de santé peuvent transmettre au responsable de traitement de données autorisé en application de l’article 54 les données à caractère personnel qu’ils détiennent.

« Lorsque ces données permettent l’identification des personnes, leur transmission doit être effectuée dans des conditions de nature à garantir leur confidentialité. La Commission nationale de l’informatique et des libertés peut adopter des recommandations ou des référentiels sur les procédés techniques à mettre en œuvre.

« Lorsque le résultat du traitement de données est rendu public, l’identification directe ou indirecte des personnes concernées doit être impossible.

« Les personnes appelées à mettre en œuvre le traitement de données ainsi que celles qui ont accès aux données sur lesquelles il porte sont astreintes au secret professionnel sous les peines prévues à l’article 226-13 du code pénal.

« Art. 57. – Toute personne a le droit de s’opposer à ce que des données à caractère personnel la concernant fassent l’objet de la levée du secret professionnel rendue nécessaire par un traitement de la nature de ceux mentionnés à l’article 53.

« Les informations concernant les personnes décédées, y compris celles qui figurent sur les certificats des causes de décès, peuvent faire l’objet d’un traitement de données, sauf si l’intéressé a, de son vivant, exprimé son refus par écrit.

« Art. 58. – Les personnes auprès desquelles sont recueillies des données à caractère personnel ou à propos desquelles de telles données sont transmises sont individuellement informées conformément aux dispositions du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 précité.

« Toutefois, ces informations peuvent ne pas être délivrées si la personne concernée a entendu faire usage du droit qui lui est reconnu par l’article L. 1111-2 du code de la santé publique d’être laissée dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic.

« Art. 59. – Sont destinataires de l’information et exercent les droits de la personne concernée par le traitement les titulaires de l’exercice de l’autorité parentale, pour les mineurs, ou la personne chargée d’une mission de représentation dans le cadre d’une tutelle, d’une habilitation familiale ou d’un mandat de protection future, pour les majeurs protégés dont l’état ne leur permet pas de prendre seuls une décision personnelle éclairée.

« Par dérogation au premier alinéa du présent article, pour les traitements de données à caractère personnel réalisés dans le cadre de recherches mentionnées aux 2° et 3° de l’article L. 1121-1 du code de la santé publique ou d’études ou d’évaluations dans le domaine de la santé, ayant une finalité d’intérêt public et incluant des personnes mineures, l’information peut être effectuée auprès d’un seul des titulaires de l’exercice de l’autorité parentale s’il est impossible d’informer l’autre titulaire ou s’il ne peut être consulté dans des délais compatibles avec les exigences méthodologiques propres à la réalisation de la recherche, de l’étude ou de l’évaluation au regard de ses finalités. Le présent alinéa ne fait pas obstacle à l’exercice ultérieur, par chaque titulaire de l’exercice de l’autorité parentale, des droits mentionnés au premier alinéa.

« Pour ces traitements, le mineur âgé de quinze ans ou plus peut s’opposer à ce que les titulaires de l’exercice de l’autorité parentale aient accès aux données le concernant recueillies au cours de la recherche, de l’étude ou de l’évaluation. Le mineur reçoit alors l’information et exerce seul ses droits.

« Pour ces mêmes traitements, le mineur âgé de quinze ans ou plus peut s’opposer à ce que les titulaires de l’exercice de l’autorité parentale soient informés du traitement de données si le fait d’y participer conduit à révéler une information sur une action de prévention, un dépistage, un diagnostic, un traitement ou une intervention pour laquelle le mineur s’est expressément opposé à la consultation des titulaires de l’autorité parentale, en application des articles L. 1111-5 et L. 1111-5-1 du code de la santé publique, ou si les liens de famille sont rompus et que le mineur bénéficie à titre personnel du remboursement des prestations en nature de l’assurance maladie et maternité et de la couverture complémentaire mise en place par la loi n° 99-641 du 27 juillet 1999 portant création d’une couverture maladie universelle. Il exerce alors seul ses droits.

« Art. 60. – Une information relative aux dispositions du présent chapitre doit notamment être assurée dans tout établissement ou centre où s’exercent des activités de prévention, de diagnostic et de soins donnant lieu à la transmission de données à caractère personnel en vue d’un traitement mentionné au présent chapitre.

« Section 2

« Dispositions particulières relatives aux traitements à des fins de recherche, détude ou dévaluation dans le domaine de la santé

« Art. 61. – Les traitements automatisés de données à caractère personnel dont la finalité est ou devient la recherche ou les études dans le domaine de la santé ainsi que l’évaluation ou l’analyse des pratiques ou des activités de soins ou de prévention sont soumis à la section 1 du présent chapitre, sous réserve de la présente section.

« L’Institut national des données de santé mentionné à l’article L. 1462-1 du code de la santé publique peut se saisir ou être saisi, dans des conditions définies par décret en Conseil d’État, par la Commission nationale de l’informatique et des libertés ou le ministre chargé de la santé sur le caractère d’intérêt public que présentent les traitements mentionnés au premier alinéa du présent article.

« Art. 62. – Au titre des référentiels mentionnés au II de l’article 54 de la présente loi, des méthodologies de référence sont homologuées et publiées par la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Elles sont établies en concertation avec l’Institut national des données de santé mentionné à l’article L. 1462-1 du code de la santé publique et des organismes publics et privés représentatifs des acteurs concernés.

« Lorsque le traitement est conforme à une méthodologie de référence, il peut être mis en œuvre, sans autorisation mentionnée à l’article 54 de la présente loi, à la condition que son responsable adresse préalablement à la Commission nationale de l’informatique et des libertés une déclaration attestant de cette conformité.

« Art. 62-1. – Dans le cas où la recherche nécessite l’examen des caractéristiques génétiques, le consentement éclairé et exprès des personnes concernées doit être obtenu préalablement à la mise en œuvre du traitement de données. Le présent article n’est pas applicable aux recherches réalisées en application de l’article L. 1131-1-1 du code de la santé publique.

« Art. 63. – L’autorisation du traitement est accordée par la Commission nationale de l’informatique et des libertés dans les conditions définies à l’article 54, après avis :

« 1° Du comité compétent de protection des personnes mentionné à l’article L. 1123-6 du code de la santé publique, pour les demandes d’autorisation relatives aux recherches impliquant la personne humaine mentionnées à l’article L. 1121-1 du même code ;

« 2° Du comité d’expertise pour les recherches, les études et les évaluations dans le domaine de la santé, pour les demandes d’autorisation relatives à des études ou à des évaluations ainsi qu’à des recherches n’impliquant pas la personne humaine, au sens du 1° du présent article. Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, fixe la composition de ce comité et définit ses règles de fonctionnement. Les membres du comité d’expertise sont soumis à l’article L. 1451-1 du code de la santé publique.

« Les dossiers présentés dans le cadre de la présente section, à l’exclusion des recherches impliquant la personne humaine, sont déposés auprès d’un secrétariat unique assuré par l’Institut national des données de santé, qui assure leur orientation vers les instances compétentes. »

II (nouveau). – Le code de la santé publique est ainsi modifié :

1° Au 7° de l’article L. 1122-1, la référence : « 57 » est remplacée par la référence : « 58 » ;

2° Au treizième alinéa de l’article L. 1123-7, la référence : « au I de l’article 54 » est remplacée par la référence : « à l’article 61 » ;

3° Au second alinéa du IV de l’article L. 1124-1, la référence : « du II de l’article 54 » est remplacée par la référence : « de l’article 63 » ;

4° Au 6° de l’article L. 1461-7, la référence : « 56 » est remplacée par la référence : « 57 ».

M. le président. L’amendement n° 12 rectifié, présenté par Mme Delmont-Koropoulis, MM. Raison, Perrin, Wattebled et Longeot, Mme Deromedi, MM. Meurant, Henno et Bascher, Mmes Gruny et Chauvin, M. H. Leroy, Mmes Eustache-Brinio et Garriaud-Maylam, MM. Lefèvre, Chaize et Panunzi, Mmes Imbert et M. Mercier, MM. Chasseing, Canevet, Danesi, Charon, Milon et Gremillet, Mme Lanfranchi Dorgal, M. Savary, Mmes Lamure et Renaud-Garabedian, M. Maurey, Mme Billon, MM. Bonhomme et Duplomb, Mme A.M. Bertrand, M. Leleux, Mme Deroche et MM. Savin, Laménie, Bonne et Mizzon, est ainsi libellé :

Alinéa 9

Compléter cet alinéa par les mots :

ne devant en aucun cas avoir pour fin la détermination des choix thérapeutiques et médicaux et la sélection des risques

La parole est à Mme Annie Delmont-Koropoulis.

Mme Annie Delmont-Koropoulis. Cet amendement vise à circonscrire le traitement des données de santé par les organismes complémentaires aux seules fins de remboursement des soins.

L’encadrement de la protection des données de santé souffrait jusqu’à présent d’un relatif vide juridique. Aussi le législateur européen a-t-il tenu à les doter d’une définition précise, inscrite à l’article 4 du RGPD.

Nous savons que toutes les informations concernant un patient sont enregistrées puis stockées dans une base appelée système national d’information interrégimes de l’assurance maladie, ou SNIIRAM.

Chaque année, pas moins de 1,2 milliard de feuilles de soins, de 500 millions d’actes médicaux et de 11 millions de séjours hospitaliers y sont enregistrés, faisant de cette base un véritable trésor pour les organismes qui y accéderont.

C’est en effet l’une des plus grandes bases de données médico-administratives au monde, qui comprend en réalité deux catégories de données : les données agrégées, traitées afin d’obtenir des informations anonymes, les jeux de données étant rendus disponibles par l’assurance maladie, d’une part ; les données à caractère personnel dites sensibles et nominatives, d’autre part. La faille du principe général d’anonymisation des données de santé réside dans le fait que l’on peut, en croisant ces deux types de données, identifier une personne.

Or le texte que nous étudions aujourd’hui prévoit d’ouvrir aux organismes d’assurance maladie complémentaire privés un accès automatique aux données de santé à caractère personnel issues de la facturation des soins sans avoir à recueillir à chaque fois un accord préalable.

Il existe déjà dans notre droit certains garde-fous contre les dérives qui pourraient découler d’un traitement des données par ces organismes, s’agissant plus particulièrement des majorations qui pourraient être appliquées sur les contrats en fonction de l’état de santé et des données de santé évolutives.

Mes chers collègues, le présent amendement vise à renforcer ces garde-fous afin d’empêcher tout contournement de la loi, par une interdiction explicite de fixation des prix des assurances ainsi que d’utilisation de ces données à des fins de choix thérapeutique ou médical.

Il s’agit d’écarter tout risque d’exploitation mercantile de ces éléments essentiels que constituent les données de santé, afin de renforcer la protection de la vie privée, reconnue comme un principe fondamental du droit. C’est de cela qu’il est question, rien de plus, rien de moins.

Notre système de protection sociale est précieux et rare ; nous devons en prévenir les défaillances, et non amortir sa chute.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Avis favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Avis défavorable, pour deux raisons.

En premier lieu, il nous semble que cet amendement n’a pas sa place à l’alinéa 9 de l’article 13, qui vise uniquement à exclure certains traitements du champ d’application du chapitre 9 de la loi Informatique et libertés, relatif aux traitements mis en œuvre aux fins d’assurer le service des prestations ou le contrôle par les organismes chargés de la gestion d’un régime de base d’assurance maladie, ainsi que la prise en charge des prestations par les organismes d’assurance maladie complémentaires.

En second lieu, il nous semble qu’il existe déjà des garde-fous permettant d’écarter les risques invoqués. Quant au libre choix par le patient de son médecin et de ses choix thérapeutiques ou médicaux, des dispositions législatives du code de la santé et du code de la sécurité sociale protègent ces droits des patients. En ce qui concerne la sélection des risques, d’autres dispositions permettent d’éviter les dérives. Elles figurent notamment dans les codes des assurances et de la mutualité et portent en particulier sur les conditions d’exclusion et de modulation des cotisations encadrées.

M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.

M. René-Paul Savary. J’ai cosigné cet amendement parce que, en tant que médecin, je pense qu’il faut vraiment aller plus loin en matière de protection des données personnelles.

On le sait, il est possible d’identifier les patients atteints de pathologies particulières par le biais du SNIIRAM ou par celui de la part complémentaire remboursée par une mutuelle ou tout autre organisme assurantiel ou de prévoyance. Le risque est de voir se développer une médecine à bas coût dispensée par des réseaux qui cibleraient les patients en s’appuyant sur ces données.

On ne prendra jamais suffisamment de précautions en matière de protection des données personnelles de santé, s’agissant notamment des choix thérapeutiques et médicaux, car leur utilisation peut aller à l’encontre des intérêts des patients.

Je remercie la commission d’avoir donné un avis favorable à cet amendement, dont l’adoption apportera une garantie supplémentaire en termes de respect de la confidentialité de ces données.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 12 rectifié.

(Lamendement est adopté.) – (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. L’amendement n° 21 rectifié bis, présenté par M. A. Marc, Mme Deromedi, M. Bonhomme et les membres du groupe Les Indépendants - République et Territoires, est ainsi libellé :

Alinéa 33

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Le responsable de traitement transmet au mineur les informations mentionnées au I de l’article 32 de la présente loi dans un langage clair et facilement accessible.

La parole est à M. Jean-Pierre Decool.

M. Jean-Pierre Decool. Cet amendement vise à intégrer dans la loi une obligation de langage clair et facilement accessible lorsque l’administration s’adresse à un mineur âgé de quinze ans ou plus. Il est essentiel qu’un mineur choisissant d’échanger seul avec l’administration puisse avoir avec celle-ci un dialogue franc et compréhensible.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Cet amendement vise à imposer aux responsables de traitements des données de santé de dispenser, dans un langage clair et facilement accessible, les informations délivrées à un mineur exerçant seul ses droits : il est satisfait.

Le RGPD prévoit déjà, de façon générale, d’informer de manière « concise, transparente, compréhensible et aisément accessible, en des termes clairs et simples » les personnes exerçant leurs droits. Il crée en outre une obligation d’adapter « toute information destinée spécifiquement à un enfant ».

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je souhaite le retrait de cet amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable.

M. le président. Monsieur Decool, l’amendement n° 21 rectifié bis est-il maintenu ?

M. Jean-Pierre Decool. Eu égard aux explications qui m’ont été données par Mme la rapporteur, je le retire, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 21 rectifié bis est retiré.

L’amendement n° 49, présenté par MM. de Belenet, Patriat et les membres du groupe La République En Marche, est ainsi libellé :

Alinéa 42, première phrase

Après les mots :

le consentement éclairé

insérer les mots :

, libre, spécifique, univoque

La parole est à M. Arnaud de Belenet.

M. Arnaud de Belenet. Cet amendement vise à apporter une précision rédactionnelle.

Les conditions légales du consentement sont définies, dans le règlement européen et dans la directive, comme la manifestation de volonté libre, spécifique, éclairée et univoque. Par conséquent, il conviendrait d’ajouter, à l’alinéa 42 de l’article 13, après les mots : « le consentement éclairé », les termes : « libre, spécifique, univoque ».

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Nous demandons le retrait de cet amendement, car les conditions de recueil du consentement sont déjà intégralement régies, de manière générale et transversale, par l’article 7 du règlement général sur la protection des données.

En outre, le règlement étant d’application directe, selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne, il est non seulement inutile, mais interdit, d’introduire dans le droit national des dispositions redondantes ou divergentes.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Le Gouvernement est favorable à cet amendement, qui vise à rétablir le visa de l’ensemble des conditions du consentement. Il s’agit là d’une précision utile.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 49.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 117, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 46

Insérer douze alinéas ainsi rédigés :

« Art. 64 – Dans le respect des missions et pouvoirs de la Commission nationale de l’informatique et des libertés et aux fins de renforcer la bonne application des règles de sécurité et de protection des données, un comité d’audit du système national des données de santé est institué. Ce comité d’audit définit une stratégie d’audit puis une programmation dont il informe la commission. Il fait réaliser des audits sur l’ensemble des systèmes réunissant, organisant ou mettant à disposition tout ou partie des données du système national des données de santé à des fins de recherche, d’étude ou d’évaluation et sur les systèmes composant le système national des données de santé.

« Le comité d’audit comprend des représentants des services des ministères chargés de la santé, de la sécurité sociale et de la solidarité, de la Caisse nationale de l’assurance maladie, responsable du traitement du système national des données de santé, des autres producteurs de données du système national des données de santé, de l’Institut national des données de santé, ainsi qu’une personne représentant les acteurs privés du domaine de la santé. Des personnalités qualifiées peuvent y être désignées. Le président de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, ou son représentant, peut y assister en tant qu’observateur.

« Les audits, dont le contenu est défini par le comité d’audit, sont réalisés par des prestataires sélectionnés selon des critères et modalités permettant de disposer de garanties attestant de leur compétence en matière d’audit de systèmes d’information et de leur indépendance à l’égard de l’entité auditée.

« Le prestataire retenu soumet au président du comité d’audit la liste des personnes en charge de chaque audit et les informations permettant de garantir leurs compétences et leur indépendance.

« Les missions d’audit s’exercent sur pièces et sur place. La procédure suivie inclut une phase contradictoire. La communication des données médicales individuelles ne peut se faire que sous l’autorité et en présence d’un médecin, s’agissant des informations qui figurent dans un traitement nécessaire aux fins de la médecine préventive, de la recherche médicale, des diagnostics médicaux, de l’administration de soins ou de traitements, ou de la gestion de service de santé.

« Pour chaque mission diligentée, des échanges ont lieu, si nécessaire, entre les personnes en charge des audits, le président du comité d’audit, le responsable du traitement mentionné au II de l’article L. 1461-1 du code de la santé publique et le président de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.

« Si le comité d’audit a connaissance d’informations de nature à révéler des manquements graves en amont ou au cours d’un audit ou en cas d’opposition ou d’obstruction à l’audit, un signalement est adressé sans délai par le président du comité d’audit au président de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.

« Chaque mission diligentée établit un rapport relevant notamment les anomalies constatées et les manquements aux règles applicables aux systèmes d’information audités.

« Si la mission constate, à l’issue de l’audit, de graves manquements, elle en informe sans délai le président du comité d’audit qui informe sans délai le président de la Commission nationale de l’informatique et des libertés et le responsable du traitement mentionné au II de l’article L. 1461-1 du code de la santé publique.

« En cas d’urgence, le directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie peut suspendre temporairement l’accès au système national des données de santé avant le terme de l’audit s’il dispose d’éléments suffisamment préoccupants concernant des manquements graves aux règles précitées. Il doit en informer immédiatement le président du comité et le président de la Commission. Le rétablissement de l’accès ne peut se faire qu’avec l’accord de ce dernier au regard des mesures correctives prises par l’entité auditée. Ces dispositions sont sans préjudice des prérogatives propres de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.

« Le rapport définitif de chaque mission est transmis au comité d’audit, au président de la Commission nationale de l’informatique et des libertés et au responsable du traitement audité.

« Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, précise la composition du comité et définit ses règles de fonctionnement, ainsi que les modalités de l’audit.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Par cet amendement, le Gouvernement propose d’instituer un comité d’audit du système national des données de santé – le SNDS –, qui serait chargé de faire réaliser des audits sur l’ensemble des systèmes portant sur des données issues du SNDS ou qui le composent, dans le respect des missions et des pouvoirs de la CNIL.

Le SNDS, qui a été créé par la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, regroupe les principales bases de données de santé publique qui existent. Il vise à améliorer les connaissances relatives à la prise en charge médicale et à l’élargissement du champ des recherches, des études et évaluations dans le domaine de la santé. Les systèmes qui portent sur les données issues du SNDS ou composant celui-ci représentent à ce jour près de 300 bases.

En l’état actuel de la législation, la CNIL est la seule autorité de contrôle de ces bases. Au regard des enjeux en termes de sécurité liés à ces données, notre objectif est de développer une politique d’audit pilotée par l’État, en complément des pouvoirs de la CNIL, notamment en amont, afin de sécuriser le processus de mise à disposition des données de santé.

La mise en place d’une politique d’audit propre aux traitements réalisés avec des données du SNDS participe, me semble-t-il, directement de la crédibilité de l’ensemble du dispositif. Ces opérations d’audit ne sont que la juste contrepartie de l’ouverture de l’accès à des données sensibles. Elles doivent permettre de garantir le bon usage et la sécurité de ces données, en vérifiant, notamment, que la réglementation est respectée, que la finalité des traitements est conforme à ce qui a été annoncé et que le référentiel de sécurité est appliqué.

Pour ce faire, dans le cadre de la gouvernance du SNDS, le comité stratégique « données de santé » a décidé la création d’un comité d’audit piloté par le haut fonctionnaire de défense et de sécurité des ministères sociaux, qui sera chargé d’établir un programme d’audit et d’en suivre l’exécution.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Le présent amendement tend à créer un comité d’audit du système national des données de santé et à autoriser, en cas d’urgence, le directeur de la CNAMTS, la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés, à suspendre temporairement l’accès au SNDS.

Dans la mesure où les compétences et les prérogatives de la CNIL sont intégralement préservées, le renforcement de la sécurité par ce dispositif me semble une très bonne chose.

Sur la forme, on me permettra toutefois de déplorer que le Gouvernement ne découvre cette excellente idée que devant la seconde assemblée saisie, qui plus est au stade de l’examen des amendements de séance. J’aurais aimé pouvoir solliciter l’avis de nos collègues de la commission des affaires sociales.

Quoi qu’il en soit, nous émettons un avis de sagesse favorable.

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. J’estime qu’il s’agit là d’un très bon amendement. Chaque fois que l’on demande des rapports, on nous les refuse ! Dès lors, on ne va pas refuser un audit proposé par le Gouvernement…

M. Loïc Hervé. Excellent !

Mme Nathalie Goulet. Madame la garde des sceaux, l’intitulé et l’objet de votre amendement me font penser à un amendement concernant un audit et un contrôle de l’INSEE que j’avais déposé dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Vous le savez, il existe environ 1,8 million de faux numéros INSEE, qui constituent autant de sésames pour accéder à des prestations sociales. Je vous propose donc de mettre en place un tel comité d’audit piloté par le Gouvernement auprès de l’INSEE. En effet, la fraude sociale s’élève à quelque 40 milliards d’euros. On aurait grand intérêt à multiplier ce type d’expériences pour d’autres bases de données, notamment celle de l’INSEE, qui est la base de référence pour l’octroi d’un certain nombre de prestations.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 117.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. L’amendement n° 93, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :

…° Après les mots : « de la conférence médicale. », la fin du sixième alinéa de l’article L. 6113-7 du code de la santé publique est ainsi rédigée :

« Les conditions de cette désignation et les modes d’organisation de la fonction d’information médicale en particulier les conditions dans lesquelles des personnels placés sous l’autorité du praticien responsable ou des commissaires aux comptes intervenant au titre de la mission légale de certification des comptes mentionnée à l’article L. 6145-16 du présent code peuvent contribuer au traitement des données, sont fixés par décret. »

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Le Gouvernement souhaite répondre à un besoin exprimé par les établissements de santé dans leur pratique du codage, afin de leur permettre d’avoir recours à des sociétés prestataires pour traiter les données de santé nécessaires à la prise en charge des patients.

Cet amendement fait suite à un courrier récent de la présidente de la CNIL à ma collègue Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, qui a soulevé l’existence d’un risque juridique, faute de base légale pour permettre à certains professionnels d’accéder aux données de santé des patients.

Le codage est en effet nécessaire au financement de ces établissements par la tarification à l’activité, la T2A. Cette tarification impose à chaque établissement de santé concerné de rendre compte de son activité par une remontée de données quantifiées et standardisées relatives à la prise en charge des patients. Tel est l’objet du programme de médicalisation des systèmes d’information, le PMSI.

Cet amendement vise donc, d’une part, à permettre aux établissements de santé de faire appel en toute sécurité juridique au regard du secret médical à des prestataires de codage des actes de soins dont les établissements ont réellement besoin, et, d’autre part, à permettre aux commissaires aux comptes d’exercer pleinement leur mission en procédant à des vérifications sur un dossier individuel.

L’amendement tend en outre à renvoyer à un décret le soin de préciser les conditions réglementaires dans lesquelles ces prestataires extérieurs pourront accéder aux dossiers médicaux des patients. Son adoption permettra ainsi de sécuriser le recours à ces prestataires extérieurs pour le codage ou l’audit des données PMSI en fixant un cadre juridique de nature à garantir la protection des données de santé à caractère personnel des patients concernés.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Le présent amendement prévoit un dispositif visant à faciliter et à sécuriser le recours aux prestataires extérieurs pour les opérations de codage ou d’audit des établissements de santé soumis à la tarification à l’activité.

Il s’agit d’un sujet très technique. A priori, l’avis est favorable, mais la présentation tardive de cet amendement en séance publique ne permet pas une expertise approfondie. Nous aurions vraiment souhaité pouvoir consulter nos collègues de la commission des affaires sociales.

En conséquence, j’émets un avis de sagesse favorable.

M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.

M. René-Paul Savary. Il s’agit d’un sujet très particulier, sur certains aspects duquel travaille d’ailleurs la commission des affaires sociales. On voit bien que des dispositions doivent être prises pour renforcer la protection des données ; cet amendement rejoint celui que notre groupe a présenté précédemment, auquel vous avez donné un avis défavorable, madame la garde des sceaux…

Les enjeux sont importants. Je pense, par exemple, au droit à l’oubli pour les pathologies graves, pour lequel nous nous sommes battus mais qui n’est pas encore forcément appliqué. Les personnes concernées rencontrent des difficultés pour obtenir un prêt bancaire et, quand elles l’obtiennent, elles doivent supporter un taux d’intérêt majoré, même si elles sont guéries. Cela est inacceptable.

C’est la raison pour laquelle il aurait été souhaitable que la commission des affaires sociales puisse mener une discussion approfondie sur ce point. En tant que vice-président de celle-ci, je regrette vraiment qu’elle n’ait pas été saisie pour avis.

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Cet amendement a été rédigé, comme je l’ai dit, pour faire suite à une lettre de la présidente de la CNIL qui nous est parvenue à la fin du mois de janvier. C’est la raison pour laquelle nous ne vous présentons cet amendement que maintenant. Je ne méconnais évidemment pas les propositions que vous pouvez faire à cet égard, monsieur Savary.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Je voudrais simplement préciser à mon collègue Savary que nous avons proposé à la commission des affaires sociales de lui déléguer cet article ou de s’en saisir pour avis. Or elle n’a pas souhaité le faire. Je tenais à le dire, parce que je souhaite que nous entretenions entre commissions les rapports de travail les plus coopératifs possible.

M. René-Paul Savary. Très bien, je l’ignorais !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 93.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 13, modifié.

(Larticle 13 est adopté.)

Article 13
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Article additionnel après l'article 13 bis - Amendement n° 94

Article 13 bis

(Non modifié)

La seconde phrase de l’article L. 312-9 du code de l’éducation est complétée par les mots : « , ainsi qu’aux règles applicables aux traitements de données à caractère personnel ». – (Adopté.)

Article 13 bis
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Article 14 AA

Article additionnel après l’article 13 bis

M. le président. L’amendement n° 94, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Après l’article 13 bis

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. – L’article L. 4123-9-1 du code de la défense est ainsi rédigé :

« Art. L. 4123-9-1. – I. – Le responsable d’un traitement, automatisé ou non, ne peut traiter les données dans lesquelles figure la mention de la qualité de militaire des personnes concernées que si cette mention est strictement nécessaire à l’une des finalités du traitement.

« À l’exclusion des traitements mis en œuvre pour le compte de l’État, des collectivités territoriales et de leurs groupements, ainsi que des associations à but non lucratif, les responsables des traitements informent le ministre compétent de la mise en œuvre de traitements comportant, dans le respect de l’obligation posée au premier alinéa, la mention de la qualité de militaire.

« Les personnes accédant aux données personnelles de militaires peuvent faire l’objet d’une enquête administrative aux seules fins d’identifier si elles constituent une menace pour la sécurité des militaires concernés. Le ministre compétent peut demander au responsable de traitement la communication de l’identité de ces personnes dans le seul but de procéder à cette enquête. Celle-ci peut comporter la consultation de traitements automatisés de données à caractère personnel relevant de l’article 26 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, selon les règles propres à chacun d’eux.

« Dans l’hypothèse où le ministre compétent considère, sur le fondement de l’enquête administrative, que cette menace est caractérisée, il en informe sans délai le responsable du traitement qui est alors tenu de refuser à ces personnes l’accès aux données personnelles de militaires y figurant.

« II. – Sans préjudice des dispositions du 1 de l’article 33 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE, en cas de divulgation ou d’accès non autorisé à des données des traitements mentionnés au I, le responsable du traitement avertit sans délai le ministre compétent.

« III. – Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, détermine les conditions d’application du présent article.

« IV. – Est puni :

« 1° D’un an d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende le manquement, y compris par négligence, à l’obligation prévue au deuxième alinéa du I du présent article ;

« 2° De trois ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende le fait de permettre aux personnes mentionnées au dernier alinéa du I l’accès aux données comportant la mention de la qualité de militaire contenues dans un traitement mentionné au présent article ;

« 3° De trois ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende le fait pour un responsable de traitement de ne pas procéder, y compris par négligence, à la notification mentionnée au II. »

II. – Dans le délai d’un an suivant l’entrée en vigueur de la présente loi, les responsables des traitements de données à caractère personnel comportant la mention de la qualité de militaire procèdent à sa suppression ou à son remplacement par celle de la qualité d’agent public, lorsque cette mention n’est pas strictement nécessaire à l’une des finalités du traitement.

III. – Le troisième alinéa de l’article 226-16 et le second alinéa de l’article 226-17-1 du code pénal sont supprimés.

IV. – L’article 117 de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale est abrogée.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. L’entrée en vigueur du RGPD le 25 mai 2018 rompra avec la logique des formalités préalables. Les hypothèses dans lesquelles une autorisation préalable de la CNIL est requise sont désormais résiduelles et limitées aux traitements de données les plus sensibles, concernant par exemple les fichiers dits « de souveraineté » ou ceux qui comportent des données biométriques ou génétiques.

Dans un contexte marqué notamment par des attentats très douloureux, comme ceux qui ont été commis par Mohammed Merah contre des militaires, ainsi que par un risque sécuritaire accru, le ministère de la défense a souhaité renforcer la sécurité des militaires, en encadrant les conditions dans lesquelles les traitements de données à caractère personnel peuvent comporter la mention de la qualité de militaire et certaines informations ayant trait à leur vie privée.

Le dispositif mis en œuvre au travers de l’article 117 de la loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale prévoit ainsi un régime d’autorisation auprès de la CNIL pour mettre en œuvre un fichier dont la finalité est fondée sur la qualité de militaire des personnes qui y figurent. Il prévoit également la réalisation d’une enquête administrative sur la personne responsable du traitement ainsi que sur toutes celles qui peuvent accéder aux données comportant la mention de la qualité de militaire.

Enfin, des prescriptions techniques peuvent être imposées aux opérateurs privés concernés par le dispositif, telles que le renforcement de la sécurité des outils informatiques utilisés.

Dans un souci d’allégement des formalités préalables et des sujétions imposées aux opérateurs privés, le présent amendement prévoit de refondre ce dispositif.

Conformément à l’article 5.1 du RGPD, le responsable d’un traitement ne pourra conserver la mention de la qualité de militaire des personnes dont les données sont traitées que si celle-ci est strictement nécessaire à l’une des finalités du traitement. Une campagne de sensibilisation des opérateurs privés sera, à ce titre, réalisée par le ministère des armées.

Pour les traitements dont l’une des finalités requiert absolument la mention de la qualité de militaire, les responsables de traitement seront uniquement tenus d’informer le ministre compétent de leur mise en œuvre et ils ne seront plus soumis à un régime d’autorisation ou de déclaration auprès de la CNIL.

En outre, à la différence de ce que prévoit le dispositif actuel, l’obligation d’information ne pèsera pas sur les collectivités territoriales et leurs groupements, non plus que sur les associations à but non lucratif.

Par ailleurs, le ministère des armées pourra, le cas échéant, décider de s’assurer de la sécurité des traitements en cause en procédant à une enquête administrative sur les personnes qui accèdent aux données personnelles des militaires, sans que cette enquête constitue toutefois une obligation.

Ce projet d’article tend ainsi à concilier l’impératif de sécurité des militaires, qui a prévalu à la mise en œuvre de ce dispositif, et l’objectif d’allégement des obligations pesant sur les opérateurs privés.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Cet amendement répond à un objectif parfaitement légitime : refondre le régime d’autorisation des fichiers mentionnant la qualité de militaire, dans un souci d’efficacité.

Je me permets néanmoins de mettre en garde le Gouvernement contre le risque de législation précipitée. Cet amendement, qui est présenté par le Gouvernement pour la première fois en séance publique devant la seconde assemblée saisie, vise à récrire le cadre légal de ces fichiers, qui, lui-même, résulte de l’adoption d’un amendement déposé tardivement en séance publique, lors de l’examen par le Sénat de la loi du 3 juin 2016.

J’espère que, cette fois, le régime a été davantage pensé et qu’il ne présentera pas tous les inconvénients du précédent !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Il est parfait ! (Sourires.)

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Dans ces conditions, l’avis est favorable. (Nouveaux sourires.)

M. le président. La parole est à M. Cédric Perrin, pour explication de vote.

M. Cédric Perrin. Je voudrais inciter mes collègues à vaincre la réticence, la répugnance même, qu’inspire un amendement déposé aussi tardivement par le Gouvernement. Je les invite à voter en faveur de son adoption, en considération de son objet même et de l’enjeu non seulement pour les armées, mais aussi pour les opérateurs privés. Il s’agit de recalibrer un dispositif protecteur de l’identité des militaires, relevant certes d’une bonne inspiration, mais mal dosé.

En l’état, c’est un marteau-pilon pour écraser une mouche. Sa mise en œuvre obligerait la Direction du renseignement et de la sécurité de la défense, la DRSD, et le service de renseignement interne du ministère des armées à procéder à 300 000 criblages par an, ce qui ferait également peser une charge disproportionnée sur les acteurs économiques et la CNIL. Le Gouvernement propose de remplacer ce système par un autre, mieux proportionné, qui restera crédible et efficace pour la protection des militaires : la mention de la qualité de militaire ne sera maintenue que si elle est indispensable et une enquête sera possible, mais non obligatoire.

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. Pour avoir longtemps siégé à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, je pense moi aussi qu’il s’agit d’un excellent amendement.

Vous le savez, madame la garde des sceaux, a été mise en place au Sénat une commission d’enquête sur l’état des forces de sécurité intérieure, qui comprend nos forces de police et de gendarmerie, auxquelles il faut évidemment ajouter le personnel de l’administration pénitentiaire.

Cette excellente disposition ne concerne-t-elle que les militaires ou avez-vous l’intention d’étendre son champ d’application aux gendarmes et aux policiers ? Ce serait peut-être une bonne idée. L’ensemble de nos forces de police et de sécurité mériterait bien de bénéficier de cette mesure de protection.

Quoi qu’il en soit, je soutiens cet amendement.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Elle ne concerne que les militaires !

M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.

M. Marc Laménie. Mme la garde des sceaux nous a fourni une explication tout à fait pédagogique et bienvenue. Cet amendement du Gouvernement intervient dans un contexte très particulier, la lutte contre le terrorisme mobilisant les militaires et l’ensemble des forces de sécurité intérieure qui œuvrent au quotidien pour la défense des personnes et des biens, telles que la police et la gendarmerie nationales, ainsi que les sapeurs-pompiers. Je le soutiens.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 94.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 13 bis.

Chapitre V

Dispositions particulières relatives aux droits des personnes concernées

Article additionnel après l'article 13 bis - Amendement n° 94
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Article additionnel après l'article 14 AA - Amendements n° 68 rectifié, n° 37 rectifié et n° 38 rectifié

Article 14 AA

(Non modifié)

Au premier alinéa de l’article 7 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée, après le mot : « concernée », sont insérés les mots : « , dans les conditions mentionnées au 11 de l’article 4 et à l’article 7 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 précité, ». – (Adopté.)

Article 14 AA
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Article additionnel après l'article 14 AA - Amendement n° 38 rectifié

Articles additionnels après l’article 14 AA

M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 8 rectifié septies, présenté par Mme Bruguière, M. Bansard, Mme Goy-Chavent, M. A. Marc, Mme Deromedi, MM. D. Laurent, Henno, Sol et Grand, Mme Garriaud-Maylam, M. Poniatowski, Mme Renaud-Garabedian, MM. de Nicolaÿ, Bonhomme et Milon, Mmes Billon et Bonfanti-Dossat, M. Bonne, Mme Bories, MM. Brisson et Chasseing, Mme Eustache-Brinio, MM. B. Fournier, Guerriau et Lagourgue, Mme Lamure, M. Lefèvre, Mme Mélot, M. Bouchet, Mme Lanfranchi Dorgal et MM. Gremillet et Panunzi, n’est pas soutenu.

L’amendement n° 68 rectifié, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Après l’article 14 AA

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 7 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Pour être valide, le consentement de la personne concernée doit résulter d’une action volontaire, explicite, libre, spécifique et informée. Cela implique notamment que son consentement ne soit pas exigé en contrepartie d’un bien ou d’un service, à moins que le traitement faisant l’objet du consentement ne soit indispensable à la fourniture de ce bien ou service. »

La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Selon l’article 7 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, un traitement de données à caractère personnel, pour être licite, doit avoir reçu le consentement de la personne concernée ou satisfaire à l’une des conditions énumérées par cette loi.

Notre amendement a pour objet de préciser la notion de consentement. Nous reprenons, pour ce faire, les préconisations de la CNIL et du G29, le groupe de travail de l’article 29 sur la protection des données, et proposons que soit précisé dans la loi que « le consentement est une démarche active de l’utilisateur, explicite et de préférence écrite, qui doit être libre, spécifique, et informée ». Cela implique notamment que son consentement ne soit pas exigé en contrepartie d’un bien ou d’un service.

M. le président. L’amendement n° 37 rectifié, présenté par Mme M. Carrère, est ainsi libellé :

Après l’article 14 AA

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 7 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le fait d’exiger d’une personne qu’elle autorise l’utilisation de ses données personnelles en contrepartie d’un bien ou d’un service, à moins que le traitement faisant l’objet du consentement ne soit indispensable à la fourniture de ce bien ou service, constitue un vice de consentement. »

La parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. La question du consentement à la collecte de données personnelles est un sujet fondamental, qui va probablement prendre encore plus d’ampleur avec la multiplication des utilisations de ces données.

Jusqu’à présent, la méfiance de nos concitoyens a essentiellement porté sur les fichiers constitués par les pouvoirs publics, notamment les fichiers policiers.

La prise de conscience de la valeur financière que représente la masse des données personnelles progressivement accumulées dans le secteur privé alimente des revendications visant à permettre aux individus de monnayer la commercialisation de leurs données personnelles.

Cette revendication, qui peut apparaître légitime, remet cependant en question le financement des sites internet gratuits, qui se rémunèrent souvent via la publicité ciblée à partir de données personnelles collectées par eux-mêmes ou par ailleurs. En quelque sorte, les usagers de sites internet sont déjà rémunérés pour le transfert de données personnelles par la consommation gratuite de services qui ont des coûts de maintenance et de main-d’œuvre. Ces sites soulignent d’ailleurs souvent l’attachement des citoyens européens à la gratuité : 80 % d’entre eux y seraient favorables.

Pour autant, il nous semble important de réfléchir dès à présent à l’accompagnement vers un nouveau mode de financement des services consommateurs de données personnelles qui soit plus respectueux de la notion juridique de consentement. Aujourd’hui, celui-ci est réduit à une simple formalité impérative pour l’accès à un service.

Dans cette perspective, cet amendement vise à instaurer un vice du consentement s’il est exigé de la personne qu’elle autorise l’utilisation de ses données personnelles en contrepartie d’un bien ou d’un service, à moins, évidemment, que le traitement faisant l’objet du consentement ne soit indispensable à la fourniture de ce bien ou de ce service.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Nous demandons le retrait de ces deux amendements, qui visent à compléter la loi Informatique et libertés en vue de préciser les conditions de validité du recueil du consentement. Le nouveau règlement général sur la protection des données comporte une définition très précise du consentement et détaille en outre, au sein d’un article spécifique, les conditions applicables à la validité de son recueil.

Comme l’a rappelé encore récemment la Commission européenne dans une communication dédiée à l’entrée en vigueur du RGPD, selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne, il n’est pas seulement inutile, mais bel et bien interdit, de reproduire le contenu d’un règlement européen dans le droit national.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Même avis.

M. le président. Madame Benbassa, l’amendement n° 68 rectifié est-il maintenu ?

Mme Esther Benbassa. Oui, je le maintiens, monsieur le président.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 68 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 37 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article 14 AA - Amendements n° 68 rectifié, n° 37 rectifié et n° 38 rectifié
Dossier législatif : projet de loi relatif à la protection des données personnelles
Article additionnel après l'article 14 AA - Amendements n° 54 rectifié bis, n° 75 rectifié bis et n° 76 rectifié bis

M. le président. L’amendement n° 38 rectifié, présenté par Mme M. Carrère, est ainsi libellé :

Après l’article 14 AA

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 7 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le droit d’utiliser des données personnelles à des fins commerciales n’est pas cessible sans le consentement de la personne concernée. »

La parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Cet amendement s’inscrit dans la même logique que le précédent. Il s’agit de mettre en place de nouveaux outils juridiques en vue de mieux protéger le consentement des personnes à l’utilisation de leurs données personnelles à des fins commerciales.

Comme je viens le dire, cette réflexion doit se mener de pair avec celle portant sur le financement des services en ligne proposés aujourd’hui gratuitement, du moins en apparence.

En l’occurrence, il s’agit d’imposer le recueil du consentement au moment d’une cession de données personnelles à des fins d’utilisation commerciale.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Cet amendement vise à introduire des concepts et des interdictions qui ne sont pas ceux qui sont prévus par le RGPD, lequel régit déjà précisément les conditions de traitement des données, fondées sur le consentement, et encadre de multiples garanties –respect des finalités, exercice des droits – les éventuels retraitements ultérieurs.

En conséquence, nous demandons le retrait de cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Même avis.

M. le président. Madame Carrère, l’amendement n° 38 rectifié est-il maintenu ?

Mme Maryse Carrère. Non, je le retire, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 38 rectifié est retiré.

Article additionnel après l'article 14 AA - Amendement n° 38 rectifié
Dossier législatif : projet de loi relatif à la protection des données personnelles
Article additionnel après l'article 14 AA - Amendement n° 26 rectifié ter

Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 54 rectifié bis, présenté par M. A. Marc, Mme Deromedi, M. Bonhomme et les membres du groupe Les Indépendants - République et Territoires, est ainsi libellé :

Après l’article 14 AA

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La section 1 du chapitre II de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux fichiers et aux libertés est complétée par un article 7-… ainsi rédigé :

« Art. 7-…. – En application du 1 de l’article 8 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 précité, un mineur peut consentir seul à un traitement de données à caractère personnel en ce qui concerne l’offre directe de services de la société de l’information à compter de l’âge de seize ans.

« Lorsque le mineur est âgé de moins de seize ans, le traitement n’est licite que si le consentement est donné conjointement par le mineur concerné et le ou les titulaires de la responsabilité parentale à l’égard de ce mineur.

« Le responsable de traitement efface l’ensemble des données personnelles collectées lors de la procédure de consentement conjoint si ledit consentement n’est pas donné dans un délai de quinze jours.

« Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, précise les conditions dans lesquelles s’exerce ce consentement conjoint. »

L’amendement n° 75 rectifié bis, présenté par M. A. Marc, Mme Deromedi, M. Bonhomme et les membres du groupe Les Indépendants - République et Territoires, est ainsi libellé :

Après l’article 14 AA

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La section 1 du chapitre II de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés est complétée par un article 7-… ainsi rédigé :

« Art. 7-…. – En application du 1 de l’article 8 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 précité, un mineur peut consentir seul à un traitement de données à caractère personnel en ce qui concerne l’offre directe de services de la société de l’information à compter de l’âge de seize ans.

« Lorsque le mineur est âgé de moins de seize ans, le traitement n’est licite que si le consentement est donné conjointement par le mineur concerné et le ou les titulaires de la responsabilité parentale à l’égard de ce mineur.

« Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, précise les conditions dans lesquelles s’exerce ce consentement conjoint. »

L’amendement n° 76 rectifié bis, présenté par M. A. Marc, Mme Deromedi, M. Bonhomme et les membres du groupe Les Indépendants - République et Territoires, est ainsi libellé :

Après l’article 14 AA

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La section 1 du chapitre II de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés est complétée par un article 7-… ainsi rédigé :

« Art. 7-…. – En application du 1 de l’article 8 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 précité, un mineur peut consentir seul à un traitement de données à caractère personnel en ce qui concerne l’offre directe de services de la société de l’information à compter de l’âge de seize ans.

« Lorsque le mineur est âgé de moins de seize ans, le traitement n’est licite que si le consentement est donné conjointement par le mineur concerné et le ou les titulaires de la responsabilité parentale à l’égard de ce mineur.

« Le responsable de traitement efface l’ensemble des données personnelles collectées lors de la procédure de consentement conjoint si ledit consentement n’est pas donné dans un délai de 15 jours. »

La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour présenter ces trois amendements.

M. Jean-Pierre Decool. Sans revenir sur la décision de la commission de maintenir l’âge du consentement à seize ans, cet amendement vise à mieux encadrer la procédure de consentement conjoint prévue à l’article 8 du RGPD : « Ce traitement n’est licite que si, et dans la mesure où, le consentement est donné ou autorisé par le titulaire de la responsabilité parentale à l’égard de l’enfant. »

En effet, le RGPD est très flou en la matière, son article 8 stipulant que « le responsable du traitement s’efforce raisonnablement de vérifier, en pareil cas, que le consentement est donné ou autorisé par le titulaire de la responsabilité parentale à l’égard de l’enfant, compte tenu des moyens technologiques disponibles ».

Que recouvre la notion d’« effort raisonnable » ? Comment définir les « moyens technologiquement disponibles », ceux-ci n’étant pas les mêmes pour l’ensemble des entreprises au même moment ?

La loi américaine, au travers du Childrens Online Privacy Protection Act, est paradoxalement beaucoup plus précise et protectrice en matière de consentement parental.

Sans faire peser un fardeau normatif trop lourd sur les responsables de traitement, la procédure de consentement conjoint devrait être mieux définie en droit français, pour mieux protéger à la fois les mineurs et les titulaires de l’autorité parentale. Tel est l’objet de l’amendement n° 54 rectifié bis.

Premièrement, celui-ci prévoit qu’un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, devra préciser les conditions dans lesquelles s’exerce ce consentement conjoint : informations à communiquer, procédure à suivre pour obtenir l’effacement des données.

Deuxièmement, il prévoit que le responsable de traitement efface l’ensemble des données personnelles collectées lors de la procédure de consentement conjoint si ledit consentement n’est pas donné dans un délai de quinze jours. En effet, des données personnelles à la fois des parents et du mineur pourront être recueillies lors de cette procédure, que l’entreprise n’a aucune raison de conserver si ce consentement n’est pas in fine donné.

Les amendements nos 75 rectifié bis et 76 rectifié bis sont des amendements de repli.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Ces amendements sont en partie satisfaits par le règlement général sur la protection des données personnelles, dont je rappelle qu’il fixe par défaut l’âge de consentement des mineurs à seize ans. Il est interdit par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne de recopier ces dispositions dans le droit national.

Je sollicite donc le retrait des amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Comme l’a expliqué Mme la rapporteur, la marge de manœuvre ménagée par l’article 8.1 du RGPD permet aux États membres de prévoir par la loi un âge inférieur, mais non de préciser les conditions de recueil du consentement.

Comme le précise l’objet de l’amendement n° 54 rectifié bis, l’obligation fixée à l’article 8.2 est celle d’un effort raisonnable, ce qui implique une obligation de moyens.

Préciser par un décret, comme il est suggéré, les conditions applicables au recueil du consentement pourrait remettre en cause plusieurs objectifs du règlement de 2016, s’agissant notamment de l’harmonisation et de la responsabilisation. Par ailleurs, un décret en Conseil d’État ne paraît pas être l’outil le plus adapté. Les services de la société de l’information concernés évoluent très rapidement, alors que l’outil proposé reste relativement rigide.

En outre, les autorités de protection des données, réunies au sein du G29, ont précisé les conditions de ce consentement dans un avis récent, plus évolutif. Une nouvelle version de cet avis devrait d’ailleurs être publiée prochainement, à la suite de la consultation publique menée par ces autorités.

Par ailleurs, les auteurs de l’amendement proposent de prévoir un effacement des données à caractère personnel collectées si le consentement n’est pas donné dans un délai de quinze jours. Ce délai ne me semble pas souhaitable : si le consentement n’est pas accordé, il n’y a aucune utilité à conserver les données plus longtemps que nécessaire. De ce point de vue, le G29 rappelle l’application de l’article 5.1, posant le principe de mutualisation des données, dans le cadre de la mise en œuvre du règlement général sur la protection des données.

Pour toutes ces raisons, j’émets un avis défavorable sur les trois amendements.

M. le président. Monsieur Decool, les amendements nos 54 rectifié bis, 75 rectifié bis et 76 rectifié bis sont-ils maintenus ?

M. Jean-Pierre Decool. Non, je les retire, monsieur le président.

Article additionnel après l'article 14 AA - Amendements n° 54 rectifié bis, n° 75 rectifié bis et n° 76 rectifié bis
Dossier législatif : projet de loi relatif à la protection des données personnelles
Article 14 A

M. le président. Les amendements nos 54 rectifié bis, 75 rectifié bis et 76 rectifié bis sont retirés.

L’amendement n° 26 rectifié ter, présenté par M. A. Marc, Mme Deromedi, M. Bonhomme et les membres du groupe Les Indépendants - République et Territoires, est ainsi libellé :

Après l’article 14 AA

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le premier alinéa de l’article L. 341-1 du code de la propriété intellectuelle, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Le citoyen, entendu comme la personne humaine qui consent à faire exploiter ses données, jouit des droits moraux sur les données personnelles qu’il génère individuellement ou par l’intermédiaire des outils numériques qu’il utilise. »

La parole est à M. Jean-Pierre Decool.

M. Jean-Pierre Decool. Cet amendement, identique à un amendement rejeté en première lecture à l’Assemblée nationale, tend à créer des droits moraux sur les données personnelles diffusées en ligne.

À l’instar du droit de la propriété intellectuelle existant pour les écrits, il semble logique de créer un droit de la propriété intellectuelle pour les écrits publiés en ligne, sur un blog ou sur un réseau social.

Il convient de reconnaître que l’Internet et les réseaux sociaux, média d’expression moderne, sont aujourd’hui un foyer de création artistique et intellectuelle. L’amendement vise à reconnaître cette création numérique et à accorder aux citoyens un droit d’exploitation des données numériques.

Au-delà de la création de données personnelles, il tend à créer un droit moral sur les données – nom, coordonnées, historique de navigation –, pouvant être légué aux héritiers ou à des tiers, afin d’encourager une gestion prudente des données personnelles. Il n’est en effet pas normal que ces données soient aujourd’hui exploitées sans vergogne par des opérateurs extérieurs, alors que la grande majorité des utilisateurs n’ont pas connaissance de leur existence et de leur utilisation.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Le droit de la propriété intellectuelle, qui attache des droits patrimoniaux et moraux aux créations originales de l’esprit, ne paraît pas être l’outil adapté pour régir les données personnelles. Par ailleurs, j’ai un doute sur le caractère normatif d’une telle proclamation. Je sollicite le retrait de l’amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Monsieur le sénateur, le Gouvernement maintient la position qu’il a défendue à l’Assemblée nationale : il est défavorable à cet amendement, dont l’adoption conduirait à une patrimonialisation des données personnelles.

Il importe de rappeler que le droit d’auteur et le droit moral qui lui est attaché ne s’appliquent qu’aux œuvres de l’esprit, notamment aux livres, aux œuvres audiovisuelles, aux sculptures et aux peintures. De simples données personnelles, ne résultant d’aucun acte de création, n’ont pas vocation à être protégées par le droit d’auteur. L’extension du droit d’auteur aux données personnelles ne me semble ainsi pas fondée ni opportune. L’insertion des données personnelles dans le champ de protection du droit d’auteur aurait en effet pour conséquence de consacrer, au profit des personnes concernées, un véritable monopole d’exploitation de ces données, qui interférerait avec le cadre fixé par la loi de 1978.

De façon générale, la patrimonialisation des données personnelles est un sujet extrêmement complexe, qui n’est pas aujourd’hui complètement tranché. En l’état du droit, il n’existe pas de droit de propriété de l’individu sur ses données personnelles. Le règlement général sur la protection des données n’a d’ailleurs pas consacré un tel droit au niveau européen.

Des réflexions très approfondies ont déjà été conduites sur ce sujet. En particulier, le Conseil d’État y a consacré une analyse extrêmement intéressante et approfondie dans son étude annuelle de 2014 sur le numérique et les droits fondamentaux. Il a jugé préférable d’écarter la reconnaissance d’un droit de propriété de l’individu sur ses données et de consacrer, à la place, un droit à « l’autodétermination informationnelle », entendue comme la liberté de l’individu de décider comment ses données personnelles peuvent être utilisées.

Ce droit a d’ailleurs été développé par la Cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe, qui a consacré en 1983 un tel principe, tendant à « garantir en principe la capacité de l’individu à décider de la communication et de l’utilisation de ses données à caractère personnel ».

Cette conception a été reprise en France dans la loi pour une République numérique. Il n’est aujourd’hui pas envisagé d’aller plus loin, en tout cas pas dans le cadre du présent projet de loi.

Je sais que, selon certains, reconnaître un droit de propriété sur ces données serait plus favorable aux citoyens, en permettant de mieux les associer à la création des richesses produites par l’exploitation de leurs données personnelles. Il s’agirait également peut-être d’accompagner une réalité : nos données, nous le savons, sont déjà objet de commerce.

Je crois cependant qu’il faut être extrêmement prudent avant de décider de s’engager dans cette voie. En effet, comme l’a souligné le Conseil d’État, un tel rééquilibrage serait largement illusoire : comment fixer le prix d’une donnée, alors que ce sont souvent les croisements de très grandes bases de données qui confèrent à celles-ci de la valeur, en permettant par exemple de définir des ciblages publicitaires très précis ? Comment assurer le respect d’un tel droit à l’échelle européenne ou internationale ? Comment l’articuler avec les restrictions au droit à protection des données ?

Il existe déjà un certain nombre de normes protégeant l’individu contre une exploitation abusive de ses données personnelles : l’article 8 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, le règlement européen et la directive que nous transposons au travers du présent projet de loi, ainsi que diverses législations sectorielles, propres, par exemple, à la protection des bases de données en termes de droit de la propriété intellectuelle, convergent en la matière.

Dans ces conditions, il me paraît plus sage de conserver le cadre juridique existant plutôt que de s’engager sur la voie d’une patrimonialisation des données personnelles.

M. le président. Monsieur Decool, l’amendement n° 26 rectifié ter est-il maintenu ?

M. Jean-Pierre Decool. Les explications qui m’ont été données, même si elles ne me satisfont pas totalement, me conduisent à retirer cet amendement, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 26 rectifié ter est retiré.

Article additionnel après l'article 14 AA - Amendement n° 26 rectifié ter
Dossier législatif : projet de loi relatif à la protection des données personnelles
Article 14

Article 14 A

(Supprimé)

Article 14 A
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Article additionnel après l'article 14 - Amendement n° 24 rectifié bis

Article 14

I. – L’article 10 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est ainsi rédigé :

« Art. 10. – Aucune décision de justice ne peut être fondée sur le profilage, tel que défini au 4 de l’article 4 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 précité.

« Aucune décision produisant des effets juridiques à l’égard d’une personne ou l’affectant de manière significative ne peut être prise sur le seul fondement d’un traitement automatisé de données à caractère personnel, y compris le profilage, à l’exception :

« 1° Des cas mentionnés au a et c du 2 de l’article 22 du même règlement, sous les réserves mentionnées au 3 du même article et à condition, lorsque la décision produit des effets juridiques, que l’intéressé en soit informé par le responsable de traitement et que les règles définissant le traitement ainsi que les principales caractéristiques de sa mise en œuvre lui soient communiquées à sa demande, sous réserve des secrets protégés par la loi ;

« 2° Des décisions administratives individuelles fondées sur un traitement automatisé de données à caractère personnel dont l’objet est d’appliquer strictement des dispositions légales ou réglementaires à des faits dont la matérialité et la qualification juridique sont établies sur un autre fondement, à condition que le traitement ne porte pas sur des données mentionnées au I de l’article 8 de la présente loi ;

« 3° Des actes pris par l’administration dans l’exercice de ses pouvoirs de contrôle ou d’enquête.

« Par dérogation au 2° du présent article, aucune décision par laquelle l’administration se prononce sur un recours administratif mentionné au titre Ier du livre IV du code des relations entre le public et l’administration ne peut être prise sur le seul fondement d’un traitement automatisé de données à caractère personnel. »

II (nouveau). – Au premier alinéa de l’article L. 311-3-1 du code des relations entre le public et l’administration, après le mot : « comporte », sont insérés les mots : « , à peine de nullité, ».

III (nouveau). – Le dernier alinéa du I de l’article L. 612-3 du code de l’éducation est supprimé.

M. le président. L’amendement n° 95, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Rédiger ainsi cet alinéa :

« Art. 10. – Aucune décision de justice impliquant une appréciation sur le comportement d’une personne ne peut avoir pour fondement un traitement automatisé de données à caractère personnel destiné à évaluer certains aspects de la personnalité de cette personne.

La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire dÉtat auprès du Premier ministre, chargé du numérique. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, cet amendement vise à maintenir dans sa rédaction actuelle l’alinéa 1er de l’article 10 de la loi dite CNIL.

Nous considérons que le champ de la rédaction issue de la commission et celui du droit actuel sont identiques. Il nous semble préférable de s’en tenir au droit en vigueur, qui présente au moins deux avantages : d’une part, il s’agit du droit actuellement pratiqué et connu ; d’autre part, il est plus explicite que la rédaction adoptée par la commission, en ce qu’il ne renvoie pas au règlement et vise directement les traitements automatisés de données à caractère personnel prohibés, c’est-à-dire ceux qui sont destinés à évaluer certains aspects de la personnalité.

Nous estimons ainsi que le droit actuel est plus performant que ne le serait le dispositif proposé par la commission.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. La définition retenue par la commission nous semblait plus complète. En effet, à la place de l’expression « appréciation sur le comportement d’une personne », elle renvoie à la définition du profilage, qui consiste, à partir de faits passés relatifs à une personne, à évaluer la probabilité de faits passés, présents ou futurs la concernant.

La commission émet cependant un avis de sagesse.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 95.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 96, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 5

Rédiger ainsi cet alinéa :

« 2° Des décisions administratives individuelles prises dans le respect de l’article L. 311-3-1 et du chapitre Ier du titre Ier du livre IV du code des relations entre le public et l’administration, à condition que le traitement ne porte pas sur des données mentionnées au I de l’article 8 de la présente loi. Pour ces décisions, le responsable de traitement s’assure de la maîtrise du traitement algorithmique et de ses évolutions afin de pouvoir expliquer, en détails et sous une forme intelligible, à la personne concernée la manière dont le traitement a été mis en œuvre à son égard ;

La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire dÉtat. En préambule, le Gouvernement tient à souligner la convergence de vues sur le fond avec Mme la rapporteur, qui a écrit dans son rapport que l’« on ne saurait admettre que l’administration se défausse de ses responsabilités sur la machine, en jouant de la complexité technique et de la réputation d’infaillibilité des automates pour masquer ses propres choix ».

Je souscris tout à fait à cette analyse : c’est bien cela, en définitive, qui fait du tort à la dématérialisation et à la modernisation de nos modes d’action et qui les caricature.

Malheureusement, cette convergence, visible dans le rapport, semble s’être perdue dans le texte finalement adopté par la commission des lois, qui nous paraît obscurcir et limiter considérablement le champ des décisions pouvant être prises sur le fondement d’un traitement algorithmique.

C’est pourquoi le présent amendement tend à rétablir globalement le texte dans sa version issue de l’Assemblée nationale. L’équilibre qui avait été trouvé visait à permettre le recours à des décisions administratives prises sur le fondement d’un traitement algorithmique, tout en offrant les garanties nécessaires à la sauvegarde des droits et libertés, ainsi que des intérêts légitimes des usagers concernés.

Pour cela, il importe que figurent explicitement dans le texte de la loi Informatique et libertés les trois garanties de transparence, d’intervention humaine et de maîtrise.

En ce qui concerne la transparence, d’abord, l’usager, lorsqu’une décision est prise sur le fondement d’un traitement algorithmique, en est informé systématiquement. Il peut demander des informations supplémentaires très détaillées.

L’intervention humaine, ensuite, est assurée à travers le droit de recours, déjà ouvert aujourd’hui.

Enfin, la garantie de maîtrise du traitement doit être explicitée ; la CNIL y a particulièrement insisté dans son avis.

Le lien entre la maîtrise et la transparence à travers l’explicitation du traitement est important pour l’économie globale du dispositif.

À notre sens, l’obligation de maîtrise constitue une intervention humaine a priori, dans le cadre de l’élaboration du traitement algorithmique lui-même. C’est la garantie que propose le Gouvernement contre le risque lié à l’essor de l’intelligence artificielle, des algorithmes dits « auto-apprenants » et des traitements dits « de boîte noire ».

Le Gouvernement vous propose d’affirmer ces garanties, selon lui suffisantes, plutôt que de restreindre drastiquement le champ d’application de ces usages.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. La commission des lois a estimé que les garanties apportées par l’Assemblée nationale en ce qui concerne les décisions prises par l’administration sur le fondement d’algorithmes n’étaient pas suffisantes.

Sans méconnaître les bénéfices liés à l’usage d’algorithmes par l’administration, la commission a entendu prévenir un triple risque.

D’abord, une décision automatisée risque d’être aveugle à des circonstances de l’espèce qui mériteraient d’être prises en compte, parce que l’algorithme n’a pas été programmé pour en tenir compte. Le recours aux algorithmes doit donc être réservé à des cas n’appelant aucun pouvoir d’appréciation.

Le deuxième risque lié à l’essor de l’intelligence artificielle est que des décisions administratives individuelles soient prises sans que personne ne sache suivant quels critères, l’algorithme ayant déterminé lui-même les critères à appliquer et leur pondération ; c’est ce qu’on appelle le phénomène des « boîtes noires ».

Enfin, il faut éviter que la programmation des algorithmes destinés à prendre des décisions individuelles n’aboutisse à contourner les règles de fond et de forme encadrant l’exercice du pouvoir réglementaire.

Ainsi, dans la procédure dite « Admission post-bac », ou APB, les candidatures des lycéens aux licences universitaires étaient classées suivant des critères reposant sur une base légale fragile, n’ayant jamais été explicités dans un texte réglementaire et qui n’étaient pas même rendus publics.

Comme l’a dit M. le secrétaire d’État, on ne saurait accepter que l’administration se défausse ainsi de ses responsabilités sur la machine, en jouant de la complexité technique et de la réputation d’infaillibilité des automates pour masquer ses propres choix.

La commission des lois a donc choisi de n’autoriser les décisions administratives individuelles prises sur le fondement d’un traitement automatisé de données personnelles que lorsque ce traitement a pour objet d’appliquer strictement des dispositions légales ou réglementaires à des faits dont la matérialité et la qualification juridique ont été établies sur un autre fondement que celui d’un traitement automatisé.

Cela rend inutile la précision apportée par l’Assemblée nationale selon laquelle « le responsable de traitement s’assure de la maîtrise du traitement algorithmique et de ses évolutions afin de pouvoir expliquer, en détail et sous une forme intelligible, à la personne concernée la manière dont le traitement a été mis en œuvre à son égard ».

D’une part, en effet, l’algorithme ne pourra pas évoluer : programmé pour appliquer strictement le droit, il ne sera pas une « boîte noire ». C’est là l’une de nos exigences principales.

D’autre part, le code des relations entre le public et l’administration garantit déjà à tout administré la possibilité de se voir communiquer les règles et les principales caractéristiques de mise en œuvre d’un algorithme lorsque celui-ci a servi à prendre une décision à son égard. L’examen d’autres amendements nous conduira à reparler de cette question.

Enfin, contrairement à ce que fait valoir le Gouvernement dans l’objet de son amendement, il paraît tout à fait nécessaire d’inscrire dans la loi que l’algorithme doit avoir pour objet d’appliquer strictement des dispositions légales ou réglementaires. Il existe en effet toutes sortes de décisions administratives individuelles dont le sens n’est pas déterminé par le cadre législatif ou réglementaire : celles pour lesquelles l’administration dispose d’un pouvoir d’appréciation. Or nous refusons absolument que de telles décisions soient prises sur le fondement d’un algorithme – ce qui reviendrait d’ailleurs pour l’administration à renoncer à son pouvoir d’appréciation au cas par cas…

Pour ces raisons, la commission est défavorable à l’amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 96.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 138, présenté par Mme S. Robert, MM. Durain, Sutour, Sueur, Kanner et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 5

Compléter cet alinéa par les mots :

et que l’intéressé puisse exprimer son point de vue et contester la décision

La parole est à Mme Sylvie Robert.

Mme Sylvie Robert. Cet amendement reprend en partie les garanties apportées par le paragraphe 3 de l’article 22 du règlement européen en matière de protection des droits et libertés de l’individu. Nous voulons nous assurer que, dans le cadre de décisions administratives individuelles prises sur le fondement d’un algorithme, l’intéressé pourra exprimer son point de vue, et surtout contester la décision résultant du traitement automatisé. En fait, il s’agit de renforcer le droit au recours.

S’agissant de l’article 14, je tiens à féliciter Mme la rapporteur pour la réécriture qu’elle a opérée, qui, de mon point de vue, apporte beaucoup plus de garanties.

Lors de l’examen, voilà quelques semaines, du projet de loi relatif à l’orientation et à la réussite des étudiants, nous avons longuement évoqué Parcoursup, qui n’est autre qu’un algorithme central apparié à des algorithmes locaux. On peut avoir un débat sur la transparence de ce dispositif. On se souvient, concernant son prédécesseur APB, que précisément l’opacité ne permettait plus la confiance. De fait, la question de la confiance est de la plus haute importance en matière d’algorithmes. C’est pourquoi je trouve que la réécriture par Mme la rapporteur de l’article 14, que nous essayons d’améliorer encore par nos amendements, est fort bienvenue.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Avis favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire dÉtat. Le Gouvernement souscrit à l’objectif des auteurs de l’amendement : s’assurer que la personne concernée par la décision pourra faire valoir son point de vue et bénéficier d’un plein droit de recours. Il partage tout autant, madame la sénatrice, votre vision générale de l’article 14 en ce qui concerne la nécessité absolue de la transparence.

Toutefois, le Gouvernement est défavorable à votre amendement, car il considère que les mesures prévues par ailleurs répondent pleinement à cette ambition.

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.

M. Pierre Ouzoulias. Notre collègue Sylvie Robert vient d’évoquer le débat que nous avons eu dans cet hémicycle sur Parcoursup lors de l’examen du projet de loi relatif à l’orientation et à la réussite des étudiants. Unanimement, la Haute Assemblée avait alors considéré que les algorithmes locaux devaient être dissociés de la décision prise par l’administration. La ministre de l’enseignement supérieur s’était engagée sur ce principe, mais nous nous sommes aperçus, à la lecture des décrets, qu’une autre voie réglementaire a été prise : le résultat donné par les algorithmes est considéré comme partie prenante à la décision du jury, couverte par le secret des délibérations. Cela n’est pas recevable en droit, puisqu’il s’agit d’un traitement automatisé préalable aux débats des enseignants sur les dossiers.

L’article 14, tel qu’il est rédigé aujourd’hui, vient combler un vide juridique de façon tout à fait pertinente. Je le voterai donc volontiers.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.

Mme Catherine Morin-Desailly. Je me ferai ici, en quelque sorte, la porte-parole du rapporteur de la loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants, Jacques Grosperrin, avec qui je me suis entretenue de la transparence des algorithmes ces derniers jours.

Il est vrai que, lors des débats, M. Grosperrin s’est montré très sensible à l’idée de publier les algorithmes locaux, afin que l’on ne retombe pas dans un système de « boîte noire ». En effet, APB avait fini par être appréhendé de cette façon : on avait l’impression que toute décision humaine avait disparu et qu’on s’en remettait totalement à la machine.

M. Pierre Ouzoulias. Tout à fait !

Mme Catherine Morin-Desailly. Je crois que tel n’est pas l’esprit de la loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants. Certes, l’inscription sera automatisée selon un certain nombre de critères, mais le résultat produit par l’algorithme ne sera qu’une aide à la prise de décision, et ne conditionnera pas inéluctablement celle-ci. Un comité pédagogique examinera les dossiers. Je ne suis donc pas tout à fait d’accord avec notre collègue Ouzoulias sur ce point.

Je rappelle aussi que le Sénat, dans sa sagesse, a entendu instaurer un comité d’éthique et scientifique chargé de prévenir tout risque lié à un déficit de transparence.

Concrètement, les décisions prises comporteront une part humaine. À cet égard, le secret des délibérations des instances pédagogiques chargées d’étudier les dossiers est tout à fait légitime.

Je tenais à apporter ces précisions, en soulignant que nous sommes dans une année de transition, au cours de laquelle les universités vont expérimenter le dispositif. Il faudra être attentif aux remontées du terrain, pour ajuster au mieux le processus d’orientation des élèves vers un parcours de réussite. Ce processus est en cours. De ce fait, tout en saluant l’excellent travail accompli par Mme Joissains, je me demande s’il ne vaudrait pas mieux attendre qu’il soit parvenu à son terme pour appliquer la disposition proposée, qui consiste en un renforcement de l’obligation de transparence.

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Nous reviendrons sur cette question ultérieurement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 138.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L’amendement n° 97 est présenté par le Gouvernement.

L’amendement n° 133 est présenté par MM. Durain et Sutour, Mme S. Robert, MM. Sueur, Kanner et les membres du groupe socialiste et républicain.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 6

Supprimer cet alinéa.

La parole est à M. le secrétaire d’État, pour présenter l’amendement n° 97.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire dÉtat. Avant de présenter cet amendement, je tiens à indiquer que nous débattrons de l’application de la loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants lors de la discussion de l’amendement n° 99 ; je prendrai alors le temps d’exposer la position du Gouvernement de façon détaillée et de vous communiquer de nombreuses informations actualisées, afin de vous rassurer sur un sujet sur lequel nous avons la même ambition.

La défense de l’amendement n° 97 me donne aussi l’occasion de présenter quelques observations plus générales sur l’utilisation des sciences de la donnée, les data sciences, au sein de l’administration.

Dans le cadre de la modernisation de l’action publique, nous souhaitons que les sciences de la donnée se répandent dans l’administration française et que les opérations d’enquête ou de contrôle puissent s’appuyer plus souvent sur des analyses de données. L’objectif est d’optimiser l’activité des services d’enquête, dont les ressources, notamment humaines, sont toujours trop limitées.

Toutefois, les traitements sur lesquels les services peuvent s’appuyer doivent rester strictement des outils d’aide à la décision : rien de plus, rien de moins. Telle est bien la situation, aujourd’hui, dans l’appareil d’État, y compris au sein de l’administration fiscale : on recourt à des outils d’aide à la décision fondés sur les sciences de la donnée.

L’alinéa 6 de l’article 14, dans sa rédaction issue des travaux de la commission, nous paraît contraire au règlement européen, dans la mesure où il ne prévoit aucune garantie concernant les actes visés, alors qu’ils affectent significativement les personnes. En particulier, le droit à former un recours et à faire valoir son point de vue n’est pas prévu, non plus que la présence dans l’acte d’une mention informant la personne du recours à un algorithme. Cet amendement vise à y remédier.

M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain, pour présenter l’amendement n° 133.

M. Jérôme Durain. Il est défendu, monsieur le président.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Un simple acte d’enquête ou de contrôle peut être intrusif, quoi que la commission ait pu en penser. La réflexion sur les algorithmes est vraiment loin d’être aboutie : nous ne savons pas encore très clairement dans quelle mesure nous pouvons nous y fier, quels biais ils peuvent comporter, quelles discriminations ils peuvent engendrer ni quelle est la bonne manière de les contrôler.

Au demeurant, il serait bon que le Gouvernement nous fasse part de son appréciation sur l’idée de créer une commission consultative, voire une autorité administrative, spécialement chargée du contrôle des algorithmes.

En attendant d’y voir plus clair, je pense qu’il convient de faire preuve de prudence. C’est pourquoi, à titre personnel, j’émets un avis favorable sur ces amendements identiques.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 97 et 133.

(Les amendements sont adoptés.)

(M. Thani Mohamed Soilihi remplace M. David Assouline au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Thani Mohamed Soilihi

vice-président

M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 98, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 8

Supprimer cet alinéa.

La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire dÉtat. Le présent amendement vise à supprimer l’alinéa 8 de l’article 14, qui prévoit la nullité des décisions administratives individuelles prises sur le fondement d’un traitement algorithmique qui ne comporteraient pas la mention prévue à l’article L. 311-3-1 du code des relations entre le public et l’administration.

Si le Gouvernement souscrit pleinement, je le répète, à l’objectif de faire appliquer l’article L. 311-3-1 du code des relations entre le public et l’administration, il n’est pas favorable à ce que l’absence de cette mention dans la décision conduise immédiatement à la nullité de cette dernière. Ce serait, selon nous, tout à fait disproportionné.

D’une part, il semble au Gouvernement que ce point doit être laissé à l’appréciation du juge administratif, la jurisprudence Danthony, en la matière, n’étant pas univoque.

D’autre part, le Gouvernement observe qu’il n’existe aucun précédent de ce type en matière d’obligations d’éditique. En effet, aujourd’hui, l’autre mention devant obligatoirement figurer dans les décisions administratives concerne les voies et délais de recours. L’absence de cette mention entraîne non pas la nullité des décisions, mais la simple non-opposabilité des délais de recours. La décision reste valide.

Concrètement, que signifierait, pour les Français, la nullité de la décision dans des cas très pratiques ? Si mon avis d’imposition ne comporte pas la mention en question, puis-je refuser de payer l’impôt ? Quelles seraient les conséquences de son absence dans un avis d’attribution du RSA ?

Je le redis simplement pour que la position du Gouvernement soit bien comprise : la mention est bien obligatoire et prévue par le droit existant ; nous faisons et ferons respecter cette obligation.

M. le président. L’amendement n° 145, présenté par Mme M. Carrère, est ainsi libellé :

Alinéa 8

Remplacer cet alinéa par trois alinéas ainsi rédigés :

II. – Le premier alinéa de l’article L. 311-3-1 du code des relations entre le public et l’administration est ainsi modifié :

1° À la première phrase, après le mot : « comporte », sont insérés les mots : « , à peine de nullité, » ;

2° À la seconde phrase, les mots : « communiquées par l’administration à l’intéressé s’il en fait la demande » sont remplacés par les mots : « publiées, ainsi que les modifications ultérieures relatives à ces règles ou caractéristiques ».

La parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Nous avons tous conscience des gains administratifs à tirer de l’utilisation des nouveaux outils technologiques, tels les algorithmes. Lors de l’examen de la loi pour une République numérique, le groupe du RDSE avait cependant déjà pointé les limites de l’utilisation des algorithmes en termes de transparence des décisions individuelles prises sur ce fondement. Mes collègues avaient alors proposé et obtenu que les caractéristiques de ces algorithmes puissent être communiquées aux personnes intéressées qui en feraient la demande.

Comme l’a souligné l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, c’est moins le logiciel d’admission post-bac que les dispositions juridiques et les choix politiques sur le fondement desquels il a été programmé qui ont conduit au bug largement commenté.

Beaucoup considèrent que la réticence des ministères à communiquer les codes sources de tels algorithmes contribue à alimenter les suspicions à leur encontre. En cas de généralisation de traitements automatisés similaires, il est à craindre que les fondements effectifs des décisions administratives ne deviennent moins accessibles et moins intelligibles si ces codes sources ne sont pas communiqués.

Nous souhaitons donc que ces caractéristiques techniques soient systématiquement publiées, afin que chacun puisse prendre connaissance des critères effectivement retenus pour l’élaboration des décisions individuelles. Dès lors que ces algorithmes n’ont pas vocation à se substituer totalement à l’appréciation des agents administratifs chargés de préparer les décisions, il n’y a pas de raison de s’opposer à la libre communication de leurs codes sources. À l’heure de la transparence, il serait invraisemblable de maintenir l’opacité sur ce point !

M. Pierre Ouzoulias. Tout à fait !

M. le président. L’amendement n° 134 rectifié, présenté par MM. Durain et Sutour, Mme S. Robert, MM. Sueur, Kanner et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 8

Insérer un paragraphe ainsi rédigé :

… - À la seconde phrase du premier alinéa de l’article L. 311-3-1 du code des relations entre le public et l’administration, les mots : « à l’intéressé s’il en fait la demande », sont remplacés par les mots : « aux intéressés ».

La parole est à M. Jérôme Durain.

M. Jérôme Durain. Le présent amendement s’inscrit dans le droit fil de l’amendement présenté par notre collègue Maryse Carrère.

Dans sa rédaction actuelle, l’article L. 311-3-1 du code des relations entre le public et l’administration prévoit que l’administration communique les informations concernant le fonctionnement de l’algorithme à l’intéressé, s’il en fait la demande.

Nous proposons d’inverser le principe : dès lors que les algorithmes sont partout et qu’ils seront encore plus présents dans les années à venir, il faut que la communication de ces informations se fasse de manière systématique et que l’intéressé n’ait plus à en faire la demande. Tel est l’objet de cet amendement, dont l’adoption permettrait d’assurer l’information des administrés sur le degré et le mode de contribution du traitement algorithmique à la prise de décision, la nature des données traitées et leurs sources, les paramètres de traitement et, éventuellement, leur pondération. Les modalités d’application de cet article seraient fixées par décret en Conseil d’État.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. La commission est défavorable à l’amendement n° 98. À quoi cela sert-il de créer ou de déclarer des droits si le citoyen n’en est pas informé et si, finalement, ces droits restent lettre morte ?

La loi pour une République numérique, qui a été promulguée en octobre 2016, a prévu que les décisions individuelles fondées sur un traitement algorithmique devraient comporter une mention en ce sens.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire dÉtat. Tout à fait !

Mme Sophie Joissains, rapporteur. L’administration doit appliquer la loi, tout simplement.

Dans la pratique, monsieur le secrétaire d’État, cela imposera simplement à l’administration d’envoyer, pour la même décision, le même courrier, mais comportant la mention. Il n’est pas forcément mauvais de sonner l’alarme de temps à autre…

L’amendement n° 145 de Maryse Carrère nous semble quant à lui satisfait. La commission s’en remettra toutefois à la sagesse du Sénat et, à titre personnel, je le voterai. Il en va de même pour l’amendement n° 134 rectifié.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire dÉtat. Le Gouvernement est défavorable à l’amendement n° 134 rectifié, un bon équilibre ayant été trouvé en matière d’information sur les algorithmes.

En premier lieu, les administrations sont soumises à une obligation générale de publier en ligne les règles définissant les principaux traitements algorithmiques utilisés dans l’accomplissement de leurs missions, lorsqu’ils fondent des décisions individuelles. C’est donc là un premier niveau d’information a priori pour tous les usagers et à tout moment. Cette obligation sera généralisée à compter du mois d’octobre 2018.

En deuxième lieu, une information systématique est délivrée à toute personne concernée par une décision administrative individuelle. La personne est informée à chaque fois de la mise en œuvre d’un traitement algorithmique par une mention bien visible dans la décision.

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Cette obligation n’est pas respectée !

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire dÉtat. Nous ne nous opposons, madame la rapporteur, que sur la conséquence de l’absence de cette mention ; celle-ci est obligatoire. C’est d’ailleurs l’une des administrations que je dirige qui est chargée de faire respecter cette obligation : elle l’est déjà et elle le sera de plus en plus à l’avenir. En tout état de cause, la nullité de la décision en cas d’absence de cette mention est une sanction qui nous paraît disproportionnée.

La mention en question précise la finalité de l’algorithme et rappelle le droit de la personne concernée d’obtenir communication des règles du traitement et de leur application dans son cas particulier, ainsi que des modalités d’exercice de son droit à la communication et à la saisine.

En troisième lieu, si la personne en fait la demande, elle obtient beaucoup plus d’informations. Celles-ci, qui sont précisées au niveau réglementaire, sont au nombre de quatre : le degré et le mode de contribution du traitement algorithmique à la prise de décision ; les données traitées et leurs sources ; les paramètres de traitement et, le cas échéant, leur pondération appliquée à la situation de l’intéressé ; les opérations effectuées par le traitement.

Cette information est individualisée, très détaillée. Elle comprend l’intégralité des données ayant servi à faire fonctionner l’algorithme. Toutes ces caractéristiques font l’intérêt du dispositif, mais elles expliquent aussi que celui-ci ne soit pas, pour l’heure, automatisable ou généralisable. Elles imposent un traitement au cas par cas, ce qui représente une charge réelle pour les services. Aujourd’hui, ce sont bien des êtres humains, des agents publics qui prennent le temps de faire des réponses personnalisées, en réunissant toutes les informations.

S’il fallait informer systématiquement les personnes, comme le prévoit l’amendement n° 134 rectifié, il faudrait mettre en place un mécanisme automatisé, ce qui aurait pour conséquence une dégradation du niveau d’information.

Il existe aujourd’hui, à mon sens, un bon équilibre entre des vecteurs d’information systématique et la possibilité d’obtenir sur demande des informations beaucoup plus détaillées, par exemple lorsque la décision est défavorable ou en cas de questionnement sur ses motivations. La garantie de transparence doit notamment être considérée en lien avec les garanties liées au recours prévues dans le considérant 71 du règlement européen.

Enfin, les codes sources des algorithmes ayant des conséquences sociales, sanitaires ou économiques seront également mis à la disposition du public, ce qui permettra une complète redevabilité de l’administration, puisque des personnes, y compris des experts de la société civile, pourront les analyser en détail, voire rejouer des situations ou des scénarios, et vérifier que la procédure s’est correctement déroulée.

Concernant l’amendement n° 145, j’ai déjà évoqué la question de la nullité en cas d’absence de mention. Pour le reste, cet amendement est très largement, voire complètement, satisfait par le droit actuel. En effet, en vertu de l’article L. 312-1-3 du code des relations entre le public et l’administration, les administrations devront, à compter du mois d’octobre 2018, publier en ligne, de façon accessible au grand public, toutes les règles définissant les principaux traitements algorithmiques utilisés.

Le Gouvernement est défavorable à l’amendement n° 145.

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.

M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le secrétaire d’État, j’aimerais être sûr d’avoir parfaitement compris votre analyse… J’ai en tout cas le sentiment qu’elle répond à l’une des interrogations que nous avons soulevées à l’instant.

Revenons sur la mise en œuvre de la loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants. Parcoursup est soumis au contrôle que vous venez d’évoquer. Les dossiers adressés aux universités sont traités par des algorithmes locaux, qui réalisent un pré-tri automatisé. Ensuite, ils sont transmis aux jurys, qui prennent une décision sur le fondement d’un examen pédagogique. Pouvez-vous me confirmer, monsieur le secrétaire d’État, que les algorithmes locaux mis au point par les universités seront eux aussi soumis aux règles posées à l’article 14 ?

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire dÉtat. Oui ! Je défendrai d’ailleurs cette position en présentant l’amendement n° 99 du Gouvernement.

M. Pierre Ouzoulias. Cette réponse vous engage, monsieur le secrétaire d’État !

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. Je soutiens Mme la rapporteur sur le sujet, car une grande confiance n’exclut pas une petite méfiance ! (Sourires.)

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est un proverbe normand ! (Nouveaux sourires.)

Mme Nathalie Goulet. En effet !

Monsieur le secrétaire d’État, pour votre part, vous connaissez tout cela par cœur, mais, il n’y a pas si longtemps, quand le ministre de la défense parlait d’algorithmes et qu’on lui demandait des détails, on s’apercevait qu’il n’avait peut-être pas tout compris, non plus que nous, d’ailleurs ! Peut-être serez-vous demain au banc du Gouvernement pour l’examen du projet de loi portant transposition de la directive concernant les services de paiement dans le marché intérieur : il faudrait en prévoir une version « pour les nuls », afin que nous puissions comprendre de quoi il s’agit, tant ce texte est abscons !

Il serait bon que vous puissiez nous exposer comment l’administration s’y prendra pour expliquer en détail à nos concitoyens la procédure et le fonctionnement des algorithmes, et quels éléments elle produira à cette fin.

M. Jérôme Durain. Tout à fait !

Mme Nathalie Goulet. Je pense en particulier à l’exemple, figurant dans l’excellent rapport de notre commission, d’un établissement de crédit souhaitant confier à un automate le soin d’évaluer la solvabilité des emprunteurs…

Je doute non pas de la qualité de ces explications, mais de leur compréhension par le citoyen lambda. La procédure est somme toute un peu nouvelle et elle recourt à des processus parfois totalement étrangers aux contribuables, aux demandeurs d’un crédit et, plus encore, aux étudiants confrontés à Parcoursup.

Plus les garanties inscrites dans la loi seront nombreuses, plus les sanctions seront importantes, mieux cela vaudra. Ainsi, la nullité de la décision en l’absence de mention obligera l’administration à se montrer intelligible.

M. le président. La parole est à M. Arnaud de Belenet, pour explication de vote.

M. Arnaud de Belenet. J’entends les doutes qui s’expriment sur ce sujet très technique, mais aussi les explications d’un secrétaire d’État qui, à la différence du ministre des armées évoqué à l’instant,…

Mme Nathalie Goulet. … connaît son sujet !

M. Arnaud de Belenet.… est un expert de ce domaine. Ses explications sont pragmatiques, claires et presque intelligibles pour les non-initiés ! (Sourires.)

M. Jérôme Durain. « Presque »…

M. Arnaud de Belenet. Je parle à titre personnel !

En tout état de cause, je suis pour ma part plutôt enclin à lui faire confiance. Peut-être cette inclination n’est-elle pas pleinement partagée dans l’hémicycle,…

Mme Esther Benbassa. Non, pas vraiment !

M. Arnaud de Belenet. … auquel cas il me semblerait intéressant d’examiner la manière dont ceux qui sont directement concernés vivent les choses.

À cet égard, la Conférence des présidents d’université confirme en pratique ce que nous dit le secrétaire d’État, puisqu’elle attend de nous que nous adoptions l’amendement n° 99, qui viendra en discussion dans un instant. Mme Morin-Desailly pourrait nous le confirmer. Dans ces conditions, pourquoi prendre le risque indiqué par M. le secrétaire d’État ?

M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain, pour explication de vote.

M. Jérôme Durain. L’inclination de M. de Belenet est finalement assez logique. Pour ma part, j’ai trouvé l’argumentation de M. le secrétaire d’État non pas « presque », mais tout à fait intelligible, très solide et très argumentée.

Ce qui m’inquiète tout de même, en dernière analyse, c’est que, en guise de réponse à notre demande que les administrés bénéficient d’une information systématique, il décrive un parcours du combattant extrêmement ardu et escarpé, avec plusieurs niveaux de recours, pour obtenir communication de l’ensemble des éléments utiles et nécessaires. Il y a un monde entre ce que nous demandons et ce que vous exposez !

Enfin, vous opposez à notre demande d’une information systématique, qui relève d’une position de principe, un argument de moyens : ce n’est pas possible parce que cela représenterait trop de travail.

Pour ces raisons, je maintiens mon amendement, conservant une petite méfiance, pour reprendre le proverbe normand cité par notre collègue Nathalie Goulet…

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 98.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 145.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, l’amendement n° 134 rectifié n’a plus d’objet.

L’amendement n° 99, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 9

Supprimer cet alinéa

La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire dÉtat. Si vous me le permettez, monsieur le président, je prendrai un peu de temps pour présenter de manière précise et complète cet amendement, d’une particulière importance.

Il a pour objet de rétablir une disposition de la loi du 8 mars 2018 relative à l’orientation et à la réussite des étudiants qui a été supprimée par la commission des lois.

Avant toute chose, je rappelle que cette loi est entrée en vigueur il y a tout juste deux semaines, après avoir été adoptée par le Sénat en février dernier. Que l’on envisage de modifier le droit applicable à ce stade de la procédure Parcoursup suscite déjà une très vive inquiétude dans les établissements d’enseignement supérieur, lesquels devront entamer l’examen des vœux de plusieurs millions de lycéens dans une dizaine de jours.

À la lumière de l’article 14 du présent projet de loi, la commission des lois du Sénat considère que cette disposition qui protège le secret des délibérations des équipes pédagogiques chargées de l’examen des candidatures ouvrirait la voie à une généralisation du traitement algorithmique pour produire les décisions d’affectation sans aucune intervention humaine.

Dans un souci de clarté et de précision, je voudrais rappeler quelle vision et quelle philosophie ont guidé le Gouvernement tout au long de la refondation de l’accès au premier cycle universitaire.

Pour mettre un terme à l’opacité qui entourait le fonctionnement de la plateforme APB, opacité que nous avons nous-mêmes dénoncée dès notre arrivée au pouvoir, le Gouvernement a articulé la procédure d’inscription en licence autour de deux exigences fondamentales : remettre de l’humain dans la procédure d’affectation en écartant toute prise de décision sur le seul fondement d’un algorithme ; garantir la transparence de la procédure d’affectation, tant au niveau national qu’au niveau local. Tels sont les deux piliers de notre projet.

Les nouvelles dispositions de l’article L. 612-3 du code de l’éducation issues de la loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants garantissent la transparence, qu’il s’agisse du fonctionnement de la plateforme Parcoursup en général ou de la procédure de traitement des dossiers de candidature dans les établissements. Les critères d’examen des vœux sont publics. La loi instaure un critère général, celui de la cohérence entre le profil du candidat et les caractéristiques des formations demandées.

Conformément aux alinéas 2 et 3 du I de l’article du code de l’éducation précité, toutes les informations relatives aux éléments pris en compte pour l’examen des dossiers au titre des 13 000 formations inscrites dans Parcoursup sont mises à la disposition des lycéens sur la plateforme.

Les critères d’examen ne sont pas les seuls éléments rendus publics. Le II de l’article prévoit que la transparence s’applique également aux traitements automatisés, ainsi qu’au code source de l’outil d’aide à la décision proposé aux formations par le ministère pour les assister dans l’examen des vœux. En d’autres termes, il n’y a pas de « boîte noire » : le principe de transparence vaut pour les critères, les traitements, le code source de l’algorithme national et celui de l’outil d’aide aux établissements.

Ce n’est pas fini ! J’ai rappelé que l’obligation d’une intervention humaine constituait le premier pilier de la loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants. Dans les établissements, les équipes pédagogiques devront suivre une procédure d’examen des vœux qui exclut toute prise de décision automatisée. C’est pourquoi vous me permettrez, monsieur Ouzoulias, de nuancer la présentation que vous avez pu faire de la procédure telle qu’elle se déroule aujourd’hui dans les établissements.

Le décret d’application de la loi instaure, pour chaque formation, une commission d’examen des vœux, principalement composée d’enseignants chargés d’examiner et de classer les dossiers. Comme son nom l’indique, l’outil d’aide à la décision, dont le code source sera donc publié, n’est qu’un appui proposé à la commission d’examen. Celle-ci peut décider de ne pas l’utiliser du tout ; certaines de ces commissions ont d’ailleurs fait ce choix. Si la commission d’examen souhaite utiliser cet outil, elle doit le paramétrer en fonction des éléments d’appréciation pédagogique qu’elle seule peut déterminer, en superviser le fonctionnement et en valider le résultat. Il s’agit bien d’un outil à la main de la commission d’examen. Ce paramétrage consiste, pour l’essentiel, à préciser, à hiérarchiser et à pondérer les critères qui ont été portés à la connaissance des candidats sur la plateforme Parcoursup.

Seule la commission d’examen des vœux est compétente pour décider des réponses qui seront faites aux candidats. Ainsi, la manière dont l’outil d’aide à la décision est utilisé est indissociable de la délibération elle-même, mais ne s’y substitue pas. Le module en lui-même ne peut fonder la décision de l’établissement. Celle-ci ne peut découler que des délibérations de la commission, qui doit examiner chaque dossier individuel : c’est l’esprit même de tout le projet. C’est d’ailleurs pour garantir que les établissements pourront procéder à l’évaluation de chacun des dossiers que le Gouvernement a mobilisé, en leur faveur, une aide spéciale de près de 10 millions d’euros.

M. Pierre Ouzoulias. On nous avait parlé de 6 millions d’euros, mais bon, si vous le dites…

Mme Esther Benbassa. Le chiffre change tout le temps !

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire dÉtat. Cela a été annoncé dimanche.

Mme Esther Benbassa. Très bien !

Mme Sophie Joissains, rapporteur. L’amendement de la commission aura fait beaucoup de bien, finalement…

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire dÉtat. Enfin, la disposition que nous souhaitons rétablir permet d’ancrer le rôle des équipes pédagogiques dans la loi et de protéger le contenu de leurs délibérations. Concrètement, il s’agit de garantir à chaque candidat un accès individuel aux éléments et motifs qui justifient la décision prise par l’établissement.

Jusqu’à présent, la loi de 1979 relative à la motivation des actes administratifs n’imposait pas aux équipes pédagogiques de motiver leurs notes et leurs décisions. La disposition adoptée en février dernier par le Sénat est donc une avancée majeure en faveur de la transparence.

Elle permet à chaque étudiant, à titre individuel, d’obtenir tous les éléments qui ont justifié localement la décision de l’établissement. Cette transparence va jusqu’au rang assigné au candidat par la commission d’examen, et même jusqu’au niveau de l’appréciation portée par elle sur chacun des critères utilisés pour l’évaluation des dossiers.

L’application des dispositions de droit commun conduirait à rendre publics tous les éléments d’appréciation retenus par les équipes pédagogiques, lesquels sont couverts par le principe du secret des délibérations, conformément à la jurisprudence du Conseil d’État. Une telle remise en cause serait excessive : elle priverait de protection les délibérations des équipes pédagogiques, lesquelles, par crainte de recours contentieux, seraient amenées soit à renoncer au module d’aide à la décision, soit à y recourir, mais de façon mécanique, sans l’orienter dans le sens d’une véritable démarche pédagogique. Seul le rétablissement de la disposition en question permettra d’assurer l’équilibre entre la souveraineté de la commission et l’utilisation d’outils modernes d’aide à la décision.

En vue de parer à d’éventuelles dérives, la loi du 8 mars 2018 relative à l’orientation et à la réussite des étudiants a par ailleurs institué un comité d’éthique et scientifique qui a vocation à prévenir ce type de risques et à garantir une intervention humaine systématique dans le traitement des dossiers, ainsi qu’un haut niveau de protection des candidats. Le Sénat a consacré l’existence de ce comité dans la loi, de manière à lui conférer pérennité et indépendance.

Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, se tient à votre disposition et à celle des commissions des lois et de la culture pour rendre compte du traitement des vœux.

Je propose au Sénat de rétablir cette disposition en adoptant l’amendement du Gouvernement. J’espère que ma présentation de celui-ci, que nous avons voulu aussi précise et complète que possible, aura pu vous convaincre ; l’ensemble du Gouvernement y a travaillé !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Merci !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Je voudrais d’abord dire que, si le dépôt de cet amendement a permis le déblocage de 10 millions d’euros au bénéfice des établissements d’enseignement supérieur, nous en sommes déjà très heureux ! (Sourires.)

Mme Esther Benbassa. C’est déjà pas mal !

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Il s’agit ici de la nouvelle procédure d’affectation des bacheliers dans l’enseignement supérieur, dite « Parcoursup ».

On se souvient du scandale provoqué par la précédente procédure, dite « Admission post-bac », qui utilisait à la fois des algorithmes de classement des candidatures, notamment dans les filières non sélectives en tension, et un algorithme d’appariement. Les paramètres utilisés par les algorithmes de classement reposaient sur une base légale extrêmement fragile. Jusqu’à l’an dernier, ils n’avaient été ni explicités dans un texte réglementaire ni publiés sous quelque forme que ce soit. La communication du ministère était même délibérément trompeuse à ce sujet. Je crois que tout le monde le reconnaît aujourd’hui. Cela explique que nous n’hésitions pas, désormais, à tirer la sonnette d’alarme en temps et en heure.

Avec Parcoursup, il ne sera plus fait appel à un algorithme d’appariement du type de celui que comportait APB. En revanche, les formations devront examiner et classer un nombre de dossiers beaucoup plus élevé que précédemment et auront recours, pour ce faire, à des algorithmes de classement.

Mme Esther Benbassa et M. Pierre Ouzoulias. Bien sûr !

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire dÉtat. Oui, mais on expliquera avec quels critères ils fonctionnent !

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Or, le 7 février dernier, lors de l’examen du projet de loi relatif à l’orientation et à la réussite des étudiants, le Gouvernement a fait adopter un amendement de dernière minute, déposé en séance publique sans que la commission de la culture ait pu en faire un examen approfondi, qui exonère ces algorithmes de classement des obligations de transparence prévues par le code des relations entre le public et l’administration. Le rapporteur de la commission de la culture, Jacques Grosperrin, avait, au contraire, déposé un amendement imposant dans tous les cas la publication des règles de l’algorithme et des principales caractéristiques de sa mise en œuvre.

La commission des lois a choisi de revenir sur cette première entorse aux règles de transparence définies par la loi pour une République numérique.

Écartons d’emblée l’un des griefs avancés par le Gouvernement : la suppression du dernier alinéa du I de l’article L. 612-3 du code de l’éducation ne prive nullement de base légale les délibérations des équipes pédagogiques.

Nous voulons bien faire crédit au Gouvernement qu’aucun dossier ne sera accepté ou rejeté sans examen, sur le simple fondement du résultat produit par l’algorithme de classement.

Cependant, la loi n’empêche pas une telle dérive : le critère de la cohérence entre le profil du candidat et les attendus de la formation demandée est tout de même extrêmement large, pour ne pas dire vague.

Si tous les dossiers doivent être réexaminés par les équipes pédagogiques, pourquoi les préordonnancer au moyen d’algorithmes de classement ? Il y a tout lieu de craindre que l’examen humain ne soit, au mieux, que superficiel, et a minima pour certains dossiers très bien ou très mal classés. Dès lors, il nous paraît légitime que les bacheliers puissent savoir quels critères de classement leur ont été appliqués par voie d’algorithme, conformément au droit commun.

Toutefois, je peux entendre la crainte que les établissements d’enseignement supérieur soient déstabilisés au cours de la première année d’application de Parcoursup, alors qu’ils l’ont déjà été avec le système APB il y a très peu de temps.

L’application des règles de transparence de droit commun a attiré l’attention sur l’usage fait par les établissements d’algorithmes de classement, sur les différences entre les résultats produits par un algorithme et le classement issu des délibérations des équipes pédagogiques. Cela pourrait évidemment encourager les recours.

Dans ces conditions, les enseignants-chercheurs pourraient être encore plus réticents qu’ils ne le sont déjà à l’égard de la nouvelle procédure.

Mes chers collègues, je crois nécessaire que le Sénat réaffirme une position de principe à ce sujet. Il n’y a aucune raison que les garanties de transparence offertes à l’ensemble des administrés ne s’appliquent pas à l’accès à l’université, d’autant qu’il y a aussi une vertu pédagogique à cela : un étudiant qui aura échoué à entrer dans un établissement d’enseignement supérieur aura besoin de connaître les critères appliqués, ne serait-ce que pour mieux se préparer en vue de l’année suivante.

Cela étant, par souci de pragmatisme, je prends l’engagement, au nom de la commission des lois, de rechercher un terrain de compromis, en commission mixte paritaire, en vue de reporter au 1er janvier 2019 l’entrée en vigueur du III de l’article 14. Cela obligera le Gouvernement à revenir sur le sujet dans la perspective de la rentrée 2019, mais laissera tout de même une année d’apaisement aux établissements d’enseignement supérieur.

Par ailleurs, il nous paraît important de faire apparaître clairement dans le code de l’éducation que les décisions d’inscription ou de refus d’inscription dans un établissement d’enseignement supérieur ne peuvent être prises sur le fondement exclusif d’un algorithme.

En conclusion, la commission émet un avis défavorable sur l’amendement du Gouvernement. (Mmes Esther Benbassa et Catherine Morin-Desailly, M. Loïc Hervé applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour explication de vote.

Mme Sylvie Robert. Je souhaite répondre à l’interpellation de Mme la rapporteur et, plus généralement, aux propos que nous venons d’entendre.

Je dois avouer que mes collègues de groupe et moi-même avons été extrêmement frustrés de ce qui s’est produit à la fin de l’examen du projet de loi relatif à l’orientation et à la réussite des étudiants. Je fais référence à la question du secret des délibérations et à cet amendement, présenté beaucoup trop tardivement pour que nous puissions véritablement l’examiner en commission.

En plus de l’urgence à mettre en œuvre Parcoursup et les nouvelles politiques d’orientation des étudiants, en plus de l’urgence en matière de financement et du contexte ayant prévalu à l’examen du projet de loi, voilà que nous découvrions un angle mort !

Cet amendement nous a donc laissés sur notre faim, et je suis très heureuse, aujourd’hui, que nous puissions reprendre ce débat, à la faveur du présent texte de loi et de cet amendement du Gouvernement. Comme vous l’imaginez, mes chers collègues, nous ne souscrivons pas à son contenu, mais l’intervention de Mme la rapporteur nous a au moins permis de relancer le sujet.

Je serai très brève. Je peux tout à fait entendre qu’un délai de quelques semaines – la CMP et la promulgation sont prévues, je crois, pour le mois d’avril prochain – mette les universités en difficulté, la loi ayant « abandonné » aux établissements le traitement des dossiers en vue du classement des candidats.

Néanmoins, nous savons tous que les universités vont mettre en place des algorithmes « maison » – c’est ainsi que je les appelle. C’est obligatoire au vu du nombre de dossiers à traiter et de la situation extrêmement difficile à laquelle elles sont, et continueront à être, confrontées.

Vous êtes forcément attachés, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, à la question de la transparence, car celle-ci participe de la confiance de nos concitoyens, à la fois dans l’outil mis en place et, plus généralement, dans le recours aux algorithmes.

Si, comme Mme la rapporteur l’a souligné, nous avons l’assurance que de tels principes seront bien inscrits dans la loi, avec un compromis en CMP permettant d’envisager une mise en œuvre pour Parcoursup seulement au début de l’année 2019, nous pourrons trouver un accord, me semble-t-il.

M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Sylvie Robert. Je terminerai en soulignant que cette question n’est vraiment pas anodine. On parle d’orientation et au-delà, vous l’avez bien vu, de sélection. C’est cela aussi qui a brouillé les cartes.

M. le président. Mes chers collègues, compte tenu du nombre de demandes d’explication de vote, je vais devoir interrompre nos travaux (Exclamations.) ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente-cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures cinq, est reprise à vingt et une heures trente-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la protection des données personnelles.

Dans la discussion du texte de la commission, nous poursuivons, au sein de l’article 14, les explications de vote sur l’amendement n° 99.

La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.

M. Pierre Ouzoulias. Ce sera, mes chers collègues, une intervention en deux temps.

Sur la forme, tout d’abord, vous nous opposez une nouvelle fois le problème du temps, monsieur le secrétaire d’État, en évoquant la pression suscitée par la nécessité d’assurer une rentrée sans ombrage.

Vous savez parfaitement, pour l’avoir appris, que c’est le dispositif tactique mis au point par la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation durant toute la discussion du projet de loi relatif à l’orientation et à la réussite des étudiants, laquelle est même allée jusqu’à promulguer un arrêté avant l’examen du texte au Sénat.

À cette occasion, nous lui avons indiqué avoir les plus grandes craintes quant à la précipitation avec laquelle les différents dispositifs étaient mis en place. Malheureusement, les remontées du terrain nous donnent aujourd’hui raison ! Il aurait fallu prendre un peu plus de temps, afin de réaliser un travail législatif plus approfondi.

Sur le fond, ensuite, je comprends parfaitement votre raisonnement in abstracto, consistant à prendre devant nous l’engagement absolu que tous les dossiers bénéficieront d’un examen individuel et que les algorithmes, s’ils sont employés, seront uniquement constitutifs de la prise de décision pédagogique des jurys.

Toutefois, cela, c’est la théorie ; la pratique, telle qu’elle se dévoile aujourd’hui dans les universités, est tout autre ! Nos collègues universitaires – vous le savez, car vous disposez des mêmes informations que nous – sont confrontés à une avalanche de dossiers que, matériellement, ils ne peuvent pas traiter de manière individuelle. C’est absolument impossible ! Ils ont donc bien évidemment recours à des traitements automatisés.

Même si nous ne pouvons que partager votre volonté que se mette en place un traitement personnalisé de chaque dossier, il faudra bien admettre que, dans certaines situations, les équipes pédagogiques seront contraintes de procéder autrement. Dans de tels cas – exceptionnels selon vous, ordinaires selon nous –, il y a nécessité, sur les fondements juridiques que notre rapporteur a explicités, de rendre possible un examen des algorithmes permettant un traitement automatisé.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.

Mme Catherine Morin-Desailly. Je veux rebondir sur les propos de Mme Sylvie Robert, que je partage tout à fait. Je suis également d’accord avec vous, cher Pierre Ouzoulias, sur l’urgence que l’on nous impose sans cesse dans notre travail de législateur. Or pour bien légiférer, pour réaliser les études, mener la réflexion, conduire les concertations, il faut du temps. Je partage tout à fait ce constat.

La contrainte, dans le cadre du projet de loi relatif à l’orientation et à la réussite des étudiants, c’était l’organisation de la rentrée scolaire, prise dans l’étau de la fin du système Admission post-bac, dit « APB », déclaré illégal, et d’une nouvelle procédure à mettre en place. On ne pouvait se permettre une année blanche.

La loi que nous avons votée est désormais en application. Elle a été promulguée voilà quelques jours, après, d’ailleurs, que le Conseil constitutionnel s’est prononcé, validant le travail réalisé dans nos assemblées – je tiens à le dire pour rassurer ceux qui nous écoutent.

Néanmoins, on sait très bien que cette année sera nécessairement une année d’adaptation et de transition, après la disparition d’un ancien système, qui, je le rappelle, était hautement critiquable et que nous avions critiqué à l’époque. C’était un dispositif complètement opaque, dans lequel la décision humaine ne semblait plus avoir sa place pour garantir une orientation utile de nos étudiants.

Je soutiens complètement Mme la rapporteur dans sa proposition consistant, dans le cadre de la CMP – cela nous laissera un peu de temps pour approfondir le sujet –, à rassurer les présidents d’université, les universitaires et les enseignants dans les lycées, qui finalisent actuellement la procédure avec les élèves et les parents accompagnateurs, tout en prenant en compte une exigence accrue de transparence des algorithmes. En effet, notre rapporteur l’a bien dit, il est absolument nécessaire que nous puissions savoir précisément comment ces boîtes noires fonctionnent.

Par ailleurs, n’oublions pas l’élément humain dans cette affaire, car les principaux concernés sont les étudiants.

Pour ma part, je plaide pour que ces outils numériques ne soient que des outils d’aide, éventuelle, à la prise de décision dans le cadre des commissions pédagogiques, mais aussi à l’organisation des vœux et à la réussite de l’orientation. Oui, ils ne doivent être que des outils au service de la réussite des étudiants, afin que leurs aspirations soient bien respectées dans les vœux finaux, pour le succès de leur vie future.

Je me fie donc entièrement à Mme la rapporteur, qui nous indique qu’elle réfléchira d’ici à la CMP pour dégager des solutions pratiques. Nous pouvons ainsi avancer utilement, et je crois que les collègues de la commission de la culture ici présents ne verront rien à y redire. (Mme Sylvie Robert acquiesce.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.

Mme Esther Benbassa. Je suis tout à fait d’accord avec Mme Catherine Morin-Desailly.

Monsieur le secrétaire d’État, il faut cesser de nous décrire, comme vous venez de le faire, une version idéale de Parcoursup. Nous avons plus ou moins discuté dans les universités et nous sommes conscients que nous ne pourrons pas gérer les dossiers. Nous passerons par des algorithmes, et vous le savez bien. Nous ne disposons tout simplement pas des moyens en personnel, sachant que nous avons aussi notre travail d’enseignement à assurer.

Peut-être faut-il chercher des solutions pratiques pour que l’on puisse, l’année prochaine, travailler sur ces dossiers d’une manière beaucoup plus humanisée, et pas uniquement à base d’algorithmes. Pour l’heure, nous allons choisir les meilleurs, et pour les autres, on verra…

C’est la vérité ! Il ne faut pas la cacher. Nous sommes les praticiens de Parcoursup. Les mots ne suffisent pas à gérer les problèmes. Nos dirigeants semblent naviguer dans un monde quelque un peu idéalisé, mais nous, nous faisons le travail. Certes, le système que vous proposez est mieux qu’avant, mais ne prétendez pas, monsieur le secrétaire d’État, que ce sera fait par des humains. Hormis une partie des dossiers, peut-être, c’est impossible !

M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.

M. Marc Laménie. Sur cet amendement n° 99 du Gouvernement, dont M. le secrétaire d’État a largement développé l’objet, je soutiens complètement l’avis circonstancié de la commission des lois. Je partage aussi les propos de Mme la présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, qui a rappelé à quel point la loi que nous avons examinée voilà quelques semaines a constitué un temps fort pour l’enseignement supérieur et la recherche. Différents problèmes ont été abordés et, naturellement, il faut saluer le travail des membres des deux commissions compétentes.

Je tiens donc simplement à apporter un témoignage de soutien. Cet amendement vient à point pour rappeler la nécessité d’une intervention humaine – vous avez longuement évoqué le sujet, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État –, pour faire évoluer les choses positivement. Il faut rassurer, parce que la situation suscite tout de même des inquiétudes et parce le devenir de la jeunesse et de nos étudiants doit être une priorité.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 99.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 14, modifié.

(Larticle 14 est adopté.)

Article 14
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Article 14 bis

Article additionnel après l’article 14

M. le président. L’amendement n° 24 rectifié bis, présenté par M. A. Marc, Mme Deromedi, M. Bonhomme et les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires, est ainsi libellé :

Après l’article 14

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l’article L. 121-4-1 du code de l’éducation, il est inséré un article L. 121-4-… ainsi rédigé :

« Art. L. 121-4- – Les établissements d’enseignement scolaire mettent à la disposition du public, dans un format accessible à tous et aisément réutilisable, la liste des traitements automatisés de données à caractère personnel effectués sous leur responsabilité. »

La parole est à M. Jean-Pierre Decool.

M. Jean-Pierre Decool. Cet amendement déposé, puis retiré, en première lecture à l’Assemblée nationale vise à inscrire dans le code de l’éducation nationale le principe de la transparence du traitement des données scolaires.

Il s’inscrit dans la perspective d’une meilleure protection des élèves du premier et du second degrés et les prémunit du traitement automatisé de leurs données. À l’heure de l’accélération de l’école du numérique, il est primordial de protéger les jeunes publics d’une utilisation frauduleuse de leurs données et d’assurer, par tous les moyens possibles, la préservation de leur vie privée.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Au regard des débats que nous venons d’avoir, cet amendement m’apparaît plutôt comme un amendement d’appel. En toute sincérité, il n’est pas très réaliste… Néanmoins, par conviction, je laisserai la Haute Assemblée se prononcer.

Sagesse !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Le Gouvernement a conscience, bien entendu, des exigences parfaitement légitimes des parents d’élèves et des enseignants en matière de transparence et de sécurité dans le traitement des données collectées dans le cadre scolaire. Il s’agit d’ailleurs d’une priorité du ministre de l’éducation nationale, dans le cadre de la politique qu’il conduit dans le domaine du développement des outils numériques, en association avec la CNIL.

Néanmoins, il me semble que le RGPD, le règlement général sur la protection des données, impose aux responsables de traitement, pour les établissements publics locaux d’enseignement, les EPLE, et pour les écoles, de tenir un registre des activités de traitement effectuées sous leur responsabilité. Ces registres constitueraient une garantie fondamentale de transparence, d’autant que, comme tout document administratif, ils pourront être communiqués à toute personne intéressée qui en fera la demande.

Ces précautions paraissent d’autant plus nécessaires au vu du texte de l’amendement, imposant la publication d’une liste des traitements à tous les établissements d’enseignement scolaire. Cette imprécision et la multiplicité des établissements visés ne nous permettent pas de garantir que les exigences posées par l’amendement pourront être remplies.

L’avis du Gouvernement est donc défavorable.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Decool. Je vous remercie, madame la rapporteur, d’avoir bien voulu vous en remettre à la sagesse du Sénat. Notre jeunesse a besoin d’être protégée ! Cet amendement tend à s’inscrire, d’une certaine manière, dans la lignée de ceux que j’ai présentés tout à l’heure : il est novateur.

Parce qu’il faut donner un signe fort à l’endroit de cette jeunesse que nous devons protéger, je maintiens cet amendement, monsieur le président.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.

Mme Catherine Morin-Desailly. J’entends les explications de Mme la garde des sceaux sur ce sujet, que nous avons déjà abordé – pas plus tard qu’hier, je crois –, à la faveur de l’examen d’un autre amendement. C’est un vrai sujet, et vous avez raison, monsieur Decool, de poser la question.

Les explications du Gouvernement sont partiellement rassurantes. Je crois tout à fait à la volonté du ministre de l’éducation nationale de sécuriser les données personnelles des élèves. Pour autant, il faudrait – peut-être ici, ce soir – que le Gouvernement prenne l’engagement définitif de sortir de l’ambiguïté, car, comme je l’indiquais hier, il a passé des marchés, que ce soit avec Google ou Microsoft, n’apportant strictement aucune garantie.

Les dysfonctionnements liés aux contrats passés avec les géants américains de l’Internet commencent à apparaître. Je ne citerai que la plus récente affaire : l’affaire désastreuse de Cambridge Analytica et des données utilisateurs de Facebook, qui fait beaucoup de bruit en ce moment.

Les conditions générales d’utilisation proposées par ces géants, d’ailleurs établies unilatéralement par eux-mêmes, ne sont pas de nature à clarifier les situations. De ce fait, il y a toujours une possibilité de dysfonctionnements ou d’utilisations frauduleuses, à l’insu des propriétaires de données.

Je vous le dis très officiellement, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, il faut vraiment sortir de l’ambiguïté. Les affaires récentes le montrent, nous sommes à un tournant !

Selon moi, c’est la fin d’un modèle économique de l’Internet fondé sur la gratuité, la publicité et l’utilisation des données – et je ne parle même pas de surveillance massive. Nous allons avoir le devoir impérieux de refonder notre système de l’Internet sur des valeurs européennes !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 24 rectifié bis.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 14.

Article additionnel après l'article 14 - Amendement n° 24 rectifié bis
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Article 15 (Texte non modifié par la commission)

Article 14 bis

Le III de l’article 32 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsque les données à caractère personnel sont collectées auprès d’un mineur de moins de seize ans, le responsable de traitement transmet au mineur les informations mentionnées au I dans un langage clair et facilement accessible. » – (Adopté.)

Article 14 bis
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Article additionnel après l'article 15 - Amendement n° 1 rectifié ter

Article 15

(Non modifié)

L’article 40 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est complété par un III ainsi rédigé :

« III. – Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, fixe la liste des traitements et des catégories de traitements autorisés à déroger au droit à la communication d’une violation de données régi par l’article 34 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 précité lorsque la notification d’une divulgation ou d’un accès non autorisé à ces données est susceptible de représenter un risque pour la sécurité nationale, la défense nationale ou la sécurité publique. La dérogation prévue au présent III n’est applicable qu’aux seuls traitements de données à caractère personnel nécessaires au respect d’une obligation légale qui requiert le traitement de ces données ou à l’exercice d’une mission d’intérêt public dont est investi le responsable de traitement. »

M. le président. L’amendement n° 140, présenté par Mme S. Robert, MM. Durain, Sutour, Sueur, Kanner et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Au début de cet article

Insérer un paragraphe ainsi rédigé :

… – À la première phrase du premier alinéa du II de l’article 40 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, les mots : « lorsque la personne concernée était mineure au moment de la collecte » sont supprimés.

La parole est à Mme Sylvie Robert.

Mme Sylvie Robert. J’ai retenu cette phrase de l’écrivain Kazuo Ishiguro, que vous connaissez sûrement, mes chers collègues : « Quand faut-il se souvenir, quand est-il préférable d’oublier ? »

Les données personnelles sont un rempart contre l’oubli. Elles sont la trace de chacun et elles peuvent révéler l’état civil, les préférences, les intérêts, en somme tout ce qui constitue l’identité d’un individu. Si ce dernier livre des informations à un moment donné, il peut légitimement vouloir qu’elles n’apparaissent plus ultérieurement, au motif, notamment, du respect de sa vie privée.

En ce sens, la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique a représenté une vraie avancée, en créant un droit à l’oubli. Bien évidemment, ce droit n’est pas absolu ; il doit être concilié avec d’autres considérations tout aussi importantes : le droit à l’information, le droit à la recherche scientifique et d’autres finalités d’intérêt public.

Néanmoins, ce droit a aujourd’hui une portée limitée, car il est soumis à une condition de minorité. Pour être plus précis, si tout un chacun peut s’en prémunir, il ne peut le faire que pour des données collectées lorsqu’il était mineur.

Certes, cette disposition permet de gommer certaines erreurs de jeunesse, pourrait-on dire, mais elle semble incomplète et difficilement justifiable sur le fond.

Pourquoi une personne pourrait-elle effacer des données personnelles collectées quand elle avait 17 ans et 9 mois, lorsqu’une autre ne pourrait pas le faire pour des données collectées quand elle avait 18 ans et 3 mois ? L’âge comme conditionnalité décisive à l’exercice du droit à l’oubli me semble d’une faible valeur discursive.

À titre personnel, je ne conçois pas pleinement le fondement de cette logique. Je ne qualifierai pas celle-ci d’arbitraire, mais, à l’heure où nous recourons tous de plus en plus au numérique afin de remplir nos tâches administratives, d’effectuer des achats en ligne, de bénéficier de services divers et variés, d’avoir accès à l’information par des abonnements à des newsletters, notamment, nous avons besoin de protection, de droits effectifs ayant une portée réelle, et non partielle.

Le droit à l’oubli en est un. Nous devons avoir le droit, indépendamment de notre âge au moment de la collecte des données, d’effacer les empreintes que nous laissons sur la toile, dès lors que cette volonté ne porte pas atteinte à d’autres enjeux rappelés précédemment et qui figurent, d’ailleurs, à l’article 40 de la loi Informatique et libertés.

En définitive, ce qui me paraît étrange, c’est que les modalités d’encadrement de ce droit sont déjà inscrites dans la loi. En faire usage ne risque donc pas de limiter d’autres droits et d’autres libertés fondamentales. En revanche, ne pas lui conférer une pleine portée est regrettable, car cela revient à affaiblir la protection des données et, par conséquent, le respect de la vie privée.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Cet amendement est en réalité satisfait par le règlement général sur la protection des données. En inscrivant le droit à l’oubli pour les mineurs dans son texte, la loi pour une République numérique avait anticipé ce règlement général, mais celui-ci consacre bien un droit à l’oubli pour tous, même si une procédure accélérée est prévue dans le cas des mineurs.

La commission demande donc le retrait de cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Les dispositions de cet amendement constituent, d’une certaine manière, un acte de « surtransposition ».

Sous réserve de certaines exceptions prévues dans le texte, et dans le cadre de l’offre de services de la société de l’information, le droit à l’oubli sera généralisé à l’ensemble des personnes, et pas seulement aux mineurs. C’est exactement ce que vous proposez dans cet amendement, madame Robert, et c’est la raison pour laquelle mon avis sera défavorable.

L’extension proposée me semble disproportionnée au regard de la nécessaire conciliation que nous devons opérer entre la liberté d’information et le droit à l’effacement des données. Les personnes majeures peuvent s’appuyer sur d’autres motifs pour obtenir l’effacement de leurs données – absence de consentement, illicéité du traitement, etc. –, et ce sans qu’il soit besoin de leur étendre le bénéfice de cette protection, spécifiquement ajoutée pour les mineurs.

Le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Madame Robert, l’amendement n° 140 est-il maintenu ?

Mme Sylvie Robert. Non, je le retire, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 140 est retiré.

L’amendement n° 141, présenté par Mme S. Robert, MM. Durain, Sutour, Sueur, Kanner et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Au début de cet article

Insérer un paragraphe ainsi rédigé :

… – À la seconde phrase du premier alinéa du II de l’article 40 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, après la première occurrence des mots : « celles-ci » sont insérés les mots : « sur l’ensemble des extensions du traitement ».

La parole est à Mme Sylvie Robert.

Mme Sylvie Robert. En 2014, la Cour de justice de l’Union européenne a estimé, dans son arrêt Costeja, qu’un célèbre moteur de recherche entrait dans le champ de la directive de 1995 sur le traitement des données personnelles.

Dès lors qu’ils proposent des contenus publicitaires à partir de l’indexation des sites, les moteurs de recherche réalisent un traitement de données à caractère personnel. Il s’ensuit que la CJUE a reconnu la possibilité pour tout internaute d’obtenir qu’un lien n’apparaisse plus quand son patronyme, et uniquement son patronyme, est saisi sur le moteur de recherche. C’est le droit au déréférencement. Ce droit est naturellement à mettre en balance avec d’autres impératifs, tels que le droit à l’information du public.

Pour autant, une question n’a pas été arbitrée : quelle en est la portée territoriale ? Autrement dit, lorsqu’un moteur de recherche est tenu de déréférencer, doit-il le faire uniquement dans la zone géographique couverte par le texte réglementaire – dans notre cas, l’Union européenne – ou doit-il le faire à l’échelle mondiale, partant du postulat que, Internet étant un monde ouvert, indifférent aux frontières, l’information demeurerait accessible ?

Prenons un exemple concret. Si je demande à un moteur de recherche de déréférencer un lien me concernant et qu’il accède à ma requête, ce lien ne sera plus accessible depuis l’ensemble des extensions européennes de ce site – « .fr », « .it », etc. En revanche, il le demeurera depuis la version américaine du moteur de recherche – donc en « .com ». Le droit au déréférencement est par conséquent aujourd’hui limité territorialement.

D’ailleurs, la CNIL souhaite étendre sa portée. Son raisonnement est que les moteurs de recherche, ayant souvent choisi d’avoir un traitement mondial, doivent, dès lors que le droit au référencement est appliqué, le rendre effectif sur l’ensemble des extensions liées à ce traitement.

Si en passant en un clic d’une extension « .fr » à une extension « .com » vous avez accès au lien censé être désindexé, mes chers collègues, on peut considérer que le droit au déréférencement n’est que parcellaire !

Certes, des questions préjudicielles sur ce point fondamental ont été soumises par le Conseil d’État à la Cour de justice de l’Union européenne. Toutefois, à défaut d’anticiper les décisions de la CJUE en intégrant d’ores et déjà une disposition dans notre ordre juridique interne, nous aimerions au moins connaître la position du Gouvernement sur la question. Celui-ci est-il favorable à ce que le droit au déréférencement ne soit pas limité territorialement ?

Le sujet est essentiel, car le droit au déréférencement est un corollaire du droit à l’oubli, évoqué précédemment.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Comme le droit à l’oubli, le droit au déréférencement sur les moteurs de recherche est l’un des nouveaux droits garantis par le règlement général sur la protection des données. Il a vocation à s’appliquer directement, dans ce cadre, à compter du 25 mai prochain.

Le problème des extensions des noms de domaine sur lequel il s’exerce ne peut être tranché par un simple ajout dans la loi nationale. En effet, les autorités de contrôle européennes sont en train de se forger une doctrine, exprimée au sein du groupe qui les rassemble, et plusieurs contentieux sur ce point sont en cours. Le Conseil d’État, notamment, a adressé à la Cour de justice de l’Union européenne plusieurs questions préjudicielles sur le sujet.

Par conséquent, je vous propose, madame Robert, de ne pas modifier pour le moment la loi Informatique et libertés, et d’en rester au règlement général.

La commission demande donc le retrait de cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Même avis que la commission, monsieur le président : le Gouvernement sollicite le retrait de cet amendement.

M. le président. Madame Robert, l’amendement n° 141 est-il maintenu ?

Mme Sylvie Robert. Il me semblait important que nous puissions évoquer le droit à l’oubli et le droit au déréférencement dans cet hémicycle. Il y a là un vrai sujet, sur lequel, d’ailleurs, nous aurons l’occasion de revenir dans les mois ou années à venir, que ce soit dans le cadre du présent texte ou à l’occasion de l’examen d’autres dispositions.

Je retire donc mon amendement, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 141 est retiré.

L’amendement n° 139, présenté par Mme S. Robert et MM. Durain, Sutour, Sueur et Kanner, est ainsi libellé :

Alinéa 2, première phrase

Après le mot :

risque

insérer le mot :

élevé

La parole est à Mme Sylvie Robert.

Mme Sylvie Robert. Cet amendement rédactionnel a pour objet d’encadrer davantage les dérogations prévues au droit à la communication d’une violation de données.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Il me semble qu’il y a erreur ! Si cet amendement était adopté, il faudrait, non plus un simple risque, mais un risque élevé pour pouvoir déroger à l’obligation de notification des failles de sécurité. Cela diminuerait la protection de certains traitements importants pour la sécurité publique.

La commission demande donc le retrait de cet amendement, faute de quoi elle émettrait un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Même avis, monsieur le président : le Gouvernement sollicite le retrait de cet amendement, faute de quoi il émettrait un avis défavorable.

M. le président. Madame Robert, l’amendement n° 139 est-il maintenu ?

Mme Sylvie Robert. Non, je le retire, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 139 est retiré.

Je mets aux voix l’article 15.

(Larticle 15 est adopté.)

Article 15 (Texte non modifié par la commission)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la protection des données personnelles
Article additionnel après l'article 15 - Amendement n° 2 rectifié ter

Articles additionnels après l’article 15

M. le président. L’amendement n° 1 rectifié ter, présenté par Mme Lassarade, MM. Cardoux et de Nicolaÿ, Mmes Delmont-Koropoulis, Deromedi et Gruny, MM. Vogel et H. Leroy, Mmes Troendlé, Chain-Larché, Thomas et Bonfanti-Dossat, M. Brisson, Mmes Garriaud-Maylam et Micouleau, MM. Milon, Grand, Bonhomme et Bonne, Mme Lanfranchi Dorgal et MM. Bouchet, Leleux, Charon, Panunzi et Priou, est ainsi libellé :

Après l’article 15

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le premier alinéa de l’article L. 341-4 du code de l’énergie, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Ces dispositifs ne peuvent pas être installés auprès des utilisateurs qui s’y opposent expressément. »

La parole est à Mme Annie Delmont-Koropoulis.

Mme Annie Delmont-Koropoulis. Les nouveaux dispositifs de comptage mis en place – les compteurs Linky – procèdent, par défaut et sans le consentement des personnes, à des enregistrements de données personnelles.

Le fonctionnement intrinsèque de ces compteurs implique le traitement de données à caractère personnel.

Dès lors, seule la faculté de s’opposer à l’installation de ces compteurs permet de garantir aussi bien le droit à l’autodétermination des données personnelles, tel qu’il a été préconisé par le Conseil d’État dans son étude annuelle 2014, Le Numérique et les droits fondamentaux, que les exigences du règlement du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des données physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données.

Ce règlement consacre le principe selon lequel le consentement des personnes au traitement de leurs données personnelles doit être donné par un acte positif clair, par lequel la personne concernée manifeste de façon libre, spécifique, éclairée et univoque son accord au traitement des données à caractère personnel la concernant.

Un refus de la part de certains utilisateurs que leurs données personnelles soient collectées par les dispositifs de comptage et l’impossibilité, partant, d’installer ces dispositifs chez ces utilisateurs n’entraînera pas une violation de la directive européenne du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité, dès lors que son annexe I n’impose qu’une couverture du territoire national à hauteur de 80 %.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Cette question passionnante partage quelque peu la France et pourrait faire l’objet d’un véritable débat… Mais elle ne trouve pas vraiment sa place dans ce texte ; elle en est même très éloignée.

C’est la raison pour laquelle je sollicite le retrait de cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Madame la sénatrice, comme Mme la rapporteur, je pense que cet amendement est un cavalier, parce qu’il concerne un sujet assez éloigné de l’objet même de ce texte.

Le Gouvernement demande donc le retrait de cet amendement.

M. le président. Madame Delmont-Koropoulis, l’amendement n° 1 rectifié ter est-il maintenu ?

Mme Annie Delmont-Koropoulis. Il sera intéressant de reparler de ce problème, mais, en attendant, je retire cet amendement, monsieur le président.

Article additionnel après l'article 15 - Amendement n° 1 rectifié ter
Dossier législatif : projet de loi relatif à la protection des données personnelles
Article 16 A

M. le président. L’amendement n° 1 rectifié ter est retiré.

L’amendement n° 2 rectifié ter, présenté par Mme Lassarade, MM. Cardoux et de Nicolaÿ, Mmes Delmont-Koropoulis, Deromedi et Gruny, MM. Vogel et H. Leroy, Mmes Troendlé, Chain-Larché, Thomas et Bonfanti-Dossat, M. Brisson, Mmes Garriaud-Maylam et Micouleau, MM. Milon, Grand, Bonhomme et Bonne, Mme Lanfranchi Dorgal et MM. Bouchet, Leleux, Charon, Panunzi et Priou, est ainsi libellé :

Après l’article 15

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le premier alinéa de l’article L. 452-2-1 du code de l’énergie, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Ces dispositifs ne peuvent pas être installés auprès des utilisateurs qui s’y opposent expressément. »

La parole est à Mme Annie Delmont-Koropoulis.

Mme Annie Delmont-Koropoulis. Cet amendement est très proche du précédent…

M. Jean-Claude Requier. Cette fois, c’est le gaz ! (Sourires.)

Mme Annie Delmont-Koropoulis. Je le retire donc, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 2 rectifié ter est retiré.

Chapitre VI

Voies de recours

Article additionnel après l'article 15 - Amendement n° 2 rectifié ter
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Article 16

Article 16 A

L’article 43 ter de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est ainsi modifié :

1° AA (nouveau) Au II, après les mots : « aux dispositions », sont insérés les mots : « du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 précité ou » ;

1° A Le même II est complété par les mots : « au vu des cas individuels présentés par le demandeur, qui en informe la Commission nationale de l’informatique et des libertés » ;

1° Le III est ainsi rédigé :

« III. – Cette action peut être exercée en vue soit de la cessation du manquement mentionné au II, soit de l’engagement de la responsabilité de la personne ayant causé le dommage afin d’obtenir la réparation des préjudices matériels et moraux subis, soit de ces deux fins.

« Toutefois, la responsabilité de la personne ayant causé le dommage ne peut être engagée que si le fait générateur du dommage est postérieur au 25 mai 2020. » ;

2° Le IV est ainsi modifié :

a) (nouveau) Le 1° est complété par les mots : « et agréées par l’autorité administrative » ;

b) (nouveau) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« L’agrément prévu au 1° est notamment subordonné à l’activité effective et publique de l’association en vue de la protection de la vie privée et de la protection des données à caractère personnel, à la transparence de sa gestion, à sa représentativité et à son indépendance. Les conditions d’agrément et du retrait de l’agrément sont déterminées par décret en Conseil d’État. » ;

3° Il est ajouté un V ainsi rédigé :

« V. – Lorsque l’action tend à la réparation des préjudices subis, elle s’exerce dans le cadre de la procédure individuelle de réparation définie au chapitre X du titre VII du livre VII du code de justice administrative et au chapitre Ier du titre V de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle. »

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 101, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

I. - Alinéas 7 à 10

Supprimer ces alinéas.

II. – Alinéa 11

Rédiger ainsi cet alinéa :

2° Le IV est complété par un alinéa ainsi rédigé :

III. – Alinéa 12

Rédiger ainsi le début de cet alinéa :

« Lorsque l’action …

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement souhaite la suppression de la condition d’agrément qu’a introduite la commission pour les associations souhaitant exercer une action de groupe.

Une telle condition n’est pas prévue à l’article 80 du règlement, qui vise les organismes, organisations ou associations à but non lucratif ayant été valablement constitués conformément au droit d’un État membre. L’amendement tend à poser une exigence supplémentaire qui me semble donc contraire à la lettre du règlement.

En pratique, très peu d’actions de groupe ont été engagées, et depuis que la possibilité en a été introduite par la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, aucune ne l’a été en matière de protection des données. La condition supplémentaire, qui est liée à l’agrément préalable, entraverait la possibilité d’exercer ces actions.

Je rappelle que la loi de 2016 a déjà prévu un certain nombre de garde-fous. En effet, pour pouvoir exercer une action de groupe, une association doit être régulièrement déclarée depuis cinq ans au moins et justifier d’un objet statutaire concernant la protection de la vie privée et la protection des données à caractère personnel. Les associations de défense peuvent également exercer une telle action lorsque le traitement de données à caractère personnel affecte des consommateurs.

L’agrément prévu pour ces associations par l’article L. 811-1 du code de la consommation est facultatif. Il y aurait donc, si nous n’avions pas déposé notre amendement, une distorsion entre ces deux types d’association.

J’ajoute enfin que le Gouvernement ne souhaite pas revenir sur la disposition introduite par votre commission, qui a reporté au 25 mai 2020 l’entrée en vigueur de l’action de groupe.

Au total, il nous semble que la crainte d’un déferlement d’actions en réparation apparaît excessive et que le texte est parvenu à un juste équilibre.

Pour l’ensemble de ces raisons, je vous demande donc de bien vouloir adopter cet amendement de suppression, sachant que l’amendement suivant, déposé par M. Durain, Mme S. Robert, MM. Sueur, Kanner et les membres du groupe socialiste et républicain a le même objet.

M. le président. L’amendement n° 130, présenté par M. Durain, Mme Sylvie Robert, MM. Sueur, Kanner et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Alinéas 7 à 10

Supprimer ces alinéas.

La parole est à M. Jérôme Durain.

M. Jérôme Durain. Mme la garde des sceaux a dit l’essentiel. On nous parle d’une multiplication des recours abusifs, d’un déferlement, d’un raz-de-marée de plaideurs virulents ayant des visées politiciennes… Nous ne les avons pas vus à l’œuvre jusqu’à présent ! Il nous semble donc que toutes ces préventions sont superflues et infondées.

C’est pour cette raison que nous demandons la suppression des alinéas 7 à 10 de l’article.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. La commission a accepté le principe de l’extension de l’action de groupe en matière de données personnelles à la réparation des dommages matériels et moraux, ainsi que l’a proposé l’Assemblée nationale.

Cette extension donnera effectivement du sens à l’action de groupe en matière de données personnelles. Une action de groupe limitée à la cessation d’un manquement n’a que peu de sens, comme le Sénat l’avait relevé lors de l’examen de la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle. Telle est la véritable raison pour laquelle il n’y a eu aucune action de groupe en la matière depuis 2016.

Dès lors que l’objet de l’action de groupe est étendu à la réparation des dommages, de telles actions risquent au contraire de se multiplier. C’est une grande crainte de nos collectivités territoriales.

De fait, des associations tout à fait respectables nous ont confié leur intention d’en introduire dès le lendemain de l’entrée en vigueur du RGPD, dans la logique des actions qu’elles mènent sur la scène publique et des protestations qu’elles y font entendre. Dès lors, nous avons le devoir de protéger les collectivités territoriales ou les TPE-PME contre les recours abusifs, qui sont très inquiètes, je le répète.

De plus, je ne pense pas que ce soit une demande exorbitante, dans la mesure où c’est déjà le cas en matière de consommation, d’environnement, de santé. Cela permettrait aussi d’unifier le régime de l’action de groupe.

La commission émet donc un avis défavorable sur ces deux amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 130 ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Celui-ci est presque identique à l’amendement du Gouvernement. J’émets donc un avis favorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 101.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 130.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 16 A.

(Larticle 16 A est adopté.)

Article 16 A
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Article 17

Article 16

La section 2 du chapitre V de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est complétée par un article 43 quater ainsi rédigé :

« Art. 43 quater. – Toute personne peut mandater une association ou une organisation mentionnée au IV de l’article 43 ter aux fins d’exercer en son nom les droits prévus aux articles 77 à 79 et 82 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 précité. Elle peut également les mandater pour agir devant la Commission nationale de l’informatique et des libertés, contre celle-ci devant un juge ou contre le responsable de traitement ou son sous-traitant devant une juridiction lorsqu’est en cause un traitement relevant du chapitre XIII de la présente loi.

« L’agrément prévu au 1° du IV de l’article 43 ter n’est pas requis pour qu’une association mentionnée au même 1° puisse recevoir mandat en application du premier alinéa du présent article. »

M. le président. L’amendement n° 25 rectifié, présenté par M. A. Marc, Mme Deromedi et les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Lorsqu’elle constate un manquement, la Commission nationale de l’informatique et des libertés peut ordonner au responsable de traitement de rembourser à l’association ou à l’organisation qui en fait la demande les frais engagés par celle-ci pour exercer les droits des personnes concernées.

La parole est à M. Jean-Pierre Decool.

M. Jean-Pierre Decool. Cet amendement vise à assurer la soutenabilité financière des actions de groupe, telle qu’elle résulte de l’article 16 A du projet de loi, en prévoyant la possibilité pour une association ou une organisation de se faire rembourser les frais engagés pour exercer ses droits et ceux des personnes représentées.

Il s’agit d’affirmer l’effectivité de ce mécanisme d’action de groupe introduit dans le projet de loi en première lecture, à l’Assemblée nationale, en commission.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Il y a une légère confusion de la part des auteurs de l’amendement, puisqu’il s’agit ici non pas de l’action de groupe, mais de l’action individuelle par mandataire.

L’amendement vise à permettre à la CNIL d’imposer à un responsable de traitement dont elle a constaté un manquement aux règles relatives à la protection des données personnelles de rembourser à l’association ou à l’organisation mandatée les frais qu’elle a engagés.

La commission ne peut y être favorable, pour plusieurs raisons : d’une part, la CNIL n’est pas une juridiction, susceptible de condamner aux dépens ; d’autre part, l’examen par la CNIL d’une réclamation n’est pas un procès opposant plusieurs parties, et il n’y a pas de lien d’instance entre l’association auteur de la réclamation et le responsable de traitement, qui justifierait de mettre à la charge de l’un les frais de l’autre.

Nous avons bien étudié la question, et nous sommes parvenus à la conclusion que la CNIL n’avait pas la possibilité de mener ce type d’action.

La commission demande donc le retrait de cet amendement, faute de quoi elle émettrait un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Même avis : le Gouvernement demande le retrait de cet amendement, faute de quoi il émettrait un avis défavorable.

M. le président. Monsieur Decool, l’amendement n° 25 rectifié est-il maintenu ?

M. Jean-Pierre Decool. Non, compte tenu des explications avancées par Mme la rapporteur, je le retire, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 25 rectifié est retiré.

L’amendement n° 100, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Supprimer cet alinéa.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je le retire, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 100 est retiré.

Je mets aux voix l’article 16.

(Larticle 16 est adopté.)

Article 16
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Article 17 bis (nouveau)

Article 17

I. – La section 2 du chapitre V de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est complétée par un article 43 quinquies ainsi rédigé :

« Art. 43 quinquies. – Dans le cas où, saisie d’une réclamation dirigée contre un responsable de traitement ou son sous-traitant, la Commission nationale de l’informatique et des libertés estime fondés les griefs avancés relatifs à la protection des droits et libertés d’une personne à l’égard du traitement de ses données à caractère personnel, ou de manière générale afin d’assurer la protection de ces droits et libertés dans le cadre de sa mission, elle peut demander au Conseil d’État d’ordonner la suspension d’un transfert de données, le cas échéant sous astreinte, et assortit alors ses conclusions d’une demande de question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne en vue d’apprécier la validité de la décision d’adéquation de la Commission européenne prise sur le fondement de l’article 45 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 précité ainsi que de tous les actes pris par la Commission européenne relativement aux garanties appropriées dans le cadre des transferts de données mentionnées à l’article 46 du même règlement. Lorsque le transfert de données en cause ne constitue pas une opération de traitement effectuée par une juridiction dans l’exercice de sa fonction juridictionnelle, la Commission nationale de l’informatique et des libertés peut saisir dans les mêmes conditions le Conseil d’État aux fins d’ordonner la suspension du transfert de données fondé sur une décision d’adéquation de la Commission européenne prise sur le fondement de l’article 36 de la directive (UE) 2016/680 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d’enquêtes et de poursuites en la matière ou d’exécution de sanctions pénales, et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la décision-cadre 2008/977/JAI du Conseil dans l’attente de l’appréciation par la Cour de justice de l’Union européenne de la validité de cette décision d’adéquation. »

II (nouveau). – L’article 226-22-1 du code pénal est ainsi modifié :

1° Les mots : « , hors les cas prévus par la loi » sont supprimés ;

2° Les mots : « la Communauté européenne en violation des mesures prises par la Commission des Communautés européennes ou par la Commission nationale de l’informatique et des libertés mentionnées à l’article 70 » sont remplacés par les mots : « l’Union européenne ou à une organisation internationale en violation du chapitre V du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE, ou des articles 70-25 à 70-27 ». – (Adopté.)

Article 17
Dossier législatif : projet de loi relatif à la protection des données personnelles
Article additionnel après l'article 17 bis - Amendement n° 78 rectifié

Article 17 bis (nouveau)

En application de l’article 7 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, toute clause contractuelle liant un responsable de traitement et un tiers est nulle lorsqu’elle a pour effet de contraindre ce tiers à ne pas mettre en œuvre, notamment lors de la configuration d’un terminal, toutes les conditions du consentement de l’utilisateur final tel qu’il est défini au 11 de l’article 4 du même règlement.

La mise en œuvre de ces conditions peut notamment consister à proposer à l’utilisateur final le choix entre différents services de communication au public en ligne de nature équivalente et dans des conditions d’utilisation équivalentes, pour lesquels peuvent différer les mesures techniques et organisationnelles de protection des données mises en œuvre par le responsable de traitement en application de l’article 25 du même règlement.

M. le président. L’amendement n° 102, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

En application de l’article 7 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, lorsque le traitement repose sur le consentement de la personne concernée, le responsable de traitement doit être en mesure de démontrer que les contrats qu’il conclut portant sur des équipements ou services incluant le traitement de données à caractère personnel ne font pas obstacle au consentement de l’utilisateur final dans les conditions définies au 11 de l’article 4 du même règlement.

La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire dÉtat. Au fil des travaux de l’Assemblée nationale et du Sénat, le Gouvernement a pris conscience qu’il existe aujourd’hui de réelles préoccupations au sein du Parlement sur la question des services et des applications préinstallées, qui sont aujourd’hui mises à disposition sur de nombreux terminaux connectés, en premier lieu les terminaux mobiles.

Je vous invite d’ailleurs à la lecture essentielle et particulièrement riche de la dernière étude de l’ARCEP, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, qui étudie tous les enjeux économiques et sociétaux liés à ces terminaux.

Je tiens à remercier les députés et les sénateurs qui se sont mobilisés sur ce sujet, en particulier Éric Bothorel, à l’Assemblée nationale, et, au Sénat, M. Raynal et toute la commission des lois.

Le Gouvernement a entendu les craintes, et nous avons travaillé longuement pour parvenir à une proposition équilibrée. Nous avons examiné avec attention les propositions qui ont été avancées en ce sens, notamment celles qui résultent de l’article 17 bis adopté par la commission.

Cependant, sa rédaction ne nous semble ni satisfaisante ni opérationnelle, pour plusieurs raisons, mais, comme nous partageons cette ambition, nous allons vous proposer – c’est tout l’objet de cet amendement – une solution que nous trouvons acceptable et équilibrée.

En premier lieu, le dispositif prévu apparaît trop éloigné, dans certains de ses énoncés, du vocabulaire même et de la logique du règlement général de la protection des données. Prenons pour exemple les notions d’utilisateur final, de nullité du contrat ou de tiers.

La rédaction de l’article 17 bis implique en effet des acteurs tiers qui n’ont a priori aucune obligation directe en matière de données personnelles vis-à-vis des utilisateurs finaux, sauf s’il s’agit, d’une part, de responsables ou coresponsables de traitements, et, d’autre part, de personnes concernées, au sens du RGPD, ce qui n’est pas le cas. Il serait problématique et disproportionné d’inclure l’ensemble des fabricants de terminaux dans le champ du RGPD.

En second lieu, comme l’a souligné Mme Morin-Desailly, la rédaction de l’article 17 bis soulève également de fortes interrogations quant à sa compatibilité avec le reste du droit de l’Union européenne, notamment le droit de la concurrence.

Ce sont les raisons pour lesquelles le Gouvernement, qui comprend et partage les préoccupations du Parlement, souhaite amender l’article 17 bis, afin de rester en cohérence à la fois avec le RGPD et avec les normes de l’Union, de façon à pouvoir conserver le dispositif dans la loi et à assurer son opposabilité aux tiers.

À cette fin, l’amendement vise d’abord à mieux préciser les traitements dont il s’agit, ceux qui sont donc fondés sur le consentement, et ensuite à reprendre la logique de responsabilisation du responsable de traitement, telle qu’elle est établie par le RGPD et la terminologie de son article 7, alinéa 1 – le responsable de traitement doit être en mesure de démontrer que la personne concernée a donné son consentement au traitement de données à caractère personnel la concernant.

Tel est l’objet du présent amendement : soutenir les préoccupations exprimées légitimement par les parlementaires tout en assurant la bonne insertion du dispositif dans le cadre européen.

Pendant les débats, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, c’est la question plus générale du rôle des plateformes dans la société et dans l’économie et des inquiétudes qu’elles génèrent qui a été soulevée.

Ce débat, dont vous avez rappelé les enjeux, fait aujourd’hui toute l’actualité du Gouvernement et de la Commission européenne. Ce n’est pas avec cet amendement que nous épuiserons l’intégralité du sujet. Nous pouvons nous attendre dans les prochains mois à avoir de nouveau de nombreuses discussions. Peut-être même aurons-nous l’occasion d’examiner de nouveaux textes législatifs.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Sans suspense, l’avis de la commission est extrêmement favorable.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.

Mme Catherine Morin-Desailly. Puisque j’ai été mentionnée par M. le secrétaire d’État, je me permets d’intervenir.

Je suis heureuse d’entendre un embryon de changement dans le discours du Gouvernement – à la suite du gouvernement précédent – sur cette question des plateformes monopolistiques – que celles-ci soient horizontales ou constituées en silos verticaux – dans des systèmes écopropriétaires.

Monsieur le secrétaire d’État, la problématique de la concurrence est devant nous ; nous y sommes arrivés. Bruno Le Maire veut assigner Google et Apple et je sais que la Commission européenne travaille en ce moment sur le sujet.

Je ne reprendrai pas l’analyse développée dans l’objet de mon amendement tendant à insérer un article additionnel après l’article 17 bis. Celui-ci vise à « bétonner » le système. J’entendrai d’ailleurs avec intérêt l’avis de Mme la rapporteur sur ce sujet.

J’emploie le mot « bétonner » à dessein, parce que le présent amendement me paraît quelque peu fragile sur les plans constitutionnel et contractuel. Mais qui peut le plus peut le moins, et puisque le débat est devant nous, il nous faut des « billes » pour pouvoir continuer la discussion sur ces sujets jusqu’à la commission mixte paritaire.

Je suis favorable à cet amendement, qui vise à rendre l’article 17 bis compatible avec l’actuel règlement, auquel on peut difficilement toucher si ce n’est à travers le projet de loi de transposition.

Au travers de mon propre amendement, je recherche une plus grande efficacité. C’est la raison pour laquelle je propose d’introduire un nouvel article dans le code de commerce prohibant « l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises d’une position dominante sur le marché des services de communication au public en ligne ayant pour objet ou pour effet de subordonner de façon substantielle sur le marché des équipements terminaux la vente d’un tel équipement à l’achat concomitant d’un tel service ».

Cela fait partie d’un tout, et il est temps de mener cette fois une action vraiment offensive. Les derniers événements nous le prouvent.

M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain, pour explication de vote.

M. Jérôme Durain. Je veux juste indiquer, puisque son nom a été cité, que c’est sur l’initiative de notre collègue Claude Raynal que la commission des lois a pris en compte ces éléments de réflexion.

Plusieurs éléments de cet amendement nous intéressent, comme l’a dit M. le secrétaire d’État : d’abord, une dimension de patriotisme numérique, parce qu’une position monopolistique qui se rompt, c’est l’occasion pour de nouveaux acteurs, peut-être français, d’intervenir sur le marché ; ensuite, une dimension d’équité, sur un marché qui est effectivement par trop monopolistique.

Nous nous inscrivons donc dans la lignée des propos de M. le secrétaire d’État et soutenons cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 102.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, l’article 17 bis est ainsi rédigé.

Article 17 bis (nouveau)
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Article 18 (Texte non modifié par la commission)

Article additionnel après l’article 17 bis

M. le président. L’amendement n° 78 rectifié, présenté par Mme Morin-Desailly, MM. Henno, Kern et Laugier, Mme Doineau, M. Bonnecarrère, Mmes de la Provôté, Goy-Chavent et Vullien, M. Détraigne, Mme Gatel, MM. Maurey, Mizzon, Canevet, Cigolotti, Delcros, L. Hervé et les membres du groupe Union Centriste, est ainsi libellé :

Après l’article 17 bis

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le livre IV du code de commerce est ainsi modifié :

1° Après l’article L. 420-2-2, il est inséré un article L. 420-2-3 ainsi rédigé :

« Art. L. 420-2-3. – Est prohibée, lorsqu’elle tend à limiter l’accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d’autres entreprises, l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises d’une position dominante sur le marché des services de communication au public en ligne ayant pour objet ou pour effet de subordonner de façon substantielle sur le marché des équipements terminaux la vente d’un tel équipement à l’achat concomitant d’un tel service. » ;

2° À la fin de l’article L. 420-3 et au premier alinéa du III de l’article L. 420-4, la référence : « et L. 420-2-2 » est remplacée par les références : « , L. 420-2-2 et L. 420-2-3 » ;

3° Au premier alinéa de l’article L. 450-5, à la première phrase du premier alinéa de l’article L. 462-3, aux I, II et IV de l’article L. 462-5, à la première phrase du premier alinéa de l’article L. 462-6, à la seconde phrase du premier alinéa du I de l’article L. 464-2 et au premier alinéa de l’article L. 464-9, la référence : « L. 420-2-2 » est remplacée par la référence : « L. 420-2-3 ».

La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. L’amendement est défendu, monsieur le président.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Le présent amendement vise à apporter une solution alternative et complémentaire au problème évoqué au précédent amendement, qui est abordé, selon moi, sous un meilleur angle : celui du droit de la concurrence.

Cet amendement a en effet pour objet de renforcer les moyens offerts pour lutter contre les abus de position dominante mettant en jeu des interactions sur deux marchés distincts au sens du droit de la concurrence : le marché des services en ligne, d’une part, et celui des terminaux, d’autre part.

Il vise à prohiber les abus de position dominante ayant pour effet d’imposer au consommateur d’acheter des matériels informatiques dotés dès l’achat d’applications et de services, du fait de la position dominante des éditeurs de ces applications et services vis-à-vis des fabricants.

Alors que le ministère de l’économie et la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ont assigné le 14 mars dernier Apple et Google devant le tribunal de commerce de Paris pour demander la cessation de certaines pratiques commerciales abusives concernant leurs « magasins d’applications », le présent amendement vise à élargir l’arsenal des mesures et permet de garantir au consommateur un réel choix. Il va selon moi véritablement dans le bon sens.

La commission émet donc un avis très favorable sur cet amendement, avec une mention spéciale pour Claude Raynal, qui a pris l’initiative d’aborder cette question.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire dÉtat. Je ne voudrais pas être trop dur, car, comme je l’ai indiqué tout à l’heure, le Gouvernement partage le souhait de donner une pleine efficacité au consentement du consommateur tel qu’il est prévu par le règlement, en particulier dans le cas des services accessibles via des terminaux mobiles.

Toutefois, nous estimons que la mesure proposée est inadéquate pour atteindre cet objectif.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire dÉtat. Le présent amendement est malheureusement sans rapport avec l’objet du projet de loi. La modification envisagée vise à prohiber une pratique anticoncurrentielle. Elle est donc encadrée par le droit de la concurrence ; elle ne vise pas à garantir le consentement du consommateur au sens même du règlement.

En outre, si nous allons au fond de l’analyse, la proposition que vous formulez pourrait laisser entendre que d’autres pratiques mises en œuvre par ces mêmes acteurs de l’économie numérique, parce qu’elles ne seraient pas explicitement visées, ne pourraient être appréhendées sous l’angle droit de la concurrence. Cela irait à l’encontre même du projet et de la vision que vous portez.

Pour l’ensemble de ces raisons, de forme – l’opportunité d’intégrer cette mesure dans ce projet de loi – comme de fond, le Gouvernement est défavorable à cet amendement, même si, je le rappelle, il est nécessaire de mener en France et en Europe un véritable débat commun sur ce sujet.

Mme Catherine Morin-Desailly. Il faut plus qu’un débat ! Il faut agir ! Nous avons déjà beaucoup débattu…

M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé, pour explication de vote.

M. Loïc Hervé. Nous soutenons cet amendement, qui a été déposé par Catherine Morin-Desailly et cosigné par nombre de nos collègues et par l’ensemble des membres du groupe Union Centriste.

Cet amendement tend à compléter le dispositif, que nous avons introduit en commission à l’article 17 bis, en garantissant que les utilisateurs d’un terminal aient le choix d’un service équivalent, offrant de meilleures garanties quant à la protection des données personnelles.

Monsieur le secrétaire d’État, on n’est pas tout à fait hors sujet, on est même au cœur du débat, dans la vie quotidienne de nombre de nos compatriotes : il est question d’outils qui consistent à capter des données !

Nous avons eu hier un débat fort intéressant sur les objets connectés ; voilà un autre volet de la réalité vécue par nos compatriotes, a fortiori quand des services de communication au public en ligne sont préinstallés. En effet, alors que le consentement de l’utilisateur doit être libre et que le législateur doit s’assurer que cette liberté est totale et résulte d’un choix effectif, ce choix est en réalité limité à l’acceptation ou au refus des traitements de données ou, en l’espèce, des moteurs de recherche proposés.

Ces moteurs de recherche sont ainsi préinstallés sur les téléphones et leur désinstallation est rendue quasi impossible. Essayez de le faire vous-même sur votre téléphone ou votre smartphone ! La plupart de ces appareils commercialisés en France et en Europe sont en effet équipés d’un système d’exploitation mobile qui impose le même moteur de recherche – Google pour ne pas le citer. C’est une obligation faite à l’ensemble des utilisateurs.

Pourtant, certains moteurs de recherche proposent des fonctionnalités équivalentes tout en offrant une meilleure protection des données. Ils s’engagent d’ailleurs sur ce sujet. C’est par exemple le cas des moteurs de recherche alternatifs, plus respectueux la de la vie privée. Citons un moteur de recherche français, Qwant, qui a été créé dans notre pays en 2013 – il est important de le signaler.

Nous proposons de nous placer sur le terrain du droit de la concurrence en prohibant l’exploitation abusive par une entreprise d’une position dominante sur le marché des services de communication publics en ligne lorsque cette position dominante subordonne la vente d’un équipement à l’achat d’un service.

En cela, monsieur le secrétaire d’État, nous sommes tellement proches des positions du ministre Bruno Le Maire !

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.

Mme Catherine Morin-Desailly. Je maintiens plus que jamais mon amendement.

Monsieur le secrétaire d’État, vous dites qu’il va être temps de débattre. Vous savez, ici au Sénat, comme l’a rappelé notre collègue Simon Sutour, nous en débattons depuis pratiquement 2013 : à la commission des affaires européennes, à travers les nombreux rapports que nous avons produits sur ce sujet, à travers les missions communes d’information. Nous avons exploré toutes les facettes de ces problématiques de souveraineté, discuté de la stratégie européenne dans le domaine d’internet, débattu de la question des données.

Il est vraiment temps d’agir ! D’ailleurs, l’actualité nous le montre avec l’affaire Cambridge Analytica, qui est purement scandaleuse : quelque 50 millions d’utilisateurs de Facebook se sont vu hacker leurs données par une entreprise de gestion des data, qui les a revendues pour des motifs sociaux et politiques douteux. Ce qui est en train de se passer est un véritable scandale, monsieur le secrétaire d’État. C’est une seconde affaire Snowden !

Si tout cela ne nous alerte pas, notamment sur la manière dont fonctionnent actuellement les GAFA, dont la gestion abusive des données personnelles est maintenant une évidence, cela signifie que nous ne prenons pas nos responsabilités.

Le Sénat a adopté à l’unanimité une proposition de résolution européenne relative à la mise en œuvre des règles de concurrence, que je vous ai adressée.

Puisque nous sommes à la veille du Conseil européen, le moment est venu d’aller y parler de ces questions. Le moment est venu de proposer, enfin, de refonder Internet et les modèles économiques sur lesquels il repose sur des principes conformes aux valeurs européennes : le droit à la concurrence et un marché numérique offrant des conditions d’honnêteté et de loyauté identiques à l’ensemble des entreprises.

Celles-ci sont obligées de subir des moteurs de recherche dont les comparateurs de prix présentent des résultats dans un ordre qui leur est désavantageux. Tout cela est démontré par A plus B ! Et ce dont il est question ici est encore plus prégnant, puisqu’il s’agit des données personnelles, qui touchent à nos libertés fondamentales.

Quand l’occasion se présente de voter certaines mesures, il est de notre responsabilité de la saisir, pour faire en sorte que la France soit moteur et serve d’aiguillon au niveau européen.

De toute façon, nous sommes au pied du mur : il va falloir résoudre ces questions. Je vous le dis très solennellement, l’heure est vraiment venue. (M. Loïc Hervé et Mme la rapporteur applaudissent.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 78 rectifié.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 17 bis.

TITRE III

DISPOSITIONS PORTANT TRANSPOSITION DE LA DIRECTIVE (UE) 2016/680 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL DU 27 AVRIL 2016 RELATIVE À LA PROTECTION DES PERSONNES PHYSIQUES À L’ÉGARD DU TRAITEMENT DES DONNÉES À CARACTÈRE PERSONNEL PAR LES AUTORITÉS COMPÉTENTES À DES FINS DE PRÉVENTION ET DE DÉTECTION DES INFRACTIONS PÉNALES, D’ENQUÊTES ET DE POURSUITES EN LA MATIÈRE OU D’EXÉCUTION DE SANCTIONS PÉNALES, ET À LA LIBRE CIRCULATION DE CES DONNÉES, ET ABROGEANT LA DÉCISION-CADRE 2008/977/JAI DU CONSEIL

Article additionnel après l'article 17 bis - Amendement n° 78 rectifié
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Article 19

Article 18

(Non modifié)

I. – Le début du V de l’article 32 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est ainsi rédigé : « Sans préjudice de l’application des dispositions du chapitre XIII, les dispositions du I ne s’appliquent pas aux données recueillies dans les conditions prévues au III et utilisées lors d’un traitement mis en œuvre pour le compte de l’État et intéressant la sûreté de l’État, la défense ou la sécurité publique, dans la… (le reste sans changement). »

II. – Le VI de l’article 32 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est abrogé.

III. – Au premier alinéa de l’article 41 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée, après les mots : « sécurité publique », sont insérés les mots : « , sous réserve de l’application des dispositions du chapitre XIII ».

IV. – À l’article 42 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée, les mots : « prévenir, rechercher ou constater des infractions, ou de » sont supprimés.

M. le président. L’amendement n° 131, présenté par MM. Durain et Sutour, Mme S. Robert, MM. Sueur, Kanner et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 4

Rédiger ainsi cet alinéa :

IV. - L’article 42 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est abrogé.

La parole est à M. Jérôme Durain.

M. Jérôme Durain. Le paragraphe IV de l’article 18 supprime à l’article 42 de la loi du 6 janvier 1978 le caractère indirect de l’exercice des droits d’accès, de rectification et d’effacement pour les traitements de police judiciaire.

Le caractère indirect est maintenu pour les seuls traitements mis en œuvre par les administrations publiques et les personnes privées chargées d’une mission de service public qui ont pour mission de recouvrer des impositions.

Le maintien de l’accès indirect pour cette catégorie de traitements n’est pas justifié. Il convient de prévoir que la personne intéressée peut directement exercer ses droits d’accès direct auprès du responsable du traitement de l’administration fiscale, sans passer par l’intermédiaire de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.

Tel est l’objet du présent amendement, qui tend à abroger l’article 42 de la loi de 1978.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. La commission émet un avis favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Le Gouvernement émet un avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 131.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 18, modifié.

(Larticle 18 est adopté.)

Article 18 (Texte non modifié par la commission)
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Article additionnel après l'article 19 - Amendements n° 3 rectifié septies et n° 71

Article 19

Le chapitre XIII de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée devient le chapitre XIV et, après le chapitre XII, il est rétabli un chapitre XIII ainsi rédigé :

« CHAPITRE XIII

« Dispositions applicables aux traitements relevant de la directive (UE) 2016/680 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relative à la protection des personnes physiques à légard du traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, denquêtes et de poursuites en la matière ou dexécution de sanctions pénales, et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la décision-cadre 2008/977/JAI du Conseil

« Section 1

« Dispositions générales

« Art. 70-1. – Les dispositions du présent chapitre s’appliquent, le cas échéant par dérogation aux autres dispositions de la présente loi, aux traitements de données à caractère personnel mis en œuvre, à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d’enquêtes et de poursuites en la matière ou d’exécution de sanctions pénales, y compris la protection contre les menaces pour la sécurité publique et la prévention de telles menaces, par toute autorité publique compétente ou tout autre organisme ou entité à qui a été confié, à ces mêmes fins, l’exercice de l’autorité publique et des prérogatives de puissance publique, ci-après dénommés autorité compétente.

« Ces traitements ne sont licites que si et dans la mesure où ils sont nécessaires à l’exécution d’une mission effectuée, pour les finalités énoncées au premier alinéa, par une autorité compétente au sens du même premier alinéa, et où sont respectées les dispositions des articles 70-3 et 70-4. Le traitement assure notamment la proportionnalité de la durée de conservation des données à caractère personnel, compte tenu de l’objet du fichier et de la nature ou de la gravité des infractions concernées.

« Pour l’application du présent chapitre, lorsque les notions utilisées ne sont pas définies au chapitre Ier de la présente loi, les définitions de l’article 4 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 précité sont applicables.

« Art. 70-2. – Le traitement de données mentionnées au I de l’article 8 est possible uniquement en cas de nécessité absolue, sous réserve de garanties appropriées pour les droits et libertés de la personne concernée, et soit s’il est autorisé par un acte législatif ou réglementaire, soit s’il vise à protéger les intérêts vitaux d’une personne physique, soit s’il porte sur des données manifestement rendues publiques par la personne concernée.

« Art. 70-3. – Si le traitement est mis en œuvre pour le compte de l’État pour au moins l’une des finalités prévues au premier alinéa de l’article 70-1, il est prévu par un acte législatif ou un acte réglementaire pris dans les conditions prévues au I de l’article 26 et aux articles 28 à 31.

« Si le traitement porte sur des données mentionnées au I de l’article 8, il est prévu par un acte législatif ou un acte réglementaire pris dans les conditions prévues au II de l’article 26.

« Tout autre traitement mis en œuvre par une autorité compétente pour au moins l’une des finalités prévues au premier alinéa de l’article 70-1 est autorisé par la Commission nationale de l’informatique et des libertés. La Commission nationale de l’informatique et des libertés se prononce dans un délai de deux mois à compter de la réception de la demande. Toutefois, ce délai peut être prorogé une fois sur décision motivée de son président. Lorsque la commission ne s’est pas prononcée dans ces délais, la demande d’autorisation est réputée rejetée.

« Art. 70-4. – Si le traitement est susceptible d’engendrer un risque élevé pour les droits et les libertés des personnes physiques, notamment parce qu’il porte sur des données mentionnées au I de l’article 8, le responsable de traitement effectue une analyse d’impact relative à la protection des données à caractère personnel, dans les conditions prévues au 7 de l’article 35 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 précité.

« Si le traitement est mis en œuvre pour le compte de l’État, cette analyse d’impact est adressée à la Commission nationale de l’informatique et des libertés avec la demande d’avis prévue à l’article 30.

« Dans les autres cas, le responsable de traitement ou son sous-traitant consulte la Commission nationale de l’informatique et des libertés préalablement au traitement des données à caractère personnel :

« 1° Soit lorsque l’analyse d’impact relative à la protection des données indique que le traitement présenterait un risque élevé si le responsable de traitement ne prenait pas de mesures pour atténuer le risque ;

« 2° Soit lorsque le type de traitement, en particulier en raison de l’utilisation de nouveaux mécanismes, technologies ou procédures, présente des risques élevés pour les libertés et les droits des personnes concernées.

« Art. 70-5. – Les données à caractère personnel collectées par les autorités compétentes pour les finalités énoncées au premier alinéa de l’article 70-1 ne peuvent être traitées pour d’autres finalités, à moins qu’un tel traitement ne soit autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires ou par le droit de l’Union européenne. Lorsque des données à caractère personnel sont traitées à de telles autres fins, le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 précité s’applique, à moins que le traitement ne soit effectué dans le cadre d’une activité ne relevant pas du champ d’application du droit de l’Union européenne.

« Lorsque les autorités compétentes sont chargées d’exécuter des missions autres que celles exécutées pour les finalités énoncées au premier alinéa de l’article 70-1, le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 précité s’applique au traitement effectué à de telles fins, y compris à des fins archivistiques dans l’intérêt public, à des fins de recherche scientifique ou historique ou à des fins statistiques, à moins que le traitement ne soit effectué dans le cadre d’une activité ne relevant pas du champ d’application du droit de l’Union européenne.

« Si le traitement est soumis à des conditions spécifiques, l’autorité compétente qui transmet les données informe le destinataire de ces données à caractère personnel de ces conditions et de l’obligation de les respecter.

« L’autorité compétente qui transmet les données n’applique pas aux destinataires dans les autres États membres ou aux services, organes et organismes établis en vertu des chapitres 4 et 5 du titre V du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne des conditions en vertu du troisième alinéa du présent article différentes de celles applicables aux transferts de données similaires à l’intérieur de l’État membre dont relève l’autorité compétente qui transmet les données.

« Art. 70-6. – Les traitements effectués pour l’une des finalités énoncées au premier alinéa de l’article 70-1 autre que celles pour lesquelles les données ont été collectées sont autorisés s’ils sont nécessaires et proportionnés à cette finalité sous réserve du respect des dispositions prévues au chapitre Ier et au présent chapitre.

« Ces traitements peuvent comprendre l’archivage dans l’intérêt public, à des fins scientifiques, statistiques ou historiques, aux fins énoncées au premier alinéa de l’article 70-1.

« Art. 70-7. – Les traitements à des fins archivistiques dans l’intérêt public, à des fins de recherche scientifique ou historique ou à des fins statistiques sont mis en œuvre dans les conditions prévues à l’article 36.

« Art. 70-8. – Les données à caractère personnel fondées sur des faits sont, dans la mesure du possible, distinguées de celles fondées sur des appréciations personnelles.

« Art. 70-9. – Aucune décision de justice ne peut être fondée sur le profilage, tel que défini au 4 de l’article 4 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016.

« Aucune décision produisant des effets juridiques à l’égard d’une personne ou l’affectant de manière significative ne peut être prise sur le seul fondement d’un traitement automatisé de données à caractère personnel.

« Tout profilage qui entraine une discrimination, au sens de l’article 225-1 du code pénal et de l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, à l’égard des personnes physiques sur la base des catégories particulières de données à caractère personnel mentionnées au I de l’article 8 de la présente loi est interdit.

« Art. 70-10. – Les données à caractère personnel ne peuvent faire l’objet d’une opération de traitement de la part d’un sous-traitant que dans les conditions prévues aux 1, 2 et 10 de l’article 28 et à l’article 29 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 précité et au présent article.

« Les sous-traitants doivent présenter des garanties suffisantes quant à la mise en œuvre de mesures techniques et organisationnelles appropriées, de manière que le traitement réponde aux exigences du présent chapitre et garantisse la protection des droits de la personne concernée.

« Le traitement par un sous-traitant est régi par un contrat ou un autre acte juridique, qui lie le sous-traitant à l’égard du responsable de traitement, définit l’objet et la durée du traitement, la nature et la finalité du traitement, le type de données à caractère personnel et les catégories de personnes concernées, les obligations et les droits du responsable de traitement, ainsi que les mesures techniques et organisationnelles destinées à garantir la sécurité du traitement, et prévoit que le sous-traitant n’agit que sur instruction du responsable de traitement. Le contenu de ce contrat ou de cet acte juridique est précisé par décret en Conseil d’État pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.

« Section 2

« Obligations incombant aux autorités compétentes et aux responsables de traitement de données à caractère personnel

« Art. 70-11. – Les autorités compétentes prennent toutes les mesures raisonnables pour garantir que les données à caractère personnel qui sont inexactes, incomplètes ou ne sont plus à jour soient effacées ou rectifiées sans tarder ou ne soient pas transmises ou mises à disposition. À cette fin, chaque autorité compétente vérifie la qualité des données à caractère personnel avant leur transmission ou mise à disposition.

« Dans la mesure du possible, lors de toute transmission de données à caractère personnel, sont ajoutées des informations permettant à l’autorité compétente destinataire de juger de l’exactitude, de l’exhaustivité et de la fiabilité des données à caractère personnel et de leur niveau de mise à jour.

« S’il s’avère que des données à caractère personnel inexactes ont été transmises ou que des données à caractère personnel ont été transmises de manière illicite, le destinataire en est informé sans retard. Dans ce cas, les données à caractère personnel sont rectifiées ou effacées ou leur traitement est limité conformément à l’article 70-20.

« Art. 70-12. – Le responsable de traitement établit une distinction claire entre les données à caractère personnel de différentes catégories de personnes concernées, telles que :

« 1° Les personnes à l’égard desquelles il existe des motifs sérieux de croire qu’elles ont commis ou sont sur le point de commettre une infraction pénale ;

« 2° Les personnes reconnues coupables d’une infraction pénale ;

« 3° Les victimes d’une infraction pénale ou les personnes à l’égard desquelles certains faits portent à croire qu’elles pourraient être victimes d’une infraction pénale ;

« 4° Les tiers à une infraction pénale, tels que les personnes pouvant être appelées à témoigner lors d’enquêtes en rapport avec des infractions pénales ou des procédures pénales ultérieures, des personnes pouvant fournir des informations sur des infractions pénales ou des contacts ou des associés de l’une des personnes mentionnées aux 1° et 2°.

« Art. 70-13. – I. – Afin de démontrer que le traitement est effectué conformément au présent chapitre, le responsable de traitement et son sous-traitant mettent en œuvre les mesures prévues aux 1 et 2 des articles 24 et 25 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 précité et celles appropriées afin de garantir un niveau de sécurité adapté au risque, notamment en ce qui concerne le traitement portant sur des catégories particulières de données à caractère personnel mentionnées à l’article 8 de la présente loi.

« II. – En ce qui concerne le traitement automatisé, le responsable de traitement ou son sous-traitant met en œuvre, à la suite d’une évaluation des risques, des mesures destinées à :

« 1° Empêcher toute personne non autorisée d’accéder aux installations utilisées pour le traitement ;

« 2° Empêcher que des supports de données puissent être lus, copiés, modifiés ou supprimés de façon non autorisée ;

« 3° Empêcher l’introduction non autorisée de données à caractère personnel dans le fichier, ainsi que l’inspection, la modification ou l’effacement non autorisé de données à caractère personnel enregistrées ;

« 4° Empêcher que les systèmes de traitement automatisé puissent être utilisés par des personnes non autorisées à l’aide d’installations de transmission de données ;

« 5° Garantir que les personnes autorisées à utiliser un système de traitement automatisé ne puissent accéder qu’aux données à caractère personnel sur lesquelles porte leur autorisation ;

« 6° Garantir qu’il puisse être vérifié et constaté à quelles instances des données à caractère personnel ont été ou peuvent être transmises ou mises à disposition par des installations de transmission de données ;

« 7° Garantir qu’il puisse être vérifié et constaté a posteriori quelles données à caractère personnel ont été introduites dans les systèmes de traitement automatisé et à quel moment et par quelle personne elles y ont été introduites ;

« 8° Empêcher que, lors de la transmission de données à caractère personnel ainsi que lors du transport de supports de données, les données puissent être lues, copiées, modifiées ou supprimées de façon non autorisée ;

« 9° Garantir que les systèmes installés puissent être rétablis en cas d’interruption ;

« 10° Garantir que les fonctions du système opèrent, que les erreurs de fonctionnement soient signalées et que les données à caractère personnel conservées ne puissent pas être corrompues par un dysfonctionnement du système.

« Art. 70-14. – Le responsable de traitement et son sous-traitant tiennent un registre des activités de traitement dans les conditions prévues aux 1 à 4 de l’article 30 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 précité. Ce registre contient aussi la description générale des mesures visant à garantir un niveau de sécurité adapté au risque, notamment en ce qui concerne le traitement portant sur des catégories particulières de données à caractère personnel mentionnées au I de l’article 8 de la présente loi, l’indication de la base juridique de l’opération de traitement, y compris les transferts, à laquelle les données à caractère personnel sont destinées et, le cas échéant, le recours au profilage.

« Art. 70-15. – Le responsable de traitement ou son sous-traitant établit pour chaque traitement automatisé un journal des opérations de collecte, de modification, de consultation et de communication, y compris les transferts, l’interconnexion et l’effacement, portant sur de telles données.

« Les journaux des opérations de consultation et de communication permettent d’en établir le motif, la date et l’heure. Ils permettent également, dans la mesure du possible, d’identifier les personnes qui consultent ou communiquent les données et les destinataires de celles-ci.

« Ce journal est uniquement utilisé à des fins de vérification de la licéité du traitement, d’autocontrôle, de garantie de l’intégrité et de la sécurité des données et à des fins de procédures pénales.

« Ce journal est mis à la disposition de la Commission nationale de l’informatique et des libertés à sa demande.

« Art. 70-16. – Les articles 31, 33 et 34 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 précité sont applicables aux traitements de données à caractère personnel relevant du présent chapitre.

« Si la violation de données à caractère personnel porte sur des données à caractère personnel qui ont été transmises par le responsable de traitement d’un autre État membre de l’Union européenne ou à celui-ci, le responsable de traitement notifie également la violation au responsable de traitement de l’autre État membre dans les meilleurs délais.

« La communication d’une violation de données à caractère personnel à la personne concernée peut être retardée, limitée ou ne pas être délivrée dès lors et aussi longtemps qu’une mesure de cette nature constitue une mesure nécessaire et proportionnée dans une société démocratique, en tenant compte des droits fondamentaux et des intérêts légitimes de la personne, pour éviter de gêner des enquêtes, des recherches ou des procédures administratives ou judiciaires, pour éviter de nuire à la prévention ou à la détection d’infractions pénales, aux enquêtes ou aux poursuites en la matière ou à l’exécution de sanctions pénales, pour protéger la sécurité publique, pour protéger la sécurité nationale ou pour protéger les droits et libertés d’autrui.

« Art. 70-17. – Sauf pour les juridictions agissant dans l’exercice de leur fonction juridictionnelle, le responsable de traitement désigne un délégué à la protection des données.

« Un seul délégué à la protection des données peut être désigné pour plusieurs autorités compétentes, compte tenu de leur structure organisationnelle et de leur taille.

« Les dispositions des 5 et 7 de l’article 37, des 1 et 2 de l’article 38 et du 1 de l’article 39 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 précité, en ce qu’elles concernent le responsable de traitement, sont applicables aux traitements de données à caractère personnel relevant du présent chapitre.

« Section 3

« Droits de la personne concernée par un traitement de données à caractère personnel

« Art. 70-18. – I. – Le responsable de traitement met à la disposition de la personne concernée les informations suivantes :

« 1° L’identité et les coordonnées du responsable de traitement et, le cas échéant, celles de son représentant ;

« 2° Le cas échéant, les coordonnées du délégué à la protection des données ;

« 3° Les finalités poursuivies par le traitement auquel les données sont destinées ;

« 4° Le droit d’introduire une réclamation auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés et les coordonnées de la commission ;

« 5° L’existence du droit de demander au responsable de traitement l’accès aux données à caractère personnel, leur rectification ou leur effacement, et du droit de demander une limitation du traitement des données à caractère personnel relatives à une personne concernée.

« II. – En plus des informations mentionnées au I, le responsable de traitement fournit à la personne concernée, dans des cas particuliers, les informations additionnelles suivantes afin de lui permettre d’exercer ses droits :

« 1° La base juridique du traitement ;

« 2° La durée de conservation des données à caractère personnel ou, lorsque ce n’est pas possible, les critères utilisés pour déterminer cette durée ;

« 3° Le cas échéant, les catégories de destinataires des données à caractère personnel, y compris dans les États non membres de l’Union européenne ou au sein d’organisations internationales ;

« 4° Au besoin, des informations complémentaires, en particulier lorsque les données à caractère personnel sont collectées à l’insu de la personne concernée.

« Art. 70-19. – La personne concernée a le droit d’obtenir du responsable de traitement la confirmation que des données à caractère personnel la concernant sont ou ne sont pas traitées et, lorsqu’elles le sont, le droit d’accéder auxdites données ainsi qu’aux informations suivantes :

« 1° Les finalités du traitement ainsi que sa base juridique ;

« 2° Les catégories de données à caractère personnel concernées ;

« 3° Les destinataires ou catégories de destinataires auxquels les données à caractère personnel ont été communiquées, en particulier les destinataires qui sont établis dans des États non membres de l’Union européenne ou au sein d’organisations internationales ;

« 4° Lorsque cela est possible, la durée de conservation des données à caractère personnel envisagée ou, lorsque ce n’est pas possible, les critères utilisés pour déterminer cette durée ;

« 5° L’existence du droit de demander au responsable de traitement la rectification ou l’effacement des données à caractère personnel, et du droit de demander une limitation du traitement de ces données ;

« 6° Le droit d’introduire une réclamation auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés et les coordonnées de la commission ;

« 7° La communication des données à caractère personnel en cours de traitement ainsi que toute information disponible quant à leur source.

« Art. 70-20. – I. – La personne concernée a le droit d’obtenir du responsable de traitement :

« 1° Que soient rectifiées dans les meilleurs délais, et au bout d’un mois maximum, des données à caractère personnel la concernant qui sont inexactes ;

« 2° Que soient complétées des données à caractère personnel la concernant incomplètes, y compris en fournissant à cet effet une déclaration complémentaire ;

« 3° Que soient effacées dans les meilleurs délais, et au bout d’un mois maximum, des données à caractère personnel la concernant lorsque le traitement est réalisé en violation des dispositions de la présente loi ou lorsque ces données doivent être effacées pour respecter une obligation légale à laquelle est soumis le responsable de traitement.

« II. – Lorsque l’intéressé en fait la demande, le responsable de traitement doit justifier qu’il a procédé aux opérations exigées en application du I.

« III. – Au lieu de procéder à l’effacement, le responsable de traitement limite le traitement lorsque :

« 1° Soit l’exactitude des données à caractère personnel est contestée par la personne concernée et il ne peut être déterminé si les données sont exactes ou non ;

« 2° Soit les données à caractère personnel doivent être conservées à des fins probatoires.

« Lorsque le traitement est limité en vertu du 1°, le responsable de traitement informe la personne concernée avant de mettre fin à la limitation du traitement.

« IV. – Le responsable de traitement informe la personne concernée de tout refus de rectifier ou d’effacer des données à caractère personnel ou de limiter le traitement de ces données, ainsi que des motifs du refus.

« V. – Le responsable de traitement communique la rectification des données à caractère personnel inexactes à l’autorité compétente de laquelle ces données proviennent.

« VI. – Lorsque des données à caractère personnel ont été rectifiées ou effacées ou que le traitement a été limité au titre des I et III, le responsable de traitement le notifie aux destinataires afin que ceux-ci rectifient ou effacent les données ou limitent le traitement des données sous leur responsabilité.

« Art. 70-21. – I. – Les droits de la personne physique concernée peuvent faire l’objet de restrictions selon les modalités prévues au II du présent article dès lors et aussi longtemps qu’une telle restriction constitue une mesure nécessaire et proportionnée dans une société démocratique en tenant compte des droits fondamentaux et des intérêts légitimes de la personne pour :

« 1° Éviter de gêner des enquêtes, des recherches ou des procédures administratives ou judiciaires ;

« 2° Éviter de nuire à la prévention ou à la détection d’infractions pénales, aux enquêtes ou aux poursuites en la matière ou à l’exécution de sanctions pénales ;

« 3° Protéger la sécurité publique ;

« 4° Protéger la sécurité nationale ;

« 5° Protéger les droits et libertés d’autrui.

« Ces restrictions sont prévues par l’acte instaurant le traitement.

« II. – Lorsque les conditions prévues au I sont remplies, le responsable de traitement peut :

« 1° Retarder ou limiter la fourniture à la personne concernée des informations mentionnées au II de l’article 70-18 ou ne pas fournir ces informations ;

« 2° Refuser ou limiter le droit d’accès de la personne concernée prévu par l’article 70-19 ;

« 3° Ne pas informer la personne du refus de rectifier ou d’effacer des données à caractère personnel ou de limiter le traitement de ces données, ainsi que des motifs de cette décision conformément au IV de l’article 70-20.

« III. – Dans les cas mentionnés au 2° du II du présent article, le responsable de traitement informe la personne concernée, dans les meilleurs délais, de tout refus ou de toute limitation d’accès ainsi que des motifs du refus ou de la limitation. Ces informations peuvent ne pas être fournies lorsque leur communication risque de compromettre l’un des objectifs énoncés au I. Le responsable de traitement consigne les motifs de fait ou de droit sur lesquels se fonde la décision et met ces informations à la disposition de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.

« IV. – En cas de restriction des droits de la personne concernée intervenue en application des II ou III, le responsable de traitement informe la personne concernée de la possibilité d’exercer ses droits par l’intermédiaire de la Commission nationale de l’informatique et des libertés et de former un recours juridictionnel.

« Art. 70-22. – En cas de restriction des droits de la personne concernée intervenue en application des II ou III de l’article 70-21, la personne concernée peut saisir la Commission nationale de l’informatique et des libertés.

« Les deuxième et troisième alinéas de l’article 41 sont alors applicables.

« Lorsque la commission informe la personne concernée qu’il a été procédé aux vérifications nécessaires, elle l’informe également de son droit de former un recours juridictionnel.

« Art. 70-23. – I. – Les informations mentionnées aux articles 70-18 à 70-20 sont fournies par le responsable de traitement à la personne concernée par tout moyen approprié, y compris par voie électronique et, de manière générale, sous la même forme que la demande.

« II. – Aucun paiement n’est exigé pour prendre les mesures et fournir ces mêmes informations, sauf en cas de demande manifestement infondée ou abusive.

« En cas de demande manifestement infondée ou abusive, le responsable de traitement peut également refuser de donner suite à la demande.

« En cas de contestation, la charge de la preuve du caractère manifestement infondé ou abusif des demandes incombe au responsable de traitement auquel elles sont adressées.

« Art. 70-24. – Les dispositions de la présente section ne s’appliquent pas lorsque les données à caractère personnel figurent soit dans une décision judiciaire, soit dans un dossier judiciaire faisant l’objet d’un traitement lors d’une procédure pénale. Dans ces cas, l’accès à ces données et les conditions de rectification ou d’effacement de ces données ne peuvent se faire que dans les conditions prévues par le code de procédure pénale.

« Section 4

« Transferts de données à caractère personnel vers des États non membres de lUnion européenne ou vers des destinataires établis dans des États non membres de lUnion européenne

« Art. 70-25. – Le responsable de traitement de données à caractère personnel ne peut transférer des données ou autoriser le transfert de données déjà transmises vers un État n’appartenant pas à l’Union européenne que lorsque les conditions suivantes sont respectées :

« 1° Le transfert de ces données est nécessaire à l’une des finalités énoncées au premier alinéa de l’article 70-1 ;

« 2° Les données à caractère personnel sont transférées à un responsable dans cet État non membre de l’Union européenne ou au sein d’une organisation internationale qui est une autorité compétente chargée des fins relevant en France du premier alinéa de l’article 70-1 ;

« 3° Si les données à caractère personnel proviennent d’un autre État, l’État qui a transmis ces données a préalablement autorisé ce transfert conformément à son droit national.

« Toutefois, si l’autorisation préalable ne peut pas être obtenue en temps utile, ces données à caractère personnel peuvent être transmises à nouveau sans l’autorisation préalable de l’État qui a transmis ces données lorsque cette nouvelle transmission est nécessaire à la prévention d’une menace grave et immédiate pour la sécurité publique d’un autre État ou pour la sauvegarde des intérêts essentiels de la France. L’autorité d’où provenaient ces données personnelles en est informée sans retard ;

« 4° La Commission européenne a adopté une décision d’adéquation en application de l’article 36 de la directive (UE) 2016/680 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 précitée ou, en l’absence d’une telle décision, un instrument juridiquement contraignant fournit des garanties appropriées en ce qui concerne la protection des données à caractère personnel ou, en l’absence d’une telle décision et d’un tel instrument, le responsable de traitement a évalué toutes les circonstances du transfert et estime qu’il existe de telles garanties appropriées.

« Les garanties appropriées fournies par un instrument juridique contraignant mentionnées au 4° peuvent résulter soit des garanties relatives à la protection des données mentionnées dans les conventions mises en œuvre avec cet État non membre de l’Union européenne, soit de dispositions juridiquement contraignantes exigées à l’occasion de l’échange de données.

« Lorsque le responsable de traitement de données à caractère personnel transfère des données à caractère personnel sur le seul fondement de l’existence de garanties appropriées au regard de la protection des données à caractère personnel, autre qu’une juridiction effectuant une activité de traitement dans le cadre de ses activités juridictionnelles, il avise la Commission nationale de l’informatique et des libertés des catégories de transferts relevant de ce fondement.

« Dans ce cas, le responsable de traitement de données doit garder trace de la date et de l’heure du transfert, des informations sur l’autorité compétente destinataire, de la justification du transfert et des données à caractère personnel transférées. Cette documentation est mise à la disposition de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, sur sa demande.

« Lorsque la Commission européenne a abrogé, modifié ou suspendu une décision d’adéquation adoptée en application de l’article 36 de la directive (UE) 2016/680 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 précitée, le responsable de traitement de données à caractère personnel peut néanmoins transférer des données personnelles ou autoriser le transfert de données déjà transmises vers un État n’appartenant pas à l’Union européenne si des garanties appropriées en ce qui concerne la protection des données à caractère personnel sont fournies dans un instrument juridiquement contraignant ou si ce responsable estime, après avoir évalué toutes les circonstances du transfert, qu’il existe des garanties appropriées au regard de la protection des données à caractère personnel.

« Art. 70-26. – Par dérogation à l’article 70-25, le responsable de traitement de données à caractère personnel ne peut, en l’absence de décision d’adéquation ou de garanties appropriées, transférer ces données ou autoriser le transfert de données déjà transmises vers un État n’appartenant pas à l’Union européenne que lorsque le transfert est nécessaire :

« 1° À la sauvegarde des intérêts vitaux de la personne concernée ou d’une autre personne ;

« 2° À la sauvegarde des intérêts légitimes de la personne concernée lorsque le droit français le prévoit ;

« 3° Pour prévenir une menace grave et immédiate pour la sécurité publique d’un autre État ;

« 4° Dans des cas particuliers, à l’une des finalités énoncées au premier alinéa de l’article 70-1 ;

« 5° Dans un cas particulier, à la constatation, à l’exercice ou à la défense de droits en justice en rapport avec les mêmes fins.

« Dans les cas mentionnés aux 4° et 5°, le responsable de traitement de données à caractère personnel ne transfère pas ces données s’il estime que les libertés et droits fondamentaux de la personne concernée l’emportent sur l’intérêt public dans le cadre du transfert envisagé.

« Lorsqu’un transfert est effectué aux fins de la sauvegarde des intérêts légitimes de la personne concernée, le responsable de traitement garde trace de la date et de l’heure du transfert, des informations sur l’autorité compétente destinataire, de la justification du transfert et des données à caractère personnel transférées. Il met ces informations à la disposition de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, à sa demande.

« Art. 70-27. – Toute autorité publique compétente mentionnée au premier alinéa de l’article 70-1 peut, dans certains cas particuliers, transférer des données à caractère personnel directement à des destinataires établis dans un État n’appartenant pas à l’Union européenne lorsque les autres dispositions de la présente loi applicables aux traitements relevant de l’article 70-1 sont respectées et que les conditions ci-après sont remplies :

« 1° Le transfert est nécessaire à l’exécution de la mission de l’autorité compétente qui transfère ces données pour l’une des finalités énoncées au premier alinéa de l’article 70-1 ;

« 2° L’autorité compétente qui transfère ces données établit qu’il n’existe pas de libertés ni de droits fondamentaux de la personne concernée qui prévalent sur l’intérêt public nécessitant le transfert dans le cas considéré ;

« 3° L’autorité compétente qui transfère ces données estime que le transfert à l’autorité compétente de l’autre État est inefficace ou inapproprié, notamment parce que le transfert ne peut pas être effectué en temps opportun ;

« 4° L’autorité compétente de l’autre État est informée dans les meilleurs délais, à moins que cela ne soit inefficace ou inapproprié ;

« 5° L’autorité compétente qui transfère ces données informe le destinataire de la finalité ou des finalités pour lesquelles les données à caractère personnel transmises doivent exclusivement faire l’objet d’un traitement par ce destinataire, à condition qu’un tel traitement soit nécessaire.

« L’autorité compétente qui transfère des données informe la Commission nationale de l’informatique et des libertés des transferts relevant du présent article.

« L’autorité compétente garde trace de la date et de l’heure de ce transfert, des informations sur le destinataire, de la justification du transfert et des données à caractère personnel transférées. »

M. le président. L’amendement n° 103, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 12

Supprimer cet alinéa.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Le présent amendement vise à supprimer l’obligation, ajoutée en commission des lois, d’une autorisation préalable de la Commission nationale de l’informatique et des libertés pour tout traitement non mis en œuvre par l’État dans le champ de la directive.

En effet, cette autorisation préalable n’est nullement exigée par l’article 28 de la directive, qui prévoit des garanties suffisantes pour la protection des droits et des libertés des personnes concernées par ces traitements.

Le projet de loi exige ainsi la réalisation d’une analyse d’impact dès lors que le traitement est susceptible de créer un risque élevé pour les droits et libertés des personnes physiques, notamment chaque fois qu’il porte sur des données sensibles. Il exige aussi la consultation de la CNIL si les conclusions de cette analyse d’impact montrent que le traitement est susceptible de présenter des risques élevés pour les libertés et droits des personnes concernées.

Au reste, ces garanties sont maintenues dans le texte de la commission des lois, ce qui n’est pas cohérent à partir du moment où est exigé le rétablissement d’une autorisation préalable de la CNIL pour tous les traitements.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Cet amendement vise à revenir sur la position de la commission, qui a choisi de maintenir un niveau élevé de protection des données personnelles en matière pénale, en conservant le régime d’autorisation préalable qui existe actuellement.

La commission considère que la simple possibilité de réaliser une analyse d’impact laissée à l’appréciation des personnes morales n’est pas une garantie suffisante s’agissant de fichiers en matière pénale.

Je rappelle que le considérant 15 de la directive affirme que « le rapprochement des législations des États membres ne devrait pas conduire à un affaiblissement de la protection des données à caractère personnel qu’elles offrent » et qu’il convient que « les États membres ne soient pas empêchés de prévoir des garanties plus étendues que celles établies dans la présente directive. »

Sur l’invitation du Conseil d’État, l’article 19 du projet de loi maintient désormais une autorisation préalable pour les seuls fichiers mis en œuvre pour le compte de l’État. Il convient également de maintenir ce régime pour les fichiers mis en œuvre par les autres personnes morales, qui peuvent être tout aussi dangereux pour les droits et libertés des personnes.

La commission des lois a estimé que, en matière pénale, tout fichier entrant dans le champ d’application de la directive doit être autorisé préalablement : le droit actuel doit être maintenu et non affaibli !

En conséquence, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 103.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 104, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 13

Supprimer les mots :

, dans les conditions prévues au 7 de l’article 35 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 précité

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Cet amendement vise à supprimer le renvoi opéré au règlement pour définir le contenu de l’analyse d’impact devant être réalisée préalablement au traitement par le responsable. En effet, le contenu de l’analyse d’impact exigé par l’article 27 de la directive diffère de celui qui est prévu par le règlement.

Ainsi, la directive n’impose pas une description systématique des finalités du traitement, ni une évaluation de la nécessité et de la proportionnalité des opérations de traitement au regard de ces finalités.

Le contenu de l’analyse d’impact, de nature réglementaire, sera précisé dans le décret.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Je reste inquiète quant à l’absence de définition législative du contenu de l’analyse d’impact, mais je comprends la volonté du Gouvernement de la préciser par décret plutôt que par renvoi au règlement européen.

La commission a émis un avis favorable sur cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 104.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. L’amendement n° 69, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Alinéa 15

Après le mot :

consulte

insérer les mots :

pour avis

La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Nous nous réjouissons que ce projet de loi ait été amélioré lors de son examen par la commission des lois, notamment avec l’ajout d’un volet propre aux collectivités territoriales. En effet, initialement absentes du projet de loi, ces dernières sont largement concernées par le traitement des données personnelles, puisqu’elles gèrent en leur sein de nombreux fichiers donnant lieu à de nombreuses obligations lourdement sanctionnées en cas de non-respect.

C’est pourquoi nous proposons, avec cet amendement, que soient clarifiées les modalités de saisine de la CNIL.

L’alinéa 15 de l’article 19 permet actuellement aux responsables de traitement ou sous-traitants de consulter la CNIL préalablement au traitement de certaines données à caractère personnel.

Nous souhaitons, et relayons en cela une attente de l’Assemblée des départements de France, que cette consultation de la CNIL soit assortie d’un avis de cette même commission, afin que les collectivités territoriales, notamment, soient épaulées et sécurisées dans leurs activités de traitement de données personnelles.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. La possibilité de consulter la CNIL est d’ores et déjà prévue, qu’il s’agisse de recueillir son avis ou son autorisation. Il ne me semble donc pas utile d’ajouter les mots : « pour avis », qui pourraient avoir pour effet de restreindre le champ de sa consultation.

En tout état de cause, le texte de la commission est de nature à vous rassurer, car il est prévu, quelques alinéas plus haut, l’autorisation, obligation et préalable, de la CNIL à tout traitement de données en matière pénale.

C’est pourquoi la commission sollicite le retrait de cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Même avis sur l’avis de la CNIL ! (Sourires.)

Le Gouvernement demande lui aussi le retrait de cet amendement.

M. le président. Madame Benbassa, l’amendement n° 69 est-il maintenu ?

Mme Esther Benbassa. Non, je le retire, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 69 est retiré.

L’amendement n° 132, présenté par MM. Durain et Sutour, Mme S. Robert, MM. Sueur, Kanner et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 25

Supprimer les mots :

, dans la mesure du possible,

La parole est à M. Jérôme Durain.

M. Jérôme Durain. Le nouvel article 70-8 inséré dans la loi du 6 janvier 1978 par l’article 19 du présent projet de loi prévoit que les données à caractère personnel figurant dans les traitements en matière pénale mis en œuvre par les autorités compétentes devront, « dans la mesure du possible », distinguer celles qui sont fondées sur des faits de celles qui reposent sur des appréciations personnelles. Plus qu’un principe général, l’exactitude des données est un principe fondateur du droit de la protection des données personnelles.

Le 4° de l’article 6 de la loi Informatique et libertés, qui définit les conditions de licéité d’un traitement de données à caractère personnel, précise qu’un traitement ne peut porter que sur des données à caractère personnel « exactes, complètes et, si nécessaire, mises à jour ». Il impose en outre que des mesures appropriées soient prises pour que les données inexactes ou incomplètes au regard des finalités pour lesquelles elles sont collectées ou traitées soient effacées ou rectifiées.

Il est impératif en matière pénale, pour les traitements mis en œuvre par la police et les autorités judiciaires, de distinguer les données à caractère personnel fondées sur des faits de celles qui reposent sur une appréciation subjective.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Je partage pleinement l’objectif des auteurs de cet amendement, à savoir garantir le principe d’exactitude des données et différencier les données fondées sur des faits de celles qui sont fondées sur des appréciations. Néanmoins, la suppression des mots : « dans la mesure du possible » me semble, en l’espèce, difficile à appliquer en pratique.

C’est pourquoi j’émets un avis de sagesse.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Pour les mêmes raisons que Mme la rapporteur, j’émets quant à moi un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 132.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. L’amendement n° 105, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéas 26 à 28

Rédiger ainsi ces alinéas :

« Art. 70-9. – Aucune décision de justice impliquant une appréciation sur le comportement d’une personne ne peut avoir pour fondement un traitement automatisé de données à caractère personnel destiné à évaluer certains aspects de la personnalité de cette personne.

« Aucune autre décision produisant des effets juridiques à l’égard d’une personne ne peut être prise sur le seul fondement d’un traitement automatisé de données destiné à prévoir ou à évaluer certains aspects personnels relatifs à la personne concernée.

« Tout profilage qui entraîne une discrimination à l’égard des personnes physiques sur la base des catégories particulières de données à caractère personnel mentionnées au I de l’article 8 est interdit.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Pour les mêmes motifs que l’amendement visant l’article 14 du projet de loi, le Gouvernement souhaite revenir au texte initial sur les traitements automatisés des données. Le texte adopté par la commission des lois perd en effet en lisibilité, du fait de la multiplication des renvois au règlement, au code pénal et à la loi du 27 mai 2008.

En outre, les précisions qui sont apportées sur le profilage discriminatoire apparaissent insuffisantes, car elles ne renvoient pas à la totalité des dispositions pénales applicables aux discriminations, notamment en matière de harcèlement sexuel.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Il s’agit encore une fois du problème du profilage. La commission des lois, dans un souci d’harmonisation entre le droit national et le droit européen, a choisi de renvoyer à la définition du profilage donné par le règlement général sur la protection des données.

Ce règlement définit le profilage comme « toute forme de traitement automatisé de données à caractère personnel consistant à utiliser ces données à caractère personnel pour évaluer certains aspects personnels relatifs à une personne physique, notamment pour analyser ou prédire des éléments concernant le rendement au travail, la situation économique, la santé, les préférences personnelles, les intérêts, la fiabilité, le comportement, la localisation ou les déplacements de cette personne physique ».

La définition proposée par le Gouvernement est la suivante : « Un traitement automatisé de données à caractère personnel destiné à évaluer certains aspects de la personnalité de cette personne ».

La rédaction votée par la commission est plus complète, donc plus protectrice des libertés individuelles. Surtout, le Gouvernement n’a pas transposé un point essentiel de la directive, à savoir l’interdiction de prendre des décisions exclusivement fondées sur un algorithme lorsqu’elles affectent les individus de manière significative, et pas seulement lorsqu’elles produisent des effets juridiques.

Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 105.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 106, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 34, seconde phrase

Après le mot :

vérifie

insérer les mots :

, dans la mesure du possible,

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Le présent amendement vise à rétablir l’obligation de moyens imposée par la directive aux autorités compétentes en matière de vérification des données avant leur transmission ou mise à disposition.

La directive impose en effet aux autorités compétentes de vérifier, dans la mesure du possible, la qualité des données. Leur imposer une obligation de résultat, telle qu’elle a été adoptée en commission des lois, m’apparaît disproportionné, car cela impliquerait que la transmission de bonne foi d’une donnée qui ne serait plus à jour, y compris dans les cas où l’autorité compétente ne pouvait pas le savoir, pourrait faire l’objet d’une sanction de la CNIL, voire d’une sanction pénale dans certains cas.

Ainsi, la transmission de la fiche du casier judiciaire d’une personne française à des autorités judiciaires étrangères pourrait engager la responsabilité du gestionnaire de casier, si cette fiche n’est pas à jour des condamnations, alors même qu’un délai de quelques semaines existe entre leur prononcé par une juridiction et leur inscription au casier.

Le rétablissement de l’obligation de moyens prévu par la directive paraît d’autant plus justifié que le projet de loi fixe des garanties pour s’assurer de la fiabilité des délais. En particulier, dès que l’autorité compétente prend connaissance de l’inexactitude d’une donnée transmise, elle doit en aviser le destinataire.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Cet amendement tend à revenir sur l’obligation, pour les services, de vérifier la qualité des informations avant leur transmission à des tiers.

Contrairement à ce qui est avancé dans l’objet de l’amendement, il ne s’agit pas ici de sanctionner les erreurs de bonne foi. Néanmoins, il est évident qu’au moins avant transfert des données, leur qualité et, surtout, leur légalité soient examinées, et cela de façon très sérieuse.

Considérer une telle obligation disproportionnée semble suggérer que l’on n’avait pas forcément l’intention d’organiser la vérification régulière de la qualité de ces données avant leur transmission, ce qui serait inquiétant.

Pour ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 106.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 107, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 37

Après le mot :

établit

insérer les mots :

dans la mesure du possible et le cas échéant

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je ne désespère pas ! (Sourires.)

Pour les mêmes motifs que l’amendement précédent, le présent amendement vise également à rétablir l’obligation de moyens, et non de résultat, imposée par la directive aux responsables de traitement dans la distinction des données en fonction des différentes catégories de personnes concernées.

Imposer au responsable du traitement de tout mettre en œuvre pour distinguer les données selon que la personne concernée est mise en cause dans une procédure pénale, coupable, victime ou tiers à une infraction pénale, constitue une stricte transposition de la directive et une garantie suffisante pour les personnes.

Maintenir l’obligation de résultat adoptée par la commission des lois paraît, je crois, excessif. Une telle obligation reviendrait par exemple à pouvoir reprocher un manquement à un responsable de traitement qui n’aurait pas été immédiatement informé de ce que la personne initialement suspectée d’être l’auteur d’une infraction a été ensuite mise hors de cause et est donc devenue un tiers à l’infraction pénale.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Cet amendement tend à revenir sur l’obligation, pour les responsables de traitement, de distinguer les données en fonction de la qualité des personnes concernées – victimes, tiers, mis en cause.

Pourtant, les durées de conservation et même les droits diffèrent en fonction de la qualité de ces personnes, selon qu’elles sont victimes ou mises en cause. Il semble donc évident de prévoir que ces fichiers doivent rigoureusement distinguer la qualité de ces personnes.

En conséquence, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 107.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 70, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Alinéa 42

Avant le mot :

Afin

insérer les mots :

Sans préjudice des obligations nationales existantes liées à la sécurité des traitements et

La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Comme je l’énonçais en présentant l’amendement n° 69 déposé par mon groupe, les collectivités territoriales ont à traiter, dans leurs différents services, de nombreux fichiers de données pouvant regrouper toutes sortes d’informations, y compris les plus sensibles sur nos concitoyens.

De nombreuses étapes sécuritaires doivent déjà être respectées, et les fonctionnaires et agents de ces collectivités s’interrogent sur les nouvelles obligations à respecter, qui s’ajoutent à celles déjà existantes.

C’est pourquoi, en portant une autre recommandation de l’Assemblée générale des départements, nous vous proposons de clarifier cette question de la sécurité des données à leur échelle.

Les dispositions de cet amendement permettent ainsi au responsable de traitement de ne pas occulter les différentes obligations qui lui incombent déjà. À titre d’exemple, comme l’énonce l’objet de notre amendement, le secteur public doit aujourd’hui respecter le référentiel général de sécurité pour les hébergeurs de données de santé, ainsi que les exigences de l’ASIP Santé, entre autres. Qu’en sera-t-il avec les nouvelles règles qui incomberont aux services concernés ?

Aussi apparaît-il nécessaire de préciser que le respect des nouvelles règles adaptées à notre droit européen se fasse sans préjudice des obligations nationales existantes liées à la sécurité des traitements.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Si les dispositions de cet amendement partent d’un bon sentiment, que je partage, les autres obligations nationales existantes en matière de sécurité continuent d’être obligatoires. Il n’est pas nécessaire de rappeler que la loi reste applicable.

Pour ces raisons, la commission sollicite le retrait de cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Même avis : le Gouvernement demande le retrait de cet amendement.

M. le président. Madame Benbassa, l’amendement n° 70 est-il maintenu ?

Mme Esther Benbassa. Non, je le retire, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 70 est retiré.

L’amendement n° 148, présenté par Mme M. Carrère, est ainsi libellé :

Alinéa 68

Compléter cet alinéa par les mots :

et de ses sous-traitants, ainsi que les stipulations du contrat de sous-traitance relatives à la protection des données personnelles

La parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Comme je le soulignais hier lors de la discussion générale et pendant l’examen de l’article 8, le RGPD introduit une nouvelle répartition des compétences entre autorités de contrôles européennes potentiellement déstabilisatrices.

Nous craignons notamment que la gestion des données personnelles ne soit traitée dans des États membres ayant choisi, dans les marges de manœuvre laissées par le RGPD, les solutions les moins protectrices pour les données personnelles.

Sans une coopération efficace entre autorités de contrôles, cela pourrait donner lieu à un affaiblissement de la protection effective des données personnelles de nos concitoyens, si la gestion de leurs données aujourd’hui traitées en France venait à être délocalisée.

C’est pourquoi nous proposons de renforcer le droit d’information des personnes concernées, en prévoyant qu’elles pourront être informées de l’identité des sous-traitants et de leurs coordonnées, ainsi que des stipulations du contrat de sous-traitance relatives à la protection des données.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Une telle précision étant de nature à renforcer le droit à l’information des personnes, la commission émet un avis favorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. La communication des coordonnées du sous-traitant n’est imposée ni par la directive ni par le règlement. Il ne paraît dès lors pas cohérent de fixer un régime différent pour ces deux instruments pourtant identiques, en exigeant des seules autorités compétentes dans le champ de la directive, et non des entreprises, la transmission de ces coordonnées.

Par conséquent, le Gouvernement émet un avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 148.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. L’amendement n° 108, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéas 87 et 89

Supprimer les mots :

, et au bout d’un mois maximum,

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Le présent amendement vise à supprimer le délai d’un mois imposé au responsable de traitement pour rectifier ou effacer des données à caractère personnel qui a été ajouté par la commission des lois. En effet, la directive ne fixe pas de délai butoir.

En outre, une échéance à un mois risque de poser d’importantes difficultés pratiques, dès lors que son point de départ n’est nullement précisé et qu’un mois paraît bien trop court pour permettre au responsable de traitement d’obtenir des informations nécessaires au traitement de la demande, puis de procéder aux rectifications ou aux effacements nécessaires.

Enfin, tant le délai imparti au responsable de traitement pour répondre aux demandes de rectification ou d’effacement adressées sur le fondement du décret d’application de la loi de 1978, que celui qui est imparti au ministère public ou à une juridiction pour statuer sur toute demande qui leur est adressée, sont de deux mois.

Le délai de réponse du responsable de traitement aux demandes formées sur le fondement de la directive pourra être fixé dans le décret.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Le présent amendement vise à revenir sur le délai d’un mois à partir de la réception de la demande, qui est le délai actuellement prévu pour le traitement d’antécédents judiciaires, le TAJ.

La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 108.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 147, présenté par Mme M. Carrère, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 89

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« …° Que soient effacées dans le délai de quarante-huit heures les données biométriques la concernant légalement stockées sur des serveurs distants.

La parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Ces dernières années, de plus en plus de constructeurs d’appareils numériques à usage privé utilisent des technologies fonctionnant à partir de la collecte de données biométriques, empreintes digitales ou reconnaissance faciale à des fins d’authentification.

En l’état actuel du droit, une distinction est opérée selon que ces authentifications biométriques sont stockées dans l’appareil ou depuis des serveurs distants. Dans le premier cas, la CNIL considère que le stockage de donnée biométrique est couvert par l’exemption domestique ; dans le second cas, en revanche, la CNIL exigeait une demande d’autorisation préalable du fournisseur de l’application ou de l’appareil, en raison des risques particuliers liés à un stockage externe.

Bien souvent, le consommateur ignore si les technologies d’authentification biométrique auxquelles il recourt sont stockées sur l’appareil ou sur un serveur distant. Bien souvent, les informations disponibles en ligne sur les sites des constructeurs ne sont pas suffisamment précises pour comprendre les modalités de stockage de ces données sensibles.

Cet amendement vise donc à ouvrir un droit de rectification aux personnes constatant le stockage de leurs données biométriques sur un serveur distant.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Cet amendement tend à instaurer, en matière pénale, pour les traitements concernés par la directive, un droit à l’effacement des données biométriques légalement stockées sur des serveurs distants. De surcroît, le responsable de traitement devrait pouvoir les effacer dans un délai de quarante-huit heures.

Je comprends très bien l’intention qui sous-tend cet amendement, mais je ne suis pas sûre que ce délai soit réaliste. Et sur quel principe fonder ce droit à l’effacement de données légalement collectées et traitées ? En tout état de cause, il ne peut y avoir un droit généralisé à l’effacement des données biométriques légalement stockées en matière pénale.

Pour ces raisons, la commission sollicite le retrait de cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Même avis : le Gouvernement demande le retrait de cet amendement.

M. le président. Madame Carrère, l’amendement n° 147 est-il maintenu ?

Mme Maryse Carrère. Non, je le retire, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 147 est retiré.

L’amendement n° 109, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 110

Remplacer les mots :

et de former un recours juridictionnel

par une phrase ainsi rédigée :

Hors le cas prévu au 1° du II, il l’informe également de la possibilité de former un recours juridictionnel.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Cet amendement a pour objet de revenir sur la modification, adoptée par la commission des lois, exigeant que, dans le cadre du droit à l’information, le responsable du traitement informe la personne concernée de la possibilité de former un recours juridictionnel.

En effet, la directive n’impose au responsable du traitement d’informer la personne concernée de cette possibilité de former un tel recours que dans le cadre des droits d’accès, de rectification ou d’effacement. Vous le savez, puisque nous avons affirmé ce principe à plusieurs reprises, le Gouvernement ne souhaite pas effectuer de surtransposition.

Les garanties offertes à la personne concernée en cas de restriction de son droit à l’information ne sont pas pour autant réduites, puisqu’elle pourra exercer ses droits par l’intermédiaire de la CNIL, puis, en cas de refus de sa demande par cet intermédiaire, former le cas échéant un recours juridictionnel.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Sous prétexte de stricte transposition de la directive, cet amendement vise en réalité à complexifier et à réduire le droit à l’information des personnes.

C’est pourquoi la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 109.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 19, modifié.

(Larticle 19 est adopté.)

Article 19
Dossier législatif : projet de loi relatif à la protection des données personnelles
Article additionnel après l'article 19 - Amendement n° 72

Articles additionnels après l’article 19

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L’amendement n° 3 rectifié septies est présenté par Mme Bruguière, M. Sol, Mme Goy-Chavent, M. Henno, Mme Deromedi, MM. Bansard, A. Marc et D. Laurent, Mme Renaud-Garabedian, M. Poniatowski, Mme Garriaud-Maylam, MM. de Nicolaÿ, Bonhomme et Milon, Mme Lamure, M. Brisson, Mmes Billon et Bories, MM. Lefèvre et Guerriau, Mmes Morhet-Richaud, Eustache-Brinio et Bonfanti-Dossat, M. Bonne, Mme Mélot, MM. Lagourgue, Leleux, Chasseing, B. Fournier, Bouchet et Husson, Mme Lanfranchi Dorgal et MM. Gremillet et Panunzi.

L’amendement n° 71 est présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Après l’article 19

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le chapitre II du titre II du livre VIII du code de la sécurité intérieure est complété par un article L. 822-… ainsi rédigé :

« Art. L. 822-… - Lorsque la mise en œuvre d’une technique de recueil de renseignement prend fin, le service qui l’a réalisée informe promptement la personne concernée de la nature et de la durée de la technique, du type et du volume de renseignements recueillis, de la finalité ayant justifié le recueil et de l’identité du service, ainsi que de ses droits prévus à l’article L. 841-1 du présent code. La transmission de ces informations ne peut être retardée qu’en présence d’un risque manifeste et effectif de compromettre l’objectif qui a initialement justifié la mise en œuvre de la technique, et à la condition que la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement soit dûment informée de ce retard. »

L’amendement n° 3 rectifié septies n’est pas soutenu.

La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 71.

Mme Esther Benbassa. Avec cette série d’amendements, nous entrons dans le nécessaire débat sur l’applicabilité du droit européen aux dispositions issues de la loi sur le renseignement de 2015 qui ont été opportunément écartées de la discussion jusqu’ici.

Permettez-moi de vous rappeler que l’article 1er de la directive 2016/680 définit son champ d’application comme couvrant tout « traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d’enquêtes et de poursuites en la matière ou d’exécution de sanctions pénales ». Il précise explicitement que font partie de ces traitements ceux qui concernent « la protection contre les menaces pour la sécurité publique et la prévention de telles menaces ». Seules les activités relatives à la sécurité nationale ne relèvent pas du champ d’application de la directive.

C’est cet argument qui nous sera opposé : la lutte contre le terrorisme, premier objectif de la loi sur le renseignement, relèverait de la sécurité nationale et ne serait donc pas concernée par les mesures protectrices instituées par la directive.

Cet argument, mes chers collègues, est quelque peu fallacieux. Nous le savons, l’Union européenne et ses États membres ont systématiquement considéré que la lutte contre le terrorisme entrait dans le champ d’application du droit de l’Union, prenant de nombreux actes européens à son sujet. La dernière directive 2017/541 « relative à la lutte contre le terrorisme » en est un exemple manifeste.

Nous proposons en conséquence de mettre en conformité le code de la sécurité intérieure avec la directive 2016/680 et de préciser que, lorsque la mise en œuvre d’une technique de recueil de renseignement prend fin, le service qui l’a réalisée informe promptement la personne concernée de la nature et de la durée de la technique, du type et du volume de renseignements recueillis et de la finalité ayant justifié le recueil et de l’identité du service, ainsi que de ses droits.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Cet amendement vise à étendre le pouvoir de contrôle de la CNCTR sur les données communiquées par les services étrangers.

Or ce contrôle a été explicitement restreint par la loi de 2015 pour des raisons évidentes de coopération entre les États. Si nous souhaitons que nos partenaires nous transmettent des informations, il n’est pas raisonnable de multiplier les personnes ayant accès à celles-ci.

Aussi, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Madame la sénatrice, j’ai eu l’occasion de m’exprimer hier sur ce sujet en ouvrant la discussion générale.

À mon sens, les informations de cette nature ne peuvent pas être portées à la connaissance de la personne qui fait l’objet d’une mesure de surveillance : en procédant ainsi, on risquerait de fragiliser assez largement les capacités d’action des services de renseignement. On exposerait leur mode opératoire et, dès lors, on porterait atteinte à la sécurité de nos concitoyens.

Le travail de renseignement ne peut s’inscrire, ce me semble, que dans un impératif de confidentialité. À l’inverse, le dispositif que vous envisagez serait de nature à vider les techniques de renseignement de leur substance, et donc à anéantir le travail des services de renseignement.

Pour ces raisons, j’émets un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 71.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article 19 - Amendements n° 3 rectifié septies et n° 71
Dossier législatif : projet de loi relatif à la protection des données personnelles
Article additionnel après l'article 19 - Amendements n° 4 rectifié septies et n° 73

M. le président. L’amendement n° 72, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Après l’article 19

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Au 4° de l’article L. 833-2 du code de la sécurité intérieure, les mots : « communiqués par des services étrangers ou par des organismes internationaux ou » sont supprimés.

La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Mes chers collègues, dans le même sens que l’amendement précédemment défendu, le présent amendement vise à mettre le code de la sécurité intérieure en conformité avec la directive, laquelle est plus protectrice des libertés fondamentales de nos concitoyens.

En matière de contrôle, la directive contient deux exigences.

D’une part, il convient que, dans chaque État membre, une autorité indépendante « contrôle l’application des dispositions adoptées en application de [cette] directive et de ses mesures d’exécution et veille au respect de celles-ci ». En France, en matière de renseignement, cette autorité de contrôle est la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.

D’autre part, la directive précise que « chaque État membre prévoit, par la loi, que chaque autorité de contrôle dispose de pouvoirs d’enquête effectifs. Ces pouvoirs comprennent au moins celui d’obtenir du responsable du traitement ou du sous-traitant l’accès à toutes les données à caractère personnel qui sont traitées. »

Toutefois, en l’état actuel de notre droit, la CNCTR ne peut pas avoir accès aux renseignements collectés, exploités, échangés ou conservés par les services français, dès lors que ces renseignements ont initialement été « communiqués par des services étrangers ou par des organismes internationaux ».

Bien sûr, cette disposition empêche entièrement la CNCTR de vérifier que les données personnelles collectées et exploitées par les services le sont de façon licite. Elle entre en totale contradiction avec les exigences de la directive et doit donc être corrigée.

Tel est l’objet de cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. La commission émet un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Le Gouvernement émet, lui aussi, un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 72.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article 19 - Amendement n° 72
Dossier législatif : projet de loi relatif à la protection des données personnelles
Article additionnel après l'article 19 - Amendements n° 5 rectifié septies et n° 74

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L’amendement n° 4 rectifié septies est présenté par Mme Bruguière, MM. A. Marc, Sol, Henno et D. Laurent, Mme Deromedi, M. Bansard, Mmes Goy-Chavent et Renaud-Garabedian, M. Poniatowski, Mme Garriaud-Maylam, MM. Bonhomme, de Nicolaÿ, Milon et Chasseing, Mme Lamure, M. Brisson, Mme Bories, M. Bonne, Mmes Bonfanti-Dossat et Billon, MM. Lefèvre et Guerriau, Mmes Morhet-Richaud et Eustache-Brinio, M. Lagourgue, Mme Mélot, MM. Bouchet et B. Fournier, Mme Lanfranchi Dorgal et MM. Gremillet et Panunzi.

L’amendement n° 73 est présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Après l’article 19

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le cinquième alinéa de l’article L. 854-9 du code de la sécurité intérieure, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Le Conseil d’État, statuant dans les conditions prévues au chapitre III bis du titre VII du livre VII du code de justice administrative, peut aussi être saisi par toute personne souhaitant vérifier qu’aucune technique de renseignement prévue au présent chapitre n’est irrégulièrement mise en œuvre à son égard et justifiant de la mise en œuvre préalable de la procédure prévue au quatrième alinéa du présent article. »

L’amendement n° 4 rectifié septies n’est pas soutenu.

La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 73.

Mme Esther Benbassa. Dans la lignée des amendements précédents, nous souhaitons, une nouvelle fois, garantir les droits de nos concitoyens, en l’espèce le droit à un recours effectif.

L’article 54 de la directive 2016/680 exige, sans aucune exception possible, que les États membres offrent aux particuliers une voie de recours juridictionnel pour contester la licéité d’un traitement portant sur leurs données personnelles.

En contradiction avec cette disposition, l’article L. 854-9 du code de la sécurité intérieure prévoit que, en matière de surveillance internationale, les particuliers ne peuvent pas agir en justice pour contester la licéité d’une mesure dont ils ont fait l’objet.

Seule la CNCTR dispose de ce pouvoir, étant entièrement libre d’agir ou non. Cette absence de voie de recours juridictionnel est parfaitement contraire aux exigences de la directive. Il convient donc d’y mettre un terme.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. La directive ne concerne que les fichiers de données personnelles et non la mise en œuvre de techniques de recueil de renseignements.

Au reste, avec cet amendement, on semble faire une confusion entre deux types de voies de recours : celles qui doivent être organisées pour la licéité des traitements de données personnelles et celles qui portent sur les techniques des fichiers de renseignement.

Voilà pourquoi la commission émet un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Le Gouvernement est, lui aussi, défavorable à cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 73.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article 19 - Amendements n° 4 rectifié septies et n° 73
Dossier législatif : projet de loi relatif à la protection des données personnelles
Article 19 bis (nouveau)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L’amendement n° 5 rectifié septies est présenté par Mme Bruguière, M. Sol, Mme Goy-Chavent, M. A. Marc, Mme Deromedi, MM. D. Laurent et Henno, Mmes Renaud-Garabedian et Garriaud-Maylam, MM. de Nicolaÿ, Bonhomme, Milon et Chasseing, Mmes Lamure, Billon et Bories, MM. Brisson, Lefèvre et Guerriau, Mmes Morhet-Richaud et Eustache-Brinio, MM. Bonne et Lagourgue, Mme Mélot, MM. Bouchet et B. Fournier, Mme Lanfranchi Dorgal et MM. Gremillet et Panunzi.

L’amendement n° 74 est présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Après l’article 19

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le premier alinéa de l’article L. 863-2 du code de la sécurité intérieure est complété par une phrase ainsi rédigée : « Ces services ne peuvent transmettre à d’autres services, français ou étrangers ou obtenir des renseignements d’autres services, français ou étrangers, que dans les conditions prévues au chapitre Ier du titre II du présent livre ainsi que, s’agissant des autorités d’un État n’appartenant pas à l’Union européenne, dans les conditions prévues à l’article 70-25 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. »

L’amendement n° 5 rectifié septies n’est pas soutenu.

La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 74.

Mme Esther Benbassa. Heureusement que je suis là pour défendre ces dispositions ! (Exclamations amusées sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Jérôme Bascher. Certes, mais nous ne sommes pas couchés !

Mme Esther Benbassa. En tout cas, mes chers collègues, vous constaterez que je fais mon travail de parlementaire ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Toujours afin d’assurer la mise en conformité de notre droit avec le droit européen, cet amendement tend à offrir des garanties en matière de transfert des renseignements. En effet, le code de la sécurité intérieure n’impose aujourd’hui aucune condition ni aucun contrôle quant aux échanges de renseignements entre les autorités nationales et d’autres autorités, qu’elles soient françaises ou étrangères.

Je le répète, cette situation est contraire, non seulement à la directive, qui impose des normes en matière de transfert de renseignements hors Union européenne, mais aussi à notre propre droit : ce dernier exige que les échanges de données avec des autorités françaises, européennes ou hors Union européenne obéissent à l’un des intérêts fondamentaux de la Nation, et que la CNCTR soit en mesure d’en assurer le contrôle.

Nous proposons, en conséquence, de modifier le code de la sécurité intérieure en ce sens.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. La directive ne s’applique pas aux fichiers de renseignement à finalité mixte des services spécialisés de renseignement. Choisir d’appliquer de telles restrictions aux échanges entre services de renseignement ne pourrait qu’affaiblir la coopération entre services de renseignement.

La commission émet, partant, un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Le Gouvernement émet également un avis défavorable, monsieur le président.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 74.

(Lamendement nest pas adopté.)

TITRE III bis

DISPOSITIONS VISANT À FACILITER L’APPLICATION DES RÈGLES RELATIVES À LA PROTECTION DES DONNÉES À CARACTÈRE PERSONNEL PAR LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

(Division et intitulé nouveaux)

Article additionnel après l'article 19 - Amendements n° 5 rectifié septies et n° 74
Dossier législatif : projet de loi relatif à la protection des données personnelles
Article 19 ter (nouveau)

Article 19 bis (nouveau)

I. – Le code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :

1° Le chapitre V du titre III du livre III de la deuxième partie est complété par une section 7 ainsi rédigée :

« Section 7

« Dotation pour la protection des données à caractère personnel

« Art. L. 2335-17. – À compter de l’exercice 2019, les communes reçoivent une dotation spéciale, prélevée sur les recettes de l’État, au titre des charges qu’elles supportent pour se mettre en conformité avec les obligations qui leur incombent, en tant que responsables de traitement, en application du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE et de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

« Cette dotation, déterminée en fonction de la population des communes, est égale :

« – à 5 € par habitant compris entre le 1er et le 999e habitant ;

« – à 2 € par habitant compris entre le 1000e et le 4 999e habitant ;

« – à 1 € par habitant compris entre le 5 000e et le 9 999e habitant ;

« – à 0,1 € par habitant compris entre le 10 000e et le 99 999e habitant ;

« – à 0,01 € par habitant au-delà du 100 000e habitant.

« Pour l’application du présent article, la population à prendre en compte est celle définie à l’article L. 2334-2 du présent code. » ;

2° Le I de l’article L. 3662-4 est complété par un 6° ainsi rédigé :

« 6° De la dotation prévue à l’article L. 5211-35-3 du présent code. » ;

3° Le livre II de la cinquième partie est ainsi modifié :

a) La sous-section 2 de la section 6 du chapitre Ier du titre Ier est complétée par un article L. 5211-35-3 ainsi rédigé :

« Art. L. 5211-35-3. – À compter de l’exercice 2019, les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre reçoivent une dotation spéciale, prélevée sur les recettes de l’État, au titre des charges qu’ils supportent pour se mettre en conformité avec les obligations qui leur incombent, en tant que responsables de traitement, en application du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE et de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

« Cette dotation, déterminée en fonction de la population totale des communes membres de ces établissements publics, est égale :

« – à 1 € par habitant compris entre le 1er et le 14 999e habitant ;

« – à 0,5 € par habitant compris entre le 15 000e et le 49 999e habitant ;

« – à 0,1 € par habitant compris entre le 50 000e et le 99 999e habitant ;

« – à 0,01 € par habitant au-delà du 100 000e habitant.

« Pour l’application du présent article, la population à prendre en compte est celle définie à l’article L. 2334-2 du présent code. » ;

b) Après le 9° de l’article L. 5214-23, il est inséré un 9° bis ainsi rédigé :

« 9° bis La dotation prévue à l’article L. 5211-35-3 du présent code ; »

c) Le 14° de l’article L. 5215-32 est rétabli dans la rédaction suivante :

« 14° La dotation prévue à l’article L. 5211-35-3 du présent code ; »

d) Après le 9° de l’article L. 5216-8, il est inséré un 9° bis ainsi rédigé :

« 9° bis La dotation prévue à l’article L. 5211-35-3 ; ».

II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I ci-dessus est compensée à due concurrence par le relèvement du taux de la taxe mentionnée à l’article 302 bis KH du code général des impôts.

M. le président. L’amendement n° 110, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Mesdames, messieurs les sénateurs, madame la rapporteur, permettez-moi de prendre quelques instants pour développer les raisons qui ont conduit le Gouvernement à déposer cet amendement.

L’article 19 bis, voté par votre commission des lois, crée à destination des communes et des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre une nouvelle dotation qui s’élèverait, au total, à 170 millions d’euros. Cette dotation serait compensée par la hausse de la taxe sur les services fournis par les opérateurs de communications électroniques.

Le Gouvernement vous demande de revenir sur la création de ce fonds, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, il est loin d’être certain que ce dispositif permette d’atteindre les objectifs que vous lui avez assignés. En effet, il est difficile de déterminer dans quelle mesure cette nouvelle dotation, d’un montant financier relativement élevé, correspondra réellement aux besoins qu’éprouvent les collectivités territoriales en la matière. De plus, son mode d’attribution, à l’ensemble du bloc communal et selon le seul critère de la population, peut susciter des interrogations : quelle serait l’équité d’un versement de cette nature ?

Ensuite, cette dotation entrerait dans le périmètre des concours financiers, tel qu’il est défini à l’article 16 de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022, lequel comprend les prélèvements sur recettes. Or ce même article a fixé un plafond annuel de l’ensemble des concours financiers de l’État aux collectivités locales. Ce montant est globalement stable jusqu’en 2022.

Dès lors, la création d’un concours financier d’un montant de 170 millions d’euros conduirait mécaniquement à réduire dans une proportion équivalente les autres concours financiers de l’État aux collectivités, et ce afin de respecter le plafond prévu par la loi de programmation.

Les concours susceptibles d’être réduits à ce titre pourraient être, par exemple, les dotations de soutien à l’investissement local, la dotation globale de fonctionnement, la DGF, ou encore la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle.

De surcroît, cette dotation spéciale serait destinée, dans son esprit, à la mise en conformité des collectivités territoriales au RGPD. Pourtant, elle ne s’appliquerait qu’à partir de l’exercice 2019. Or – nous n’avons cessé de le dire depuis hier – ce règlement doit entrer en vigueur au 25 mai 2018.

Depuis 2004, les collectivités territoriales sont, en tant que responsables de traitement, déjà soumises à des obligations en matière de protection des données. Nous l’avons rappelé hier, et plusieurs d’entre vous l’ont souligné.

Si le RGPD énonce bien de nouvelles obligations, comme la désignation d’un délégué à la protection des données, il ouvre également la voie à une réduction tout à fait substantielle des formalités préalables auxquelles les collectivités sont soumises.

Je pense non seulement aux autorisations diverses, mais aussi à l’obligation de déclaration auprès de la CNIL, dont la Commission européenne a estimé, dans son étude d’impact, qu’elle représente un coût unitaire de 200 euros : ce n’est pas négligeable.

Je songe également à la suppression du régime d’autorisation par arrêté des traitements destinés à mettre à la disposition des usagers de l’administration des téléservices de l’administration électronique, ainsi qu’à l’assouplissement des traitements utilisant le numéro d’inscription au répertoire, le NIR.

Je vous l’assure, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement a véritablement pris la mesure des inquiétudes exprimées par les collectivités territoriales. Au demeurant, le Sénat est pleinement dans son rôle en s’en faisant l’interprète, et il est tout à fait normal que, sur votre initiative, nous puissions avoir ce débat.

J’ai déjà évoqué le regard tout à fait favorable que le Gouvernement porte sur plusieurs mesures proposées par la commission des lois pour accompagner les collectivités locales. Je vous l’ai dit hier, j’ai moi-même alerté les préfets la semaine dernière, en insistant sur la nécessité de nous mobiliser sur la question de la protection des données.

De concert avec la CNIL, nous avons revu la possibilité de mener des actions conjointes avec les associations d’élus, notamment les réseaux d’associations de maires. Ces dernières disposent de la meilleure connaissance du terrain et sont capables, non seulement de faire remonter des questions pertinentes, mais aussi de tracer les solutions d’appui qui peuvent être adoptées.

À cet égard, la mise à jour d’un guide par la CNIL doit être une priorité. La constitution de centres de ressources dans les territoires, qui, elle aussi, a été évoquée hier, sera sans doute également un levier très puissant.

J’y insiste : j’entends vos préoccupations et, pour moi, il n’est nullement question de les traiter à la légère. À mon sens, il est de notre responsabilité que cette nouvelle loi de 1978 s’applique dans les meilleures conditions possible partout, dans tous les territoires.

Il n’en demeure pas moins que le Gouvernement n’est pas favorable à l’établissement de la dotation ici proposée. Ce dispositif conduirait à réduire les dépenses nécessaires à d’autres politiques publiques menées par les collectivités territoriales.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. La commission n’a aucune intention de revenir sur sa position !

Nous entendons bien les arguments invoqués par le Gouvernement, en particulier pour ce qui concerne l’enveloppe normée. Mais il faut reconnaître que, sur le plan financier, le Parlement se trouve pieds et poings liés. Notre pouvoir d’initiative budgétaire est totalement corseté : nous ne pouvons pas protéger les collectivités comme nous le souhaiterions et, surtout, comme il serait nécessaire de le faire !

Madame la garde des sceaux, vous avez cité un montant de 200 euros. J’avoue que je n’ai pas les mêmes chiffres. Certaines collectivités – je ne parle pas des plus grandes d’entre elles ! – se sont vu proposer, par des cabinets de conseil ou des cabinets d’avocats, des devis pouvant atteindre 50 000 euros par an,…

M. Loïc Hervé. Tout à fait !

Mme Sophie Joissains, rapporteur. … simplement pour obtenir un data protection officer, ou DPO, externalisé.

Oui, les collectivités sont extrêmement touchées par cette réforme. Depuis deux ans qu’est connu le texte de cette directive, elles n’ont pas été informées des mesures qui allaient leur être imposées. Aujourd’hui, elles sont tenues de faire face à une obligation de conformité qui est très violente, et elles ont besoin d’être aidées.

On charge sans cesse les collectivités. Le Gouvernement leur demande déjà de faire énormément d’efforts en matière budgétaire. Une fois de plus, une charge leur est transférée. On présente ce changement comme un progrès ; c’est le cas si l’on ne considère que l’objectif européen, mais les collectivités territoriales n’en seront que plus étranglées !

Si nous avons formulé cette proposition, c’est aussi pour que vous nous soumettiez une contre-proposition, parce que nous attendons votre aide. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. Loïc Hervé. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Madame la garde des sceaux, en la matière, la situation me semble très simple. Il y a un principe que le Gouvernement doit se décider à appliquer à ses relations avec les collectivités territoriales, et que nous allons d’ailleurs vous proposer d’inscrire dans la Constitution : qui décide paie. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

En l’occurrence, le Gouvernement veut imputer aux collectivités territoriales une charge nouvelle sur l’objectif de dépenses déjà arrêté, pour ce qui les concerne, dans les années à venir. Mais, du fait même de ces nouvelles obligations, le périmètre de la dépense change, ce qui est inadmissible !

Un autre sujet suscite un désaccord avec le Gouvernement : la limitation de la vitesse de circulation à quatre-vingts kilomètres à l’heure sur les routes départementales.

M. Jean-Pierre Sueur. C’est autre chose…

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Dans ce dossier, nous nous apercevons que le Gouvernement envisage, aujourd’hui, d’affecter aux hôpitaux le produit des amendes qui seraient prélevées sur les automobilistes contrevenant aux nouvelles règles. C’est une très bonne idée !

Toutefois, si le principe d’une compensation par l’État pour un service public, à partir du produit d’amendes, est reconnu dans un cas, je ne vois pas pourquoi il ne serait pas admis dans l’autre. Dès lors, il nous semble que la compensation prévue par la commission des lois ne se heurte à aucune objection de principe.

Vous nous opposez un autre argument : il ne serait pas possible d’évaluer à l’avance la charge qui résultera de cette mesure pour les collectivités territoriales…

M. Loïc Hervé. Quel aveu !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Néanmoins, rien ne nous empêche de provisionner cette dépense en y consacrant une ressource spécifique : c’est précisément ce que fait la commission.

Au fond – Mme la rapporteur le suggère, comme toujours, avec élégance –, ce que nous attendions de vous, ce n’était pas une fin de non-recevoir : nous espérions tout simplement que vous accepteriez de lever le gage, puis que vous trouveriez d’autres ressources.

Si vous affectez des recettes budgétaires à la compensation de la charge des collectivités territoriales, il s’agira de crédits évaluatifs. Si, en définitive, on constate qu’il y a trop d’argent, vous ne le dépenserez pas, voilà tout.

Bien sûr, en transférant intégralement le produit des amendes aux collectivités territoriales, nous procédons peu ou prou à l’aveugle, mais nous n’avons pas les moyens de faire mieux, sauf si, à l’avenir, le Gouvernement nous propose de desserrer les contraintes qui s’exercent sur les amendements parlementaires en matière de finances publiques… Mais c’est un autre débat ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.

M. René-Paul Savary. Madame la garde des sceaux, je suis surpris de votre réponse. À l’instar de M. Bas, je pensais que vous alliez proposer un autre type de financement : il serait tout à fait normal que l’État, qui donne une responsabilité supplémentaire aux collectivités locales, compense la charge induite par cette compétence.

Dans l’ancien monde, on a longtemps entendu que les transferts de compétences devaient être compensés à l’euro près. On sait bien comment tout cela se terminait, mais au moins l’on exprimait une volonté de compenser. Désormais, on ne prend même plus cette peine !

Voilà pourquoi je pensais que vous alliez proposer une disposition spécifique dans le cadre du prochain projet de loi de finances, ce qui pourrait se comprendre, ou bien dans un autre texte de loi.

A contrario, vous avancez des arguments que j’interprète comme un chantage pur et simple ! (Mme la garde des sceaux proteste.) Passez-moi cette impertinence, mais admettez que vous nous dites, en somme : « Faites attention : si le Gouvernement vous donne des crédits d’une main, il reprendra l’équivalent de l’autre. »

M. Jérôme Bascher. Très bien !

M. René-Paul Savary. Vous nous détaillez même toutes les possibilités qui s’offrent au Gouvernement à cette fin, en citant différents exemples.

Ce n’est pas ainsi que l’on pourra bâtir la confiance entre le Gouvernement et les collectivités locales. Or le Président de la République nous l’a dit et répété, il souhaite un pacte de confiance.

En conséquence, à l’heure où l’on cherche la confiance avec les territoires, à l’heure où ces derniers sont menacés à travers différentes mesures, notamment la suppression de la taxe d’habitation, vous transférez encore de nouvelles charges aux collectivités territoriales.

C’est la raison pour laquelle je soutiens bien volontiers la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain, pour explication de vote.

M. Jérôme Durain. Madame la garde des sceaux, avant tout, je tiens à vous adresser mes félicitations : vous avez parlé pendant cinq minutes et cinquante secondes pour nous expliquer que, en définitive, nous n’aurions pas un fifrelin… Votre démonstration m’a paru assez éloquente ! (Sourires.)

Sur le fond, la demande dont il s’agit vous semble-t-elle inopportune ou malvenue ? Les collectivités sont très actives en matière numérique. Elles sont dépositaires d’un certain nombre de fichiers nominatifs : l’état civil, les listes électorales, les fichiers relatifs à la fiscalité, les fichiers cadastraux, les fichiers sociaux, etc. Nous sommes bien au cœur du sujet.

Les collectivités territoriales comptent donc parmi les acteurs du numérique qui sont directement concernés par le RGPD. À ce titre, il paraît tout à fait normal de compenser les nouvelles dépenses qu’elles devront consacrer à la tenue de ces fichiers.

Au demeurant, j’ai relevé comme une contradiction au début de votre propos. Vous avez déclaré que, selon vous, le coût de ces dispositions était difficile à évaluer. Mais, aussitôt après, vous vous êtes référée au montant de 170 millions d’euros, en relevant qu’il était relativement élevé.

Certes ! C’est précisément parce que ce coût est assez lourd que la commission des lois et, avec elle, les élus du groupe socialiste et républicain estiment qu’une aide en faveur des collectivités territoriales serait la bienvenue : cette compensation est nécessaire, pour qu’elles puissent assumer la nouvelle obligation qui leur est faite.

Vous connaissez l’état des finances locales. Vous avez fait état de l’ensemble des ressources dont disposent les collectivités. Une dépense nouvelle va leur être imposée et, à mes yeux, notre demande n’est pas inopportune.

Nous pouvons comprendre que cette compensation ne prenne pas la forme ici proposée, mais il aurait été de bon ton que vous nous présentiez d’autres solutions. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.

M. Marc Laménie. Je me permets d’intervenir à propos de cet amendement du Gouvernement, qui vise à supprimer l’article 19 bis.

Pour ma part, je souscris pleinement aux interventions précédentes et je suivrai l’avis émis, au nom de la commission des lois, par M. Philippe Bas comme par Mme la rapporteur.

Ces dépenses nouvelles sont estimées à 170 millions d’euros : il s’agit là des coûts de fonctionnement que la mise en œuvre du RGPD imposerait aux collectivités. À mon tour, j’observe qu’il serait bon d’appliquer le principe : « Qui décide paie. »

J’en suis conscient, l’État est le premier partenaire des collectivités territoriales en termes de masse financière, qu’il s’agisse de l’investissement ou du fonctionnement. Mais, compte tenu de ces nouvelles dispositions, la commission a, de manière tout à fait légitime, proposé d’instaurer une dotation spécifique au bénéfice des groupements territoriaux concernés, à savoir les communes et les intercommunalités.

Mes chers collègues, on peut rapprocher cette situation de celle que nous avons vécue l’été dernier : du 11 juillet au 4 août 2017, nous avons débattu de la réserve parlementaire, qui, malheureusement, a été supprimée.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Très mauvais souvenir !

M. Marc Laménie. Je le regrette toujours, comme, j’en suis sûr, chacune et chacun d’entre vous.

Aujourd’hui, ce sont environ 170 millions d’euros qui sont en jeu. Avec la réserve parlementaire, il s’agissait peu ou prou des mêmes sommes, 130 à 150 millions d’euros. Et ce n’est pas parce que l’on a supprimé ce dispositif que, maintenant, tout va mieux.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Tant de clochers qui s’écroulent…

M. Marc Laménie. La réserve parlementaire était un vecteur de la solidarité de l’État envers les collectivités territoriales, en particulier les petites communes. Désormais, cette aide est soumise à l’appréciation des représentants de l’État. Ces derniers nous inspirent le plus profond respect – je le dis en toute sincérité. Mais nous n’en avons pas moins perdu ce moyen d’action et cette prérogative !

Voilà pourquoi j’abonde pleinement dans le sens de la commission des lois.

M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé, pour explication de vote.

M. Loïc Hervé. Mes chers collègues, nous sommes parvenus à une heure tardive, et ce n’est peut-être pas le moment de faire le jésuite… (Sourires.)

On pourrait reprocher aux sénateurs d’être les avocats des collectivités territoriales et de vouloir toujours compenser les compétences qui leur sont transférées par de nouvelles ressources. D’ailleurs, c’est pour ainsi dire la fonction constitutionnelle du Sénat.

Cela étant, je vais me placer du point de vue de l’État et de son budget.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Très bien !

M. Loïc Hervé. Combien le RGPD coûte-t-il concrètement ? Voilà plusieurs heures que nous travaillons sur ce sujet. Combien coûte la mise en œuvre de ce dispositif en France, et quels moyens nouveaux affecte-t-on à la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL ?

Madame la garde des sceaux, j’ai cru entendre dans vos propos que la CNIL avait déjà été bien servie : ses effectifs, en particulier, ont été copieusement augmentés depuis dix ans environ.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Certes, depuis 2010.

M. Loïc Hervé. Pour notre part, nous parlons du bloc communal. Une nouvelle fois, on avance que ces changements se traduiront par la disparition de diverses obligations, qu’il s’agisse de déclarations ou d’autorisations. Aussi l’exercice de cette compétence coûterait-il moins cher.

À l’inverse, j’estime que le RGPD va coûter cher aux collectivités locales.

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Oui !

M. Loïc Hervé. Dans un certain nombre de cas, il va même leur coûter très cher, quand bien même elles n’auraient pas toutes exactement déployé les systèmes de protection des données qui leur sont imposés par la loi de 1978 : nous sommes en plein changement de paradigme. Le système juridique qui protège les données personnelles est en train d’être complètement refondu en France, et même à l’échelle de notre continent.

Je m’exprime, non en tant que défenseur des collectivités, mais au nom de la responsabilité de l’État, au nom de son budget. La RGPD coûte cher. Aussi, comme l’ensemble de mes collègues, j’estime que, au-delà de l’accompagnement assuré par les préfets, il est nécessaire de garantir un soutien financier, quand bien même il serait seulement symbolique.

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Ah non, pas seulement symbolique ! (Sourires.)

M. Loïc Hervé. J’ai bien dit « quand bien même », madame la rapporteur. Ce dispositif démontrerait l’implication de l’État.

À cet égard, madame la garde des sceaux, la fin de non-recevoir que vous nous avez opposée est on ne peut plus fâcheuse. (M. Jérôme Durain applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Madame la garde des sceaux, je tiens à vous féliciter : vous avez présenté votre amendement avec une sérénité et un calme tout à fait impressionnants ! (Sourires.)

Mme Esther Benbassa. Quel flatteur… (Nouveaux sourires.)

M. Jean-Pierre Sueur. En même temps,…

M. Loïc Hervé. En même temps !

M. Jean-Pierre Sueur. … même si, je le sais, vous êtes fort occupée, vous êtes bien consciente que vos arguments sont contestables.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. En tout cas, vous les contestez !

M. François Patriat. Et ils ne le sont pas !

M. Jean-Pierre Sueur. Si, monsieur Patriat, et vous le savez vous aussi. D’ailleurs, je vais montrer pourquoi.

Tout d’abord, vous n’êtes pas sans savoir que bien des collectivités locales sont victimes de ces nombreux cabinets auxquels on fait appel à tout bout de champ.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Oh, ça oui !

M. Jean-Pierre Sueur. Ces cabinets d’études sont appelés à se prononcer sur moult sujets. Or le prix de leurs prestations est très souvent supérieur à 200 euros.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Il s’agissait du concours de la CNIL !

M. Jean-Pierre Sueur. En l’occurrence, il faudra désigner un délégué à la protection des données au sein des différentes communes, ce qui, dans les villages, sera tout de même un peu difficile. Sans doute faudra-t-il assurer une mutualisation à l’échelle de l’intercommunalité. (Mme la garde des sceaux acquiesce.)

Quoi qu’il en soit, ces dispositions vont entraîner des coûts supplémentaires, et personne ne peut le contester. Madame la garde des sceaux, nous nous connaissons bien, et vous pouvez l’admettre en toute franchise.

J’apprécie cette tournure que l’on trouve dans l’objet de votre amendement : « Ainsi, cette nouvelle dotation d’un montant financier élevé, estimé à 170 millions d’euros, n’apporte aucune garantie quant à une prise en charge effective des besoins des collectivités. » En définitive, vous dites que l’on ne sait pas si cette charge représentera 170 millions d’euros. Mais si cette dotation n’existe pas, on n’aura aucun moyen de la compenser !

Si le montant de 170 millions d’euros est trop élevé, il en restera une partie pour l’État ; mais il est également possible que cette dotation soit insuffisante. Comment peut-on dire qu’il est inutile de prévoir une telle somme pour compenser une dépense à laquelle les collectivités devront faire face de manière inéluctable ?

Puis, vous nous dites avoir décidé que les dotations de l’État seraient soumises à un plafond. C’est rigide ! Si l’on crée une nouvelle dépense, comme c’est le cas ici, le plafond sera toujours là. Dès lors, si l’on affecte cette somme, il faudra la déduire de la dotation globale de fonctionnement ou d’une autre dotation.

Ne pensez-vous pas, madame la garde des sceaux, que la République, dans le grand attachement qu’elle éprouve envers les collectivités locales, pourrait considérer de manière positive que, s’il y a une dépense nouvelle, alors il pourra aussi y avoir une nouvelle ressource ?

Aussi, 170 millions d’euros, ce n’est peut-être pas assez, mais vous ne pouvez pas dire en même temps que vous êtes contre cette dotation et qu’elle est insuffisante.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, j’essaie de convaincre Mme la garde des sceaux,…

M. François Patriat. On a bien compris !

M. Jean-Pierre Sueur. … et cela dans le temps qui m’est imparti. C’est difficile, mais j’espère tout de même avoir fait un bout du chemin !

M. le président. La parole est à M. Arnaud de Belenet, pour explication de vote.

M. Arnaud de Belenet. J’essaierai d’être synthétique, mais il est difficile de ne pas intervenir sur ce sujet dans cet hémicycle.

Au-delà de l’aspect exclusivement financier du sujet, que personne ne sait d’ailleurs quantifier de façon certaine – dont acte ! –, et après les initiatives prises par la commission des lois et les modifications que le Sénat compte apporter au texte, j’ai entendu de la part du Gouvernement des réponses claires et positives.

Oui, il convient d’accompagner les collectivités. Oui, leur information est un vrai sujet. Oui, il faut permettre aux syndicats de communes et – pourquoi pas, même si c’est un peu plus compliqué juridiquement – aux associations de maires d’intervenir dans ce domaine. Oui, rendons possibles les mutualisations. Oui, accompagnons mieux les territoires qui n’ont pas encore appréhendé cette problématique, en particulier les petites communes, mais aussi, en vérité, 98 % des villes !

Ce message est passé, il a été entendu par le Gouvernement, et Mme la garde des sceaux l’a évoqué lors de la discussion générale. Les choses sont désormais claires, et j’imagine bien que, au fil de la navette, à l’Assemblée nationale ou en commission mixte paritaire, la problématique des collectivités sera prise en compte. En effet, il existe des moyens logistiques et humains pour ce faire, et des solutions techniques pourront être prises en charge par les syndicats.

Reste-t-il seulement un problème de compensation financière ? Pardonnez-moi, mes chers collègues, mais il ne s’agit pas ici d’un transfert de charges.

Je partage votre préoccupation quant au sort des collectivités, mais votre raisonnement est biaisé. Le maire que j’ai été pendant quinze ans se souvient très bien qu’il a perdu au fil du temps 90 % de ses dotations ; ce n’était pas sous le gouvernement actuel ! Mon premier adjoint, qui m’a relayé à la mairie, est heureux que, enfin, les dotations aient cessé de baisser. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sophie Primas. Chez moi, cela continue de baisser !

M. Arnaud de Belenet. Passer de 1,5 million à 186 000 euros de dotations sur six exercices, à partir de 2007, c’était douloureux. Il faudrait donc que chacun assume sa part de responsabilité dans la situation des finances des collectivités. Pardonnez-moi, mes chers collègues, mais votre réaction m’oblige à le faire.

Mme Sophie Primas. C’est un mensonge !

M. Arnaud de Belenet. Non, c’est une réalité. À mes yeux, il y a ici non pas un transfert de charges, mais une nouvelle réglementation, qui impose une obligation à l’ensemble des acteurs, y compris les collectivités.

S’il faut que celui qui décide paye, alors c’est à l’Europe de payer ! L’emploi des fonds européens est d’ailleurs un vrai sujet : dans tous les départements, nous sous-consommons les aides de l’Europe aux collectivités.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Voilà la solution ! Bonne idée !

M. Arnaud de Belenet. Voilà un vrai sujet de mobilisation. L’ensemble des préfectures ont d’ailleurs pour consigne aujourd’hui de remobiliser les collectivités pour aller chercher ces crédits, car c’est un réel moyen de financement.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Arnaud de Belenet. Cela ne financera pas directement, mais disons honnêtement les choses : il n’y a pas de transfert de charges, il y a une obligation.

Est-il raisonnable et responsable que le Sénat ne défende sur ce point que les collectivités ? Il faudrait aussi abonder aux dépenses des entreprises et des autres acteurs concernés. Allons au bout de notre logique, soyons honnêtes ! (M. François Patriat applaudit.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 110.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 146, présenté par Mme M. Carrère, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 6

Rédiger ainsi cet alinéa :

« Cette dotation, composée d’une part fixe s’élevant à 5 000 euros, est complétée d’une part variable, déterminée en fonction de la population des communes s’élevant :

II. – Pour compenser la perte de recettes résultant du I, compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

… – La perte de recettes résultant pour l’État du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

La parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Je risque malheureusement d’être redondante, mais cet amendement vise surtout à insister sur le coût du RGPD et sur la responsabilisation qui s’imposera à chaque acteur. Celle-ci nécessitera un important investissement humain et technologique, qui reste mal évalué dans les collectivités.

Le manque de compétences informatiques au sein des collectivités territoriales, notamment des plus petites d’entre elles, rend cette transition d’autant plus difficile qu’elle les place dans une situation peu favorable pour évaluer le coût réel des services proposés pour le traitement de données personnelles. Dans certains cas, les relations avec les éditeurs de logiciels sont également la source de difficultés, qui rejoignent le problème plus général de détermination du prix d’un marché public.

Il en résulte que les services de traitement des données personnelles proposés aux collectivités territoriales sont onéreux, y compris quand, dans les petites communes rurales, ils ne concernent que quelques centaines de personnes ; j’en parle d’expérience sur mon territoire.

L’objet de cet amendement est donc de rappeler la réalité du coût de la mise en œuvre de cette mise en conformité.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Au vu du niveau de notre dialogue avec le Gouvernement concernant la nouvelle charge qui pèse sur les collectivités, ce serait un vrai cadeau, une pochette-surprise, que d’accorder 5 000 euros supplémentaires à chaque commune, ce qui est tout de même considérable !

La commission avait pensé demander le retrait de cet amendement. Néanmoins, comme il s’agit d’un amendement d’appel, elle s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Il est défavorable, monsieur le président.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 146.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 19 bis.

(Larticle 19 bis est adopté.)

Article 19 bis (nouveau)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la protection des données personnelles
Article additionnel après l'article 19 ter - Amendement n° 81

Article 19 ter (nouveau)

Le code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :

1° La deuxième phrase du troisième alinéa de l’article L. 5111-1 est ainsi modifiée :

a) Les mots : « ou entre » sont remplacés par le mot : « , entre » ;

b) Sont ajoutés les mots : « , ou, à défaut, entre une commune et un syndicat mixte » ;

2° La première phrase du III de l’article L. 5111-1-1 est ainsi modifiée :

a) Au début, sont ajoutés les mots : « Les communes et leurs groupements, » ;

b) Les mots : « et les régions » sont remplacés par les mots : « les régions ».

M. le président. L’amendement n° 118, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Par cet amendement, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement vous demande de supprimer l’article 19 ter, introduit lors de l’examen du texte en commission.

Cet article modifie le régime des dispositifs de mutualisation, qui sont encadrés par les articles L. 5111-1 et L. 5111-1-1 du code général des collectivités territoriales, ou CGCT. Le Gouvernement est naturellement favorable au développement des formes de mutualisation entre les collectivités territoriales et leurs groupements. (Exclamations ironiques.)

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Très bien !

M. Jean-Pierre Sueur. C’est formidable !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Néanmoins, la rédaction de l’article 19 ter présente, selon nous, plusieurs inconvénients au regard de l’objectif louable de la commission.

À titre liminaire, il convient de relever que cet article modifie l’économie des dispositifs de mutualisation. On peut s’interroger sur le lien qu’il présente avec le texte en discussion, qui est relatif à la protection des données. Sur le fond, l’article 19 ter opère des modifications qui posent des difficultés au regard des objectifs d’intégration communautaire.

Premièrement, ce nouvel article modifie la deuxième phrase du troisième alinéa de l’article L. 5111-1 du CGCT, afin de permettre la conclusion de conventions de prestations de services entre, d’une part, des communes et des syndicats intercommunaux, et, d’autre part, une commune et un syndicat mixte.

L’article 19 ter concourt ainsi au maintien d’un syndicat inclus dans un EPCI à fiscalité propre, au lieu de privilégier des transferts de compétences du syndicat au bénéfice de l’EPCI à fiscalité propre dont sont membres les communes contractantes.

Dès lors, par cet article, la loi encouragerait de telles formules, alors que, au travers des schémas départementaux de coopération intercommunale, de la loi de réforme des collectivités territoriales de 2010 et de la loi Nouvelle organisation territoriale de la République de 2015, le législateur a souhaité à l’inverse renforcer l’intégration communautaire et la diminution du nombre de syndicats.

Deuxièmement, cet article modifie la première phrase du III de l’article L. 5111-1-1, en en étendant le bénéfice aux communes et à leurs groupements. Ces assouplissements envisagés sont de nature à aller à l’encontre de la logique de l’intégration communautaire, les transferts de compétences constituant le mode de relation privilégié entre les communes et les intercommunalités, de nature à sécuriser les actes et interventions.

Or le conventionnement en vue de réaliser des prestations de service est considéré comme une exception aux principes de spécialité et d’exclusivité. La modification du III de l’article L. 5111-1-1 du CGCT va donc à l’encontre des principes de rationalisation des intercommunalités, me semble-t-il, en permettant la création d’un syndicat mixte ouvert associant des communes et les EPCI dont ils sont membres.

Je souhaiterais enfin rappeler qu’il existe aujourd’hui de très nombreux dispositifs de mutualisation, qui sont d’ailleurs rappelés par une circulaire du 30 novembre 2015 de la direction générale des collectivités locales. Ainsi, le droit des mutualisations est un sujet vraiment complexe, qui mérite sans doute que l’on s’y attarde beaucoup plus longuement qu’au travers d’un amendement sur un projet de loi traitant de toute autre chose.

Je sais que mon collègue ministre d’État, ministre de l’intérieur souhaite faire avancer ce dossier dans le cadre de la prochaine réunion de la conférence nationale des territoires, qui est prévue dans les mois prochains. Il me semble préférable de traiter ce sujet dans ce cadre général plutôt qu’à l’occasion de l’examen de ce projet de loi. En effet, le risque serait d’aboutir à un texte incomplet, voire inapplicable.

C’est pour l’ensemble de ces raisons que le Gouvernement vous propose, mesdames, messieurs les sénateurs, de supprimer l’article 19 ter.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. L’article 19 ter est né de l’audition que nous avons menée avec l’Assemblée des départements de France, les centres de gestion et deux représentants de syndicats de communes.

Notre ambition n’est pas forcément de tout prévoir en lieu et place des communes. Nous entendons simplement leur offrir un panel de solutions ; certaines communes ont d’ailleurs commencé à les utiliser, même si elles sont très peu nombreuses à le faire en France. Certaines communes sont proches de syndicats mixtes déjà existants, d’autres de communautés d’agglomération, d’autres encore de communautés de communes, d’autres du département ou du centre de gestion…

De fait, cet article va dans le sens de la libre administration des collectivités territoriales : celles-ci doivent pouvoir choisir la manière dont elles souhaitent se mutualiser. La France n’est pas encore l’Union soviétique, Dieu merci !

La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement de suppression.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 118.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 19 ter.

(Larticle 19 ter est adopté.)

Articles additionnels après l’article 19 ter

Article 19 ter (nouveau)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la protection des données personnelles
Article additionnel après l'article 19 ter - Amendement n° 28 rectifié ter

M. le président. L’amendement n° 81, présenté par M. L. Hervé, est ainsi libellé :

Après l’article 19 ter

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Au deuxième alinéa de l’article L. 1425-2 du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :

1° À la première phrase, le mot : « peuvent » est remplacé par le mot : « doivent » ;

2° La dernière phrase est supprimée.

La parole est à M. Loïc Hervé.

M. Loïc Hervé. Cet amendement vise à envoyer un signal aux collectivités locales, pour qu’elles s’emparent de la question du numérique sur les territoires.

Nous avons évoqué ce sujet à de nombreuses reprises, mais nos collègues élus locaux ont pu quelque peu négliger cette question, et cela depuis de très nombreuses années. La question des réseaux, certes, est tellement liée à la vie quotidienne que la mobilisation est sur ce point plus importante. En revanche, elle l’est moins sur la question des usages.

Dès lors, compte tenu de l’importance croissante du numérique dans notre société, de son impact et des enjeux qui s’y rapportent – dématérialisation des services, inclusion numérique, ouverture, sécurisation et protection des données –, il est assez surprenant que les collectivités locales ne soient pas tenues d’élaborer une stratégie de développement des usages et des services numériques sur leur territoire à l’échelon le plus adapté.

Dans la loi Montagne, cette stratégie avait été mise en œuvre, mais pour les seules zones de montagne. Nous vous proposons à présent de la déployer sur le territoire national tout entier. Encore une fois, ce n’est pas une obligation nouvelle ; c’est une incitation forte du législateur à ce que les élus locaux s’emparent eux-mêmes de cette question de la stratégie du numérique dans les territoires.

De mon point de vue, nous ne serions pas le Sénat si nous n’adressions pas ce message à nos collègues élus. On sent bien que c’est important, eu égard à la question des données personnelles dans le débat qui nous intéresse aujourd’hui. Ce n’est pas une contrainte nouvelle, c’est une incitation forte du législateur.

La stratégie elle-même n’est pas définie – il ne s’agit pas d’un schéma de cohérence territoriale ; il s’agit bien plutôt d’une invitation assez directive à nos collègues, pour qu’ils déploient une telle stratégie sur leur territoire.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Cet amendement vise à rendre obligatoire l’établissement par les collectivités d’une stratégie de développement des usages et services numériques.

L’intention est louable, et ce sera un jour nécessaire, bien entendu, mais, aujourd’hui, les collectivités ont d’abord besoin de s’adapter, de passer la première étape avant d’aborder la seconde. La commission ne souhaite donc pas multiplier les documents de planification obligatoires à leur charge, du moins aujourd’hui.

C’est pourquoi, mon cher collègue, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je partage l’avis de Mme la rapporteur. Je considère en outre que le lien de cet amendement avec le texte qui nous occupe, et qui a pour objet les données personnelles, est quelque peu ténu. Vous cherchez, monsieur le sénateur, à inciter les communes à développer une telle stratégie, mais vous instaurez plus qu’une incitation : il s’agit bien d’une obligation !

C’est pourquoi le Gouvernement demande le retrait de cet amendement, faute de quoi il émettrait un avis défavorable.

M. le président. Monsieur Hervé, l’amendement n° 81 est-il maintenu ?

M. Loïc Hervé. Je vais maintenir cet amendement, quel que soit son destin, parce que je suis persuadé que cette question doit être traitée au niveau le plus bas de la subsidiarité, c’est-à-dire à l’échelle des collectivités territoriales.

À l’occasion d’un tel texte, après le débat financier que nous avons eu, nous devons être capables de fixer le cap, en tant que législateur, et d’inviter les élus locaux à prendre en main ces sujets, qu’il s’agisse des réseaux ou des usages. Le Sénat a fusionné l’ensemble des groupes d’études qui touchaient au numérique pour créer un nouveau groupe, sous la tutelle du président du Sénat et de l’ensemble des présidents de commission. Nous nous inscrivons précisément dans cette démarche.

Dès lors, si nous voulons favoriser les synergies et les rencontres entre les communes, entre les intercommunalités, à l’échelon le plus bas de l’administration territoriale du pays, rejeter cet amendement serait une erreur. C’est pourquoi je vais le maintenir, au moins pour le principe : j’estime qu’il s’agit d’un sujet d’importance.

Nous n’avons eu de cesse de regretter que, depuis quarante ans, les obligations faites aux collectivités locales, y compris dans le domaine du traitement des données, n’aient pas été suffisamment prises en compte. Cela crée, madame la garde des sceaux, un lien avec le texte en discussion qui est beaucoup moins ténu qu’on ne peut le penser.

Je maintiens donc cet amendement, monsieur le président.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 81.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article 19 ter - Amendement n° 81
Dossier législatif : projet de loi relatif à la protection des données personnelles
Article 20 (supprimé)

M. le président. L’amendement n° 28 rectifié ter, présenté par M. Chaize, Mme Eustache-Brinio, M. Sol, Mme Giudicelli, M. Hugonet, Mmes Lavarde et Garriaud-Maylam, M. Lefèvre, Mme Estrosi Sassone, MM. Savary, Bazin et Vaspart, Mme Lassarade, MM. D. Laurent, Kennel et Mouiller, Mmes Boulay-Espéronnier, Deromedi, Lamure et Deseyne, MM. Paccaud, Poniatowski, Buffet, de Nicolaÿ, Bonhomme, Milon, Bascher et Vogel, Mmes Deroche et Imbert, M. Bouchet, Mme de Cidrac et MM. Bonne, Revet, Laménie et Gremillet, est ainsi libellé :

Après l’article 19 ter

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

1° Le second alinéa de l’article L. 233-1 du code de la sécurité intérieure est complété par les mots : « ou par le responsable ou les responsables conjoints de traitements de données à caractère personnel à finalité statistique pour l’exercice de leurs missions de régulation du trafic routier ou d’organisation de la mobilité » ;

2° L’article L. 330-1 du code de la route est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsque les traitements automatisés de données à caractère personnel ont une finalité statistique, ils restent soumis aux dispositions de l’article 36 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. »

La parole est à M. René-Paul Savary.

M. René-Paul Savary. Cet amendement a pour objet la lecture automatisée des plaques d’immatriculation. Nous proposons d’insérer dans le projet de loi un article additionnel aux termes duquel les traitements automatisés de données à caractère personnel, lorsqu’ils ont une finalité statistique, restent soumis aux dispositions de l’article 36 de la loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Cet amendement tend à autoriser l’utilisation de la technologie de lecture automatisée des plaques d’immatriculation pour produire des informations statistiques à des fins de régulation du trafic routier ou d’organisation de la mobilité.

Pour l’heure, cette technologie est réservée aux forces de police et de gendarmerie, à des fins de prévention ou de répression d’infractions pénales particulièrement graves, comme le terrorisme, la criminalité organisée, la contrebande en bande organisée, le vol et le recel de véhicules, ou encore d’infractions douanières. La loi de modernisation de la justice du XXIsiècle a prévu d’étendre son utilisation à la constatation des infractions au code de la route, mais on attend toujours le décret d’application.

Il ne paraît pas opportun d’étendre aujourd’hui l’utilisation d’une technique aussi intrusive à des fins de gestion de la mobilité, d’autant que l’amendement ne tend pas même à réserver expressément son utilisation à des personnes publiques.

En conséquence, je vous demande, mon cher collègue, de bien vouloir retirer cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. C’est le même avis : le Gouvernement sollicite le retrait de cet amendement.

M. le président. Monsieur Savary, l’amendement n° 28 rectifié ter est-il maintenu ?

M. René-Paul Savary. La question mérite d’être posée. En effet, aujourd’hui, les sociétés privées de contrôle du stationnement payant, par exemple, disposent également d’un système leur permettant de relever au passage, depuis une voiture dotée de caméras, les numéros d’immatriculation des véhicules en stationnement. Il faut donc que des dispositions clarifient la protection de ces données.

Je prends note de la demande de retrait de cet amendement, mais, à terme il faudra trouver des solutions dans ce domaine.

Cela dit, je retire l’amendement, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 28 rectifié ter est retiré.

TITRE IV

HABILITATION À AMÉLIORER L’INTELLIGIBILITÉ DE LA LÉGISLATION APPLICABLE À LA PROTECTION DES DONNÉES

(Division et intitulé supprimés)

Article additionnel après l'article 19 ter - Amendement n° 28 rectifié ter
Dossier législatif : projet de loi relatif à la protection des données personnelles
Article 20 bis (supprimé)

Article 20

(Supprimé)

M. le président. L’amendement n° 111, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

I. – Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par voie d’ordonnance les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires :

1° À la réécriture de l’ensemble de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés afin d’apporter les corrections formelles et les adaptations nécessaires à la simplification et à la cohérence ainsi qu’à la simplicité de la mise en œuvre par les personnes concernées des dispositions qui mettent le droit national en conformité avec le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE et transposent la directive (UE) 2016/680 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d’enquêtes et de poursuites en la matière ou d’exécution de sanctions pénales, et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la décision-cadre 2008/977/JAI du Conseil, telles que résultant de la présente loi ;

2° Pour mettre en cohérence avec ces changements l’ensemble de la législation applicable à la protection des données à caractère personnel, apporter les modifications qui seraient rendues nécessaires pour assurer le respect de la hiérarchie des normes et la cohérence rédactionnelle des textes, harmoniser l’état du droit, remédier aux éventuelles erreurs et omissions résultant de la présente loi et abroger les dispositions devenues sans objet ;

3° À l’adaptation et à l’extension à l’outre-mer des dispositions prévues aux 1° et 2° ainsi qu’à l’application à Saint-Barthélemy, à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, à Wallis-et-Futuna et dans les Terres australes et antarctiques françaises de l’ensemble des dispositions de la même loi du 6 janvier 1978 relevant de la compétence de l’État.

II. – Cette ordonnance est prise, après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi.

III. – Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de six mois à compter de la publication de l’ordonnance.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. La commission des lois a supprimé l’article d’habilitation proposé par le Gouvernement et adopté par l’Assemblée nationale. Le présent amendement a pour objet de rétablir cet article.

Dans le respect absolu des prérogatives du Parlement, le Gouvernement a décidé de déposer un projet de loi permettant de mettre en œuvre le règlement européen et de transposer la directive, sans solliciter d’ordonnance pour ce faire. Les assemblées sont donc saisies des dispositions législatives nécessaires pour assurer la conformité de notre droit national à cette nouvelle réglementation européenne ; aucun des choix politiques ou juridiques pour ce faire n’est ainsi soustrait à l’appréciation du Parlement.

Le Gouvernement souhaite naturellement que soit respectée l’échéance du 25 mai 2018, date à laquelle le règlement européen sera applicable. C’est pourquoi il a fait le choix d’un texte très resserré, et non d’une réécriture de l’ensemble de la loi de 1978, qui eût été beaucoup plus complexe, pour ne procéder qu’aux seuls ajustements rendus nécessaires par la mise en conformité.

Le présent projet de loi procède par ailleurs d’une problématique légistique nouvelle et complexe : il s’agit de tirer les conséquences tant d’un règlement d’application directe que d’une directive, dont les dispositions doivent être transposées dans la loi, alors même que ces deux instruments européens portent sur des questions souvent similaires et, dans tous les cas, étroitement liées.

C’est la raison pour laquelle le Gouvernement sollicite du Parlement une habilitation pour codifier les modifications apportées à notre droit par ce projet de loi dans la loi fondatrice de 1978.

Ainsi, nous offrirons un cadre juridique lisible, sécurisé et stable à chaque citoyen et acteur économique de notre pays. Je le répète, il ne s’agira aucunement de revenir sur les choix politiques que le Parlement sera amené à faire lors du vote du texte. Non seulement le Gouvernement s’y engage, mais cet engagement résulte des termes mêmes de l’habilitation qui vous est soumise. Le Conseil d’État, dans son avis sur le projet de loi, a validé cette démarche, tout en réduisant le délai d’habilitation à six mois. Vous proposez quant à vous, madame la rapporteur, de ramener ce délai à quatre mois.

L’habilitation sollicitée permettra d’adopter, pour la loi de 1978, un plan clair : un titre Ier rappellera les principes fondamentaux et les pouvoirs étendus de la CNIL, un titre II sera consacré au champ du règlement, un titre III à celui de la directive, et un titre IV aux dispositifs hors du champ de l’Union.

L’ordonnance permettra également de mettre en cohérence l’ensemble de la législation applicable à la protection des données à caractère personnel, afin d’apporter les modifications qui seraient rendues nécessaires pour assurer le respect de la hiérarchie des normes et la cohérence rédactionnelle des textes, harmoniser l’état du droit, remédier aux éventuelles erreurs et omissions résultant de la présente loi et abroger les dispositions devenues sans objet.

La démarche adoptée par le Gouvernement consiste donc à soumettre au Parlement les questions posées par la transcription dans notre droit des nouvelles règles européennes sans avoir à employer son temps, que l’on sait précieux, à opérer une codification qui ne pourra qu’intervenir à droit constant, compte tenu des termes mêmes de l’habilitation et de la nécessité d’offrir aux citoyens un cadre juridique clair et lisible.

M. le président. Le sous-amendement n° 156, présenté par Mme Joissains, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Amendement n° 111

I. – Alinéa 2

Après le mot :

Constitution

insérer les mots :

et dans le respect des dispositions prévues aux titres Ier à III bis de la présente loi

II. – Alinéa 6

Remplacer le mot :

six

par le mot :

quatre

La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Il me semble possible – j’espère que vous partagerez mon opinion, mes chers collègues –, au vu des explications apportées par le Gouvernement, d’accepter le rétablissement de l’habilitation sollicité par le Gouvernement, mais à condition que soit adopté le présent sous-amendement.

Comme je l’ai déjà dit hier en introduction à nos débats, le caractère inintelligible des nouvelles normes relatives à la protection des données est un enjeu démocratique d’accessibilité du droit pour les citoyens et de sécurité juridique pour les acteurs économiques.

À ce titre, le Gouvernement vient de s’engager devant le Sénat à offrir un cadre juridique lisible consistant en une simple codification, sans rien changer aux décisions du Parlement. Je pense évidemment à nos collectivités territoriales et à nos TPE et PME. Il s’est également engagé à informer régulièrement le Parlement de l’avancement du projet d’ordonnance.

Le présent sous-amendement vise à prendre acte de ces engagements donnés au Sénat et à encadrer à double titre l’habilitation sollicitée. Sur le fond, il a pour objet de préciser expressément que l’ordonnance ne pourra modifier les équilibres auxquels sera parvenu le Parlement.

Dans le temps, il tend à réduire à quatre mois le délai offert au Gouvernement pour prendre cette ordonnance, le ministère nous ayant rassurés lors des auditions sur le fait qu’elle était presque prête ; en même temps, il faut qu’elle soit complète et véritablement lisible. Un délai plus court devrait tout de même permettre de limiter au minimum la période transitoire séparant l’entrée en vigueur du RGPD, le 25 mai 2018, et celle de l’ordonnance de clarification.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur le sous-amendement n° 156 ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je vous remercie, madame la rapporteur, d’avoir entendu les arguments du Gouvernement et de me faire des contre-propositions.

Sur le premier point, je ne m’attarderai pas, puisque j’accepte tout à fait la modification que vous proposez.

Vous me permettrez d’être un peu plus réservée sur le second point de votre sous-amendement, c’est-à-dire quant à la durée dans laquelle vous souhaitez que soit inscrite la démarche de rédaction de l’ordonnance. En effet, vous entendez ramener de six mois à quatre mois le laps de temps que vous laissez au Gouvernement.

Avant tout, je tiens à rappeler que le délai que nous avions envisagé initialement, dix-huit mois, a déjà été ramené à six mois par le Conseil d’État.

J’entends bien évidemment la nécessité dont vous faites état de procéder le plus rapidement possible à la clarification, donc à la réécriture du texte. Je précise toutefois que cet exercice doit bien entendu se faire de manière sereine, et non pas dans la précipitation. Vous n’ignorez évidemment pas que nous devons aussi procéder à un certain nombre d’auditions, notamment celle de représentants de la CNIL.

Il convient donc, tout d’abord, que le texte soit définitivement voté pour que nous puissions disposer d’une vision d’ensemble pour procéder à la remise en forme cohérente de la loi de 1978, sans remettre en cause – je le répète et, dorénavant, ce sera écrit grâce à vos propositions – les choix fondamentaux réalisés dans le projet de loi, de façon à garantir une meilleure accessibilité de l’ensemble du droit.

Il nous faut également procéder à diverses consultations, en particulier avec les collectivités de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française, afin d’étendre les dispositions de la loi à ces collectivités et de les adapter à leur situation.

Pour ces raisons, je suis plus réservée sur la seconde partie de votre sous-amendement, et il me faut donc émettre à son encontre un avis défavorable. Soyez assurée, madame la rapporteur, que, en tout état de cause, entre l’adoption de la loi et la sortie de l’ordonnance tous les outils pédagogiques et de communication seront mis en place, en collaboration avec la CNIL, au service des citoyens, des entreprises et des collectivités locales.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur ce sous-amendement.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Madame la garde des sceaux, vous mesurez certainement l’ampleur de l’effort que la commission se propose de faire.

Nous avions rejeté, en commission, le principe même de cette ordonnance. Le texte de la commission des lois n’en porte plus la trace.

Vous avez présenté un amendement, à la suite d’échanges que les collaborateurs du ministère de la justice ont eus avec Mme la rapporteur : ils se sont montrés aussi convaincants que possible et ont fait valoir que l’objet de cette ordonnance s’apparente à un exercice de codification, même s’il ne s’agit pas d’un code : il s’agit d’intégrer à la loi de 1978 Informatique et les libertés des dispositions éparses, en veillant à leur cohérence, et cela sans ajouter à ce qui sera le droit positif après la promulgation de la loi.

Nous comprenons bien l’intérêt de cette démarche et la nécessité d’une plus grande lisibilité pour ceux qui ont à appliquer la loi. Quand nous avons défendu les collectivités territoriales qui se voient assigner de nouvelles responsabilités, nous avons naturellement pris en compte la nécessité pour elles de disposer de textes lisibles. C’est pourquoi nous sommes prêts à faire mouvement – mais pas à n’importe quelles conditions !

Or, madame la garde des sceaux, lorsque nous avons appris, de la bouche même de vos collaborateurs du ministère de la justice, que cette ordonnance était pratiquement prête, nous avons véritablement jugé nécessaire de prévoir un délai court, en contrepartie du sacrifice que nous acceptons de ne pas légiférer nous-mêmes de la manière la plus complète.

C’est la raison pour laquelle nous ne proposerons pas au Sénat l’adoption de l’amendement du Gouvernement si le sous-amendement de la commission des lois n’est pas préalablement adopté, et cela sans modification.

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Monsieur le président de la commission, j’ai remercié la commission et Mme la rapporteur de leur proposition ; je mesure pleinement le travail que vous avez accompli en ce sens.

Je répète encore une fois que, même si les services de la Chancellerie ont entamé la rédaction de la future ordonnance, ce travail ne pourra véritablement commencer qu’à partir du moment où ce projet de loi sera adopté. Or nous ne connaissons pas encore précisément les choix du Parlement ; nous faisons, nous aussi, mouvement vers le Parlement. C’est ainsi que se construisent les bonnes et belles lois.

C’est la raison pour laquelle je crains que, une fois ce texte adopté, quand nous devrons engager des consultations, notamment avec la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie, et travailler avec la CNIL, qui est très attachée à la rédaction de la loi de 1978, nous n’ayons à faire face aux difficultés que j’ai mentionnées.

Il n’en reste pas moins que j’ai conscience du travail que la Haute Assemblée a accompli.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Madame la garde des sceaux, il y a le texte et il y a le contexte.

Certains, que je connais bien, sont tellement furieux de la façon dont on utilise aujourd’hui l’argument de l’ordonnance…

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Ce n’est pas un argument !

M. Jean-Pierre Sueur. … qu’ils seraient prêts à vous proposer, dans le cadre de la réforme de la Constitution, qu’il n’y en ait plus. Jadis existaient les décrets-lois ; aujourd’hui, ce sont des ordonnances. (M. Loïc Hervé sexclame.)

Pour ma part, je ne suis pas aussi radical : je pense que les ordonnances peuvent être utiles, par exemple pour la codification à droit constant ou, dans un certain nombre de cas, pour la transposition de directives européennes.

Soyons réalistes, mais n’ignorons pas que nous entrons dans la journée du 22 mars 2018…

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Oui !

M. Jean-Pierre Sueur. … et que certains de vos collègues – mais pas vous-même, madame la garde des sceaux – ont en quelque sorte brandi l’ordonnance comme une menace : « il y aura des ordonnances, mais, si cela se passe bien, il y en aura peut-être moins »…

Je vous l’assure : c’est nul, cela ne sert à rien et provoque plutôt l’effet contraire de celui qui est visé. Ce procédé est tout à fait inefficace et, je le dis franchement, n’est pas respectueux.

En outre, madame la garde des sceaux, depuis la réforme de 2008, une loi de ratification doit succéder à une loi d’habilitation. Jusqu’à présent, tous les amendements sont possibles, et nous espérons que cela va durer, avec votre aide et votre concours.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Certainement !

M. Jean-Pierre Sueur. En effet, vous tenez aux droits du Parlement et savez que les amendements sont comme l’air que nous respirons. Nous ne pouvons que tenir au droit d’amendement.

Le temps que vous croyez gagner en limitant le nombre d’amendements, vous le perdrez, parce qu’il faudrait examiner deux projets de loi…

C’est pourquoi, dans ce contexte du 22 mars, car il se passe tout de même quelque chose ce jour-là dans le pays, madame la garde des sceaux (Sourires)

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Jean-Pierre Sueur. J’arrive justement à la conclusion de mon propos, monsieur le président, et je vous remercie de me rappeler à l’ordre.

Madame la garde des sceaux, si nous acceptons le sous-amendement de Mme Joissains, pour pouvoir voter ce que vous proposez, c’est que nous avons un grand sens des responsabilités…

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Ah oui !

M. Jean-Pierre Sueur. … et que nous pensons qu’il ne faut pas y voir un consentement à des ordonnances menaces que nous récusons de toutes nos forces. (Mme le rapporteur et M. Jérôme Bascher applaudissent.)

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Bravo !

M. le président. Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, il est minuit. Je vous propose de poursuivre nos travaux, afin d’achever l’examen de ce texte.

Il n’y a pas d’opposition ?…

Il en est ainsi décidé.

La parole est à M. Loïc Hervé, pour explication de vote.

M. Loïc Hervé. En décidant ou en proposant de recourir aux ordonnances, le Gouvernement prend la responsabilité de l’intelligibilité de la loi. Je le dis en tant que membre de la CNIL, mais aussi et surtout eu égard aux utilisateurs, aux usagers et aux gestionnaires de données.

Je peux paraître quelque peu moraliste ou donneur de leçons, mais il est très important que, dans un travail de codification – visiblement, celui-ci est largement entamé –, un soin tout particulier soit porté, afin que cette loi soit…

Mme Sylvie Robert. Intelligible !

M. Loïc Hervé. … comprise et, en effet, rédigée de façon intelligible.

Je l’ai souligné lors de la discussion générale ; c’était même la première phrase de mon propos : ce projet de loi n’est pas un texte technique, c’est un texte politique. Pour autant, il ne faudrait pas que les dispositions prises par ordonnances soient uniquement techniques. Faisons en sorte que ce texte soit bien compris par ceux qui vont l’utiliser.

J’espère avoir bien résumé ma pensée. À partir du moment où le Parlement, notamment le Sénat, accepte de se déposséder de sa plume législative, madame la garde des sceaux, il faut que vos services prennent en compte cette notion. C’est important pour la Commission nationale de l’informatique et des libertés, mais aussi pour nos compatriotes.

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 156.

(Le sous-amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 111, modifié.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, l’article 20 est rétabli dans cette rédaction.

Article 20 (supprimé)
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Article 21

Article 20 bis

(Supprimé)

M. le président. L’amendement n° 112, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

I. – Le livre II du code de la consommation, dans sa rédaction résultant de l’article 48 de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique, est ainsi modifié :

1° La sous-section 4 de la section 3 du chapitre IV du titre II est abrogée ;

2° Au premier alinéa de l’article L. 242-20, la référence : « L. 224-42-3 » est supprimée.

II. – Le II de l’article 48 de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique est abrogé.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. La commission des lois a réintroduit l’article 48 de la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique, qui avait été abrogé par l’Assemblée nationale.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. La République est démocratique !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Oui, mais, dans ce texte, elle est numérique ! (Sourires.)

Cet article prévoit un droit à la portabilité des données non personnelles pour le consommateur. Il s’agit de permettre à ce dernier de récupérer les fichiers qu’il a mis en ligne, par exemple celles qui résultent de l’utilisation de son adresse électronique. Or il s’agit en réalité de données à caractère personnel, qui sont donc régies par le droit à la portabilité, tel qu’il est consacré à l’article 20 du RGPD.

Cette lecture a d’ailleurs été confirmée par les lignes directrices relatives au droit à la portabilité des données qui ont été adoptées par le groupe de travail « G 29 » sur la protection des données, lesquelles adoptent une interprétation très large de la notion de portabilité des données personnelles.

Les dispositions issues de l’article 48 de la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique doivent donc être supprimées pour des raisons de cohérence et de sécurité juridique. Les opérateurs économiques partagent l’analyse selon laquelle toutes les données visées relèvent en réalité d’un seul et même régime juridique, celui de la portabilité des données personnelles.

Ce régime est d’ailleurs plus aisé à mettre en œuvre que celui des données non personnelles, puisqu’il permet une portabilité directement de terminal à terminal et une transmission des données directement d’un responsable de traitement à un autre, lorsque cela est techniquement possible.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement estime préférable d’abroger l’article 48 de la loi du 7 octobre 2016.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Cet amendement vise à supprimer le droit à la récupération et à la portabilité des données non personnelles introduit dans le code de la consommation par la loi pour une République numérique.

Certes, la portabilité des données personnelles est désormais bien assurée dans le cadre du RGPD. C’est l’un des nouveaux droits introduits par le règlement, et il faut s’en réjouir. Reste que ce droit ne concerne que la portabilité des données personnelles.

Le droit à la récupération et à la portabilité des données non personnelles est différent ; il est uniquement prévu par le code de la consommation. Il s’agit, concrètement, de faciliter le passage des consommateurs d’un opérateur de services électroniques à un autre, à savoir l’exportation de mails, de fichiers, de playlists. Il s’agit d’un réel enjeu non seulement pour les consommateurs, mais aussi pour la concurrence.

Il convient absolument de conserver ce droit à la récupération et à la portabilité des données non personnelles, qui n’est en rien satisfait par le RGPD.

Pour achever de vous convaincre, madame la garde des sceaux, permettez-moi de vous citer l’avis de deux autorités en la matière.

Tout d’abord, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, dont Mounir Mahjoubi a souligné la qualité du rapport sur la neutralité des terminaux, se réjouit en ces termes des avancées de la loi pour une République numérique : « Les consommateurs bénéficient désormais d’un droit de récupérer leurs données, puisque les fournisseurs de services de communication au public en ligne ont une obligation de mettre en place une fonctionnalité permettant au consommateur de récupérer “l’ensemble de ses données”, un périmètre qui inclut des données personnelles, pour lesquelles la CNIL est compétente, et des données non personnelles, pour lesquelles la DGCCRF est compétente. »

Ensuite, la direction des affaires civiles et du sceau – autorité peut-être encore plus convaincante ! –, répondant au mois de février 2017 aux députés rapporteurs de la mission d’information sur les incidences des nouvelles normes européennes en matière de protection des données personnelles sur la législation française, a elle-même confirmé que les deux régimes de portabilité étaient bien distincts et « cohérents ».

À la page 87 de cet excellent rapport parlementaire, il est précisé : « Les données n’ayant pas un caractère personnel visées par [le droit à la portabilité de la loi pour une République numérique] sont les données anonymes au sens du règlement […] Ces données étant situées hors du champ d’application du règlement, les deux régimes de portabilité sont […] compatibles. …ces deux régimes semblent cohérents. »

Pour toutes ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 112.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. En conséquence, l’article 20 bis demeure supprimé.

TITRE V

DISPOSITIONS DIVERSES ET FINALES

Article 20 bis (supprimé)
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Article 22 (Texte non modifié par la commission)

Article 21

I. – La loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est ainsi modifiée :

1° A Au second alinéa du II de l’article 13, après la référence : « 3° », est insérée la référence : « du I » ;

1° L’article 15 est ainsi modifié :

a) Le quatrième alinéa est supprimé ;

b) Aux cinquième et sixième alinéas, après la référence : « 2° », est insérée la référence : « du I » ;

c) Au septième alinéa, après la référence : « 4° », est insérée la référence : « du I » ;

d) (nouveau) Le dernier alinéa est supprimé ;

2° Les avant-dernier et dernier alinéas de l’article 16 sont supprimés ;

2° bis Au second alinéa de l’article 17, après la référence : « 2° », est insérée la référence : « du I » ;

2° ter Au second alinéa de l’article 21, après la référence : « 2° », est insérée la référence : « du I » ;

3° Au premier alinéa de l’article 29, la référence : « 25, » est supprimée ;

4° Le I de l’article 30 est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa, le mot : « déclarations, » est supprimé ;

b) Aux 2° et 6°, la référence : « 25, » est supprimée ;

5° Le I de l’article 31 est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa, la référence : « 23 à » est remplacée par la référence : « 26 et » ;

b) À la fin du 1°, les mots : « ou la date de la déclaration de ce traitement » sont supprimés ;

6° À la seconde phrase du second alinéa du II de l’article 39, les mots : « ou dans la déclaration » sont supprimés ;

6° bis À l’article 42, la référence : « 25, » est supprimée ;

7° L’article 67 est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa, les références : « 22, les 1° et 3° du I de l’article 25, les articles » sont supprimées ;

b) Le quatrième alinéa est supprimé ;

c) La seconde phrase de l’avant-dernier alinéa est supprimée ;

8° L’article 70 est abrogé ;

a et b) (Supprimés)

9° La seconde phrase de l’article 71 est supprimée.

II. – (Supprimé) – (Adopté.)

Article 21
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Article 23

Article 22

(Non modifié)

Pour les traitements ayant fait l’objet de formalités antérieurement au 25 mai 2018, la liste mentionnée à l’article 31 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée, arrêtée à cette date, est mise à la disposition du public, dans un format ouvert et aisément réutilisable pour une durée de dix ans.

M. le président. L’amendement n° 113, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

… – Par dérogation au I de l’article 22 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée, la mise en œuvre des traitements comportant le numéro d’inscription des personnes au répertoire national d’identification des personnes physiques qui ont été autorisés avant le 25 mai 2018 en application des articles 25 et 27 de la même loi, dans leur rédaction antérieure à la présente loi, ne sont pas soumis à l’obligation d’être mentionnés dans le décret prévu au premier alinéa de l’article 22 précité, sauf modification de ces traitements et au plus tard jusqu’au 25 mai 2020. Ces traitements restent soumis à l’ensemble des autres obligations découlant de ladite loi et du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. L’article 87 du RGPD prévoit que les États membres peuvent préciser les conditions spécifiques du traitement d’un numéro d’identification national.

Dans le cadre du projet de loi qui vous est soumis, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement a souhaité maintenir une formalité préalable particulière pour les traitements qui nécessitent l’utilisation du numéro d’inscription au répertoire national d’identification des personnes physiques, le NIR.

Ce type de traitement est ainsi autorisé par un décret pris après un avis motivé et publié de la CNIL, qui définit les catégories de responsables de traitement et les finalités pour lesquelles ces traitements peuvent être mis en œuvre. Ce décret-cadre a vocation à recenser l’ensemble des traitements existants utilisant le NIR.

Dans un objectif de sécurité juridique pour les administrations de l’État, les collectivités territoriales et les acteurs privés, il est prévu au travers de cet amendement que les traitements qui n’auraient pas été mentionnés dans l’une des catégories de responsables de traitement et pour une des finalités définies dans le décret-cade ne deviendront pas illégaux le 25 mai 2018 de ce seul fait.

J’insiste sur l’expression « de ce seul fait ». En effet, ces traitements restent soumis en tout état de cause à l’ensemble des autres obligations qui découlent de la loi et du règlement de 2016. Ainsi, les traitements qui ont été autorisés par acte réglementaire ou par la CNIL avant le 25 mai 2018 ne sont pas soumis jusqu’à leur modification, et au plus tard jusqu’au 25 mai 2020, à l’obligation d’être mentionnés dans le décret-cadre.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. La commission émet un avis favorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 113.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 22, modifié.

(Larticle 22 est adopté.)

Article 22 (Texte non modifié par la commission)
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Article 23 bis

Article 23

I. – L’article 230-8 du code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est ainsi rédigé :

« Le traitement des données à caractère personnel est opéré sous le contrôle du procureur de la République territorialement compétent, qui, d’office ou à la demande de la personne concernée, ordonne qu’elles soient effacées, complétées ou rectifiées, notamment en cas de requalification judiciaire, ou qu’elles fassent l’objet d’une mention. La rectification pour requalification judiciaire est de droit. L’effacement est de droit lorsque la demande concerne des données qui ne répondent pas aux conditions définies par l’article 230-7. Le procureur de la République se prononce dans un délai d’un mois sur les suites qu’il convient de donner aux demandes qui lui sont adressées. La personne concernée peut former cette demande sans délai à la suite d’une décision devenue définitive de relaxe, d’acquittement, de condamnation avec dispense de peine ou dispense de mention au casier judiciaire, de non-lieu ou de classement sans suite. Dans les autres cas, la personne condamnée ne peut former sa demande, à peine d’irrecevabilité, que lorsque ne figure plus dans le bulletin n° 2 de son casier judiciaire de mention de nature pénale en lien avec la demande d’effacement. En cas de décision de relaxe ou d’acquittement devenue définitive, les données personnelles concernant les personnes mises en cause sont effacées, sauf si le procureur de la République en prescrit le maintien, auquel cas elles font l’objet d’une mention. Lorsque le procureur de la République prescrit le maintien des données personnelles relatives à une personne ayant bénéficié d’une décision de relaxe ou d’acquittement devenue définitive, il en avise la personne concernée. En cas de décision de non-lieu ou de classement sans suite, les données personnelles concernant les personnes mises en cause sont effacées sauf si le procureur de la République en prescrit le maintien, auquel cas elles font l’objet d’une mention. Lorsque les données personnelles relatives à la personne concernée font l’objet d’une mention, elles ne peuvent faire l’objet d’une consultation dans le cadre des enquêtes administratives prévues aux articles L. 114-1 et L. 234-1 à L. 234-3 du code de la sécurité intérieure et à l’article 17-1 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d’orientation et de programmation relative à la sécurité. Les décisions du procureur de la République prévues au présent alinéa ordonnant le maintien ou l’effacement des données personnelles ou ordonnant qu’elles fassent l’objet d’une mention sont prises pour des raisons liées à la finalité du fichier au regard de la nature ou des circonstances de commission de l’infraction ou de la personnalité de l’intéressé. » ;

2° Au troisième alinéa, les mots : « en matière d’effacement ou de rectification des données personnelles » sont supprimés.

bis. – (Supprimé)

II. – Le premier alinéa de l’article 804 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :

« Le présent code est applicable, dans sa rédaction résultant de loi n° … du … relative à la protection des données personnelles, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna, sous réserve des adaptations prévues au présent titre et aux seules exceptions : ».

M. le président. L’amendement n° 114, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 3, troisième phrase

Supprimer cette phrase.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Cet amendement tend à supprimer le principe, ajouté par la commission des lois, de l’effacement de droit des données inscrites au traitement d’antécédents judiciaires, dont la conservation est interdite. En effet, l’effacement des données est naturellement de droit, sans nécessiter d’autre fondement légal que la loi de 1978.

Affirmer un droit à l’effacement spécifique au TAJ conduit à créer une disposition législative spéciale, alors qu’elle ne déroge en réalité pas au droit commun. Un tel ajout me semble dès lors inutile et susceptible par ailleurs de générer un a contrario, sauf à devoir modifier l’ensemble des traitements autorisés pour rappeler ce principe.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. La disposition que l’amendement du Gouvernement tend à supprimer vise précisément à inscrire dans la loi de manière très claire le droit à l’effacement général reconnu par le Conseil d’État.

Ce droit à l’effacement des données illégalement collectées doit être une évidence. Néanmoins, les services semblent visiblement avoir tendance à ne pas vouloir participer à l’effacement de ces données.

Alors que nous n’avons aucune garantie sur la future articulation entre les dispositions générales et spécifiques de la loi de 1978, il me semble nécessaire d’affirmer, de manière spécifique pour le TAJ, que l’effacement des données illégales est de droit. Je rappelle que, en application des dispositions votées à l’article 19 du projet de loi, notamment celles qui concernent l’article 70-21, cet effacement ne semble pas être consacré entièrement de plein droit. La précision apportée en commission reste donc utile.

Pour information, au 31 décembre 2017, que 14 396 267 personnes étaient enregistrées dans le TAJ en tant que mises en cause et 42 028 933 en tant que victimes. Au regard de cette masse de données, il semble indispensable de prévoir des garde-fous.

La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 114.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 115, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 3, quatrième phrase

Remplacer les mots :

d’un

par les mots :

de deux

II. – Alinéa 5

Rétablir le I bis dans la rédaction suivante :

I bis. – À la dernière phrase du deuxième alinéa de l’article 230-9 du code de procédure pénale, les mots : « d’un » sont remplacés par les mots : « de deux ».

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Cet amendement vise à rétablir l’allongement d’un à deux mois du délai de réponse des magistrats compétents pour traiter des demandes de rectification ou d’effacement des données inscrites au TAJ.

En effet, la plupart des parquets ne sont actuellement pas en mesure de respecter le délai d’un mois. En outre, cette extension du délai se justifie par la très probable augmentation du nombre de demandes qui résultera des possibilités nouvelles d’effacement anticipé permises par le projet de loi, en l’absence de mention au bulletin n° 2 du casier judiciaire.

Enfin, comme je l’ai déjà indiqué, ce délai de deux mois correspond au délai imparti au responsable de traitement pour répondre aux demandes d’accès et d’effacement adressées sur le fondement de la loi de 1978. Il correspond également au délai de réponse prévu de manière générale au ministère public ou à une juridiction pour statuer sur toute demande qui lui est adressée.

Il me semble dès lors à la fois cohérent et nécessaire de rétablir l’allongement d’un à deux mois du délai de réponse des magistrats compétents.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Actuellement, les magistrats ne respectent pas le délai imposé par la loi de répondre à ces demandes sous un mois. Il faudrait augmenter les effectifs consacrés à ces demandes, plutôt que de proposer d’allonger le délai légal de réponse !

De surcroît, le non-respect de ce délai n’emporte déjà aucune conséquence. En revanche, l’allongement de ce délai enverrait un mauvais signal. Dans la mesure du possible, il convient donc de conserver un délai maximal de réponse d’un mois.

La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 115.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 116, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 3, neuvième phrase

Remplacer les mots :

sont effacées sauf si le procureur de la République en prescrit le maintien, auquel cas elles font l’objet d’une mention

par les mots :

font l’objet d’une mention, sauf si le procureur de la République ordonne l’effacement des données personnelles

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Cet amendement vise à supprimer le principe d’un effacement des décisions de non-lieu et de classement sans suite au TAJ et à rétablir ainsi le principe d’une mention de ces décisions au TAJ, sauf décision d’effacement du procureur.

En effet, la situation des personnes ayant fait l’objet d’un classement sans suite ou d’une décision de non-lieu ne peut pas être assimilée à celle des personnes ayant bénéficié d’une décision de relaxe ou d’acquittement.

Si une telle décision définitive de relaxe ou d’acquittement interdit toute nouvelle poursuite pour les mêmes faits, tel n’est pas le cas d’un classement sans suite ou d’un non-lieu. En effet, les poursuites peuvent toujours être entreprises tant que l’action publique n’est pas éteinte, notamment en cas de nouvelles charges découvertes après un non-lieu.

Le classement sans suite ne résulte pas nécessairement d’une absence d’infraction ou d’une insuffisance de charges. Il peut intervenir en opportunité, alors que l’infraction a bien été commise, notamment à la suite de l’exécution d’une mesure alternative aux poursuites, comme un rappel à la loi, une orientation sanitaire, un éloignement du domicile conjugal ou une médiation pénale.

Ainsi, des données liées à la commission de violences conjugales ayant donné lieu à un classement sans suite après exécution d’une médiation pénale doivent, par principe, rester inscrites au TAJ, et non pas être effacées comme le prévoit le texte dans sa version issue des travaux de la commission des lois.

Ces données ne seront cependant utilisées que pour des finalités judiciaires, car elles feront alors l’objet d’une mention qui en interdit l’accès, dans le cadre d’enquêtes administratives, ce qui garantit les droits de la personne.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Cet amendement vise à supprimer le principe d’un effacement des décisions de non-lieu et de classement sans suite du TAJ.

Je comprends évidemment les arguments du Gouvernement. Il convient, en effet, de pouvoir conserver des informations concernant des non-lieux ou des classements sans suite dans la perspective d’une réutilisation à d’autres fins ultérieures.

Néanmoins, le texte de la commission n’obère pas cette possibilité. Il pose seulement un principe : sauf décision contraire, le principe doit être l’effacement des données et l’exception le maintien des données.

La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 116.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 23.

(Larticle 23 est adopté.)

Article 23
Dossier législatif : projet de loi relatif à la protection des données personnelles
Article 24

Article 23 bis

(Supprimé)

Article 23 bis
Dossier législatif : projet de loi relatif à la protection des données personnelles
Article additionnel après l'article 24 - Amendement n° 44 rectifié sexies

Article 24

Les titres Ier à III et les articles 21 et 22 de la présente loi entrent en vigueur le 25 mai 2018.

Toutefois, l’article 16 A entre en vigueur le 25 mai 2020 et l’article 70-15 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée entre en vigueur à une date fixée par décret, et au plus tard :

1° Le 6 mai 2023 lorsqu’une telle obligation exigerait des efforts disproportionnés ;

2° Le 6 mai 2026 lorsque, à défaut d’un tel report, il en résulterait de graves difficultés pour le fonctionnement du système de traitement automatisé.

La liste des traitements concernés par ces reports et les dates auxquelles, pour ces traitements, l’entrée en vigueur de cette obligation est reportée sont déterminées par voie réglementaire. – (Adopté.)

Article 24
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Article additionnel après l'article 24 - Amendement n° 45 rectifié sexies (début)

Articles additionnels après l’article 24

M. le président. L’amendement n° 44 rectifié sexies, présenté par M. H. Leroy, Mmes Micouleau, Puissat et Gruny, M. Paccaud, Mme Berthet, MM. Meurant, Piednoir, Vial, Courtial, Grosdidier, Charon et Lefèvre, Mmes Eustache-Brinio, Giudicelli et Garriaud-Maylam, MM. Chaize, Savary et Babary, Mmes Troendlé, Lopez, Deromedi, Lamure, Deseyne et Bories, MM. Milon, Bonhomme, Grand, de Nicolaÿ et Danesi, Mmes Deroche, Morhet-Richaud, Imbert et de Cidrac et MM. B. Fournier, Bonne, Laménie, Savin, Leleux, Husson, Panunzi, Gremillet et Sol, est ainsi libellé :

Après l’article 24

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le premier alinéa de l’article L. 441-2-1 du code de la construction et de l’habitation, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« L’ensemble des personnes précitées doit veiller à l’authenticité des pièces produites dans le cadre d’une demande. À cette fin, elles disposent d’un accès au répertoire national mentionné à l’article L. 114-12-1 du code de la sécurité sociale et aux avis d’imposition des demandeurs. Il leur est également possible de solliciter directement auprès de leur employeur la copie de leur contrat de travail ainsi que les trois dernières fiches de paie. »

La parole est à M. Sébastien Meurant.

M. Sébastien Meurant. À cette heure avancée, nous tenons à notre droit d’amendement. Je présenterai donc un amendement déposé par notre collègue Henri Leroy, que nous avons été nombreux à cosigner.

Il s’agit d’ajouter un alinéa au code de la construction et de l’habitation ainsi rédigé : « L’ensemble des personnes précitées doit veiller à l’authenticité des pièces produites dans le cadre d’une demande. À cette fin, elles disposent d’un accès au répertoire national mentionné à l’article L. 114–12–1 du code de la sécurité sociale et aux avis d’imposition des demandeurs. Il leur est également possible de solliciter directement auprès de leur employeur la copie de leur contrat de travail ainsi que les trois dernières fiches de paie. »

Cet amendement a pour objet d’utiliser une des marges de manœuvre mentionnées au f du 1 de l’article 6 du règlement général sur la protection des données. Les collectivités territoriales et les bailleurs sociaux pourront désormais contrôler l’authenticité des pièces qui leur sont communiquées dans le cadre d’une demande de logement locatif social. Ainsi, une telle possibilité offerte au responsable de traitement répond à deux intérêts légitimes que sont la lutte contre la fraude et l’égalité de traitement des administrés.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Joissains, rapporteur. Le présent amendement nous éloigne de l’objet du projet de loi. Il vise à renforcer drastiquement certains instruments de lutte contre la fraude sociale. Il autoriserait ainsi désormais l’accès des collectivités territoriales et des bailleurs sociaux au Répertoire national commun de la protection sociale, qui est un traitement de données sensibles puisqu’il concerne le numéro de sécurité sociale, l’un des traitements les plus protégés, au contrat de travail des demandeurs de logements sociaux et à leurs trois dernières fiches de paie. Ces informations pourraient même être directement obtenues auprès de l’employeur. La commission n’y est pas favorable.

Cet amendement ne s’articule pas bien avec les autres dispositions du texte. Le projet de loi encadre désormais bien plus strictement l’usage du numéro de sécurité sociale ; il s’agit d’une donnée sensible, très identifiante. Les données contenues dans le Répertoire portent en outre sur des informations sensibles qui concernent des publics particulièrement vulnérables. À rebours de l’intention protectrice du projet de loi, le présent amendement élargirait l’accès au Répertoire national pour de nouvelles finalités, sans prévoir de garanties spécifiques en contrepartie.

En outre, cet amendement met à la charge des collectivités territoriales et des bailleurs sociaux une nouvelle obligation de vérifier l’authenticité des pièces produites par les demandeurs d’un logement locatif social. Des bailleurs sociaux nous ont fait part de leur hostilité au dispositif et de leur crainte des contentieux qu’occasionnerait pour eux cet amendement.

La commission demande donc le retrait de cet amendement. À défaut, l’avis de la commission serait défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Même avis !

M. le président. Monsieur Meurant, l’amendement n° 44 rectifié sexies est-il maintenu ?

M. Sébastien Meurant. Il s’agit d’un amendement politique, monsieur le président, que je souhaite maintenir. Les collectivités locales sont en première ligne : cet article vise à donner aux responsables locaux, en cas de doute, le pouvoir de contrôle. C’est un outil de justice, tout simplement, que de ne pas donner un logement social à quelqu’un qui ne produirait pas des pièces authentiques. Je ne comprends pas ces pudeurs.

M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé, pour explication de vote.

M. Loïc Hervé. Les amendements dont nous avons débattu jusqu’à maintenant étaient à peu près tous en lien avec le texte ; le débat était de bon niveau. Je ne voterai donc pas cet avant-dernier amendement ayant trait au logement, en particulier au logement locatif aidé. Un projet de loi spécifique nous sera soumis dans les mois qui viennent : ce sera le bon moment de lancer ce type de débat politique, mais peut-être pas à minuit et demi, à la fin du texte concernant le RGPD. (M. Sébastien Meurant sexclame.)

Par ailleurs, sur le fond, je ne suis pas sûr que le fait de permettre aux collectivités et aux bailleurs sociaux l’accès à ces pièces aille dans le sens de la simplification, de la bonne foi. L’atteinte aux libertés publiques est beaucoup plus grave. Or tout le droit de la protection des données personnelles est fondé sur le principe de proportionnalité, principe que l’on retrouve dès que l’on traite de libertés publiques. Généraliser ce type de droit au profit des collectivités et des bailleurs sociaux me paraît complètement disproportionné par rapport à l’objectif. Ce serait même un mauvais signal envoyé par le Sénat, qui est également, dans son domaine, le gardien des libertés publiques.

M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.

M. René-Paul Savary. Il convient tout de même d’être attentif à cet amendement, car les bailleurs sociaux, en louant des logements, rencontrent de plus en plus de problèmes sociaux inouïs. M. le président de la commission, qui a été à la tête d’un département pendant plusieurs années, le sait bien. Ces problèmes sociaux ont des répercussions importantes. On est parfois confronté à des détournements de l’objet primaire de la location, face à des mineurs qu’il faut ensuite protéger, ou à des bénéficiaires du RSA aux difficultés desquels on ne saura pas répondre…

Je pense donc qu’il faut croiser les données. Le Répertoire national commun de la protection sociale est bien réglementé. Les travailleurs sociaux des départements peuvent obtenir des données, selon certaines conditions d’habilitation, à travers ce répertoire.

Alors, est-ce le bon véhicule ? Je l’ignore ! Toujours est-il qu’il faudra en tenir compte. Dans les départements limitrophes de la grande couronne parisienne, notamment, se pose un problème nouveau, que l’on ne connaissait pas il y a quelques années, produisant des coûts très importants pour les départements, les centres communaux ou intercommunaux d’action sociale, avec des enfants, des familles en difficulté… Il faudra bien trouver les solutions permettant un certain nombre de vérifications : il y va de la sécurité de nos concitoyens.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote, et en deux minutes trente ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Sueur. Il me faudra beaucoup moins de temps, monsieur le président, madame la garde des sceaux. Dernièrement, j’ai déjà fait un rappel au règlement pour m’étonner que plusieurs des amendements que j’avais déposés avec d’autres collègues aient été jugés irrecevables en vertu de l’article 45 de la Constitution.

Je constate aujourd’hui que mes collègues ont pu déposer les leurs, et je m’en réjouis d’ailleurs ! Je rappelle que, pendant des décennies, au Sénat comme à l’Assemblée nationale, nul n’a jamais invoqué l’article 45 pour empêcher des parlementaires de déposer des amendements. Les raisons pour lesquelles un certain nombre d’amendements ont été refusés, dans une loi pourtant qui portait sur la confiance et, avant l’été, sur l’égalité et la citoyenneté, s’appliquent de manière totalement aléatoire. Elles auraient très bien pu s’appliquer à cet amendement (Mme la garde des sceaux le confirme.), tout le monde le comprend.

Je pose donc de nouveau la question – et je la reposerai : de deux choses l’une, ou bien l’on respecte le droit d’amendement de manière large, et les collègues estimant qu’une disposition est sans rapport avec le texte votent contre, ou l’on applique une règle stricte, mais en ce cas il faut la définir ! Il faut que l’on nous explique pourquoi un amendement est contraire à certains intitulés tellement larges qu’on ne comprend pas l’objet du texte. Il y a donc un vrai problème.

Pour ma part, je défends le droit d’amendement. Je suis totalement opposé, je le dirai autant qu’il le faudra, à l’usage aléatoire de l’article 45 de la Constitution. Personne ne nous le demande ; le Sénat est seul responsable dans cette affaire. Monsieur le président, je sais que vous serez un avocat, d’ailleurs vous l’êtes, absolument remarquable pour relayer mes propos auprès des hautes autorités du Sénat.

M. le président. Je vous en donne acte, monsieur Sueur, mais il me semble que c’est la commission, et non la Séance, qui est compétente pour trancher cette question.

La parole est à Mme Sophie Primas, pour explication de vote.

Mme Sophie Primas. Nous touchons là à des libertés individuelles, notre collègue du centre l’a souligné, qui doivent être protégées. Il faut être extrêmement prudent, dans le domaine du logement, en ouvrant l’accès à certains documents à des opérateurs.

Je comprends l’objectif de cet amendement et de l’amendement suivant, qui est parfaitement légitime de la part des bailleurs sociaux et des collectivités territoriales. Je suggère que cette problématique soit traitée dans le cadre du projet de loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, ou projet de loi ELAN, examiné au mois de juin prochain.

Pour ma part, je ne voterai pas ces amendements, qui me paraissent trop dangereux du point de vue des libertés individuelles. Néanmoins, ces amendements soulèvent un véritable problème qu’il faudra aborder dans le cadre de la future loi ELAN.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Si ces amendements n’ont pas été déclarés irrecevables par la commission, c’est précisément parce qu’elle a voulu faire preuve de beaucoup de souplesse…

M. Jean-Pierre Sueur. Très bien ! Je l’en félicite !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. … afin que nous puissions avoir un large débat. Ces amendements nous semblent poser un problème extrêmement sérieux, qui méritait un débat. D’ailleurs, le fait que beaucoup d’entre vous se soient inscrits dans ce débat le prouve…

Je voudrais saluer les propos de M. Savary comme de Mme Primas, présidente de la commission des affaires économiques. En effet, même si nous en avons débattu ce soir, une telle difficulté à résoudre suppose d’inscrire la réflexion dans un cadre qui lui soit propre, d’autant plus que la question de l’insolvabilité de compatriotes en situation précaire se pose non seulement pour les bailleurs sociaux, mais aussi pour beaucoup de propriétaires, souvent eux-mêmes impécunieux, qui sont confrontés à une pratique de concitoyens en difficulté pour lesquels le loyer est la variable d’ajustement la plus facile à utiliser pour faire face au quotidien, en éloignant le versement de leur dette de logement. Aussi, la recherche des moyens pour les bailleurs sociaux, comme pour les propriétaires privés, de rétablir un équilibre qui s’est parfois rompu me paraît totalement légitime.

Notre collègue Henri Leroy ne pouvait pas être présent ce soir, mais j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec lui de sa proposition, qui est inspirée par des motifs que je crois dignes d’être pris en considération. Après avoir dit cela, je suggère que nous reprenions ce débat avec la commission des affaires sociales et avec la commission des affaires économiques. Il viendra suffisamment vite pour que l’on ne regrette pas de l’avoir différé ce soir.

M. Jean-Pierre Sueur. Espérons que les autres commissions prendront exemple sur la libéralité et l’ouverture d’esprit de la commission des lois, en acceptant les amendements !

M. le président. La parole est à M. Sébastien Meurant.

M. Sébastien Meurant. Je vais retirer les deux amendements, bien que je n’en sois pas l’auteur, mais je prends note de ce qui a été dit.

La véritable question soulevée était celle de l’authenticité des documents. L’objet est clair, circonstancié. Qui peut la vérifier ? En bout de chaîne, ce sont les bailleurs sociaux ou les collectivités qui sont confrontés au terrain et me semblent dignes de confiance. Les maires, officiers d’état civil, sont soumis au secret professionnel, et les bailleurs sociaux également. C’est pourquoi je ne comprends pas certaines réserves qui ont été émises ce soir. Nous réexaminerons ces dispositions prochainement, et sans doute à une heure un peu plus raisonnable. La question de l’authenticité des documents me paraît fondamentale pour l’égalité de traitement entre les personnes ayant droit à des logements sociaux, certaines produisent des documents authentiques tandis que d’autres fournissent des documents qui peuvent être sujets à caution.

Je retire cet amendement, et je retirerai le suivant, qui est du même acabit.

M. le président. L’amendement no 44 rectifié sexies est retiré.

Article additionnel après l'article 24 - Amendement n° 44 rectifié sexies
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Article additionnel après l'article 24 - Amendement n° 45 rectifié sexies (fin)

L’’amendement n° 45 rectifié sexies, présenté par M. H. Leroy, Mmes Micouleau, Puissat et Gruny, M. Paccaud, Mme Berthet, MM. Meurant, Piednoir, Vial, Courtial, Grosdidier, Charon et Lefèvre, Mmes Eustache-Brinio, Giudicelli et Garriaud-Maylam, MM. Chaize, Savary et Babary, Mmes Troendlé, Lopez, Deromedi, Lamure, Deseyne et Bories, MM. Milon, Bonhomme, Grand, de Nicolaÿ et Danesi, Mmes Deroche, Morhet-Richaud, Imbert et de Cidrac et MM. B. Fournier, Bonne, Laménie, Savin, Leleux, Husson, Panunzi, Gremillet et Sol, est ainsi libellé :

Après l’article 24

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Au 2° de l’article L. 114-12-1 du code de la sécurité sociale, après les mots : « d’aide sociale », sont insérés les mots : « ou pour l’attribution d’un logement locatif social ».

M. Sébastien Meurant. Je retire cet amendement, monsieur le président !

M. le président. L’amendement n° 45 rectifié sexies est retiré.

Vote sur l’ensemble

M. le président. Personne ne demande la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble du projet de loi relatif à la protection des données personnelles.

(Le projet de loi est adopté.) - (Applaudissements.)

Article additionnel après l'article 24 - Amendement n° 45 rectifié sexies (début)
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5

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, jeudi 22 mars 2018 :

À dix heures trente :

Trois conventions internationales examinées selon la procédure d’examen simplifié :

- Projet de loi autorisant la ratification de l’accord instituant la Fondation internationale UE-ALC (n° 249, 2017-2018) ;

Rapport de M. Yannick Vaugrenard fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 356, 2017–2018) ;

Texte de la commission (n° 357, 2017–2018).

- Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant la ratification du protocole n° 16 à la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (n° 304, 2017–2018) ;

Rapport de M. Hugues Saury fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 358, 2017-2018) ;

Texte de la commission (n° 359, 2017–2018).

- Projet de loi autorisant la ratification de la convention internationale sur les normes de formation du personnel des navires de pêche, de délivrance des brevets et de veille (STCW-F) (n° 582, 2016–2017) ;

Rapport de M. Philippe Paul fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 354, 2017–2018) ;

Texte de la commission (n° 355, 2017–2018).

Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, ratifiant l’ordonnance n° 2017–1252 du 9 août 2017 portant transposition de la directive 2015/2366 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 concernant les services de paiement dans le marché intérieur (n° 292, 2017–2018) ;

Rapport de M. Albéric de Montgolfier fait au nom de la commission des finances (n° 348, 2017–2018) ;

Rapport d’information de M. Jean-François Rapin fait au nom de la commission des affaires européennes (n° 345, 2017–2018) ;

Texte de la commission (n° 349, 2017–2018).

À quatorze heures trente :

Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, ratifiant l’ordonnance n° 2017–1252 du 9 août 2017 portant transposition de la directive 2015/2366 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 concernant les services de paiement dans le marché intérieur (n° 292, 2017–2018) ;

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée le jeudi 22 mars 2018, à zéro heure quarante.)

Direction des comptes rendus

GISÈLE GODARD