M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, la protection de l’enfance est aujourd’hui l’un des sujets les plus consensuels qui soient, et nous ne pouvons que nous réjouir, car il n’en a pas toujours été ainsi.
La constitution d’un socle des droits de l’enfant est une création relativement récente, si on la compare aux différentes déclarations des droits de l’homme, qui ont été proclamées dès le XVIIIe siècle. Pour certains grands penseurs des systèmes démocratiques modernes, la réflexion sur la minorité s’inscrivait dans la recherche d’émancipation du citoyen. Je pense notamment au traité de Rousseau, Émile ou De l’éducation. Dans le droit, cependant, la création de régimes protecteurs pour les mineurs sera plus progressive.
Pour la première fois, le code pénal de 1810 a établi à seize ans l’âge de la minorité pénale, qui permet aux enfants de bénéficier d’une excuse atténuante de minorité. Sur le plan économique et social, on peut considérer que c’est la généralisation de la scolarisation qui a sorti les enfants du monde du travail, en même temps que se multipliaient les propositions législatives relatives à la protection des mineurs au sein de l’industrie. Je pense notamment aux propositions du programme du parti radical au congrès de Nancy de 1907. Dans certains cas, l’école a également contribué à protéger l’enfant du huis clos familial.
L’existence de droits spécifiques aux enfants a été consacrée bien plus tardivement, par la convention internationale de 1989. Elle prévoit notamment dans son article 19 : « Les États parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu’il est sous la garde de ses parents ou de l’un d’eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié. » Ces dispositions renvoient directement à nos débats actuels.
Depuis quelques décennies, en effet, le sujet de la protection de mineurs s’est déplacé vers la question de la violence sexuelle, qu’elle soit le fait d’individus étrangers ou de membres de la sphère familiale. Il n’est pas neutre de noter que les recherches sur ce phénomène n’ont débuté que très récemment, dans les années 2000. Une enquête de l’INED – Institut national d’études démographiques – de 2015 montre qu’au cours de leur vie 5 % des femmes et un peu moins de 1 % des hommes de vingt ans à soixante-neuf ans ont été victimes de viol ou tentative de viol ou d’attouchements dans le cadre familial ou de l’entourage proche. Cette proposition de loi, issue des réflexions du groupe de travail constitué dans les circonstances qui ont été rappelées, répond totalement au besoin de légiférer. C’est pourquoi j’ai choisi de la cosigner.
Au-delà de la grande détresse des victimes de telles infractions, qui laisse un souvenir glaçant, je voudrais saluer le travail de l’ensemble des professionnels que nous avons entendus, et qui les accompagnent dans leur travail de reconstruction : les forces de l’ordre, les agents du ministère de la justice et les associations.
Je voudrais également remercier chaleureusement notre rapporteur, Marie Mercier, de son plein engagement, parfois éprouvant, ainsi que l’ensemble des membres du groupe de travail des efforts fournis, une centaine d’auditions ayant été conduites. J’espère sincèrement que ces travaux nourriront les réflexions du Gouvernement et de l’Assemblée nationale au moment de l’examen du projet de loi contre les violences sexuelles et sexistes.
À l’issue de longues réflexions, nous sommes parvenus à établir un texte équilibré, respectueux non seulement des attentes des victimes, mais également, je le crois, de nos institutions juridiques. S’il est certain que ce sujet spécifique des infractions sexuelles commises sur des mineurs nous bouleverse tous, nous ne devons cependant par perdre de vue le besoin de cohérence des solutions que nous proposons dans l’architecture pénale qui est la nôtre.
L’allongement du délai de prescription et la fixation d’un âge légal de consentement ne sont pas des sujets anodins : dans un cas, on prend le risque de bouleverser l’échelle des peines auxquelles les délais de prescriptions sont attachés ; dans l’autre, on restreint la marge d’appréciation du magistrat et sa faculté à juger au cas par cas de la maturité d’un enfant et de son aptitude à formuler son consentement.
Il est vrai que la prescription en matière pénale vient de faire l’objet d’une remise à plat globale dans une loi adoptée voilà un an. Lors des débats, le Sénat s’était montré défavorable à la proposition de porter le délai de prescription de vingt ans à trente ans pour des raisons de dépérissement de preuve évidentes. Pour autant, comme les personnes auditionnées l’ont souligné, le dépérissement des preuves est déjà effectif vingt ans après une agression de ce type. Notre réflexion doit donc s’enrichir d’autres éléments que sont l’aspect thérapeutique du recours au juge, ou encore l’aspect symbolique, et ne pas s’en tenir à cet argument factuel indéniable. En matière d’inceste et de violence sexuelle, on peut envisager que le procès se rapproche du processus – ils partagent d’ailleurs une étymologie commune –, à savoir un processus cathartique pour les victimes et la société.
Cet aspect symbolique a par exemple justifié l’inscription du mot « inceste » dans le code pénal, alors que le droit prévoyait déjà un caractère aggravant lorsque l’agresseur était en position d’ascendance sur la victime. Je pense aujourd’hui que le symbole que représente le fait de porter de vingt ans à trente ans la prescription dans ces affaires est un électrochoc nécessaire pour améliorer la protection sexuelle des mineurs. Cet objectif doit innerver l’ensemble de nos politiques publiques en lien avec la jeunesse.
Concernant la fixation d’un âge légal en dessous duquel l’absence de consentement serait présumée, nos auditions m’ont convaincue de la pertinence de la solution alternative proposée à l’article 3, qui offre une protection satisfaisante aux mineurs, en fonction de leur maturité respective.
La lutte contre les infractions sexuelles sur les mineurs ne se limite évidemment pas au volet pénal. De nombreuses dispositions sont à prendre au plan réglementaire et budgétaire, de façon uniforme sur l’ensemble du territoire. C’est d’ailleurs le sens de l’article 1er de la proposition de loi. Alors qu’il est de plus en plus question de la traite sexuelle imposée à certains mineurs isolés étrangers, je voudrais aussi rappeler le rôle clé joué par les départements dans leur mission d’aide sociale à l’enfance. Il est clair qu’un plus grand soutien financier de l’État permettrait une assistance plus égalitaire sur notre territoire.
S’agissant de cette proposition de loi, chaque membre du groupe du RDSE votera avec sa sensibilité particulière sur les questions abordées dans ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur quelques travées du groupe Union Centriste – Mme la rapporteur et M. Jean-Pierre Sueur applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Chantal Deseyne, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Chantal Deseyne. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, en 2016, 21 000 cas d’enfants victimes de violences sexuelles ont été recensés par les services de sécurité. Les enfants représentent 56 % des victimes d’infractions sexuelles. Parmi eux, 16 000 sont âgés de moins de quinze ans, et 79 % sont des petites filles.
En 2017, 8 788 plaintes ou signalements pour des faits de viol concernant des victimes mineures ont été enregistrés par les services de police ou de gendarmerie.
Ces chiffres, déjà considérables, sont pourtant en deçà de la réalité, étant donné qu’ils ne comptabilisent que les actes ayant fait l’objet d’une plainte auprès des services de police et de gendarmerie. Les associations estiment, quant à elles, que 20 % d’une classe d’âge ont été victimes d’atteintes sexuelles. Deux affaires récentes, très médiatisées, ont relancé le débat sur le consentement des mineurs à un acte sexuel. Ces données interrogent la société tout entière.
La commission des lois, en concertation avec la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, dont je suis membre, s’est emparée de cette douloureuse question.
Les auteurs de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui portent une haute ambition : une meilleure protection des mineurs victimes d’infractions sexuelles.
Le groupe de travail a souhaité évaluer le cadre législatif, l’organisation et les moyens de notre politique de lutte contre les infractions sexuelles commises à l’encontre des mineurs. Ses travaux ont abouti à un rapport dont la richesse révèle la complexité du sujet.
Il faut s’attacher à une évolution durable des mentalités. Nous disposons à cet égard d’éléments objectifs pour convaincre : des statistiques, des témoignages du martyre de ces enfants, des enseignements cliniques qui démontrent les ravages de ces traumatismes.
La première partie du rapport renvoie à un ensemble de dispositions qui relèvent du domaine réglementaire. Madame la secrétaire d’État, j’en appelle à votre autorité pour que ces mesures, approuvées par l’article 1er de cette proposition de loi, soient mises en œuvre rapidement. Le recensement des violences sexuelles subies par les mineurs doit être amélioré afin que soit mesurée l’ampleur du mal. Les parents, les hébergeurs de contenu sur internet doivent être sensibilisés aux conséquences de l’accès à la pornographie pour les mineurs. L’obligation d’éducation à la sexualité doit être garantie sur tout le territoire.
L’amélioration de la protection des mineurs passe aussi par des évolutions législatives en matière pénale.
Ce texte prévoit ainsi d’allonger le délai de prescription pour les crimes et délits d’agressions sexuelles commises à l’encontre des mineurs.
Pour un mineur, il est parfois compliqué de comprendre la gravité des violences sexuelles subies. Le parcours psychique des victimes peut être long et comprend des phases de déni appelées amnésie post-traumatique. Ce phénomène d’amnésie traumatique peut durer parfois jusqu’à plusieurs années et faire obstacle à la dénonciation des faits. L’allongement du délai de prescription prévu par cette proposition de loi est une manière de prendre en compte le phénomène d’amnésie traumatique.
Pour caractériser un viol, les auteurs de cette proposition de loi ont opté pour une présomption de contrainte applicable aux relations sexuelles entre un majeur et un mineur, fondée soit sur l’absence de discernement du mineur, soit sur l’existence d’une différence d’âge significative entre le mineur et le majeur. La présomption de contrainte permet ainsi de protéger l’ensemble des mineurs, quel que soit leur âge.
Les viols commis sur les mineurs sont rarement commis avec violence au sens du code pénal, c’est-à-dire avec des violences physiques cherchant à imposer un acte sexuel – c’est 9 % des faits déclarés.
La plupart du temps, ces actes résultent d’une contrainte ou d’une menace exercée à l’égard de la victime ou d’un stratagème profitant de la difficulté de la victime à appréhender la situation.
Ce texte prend en compte ces phénomènes d’emprise et de manipulation sur les mineurs.
L’instauration d’une présomption de non-consentement en deçà de l’âge de quinze ans a été évoquée par le Gouvernement. Je pense qu’il faut rester prudent sur toute disposition qui introduirait une automaticité dans l’application de la loi pénale.
Pour conclure, je souhaite insister sur le caractère particulièrement ignoble des infractions sexuelles commises à l’encontre des mineurs. Elles ont une place à part tant elles ravagent durablement leurs victimes. Elles méritent une réponse à la hauteur, telle que contenue dans cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la délégation aux droits des femmes. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise émane du groupe de travail que la commission des lois a constitué en octobre dernier, sur l’initiative de notre collègue Marie Mercier.
L’émotion était alors à son comble dans une actualité judiciaire troublante : saisi d’une plainte pour viol déposée par les parents d’une petite fille de onze ans, le parquet de Pontoise avait requalifié les faits en atteinte sexuelle sur mineure, estimant que, face à son agresseur de vingt-huit ans, la victime ne répondait à aucun des critères du viol, car elle n’avait été ni contrainte, ni menacée, ni surprise.
La qualité du travail effectué par la commission des lois doit être soulignée.
Dans un contexte marqué par la libération de la parole des femmes victimes de violences, la délégation aux droits des femmes a pour sa part décidé de faire de ces violences le fil conducteur de son programme de travail pour la session actuelle, notre objectif étant de préparer dans les meilleures conditions l’examen du projet de loi annoncé par le Gouvernement puis déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 21 mars dernier.
Ce projet de loi intègre les violences faites aux femmes dans une perspective globale. La délégation n’a donc pas souhaité s’inscrire dans le présent débat, laissant à ses membres toute latitude pour se positionner, à titre individuel, face au contenu de la proposition de loi qui nous est soumise.
Sans anticiper sur nos conclusions à venir, je crois pouvoir dire que nous rejoindrons les auteurs de la proposition de loi sur deux dispositions : l’allongement de la prescription des crimes sexuels commis sur mineurs à trente ans ; l’aggravation des peines encourues pour le délit d’atteinte sexuelle.
En revanche, je ne suis pas persuadée que nos points de vue puissent converger s’agissant de l’article 3 de la proposition de loi.
Nos collègues ont fait le choix de compléter la définition du viol en y intégrant deux critères pouvant qualifier la contrainte morale : l’existence d’une différence d’âge significative entre victime et agresseur ou l’incapacité de discernement du mineur.
Instruite par le précédent de l’affaire de Pontoise, notre délégation a, au contraire, été convaincue, il me semble, par la nécessité d’éviter de laisser trop de prise à la subjectivité du magistrat dans la caractérisation de la contrainte. Or la proposition de loi aurait pour effet de laisser une grande latitude au juge pour apprécier la différence d’âge et la capacité de discernement de la victime.
Nous avons donc souhaité travailler dans la logique d’un âge minimal en deçà duquel la contrainte serait caractérisée.
Nous sommes conscients, également, des réserves exprimées par les experts en ce qui concerne la présomption irréfragable en matière criminelle.
Faut-il fixer ce seuil à quinze ans ou à treize ans ?
Nous aurons l’occasion d’en débattre lors de l’examen du texte du Gouvernement, mais notre délégation est convaincue qu’il n’est pas de notre rôle, en tant que législateur, de juger s’il est bien ou mal d’avoir des relations sexuelles en dessous d’un certain âge.
Notre seul souci est de protéger les mineurs qui seraient victimes de rapports non consentis avec des adultes, mais nous admettons qu’il puisse y avoir des relations consenties et épanouies entre adolescents, ou entre adolescents et jeunes adultes.
Il me semble que les vraies questions à nous poser sont les suivantes : quelle société voulons-nous pour nos enfants et, surtout, quelles relations entre hommes et femmes ? Comment pouvons-nous avancer ensemble pour lutter contre les violences ?
Pour l’heure, je remercie nos collègues d’avoir contribué à ce débat avec des propositions dans lesquelles on reconnaît la qualité des travaux de la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et républicain. – Mme la rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour le groupe socialiste et républicain.
Mme Laurence Rossignol. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la président de la délégation aux droits des femmes, madame la rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de loi – car c’est bien la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui et non le projet de loi du Gouvernement, mais nous y viendrons, je l’espère – procède du groupe de travail mis en place par la commission des lois, en association avec la délégation aux droits des femmes.
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
Mme Laurence Rossignol. Ce groupe de travail a d’abord procédé à un diagnostic sérieux, un état des lieux non seulement du doit positif, de ses failles, mais aussi de l’ensemble des acteurs de la protection de l’enfance et de la prévention des violences sexuelles sur mineurs.
Vous faisiez référence voilà quelques instants, madame la secrétaire d’État, à la mission de consensus « Flavie Flament-Jacques Calmettes ». D’un certain point de vue, le groupe de travail du Sénat a agi de la même façon, en privilégiant la pluridisciplinarité et l’échange de tous ceux qui sont impliqués dans la prévention et la réparation des violences sexuelles sur les mineurs.
Le Sénat a proposé quatre textes, soit quatre propositions de loi qui ont été déposées depuis quelques mois par des sénateurs : une émane de notre collègue Laurence Cohen, et porte sur le seuil d’âge ; une autre, de notre collègue Alain Houpert ; une autre encore, de moi-même ; enfin, la quatrième, qui est aujourd’hui rapportée par Marie Mercier, vient du président Bas.
Madame la secrétaire d’État, je suis frustrée et désappointée que ce travail important réalisé par le Sénat n’ait pas semblé rencontrer davantage d’intérêt et d’écho de la part du Gouvernement. (M. Jean-Marc Boyer opine.) Aucun de mes collègues n’a été sollicité pour un échange ou une rencontre ; il n’y a que moi, en tant qu’ancienne ministre, qui y ait eu droit. C’est d’autant plus regrettable que vous avez repris dans votre projet de loi, d’un certain point de vue, l’esprit du présent texte sur la question de la présomption et de l’élargissement de l’atteinte.
Vous savez, madame la secrétaire d’État, le Sénat n’est pas seulement une encombrante contrainte du bicamérisme. C’est aussi une belle maison (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.),…
M. François Pillet. Très bien !
M. François Patriat. Démagogie !
Mme Laurence Rossignol. … dans laquelle résonnent encore les noms de Lucien Neuwirth, Henri Caillavet ou Robert Badinter, qui se sont illustrés par leur humanisme et leur sens du progrès.
En ce qui concerne le texte que nous examinons aujourd’hui, je veux préciser une chose fondamentale : c’est une proposition de loi d’orientation et de programmation. Cela signifie que nous n’avons pas simplement une approche pénale des violences sexuelles sur mineurs, mais que nous avons également une approche éducative et pluridisciplinaire. Nous devons mobiliser aussi bien la santé, la police, la justice, les travailleurs sociaux, l’éducation nationale que les familles, de sorte que l’invisibilité, qui, trop souvent encore, plombe les violences sexuelles sur les mineurs, prenne fin, et que les enfants puissent enfin dire ce qu’ils vivent, ce qu’ils ne font pas assez.
M. François Pillet. Très bien !
Mme Laurence Rossignol. Les droits de l’enfant sont déterminants. Lorsque les associations vont dans les écoles pour expliquer la convention des droits de l’enfant, il y a toujours un enfant pour questionner les intervenants : « Alors, on n’a donc pas le droit de me faire ça à la maison ? »
Ces droits permettent aux enfants de prendre conscience de l’intégrité de leur corps, qui est la clef de la prévention des violences sexuelles contre les mineurs.
Une loi d’orientation et de programmation est nécessaire dans le prolongement, pardonnez-moi cette référence, du plan interministériel contre les violences faites aux mineurs, qui doit mobiliser l’ensemble des ministères et des services de l’État.
Deux sujets sont importants.
Tout d’abord, la prescription. Les auteurs de la proposition de loi ont fait le choix de l’allonger de dix ans, ce qui était préconisé tant par le rapport Flament-Calmettes que par l’ensemble des acteurs de la société. C’est une bonne chose, car cela permettra aux victimes un meilleur accueil dans les services de justice.
Ensuite, la présomption. Le texte vise à bâtir un système qui permet d’étendre la présomption de contrainte, l’étendant même jusqu’à dix-huit ans. C’est important. Nous avons beaucoup discuté de ce choix, mais, selon moi, à quinze ans et demi, on n’est pas forcément beaucoup plus dégourdi qu’à quatorze ans et demi, du moins pas toutes, pas tous. Les enfants doivent encore bénéficier dans les relations sexuelles majeurs-mineurs d’une protection, dès lors qu’il s’agit d’une présomption simple à laquelle peut se soustraire l’auteur en apportant la preuve contraire.
Nous soutenons cette présomption jusqu’à dix-huit ans. Je la trouve pour ma part efficace. Pardonnez-moi, madame la secrétaire d’État, mais je la trouve peut-être plus précise que celle que vous avez retenue dans le projet de loi, parce qu’elle retient deux critères : l’écart d’âge ou le discernement. Cela veut dire que l’écart d’âge, en lui-même, suffit à enclencher la présomption de contrainte, et qu’il n’a pas besoin d’être conforté par une discussion sur le discernement.
Enfin, pardonnez-moi également, madame la rapporteur, mais il manque dans ce texte ce qui, pour mon groupe, est essentiel. Selon nous, il ne devrait plus être possible de discuter dans les tribunaux pour savoir si un enfant de douze ans était ou non consentant pour une relation sexuelle avec un majeur. Nous devrions y arriver en posant clairement dans la loi que toute relation sexuelle avec un mineur de moins de treize ans est un viol, sans qu’il soit besoin de démontrer contrainte, violence, menace ou surprise. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains. – Mme la présidente de la délégation aux droits des femmes applaudit également.)
Dès lors, car il s’agit là encore de pédagogie, mais aussi de droit pénal,…
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Laurence Rossignol. … il est indispensable que, dans notre société, on sache qu’il n’y a pas de relation sexuelle acceptable, possible ou discutable entre un majeur et un enfant de douze ans. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Nathalie Delattre et M. Franck Menonville applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Christophe Priou, pour le groupe Les Républicains.
M. Christophe Priou. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte présenté aujourd’hui est le fruit d’un travail approfondi de la commission des lois pour protéger les mineurs victimes d’infractions sexuelles. Je veux saluer ce travail essentiel, qui porte sur un sujet de société grave qu’il convient de prévenir, parce que nous avons le devoir d’assurer à nos enfants la meilleure protection possible.
Le travail remarquable effectué par nos collègues Philippe Bas et Marie Mercier démontre combien il est urgent de prendre en compte le volet prévention de tels actes, de mieux écouter la parole des jeunes victimes et d’améliorer la réponse pénale, sans oublier la prise en charge spécifique des enfants.
Pour autant, j’émettrai une réserve importante concernant l’article 2. En effet, les prescriptions longues et reportées à la majorité des victimes conduisent à la tenue de procès plusieurs dizaines d’années après les faits. Par exemple, pour une victime âgée de cinq ans au moment des faits, la plainte pourrait être déposée jusqu’à ses quarante-huit ans et le procès avoir lieu, après deux années d’instruction, soit quarante-cinq ans après les faits.
Cela pose un évident problème de preuves, extrêmement difficiles à recueillir tant d’années après.
Par ailleurs, cela peut entraîner de fortes désillusions pour les victimes, qui accepteraient difficilement classements sans suite, non-lieux, relaxes ou acquittements, faute de preuves suffisantes. Soyons vigilants sur cette question.
Il s’agit de sensibiliser toute la société. Tel est le message utile de cette proposition de loi.
L’article 3 prévoit d’instituer une présomption de contrainte pour qualifier de viol une relation sexuelle entre un majeur et un mineur lorsqu’il existe une incapacité de discernement du mineur ou une différence d’âge significative. En effet, combien dénombre-t-on de situations dans lesquelles l’abus a été commis par influence, ruse, chantage, pression morale d’un majeur en direction d’un mineur ? Combien de silences tabous ? Combien de vies traumatisées et de vies affectives brisées pour longtemps, pour toujours ?
Toutefois, là aussi, le législateur doit garder à l’esprit l’utilité d’une analyse critique des situations, parfois bien plus complexes qu’on ne l’imagine. Il ne faudrait pas que cette disposition renverse la charge de la preuve en faisant du supposé auteur un présumé coupable – et non pas un présumé innocent. Seule la présomption de contrainte lorsque le mineur est incapable de discernement pourrait avoir du sens, même si, objectivement, en pareille situation, elle serait déjà retenue par le juge.
Par ailleurs, le périmètre de la « différence d’âge significative » est flou et fera forcément l’objet de débats dans les tribunaux.
La différence d’âge cumulée à l’autorité de fait ou de droit est d’ailleurs déjà admise comme pouvant caractériser la contrainte – je vous renvoie à l’article 222-22-1 du code pénal. Pour autant, le constat est fait que le taux de signalement reste faible parce que les obstacles sont multiples et les tabous persistants, d’où l’importance de l’information et de la sensibilisation, en direction tant des mineurs que des adultes. Le rapport de la commission des lois le démontre avec lucidité, monsieur Bas.
C’est toute la chaîne éducative, parentale, médicale et judiciaire qui est concernée par une meilleure approche. Votre rapport souligne avec justesse les besoins d’un meilleur accompagnement des jeunes victimes.
La réponse pénale n’est qu’une étape ; elle n’est pas la réponse absolue parce qu’elle ne peut pas englober le processus de reconstruction personnelle d’une jeune victime. L’écoute, la prise en compte de la parole de l’enfant sont déterminantes dans le processus de reconstruction.
Dans le cadre de l’accompagnement du processus de reconstruction des victimes, l’annexe le confirme : « La justice pénale ne peut plus être l’unique recours des victimes. D’autres voies que le procès pénal, permettant la reconnaissance et la reconstruction des victimes, doivent être développées. Il convient ainsi d’encourager le recours à la justice restaurative et de faciliter la réparation des préjudices subis. » Nous attendons aussi le détail des préconisations de la Haute Autorité de santé, la HAS, dans le cadre d’un protocole national de prise en charge, avec une cartographie de l’offre de prise en charge spécialisée des victimes de violences sexuelles.
En conclusion, même si certains articles méritent des modifications, le présent texte propose des avancées par la loi et la justice. Il s’agit non pas d’oublier, non pas d’effacer, mais de réparer ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)