compte rendu intégral
Présidence de Mme Marie-Noëlle Lienemann
vice-présidente
Secrétaires :
M. Victorin Lurel,
M. Michel Raison.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Candidature à une commission
Mme la présidente. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la commission des affaires européennes a été publiée.
Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
3
Expérimentation de la tarification sociale de l’eau
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste et républicain, de la proposition de loi visant à proroger l’expérimentation de la tarification sociale de l’eau prévue à l’article 28 de la loi n° 2013-312 du 15 avril 2013, présentée par Mme Monique Lubin, MM. Éric Kerrouche et Patrick Kanner, ainsi que plusieurs de leurs collègues (proposition n° 290, texte de la commission n° 378, rapport n° 377).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Monique Lubin, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Monique Lubin, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, monsieur le président de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, j’ai l’honneur d’introduire le présent débat sur la proposition de loi visant à proroger jusqu’en 2021 l’expérimentation relative à la tarification sociale de l’eau prévue par la loi du 15 avril 2013, dite « loi Brottes ». Ce dernier texte visait également, rappelons-le, à interdire les coupures d’eau pour les factures impayées.
J’ai déposé la présente proposition de loi avec Éric Kerrouche, Patrick Kanner et plusieurs collègues du groupe socialiste et républicain. Son adoption permettrait que cette formidable expérimentation ne s’arrête pas la semaine prochaine.
Les dizaines de milliers de concitoyens qui en sont bénéficiaires dans notre pays et les élus qui ont porté ce projet et qui ont encore besoin de temps observeront notre vote avec attention.
Comme le souligne le Comité national de l’eau dans son rapport de 2017, « sans prolongement de l’expérimentation, légalement engagée pour une durée de cinq ans, les délais de mise en œuvre des projets font que les collectivités ne disposeront au mieux que de trois ans de recul pour évaluer l’efficacité et l’efficience de leur dispositif, la plupart ne disposant que d’une ou deux années pour expérimenter leur dispositif ». Ce texte répond par conséquent à une demande forte des collectivités et des groupements engagés dans l’expérimentation.
Des représentants de la commune landaise de Saint-Paul-lès-Dax et du syndicat intercommunal d’eau et d’assainissement du groupement de communes du Marensin, également situé dans notre département, nous ont alertés sur cette nécessité. Ils ont d’ailleurs été entendus dans le cadre des auditions préparatoires, ce qui constitue une forme de reconnaissance du travail effectué par leurs services.
Pourquoi prolonger l’expérimentation ? Rappelons tout d’abord l’intérêt social de cette dernière, créée en 2013 afin de rechercher des solutions mettant en œuvre le droit à l’eau et prévoyant l’accès de toutes les personnes physiques à l’eau potable pour leurs besoins essentiels dans des conditions économiquement acceptables par tous.
L’accès à l’eau potable reste un enjeu de grande ampleur. Vous le rappelez dans votre rapport, madame la rapporteur.
Au total, parmi les 50 collectivités et groupements qui ont été retenus par deux décrets successifs en avril et juillet 2015, quelque 47 se sont effectivement engagés dans l’expérimentation – 38 en métropole et 9 outre-mer. En avril 2017, soit un an avant l’échéance fixée par la loi Brottes, seulement la moitié des projets étaient mis en œuvre.
Ce décalage s’explique par le temps nécessaire à l’État pour mettre en place le cadre général de l’expérimentation, mais également par le temps nécessaire aux collectivités, qui présentent d’un point de vue démographique et statutaire des profils très variés, pour déterminer les solutions les plus adaptées : quelles seront les populations bénéficiaires, et selon quels critères ? Quels interlocuteurs retenir pour la mise en œuvre ? Quel dispositif d’aide sera le plus adapté à la spécificité des territoires selon, par exemple, la part d’habitat individuel et collectif ? À combien s’élèveront les coûts de gestion selon le cadre retenu et au regard du volume d’aide apporté ? Quelles mesures préventives et quelles démarches curatives conviendra-t-il de prévoir, notamment pour régler des situations d’impayés ?
Si des conclusions générales peuvent difficilement être tirées, il n’en reste pas moins que les rapports du Comité national de l’eau et de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable témoignent d’une formidable innovation aux niveaux local et social. C’est pourquoi nous souhaitons que la présente proposition de loi soit adoptée et qu’elle arrive rapidement sur le bureau de l’Assemblée nationale.
Parce qu’il permet de sécuriser, de reconnaître et de respecter l’engagement de nos élus, afin de faciliter l’accès à l’eau des plus modestes, je me réjouis que la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, sur la base du rapport de Françoise Cartron, dont je salue le travail, se soit prononcée en faveur de ce texte à la quasi-unanimité.
J’espère que, toutes et tous, nous suivrons cette position, parce que nous sommes toutes et tous convaincus que ce bien fondamental qu’est l’eau et la problématique de la précarité hydrique seront au cœur de nos débats dans les décennies à venir. L’actualité nationale et internationale nous le rappelle régulièrement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Kerrouche, auteur de la proposition de loi.
M. Éric Kerrouche, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, monsieur le président de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, je ne vais pas revenir sur les arguments qui viennent d’être évoqués par ma collègue Monique Lubin, qui vous a déjà convaincus, je n’en doute pas, de la nécessité de permettre à nos collectivités locales de poursuivre cette expérimentation pour honorer leurs engagements et tirer les enseignements nécessaires à la mise en place de dispositifs qui soient viables, pérennes et efficaces.
Notre position n’est pas isolée ; elle est partagée par le Conseil national de l’eau et par le Conseil général de l’environnement et du développement durable, qui, dans un rapport de février 2016, préconisait de conforter, voire d’accélérer l’expérimentation permise par la loi et de la coordonner avec le dispositif du chèque énergie.
La proposition de loi que je défends avec Monique Lubin, Patrick Kanner et le groupe socialiste a été votée par la commission, et je formule simplement le souhait qu’elle connaisse le même sort aujourd’hui en séance publique. À ce titre, je tiens à remercier personnellement Françoise Cartron de la qualité de son rapport et des amendements proposés par la commission, qui vont, me semble-t-il, dans le bon sens.
La présente proposition de loi appelle deux réflexions.
La première porte sur le droit à l’eau et le service public. Ainsi que l’a rappelé ma collègue Monique Lubin, l’expérimentation de la tarification sociale de l’eau permet d’identifier des solutions adaptées pour une traduction concrète du droit à l’eau, dont je rappelle qu’il est inscrit depuis 2006 dans le code de l’environnement.
Je rappelle également que l’Assemblée générale des Nations unies, au vu de l’enjeu géopolitique qu’elle représente, reconnaît l’eau comme un bien essentiel de l’humanité. Notre code de l’environnement dispose pour sa part que « l’eau fait partie du patrimoine commun de la Nation », et que chacun « a le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous ».
Comme vous le savez sans doute, les questions du droit et de l’accès à l’eau font partie de l’ADN du département des Landes. Avant-gardiste et doté de la détermination qu’on lui connaît, Henri Emmanuelli a mené dès 1995 et pendant vingt ans un combat acharné pour y faire respecter le principe d’un prix de l’eau le plus bas possible. Il pensait en effet que « notre société doit garantir à tous un accès à l’eau potable et à l’assainissement. L’eau n’est pas une marchandise, c’est un bien commun qu’il convient de préserver. »
Les avis peuvent certes diverger sur les modalités de la gestion de l’eau, mais l’intervention de la puissance publique demeure pertinente pour faire respecter un droit d’accès à l’eau pour tous, ce à quoi peut justement contribuer l’expérimentation dont nous débattons aujourd’hui.
Dans le département des Landes, l’épilogue du feuilleton juridique de la gestion de l’eau a été écrit grâce à la libre administration des collectivités locales. Ce principe essentiel fera l’objet de mon second point.
L’expérimentation de la tarification sociale de l’eau a été rendue possible par l’autorisation accordée aux collectivités locales de déroger, à titre expérimental, aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur, mais elle repose également sur le principe de leur libre administration. C’est tout le sens de la décentralisation : donner aux territoires la liberté de déterminer les modalités les plus adaptées à la mise en œuvre d’un service public garant de l’égalité et de l’intérêt général.
Je tiens d’ailleurs à saluer l’ensemble des collectivités qui se sont lancées dans cette expérimentation pour l’adapter au plus près de leur réalité locale. Il faut saluer le courage politique des élus et la mise en musique ingénieuse de leurs services administratifs.
Ces collectivités, toutes sensibilités politiques confondues, ont fait la démonstration par l’action que l’intelligence territoriale n’était pas une abstraction et que les territoires sont capables d’innover, de trouver des solutions adaptées à la diversité pour mener des politiques publiques ayant du sens pour nos concitoyens, singulièrement, en l’espèce, pour les plus fragiles d’entre eux.
Elles font la démonstration que les territoires ne sont pas un problème, mais une solution, à la condition qu’une relation de confiance existe, que les moyens nécessaires à la libre administration demeurent et que cette dernière serve utilement et équitablement les territoires comme les citoyens.
Aussi, pour toutes ces raisons – trouver des solutions adaptées à la concrétisation d’un droit fondamental reconnu internationalement, permettre que les efforts déployés par nos collectivités portent leurs fruits et faire confiance aux territoires –, nous vous invitons, mes chers collègues, à voter pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Françoise Cartron, rapporteur de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, en 2006, le législateur a inscrit dans le code de l’environnement le principe d’un droit à l’eau potable, afin de permettre à l’ensemble de la population d’accéder à l’eau pour ses besoins essentiels dans des conditions économiquement acceptables pour tous.
En effet, l’accès à l’eau constitue toujours un sujet essentiel dans notre société. Selon un rapport du Conseil général de l’environnement et du développement durable de 2011, la facture d’eau et d’assainissement dépasserait le seuil d’acceptabilité, fixé à 3 % du revenu, pour près de deux millions de Français.
Face à une telle situation, de nombreux élus locaux, toutes sensibilités politiques confondues, ont engagé depuis plusieurs années des actions en faveur d’une véritable politique sociale de l’eau.
Afin d’encourager et de sécuriser ces initiatives, la loi du 15 avril 2013, également appelée « loi Brottes », permet aux collectivités territoriales qui le souhaitent de s’engager dans une expérimentation en application de l’article 72 de la Constitution, les autorisant à déroger à titre expérimental et pour un objet et une durée limitée aux dispositions qui régissent l’exercice de leurs compétences.
L’expérimentation, créée en 2013, donne ainsi la possibilité aux collectivités et à leurs groupements de tester différents dispositifs sociaux, afin de faciliter l’accès à l’eau des ménages les plus modestes. Concrètement, elle permet aux collectivités de mettre en œuvre une tarification sociale de l’eau, de verser des aides aux usagers ou encore d’accroître leur contribution au Fonds de solidarité pour le logement, le FSL, afin de résorber les impayés.
Les collectivités volontaires pour participer à l’expérimentation devaient transmettre une demande au préfet de leur département avant le 31 décembre 2014. Au total, cinquante collectivités et groupements ont été retenus.
Ces participants présentent des profils très variés en termes de statut, d’importance démographique ou de caractéristiques locales. L’expérimentation fédère ainsi des communes, des EPCI à fiscalité propre, des syndicats mixtes, ces collectivités étant issues de territoires aussi bien urbains que ruraux, dont certains se caractérisent par une part importante de logements locatifs, tandis que d’autres accueillent un nombre élevé de résidences secondaires. La diversité de cet échantillon fait précisément la richesse de l’expérimentation.
La loi de 2013 fixait la durée de l’expérimentation à cinq ans, soit une application jusqu’au 15 avril 2018. Toutefois, comme le rappelle un rapport d’étape du Comité national de l’eau publié en 2017, l’expérimentation a fait l’objet d’une mise en œuvre très progressive.
Ainsi, en avril 2017, soit un an avant l’échéance fixée par la loi Brottes, seulement la moitié des projets étaient mis en œuvre. Ce décalage s’explique par le temps nécessaire à la fois pour que l’État puisse mettre en place le cadre général de l’expérimentation et pour que chaque collectivité puisse définir et déployer les solutions les plus adaptées au contexte local.
Sans prorogation, les collectivités ne disposeront au mieux que de trois années de recul, et pour la plupart d’entre elles de seulement un à deux ans de mise en œuvre effective. L’ensemble des parties prenantes considère que cette durée est trop brève pour évaluer pleinement les effets de l’expérimentation. Les premiers résultats sont toutefois prometteurs et riches d’enseignements. En effet, les collectivités participantes ont conçu des solutions innovantes et diversifiées en tenant compte des spécificités locales.
La modulation tarifaire a été retenue lorsque les abonnés individuels représentaient une part significative des usagers. Certains territoires ont ainsi choisi de mettre en place une tarification à la fois environnementale et sociale, conjuguant une approche solidaire et pédagogique quant à la préservation de la ressource.
Pour l’habitat collectif, dont les usagers ne sont pas abonnés directement au service d’eau potable, les collectivités privilégient des aides préventives, afin de permettre aux foyers modestes de régler tout ou partie de leurs dépenses liées à l’eau, ou un financement accru au FSL et aux centres communaux d’action sociale pour résoudre les situations d’impayés.
Sur plusieurs points, les données et les retours d’expérience doivent être encore consolidés. Il s’agit notamment du coût de gestion des différents dispositifs, de l’évolution du nombre d’impayés et de l’évaluation de l’effet de ces aides sur la consommation d’eau. Cette expérimentation très intéressante mérite donc d’être prolongée, afin d’en tirer des enseignements suffisamment fiables et exhaustifs pour l’avenir de la politique de l’eau.
Tel est l’objet de la présente proposition de loi, déposée le 7 février 2018 par nos collègues Monique Lubin, Éric Kerrouche, Patrick Kanner, ainsi que par des membres du groupe socialiste et républicain, qui vise à proroger l’expérimentation jusqu’au 15 avril 2021, soit un délai supplémentaire de trois ans, au bénéfice des collectivités et groupements déjà engagés dans ce processus.
Lors de l’examen du texte, notre commission a largement confirmé l’intérêt de cette prorogation. Les collectivités qui sont engagées dans l’expérimentation y sont très favorables. Cette prorogation est également indispensable pour le législateur, auquel elle permettra de disposer d’un recul suffisant avant d’envisager la généralisation de certains dispositifs.
Notre commission n’a donc apporté que des ajustements au texte initial. Nous avons notamment privilégié une prorogation de droit de l’expérimentation, en supprimant l’obligation pour les collectivités territoriales d’effectuer une nouvelle demande auprès du préfet du département, notre objectif étant de simplifier la poursuite de l’expérimentation pour les élus locaux.
Notre commission a également apporté certaines précisions à la loi du 15 avril 2013, notamment sur la transmission des données à caractère social nécessaires à l’identification de la population bénéficiaire des dispositifs proposés. Au regard des premiers retours d’expérience, il semble en effet utile d’harmoniser les relations entre les collectivités et les organismes de sécurité sociale, pour faciliter la poursuite de l’expérimentation.
Je précise que, en application de la législation organique, le dépôt de cette proposition de loi a pour effet de prolonger la durée de l’expérimentation jusqu’à son adoption définitive, pour un délai maximum d’un an. Si le présent texte n’entrait pas en vigueur avant le 15 avril prochain, l’expérimentation ne serait donc pas interrompue immédiatement. Nous formons toutefois le vœu que ce texte puisse être rapidement inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, pour être définitivement adopté dans les meilleurs délais.
Permettez-moi de saluer l’engagement des élus locaux, animés d’une volonté politique forte, volonté nécessaire pour la réussite d’une telle démarche expérimentale. Il serait regrettable que l’expérimentation s’interrompe brutalement, sans que tous ces efforts aient pu porter leurs fruits.
Le nombre des citoyennes et de citoyens qui sont entrés dans ce dispositif – 1,2 million –, me semble particulièrement éloquent.
Par ailleurs, la diversité des solutions retenues montre combien il est utile de mettre à la disposition des collectivités une gamme d’instruments suffisamment étendue qui réponde au mieux aux besoins de la population en tenant compte du contexte local. La solution optimale pour une grande agglomération ne sera pas forcément la plus pertinente pour un territoire rural. Le législateur devra donc tenir compte de cette diversité avant de généraliser certains dispositifs à l’issue de l’expérimentation.
Pour conclure, à l’heure où une révision constitutionnelle visant notamment à développer les facultés d’expérimentation est à l’étude, cette expérience témoigne une fois encore des formidables capacités d’innovation qui existent dans nos territoires et qui méritent amplement d’être soutenues.
Sachons faire confiance aux intelligences locales, afin de mettre en œuvre des réponses adaptées aux grands défis qui nous sont posés, tel l’accès à l’eau pour tous, qui nous mobilise aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Marc Laménie applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d’État.
M. Nicolas Hulot, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les philosophes de l’Antiquité, quand ils disaient que l’eau est le principe de tout, ne se trompaient pas !
Pour ma part, je suis convaincu que l’eau est aussi le déterminant de tout, et si nous sommes capables, comme vous le proposez, d’additionner nos intelligences et nos volontés pour préserver cette ressource et mieux la partager, la paix est envisageable au XXIe siècle. À l’inverse, elle ne l’est pas si nous gâchons ce bien vital.
Vous l’avez rappelé, l’eau est le substrat de la vie et un patrimoine commun de la Nation. La France peut être fière de porter ce concept universel, alors que le Forum mondial de l’eau s’est tenu au Brésil il y a quelques semaines.
Au XXIe siècle, l’eau que l’on considère dans notre pays comme un bien commun acquis, fera l’objet de nombreux défis – regardons la réalité en face, non pas pour nous effrayer, mais pour nous responsabiliser –, à commencer par le défi démographique, qui, en se combinant au défi climatique, provoquera des tensions sur une ressource essentielle pour nos concitoyens dans leur quotidien, mais également pour notre environnement, pour notre agriculture et pour notre industrie.
Comme les intervenants qui m’ont précédé l’ont évoqué, cette situation peut ajouter l’injustice à l’injustice, et la précarité hydrique à la précarité.
Déjà, dans les premières années du XXIe siècle, les signes précurseurs de ces tensions sont devenus palpables. On a connu au cours de l’été 2017 une sécheresse assez inédite et, dans certaines zones urbaines d’Europe, en raison notamment de la faiblesse de l’entretien des réseaux, des pénuries et des coupures ont fait leur retour.
Nous n’en sommes pas là, grâce notamment à la robustesse du modèle français de l’eau. À quelques semaines de l’ouverture des assises de l’eau, que je piloterai avec Sébastien Lecornu et qui auront pour objectif de moderniser notre gestion de l’eau, pour que chaque Français continue d’avoir un accès à l’eau de qualité et à un prix raisonnable, le présent débat a pour objet de renforcer ce modèle.
La proposition de loi dont nous discutons vise ainsi à prolonger l’expérimentation de la tarification sociale de l’eau prévue à l’article 28 de la loi du 15 avril 2013, dite loi Brottes.
Je l’affirme avec un immense plaisir et sans ambiguïté : je partage le souci des auteurs de cette proposition de loi de réconcilier universalité de la ressource et solidarité du service de l’eau. Mon ministère n’est pas celui de la transition écologique et solidaire pour rien !
Cette expérimentation vise à favoriser l’accès à l’eau, objectif qui nous rassemble, je le crois, au-delà des frontières habituelles dans un spectre très large, qui est pleinement intégré dans nos politiques publiques.
L’article 1er de la loi sur l’eau et les milieux aquatiques affirme par exemple que « l’usage de l’eau appartient à tous et [que] chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous. » Il est parfois bon de rappeler ces droits fondamentaux.
De même, parmi les objectifs de développement durable adoptés par les Nations unies en 2015, l’objectif n° 6 vise à « garantir l’accès de tous à l’eau et à l’assainissement et assurer une gestion durable des ressources en eau ».
Comme je l’ai dit, le Président de la République a annoncé à la fin de l’année 2017 l’organisation d’assises de l’eau en 2018. Ces assises, pilotées par mon ministère, seront l’occasion de débattre de notre politique de l’eau et des questions relatives à l’accès à l’eau.
La présente proposition de loi, qui a pour objet de proroger l’expérimentation de tarification sociale de l’eau, s’intègre pleinement dans le principe d’accès à l’eau consacré par nos politiques publiques. Elle arrive exactement au bon moment.
Grâce à la loi Brottes du 15 avril 2013, quelque cinquante collectivités de France métropolitaine, mais également d’outre-mer, se sont portées volontaires et ont mis en place, simultanément, de nouvelles tarifications de l’eau et de l’assainissement et des systèmes d’aide au paiement de la facture d’eau, afin de garantir un meilleur accès à ces services pour les plus démunis.
Les dispositifs qui ont été mis en place sont variés : ils ont été établis en fonction du contexte local, des populations ciblées ou du budget disponible. Cela montre que l’expérimentation, dans ce domaine comme dans d’autres, avait tout son sens, et l’inventivité des collectivités a permis des résultats très riches.
Pour citer quelques exemples concrets, certaines collectivités expérimentent la gratuité des premiers mètres cubes d’eau, d’autres la mise en place de tarifs réduits ou d’une tarification progressive, des abattements sur la facture d’eau, la distribution d’un chèque eau, proche du chèque énergie que j’ai distribué il y a quelques jours, ou encore des aides au règlement des impayés.
En complément, nombre de collectivités territoriales ont également mis en place une démarche de sensibilisation aux économies d’eau, afin d’accompagner la réduction de la dépense des ménages.
Dans ce foisonnement d’initiatives, on observe que certaines collectivités territoriales mettaient en place des outils permis par la loi dès avant l’expérimentation : elles avaient recours, par exemple, au Fonds de solidarité pour le logement en cas d’impayés ou aux étalements de créances. La plupart ont souhaité aller plus loin grâce à l’expérimentation, en mettant en place des dispositifs plus lisibles et une offre positive à l’égard des populations les plus fragiles, sans attendre que les difficultés de la vie ne conduisent ces populations à ne plus payer leurs factures.
Les premiers résultats obtenus sont intéressants. Pour ma part, parmi les retours d’expérience, j’ai été très sensible au témoignage de plusieurs collectivités territoriales, qui m’ont expliqué que l’expérimentation avait d’abord été une expérience humaine : elle a conduit les équipes administratives et les élus à s’interroger sur des habitants en grande difficulté, qui tentent par tous les moyens de régler leurs factures, mais se débattent aussi au cœur des précarités multiples que j’ai précédemment évoquées – difficultés de transport, difficultés d’accès à une alimentation saine et, j’y reviens, précarité énergétique.
Certaines collectivités territoriales ont témoigné de l’intérêt de l’expérimentation pour faire tomber les préjugés et réfléchir à une approche globale des foyers provisoirement et parfois, malheureusement, durablement éloignés du confort digne d’un pays comme la France.
Toutefois, compte tenu du délai nécessaire à la mise en place de l’expérimentation, les dispositifs mis en œuvre sont trop récents pour permettre de déterminer au niveau national s’il est intéressant ou non de généraliser certaines solutions ou d’adapter notre législation en conséquence.
Dans ce contexte, le Gouvernement soutient pleinement la prorogation de quelques années de l’expérimentation de la tarification sociale de l’eau et porte donc un regard favorable sur cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur des travées du groupe Union Centriste. – Mme Éliane Assassi applaudit également.)