Mme Éliane Assassi. Battez-vous pour le fret !
M. Pierre Cuypers. Le pire est à venir : les entreprises sont contraintes de puiser dans leurs stocks et, faute de pouvoir être transportées, les récoltes de juillet vont engorger des silos déjà saturés.
Des mesures d’urgence s’imposent. Je vous demande de mettre en place un service minimum de fret ferroviaire en cas de grève pour toutes les industries,…
Mme Éliane Assassi. Ben voyons !
M. Pierre Cuypers. … de prioriser les flux agricoles, de mettre en place des moyens importants pour moderniser les infrastructures fluviales et de prendre une mesure immédiate d’autorisation exceptionnelle de la circulation des camions les dimanches et jours fériés, à partir de vingt-deux heures la veille. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre chargée des transports.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur les conséquences du mouvement social à la SNCF. J’ai souligné à plusieurs reprises le caractère très pénalisant de cette grève pour les voyageurs. Ses conséquences pour notre activité économique, qu’il s’agisse de l’agriculture, de la sidérurgie ou du secteur des matériaux de construction, sont peut-être moins visibles, mais elles sont effectivement tout aussi réelles. Le fret ferroviaire et les activités économiques qui en dépendent payent ainsi un lourd tribut à cette grève.
Les jours de grève, environ un tiers des trains de fret circulent. Pour le fret, deux jours de grève, c’est une semaine d’activité de perdue. L’État et SNCF Réseau sont pleinement mobilisés. Un guichet unique pour les entreprises a notamment été mis en place. J’ai par ailleurs demandé aux préfets d’être particulièrement vigilants, de signaler toutes les situations critiques pour les activités économiques et d’accorder, comme vous le préconisez, des dérogations pour la circulation des poids lourds le dimanche si cela peut constituer une réponse appropriée.
Mme Éliane Assassi. Ben voyons !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Les organisations syndicales insistent souvent sur la nécessité de relancer le fret ferroviaire : j’y travaille, comme M. le Premier ministre l’a demandé le 16 avril dernier. Je suis en effet convaincue qu’il s’agit d’une réponse importante en termes de lutte contre le changement climatique et de sécurité routière : un train de fret en plus, c’est cinquante camions de moins sur les routes.
Mais chacun doit prendre ses responsabilités, car il y a un paradoxe à plaider pour une relance du fret ferroviaire tout en le fragilisant, comme c’est le cas avec le conflit actuel. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Laurent proteste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Cuypers, pour la réplique.
M. Pierre Cuypers. Madame la ministre, votre réponse ne me satisfait pas pleinement. Je crois que vous ne mesurez pas dans quelle situation d’urgence économique se trouvent ces entreprises, à la veille de la période de forte activité que représente l’été.
Des mesures urgentes s’imposent. Les agriculteurs, comme les industriels, attendent de votre part des décisions immédiates, afin que ne se trouve pas pénalisé un secteur qui, jusqu’à présent, était considéré comme un fleuron de l’économie de notre pays.
M. le président. Il faut conclure !
M. Pierre Cuypers. Une mauvaise gestion de cette crise et des décisions trop tardives auraient des conséquences irréversibles. N’ajoutez pas une crise à la crise ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
organisation de la semaine scolaire
M. le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Frédérique Puissat. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’éducation nationale.
Monsieur le ministre, par décret du 27 juin 2017, vous proposiez un élargissement du champ des dérogations à l’organisation de la semaine dans les écoles maternelles et primaires permettant au directeur académique, sur proposition conjointe d’une commune et d’un ou de plusieurs conseils d’école, d’autoriser des adaptations à l’organisation de la semaine sur quatre jours.
Plusieurs élus ont fait le choix de différer à 2018 la prise de leur décision. Ils tombent aujourd’hui souvent de leur chaise en même temps que tombent les décisions de vos services… En effet, nonobstant les décisions des conseils municipaux et de certains conseils d’école, qui, pour la plupart, s’appuient sur des consultations de parents, nonobstant les enjeux territoriaux avec souvent des projets éducatifs territoriaux qui harmonisaient des pratiques, nous assistons aujourd’hui à une véritable cacophonie locale.
Les élus et les parents sont désemparés : à la prochaine rentrée, on trouvera, sur un même territoire, des écoles organisées selon une semaine de quatre jours et d’autres selon une semaine de quatre jours et demi, avec un même service Enfance jeunesse ; les parents d’élèves seront confrontés, au sein du même regroupement pédagogique, à des écoles organisées selon une semaine de quatre jours en maternelle et de quatre jours et demi en primaire ; les élus subiront une double peine, avec des charges budgétaires qu’ils n’avaient pas prévues au regard des décisions d’un ou de plusieurs conseils d’école, mais surtout d’une baisse des dotations de l’État qui est aujourd’hui une évidence et que nous ne cesserons de rappeler !
Mes questions, monsieur le ministre, sont simples. Dès lors qu’un décideur-payeur n’aura pas été écouté, comment l’État assumera-t-il la charge créée de son seul fait ? Comment comptez-vous demander à vos services de se mobiliser pour permettre à ces territoires, aujourd’hui à deux vitesses, de retrouver une cohérence éducative territoriale ? Pourquoi n’avez-vous pas envisagé d’associer aux commissions prenant ces décisions les élus, qui sont, je le rappelle, les principaux payeurs, mais également les porte-parole, en matière de cohérence éducative, d’un territoire qu’ils connaissent et que ne représente pas toujours le conseil d’école ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale. Madame la sénatrice, votre façon de présenter les choses me surprend quelque peu. En effet, je ne m’attendais pas à ce que l’on me reproche, sur les travées du groupe Les Républicains, de laisser de la liberté aux autorités locales et, plus largement, au terrain pour définir les rythmes scolaires. Il me semblait que c’était ce que nombre d’entre vous réclamaient !
M. François Grosdidier. C’est le financement qui pose problème !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Les enquêtes de satisfaction que nous menons montrent que plus de 80 % des personnes interrogées approuvent cette mesure.
Lors de la dernière rentrée scolaire, près de 40 % des communes ont fait le choix de la semaine de quatre jours. Lors de la prochaine rentrée, entre 30 % et 40 % de communes supplémentaires opteront pour cette solution. Nous partions d’une situation très négative, qui donnait lieu à des reproches de votre part, et très inégalitaire, puisque seulement 40 % des élèves bénéficiaient d’activités périscolaires. Il n’y avait pas d’homogénéité.
Nous avons conforté ce qui fonctionnait bien et changé ce qui n’allait pas, en laissant la possibilité aux acteurs de terrain de choisir. Le cas que vous avez cité d’une école maternelle passée à la semaine de quatre jours alors que l’école élémentaire reste à la semaine de quatre jours et demi illustre mon propos. Il est tout à fait loisible à une communauté éducative de faire un tel choix. Cela relève d’un consensus local. Une telle organisation est vécue non comme un problème, mais au contraire comme une souplesse. On peut considérer, par exemple, que des enfants de maternelle ont davantage besoin de se reposer le mercredi que des enfants du primaire.
Il s’agit de choix locaux, pris en fonction de circonstances locales. Cette liberté est, je le sais, extrêmement bien perçue par la plupart des acteurs. Dans le cas que vous évoquez, le directeur académique des services de l’éducation nationale a fait le choix d’organiser une nouvelle consultation. Il s’agit donc d’un exemple très fort de démocratie locale, visant à aboutir à un consensus.
M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Encore une fois, c’est une mesure de liberté largement plébiscitée par les acteurs de terrain. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat, pour la réplique.
Mme Frédérique Puissat. Monsieur le ministre, il s’agit en réalité d’une pseudo-liberté ! Vous avez fait le choix délibéré de ne pas assumer le bilan de la mise en œuvre de la semaine de quatre jours et demi. Le conseil d’école ne peut pas prétendre détenir seul la vérité !
En revanche, il y a un seul payeur : l’élu ! Il y a une personne qui est interpellée par les parents : l’élu ! Il y a un garant de la cohérence de la politique éducative : l’élu ! Je vous demande donc d’écouter les élus ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
finances des collectivités territoriales
M. le président. La parole est à M. Yannick Botrel, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Yannick Botrel. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur. Elle concerne l’évolution des dotations aux collectivités territoriales, qui viennent d’être notifiées par les services de l’État.
Lors d’une récente intervention télévisée, à l’occasion de sa visite à Berd’huis, le Président de la République a déclaré que, en 2018, le montant des dotations attribuées aux collectivités ne subirait pas de baisse, et connaîtrait même une augmentation, légère il est vrai. Il a également affirmé que les dotations des communes seraient maintenues.
Je ne conteste absolument pas la première de ces affirmations : l’enveloppe des dotations connaît cette année une légère augmentation.
La seconde affirmation se révèle plus hasardeuse ; de nombreux maires peuvent en porter témoignage. Aux dires d’experts, 47 % des communes constatent une baisse de leur dotation globale de fonctionnement, pouvant parfois être importante, c’est-à-dire supérieure à 15 %.
En particulier, la dotation de solidarité rurale, la DSR, subit une érosion, voire une chute sensible, sans qu’aucune explication claire ne soit donnée.
Or, dans la plupart des cas, la situation intrinsèque de ces communes n’a pas changé, du moins si je me réfère au cas du département des Côtes-d’Armor.
Pis, la démonstration est faite que, au sein des nouvelles intercommunalités, très agrandies, les communes les plus pauvres se trouvent ponctionnées et les plus riches sont gagnantes !
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument, c’est la vérité !
M. Yannick Botrel. C’est là une curieuse conception de la péréquation et de la redistribution !
À ce stade, aucune explication n’a été fournie et le constat est fait que, au plus haut des services de l’État, on ne communique pas les éléments qui permettraient de comprendre le mécanisme d’évolution des dotations en jeu.
Ma question est double : le ministre de l’intérieur est-il déterminé à faire en sorte que la plus grande clarté soit faite et que les éléments de compréhension et d’analyse de ces évolutions des dotations soient rendus accessibles aux élus et à leurs associations ? Quelles corrections sont envisageables afin d’empêcher les redistributions sans cause réelle auxquelles on assiste et de rétablir une DSR plus équitable ?
Quelles sont les intentions du Gouvernement à ce sujet ? Il y va de la crédibilité de la parole de l’État. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur.
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur, cher Yannick Botrel (Exclamations amusées sur des travées du groupe Les Républicains.), vous m’interrogez sur la DGF et sur la péréquation entre les collectivités territoriales, qui, vous le savez, représente un objectif à valeur constitutionnelle. Ce principe est au cœur du fonctionnement de la DGF, qui comprend une part forfaitaire et une part péréquatrice, grosso modo de même importance.
Vous m’interrogez plus particulièrement sur la DSR. Le Gouvernement a choisi de renforcer la péréquation, à hauteur de plus de 200 millions d’euros en 2018. C’est ce qui a été inscrit dans la loi de finances par le Parlement. La DSR elle-même augmente de 80 millions d’euros. Elle est répartie en fonction d’un certain nombre de critères. Elle est destinée aux communes de moins de 10 000 habitants disposant d’un potentiel fiscal par habitant inférieur au double du potentiel financier par habitant moyen.
On enregistre bien évidemment des sorties et des entrées du dispositif. Ainsi, des communes comme Luçon ou Lambesc ont dépassé les 10 000 habitants et ne bénéficient donc plus de la DSR. Les trente-sept autres communes sortantes au niveau national ont toutes des populations inférieures à 5 000 habitants et deviennent inéligibles en raison de leur potentiel financier.
Les communes de plus de 10 000 habitants comprenant des quartiers difficiles peuvent bénéficier de la dotation de solidarité urbaine, la DSU.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Par ailleurs, il y a la péréquation horizontale. Le Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales, le FPIC, a été maintenu, par la volonté du Parlement, au même niveau que les années précédentes.
Le Gouvernement a bien respecté son engagement (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.) de maintenir une enveloppe globale de 27 milliards d’euros. (M. François Patriat applaudit.)
classement en zone de catastrophe naturelle
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Perrot, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
Mme Évelyne Perrot. Ma question s’adresse à Mme la ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur.
Madame la ministre, le dimanche 29 avril, le département de l’Aube a été frappé par une tempête de forte intensité. Plusieurs communes ont été impactées et les dégâts sont considérables. Plus de 140 maisons et quatre sociétés ont été touchées, sans parler des dommages paysagers et matériels. Une entreprise est complètement détruite, ce qui laisse une soixantaine de personnes au chômage technique.
La loi du 13 juillet 1982 dispose que les personnes physiques ou morales victimes de catastrophes naturelles peuvent être dédommagées par leur société d’assurance pour les dégâts subis. Les communes les plus sinistrées ont ainsi envoyé à la préfecture une demande de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle.
Par un communiqué de presse, la préfecture a précisé qu’une pointe de vent à 112 kilomètres-heure avait été enregistrée sur le territoire d’un village voisin, alors que l’état de catastrophe naturelle ne peut être reconnu que si la vitesse de 145 kilomètres-heure en moyenne a été atteinte ou dépassée sur dix minutes.
Si, en 1999, la France a été touchée par ce que l’on appelle une « grande tempête », aujourd’hui ce sont des mini-tornades d’une violence inouïe qui dévastent le territoire, sur un temps court. Comment défendre les demandes des élus concernés quand aucun relevé de vitesse de vent n’a été réalisé aux endroits les plus touchés, sachant qu’il peut y avoir des pointes à 215 kilomètres-heure au centre de la tornade ?
Madame la ministre, les maires sont habitués à gérer et à évaluer les situations d’urgence. Si l’un d’entre eux appelle au secours, c’est que la situation est grave !
Ma question est la suivante : au regard des changements climatiques, pensez-vous revoir les critères de classement en zone de catastrophe naturelle et intervenir auprès du préfet de mon département dans ce cas précis ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur.
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur. Madame la sénatrice Évelyne Perrot, vous m’interrogez sur les conditions de mobilisation de la garantie catastrophe naturelle en cas de dégâts provoqués par une tempête.
Je tiens d’abord à vous confirmer les informations qui vous ont été communiquées par les services de la préfecture de l’Aube. Les dégâts provoqués par le vent sur des biens assurables entrent dans le champ de la garantie catastrophe naturelle seulement lorsqu’il a présenté les vitesses et caractéristiques fixées par le code des assurances, c’est-à-dire lorsque les vents maximaux de surface enregistrés ou estimés sur la zone sinistrée ont atteint ou dépassé 145 kilomètres-heure. Les vents qui ont frappé le département de l’Aube le 29 avril dernier ne présentaient pas ces caractéristiques.
En revanche, les particuliers et les entreprises sinistrés victimes des vents violents seront indemnisés dans le cadre de leur assurance, sans qu’il soit besoin qu’intervienne au préalable une reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle.
Les effets des vents violents sont couverts par les contrats d’assurance au titre de la garantie « tempêtes, neige et grêle », ou TNG. Les contrats d’assurance habitation garantissant les dommages d’incendie ou tous autres dommages pour des biens situés en France métropolitaine couvrent obligatoirement les effets du vent dus aux tempêtes, caractérisées par des vents d’une vitesse supérieure à 100 kilomètres-heure.
Par ailleurs, les entreprises dont l’activité a été perturbée par les épisodes de vents et qui bénéficient d’une garantie pertes d’exploitation au titre de leur contrat d’assurance peuvent être indemnisées dans ce cadre.
Il faut donc inviter les victimes dont les biens assurés ont subi des dégâts provoqués par les vents d’une tempête à déclarer leur sinistre auprès de leur assureur afin de pouvoir être indemnisées dans les meilleurs délais. (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Je rappelle que la prochaine séance de questions d’actualité au Gouvernement aura lieu le jeudi 24 mai 2018, à quinze heures.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante, est reprise à dix-huit heures cinq, sous la présidence de M. Philippe Dallier.)
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Dallier
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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« Américains accidentels » concernés par le FATCA
Adoption d’une proposition de résolution
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de résolution invitant le Gouvernement à prendre en compte la situation des « Américains accidentels » concernés par le Foreign Account Tax Compliance Act (FATCA), présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par Mme Jacky Deromedi et plusieurs de ses collègues (proposition n° 64).
Dans la discussion générale, la parole est Mme Jacky Deromedi, auteur de la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste.)
Mme Jacky Deromedi, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, les États-Unis ont adopté le 18 mars 2010 le Foreign Account Tax Compliance Act, loi relative au respect des obligations fiscales concernant les comptes étrangers, dite « FATCA », résultant d’une convention fiscale d’échange d’informations signée entre la France et les États-Unis et d’application rétroactive.
Cette loi substitue au critère classique du domicile fiscal celui de la nationalité : tout Américain doit déclarer et payer des impôts aux États-Unis. Il s’agit là d’un bouleversement considérable de la législation fiscale américaine.
Le FATCA affecte en particulier les « Américains accidentels ». Il s’agit de nos compatriotes nés aux États-Unis à l’occasion d’un bref séjour, d’une escale ou visite touristique ou d’une hospitalisation. Ils sont Français, mais ils sont également Américains. Ils ignoraient généralement qu’ils avaient la citoyenneté américaine. Ils n’ont pas de relations avec les États-Unis, ils n’ont aucune famille là-bas, ils n’avaient pas de contact avec l’administration américaine avant 2014, ils n’ont pas de passeport américain.
En effet, toute personne née aux États-Unis est citoyenne américaine : c’est le jus soli, le droit du sol. Il existe également des « Américains accidentels » nés ailleurs qu’aux États-Unis. Ils le sont par filiation, l’un de leurs parents né aux États-Unis étant lui-même « Américain accidentel »…
En 2014, ils ont découvert qu’ils devaient avoir des relations suivies avec les États-Unis en matières fiscale et bancaire. En effet, leurs banques françaises les ont informés cette année-là de l’existence du FATCA. Ils devaient, dès lors, payer leurs impôts aux États-Unis. Ils ont appris que le FATCA était d’application rétroactive sur plusieurs années, avec des indemnités et pénalités de retard à la clef… Ils ont découvert que la France, comme d’ailleurs les autres États de l’Union européenne, avait conclu avec les États-Unis en 2013, pour l’application du FATCA, un accord d’échange automatique des données fiscales et bancaires.
Ils étaient donc tenus de remplir les formulaires envoyés par leurs banques, pour transmission au fisc américain. Ils devaient avant toute chose obtenir un numéro de sécurité sociale américain, démarche complexe pour nombre d’entre eux, beaucoup ne parlant même pas anglais.
Je souhaiterais vous lire quelques extraits d’un témoignage reçu récemment :
« Je suis née aux USA, en Californie, à Pasadena, de parents tous les deux Français. […] Mes parents sont rentrés en France lorsque j’avais 16 mois. […]
« En juin 2016, ma banque m’a envoyé un courrier m’indiquant que je présentais “ un indice d’américanité ”. […] Je travaillais alors à plein temps et je rédigeais une thèse pour une formation que j’avais décidé de suivre pour booster ma carrière professionnelle. […]
« J’ai entrepris les démarches difficiles pour collecter les informations nécessaires à la constitution du dossier pour obtenir le numéro de sécurité sociale américain. […]
« J’ai interrompu tous mes projets personnels. […] J’ai appris début 2018 que le fisc français avait transmis mes soldes bancaires au fisc américain.
« J’ai engagé un cabinet spécialiste de la fiscalité française et américaine pour des honoraires estimés entre 13 000 et 15 000 euros suivant un taux horaire non contrôlable. […] Le cabinet m’a indiqué que je dois en outre payer 25 000 euros au fisc américain. […]
« J’espère que la procédure sera terminée fin juin 2018 car, dans le cas inverse, le préjudice financier sera encore plus important puisque la France passe au prélèvement à la source et, de ce fait, je n’aurai aucun crédit d’impôt à déduire des impôts que je devrai aux USA en 2018. »
Voilà une femme de cinquante-trois ans qui voit partir en fumée tous ses rêves et ses économies… Les banques françaises sont en effet tenues de faire le signalement de leurs clients américains et de transmettre au fisc américain quantité d’informations. Nos compatriotes jugent cette démarche très intrusive et considèrent qu’elle porte atteinte à leur vie privée.
La loi FATCA a prévu des sanctions fort dissuasives.
Pour les banques, il s’agit d’une retenue à la source punitive de 30 % sur l’ensemble des flux financiers versés depuis les États-Unis sur des comptes de US persons, voire le retrait de la licence bancaire aux États-Unis. Aucune banque ne peut donc se permettre de refuser l’application du FATCA.
Quant aux « Américains accidentels », ils s’exposent à des poursuites du fisc américain, qui peut demander au fisc français d’engager des poursuites contre eux. Ils doivent également éviter de voyager aux États-Unis, sous peine de devoir y rester… jusqu’à ce qu’ils aient régularisé leur situation.
En France, les « Américains accidentels » rencontrent de grandes difficultés auprès des banques et des sociétés de gestion de portefeuille, soumises aux contrôles stricts de l’autorité américaine de régulation des marchés.
Soucieuses de ne pas devenir les proies de contrôles intrusifs du fisc et de l’autorité américaine de régulation des marchés, les banques et les sociétés de gestion de portefeuille françaises sont de plus en plus réticentes à conserver une clientèle d’« Américains accidentels ». La plupart des banques françaises refusent l’ouverture de comptes à ces personnes, les privant ainsi de tous les services bancaires, tels que prêts, produits d’épargne retraite, cartes bancaires, etc. Elles peuvent même unilatéralement décider de fermer les comptes de leurs clients habituels dont elles apprennent qu’ils présentent un « indice d’américanité ». Certes, en cas de refus d’ouverture d’un compte bancaire, le code monétaire et financier prévoit une procédure de recours auprès de la Banque de France, qui peut enjoindre à une banque d’ouvrir un compte à la personne concernée.
Comment ne pas s’interroger aussi sur la légalité du « fichage » des « Américains accidentels » au regard de la loi Informatique et libertés, en raison des conséquences dramatiques qui peuvent en résulter ?
J’ai, en ce qui me concerne, commencé à travailler sur ce sujet dès juin 2015, après m’être entretenue avec l’une de ces victimes résidant à Singapour. J’ai alors adressé un courrier à M. Michel Sapin, en septembre 2015, auquel a répondu M. Jean-Marc Ayrault en juillet 2016. Je vous donne lecture d’un extrait de cette réponse : « Le fondement de l’impôt sur la nationalité et non sur le domicile fiscal relève de la compétence souveraine des États-Unis, sur laquelle la France ne peut intervenir »…
Plusieurs « Américains accidentels » ont donc décidé de renoncer à la nationalité américaine, mais on a du mal à imaginer la complexité et surtout le coût de cette procédure.
Il faut prendre un avocat américain si l’on veut que la procédure aboutisse. On m’a signalé des honoraires oscillant entre 10 000 et 100 000 euros. Une famille a dû se défaire de tout son patrimoine immobilier en France.
Il faut aussi acquitter une taxe de 2 500 euros auprès de l’administration américaine et surtout, évidemment, s’être mis en règle avec le fisc américain, après avoir payé les arriérés d’impôts, les pénalités de retard et les amendes…
De plus, on vient de m’informer que le Congrès américain a voté en décembre 2017, il y a donc moins de cinq mois, une nouvelle loi qui aggrave considérablement la situation des « Américains accidentels » : une taxe de rapatriement de 17,5 % sur les bénéfices des trente dernières années des entreprises détenues par des US persons, y compris donc des « Américains accidentels », a été instaurée… C’est purement et simplement une confiscation de capitaux français.
Quelle est la finalité de cette proposition de résolution ? Agir à un triple niveau.
Au plan international, l’Association des « Américains accidentels », dont je salue les efforts, a saisi le président Trump. Notre excellent collègue Antoine Lefèvre, président du groupe d’amitié France-États-Unis du Sénat, avec lequel je me suis entretenue avant son départ pour accompagner la visite d’État du président Macron à Washington, a immédiatement agi auprès des autorités américaines au plus haut niveau.
L’Association des « Américains accidentels » souhaite une remise en cause de l’accord franco-américain de 2013. Elle souligne que les États-Unis ne respectent pas la réciprocité en matière d’échange d’informations entre l’administration américaine et le fisc français, ce qui pourrait nous permettre de dénoncer cet accord. Elle demande la prise de dispositions transitoires pour le passé, et l’ouverture de la possibilité de renoncer à la citoyenneté américaine selon une procédure simplifiée.
Au plan européen, le président de l’Association des « Américains accidentels », Fabien Lehagre, a saisi le Parlement européen d’une pétition transmise à la commission des pétitions, qui a déclaré la demande recevable. Elle prépare une proposition de résolution, qui sera examinée en séance plénière du Parlement européen en juin. Une résolution du Parlement européen apporterait un grand appui à cette juste cause, en mobilisant la Commission européenne sur le sujet.
Au plan national, plusieurs d’entre nous ont multiplié les démarches auprès des gouvernements successifs. À plusieurs reprises, M. Jean-Marc Ayrault m’a indiqué qu’il comprenait les difficultés des « Américains accidentels », en renvoyant à des discussions entre notre ambassade et les autorités américaines. J’ai déposé cette proposition de résolution, cosignée par une centaine de mes collègues, eux-mêmes saisis de ce problème dans leurs circonscriptions. Je les remercie de l’intérêt qu’ils ont porté à cette situation.
L’Assemblée nationale a repris le flambeau en créant une mission d’information sur la situation des Français nés aux États-Unis au regard du FATCA, dont les deux rapporteurs sont MM. Marc Le Fur et M. Laurent Saint-Martin. Elle m’a auditionnée le 18 avril dernier.
En outre, la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, a été saisie par un particulier de la question de la fermeture des comptes à partir d’un fichage des US persons.
Enfin, l’Association des « Américains accidentels » a formé devant le Conseil d’État un recours pour excès de pouvoir contre l’arrêté du 25 juillet 2017, qui constitue l’une des modalités de mise en œuvre de l’accord franco-américain d’application du FATCA.
En agissant de concert à ces trois niveaux – bilatéral, européen et national –, je suis persuadée que nous pourrons avancer vers la solution qu’espèrent nos compatriotes « Américains accidentels ». C’est une question de justice. Nous ne pouvons pas permettre que ces compatriotes soient pris en otages et aient à payer une rançon pour avoir le droit de vivre dignement. Je vous remercie par avance de votre soutien ! (Applaudissements.)