M. Antoine Lefèvre. Nous sommes d’accord !
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Ce n’est pas le cas !
M. Emmanuel Capus. J’ai beaucoup entendu parler de M. Cahuzac. On ne légifère pas non plus sous la pression médiatique ou sous la pression des effets de mode, encore moins au Sénat.
Mes chers collègues, la vocation de la Haute Assemblée est justement de se prémunir contre ce qui se passe malheureusement trop souvent à l’Assemblée nationale. À force de subir la pression médiatique, les effets de mode, on finit par regretter d’avoir élaboré des lois totalement inutiles ou contre- productives. (M. Sébastien Meurant applaudit.)
M. Gérard Longuet. Très bien !
M. Emmanuel Capus. Cette première raison me paraît primordiale.
Deuxièmement, on a beau le critiquer, je pense très sincèrement que ce dispositif permet un tri efficace des affaires. Il ne faut pas oublier que le souci de recouvrer les sommes dues est l’objectif prioritaire. Certains ont exprimé un souhait de sanction morale, mais tel n’est pas l’objectif du législateur. Le Parlement, non plus que le tribunal correctionnel, n’est pas le lieu des sanctions morales.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Encore une fois, il n’en est pas question ici !
M. Emmanuel Capus. Certains orateurs ont évoqué de telles sanctions. Or ce n’est pas le sujet qui nous occupe : il s’agit de lutter contre la fraude et d’obtenir une restitution la plus rapide possible des sommes non recouvrées. L’administration fiscale me semble donc dans son rôle lorsqu’elle recourt à la transaction pour récupérer efficacement les sommes soustraites à la collectivité. Là est l’intérêt général.
J’ajoute que ceux qui dénoncent l’engorgement des tribunaux sont ceux-là mêmes qui poussent à une surpénalisation.
Mes chers collègues – je m’adresse principalement à ceux qui veulent vraiment lutter contre la fraude fiscale –, si vous voulez enterrer un dossier, envoyez-le au tribunal correctionnel.
M. Gérard Longuet. Tout à fait !
M. Emmanuel Capus. Les dossiers vont traîner des années et des années. En tant qu’avocat, certains de mes dossiers concernant des accidents mortels sont pendants devant le tribunal correctionnel depuis 2010. Encore une fois, si vous voulez enterrer un dossier fiscal, envoyez-le directement à ce tribunal : ce sera la meilleure façon de le laisser pourrir.
Par ailleurs, les procédures de règlement amiable des différends en matière fiscale me semblent aller dans le sens de l’avenir et de la modernité. C’est d’ailleurs la voie choisie par toutes les juridictions judiciaires qui proposent d’emblée une médiation, y compris en matière de transaction pénale.
C’est un non-sens absolu de vouloir renoncer à la transaction administrative devant des fonctionnaires spécialisés pour renvoyer les affaires à des juges qui ne sont absolument pas formés – nous sommes d’accord sur ce point – pour les traiter, qui plus est au cours d’audiences surchargées où des cas de conduite en état d’ivresse succèdent à des cas de violences conjugales qui engorgent malheureusement encore nos tribunaux. Le juge, qui devra statuer au cours de ces mêmes audiences sur ces dossiers ultrasophistiqués, ultra-précis et ultra-techniques,- n’aura qu’une seule échappatoire : s’en rapporter aux sachants, c’est-à-dire aux fonctionnaires compétents de l’administration fiscale.
Mes chers collègues, je pense que vouloir surpénaliser les dossiers fiscaux relève du fantasme.
Troisièmement, ce dispositif s’appuie sur la compétence et sur le jugement de l’acteur le mieux à même de sélectionner les affaires. Je veux bien évidemment parler de l’administration fiscale, dont l’expertise serait de toute façon nécessaire au juge judiciaire pour sélectionner les dossiers.
Quatrièmement, enfin, il me semble que le « verrou de Bercy » s’est bonifié depuis 1977, au fil de nombreuses améliorations. Les travaux en cours à l’Assemblée nationale et les réflexions évoquées par M. le secrétaire d’État permettront d’améliorer encore ce dispositif sans le supprimer.
Nous partageons la volonté de changement des auteurs de ce texte, mais nous estimons que cette proposition de loi est à la fois trop brutale et prématurée, raison pour laquelle le groupe Les Indépendants – République et Territoires ne la votera pas.
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, après les excellentes interventions des orateurs précédents, je m’exprimerai à mon tour sur le sujet qui nous intéresse aujourd’hui.
Au fond, la question que pose le « verrou de Bercy » est celle de la séparation des pouvoirs et de la transparence dans les relations entre administration fiscale et autorité judiciaire.
Le « verrou de Bercy » constitue une exception à la procédure judiciaire. Alors que, en temps normal, seul le procureur de la République décide d’engager des poursuites pénales, l’auteur présumé d’une infraction fiscale ne peut être poursuivi que sur plainte de l’administration, après avis conforme de la commission des infractions fiscales, la CIF – autorité administrative indépendante, créée en 1977 et composée de vingt-quatre magistrats.
En effet, en vertu de l’article L. 228 du livre des procédures fiscales, « les plaintes tendant à l’application de sanctions pénales en matière d’impôts directs, de taxe sur la valeur ajoutée et autres taxes sur le chiffre d’affaires, de droits d’enregistrement, de taxe de publicité foncière et de droits de timbre sont déposées par l’administration sur avis conforme de la commission des infractions fiscales », et ce sous peine d’irrecevabilité.
Toujours selon le même article, « la commission examine les affaires qui lui sont soumises par le ministre chargé du budget. Le contribuable est avisé de la saisine de la commission qui l’invite à lui communiquer, dans un délai de trente jours, les informations qu’il jugerait nécessaires. » L’administration fiscale possède donc le monopole du déclenchement de poursuites pénales en matière de fraude fiscale.
Ce privilège légal remonte aux années 1920, à une époque où l’État souhaitait recouvrer plus efficacement les impôts. Il faut le reconnaître, l’État, le « plus froid de tous les monstres froids », comme l’a appelé Nietzsche, se préoccupe plus souvent d’efficacité que d’éthique. Mais cette particularité a-t-elle encore une raison d’être aujourd’hui ?
Le « verrou de Bercy » est un sujet bien connu au Sénat. Nous en avons débattu à maintes reprises, ces dernières années. Il est déjà arrivé à notre assemblée de voter sa suppression ou, à tout le moins, son assouplissement.
Ce fut le cas l’an dernier, lors des débats sur la loi pour la confiance dans la vie politique. Ce le fut également lors de l’examen de la loi Sapin II, en 2016, au cours duquel un amendement de notre excellent collègue Éric Bocquet prévoyant la levée du « verrou de Bercy » pour fraude fiscale associée à d’autres activités criminelles ou délictuelles avait été adopté.
Je rappellerai également que le groupe du RDSE, sur l’initiative de notre tout aussi excellent collègue Pierre-Yves Collombat, avait proposé de confier l’initiative de poursuites au procureur de la République financier sur avis simple de la commission des infractions fiscales.
S’il avait reconnu la légitimité du débat, Michel Sapin avait néanmoins émis un avis défavorable, considérant que l’efficacité du dispositif devait primer sur les considérations éthiques.
Il est vrai que les arguments contre une suppression sèche du « verrou de Bercy » ne manquent pas : expertise reconnue de l’administration fiscale, efficacité pour récupérer des sommes dues, réponse pénale existant déjà dans les cas les plus graves, possibilité d’engager des poursuites pour le blanchiment de fraude fiscale, et, surtout, risques liés à un transfert brutal à l’autorité judiciaire sans dispositif transitoire – engorgement, perte d’expertise, de confidentialité…
Toutefois, les arguments en faveur d’une plus grande transparence, notamment s’agissant des critères de sélection des dossiers transmis par la CIF au juge pénal – montant concerné par la fraude, agissements du contribuable, circonstances personnelles – gardent toute leur pertinence.
Le manque de données sur le nombre de dossiers traités, l’ampleur des affaires et celle des transactions contribuent à la crispation des positions sur ce débat, ce qui n’est ni sain ni acceptable.
Il faut néanmoins souligner les progrès accomplis ces dernières années. Même s’il reste du chemin à parcourir pour en finir avec la fraude, un changement de culture, comme le rappelle l’exposé des motifs de la proposition de loi, s’est opéré et la lutte contre l’évasion fiscale a gagné en efficacité.
De nouveaux outils ont été créés. Je pense à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique et au Parquet national financier.
Après l’affaire Cahuzac, la Haute Autorité a rendu publics des manquements ayant entraîné la démission de deux anciens ministres. Chargé des affaires les plus complexes, le Parquet national financier a obtenu quelques condamnations fortes et symboliques.
La loi Sapin II de 2016 a notamment accordé un statut aux lanceurs d’alerte, créé l’Agence française anticorruption et introduit l’infraction pour corruption d’agent public étranger.
Enfin, le guichet pour les fraudeurs repentis, ouvert entre 2013 et 2017, a permis de régulariser quelque 32 milliards d’euros d’avoirs et de recouvrer près de 8 milliards d’euros.
La présente proposition de loi permettrait, si elle était adoptée, d’approfondir logiquement ce changement culturel. C’est la raison pour laquelle les membres du groupe du RDSE sont, dans leur très grande majorité – à une exception près –, favorables à son adoption. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton.
M. Julien Bargeton. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il faudrait commencer par écarter deux idées reçues sur le « verrou de Bercy ».
Premièrement, ce « verrou » serait une anomalie juridique. Or, lors de l’examen d’une question prioritaire de constitutionnalité, ou QPC, de juillet 2016, le Conseil constitutionnel n’a pas censuré son existence. Bien au contraire, dans une seconde QPC de décembre 2016, le Conseil s’est prononcé contre un trop gros transfert de compétence en matière de fraude fiscale.
Deuxièmement, le « verrou de Bercy » entraînerait un laxisme en matière de fraude fiscale. Il faut écarter cette idée, comme le démontrent certains chiffres qui ont déjà été rappelés – 68 peines de prison ferme et 131 amendes d’un montant moyen de 10 000 euros. Les sanctions sont bel et bien réelles et un certain nombre d’affaires sont parvenues jusqu’aux tribunaux en dépit de l’existence du « verrou ». L’efficacité est là.
Je rappelle que le délai moyen d’un contrôle fiscal est de huit mois, alors que, au pénal, il faut compter en moyenne trois ans entre le dépôt de plainte et le jugement…
Mais je ne voudrais pas trop rentrer dans ce débat. En effet, à opposer l’engorgement des tribunaux et l’incapacité de la justice à gérer ce genre d’affaires, on peut se voir répondre qu’il faut armer la justice en matière de fraude fiscale…
Au-delà du fait que certains avocats chevronnés et très spécialisés seraient en mesure de retarder très sensiblement les délais en matière de jugement, c’est une question de principe qui est posée : la judiciarisation est-elle la meilleure garante de la souveraineté de l’État ? Faut-il tout judiciariser dans la société ?
Ceux qui critiquent le « verrou de Bercy » ne démontrent pas que sa suppression, au profit d’une judiciarisation généralisée, serait plus efficace. Je le dis même très clairement : la suppression de ce dispositif ne permettrait pas de recouvrer les 60 à 80 milliards d’euros de fraude fiscale par an dont il est souvent question. C’est une évidence.
Le débat va avoir lieu : nous allons examiner le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude et Mme Cariou, grande spécialiste des sujets fiscaux à l’Assemblée nationale, va bientôt rendre son rapport, au nom de la mission d’information commune sur les procédures de poursuite des infractions fiscales.
Bien évidemment, comme lors du débat précédent, on pourra nous reprocher de toujours vouloir reporter la discussion à un texte ultérieur, alors que la situation est urgente. Or, si j’étais taquin, je relèverais que certains signataires de la proposition de loi semblent découvrir cette urgence, puisque pas moins de sept étaient à des postes de responsabilité sous le quinquennat précédent et n’ont rien fait pour régler cette question…
M. Antoine Lefèvre. Absolument !
M. Julien Bargeton. Le mieux est l’ennemi du bien en cette affaire. Si la plus grande efficacité de la judiciarisation n’est pas démontrée, l’efficacité du « verrou de Bercy » ne l’est pas non plus entièrement.
Je partage les propos de Mme Goulet : il faut améliorer l’évaluation de ce mécanisme. Le rapport présenté n’est pas satisfaisant pour les parlementaires que nous sommes.
D’autres évolutions sont possibles. Je pense à l’amendement – encore une fois – de Mme Goulet qui vise à inscrire les critères de la circulaire dans la loi, sans rigidifier. On peut aussi renforcer le contrôle, notamment en ciblant les dossiers qui ne sont pas transmis, ou bien améliorer l’encadrement des transactions. Nous pouvons nous inspirer de certains autres pays pour avancer.
La suppression du « verrou de Bercy » n’est pas l’alpha et l’oméga. Ce dispositif ne remet pas en cause la séparation des pouvoirs ; il instaure un filtre. La judiciarisation totale n’irait pas forcément dans le bon sens.
Pour autant, cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas continuer d’avancer. M. Stanislas Guerini, par exemple, a proposé, à l’Assemblée nationale, de déchoir de leurs droits civiques les personnes condamnées pour fraude fiscale caractérisée, et il a obtenu satisfaction.
Des avancées récentes, rappelées par plusieurs orateurs, ont eu lieu depuis 2013. La fraude fiscale est une atteinte à l’esprit civique, au principe d’égalité devant l’impôt et même à l’ordre public. Mieux qu’un débat précipité, cette question mérite une réflexion approfondie en partant des propositions évoquées au cours de notre discussion.
C’est la raison pour laquelle, tout en étant tourné vers la lutte contre la fraude fiscale, le groupe La République En Marche votera contre cette proposition de loi. (MM. Emmanuel Capus et Gérard Longuet applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Antoine Lefèvre. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le dispositif du « verrou de Bercy » confie à l’administration fiscale française le monopole des décisions de poursuite judiciaire en matière de fraude fiscale. Il s’agit du seul délit que les parquets ne peuvent poursuivre de façon autonome. Ce « verrou » est donc un dispositif dérogatoire au droit commun.
L’administration opérant un filtre, ce manque de transparence est critiqué. D’aucuns pensent que des affaires de fraude fiscale sont ainsi étouffées. En réalité, ce dispositif est très encadré. Il a la vertu de l’efficacité, ce qui permet à Bercy de récupérer plus vite les sommes dues.
Certes dérogatoire, le « verrou de Bercy » est parfaitement conforme à la Constitution : il est donc encadré juridiquement. Dans sa décision du 22 juillet 2016, le Conseil constitutionnel estime que ce mécanisme ne porte pas « une atteinte disproportionnée au principe selon lequel le procureur de la République exerce librement […] l’action publique ». Une fois la plainte déposée, le parquet a « la faculté de décider librement de l’opportunité d’engager des poursuites. »
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel juge que l’administration fiscale est la mieux placée pour estimer le préjudice qui lui est causé par la fraude fiscale et qu’ainsi « l’absence de mise en mouvement de l’action publique ne constitue pas un trouble substantiel à l’ordre public. »
Enfin, le « verrou de Bercy » s’inscrit, selon le Conseil constitutionnel, « dans le respect d’une politique pénale déterminée par le Gouvernement ».
Par ailleurs, ce dispositif est encadré par une autorité administrative indépendante – la commission des infractions fiscales –, composée de membres du Conseil d’État, de conseillers de la Cour des comptes, de magistrats de la Cour de cassation et de personnalités qualifiées nommées par les présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale. C’est elle qui décide du dépôt de plainte ou non. Dans les faits, 90 % des dossiers qui lui sont transmis font l’objet d’une plainte.
En amont de cette commission, l’administration fiscale effectue un travail de contrôle : chaque année, elle opère 1 million de contrôles sur les pièces transmises pour la déclaration d’impôt et 50 000 contrôles fiscaux. Elle réalise un travail d’investigation très pointu qu’un magistrat pénal ne pourrait effectuer aussi rapidement et facilement, ne disposant pas de l’expertise technique de Bercy. Il aurait, de toute façon, besoin des services de l’administration pour être éclairé.
En outre, le secret fiscal est parfaitement préservé par Bercy, ce qui n’est, hélas !, pas toujours le cas du secret de l’instruction. Nous avons pu constater à plusieurs reprises que, de manière très sibylline, des pièces de dossiers en cours d’instruction sont publiées dans la presse…
M. Philippe Dominati, vice-président de la commission des finances. Exactement !
M. Antoine Lefèvre. De surcroît se pose le problème des moyens de la justice. En tant que rapporteur spécial du budget de la justice, j’ai pu constater, comme l’ont souligné d’autres orateurs avant moi, un allongement des délais de traitement des contentieux. Cette question ne peut être éludée.
Les tribunaux pénaux étant engorgés, la suppression du « verrou de Bercy » ajouterait une charge de travail considérable. Les recouvrements seraient donc très longs à obtenir, ce qui serait d’autant plus préjudiciable qu’ils représentent chaque année 4 à 5 milliards d’euros de recettes pour l’État, à moins d’embaucher des centaines de magistrats pour examiner les 16 000 manquements délibérés et les 4 000 dossiers répressifs constatés en matière de fraude fiscale.
Ce dispositif apparaît par conséquent comme un garde-fou qu’il faut maintenir, même s’il doit évoluer. En effet, davantage de transparence et de contrôle sont nécessaires, nous n’en disconvenons pas.
Ainsi, les critères de sélection des dossiers par Bercy et par la commission des infractions fiscales, aujourd’hui définis par une circulaire, devraient être redéfinis par la loi.
Le Parlement pourrait également être mieux associé au contrôle. J’ai bien entendu, monsieur le secrétaire d’État, votre souhait de lui redonner les clés du « verrou ».
Des amendements allant dans ce sens seront d’ailleurs déposés dans le cadre du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude qui sera examiné prochainement par le Sénat, première chambre saisie de ce texte.
Dans l’attente de l’examen de ce projet de loi, et pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, le groupe Les Républicains n’adoptera pas cette proposition de loi, conformément à la position de la commission des finances et de son rapporteur, Jérôme Bascher, que je tiens à féliciter très chaleureusement pour la qualité de son rapport. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Gérard Longuet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances par intérim (Sourires.), monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le Parlement est né du vote de l’impôt, il est donc normal qu’il consacre des temps de réflexion et de débats, même si nous avons parfois le sentiment d’être répétitifs, à l’efficacité de la collecte de l’impôt.
À cet égard, je veux remercier Mme Marie-Pierre de la Gontrie d’avoir déposé cette proposition de loi, qui permet d’ouvrir le débat.
Je me réjouis également que de nombreux membres du groupe socialiste et républicain qui auraient pu, en qualité de ministre, initier ce débat lorsqu’ils exerçaient des responsabilités – mais à tout pécheur, miséricorde… – se posent aujourd’hui la question du « verrou » fiscal.
Ce dispositif est d’ailleurs non pas un verrou, mais un point de passage obligé. Comme Jérôme Bascher l’a souligné avec pertinence, il s’agit non pas d’empêcher – ce qui est la fonction d’un verrou –, mais de contrôler.
Nous avons le choix entre deux extrémités également condamnables : faire de Bercy et de l’administration le « cercle des dossiers disparus », ce qui donnerait le sentiment d’une obscurité coupable, ou accepter le pilori en place de Grève, avant qu’il y ait eu instruction et, a fortiori, condamnation, ce qui est malheureusement souvent le cas lorsque la procédure emprunte la voie strictement judiciaire.
Les interventions précédentes, notamment celles de nos collègues avocats, ont justement rappelé un certain nombre de vérités. Si l’affaire était facile, cela se saurait. Depuis que ce principe a été posé en 1920, on peut relever certaines interventions prudentes. Je songe, par exemple, à la création de la commission des infractions fiscales en 1977.
Souvenons-nous, le président élu à cette époque avait bénéficié indirectement et involontairement de la transmission par la presse d’une information fiscale concernant l’un de ses compétiteurs. Ce fut une première. Sans doute avait-il eu la volonté de faire en sorte que ce secret soit maintenu, pour préserver l’égalité des citoyens et ne pas les exposer à la pression de Bercy, tout en veillant à ce que ce ministère ne devienne pas le cercle des dossiers disparus. En effet, la commission des infractions fiscales, élargie aux magistrats honoraires de la Cour de cassation, permet aujourd’hui un contrôle.
Interventions donc en 1920, 1977 et 2013. Et aujourd’hui ? La société du numérique, que nous l’aimions ou pas, que nous le voulions ou pas, est une société de la transparence. C’est aussi celle des data massives, des innombrables banques de données et de l’intelligence artificielle. On l’imagine assez bien, les contrôles fiscaux changeront progressivement de nature et gagneront en exhaustivité par rapport au système du prélèvement aléatoire, qui ne permet pas d’établir une véritable égalité.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous ne pourrons pas aller au bout de ce débat. La position adoptée par le rapporteur et défendue par le groupe auquel j’appartiens est pertinente. Le débat est ouvert, et ne sera pas tranché, ce d’autant moins que l’Assemblée nationale s’exprimera la semaine prochaine sur ce sujet, vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, à l’occasion du dépôt du rapport de la mission d’information présidée par M. Éric Diard et dont la rapporteur est Mme Émilie Cariou – nous connaissons tous sa compétence. Ce rapport enrichira le débat et dégonflera sans doute un certain nombre d’illusions, notamment celle de l’existence d’une caverne magique, un antre d’Ali Baba, permettant de récupérer rapidement 80 milliards d’euros de fraudes fiscales.
À cet égard, la définition de la fraude fiscale mériterait d’être contrôlée et vérifiée, et ce sera sans doute l’un des sujets traités lors de l’examen en juillet prochain du texte de Gérald Darmanin. Il serait utile de s’entendre sur ces termes, entre optimisation et délinquance pure et simple.
Il ne me paraît donc pas possible, en cet instant, de céder à la tentation qui anime implicitement les auteurs de cette proposition de loi, à savoir l’idée selon laquelle la voie judiciaire constituerait le moyen de rendre les choses les plus publiques possible, rejoignant ainsi l’idée de pilori que j’évoquais tout à l’heure. Ainsi, ceux qui seraient soupçonnés de fraude ne seraient libérés de ce soupçon qu’au terme de plusieurs années de procédure judiciaire, tant la justice est confrontée, on le sait, à de nombreuses difficultés.
Je compte donc sur le texte de Gérald Darmanin pour approfondir une question bien présentée par notre rapporteur, lequel ne peut pourtant prétendre en cet instant, il le reconnaît lui-même, à une solution définitive. Il serait malheureux d’abandonner une procédure qui rend implicitement hommage au sérieux, à la responsabilité, au professionnalisme, mais aussi – et ce n’est pas sans importance – à la discrétion de l’administration des impôts, laquelle est assurément un facteur de cohésion et de respect de l’État pour l’ensemble des citoyens, contribuables pour les impôts indirects et largement représentés pour les impôts directs. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Emmanuel Capus applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Je souhaite apporter quelques éléments de réponse à certaines interventions.
Je donnerai tout d’abord des précisions sur la quantité de contrôles fiscaux et de dossiers ayant donné lieu à une action pénale, notamment ceux qui sont dits répressifs.
En 2017, sur les quelque 50 000 contrôles fiscaux externes qui ont été effectués – c’est le nombre habituel constaté chaque année –, 14 200 dossiers sont dits « répressifs », c’est-à-dire qu’une pénalité exclusive de bonne foi est appliquée. Ces derniers représentent plus de 6,4 milliards d’euros de droits et pénalités notifiés, soit une moyenne de plus de 453 000 euros par dossier. Parmi eux, 4 200 concernent des droits et pénalités notifiés supérieurs à 100 000 euros, soit un total de plus de 4 milliards d’euros.
Quant à l’action pénale, elle a donné lieu, en 2016 – pardonnez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, de comparer deux années différentes, mais nous savons que, d’une année sur l’autre, les chiffres restent stables –, à 770 décisions de justice et aux sanctions suivantes : 939 condamnations, dont 430 définitives ; 360 peines de prison, dont seulement 68 fermes, mais, pour l’essentiel d’entre elles, faisant l’objet d’aménagements ; et 131 peines d’amende, dont 121 fermes, pour un montant moyen de 14 000 euros, ce qui est évidemment bien éloigné de la moyenne de 453 000 euros que j’évoquais voilà un instant.
Des questions ont été posées à propos de la police fiscale prévue dans le cadre du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude, qui sera bientôt présenté devant votre assemblée. Je veux le rappeler, la procédure d’enquête fiscale a été créée pour permettre d’asseoir l’impôt. À cette fin, les officiers fiscaux judiciaires ont été dotés de prérogatives de police judiciaire permettant auditions, gardes à vue, perquisitions, saisies judiciaires et écoutes. Ainsi, 83 % des plaintes déposées par la DGFiP concernent la fraude fiscale sophistiquée, qui a recours à des montages opaques et au blanchiment, et non pas le crime organisé. Ces fraudes doivent mobiliser une expertise avant tout fiscale.
Les résultats obtenus par la Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, évoquée précédemment, sont contrastés, puisque 496 plaintes ont été déposées par la DGFiP depuis 2010 ; 124 dossiers fiscalisés par la DGFiP ont permis 209 millions d’euros d’impôts et de pénalités mis en recouvrement ; 62 décisions de justice sont intervenues, dont 12 classements sans suite ; 260 plaintes restent en cours, auxquelles il faut ajouter les 69 affaires de blanchiment de fraude fiscale, dans le cadre de l’affaire dite des « Panama Papers ».
Au vu des capacités de traitement de la Brigade, soit environ 50 affaires par an, il faudrait six ans pour que le stock d’affaires en cours soit purgé.
La création d’une police fiscale à Bercy est donc prévue à l’article 1er du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude. Elle permettra de s’appuyer sur le socle du SNDJ, le Service national de douane judiciaire, qui a fait ses preuves, de désigner des agents de la DGFiP chefs d’enquête, ce qui n’est pas possible aujourd’hui dans le cadre de la Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, de privilégier une approche fiscale pour accélérer les rentrées budgétaires et, surtout, de densifier la coopération entre Bercy et la justice, en plaçant ce nouveau service sous l’autorité directe d’un magistrat de l’ordre judiciaire et, ainsi, d’avoir plus d’efficacité.
Par ailleurs, la question des moyens a été posée. Je peux vous l’assurer, les moyens mis au service de la DGFiP ont pour objet de lui permettre de s’équiper des outils nécessaires, notamment en termes de collecte et d’analyse de données, et de mettre ainsi à profit la dématérialisation croissante, pour ne pas dire presque totale, des déclarations et des informations faisant l’objet de traitements et d’enquêtes, afin d’être plus efficace dans la recherche de la fraude.
Enfin, je veux évoquer le contrôle parlementaire de l’activité de la commission des infractions fiscales. Mme Goulet a dit tout à l’heure qu’il y avait plus de camemberts dans le document en question que dans un village de son département.