M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « Ce que Foucault sent, c’est que le pouvoir va devoir procéder autrement, beaucoup plus souplement, insidieusement, et en faisant une sorte d’échange : on troque une partie de notre liberté au nom d’une vie plus fluide. Il anticipe le fait qu’on passe d’un régime disciplinaire à un régime plus normatif. » C’est ce qu’explique Alain Damasio, romancier et auteur de La Zone du dehors.
« On troque une partie de notre liberté au nom d’une vie plus fluide », et même si fluide que ce genre de texte ne suscite désormais plus le moindre froncement de sourcils en commission des lois.
Sous couvert de pacification des relations entre l’État et ses administrés, on nous propose aujourd’hui d’étendre un dispositif jusque-là réservé aux forces de l’ordre – police nationale et gendarmerie – à d’autres agents de la fonction publique : policiers municipaux, d’abord, puis sapeurs-pompiers et agents de l’administration pénitentiaire.
L’extension du dispositif à la police municipale, dont l’expérimentation vient de s’achever, présenterait un « bilan très positif », selon Gérard Collomb. Nous regrettons que le rapport d’évaluation n’ait été rendu public qu’hier en début de soirée. Au-delà d’un évident satisfecit ministériel, ce rapport est – j’en juge après une lecture, je dois le dire, rapide – de nature à soulever un certain nombre de questions que nous ne pourrons, à l’évidence, pas aborder cet après-midi.
Je rappellerai que, pour notre part, nous n’étions pas favorables à cette expérimentation. Nous jugeons que sa pérennisation n’est pas souhaitable, comme nous avons eu l’occasion de le dire lors de la discussion de notre proposition de loi relative à la lutte contre les contrôles au faciès.
Le dispositif n’est pensé que du point de vue des agents en exercice, et non dans le but de protéger également les citoyens et, dans le cas de l’administration pénitentiaire, les usagers du service public. Les caméras mobiles sont allumées et éteintes par les agents qui les portent, donc lorsqu’ils le souhaitent.
Se pose alors la question du but de l’opération : s’agirait-il d’avoir des éléments de preuve pour porter plainte contre son interlocuteur, sans que celui-ci puisse s’en défendre ? « Surveiller et punir », donc, puisque les images qui seront transmises aux magistrats seront celles qui seront filmées par une seule et même partie.
La question du traitement des images est aussi importante : ces caméras sont souvent présentées comme un outil prétendument économique pour l’apaisement des relations entre forces de l’ordre et population, mais des moyens devront être donnés au personnel qui traitera les données filmées. Dès lors, ne vaudrait-il pas mieux consacrer ces moyens au traitement des causes profondes de la délinquance, par exemple en déployant une véritable police de proximité partout sur le territoire et en repensant notre politique carcérale ?
Enfin se pose la question de la protection des données personnelles. Il est prévu qu’elles soient détruites au bout de six mois, hors le cas où elles seront utilisées dans le cadre d’une procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire. Dans ces derniers cas, en revanche, nulle mention des délais. Qu’en est-il ?
La vidéosurveillance « constitue le premier pilier de ce qu’on peut appeler la “société de surveillance” » : l’acuité des propos d’Alex Türk, ancien sénateur et président de la CNIL, est intacte, quoi qu’en disent les auteurs de la proposition de loi.
Dans un contexte de tout-sécuritaire et de réduction des dépenses publiques, la proposition qui nous est faite ne répond pas aux inquiétudes bien réelles et légitimes des professionnels, mais comporte de multiples risques de dérives. Ainsi, après la police, les pompiers et les personnels de l’administration pénitentiaire, pourquoi pas, demain, les personnels hospitaliers, qui sont régulièrement pris à partie, ou encore les instituteurs ou les professeurs dans certains établissements scolaires ?
C’est un leurre de vouloir résoudre par la technologie le problème du manque de moyens budgétaires. D’autres réponses existent, mais elles exigent de réorienter les politiques sécuritaires et d’austérité déjà engagées.
Les sapeurs-pompiers ne seront pas moins pris à partie avec une caméra mobile installée sur leur uniforme.
M. Antoine Lefèvre. Si !
Mme Éliane Assassi. Les violences à leur encontre sont bien réelles et inadmissibles, mais il ne s’agit pas simplement de s’insurger contre elles. Elles s’inscrivent dans une problématique plus globale de relation distendue entre certaines populations et les représentants de l’autorité étatique, sous quelque forme qu’elle s’exerce. Multiplier le recours à la technologie dans l’espace public ne résoudra sûrement pas le problème.
D’ailleurs, dans les 32 propositions formulées par la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France lors de l’élection présidentielle de 2017, aucune allusion n’est faite à l’usage des caméras mobiles ; en revanche, bien d’autres préoccupations s’y font jour, comme le maintien de la proximité territoriale des secours ou encore la nécessité de compenser la disparité financière entre les territoires, source d’inégalité dans le secours.
Pour les agents de l’administration pénitentiaire, notons que la disposition proposée porte sur les missions d’extractions judiciaires ou de transfèrements administratifs, sachant que les caméras de surveillance dans les établissements pénitentiaires sont déjà répandues.
Encore une fois se pose la question du but d’un tel dispositif. Profite-t-il à l’amélioration de la relation entre surveillants et prisonniers ? Améliore-t-il les conditions de travail des agents pénitentiaires ?
M. Antoine Lefèvre. Oui !
Mme Éliane Assassi. Les personnels de l’administration pénitentiaire concernés par ce texte – j’ai eu l’occasion, avec mon collègue Fabien Gay, d’en rencontrer un certain nombre lundi dernier – ne s’opposent pas à cette mesure, mais ils ne sont pas dupes, d’autant que le port de caméras mobiles durant les transferts de prisonniers n’est pas leur revendication prioritaire.
S’ils ne refusent pas de s’accommoder du port de ces outils, c’est à défaut d’autres réponses qui œuvreraient véritablement à l’apaisement et à un exercice de leur métier aussi serein que possible, avec des moyens matériels et humains suffisants.
Or, comme d’autres, ce texte ne fait que colmater les brèches profondes dans les relations entre l’État et ses administrés. Au lieu de traiter les causes – pourquoi un tel état de fait ? – on traite les symptômes – comment se départir des violences à un instant t ?
Je l’affirme à nouveau : surveillance désincarnée et suspicion généralisée ne répondront pas aux vrais enjeux de sécurité publique de notre pays.
Alors, madame la ministre, notre vote sur ce texte ne sera ni un vote de rejet ni un vote d’approbation, mais une abstention, qui se fonde principalement sur nos rencontres avec les personnels concernés, dont je rappelle qu’ils ne sont pas dupes quant à l’utilisation de ces caméras. (M. Fabien Gay applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé.
M. Loïc Hervé. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en 2016, le Parlement autorisait les agents de sécurité de la SNCF et de la RATP, mais également les agents de la police nationale et les militaires de la gendarmerie nationale, à faire usage de caméras mobiles. Ce nouvel outil, généralement plutôt bien accueilli, alimentait toutefois certaines craintes, plusieurs de nos collègues nourrissant des doutes quant à son efficacité.
Deux ans plus tard, le déploiement de ces caméras individuelles a fait ses preuves : elles constituent un vecteur efficace d’apaisement des tensions et de prévention des incidents, contribuant ainsi à sécuriser les interventions des forces de l’ordre.
Présentée par notre collègue Jean-Pierre Decool, dont je salue l’initiative, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à étendre l’utilisation de ces caméras mobiles à deux nouvelles catégories d’agents publics.
Les sapeurs-pompiers, d’abord, contre lesquels les agressions ont augmenté de 20 % en 2016 d’après l’Observatoire national de la délinquance. J’en témoigne comme élu de la Haute-Savoie, mais je sais que certains de nos collègues, dont Sylvie Goy-Chavent, élue de l’Ain, partagent aussi les préoccupations qu’expriment à la fois les pompiers sur le terrain et leur encadrement.
Les surveillants de l’administration pénitentiaire, ensuite, qui sont confrontés à une population carcérale plus nombreuse et plus violente, et à des agressions malheureusement régulières. Ces phénomènes de violence sont inacceptables, et il était absolument nécessaire de répondre à la demande de sécurisation formulée par nos agents publics.
L’objectif recherché au travers de cette proposition de loi nous paraît d’autant plus légitime que les avantages liés à l’utilisation des caméras individuelles nous concernent tous : elles bénéficient évidemment aux agents dépositaires de l’autorité publique, mais aussi aux citoyens, qui pourraient sinon être victimes d’abus de droit et d’actes inappropriés. Elles profitent aussi aux magistrats, pour lesquels les enregistrements constituent des éléments de preuve objectifs, susceptibles de les aider dans leur travail.
Cependant, une extension de l’usage des caméras mobiles aux pompiers et au personnel pénitentiaire n’était pas sans risque, en raison des atteintes potentielles au droit au respect de la vie privée. Il fallait donc concilier la protection de ce droit constitutionnellement reconnu avec la prévention des atteintes à l’ordre public.
Sur ce point, plusieurs garanties ont été apportées par les auteurs de cette proposition de loi, qui ont tenu compte des préconisations de la CNIL. Siégeant au sein de cette commission, depuis plus de trois ans, en tant que représentant du Sénat, je m’en réjouis. Le périmètre du recours aux caméras a ainsi été strictement défini : toute personne filmée devra en être préalablement informée, et les caméras ne pourront pas être allumées en permanence.
De même, les conditions d’accès aux enregistrements et de leur conservation ont été encadrées pour préserver le droit au respect de la vie privée : seul un nombre limité de personnes pourra visionner les enregistrements, et ce dans une durée limitée à six mois.
La proportionnalité des dispositifs proposés est donc garantie, d’autant que plusieurs amendements adoptés en commission ont contribué à rééquilibrer la balance.
Sur proposition de notre rapporteur, Dany Wattebled, que je félicite pour la qualité de son rapport, l’usage des caméras individuelles par les sapeurs-pompiers a ainsi été davantage encadré : afin de protéger le secret médical, le recours aux caméras individuelles a été exclu pour toutes les interventions à caractère médical.
Il a également été décidé que les décrets d’application de l’expérimentation seraient pris après avis motivé et publié de la CNIL, ce qui devrait nous prémunir des risques d’atteinte à la vie privée. Je m’en réjouis de nouveau.
Enfin, l’examen de ce texte en commission a été l’occasion de pérenniser l’utilisation des caméras mobiles par les agents de police municipale, dont l’expérimentation s’est achevée le 3 juin dernier. En l’absence de cadre légal, des centaines de policiers municipaux se sont trouvés à cette date dans l’obligation d’abandonner ce dispositif, et de très nombreux maires ont fait part de leur volonté de poursuivre une expérimentation jugée très positive.
Face à l’urgence de la situation, et pour remédier au retard pris par le Gouvernement, plusieurs amendements, dont celui de notre collègue Yves Détraigne, ont alors été déposés de manière à pérenniser l’utilisation des caméras mobiles par les policiers municipaux. L’adoption d’un de ces amendements et l’insertion d’un tel dispositif dans l’article 2 bis de la proposition de loi sont une très bonne nouvelle pour nos communes.
Mes chers collègues, le groupe de l’Union Centriste votera en faveur de cette proposition de loi, les caméras mobiles ayant fait leurs preuves dans la pacification des rapports sociaux.
Rappelons-nous toutefois que ces dispositifs de vidéosurveillance ou de vidéoprotection ne pourront pas constituer l’unique réponse aux actes d’incivilité et aux nouvelles menaces, et que le recours aux caméras ne remplacera jamais les mesures de prévention ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Patrick Kanner. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le vice-président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je commencerai par remercier nos collègues sénateurs du Nord, Jean-Pierre Decool et Dany Wattebled : ils nous permettent de nous pencher sur le sujet des caméras mobiles, qui intéresse beaucoup nos concitoyens, mais aussi bien des élus locaux.
Cette proposition de loi et le travail du rapporteur sont guidés par la volonté de renforcer la sécurité des hommes et des femmes qui travaillent tous les jours à assurer celle de nos concitoyens. Cette volonté, le groupe socialiste et républicain la partage évidemment, d’autant que ce dispositif, rappelons-le, a été mis en place sous le quinquennat précédent.
Déjà expérimenté par la police et la gendarmerie nationale à compter de 2013, il a été pérennisé pour ces corps et étendu à la police municipale, sous forme expérimentale, par la loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement.
Je citerai également la loi du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté, que j’avais défendue comme membre du Gouvernement devant la Haute Assemblée. Y était introduite une expérimentation, qui s’est achevée il y a quelques semaines et qui visait à pacifier les relations entre citoyens et force de police en rendant systématique l’enregistrement lors des contrôles d’identité. À cette occasion, madame la ministre, nous avions évoqué la question du récépissé ; Bernard Cazeneuve et moi-même avions rejeté cette hypothèse, estimant que les caméras mobiles étaient bien plus efficaces pour les relations interpersonnelles dans des situations bien souvent difficiles.
Avec cette proposition de loi, nous continuons donc sur une route entamée il y a plusieurs années, et ce avec un avantage certain, une visibilité accrue du fait des retours d’expérimentations.
Je remercie M. le président de la commission des lois d’avoir respecté sa promesse en nous transmettant, même tardivement, le rapport d’évaluation de l’expérimentation des caméras mobiles par les agents de police municipale. Je peux ainsi conforter les propos des orateurs qui m’ont précédé et relever que ce dispositif est efficace. Les retours du terrain sont positifs, tout comme l’étaient les conclusions du rapport de 2016 sur l’expérimentation menée entre 2013 et 2016 par la police et la gendarmerie.
Permettez-moi, mes chers collègues, de revenir sur les catégories d’agents publics visées par cette proposition de loi dans sa version initiale : les sapeurs-pompiers et les surveillants de l’administration pénitentiaire.
Oui, les caméras mobiles protègent ces agents. Elles pacifient d’abord les relations entre l’agent et le public. De ce fait, elles protègent des outrages verbaux les agents qui en sont équipés, et peuvent même prévenir les agressions physiques lors de leurs interventions. Elles peuvent aussi donner aux magistrats des éléments objectifs de preuve lors de procédures judiciaires.
On aurait tort de classer la présente proposition de loi dans la catégorie des textes de nature communicationnelle, répondant à l’émotion légitime suscitée dans l’opinion publique par un fait divers isolé : les difficultés rencontrées tant par les sapeurs-pompiers que par les surveillants de prison sont bien réelles, et elles sont croissantes. La commission des lois le souligne dans son rapport : rien qu’en 2016 le nombre de sapeurs-pompiers déclarant avoir été victimes d’une agression a bondi de 20 % par rapport à l’année précédente.
Il n’est pas nécessaire d’aller chercher très loin : dans l’actualité récente, on peut citer la très violente agression qu’ont subie trois pompiers à Aurillac dans la nuit du 2 au 3 juin dernier, alors qu’ils intervenaient dans le cadre d’une tentative de suicide. Il en va de même des agressions physiques du personnel pénitentiaire, dont le nombre s’élève annuellement à 4 000, selon la direction de l’administration pénitentiaire, soit une moyenne de 11 agressions par jour, dans un contexte où les détenus sont toujours plus nombreux, au vu des conditions que vous connaissez tous.
On se souvient d’ailleurs que le mouvement social des surveillants de prison survenu au début de cette année, d’une ampleur inédite depuis vingt-cinq ans, a été provoqué par une succession d’agressions à leur encontre.
Aussi, l’usage de caméras individuelles est légitime. Il est efficace, mais il est aussi justifiable. Il serait hâtif de refuser tout moyen nouveau que la technologie peut mettre au service de notre sécurité, tant qu’il existe des garanties permettant de respecter l’équilibre fondamental entre sécurité et libertés individuelles.
L’instauration de règles strictes pour contrôler cet équilibre est un défi majeur pour le législateur à l’époque que nous traversons. Pour y parvenir au mieux, nous devons avancer prudemment.
Cette proposition de loi s’inscrit en général dans le même cadre juridique que celui des professions utilisant déjà des caméras individuelles. Les enregistrements ayant pour finalité la prévention des incidents au cours des interventions, ils ne seront donc pas permanents au regard des conditions de mise en œuvre de ces enregistrements.
Les caméras devront être portées de façon apparente, ce qui garantit d’ailleurs leur effet dissuasif, et les personnes filmées devront être prévenues, dans la mesure où les circonstances le permettent, avec pour témoin un signal visuel spécifique indiquant que la caméra enregistre.
Enfin, les agents équipés de caméras ne pourront accéder directement aux informations enregistrées.
On peut ajouter à ces dispositions le cadre réglementaire qui sera fixé par le Conseil d’État, après avis de la CNIL, quant aux modalités de traitement des données personnelles provenant des caméras individuelles.
Premièrement, seules les images issues des caméras fournies par les services sont susceptibles d’être enregistrées dans les fichiers.
Deuxièmement, les images, les sons et l’identité du porteur sont stockés simultanément, et ce dernier doit justifier le cas échéant l’absence de déclenchement.
Troisièmement, les données doivent être conservées pendant un délai limité de six mois, sauf en cas d’utilisation dans le cadre d’une procédure judiciaire – cela a été rappelé par notre collègue Éliane Assassi –, et accessibles pour les personnes filmées.
Il faut toutefois souligner que, comme la CNIL le rappelle depuis 2015, plusieurs points demeurent problématiques dans le cadre ainsi établi.
Le premier point concerne l’accessibilité des données : la CNIL estime qu’au vu de la durée de leur conservation, et du fait que les traitements ne sont pas centralisés, le droit d’accès indirect aux images n’est pas effectif.
Deuxièmement, la CNIL met le doigt sur la difficile interprétation de la loi quant aux cas dans lesquels l’enregistrement est possible, c’est-à-dire « lorsque se produit ou est susceptible de se produire un incident, eu égard aux circonstances de l’intervention ou au comportement des personnes concernées ». Mes chers collègues, la notion d’incident et, plus encore, celle de risque d’incident sont éminemment subjectives, chacun l’aura bien compris.
Enfin, les enregistrements peuvent être réalisés en tous lieux, sans distinction entre l’espace public et les domiciles privés. Selon la CNIL, « des règles spécifiques devraient être prévues de manière à limiter toute atteinte à la vie privée des personnes concernées ». Nous l’avons fait dans ce texte, notamment pour les contrôles visant à des interventions médicales.
Ces préconisations de la CNIL nous montrent que la réflexion sur la technique est nécessaire et qu’elle doit être encore approfondie.
Il est problématique de traiter ces sujets par une proposition de loi. En effet, l’étude d’impact nous manque. Le travail de l’auteur et celui du rapporteur ne sont pas en cause – ils sont, je le répète, d’une grande qualité –, mais on peut regretter que le Gouvernement ne se soit pas saisi de ce sujet pour nous fournir des éléments techniques et éthiques qui nous permettraient d’avoir une vision plus globale encore de la question.
Malgré ces difficultés, la commission des lois a travaillé et a apporté des améliorations importantes. La proposition de loi initiale, en se contentant d’étendre l’existant à d’autres catégories de personnel, ne donnait pas forcément de réponses aux problématiques évoquées précédemment.
Des améliorations ont été apportées concernant les limites du cadre d’utilisation des caméras individuelles ; notre groupe les soutiendra.
J’approuve également la modification de l’article 2 visant à n’étendre le dispositif au personnel pénitentiaire qu’à titre expérimental. Rien ne justifiait un traitement différent de celui qui a été réservé à toutes les autres professions concernées jusqu’ici par le dispositif.
Nous approuvons aussi l’introduction de l’article 2 bis pérennisant l’expérimentation dont ont bénéficié les polices municipales. Nous allons ainsi, potentiellement, combler le vide juridique : le rapport d’expérimentation nous y incite.
Pour ma part, madame la ministre, je vous incite aussi, si vous le voulez bien – vous l’avez évoqué vous-même –, à exercer une pression amicale sur votre collègue chargé des relations avec le Parlement pour que ce texte soit adopté rapidement, et de manière conforme, par l’Assemblée nationale.
J’avais également déposé un amendement visant à permettre, dans un cadre bien identifié, d’offrir l’anonymat aux sapeurs-pompiers qui portent plainte, afin d’éviter qu’ils ne se trouvent exposés à des risques de représailles de la part des personnes mises en cause. La commission des lois l’a ce matin déclaré irrecevable au regard de l’article 45 de la Constitution. Je le regrette, parce que je crois sincèrement que cet amendement s’inscrivait dans la droite ligne de ce texte : j’entendais ainsi contribuer à sécuriser des professionnels qui risquent leur vie tous les jours pour protéger la nôtre. Cette question mérite en tout cas d’être débattue, et je ne manquerai pas de la porter plus loin à l’avenir sur le plan législatif.
En conclusion, le groupe socialiste et républicain, je le répète, se félicite de l’évolution dans laquelle s’inscrit la présente proposition de loi. Néanmoins, comme l’a rappelé notre collègue Stéphane Artano, prenons garde de ne pas mécaniser systématiquement tous les rapports humains.
L’utilisation des caméras mobiles est utile et pacificatrice, mais la formation des personnels doit demeurer prioritaire pour leur permettre de reconnaître et de gérer correctement les comportements. Il faut donc savoir où placer la barre du curseur.
Je lisais cette semaine un article qui traitait de la nouvelle traduction de 1984, ce fameux livre. On y lit que cet ouvrage « est toujours en avance sur nous. Il forme encore, en 2018, un phare inversé, notre horizon. » Gardons cela en tête, ne rejoignons pas cet horizon, et gardons-nous de dérives orwelliennes que pourrait entraîner une logique de surveillance poussée jusqu’au bout.
En 2007 déjà, la CNIL appelait à la vigilance dans son rapport annuel : « L’innovation technologique est à la fois porteuse de progrès et de dangers. Les individus sont tentés par le confort qu’elle procure, mais ils sont peu conscients des risques qu’elle comporte. » Aujourd’hui encore, c’est la vigilance face à ces risques qui doit être le mot d’ordre du législateur quand il touche à ces domaines.
C’est avec cette préoccupation que le groupe socialiste et républicain votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. le président. La parole est à M. Alain Marc. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. Alain Marc. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le recours aux caméras mobiles constitue un outil utile de sécurisation de l’intervention des agents publics.
Moins de deux ans après sa généralisation par le législateur, le déploiement de caméras mobiles au bénéfice des agents de la police nationale, de la gendarmerie nationale et des polices municipales a démontré toute son utilité, cela a été souligné. Les difficultés croissantes rencontrées par d’autres agents publics conduisent aujourd’hui à s’interroger sur les possibilités d’extension de leur utilisation.
En 2016, quelque 2 280 sapeurs-pompiers ont déclaré avoir été victimes d’une agression au cours d’une intervention, soit une augmentation de près de 20 % par rapport à l’année précédente. Cette situation conduit les sapeurs-pompiers à revendiquer, de manière légitime, un renforcement de leur protection.
Quant aux surveillants pénitentiaires, ils doivent faire face à une population carcérale toujours plus nombreuse et toujours plus violente. Victimes d’agressions trop régulières, ils recherchent, de la même manière, une meilleure sécurisation de leurs interventions. Les manifestations du mois de janvier dernier en témoignent.
La proposition de loi que nous examinons cet après-midi a été déposée par notre collègue Jean-Pierre Decool. Je tiens tout particulièrement à souligner, à cette tribune, la pertinence de son initiative. Ce texte vise en effet à étendre l’utilisation des caméras mobiles, déjà déployées au bénéfice des agents de la police nationale et de la gendarmerie nationale, des agents de police municipale et des agents des services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP, à deux nouvelles catégories d’agents publics : les sapeurs-pompiers et les surveillants de l’administration pénitentiaire, qui sont confrontés, dans le cadre de leurs missions, à une agressivité croissante.
En commission, les amendements proposés par le rapporteur Dany Wattebled, dont je salue la qualité des travaux, ont apporté quelques ajustements destinés à assurer la proportionnalité des dispositifs prévus. Ainsi, sur l’initiative de son rapporteur, la commission a limité le champ d’utilisation des caméras mobiles par les sapeurs-pompiers aux situations présentant un risque d’atteinte grave à l’intégrité physique des agents et a exclu la possibilité de procéder à des enregistrements en cas de risque d’atteinte au secret médical.
La commission a par ailleurs prolongé d’une année la durée de l’expérimentation. Elle a prévu qu’un rapport d’évaluation soit remis au Parlement. Elle a précisé que le décret d’application devra être pris en Conseil d’État, après avis motivé et publié de la CNIL.
La commission a également rendu expérimental, pour une durée de trois ans, l’article 2 de la proposition de loi relatif à l’utilisation des caméras mobiles par les surveillants de l’administration pénitentiaire, tout en étendant son champ d’application aux missions présentant un risque particulier d’incident ou d’évasion, soit en raison de la nature même des missions exercées par les surveillants, soit compte tenu du niveau de dangerosité des détenus concernés.
Enfin, l’expérimentation de l’usage des caméras individuelles par les policiers municipaux a été pérennisée.
Madame la ministre, mes chers collègues, pragmatique et pertinente, cette proposition de loi répond à une véritable nécessité. C’est la raison pour laquelle le groupe Les Indépendants – République et Territoires la votera sans réserve. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)