Sommaire
Présidence de M. Jean-Marc Gabouty
Secrétaires :
Mmes Catherine Deroche, Françoise Gatel.
2. Protection du secret des affaires. – Adoption définitive des conclusions modifiées d’une commission mixte paritaire
Discussion générale :
M. Christophe-André Frassa, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice
Clôture de la discussion générale.
Texte élaboré par la commission mixte paritaire
Amendement n° 1 de la commission. – Réservé.
Amendement n° 2 de la commission. – Réservé.
Adoption définitive, par scrutin public n° 147, de la proposition de loi dans le texte de la commission mixte paritaire, modifié.
3. Immigration, droit d’asile et intégration. – Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Amendement n° 93 de M. Maurice Antiste. – Rejet par scrutin public n° 148.
Amendement n° 56 rectifié de M. Roger Karoutchi. – Retrait.
Amendement n° 562 rectifié de Mme Maryse Carrère. – Rejet.
Amendement n° 231 rectifié bis de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Amendement n° 232 rectifié bis de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Amendement n° 233 rectifié bis de M. Jean-Yves Leconte. – Retrait.
Adoption de l’article.
Amendement n° 442 rectifié de M. Antoine Karam. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 10 de Mme Esther Benbassa. – Rejet par scrutin public n° 149.
Amendement n° 234 rectifié bis de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet par scrutin public n° 150.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
4. Questions d’actualité au Gouvernement
achat du foncier agricole par des entreprises étrangères
M. Joël Guerriau ; M. Stéphane Travert, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; M. Joël Guerriau/
M. Alain Milon ; Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé ; M. Alain Milon.
projet de loi « Pacte » et privatisations
Mme Anne-Catherine Loisier ; M. Benjamin Griveaux, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement ; Mme Anne-Catherine Loisier.
M. Alain Richard ; M. Édouard Philippe, Premier ministre.
gestion de la crise migratoire avec l’allemagne
M. Guillaume Arnell ; M. Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’intérieur.
contractualisation entre l’état et les collectivités
M. Pascal Savoldelli ; M. Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’intérieur.
expérimentation du revenu de base et pauvreté
Mme Nadine Grelet-Certenais ; Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé ; Mme Nadine Grelet-Certenais.
calendrier du grand paris express et logement en île-de-france
Mme Sophie Primas ; Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire ; Mme Sophie Primas.
représentation parlementaire ultramarine
Mme Lana Tetuanui, Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer.
Mme Mireille Jouve, M. Christophe Castaner, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.
M. Gilbert-Luc Devinaz, M. Benjamin Griveaux, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement, M. Gilbert-Luc Devinaz.
M. René-Paul Savary ; Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé ; M. René-Paul Savary.
M. Michel Vaspart ; M. Christophe Castaner, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement ; M. Michel Vaspart.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
5. Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire
6. Immigration, droit d’asile et intégration. – Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. Jean-Yves Leconte ; M. le président.
Amendement n° 386 rectifié de M. Bruno Retailleau. – Retrait.
Amendement n° 157 rectifié de M. Sébastien Meurant. – Retrait.
Amendement n° 357 rectifié bis de Mme Sylvie Robert. – Adoption.
Amendement n° 387 rectifié de M. Bruno Retailleau. – Adoption par scrutin public n° 151.
Amendement n° 235 rectifié bis de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Amendement n° 123 rectifié de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 563 rectifié de Mme Maryse Carrère. – Retrait.
Amendement n° 420 du Gouvernement. – Rejet.
Amendement n° 65 rectifié de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 240 rectifié bis de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Amendement n° 242 rectifié bis de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Amendement n° 241 rectifié bis de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Amendement n° 244 rectifié bis de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Amendement n° 243 rectifié bis de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Amendement n° 358 rectifié bis de Mme Marie-Pierre de la Gontrie. – Adoption.
Amendement n° 359 rectifié bis de Mme Marie-Pierre de la Gontrie. – Rejet.
Amendement n° 526 rectifié de M. Guillaume Arnell. – Retrait.
Amendement n° 63 rectifié de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 360 rectifié bis de Mme Marie-Pierre de la Gontrie. – Rejet.
Amendement n° 66 rectifié de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 103 rectifié de Mme Martine Berthet. – Adoption.
Amendement n° 245 rectifié bis de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Amendement n° 246 rectifié bis de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Amendement n° 247 rectifié bis de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Amendement n° 47 rectifié de M. Roger Karoutchi. – Adoption.
Amendement n° 248 rectifié bis de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Amendement n° 361 rectifié bis de Mme Marie-Pierre de la Gontrie. – Rejet.
Amendement n° 507 du Gouvernement. – Adoption.
Amendement n° 403 rectifié de M. David Assouline. – Rejet.
Adoption, par scrutin n° 153, de l’article modifié.
Articles 9 bis AA (nouveau), 9 bis A et 9 bis – Adoption.
Articles additionnels après l’article 9 bis
Amendement n° 484 rectifié de M. Stéphane Ravier. – Rejet.
Amendement n° 113 rectifié bis de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 407 rectifié ter de M. Henri Leroy. – Rejet.
Amendement n° 164 rectifié bis de M. Sébastien Meurant. – Rejet.
Amendement n° 401 rectifié de M. Roger Karoutchi. – Retrait.
Articles additionnels avant l’article 10 AA
Amendement n° 394 rectifié de Mme Frédérique Puissat. – Retrait.
Amendement n° 488 rectifié de M. Stéphane Ravier. – Rejet.
Amendement n° 491 rectifié de M. Stéphane Ravier. – Rejet.
Amendement n° 145 rectifié bis de M. Henri Leroy. – Rejet.
Adoption de l’article par scrutin public n° 156.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Marie-Noëlle Lienemann
Article additionnel après l’article 10 AA
Amendement n° 29 rectifié ter de Mme Laure Darcos. – Retrait.
Amendement n° 250 rectifié bis de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 15 rectifié de Mme Éliane Assassi. – Rejet par scrutin public n° 158.
Amendement n° 68 rectifié bis de Mme Esther Benbassa. – Rejet par scrutin public n° 159.
Amendement n° 253 rectifié bis de M. Didier Marie. – Rejet.
Amendement n° 255 rectifié bis de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Amendement n° 252 rectifié bis de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Amendement n° 363 rectifié bis de Mme Marie-Pierre de la Gontrie. – Rejet.
Rejet de l’article.
Amendement n° 528 rectifié de M. Guillaume Arnell. – Rejet par scrutin public n° 160.
Amendement n° 256 rectifié bis de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet par scrutin public n° 161.
Adoption, par scrutin public n° 162, de l’article.
Suspension et reprise de la séance
M. Philippe Bas, président de la commission des lois ; M. Patrick Kanner ; M. Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’intérieur ; Mme Éliane Assassi ; Mme Laure Darcos ; Mme la présidente.
Article additionnel après l’article 10 bis
Amendement n° 445 rectifié bis de M. Jean-Pierre Sueur. – Rejet par scrutin public n° 163.
Amendement n° 94 rectifié de M. Maurice Antiste. – Rejet.
Amendement n° 24 rectifié bis de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 254 rectifié ter de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Renvoi de la suite de la discussion.
compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Marc Gabouty
vice-président
Secrétaires :
Mme Catherine Deroche,
Mme Françoise Gatel.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Protection du secret des affaires
Adoption définitive des conclusions modifiées d’une commission mixte paritaire
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à la protection du secret des affaires (texte de la commission n° 506, rapport n° 505).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi quelques considérations pour inaugurer notre lecture des conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi relative à la protection du secret des affaires.
La discussion n’a pas été aisée – c’était une négociation entre l’Assemblée nationale et le Sénat –, mais ce texte d’importance n’a pas subi, fort heureusement, le même sort que d’autres textes récents : je pense notamment à l’échec des commissions mixtes paritaires sur le projet de loi renforçant l’efficacité de l’administration pour une relation de confiance avec le public ou sur la loi relative à la protection des données personnelles.
C’est pourquoi, du haut de cette tribune, je tiens à remercier notre collègue député Raphaël Gauvain, rapporteur de ce texte à l’Assemblée nationale, qui a su être à l’écoute des positions et des apports du Sénat, et surtout accepter le compromis auquel nous sommes parvenus. (M. André Gattolin applaudit.)
Quel bilan peut-on dresser à l’issue de la CMP ?
Plusieurs apports du Sénat ont été maintenus dans le texte ; je veux vous en dresser la liste.
La distinction entre la détention légitime et l’obtention licite du secret est conservée, alors que le texte initial confondait les deux notions, du fait d’une certaine méconnaissance de la directive que nous avions à transposer.
La clarification de la rédaction des cas d’obtention illicite est maintenue, en conformité avec la directive.
Le caractère « non opposable » du secret des affaires – plutôt que « non protégé », conformément à la directive – pour les autorités administratives et juridictionnelles demeure aussi dans le texte.
Est maintenu également le caractère non opposable - plutôt que non protégé, conformément à la directive - du secret des affaires en cas d’action en justice pour les journalistes, les lanceurs d’alerte et les représentants des salariés. Pour ces derniers, la protection du secret est expressément maintenue.
Une règle en matière de prescription a été ajoutée, par simple analogie avec le droit de la propriété industrielle ; cela avait été demandé par toutes les personnes que nous avions pu auditionner, magistrats, avocats ou représentants des entreprises.
La règle d’indemnisation des préjudices résultant d’une atteinte au secret des affaires a été alignée sur la règle en vigueur en matière de contrefaçon, comme dans l’avant-projet de réforme de la responsabilité civile. Je tiens à souligner que cette proposition de loi a été conçue à partir des instruments du droit de la propriété industrielle, même si nous ne sommes pas dans le champ de ce droit.
Dans le cadre de toute procédure judiciaire, le juge pourra prendre connaissance seul d’une pièce couverte par le secret avant de décider des modalités de communication de cette pièce éventuellement adaptées ; dans tous les cas, cette pièce devra faire l’objet d’une communication, au nom du respect du principe du contradictoire.
J’en viens à présent aux termes du compromis trouvé par les représentants de l’Assemblée nationale et du Sénat.
Nous sommes revenus, dans la définition des informations protégées par le secret des affaires, à la valeur commerciale plutôt qu’à la valeur économique. Il s’agit toutefois d’une valeur commerciale effective ou potentielle, ce qui revient quasiment à la valeur économique. Sur ce point, le juge devra tenir compte des travaux préparatoires dans son office d’interprétation de la loi.
L’amende civile en cas de procédure abusive, introduite par l’Assemblée nationale, a été rétablie. Nous considérions ce dispositif à la fois inutile – l’amende civile actuelle pour procédure abusive, de 10 000 euros, n’a jamais été prononcée – et douteux d’un point de vue constitutionnel, en particulier au regard du principe d’égalité et du principe de nécessité des peines.
Le délit de détournement d’une information économique protégée à des fins exclusivement économiques, introduit dans ce texte à l’initiative du Sénat, a quant à lui été supprimé.
Nous avions pourtant tenu compte des objections du Conseil d’État, en veillant à ce que notre définition de cette infraction pénale ne pose pas de difficulté en matière constitutionnelle : nous avions introduit un élément matériel précis, à savoir le contournement délibéré des mesures de protection destinées à conserver le caractère secret de l’information.
De plus, la répression de ce délit n’aurait pas été plus faible que, notamment, celle du vol. Le délit d’espionnage économique aurait été puni de trois ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende, alors que le vol est puni, certes de trois ans d’emprisonnement, mais d’une amende de 45 000 euros seulement, ces peines allant jusqu’à vingt ans et 150 000 euros dans certaines circonstances aggravantes spécifiques.
L’amende encourue aurait été bien plus forte pour le délit d’espionnage économique, et elle aurait été quintuplée pour une personne morale, par application des règles de droit commun : ce serait plus efficace, compte tenu des personnes visées. D’autre part, on pourrait prévoir sans trop de difficulté des circonstances aggravantes pour le délit d’espionnage économique comme pour le vol, par exemple s’il était commis avec violence ou en bande organisée.
Il y aurait encore beaucoup à dire sur cette question, mais, pour ne pas faire trop long, je me contenterai de dire qu’il est indispensable, en tout état de cause, que la réflexion se poursuive sur le volet pénal de la protection du secret des affaires. Il importe, alors que nos entreprises sont confrontées à de véritables actes d’espionnage économique, que nous puissions disposer dans notre droit pénal d’une arme rigoureuse et dissuasive, comme il en existe en Chine ou encore aux États-Unis, avec le Cohen Act.
Cette réflexion doit aussi porter sur la révision de la loi du 26 juillet 1968, dite « loi de blocage ».
En conclusion, la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire reste très marquée par les apports du Sénat, que ce soit dans l’amélioration et la clarification du texte, dans sa fidélité à la directive ou dans sa cohérence.
Par accord entre les deux rapporteurs et avec le Gouvernement, deux amendements vous seront présentés sur les conclusions de la commission mixte paritaire.
Le premier d’entre eux a pour objet de clarifier les différentes étapes de la procédure par laquelle un juge peut être amené à décider de mesures particulières de protection du secret des affaires concernant une pièce discutée dans le cadre d’une procédure judiciaire. Dans un premier temps, le juge examine seul la pièce pour décider si la demande de protection au titre du secret des affaires est justifiée. Éventuellement, avant de rendre sa décision, il peut demander une expertise et solliciter l’avis des seuls avocats des parties, ceux-ci étant tenus dans ce cas à une obligation de confidentialité vis-à-vis de leurs clients. Dans un second temps, le juge décide s’il y a lieu d’appliquer des mesures de protection.
Le second amendement vise quant à lui à corriger une erreur matérielle dans les références à certains articles du code de commerce permettant l’application de ce texte dans les îles Wallis et Futuna. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, M. le rapporteur a rappelé à l’instant les conditions dans lesquelles la commission paritaire avait pu aboutir à un accord.
Je tiens à mon tour à saluer la manière dont, sur un sujet difficile et complexe, vous avez su trouver des voies de passage et inventer des équilibres subtils dans un cadre européen très contraint.
Vous avez aussi su répondre aux interrogations, nombreuses, qui se sont fait jour dans les médias et l’opinion sur ce texte. Ces questions étaient légitimes ; aucune n’a été laissée de côté, et des réponses très concrètes leur sont apportées par ce texte. Tel est le rôle du Parlement ; je crois que nous ne pouvons qu’être collectivement satisfaits de la manière dont cette proposition de loi a cheminé entre les assemblées.
Au terme de ces échanges entre l’Assemblée nationale et le Sénat, un accord a donc été trouvé.
J’en remercie tout particulièrement votre rapporteur, M. Christophe-André Frassa, qui a œuvré en ce sens, trouvant les voies d’un dialogue extrêmement fructueux avec son homologue député Raphaël Gauvain, dont je veux saluer ici l’implication et le sens de l’écoute.
À l’issue d’un premier examen de la proposition de loi par les deux chambres, certains sujets faisaient encore débat. Vous avez rappelé quelques-uns d’entre eux, monsieur le rapporteur.
Le premier de ces sujets était l’adoption d’une définition à la fois précise et respectueuse de nos engagements européens de la notion de « secret des affaires ». La rédaction adoptée par la commission mixte paritaire garantit ce respect.
Les termes employés, qui sont ceux de la directive, ne donneront pas lieu à d’inutiles polémiques sur le champ de la protection accordée au secret des affaires. Il est bien clair, désormais, que toutes les données de nature économique détenues par une entreprise ne peuvent être qualifiées de « secret des affaires ». Seules le seront celles qui font l’objet de mesures raisonnables de protection et qui revêtent une valeur commerciale, effective ou potentielle, pour leur détenteur. Ce dernier devra en rapporter la preuve.
Un second point était en discussion : l’introduction d’une nouvelle sanction pénale pour « détournement d’une information économique protégée ». Le Gouvernement n’y était pas favorable. J’avais eu l’occasion de l’indiquer ici même et nous en avions débattu. La transposition de la directive ne l’imposait pas, le législateur européen ayant fait le choix, clairement assumé, d’un dispositif uniquement civil. Nous avions également une divergence d’appréciation sur la définition de ce délit et sa précision.
Pour autant, les préoccupations exprimées étaient justes : nos entreprises doivent disposer des moyens de se défendre contre l’espionnage industriel, dans un contexte de mondialisation et de concurrence exacerbée, qualifiée de « guerre économique » par votre rapporteur.
C’est pourquoi un travail commun entre les deux chambres va se poursuivre sur ce sujet sensible, important, et d’une évidente actualité. Le Gouvernement a décidé de confier à MM. Frassa et Gauvain une mission afin que soient analysées les mesures juridiques de protection des entreprises françaises confrontées à des procédures judiciaires ou administratives de portée extraterritoriale.
Dans ce cadre, on pourra notamment évaluer l’intérêt d’une réforme de la loi du 26 juillet 1968, dite « loi de blocage », relative à la communication de documents et renseignements d’ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique à des personnes physiques ou morales étrangères.
Enfin – dernier sujet d’importance –, il était selon moi particulièrement opportun que la commission mixte paritaire maintienne la disposition sur l’amende civile introduite par le député Raphaël Gauvain, afin de répondre aux vives préoccupations exprimées quant au risque de « procédures bâillons ».
J’avais bien entendu les interrogations de votre rapporteur sur la pertinence et même la constitutionnalité de ce dispositif. Nous en avions débattu dans cet hémicycle. Mais rappelons simplement que cette mesure a pour objet de prévenir et, le cas échéant, de sanctionner des procédures abusives qui, en la matière, peuvent porter une atteinte particulièrement forte à l’exercice du droit fondamental à la liberté d’expression. Je suis convaincue que cette disposition constituera un outil efficace et équilibré de préservation et de protection des droits fondamentaux, à l’occasion des actions conduites aux fins de prévention, de cessation ou de réparation d’une atteinte à un secret des affaires.
Les journalistes et lanceurs d’alerte ne peuvent pas et ne doivent pas faire l’objet de poursuites judiciaires exclusivement fondées sur une volonté d’intimidation.
L’objectif poursuivi au travers de cette proposition de loi n’est certainement pas, comme j’ai pu l’entendre et le lire, de restreindre la protection juridique accordée aux lanceurs d’alerte ou de porter atteinte à la liberté de la presse. Ce texte n’a nullement pour objet de rendre impossible le journalisme d’investigation, ni pour effet d’empêcher la révélation au grand public de faits légalement ou moralement condamnables. Toutes ces situations sont expressément prévues par ce texte et font l’objet de dérogations explicites.
Je l’ai déjà dit, et je le redis ici avec la même force et la même conviction : le texte qui vous est présenté ne constitue en aucune manière un recul pour les libertés publiques. L’enjeu est bien de protéger les entreprises contre le pillage de leurs innovations. Il est aussi de lutter contre la concurrence déloyale. Il consiste encore à encourager la recherche et le développement, sources de nombreux emplois.
Pour cela, les acteurs économiques ont à l’évidence besoin de sécurité juridique. C’est le seul objectif de cette proposition de loi : définir les informations qui relèvent du secret des affaires et encadrer les demandes formées devant le juge pour la protection de ce secret.
Cette protection du secret des affaires n’est en revanche, à l’évidence, pas absolue ; l’intérêt particulier d’une entreprise à conserver secrètes certaines informations cédera toujours face à la nécessité de préserver l’intérêt général et les droits fondamentaux. Les juridictions y veilleront.
Ainsi, une entreprise ne pourra pas se prévaloir d’un secret des affaires pour s’opposer aux enquêtes judiciaires ou administratives dont elle ferait l’objet.
Elle ne pourra pas davantage s’opposer à la révélation d’un secret des affaires lorsque cette révélation est nécessaire pour l’exercice d’un droit syndical.
Elle ne pourra pas non plus obtenir du juge qu’il empêche la diffusion au grand public d’une information d’intérêt général au motif que cette information constituerait un secret des affaires.
Elle ne pourra pas, enfin, obtenir des dommages et intérêts d’un salarié qui, de bonne foi et dans un but d’intérêt général, a porté à la connaissance d’un journaliste une activité illégale, une faute ou un comportement répréhensible.
En cas de révélation d’un secret des affaires, journalistes et lanceurs d’alerte pourront toujours se prévaloir d’avoir agi dans le cadre de l’exercice légitime de leur liberté d’expression et d’information.
Ces principes sont très clairement et très heureusement énoncés dans la présente proposition de loi.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le texte qui vous est aujourd’hui soumis, fruit de réflexions approfondies menées depuis plusieurs années, constitue selon moi une réelle avancée de notre système juridique. Cette amélioration a été construite sans que soit portée pour autant une atteinte injustifiée aux droits fondamentaux et au cadre juridique protecteur des lanceurs d’alerte.
Protéger le secret des affaires est devenu une nécessité. Garantir la liberté d’expression et de communication, condition de la démocratie, demeure une exigence impérative.
Je vous remercie donc, mesdames, messieurs les sénateurs, pour le travail accompli collectivement à la recherche de cet équilibre subtil. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le texte que nous allons adopter est une réponse juridique à la nécessité de protéger l’intelligence économique européenne. Je dirais volontiers qu’il comporte deux volets : le premier, de défense externe ; le second, de défense interne, entendue comme une défense interne à l’Union européenne qui passe par la clarté et la cohérence et donc l’harmonisation avec nos voisins européens.
Le volet de défense externe a été présent dans les interventions de Mme la ministre et de M. le rapporteur. Il y a quelques mois ou quelques années, nous n’aurions probablement pas abordé cet aspect du problème. C’est pourtant un sujet extrêmement actuel, du fait des malheurs du multilatéralisme et de l’évolution des comportements internationaux, en particulier outre-Atlantique, évolution qui nous pose des problèmes particuliers.
À mon sens, il faut mettre ce texte en perspective par rapport au travail que nous devons accomplir collectivement pour préserver nos entreprises de dispositifs de sanctions économiques – je pense au retrait des États-Unis de l’accord préliminaire de Genève sur le programme nucléaire iranien –, mais aussi, dans un cadre plus général, pour rendre plus aisée la relation entre le droit anglo-saxon et nos droits continentaux.
Je vois donc dans ce texte une étape. Il faudra en franchir une autre, autrement plus compliquée, en matière d’extraterritorialité. Vous avez fait référence, madame la ministre, à la mission confiée à nos collègues sur ce sujet, ce dont je les félicite. Pour tout vous dire, madame la ministre, ce sujet n’est pas inconnu de cette maison : la commission des affaires européennes avait fait le choix, il y a quelques mois, de travailler sur cette question, et nous présenterons dans quelques jours nos propositions.
Je ne vous cacherai pourtant pas que le sujet est complexe ; plus exactement, le caractère opérationnel des mesures que nous pourrions proposer n’est pas aisé à assurer, tant la loi de blocage de 1968 est faible. Cette loi n’a été appliquée qu’une seule fois, et la Cour suprême des États-Unis l’a écartée d’un revers de la main. Quant au règlement européen du 22 novembre 1996, que la Commission européenne essaie actuellement de réactiver, il a objectivement ses faiblesses. Du moins son article 5 a-t-il l’avantage d’empêcher, sur un domaine qui est de votre responsabilité, madame la ministre, que puissent être « exéquaturées » des condamnations prononcées aux États-Unis à l’égard d’entreprises françaises. C’est grâce à cet article qu’est entrée dans l’ordre public français l’idée que l’application de sanctions unilatérales ne peut entraîner de condamnations sur notre territoire.
Certes, ces réflexions relèvent d’un autre débat, mais la mise en perspective est, je le répète, nécessaire sur une question très actuelle. Je pense aussi aux discussions qui ont eu lieu dans cet hémicycle au sujet du RGPD, le règlement général européen sur la protection des données personnelles : tous ces éléments s’inscrivent dans cette relation entre le monde européen et le monde anglo-saxon.
J’en viens à l’aspect de défense interne de ce texte, c’est-à-dire au volet « harmonisation », qui a bien sûr été au cœur de la démarche ayant mené à cette proposition de loi.
Cette harmonisation prend du temps. En l’espèce, pour le sujet dont nous sommes saisis, il aura fallu huit ans. C’est en effet en 2010 et 2011 que la Commission européenne a commencé ses études préparatoires à la directive. Son objectif était d’emblée très clair : protéger les actifs immatériels des entreprises. Les consultations publiques ont eu lieu en 2012 et le Parlement européen a commencé l’examen de la directive en 2014 ; du fait de son renouvellement cette année-là, il n’a adopté ces dispositions qu’en 2015. La directive n’a donc pu être finalement adoptée que le 8 juin 2016 ; c’est de sa transposition que nous sommes aujourd’hui saisis.
Chacun peut porter son appréciation sur ce délai de huit ans, mais le mode de construction législative de l’Union européenne a du moins l’avantage d’être résilient dans la durée. Au-delà, je voudrais attirer votre attention, mes chers collègues, sur le travail qui a été réalisé en amont sur cette question par notre commission des affaires européennes.
Notre commission s’était en effet saisie de ce sujet dès 2013 ou 2014. Elle a donc suivi les étapes de l’adoption de cette directive, ce qui nous a permis, quand ce texte de transposition a été présenté à notre assemblée, d’être prêts à vous présenter une proposition, que notre commission avait d’ailleurs adoptée à l’unanimité.
Je voudrais insister sur ce point, mes chers collègues, quelles que soient les commissions auxquelles vous appartenez : on peut relever une réticence des commissions permanentes de notre maison à voir intervenir en amont la commission des affaires européennes. Nous avons intégré sur ce point à notre règlement une procédure dite « expérimentale ». Mes chers collègues, ne vous privez pas de ce soutien, de cet appui au travail des commissions saisies au fond !
Pour ceux d’entre nous qui, depuis le début de cette semaine, suivent dans notre hémicycle l’examen du projet de loi relatif à l’asile et à l’immigration, avouez que ce débat manque cruellement d’un recul européen ! Si notre commission des affaires européennes avait pu accomplir, sur ce texte aussi, son travail d’intégration, de comparaison – je n’ose plus parler de « benchmarking », car le mot est devenu politiquement incorrect dans ce domaine – et d’analyse des systèmes juridiques des États de l’Union européenne, peut-être nos débats auraient-ils été plus aisés et plus dépassionnés. Ce serait possible, si vous vouliez bien accepter que, dans l’avenir, nous évoluions à cet égard.
Pour revenir à cette transposition, mes chers collègues, madame la ministre, elle est de bonne facture, minimale et rigoureuse.
Le groupe Union centriste avait abordé cette discussion avec deux idées en tête.
Nous voulions, en premier lieu, essayer de limiter la créativité législative. Cela impliquait notamment de ne pas introduite nous-mêmes d’éléments de surtransposition. Cela explique notre réserve sur la proposition de M. le rapporteur de renforcer le dispositif pénal dans ce domaine : il existe déjà tant d’incriminations que nous ne percevions pas le besoin d’en créer une supplémentaire.
Notre seconde préoccupation était celle de l’équilibre, qui a été largement évoquée par Mme la ministre et par M. le rapporteur. Nous devions bien sûr, à côté de la protection du secret des affaires, préserver la liberté d’expression et d’information. Cette question concernait les journalistes et les lanceurs d’alertes, mais également, ce que je n’avais pas personnellement tout à fait en tête au début de l’examen de ce texte, les représentants des salariés. Les dispositions dont nous avons débattu se sont en quelque sorte télescopées avec celles qui, dans le code du travail, concernent les comités d’entreprise.
Enfin, la commission mixte paritaire a maintenu dans le texte l’amende en cas d’action abusive. Il s’agit, pour reprendre les termes et le raisonnement de nos collègues députés, de réduire le risque des « procédures bâillons ». L’accord intervenu sur ce point en commission mixte paritaire nous semble de bon aloi ; je voudrais donc, à cet égard, remercier les auteurs de cet accord et, en premier lieu, notre rapporteur, M. Frassa. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain.
M. Jérôme Durain. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, quand les visiteurs du Palais du Luxembourg passent dans la salle du Livre d’or, ils y apprennent que les fenêtres, d’époque, doivent beaucoup à un espionnage industriel mené aux dépens des cités-États italiennes, qui maîtrisaient le secret de la fabrication du verre… (Sourires.)
Oui, l’espionnage industriel a toujours existé, il a toujours été combattu, et le groupe socialiste et républicain est évidemment attaché à défendre les savoir-faire de nos entreprises dans la compétition acharnée qui se joue à l’échelle mondiale.
En revanche, les deux réserves que nous avions sur ce texte en première lecture n’ont hélas pas varié après la commission mixte paritaire.
Notre première réserve tenait au calendrier. Y avait-il une telle urgence à transposer la directive européenne, alors que seul le Danemark l’a fait à ce jour ? Fallait-il user d’une procédure accélérée ? Le véhicule de la proposition de loi était-il vraiment adapté, alors que l’usage veut qu’on choisisse ordinairement, pour une telle transposition, un projet de loi ? Enfin, est-il bien cohérent de précipiter ce travail, alors même que s’annonce une proposition de résolution européenne sur les lanceurs d’alerte, qui pose dans des termes différents nombre des questions que nous avons dû traiter sur le secret des affaires ?
Notre collègue François Pillet nous indiquait d’ailleurs hier que « la proposition de directive ne prévoit aucune articulation particulière avec l’exception à la protection du secret des affaires prévue au bénéfice des lanceurs d’alerte par la directive » et que « l’existence dans le droit européen de deux régimes distincts serait une source de complexité et de confusion. » Vous l’avez constaté comme moi, sur ce texte, la précipitation a été mauvaise conseillère.
Notre seconde réserve tient évidemment au fond. Plusieurs inquiétudes de nature différente ont été exprimées au sujet de cette proposition de loi. Des doutes subsistent encore aujourd’hui sur ses conséquences juridiques, malgré les évolutions issues des travaux de la commission mixte paritaire.
On relèvera notamment une certaine imprécision s’agissant de la définition du champ exact des informations protégées, des atteintes possibles à la liberté d’expression ou, a minima, de possibles oppositions entre le droit de la presse et le droit commercial, ainsi que des restrictions au droit de participation des travailleurs. Je devine que ces arguments n’ont pas porté de la même manière selon nos positions dans cet hémicycle !
S’ils ne pèsent pas suffisamment aujourd’hui, ils trouveront peut-être plus d’écho dans d’autres lieux de délibération de la République, car les sénateurs socialistes ont choisi de déposer, si ce texte est voté, un recours devant le Conseil constitutionnel.
Cette décision n’allait pas de soi et n’est pas automatique : vous connaissez la sagesse des sénateurs, fussent-ils socialistes, et leur habituelle tempérance.
Toutefois, face à l’absence de consensus sur ce texte, encore dénoncé par une alliance d’associations, de syndicats, de journalistes et de lanceurs d’alerte qui a atteint une taille critique, face aux craintes encore ressenties aujourd’hui par les centaines de milliers de citoyens qui ont exprimé leur opposition, le groupe socialiste et républicain a jugé qu’il était pertinent de solliciter une nouvelle expertise. Si la délibération parlementaire touche bientôt à sa fin, les travaux du Conseil constitutionnel éclaireront peut-être notre réflexion commune.
Il y a plusieurs manières d’aborder ce débat. Comme le rapporteur à l’Assemblée nationale, qui était avocat d’affaires jusqu’à son élection aux dernières législatives, ou nombre de partisans de ce texte dans cet hémicycle, on peut se féliciter que les entreprises obtiennent les moyens de se protéger. On peut, à l’inverse, concevoir quelques doutes, et plusieurs représentants de syndicats ou d’associations que nous avons rencontrés ne s’en privent pas.
Ils doutent notamment que ce texte serve effectivement à des PME dans le futur et persistent à craindre, surtout, qu’il ne soit détourné de son objectif et ne serve à tenter de museler des lanceurs d’alerte ou des journalistes. Secret des affaires contre liberté d’informer, ce débat n’est pas secondaire !
Certains m’objecteront que des dispositions ont été introduites dans le texte pour éviter toute dérive, notamment des sanctions contre les « procédures bâillons ». Elles ne suffisent cependant pas à rétablir l’équilibre entre secret des affaires et liberté d’informer.
Ceux qui ne sont pas convaincus par ce texte – je ne parle pas ici des parlementaires – connaissent les enjeux que nous évoquons aujourd’hui. Ils ne sont ni stupides, ni bornés, ni mal intentionnés. Ce sont bien souvent des militants qui ont démontré leur utilité pour la société en rendant publics des scandales au profit de l’intérêt général. Pourtant, leur parole et leur légitimité sont remises en question.
Une pétition a atteint plusieurs centaines de milliers de signatures ; les vidéos qui touchent au secret des affaires font des millions de vues ; des journalistes tentent de produire des récapitulatifs pour informer le grand public en toute objectivité. Pourtant, on remet toujours en question leurs conclusions !
Une partie du site internet du Monde est consacrée au décryptage de l’actualité. Il est présenté comme suit : « Les décodeurs du Monde.fr vérifient déclarations, assertions et rumeurs en tous genres ; ils mettent l’information en forme et la remettent dans son contexte ; ils répondent à vos questions. »
Savez-vous comment le rapporteur de l’Assemblée nationale a qualifié le travail réalisé par ce site sur le secret des affaires ? Il l’a assimilé à de la « désinformation ». Lorsque l’on en vient à faire ainsi la leçon à ceux qu’un tel texte devrait rassurer, je crains que l’on ne s’égare. Je ne suis donc pas satisfait de l’équilibre du texte aujourd’hui.
Il a, certes, été amélioré – n’en déplaise à notre respectable rapporteur Christophe-André Frassa –, mais il ne parvient toujours pas à rassurer, notamment en raison d’une définition trop large des informations à protéger.
Vous comprendrez donc que le groupe socialiste et républicain, en raison de l’incapacité dont fait preuve le Gouvernement à convaincre du bien-fondé de ce texte, votera contre les conclusions de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le constat est clair : dans un contexte de compétition économique internationale toujours accrue, il manque à la législation française un dispositif général et transversal de protection du secret des affaires, afin de garantir une véritable protection des informations confidentielles détenues par nos entreprises.
En effet, si, pour assurer la garantie des brevets, marques et autres dessins et modèles, le droit de la propriété industrielle est efficace, il ne suffit pas à assurer la protection des nombreuses informations économiques et techniques confidentielles des entreprises.
Le diagnostic de la carence du droit français en matière de protection du secret des affaires est établi depuis longtemps, de sorte que les initiatives législatives pour mieux armer nos entreprises françaises exposées à la concurrence internationale n’ont pas manqué depuis 2010. Elles ont malheureusement toutes échoué à mettre en place un dispositif civil ou pénal de protection.
La proposition de loi relative à la protection du secret des affaires vise à transposer en droit français la directive du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulguées, dont l’objectif est d’établir un niveau suffisant, proportionné et comparable de réparation dans tout le marché intérieur en cas d’appropriation illicite.
On peut légitimement déplorer les conditions de présentation et d’examen de ce texte : la transposition d’une directive au moyen d’une proposition de loi nous prive d’une étude d’impact ; le délai d’à peine deux semaines entre l’adoption en séance par l’Assemblée nationale et le passage en commission au Sénat était trop court ; l’examen du texte a commencé quelques semaines seulement avant l’expiration du délai de transposition.
Toutefois, la transposition de cette directive permettra à la France de se doter d’un régime de protection du patrimoine économique, technologique et informationnel de ses entreprises.
Aussi, notre groupe se réjouit, d’une part, que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion soit parvenue à un accord, et, d’autre part, que le texte adopté reprenne, pour une grande part, la rédaction retenue par le Sénat.
Néanmoins, nous souhaitons modérer notre position sur deux points.
En premier lieu, la commission mixte paritaire a rétabli l’amende civile spécifique que nos collègues députés avaient prévue pour sanctionner les personnes qui engageraient abusivement une action relative à une atteinte au secret des affaires. Cette amende, qui avait déjà été portée à 10 000 euros contre 3 000 euros auparavant, a été considérablement majorée, puisqu’elle passe à 60 000 euros ou 20 % du montant des dommages et intérêts réclamés.
Le Sénat avait supprimé cette disposition pour deux raisons. Premièrement, l’amende civile peut être jugée contraire aux principes constitutionnels d’égalité et de légalité des délits et des peines ; deuxièmement, il apparaît probable que les juges ne l’appliquent pas, au vu de leur pratique actuelle en matière d’amendes civiles pour procédure abusive.
En second lieu, la commission mixte paritaire a procédé à une autre suppression, celle du délit d’espionnage économique. Cette notion avait été introduite par la commission des lois du Sénat, afin de sanctionner le détournement d’une information protégée au titre du secret des affaires à des fins exclusivement économiques, excluant de son champ les journalistes, les lanceurs d’alerte et les représentants des salariés.
Pour le Sénat, le message devait être clair : les entreprises françaises sont soumises à une véritable guerre économique, qui ne cesse de s’amplifier. Un volet pénal avait donc toute sa pertinence, avec une amende de 375 000 euros, largement supérieure à celle qui est prévue pour sanctionner le vol.
Notre groupe regrette que cette notion ait été écartée et encourage vivement les deux rapporteurs du texte à tenir leur engagement de poursuivre l’étude de cette question dans le cadre d’une mission plus large, visant à mieux armer encore nos entreprises dans cette guerre.
Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le président de la commission des lois, Philippe Bas, l’a souligné : « un réarmement juridique de la France s’impose contre le pillage des données ! » Nous ne pouvons que souscrire à ce point de vue.
Au cours des dernières années, quelque 20 % des entreprises indiquent avoir subi au moins une tentative d’appropriation illicite de leurs secrets d’affaires, et 25 % d’entre elles ont signalé un vol d’informations confidentielles.
Cette proposition de loi a le mérite d’offrir de bonnes bases à la protection des secrets commerciaux et du savoir-faire commercial dans notre pays, aussi, le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire sur cette proposition de loi transposant la directive sur la protection du secret des affaires intervient alors que le conflit commercial entre les États-Unis et la Chine, mais aussi entre les États-Unis, le Canada et l’Europe, paraît s’intensifier. Les pratiques d’espionnage économique visant les entreprises françaises et européennes, qui s’ajoutent aux vulnérabilités nouvelles liées aux cyberattaques, sont plus que jamais une réalité.
Pendant longtemps, les pays européens ont manqué d’un cadre juridique réellement protecteur pour leurs entreprises.
Alors que les États-Unis disposent depuis la fin des années 1990 d’un puissant arsenal de lutte contre les atteintes au secret des affaires, avec en particulier la loi Clinger-Cohen de 1996, ce n’est qu’en 2016 que les dirigeants européens ont adopté la directive sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulguées – soit le secret des affaires –, qui enjoint, pour la première fois, l’ensemble des États membres à instaurer un régime général de protection des secrets d’affaires et qui rend ceux-ci opposables lors de procédures contentieuses. Jusqu’alors, toutes les tentatives d’instaurer un tel régime général en France avaient échoué.
D’après la définition générale, un secret d’affaires est une information ayant une valeur marchande, considérée comme confidentielle par l’entreprise et qui lui donne un avantage compétitif dans son secteur.
La numérisation de l’économie rend la protection des secrets d’affaires encore plus cruciale. D’après une étude publiée l’an dernier dans la revue i2D, la France est le neuvième pays au monde le plus attaqué par les cybercriminels.
Toutefois, la culture de sécurité informatique y reste étonnamment peu développée. Tout se passe comme si les usagers s’en remettaient à la solidité supposée du « système » sans imaginer que leurs outils informatiques puissent faire l’objet de piratage et que leurs données personnelles ou des informations confidentielles de leur entreprise puissent être divulguées à leur insu.
Néanmoins, la révélation, ces dernières années, de plusieurs scandales, comme celui du Mediator, ou des affaires LuxLeaks et « Panama Papers », a sensibilisé le public à ce sujet et a engendré une grande défiance à l’égard des acteurs économiques et de la mondialisation.
La mobilisation impressionnante des organisations non gouvernementales, des organes de presse ou des lanceurs d’alerte lors de l’examen de ce texte en témoigne. Malgré les délais d’examen très courts et les marges de manœuvre limitées du législateur, la directive sur le secret des affaires continue de susciter des craintes et des oppositions, parfois excessives.
Le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire apparaît plutôt équilibré, dans la mesure où il effectue une transposition assez stricte du contenu de la directive, en particulier en ce qui concerne la définition du concept même de secret des affaires. Du point de vue du Sénat, il est même plus équilibré qu’en première lecture, puisqu’il rétablit, notamment, l’amende civile en cas de procédure dilatoire ou abusive.
Par ailleurs, la pénalisation de l’espionnage économique, qui a suscité de vifs débats en première lecture et dont mon groupe avait demandé la suppression, n’a pas été retenue dans la version finale, car ce type d’infraction est déjà couvert par la législation sur le vol et l’abus de confiance.
Enfin, la notion de valeur commerciale effective ou potentielle de l’information protégée a été préférée à celle de valeur économique, dont l’acception paraissait trop floue.
On peut encore s’interroger sur la longueur du délai de prescription – cinq ans – en matière de violation du secret des affaires, mais, globalement, ce texte offre un cadre raisonnable et conforme à nos responsabilités de législateur, dans la mesure où il s’agit, je le rappelle, d’un texte de transposition.
Comme l’avait souligné notre collègue Jean-Marc Gabouty lors de la première lecture, cette transposition constitue bien une nouveauté juridique, puisque le droit français ne définissait pas jusqu’à présent le secret des affaires, même s’il y faisait souvent référence.
La protection du secret des affaires est en revanche un principe inscrit depuis longtemps dans le droit anglo-saxon, aux côtés de la législation sur les marques et les brevets. Aux États-Unis, depuis une décision de la Cour suprême de 1974, elle relève de la compétence des États fédérés. On peut même lui trouver des origines dans le droit romain, avec l’actio servi corrupti, qui concernait les relations entre le maître et le serviteur.
Ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est de mieux protéger les entreprises européennes et françaises face à des pratiques déloyales, comme on en a connu par le passé, par exemple la conception du Tupolev soviétique, tellement copié sur le Concorde qu’on le surnommait « Concordski » (Sourires.), ou, plus récemment, l’espionnage des Américains et des Chinois dans le secteur automobile, avec en particulier une offensive menée par General Motors sur Volkswagen.
L’information protégée au titre du secret des affaires répondra donc aux trois critères énoncés à l’article premier : son caractère non accessible en raison de sa nature ou de sa conception, sa valeur commerciale effective ou potentielle et, enfin, le fait de faire l’objet de mesures de protection raisonnables de la part de son détenteur légitime.
Le texte précise également les éléments d’appréciation que le juge devra prendre en compte, notamment la nécessité éventuelle de limiter la communication de certaines informations, la formation de jugement et les modalités de publication de la décision.
La liberté d’expression et de communication reste totalement protégée par la Convention européenne des droits de l’homme comme par la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Les lanceurs d’alerte, quant à eux, bénéficient d’un statut à part entière depuis la loi Sapin II de 2016.
Par ailleurs, la question de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises a été abordée dans la loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères et devrait de nouveau être abordée dans le projet de loi PACTE, que nous examinerons cet automne.
En résumé, ce texte doit assurer un bon équilibre entre la liberté d’information au service de l’intérêt général et la protection des connaissances à objet commercial, dans un monde économique où la naïveté n’est pas permise.
D’une part, les exceptions à la protection du secret des affaires offrent des garanties aux journalistes, aux syndicats ou encore aux associations citoyennes. D’autre part, la protection du secret des affaires donnera plus de moyens aux PME, TPE et start-up, en particulier, pour leur permettre de se défendre dans la compétition économique.
J’y insiste, la protection des informations industrielles et commerciales doit s’accompagner du développement d’une véritable culture de la sécurité de l’information qui soit plus digne du rang de l’économie française.
Avec ces remarques, vous comprendrez, mes chers collègues, qu’à l’issue de la discussion de ces conclusions, la majorité des membres du groupe du RDSE, dans sa très grande liberté de vote, se prononceront pour l’adoption de cette proposition de loi, tandis que quelques membres s’y opposeront, faute d’adoption des amendements qu’ils avaient défendus en première lecture. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Mme Michèle Vullien et M. André Gattolin applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi que nous étudions aujourd’hui, au retour d’une commission mixte paritaire conclusive, vise à assurer un niveau de protection commun du secret des affaires au sein de l’Union européenne, au profit de nos entreprises, de leur savoir-faire, de leurs innovations, contre le pillage industriel, la concurrence déloyale et ce que l’on appelle, par un euphémisme douteux, « l’intelligence économique », mais qui, en parler franc, signifie ni plus ni moins l’espionnage économique.
L’actualité récente est là pour nous rappeler de manière récurrente que ces pratiques déloyales ne cessent de se développer entre entreprises, parfois avec l’appui de services de renseignement de pays supposément alliés, voire amis.
Je souhaite remercier notre collègue de la commission des affaires européennes, Philippe Bonnecarrère, du cadrage général externe et interne qu’il a effectué et rappeler le rôle de la commission des affaires européennes du Sénat sur ce texte, dès 2013. Au moment de l’élaboration de la directive, nous avions auditionné Mme la rapporteur au Parlement européen et nous avions mis en lumière, bien avant que cela fasse polémique, le droit des journalistes et des lanceurs d’alerte, ce qui avait permis, déjà, de corriger le texte.
Cette proposition de loi n’a pas manqué d’animer les débats au sein du Parlement, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, car elle renvoie à une valeur fondamentale de nos démocraties : la liberté d’expression, pilier de nos institutions et principe fondamental de l’État de droit.
L’ambition du Gouvernement, que nous partageons, a toujours été de protéger par ce texte les intérêts économiques de nos entreprises dans un environnement concurrentiel, tout en préservant la liberté d’expression et en protégeant le rôle essentiel du travail journalistique et des lanceurs d’alerte. Les travaux de l’Assemblée nationale en première lecture reflétaient bien, selon nous, cet exercice délicat d’équilibre entre protection de nos acteurs économiques stratégiques et respect de nos libertés fondamentales.
On peut, à ce titre, citer la création d’une amende civile destinée à lutter contre les « procédures bâillons » exercées à l’encontre d’un individu, d’une association ou d’une organisation et qui visent à intimider et à dissuader ceux-ci de dévoiler publiquement des informations en leur possession.
Le passage au Sénat a permis d’enrichir certains aspects du texte, notamment en précisant la définition du détenteur légitime du secret et la caractérisation de l’obtention illicite du secret des affaires. Les procédures judiciaires mises en place pour garantir une protection efficace du secret des affaires ont également été clarifiées.
Au fil de la discussion, le texte a toutefois été durci sur certains points, s’éloignant de l’ambition initiale de la proposition de loi et du droit européen, avec notamment la suppression de l’amende civile pour lutter contre les « procédures bâillons » et l’insertion d’un volet pénal. L’accord trouvé en commission mixte paritaire a heureusement permis de corriger ces évolutions. Nous nous en réjouissons et nous félicitons les deux rapporteurs, en particulier celui du Sénat, Christophe-André Frassa.
Tout d’abord, la rédaction de l’article 1er, qui caractérise la nature de l’information protégée par le secret des affaires, est parfaitement alignée avec la définition suggérée par la directive européenne. L’information protégée doit ainsi revêtir, du fait de son caractère secret, une valeur commerciale effective ou potentielle. Cette notion, moins extensive que celle de valeur économique, se rapproche davantage de la définition prévue par la directive. De cette manière, nous écartons le risque d’une surtransposition potentiellement abusive, donc condamnable, du droit européen.
Ensuite, l’amende civile permettant de lutter contre les procédures abusives ou dilatoires a été rétablie. Ce point est crucial pour répondre aux inquiétudes des journalistes, des lanceurs d’alertes et des ONG. À présent, les entreprises engageant des procédures abusives ou dilatoires à l’encontre des journalistes, des lanceurs d’alerte ou des représentants des salariés s’exposeront à une amende pouvant aller jusqu’à 60 000 euros ou 20 % du montant des dommages et intérêts demandés.
Enfin, l’infraction pénale insérée lors de l’examen du texte au Sénat, qui permettait de sanctionner le détournement d’une information économique protégée, a été retirée. Cette disposition n’apparaissait pas nécessaire pour répondre à l’objectif de la proposition de loi.
Les travaux effectués par les rapporteurs de nos deux assemblées ont donc été utiles et méritent d’être salués, car l’accord trouvé vise bien l’objectif commun de protection des entreprises françaises contre le pillage industriel, tout en respectant la liberté d’expression et le droit à l’information.
C’est pourquoi, mes chers collègues, le groupe La République En Marche votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Mme Michèle Vullien applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, ce texte avait comme intitulé, à l’origine, « Protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites ». Ce n’est pas anodin : le Gouvernement a fait adopter le texte sur la protection du secret des affaires derrière un nom trompeur et sans réelle concertation.
Cette proposition de loi a pour seul objectif de protéger, même contre l’intérêt général, toute information revêtant une valeur commerciale du fait de son caractère secret.
Rarement un texte aura fait ainsi l’unanimité contre lui dans le monde, au sens large. Les rédactions sont unanimes, quelle que soit leur sensibilité, des Échos à Fakir, et plus d’un demi-million de citoyens se sont mobilisés, car ce que vous proposez en guise de liberté d’informer, c’est la mise en place d’une forme de censure. Il en va de même pour toutes les ONG, regroupées dans le collectif Stop secret des affaires, qui se battent pour que l’intérêt particulier de quelques-uns n’impose pas la loi du silence à tous les autres.
Toutes ces personnes seraient-elles à ce point dans l’erreur ? Cinquante-deux organisations feraient-elles fausse route ? Sommes-nous si nombreux à ne pas avoir compris ce texte et à surestimer les dangers qu’il comporte ?
Pourtant, ainsi que nous en avons fait la démonstration lors des débats, avec ce texte, la recherche de la vérité s’arrêtera trop souvent aux portes de l’entreprise. En faisant le lien avec le projet de loi dit « contre les fausses informations », les Fake News, on constate que cette vérité sera même demain définie par l’État !
Vous nous répétez à l’envi que ce texte, bien entendu, ne sert qu’à protéger nos entreprises d’une concurrence féroce – et réelle –, mais vous avez refusé nos nombreux amendements qui visaient, justement, à réduire le champ d’application du secret des affaires à l’entreprise et à protéger les PME et les sous-traitants de ce secret si largement défini.
Ce qui est mis en cause aujourd’hui, comme le rappelle un éminent journaliste, c’est « cette vérité qui procède de la raison par la déduction, le recoupement, la recherche, la vérification, la précision. Bref, cette vérité qui suppose l’enquête. Derrière ce mot apparemment simple, il y a un travail patient, minutieux et complexe, essentiellement collectif, où la vérité est produite, trouvée, dénichée, accouchée, débusquée… »
Cette vérité que révèlent, dans un souci de protection de l’intérêt général, en faisant fi de leur propre situation et des conséquences parfois lourdes sur leur vie personnelle et professionnelle, des chercheurs, des journalistes, des salariés, des représentants du personnel – la liste n’est pas exhaustive.
Aujourd’hui, ce que vous faites avancer, c’est la protection de l’optimisation fiscale, le chantage au fournisseur, la sous-traitance en cascade, les techniques de management douteuses, les pratiques à la limite de la légalité, mais aussi de possibles risques sanitaires et environnementaux majeurs présents et à venir : rôles des perturbateurs endocriniens, impact des pesticides sur la santé ou l’environnement, ou toute information que l’entreprise qualifiera de secrète.
Il ne s’agit pas d’une vue de l’esprit de quelques activistes extrêmes. Aujourd’hui, de nombreux juristes dénoncent également ce texte. Deux avocats spécialisés le font en ces termes : « Imaginez que quelqu’un, au sein d’une entreprise pharmaceutique, estime qu’un produit dangereux, néfaste pour la santé ou l’environnement, a été mis sur le marché. Eh bien, la dérogation à la protection du secret des affaires serait alors probablement suspendue à l’issue d’investigations et de procédures pouvant durer des années. Dès lors qu’elle ne pourrait pas être d’un effet immédiat, elle prive mécaniquement le lanceur d’alerte de toute protection. »
Comme nous l’avons dit lors des débats, l’arsenal juridique français est déjà très bien fourni en ce qui concerne la propriété intellectuelle, le secret médical, les secrets de fabrique ou encore la protection des secrets d’État, avec le fameux secret défense. Cette loi de transposition, voire de surtransposition, n’était donc pas indispensable !
Aujourd’hui, vous prenez aussi le risque de provoquer l’autocensure, parce que la loi prévoit des sanctions tellement énormes qu’elles peuvent atteindre, en cas de préjudice commercial à réparer, plusieurs millions d’euros. Si cette menace est brandie, les gens n’oseront plus divulguer d’informations et chacun s’imposera l’autocensure.
Comme le souligne l’observatoire des médias Acrimed, ce texte s’inscrit dans une tendance durable, de la part des détenteurs du pouvoir économique, à mobiliser les ressources du droit pour dissuader les enquêtes portant sur la façon dont ils mènent leurs affaires et soustraire ainsi à l’attention du public des informations d’intérêt général.
C’est une étape supplémentaire dans un travail de sophistication des outils juridiques permettant l’opacité, en lieu et place de la nécessaire transparence, et autorisant la définition de thèmes et d’objets considérés pouvant légalement faire l’objet d’investigations. Cette loi sera une arme au service des intérêts privés contre l’intérêt général.
En guise de conclusion, je citerai cette analyse de Roberto Scarpinato, procureur général de Palerme et spécialiste de la lutte contre la haute criminalité mafieuse, qui déclarait à Mediapart : « Le secret et le mensonge sont incompatibles avec la démocratie. La différence entre démocratie et autocratie réside dans le rapport qu’elles entretiennent avec le secret. La démocratie est le gouvernement du pouvoir visible : le gouvernement public, en public. Dans l’autocratie le secret est la règle, tandis qu’en démocratie le secret est l’exception, lorsque la raison d’État le demande, et même dans ce cas, il doit être contrôlé par le pouvoir visible. »
Madame la garde des sceaux, je voudrais saluer votre insistance à cette tribune à rassurer les journalistes et les lanceurs d’alerte, mais je suis au regret de vous dire que, à la fin de ce débat, nous ne sommes pas convaincus. Nous voterons par conséquent contre les conclusions de cette commission mixte paritaire.
M. le président. La parole est à Mme Jacky Deromedi.
Mme Jacky Deromedi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, cette proposition de loi est un texte de défense de nos entreprises, donc de l’emploi de leurs salariés.
Elle part d’un constat de bon sens : nous devons défendre les entreprises françaises contre l’espionnage industriel, je dirais même parfois le pillage de certaines de nos industries, qui s’est développé tout spécialement ces dernières années dans un contexte de mondialisation et de concurrence exacerbée entre les acteurs économiques.
Il s’agit non pas d’un risque abstrait et futur, mais d’une réalité dont nous subissons les effets chaque jour. Ces pratiques contribuent à l’érosion de nos avantages compétitifs, à la perte de notre savoir-faire, au rachat de nos firmes et, finalement, à la perte d’emplois.
Pendant ce temps, les pays qui sont les principaux partenaires économiques de l’Europe sont aussi souvent les premiers à prendre des mesures, afin de protéger leur savoir-faire commercial. La France était à la traîne. L’arsenal législatif européen et français n’est plus adapté à ces réalités. Il n’offrait pas même une définition unifiée du concept de secret des affaires, et cela a rendu notre économie vulnérable. Cette proposition de loi est donc bienvenue.
Nos entreprises attendaient cette protection depuis plusieurs années. Le débat est ancien. Plusieurs tentatives ont eu lieu sous les gouvernements précédents, quelles que soient les majorités de gauche et de droite. Toutes ont échoué jusqu’au moment où la France a porté ce débat au niveau européen.
La directive européenne que cette proposition de loi transpose a été en effet présentée sur l’initiative de la France par M. Cazeneuve, alors ministre délégué aux affaires européennes. La directive a été adoptée le 8 juin 2016 et votée par près de 80 % des parlementaires français au Parlement européen.
Après de longs débats détaillés et approfondis, on doit se féliciter que le texte qui nous est présenté ait recueilli un très large accord sur l’essentiel.
Protéger le savoir-faire de nos entreprises sans pour autant sacrifier la liberté de la presse : à première vue, ces objectifs peuvent paraître totalement contradictoires et opposés. Les équilibres à trouver sont « subtils », pour reprendre l’adjectif que vous avez employé, madame la garde des sceaux, et, avez-vous ajouté, ils doivent être définis « dans un cadre européen très contraint », qui suscite des inquiétudes et des interrogations.
En réalité, les deux objectifs de défense des entreprises et de protection des journalistes et des lanceurs d’alerte m’apparaissent non pas concurrents, mais complémentaires. Il faut remercier les deux rapporteurs des commissions compétentes, particulièrement notre collègue Christophe-André Frassa, d’avoir su trouver un bon terrain d’entente.
Le texte adopte une définition claire du secret des affaires, jusqu’alors fondé sur le droit commun de la responsabilité civile et la jurisprudence. Cela facilitera la tâche des entreprises et des juges. Il retient des critères cumulatifs particulièrement stricts, dans les termes de la directive.
Il y avait débat sur la nature des informations protégées : fallait-il prendre en compte la valeur économique ou la valeur commerciale ? Toutes les données de nature économique détenues par une entreprise ne relèveront pas du secret des affaires. Seules le pourront celles qui font l’objet de mesures raisonnables de protection et qui revêtent une valeur commerciale effective ou potentielle pour son détenteur, lequel devra en apporter la preuve.
Le texte apporte des garanties de procédure qui ont été renforcées durant les débats. Le dispositif a ainsi été étendu à l’ensemble des procédures devant les juridictions civiles, commerciales et administratives.
Le Sénat avait souhaité créer une infraction spécifique sanctionnant l’atteinte au secret des affaires et l’espionnage économique. Nos collègues de l’Assemblée nationale penchaient plutôt le recours au droit commun – vol, recel, abus de confiance, intrusion dans un système informatique – ces qualifications leur paraissant suffisantes pour engager des poursuites.
Sur ce point, je partage entièrement l’opinion de notre rapporteur : nous sommes dans une guerre économique ; un volet civil ne suffit pas, il faut un volet pénal.
Faute de temps, nous n’avons pu procéder à toutes les consultations que nous aurions souhaité mener. Lors des travaux de la commission mixte paritaire, le président Philippe Bas a obtenu l’engagement de son homologue à l’Assemblée nationale, Mme Yaël Braun-Pivet, sur la poursuite de nos travaux sur cette question.
Certains médias ont dénoncé ce texte comme instaurant une nouvelle forme de censure de la presse, pourtant abolie par la loi du 29 juillet 1881. Tel n’est pas le cas. Le texte comporte à ce sujet des garanties très claires et précises, sous le contrôle du juge. Le secret des affaires garanti par cette loi n’est pas absolu ; il est strictement encadré.
Une entreprise ne pourra évidemment s’en prévaloir pour s’opposer aux enquêtes judiciaires ou administratives. Elle ne pourra pas davantage s’opposer à la révélation d’un secret des affaires, lorsque cette révélation est nécessaire pour l’exercice du droit syndical. Elle ne pourra pas obtenir de dommages et intérêts contre un salarié qui, de bonne foi et dans un but d’intérêt général, a porté à la connaissance d’un journaliste une activité illégale, une faute ou un comportement répréhensible.
En cas de révélation d’un secret des affaires, journalistes comme lanceurs d’alerte pourront toujours se prévaloir d’avoir agi dans le cadre de l’exercice légitime de leur liberté d’expression et d’information. Ces principes sont très clairement énoncés dans le texte qui vous est soumis.
Le champ de la protection a d’ailleurs été élargi par la commission mixte paritaire par le rétablissement de la procédure d’amende civile, afin de répondre au risque de ce que l’on a appelé les « procédures bâillons ». Je persiste à penser, avec M. le rapporteur, que cette procédure n’était pas indispensable et qu’elle présente des risques d’inconstitutionnalité, que la décision du Conseil constitutionnel du 23 mars 2017 a mis à jour.
À l’Assemblée nationale, vous avez annoncé, madame la garde des sceaux, que le Gouvernement avait décidé de confier à M. le député Gauvain et à M. le sénateur Frassa, rapporteur de la proposition de loi, une mission d’analyse des mesures de protection des entreprises françaises confrontées à des procédures judiciaires ou administratives de portée extraterritoriale. Vous avez évoqué, notamment, la loi de blocage de 1968.
Je profite de ce débat pour vous demander si le Gouvernement entend prendre des initiatives à ce sujet au niveau européen. Alors que se met en place une guerre commerciale venant d’outre-Atlantique, l’Europe est-elle prête à réagir ?
En conclusion, je voterai ce texte, avec les autres membres de mon groupe. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
Je rappelle que, en application de l’article 42, alinéa 12, du règlement, lorsqu’il examine après l’Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, le Sénat se prononce par un seul vote sur l’ensemble du texte en ne retenant que les amendements présentés ou acceptés par le Gouvernement.
PROPOSITION DE LOI RELATIVE À LA PROTECTION DU SECRET DES AFFAIRES
Article 1er
Le livre Ier du code de commerce est complété par un titre V ainsi rédigé :
« TITRE V
« DE LA PROTECTION DU SECRET DES AFFAIRES
« CHAPITRE Ier
« De l’objet et des conditions de la protection
« Section I
« De l’information protégée
« Art. L. 151-1. – Est protégée au titre du secret des affaires toute information répondant aux critères suivants :
« 1° Elle n’est pas, en elle-même ou dans la configuration et l’assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d’informations en raison de leur secteur d’activité ;
« 2° Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ;
« 3° Elle fait l’objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret.
« Section II
« De la détention légitime et de l’obtention licite d’un secret des affaires
« Art. L. 151-2 A. – Est détenteur légitime d’un secret des affaires celui qui en a le contrôle de façon licite.
« Art. L. 151-2. – Constituent des modes d’obtention licite d’un secret des affaires :
« 1° Une découverte ou une création indépendante ;
« 2° L’observation, l’étude, le démontage ou le test d’un produit ou d’un objet qui a été mis à la disposition du public ou qui est de façon licite en possession de la personne qui obtient l’information, sauf stipulation contractuelle interdisant ou limitant l’obtention du secret ;
« 3° (Supprimé)
« Section III
« De l’obtention, de l’utilisation et de la divulgation illicites
« Art. L. 151-3. – L’obtention d’un secret des affaires est illicite lorsqu’elle est réalisée sans le consentement de son détenteur légitime et qu’elle résulte :
« 1° D’un accès non autorisé à tout document, objet, matériau, substance ou fichier numérique qui contient le secret ou dont il peut être déduit, ou bien d’une appropriation ou d’une copie non autorisée de ces éléments ;
« 2° De tout autre comportement considéré, compte tenu des circonstances, comme déloyal et contraire aux usages en matière commerciale.
« Art. L. 151-4. – L’utilisation ou la divulgation d’un secret des affaires est illicite lorsqu’elle est réalisée sans le consentement de son détenteur légitime par une personne qui a obtenu le secret dans les conditions mentionnées à l’article L. 151-3 ou qui agit en violation d’une obligation de ne pas divulguer le secret ou de limiter son utilisation.
« La production, l’offre ou la mise sur le marché, de même que l’importation, l’exportation ou le stockage à ces fins de tout produit résultant de manière significative d’une atteinte au secret des affaires sont également considérés comme une utilisation illicite lorsque la personne qui exerce ces activités savait, ou aurait dû savoir au regard des circonstances, que ce secret était utilisé de façon illicite au sens du premier alinéa du présent article.
« Art. L. 151-5. – L’obtention, l’utilisation ou la divulgation d’un secret des affaires est aussi considérée comme illicite lorsque, au moment de l’obtention, de l’utilisation ou de la divulgation du secret, une personne savait, ou aurait dû savoir au regard des circonstances, que ce secret avait été obtenu, directement ou indirectement, d’une autre personne qui l’utilisait ou le divulguait de façon illicite au sens du premier alinéa de l’article L. 151-4.
« Section IV
« Des exceptions à la protection du secret des affaires
« Art. L. 151-6. – Le secret des affaires n’est pas opposable lorsque l’obtention, l’utilisation ou la divulgation du secret est requise ou autorisée par le droit de l’Union européenne, les traités ou accords internationaux en vigueur ou le droit national, notamment dans l’exercice des pouvoirs d’enquête, de contrôle, d’autorisation ou de sanction des autorités juridictionnelles ou administratives.
« Art. L. 151-7. – À l’occasion d’une instance relative à une atteinte au secret des affaires, le secret n’est pas opposable lorsque son obtention, son utilisation ou sa divulgation est intervenue :
« 1° Pour exercer le droit à la liberté d’expression et de communication, y compris le respect de la liberté de la presse, et à la liberté d’information telle que proclamée dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;
« 2° Pour révéler, dans le but de protéger l’intérêt général et de bonne foi, une activité illégale, une faute ou un comportement répréhensible, y compris lors de l’exercice du droit d’alerte défini à l’article 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ;
« 3° Pour la protection d’un intérêt légitime reconnu par le droit de l’Union européenne ou le droit national.
« Art. L. 151-8. – À l’occasion d’une instance relative à une atteinte au secret des affaires, le secret n’est pas opposable lorsque :
« 1° L’obtention du secret des affaires est intervenue dans le cadre de l’exercice du droit à l’information et à la consultation des salariés ou de leurs représentants ;
« 2° La divulgation du secret des affaires par des salariés à leurs représentants est intervenue dans le cadre de l’exercice légitime par ces derniers de leurs fonctions, pour autant que cette divulgation ait été nécessaire à cet exercice.
« L’information ainsi obtenue ou divulguée demeure protégée au titre du secret des affaires à l’égard des personnes autres que les salariés ou leurs représentants qui en ont eu connaissance.
« CHAPITRE II
« Des actions en prévention, en cessation ou en réparation d’une atteinte au secret des affaires
« Art. L. 152-1. – Toute atteinte au secret des affaires telle que prévue aux articles L. 151-3 à L. 151-5 engage la responsabilité civile de son auteur.
« Art. L. 152-1-1. – Les actions relatives à une atteinte au secret des affaires sont prescrites par cinq ans à compter des faits qui en sont la cause.
« Section I
« Des mesures pour prévenir et faire cesser une atteinte au secret des affaires
« Art. L. 152-2. – I. – Dans le cadre d’une action relative à la prévention ou la cessation d’une atteinte à un secret des affaires, la juridiction peut, sans préjudice de l’octroi de dommages et intérêts, prescrire, y compris sous astreinte, toute mesure proportionnée de nature à empêcher ou à faire cesser une telle atteinte. Elle peut notamment :
« 1° Interdire la réalisation ou la poursuite des actes d’utilisation ou de divulgation d’un secret des affaires ;
« 2° Interdire les actes de production, d’offre, de mise sur le marché ou d’utilisation des produits résultant de manière significative de l’atteinte au secret des affaires ou l’importation, l’exportation ou le stockage de tels produits à ces fins ;
« 3° Ordonner la destruction totale ou partielle de tout document, objet, matériau, substance ou fichier numérique contenant le secret des affaires concerné ou dont il peut être déduit ou, selon le cas, ordonner leur remise totale ou partielle au demandeur.
« II. – La juridiction peut également ordonner que les produits résultant de manière significative de l’atteinte au secret des affaires soient rappelés des circuits commerciaux, écartés définitivement de ces circuits, modifiés afin de supprimer l’atteinte au secret des affaires, détruits ou, selon le cas, confisqués au profit de la partie lésée.
« III. – Lorsque la juridiction limite la durée des mesures mentionnées aux 1° et 2° du I, la durée fixée doit être suffisante pour éliminer tout avantage commercial ou économique que l’auteur de l’atteinte au secret des affaires aurait pu tirer de l’obtention, de l’utilisation ou de la divulgation illicite du secret des affaires.
« IV. – Sauf circonstances particulières et sans préjudice des dommages et intérêts qui pourraient être réclamés, les mesures mentionnées aux I à III sont ordonnées aux frais de l’auteur de l’atteinte.
« Il peut y être mis fin à la demande de l’auteur de l’atteinte lorsque les informations concernées ne peuvent plus être qualifiées de secret des affaires au sens de l’article L. 151-1 pour des raisons qui ne dépendent pas, directement ou indirectement, de lui.
« Art. L. 152-2-1 A. – Pour prévenir une atteinte imminente ou faire cesser une atteinte illicite à un secret des affaires, la juridiction peut, sur requête ou en référé, ordonner des mesures provisoires et conservatoires dont les modalités sont déterminées par décret en Conseil d’État.
« Art. L. 152-2-1. – Sans préjudice de l’article L. 152-3, la juridiction peut ordonner, à la demande de l’auteur de l’atteinte, le versement d’une indemnité à la partie lésée au lieu des mesures mentionnées aux I à III de l’article L. 152-2 lorsque sont réunies les conditions suivantes :
« 1° Au moment de l’utilisation ou de la divulgation du secret des affaires, l’auteur de l’atteinte ne savait pas, ni ne pouvait savoir au regard des circonstances, que le secret des affaires avait été obtenu d’une autre personne qui l’utilisait ou le divulguait de façon illicite ;
« 2° L’exécution des mesures mentionnées aux I à III de l’article L. 152-2 causerait à cet auteur un dommage disproportionné ;
« 3° Le versement d’une indemnité à la partie lésée paraît raisonnablement satisfaisant.
« Lorsque le versement de cette indemnité est ordonné en lieu et place des mesures prévues aux 1° et 2° du I du même article L. 152-2, cette indemnité ne peut être fixée à une somme supérieure au montant des droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser ledit secret des affaires pour la période pendant laquelle l’utilisation du secret des affaires aurait pu être interdite.
« Section II
« De la réparation d’une atteinte au secret des affaires
« Art. L. 152-3. – Pour fixer les dommages et intérêts dus en réparation du préjudice effectivement subi, la juridiction prend en considération distinctement :
« 1° Les conséquences économiques négatives de l’atteinte au secret des affaires, dont le manque à gagner et la perte subie par la partie lésée, y compris la perte de chance ;
« 2° Le préjudice moral causé à la partie lésée ;
« 3° Les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte au secret des affaires, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l’atteinte.
« La juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire qui tient notamment compte des droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser le secret des affaires en question. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.
« Art. L. 152-4. – (Supprimé)
« Section III
« Des mesures de publicité
« Art. L. 152-5. – La juridiction peut ordonner toute mesure de publicité de la décision relative à l’obtention, l’utilisation ou la divulgation illicite d’un secret des affaires, notamment son affichage ou sa publication intégrale ou par extraits dans les journaux ou sur les services de communication au public en ligne qu’elle désigne, selon les modalités qu’elle précise.
« Lorsqu’elle ordonne une telle mesure, la juridiction veille à protéger le secret des affaires dans les conditions prévues à l’article L. 153-1.
« Les mesures sont ordonnées aux frais de l’auteur de l’atteinte.
« Section IV
« Des sanctions en cas de procédure dilatoire ou abusive
« Art. L. 152-6. – Toute personne physique ou morale qui agit de manière dilatoire ou abusive sur le fondement du présent chapitre peut être condamnée au paiement d’une amende civile dont le montant ne peut être supérieur à 20 % du montant de la demande de dommages et intérêts. En l’absence de demande de dommages et intérêts, le montant de l’amende civile ne peut excéder 60 000 €.
« L’amende civile peut être prononcée sans préjudice de l’octroi de dommages et intérêts à la partie victime de la procédure dilatoire ou abusive.
« CHAPITRE III
« Des mesures générales de protection du secret des affaires devant les juridictions civiles ou commerciales
« Art. L. 153-1. – Lorsque, à l’occasion d’une instance civile ou commerciale ayant pour objet une mesure d’instruction sollicitée avant tout procès au fond ou à l’occasion d’une instance au fond, il est fait état ou est demandée la communication ou la production d’une pièce dont il est allégué par une partie ou un tiers ou dont il a été jugé qu’elle est de nature à porter atteinte à un secret des affaires, le juge peut, d’office ou à la demande d’une partie ou d’un tiers, si la protection de ce secret ne peut être assurée autrement et sans préjudice de l’exercice des droits de la défense :
« 1° Prendre connaissance seul de cette pièce afin de décider, s’il l’estime nécessaire, de limiter sa communication ou sa production à certains de ses éléments, d’en ordonner la communication ou la production sous une forme de résumé ou d’en restreindre l’accès, pour chacune des parties, au plus à une personne physique et une personne habilitée à l’assister ou la représenter ;
« 2° Décider que les débats auront lieu et que la décision sera prononcée en chambre du conseil ;
« 3° Adapter la motivation de sa décision et les modalités de la publication de celle-ci aux nécessités de la protection du secret des affaires.
« Art. L. 153-2. – Toute personne ayant accès à une pièce ou au contenu d’une pièce considérée par le juge comme étant couverte ou susceptible d’être couverte par le secret des affaires est tenue à une obligation de confidentialité lui interdisant toute utilisation ou divulgation des informations qu’elle contient.
« Dans le cas d’une personne morale, l’obligation prévue au premier alinéa du présent article s’applique à ses représentants légaux ou statutaires et aux personnes qui la représentent devant la juridiction.
« Les personnes ayant accès à la pièce ou à son contenu ne sont liées par cette obligation ni dans leurs rapports entre elles ni à l’égard des représentants légaux ou statutaires de la personne morale partie à la procédure.
« Les personnes habilitées à assister ou représenter les parties ne sont pas liées par cette obligation de confidentialité à l’égard de celles-ci, sauf en cas de mesures prises par le juge au titre du 1° de l’article L. 153-1 pour restreindre l’accès d’une ou de plusieurs pièces à certaines personnes.
« L’obligation de confidentialité perdure à l’issue de la procédure. Toutefois, elle prend fin si une juridiction décide, par une décision non susceptible de recours, qu’il n’existe pas de secret des affaires ou si les informations en cause ont entre-temps cessé de constituer un secret des affaires ou sont devenues aisément accessibles.
« CHAPITRE IV
« Conditions d’application
« Art. L. 154-1. – Les conditions d’application du présent titre sont fixées par décret en Conseil d’État. »
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Article 1er ter
Le code de justice administrative est ainsi modifié :
1° Au livre VI, il est ajouté un titre Ier ainsi rédigé :
« TITRE Ier
« LA PROCÉDURE ORDINAIRE
« CHAPITRE Ier
« La communication de la requête et des mémoires
« Section I
« Dispositions générales
« Section I bis
« Dispositions propres à la communication électronique
« Section II
« Dispositions applicables devant les tribunaux administratifs
« Section III
« Dispositions applicables devant les cours administratives d’appel
« Section IV
« Dispositions applicables devant le Conseil d’État
« Section V
« De la protection des pièces couvertes par le secret des affaires
« Art. L. 611-1. – Les exigences de la contradiction mentionnées à l’article L. 5 sont adaptées à celles de la protection du secret des affaires répondant aux conditions prévues au chapitre Ier du titre V du livre Ier du code de commerce. » ;
1° bis La section VI du chapitre Ier du titre IV du livre VII est complétée par un article L. 741-4 ainsi rédigé :
« Art. L. 741-4. – La motivation de la décision et les modalités de la publication de celle-ci peuvent être adaptées aux nécessités de la protection du secret des affaires. » ;
2° Le titre VII du même livre VII est ainsi modifié :
aa) Après le mot : « réserve », la fin de l’article L. 775-1 est ainsi rédigée : « des articles L. 153-1 et L. 153-2 du même code et du titre VIII du livre IV dudit code. » ;
a) L’article L. 775-2 est ainsi rédigé :
« Art. L. 775-2. – L’article L. 77-13-2 est applicable au présent chapitre. » ;
b) Il est ajouté un chapitre XIII ainsi rédigé :
« CHAPITRE XIII
« Le contentieux relatif à la prévention, la cessation ou la réparation d’une atteinte au secret des affaires
« Art. L. 77-13-1. – Lorsqu’elles relèvent de la juridiction administrative, les actions tendant à prévenir, faire cesser ou réparer une atteinte portée au secret des affaires sont présentées, instruites et jugées selon les dispositions du présent code, sous réserve du titre V du livre Ier du code de commerce.
« Art. L. 77-13-2. – Par dérogation à l’article L. 4 du présent code, l’exécution de l’ordonnance enjoignant la communication ou la production d’une pièce ou d’une catégorie de pièces dont il est allégué qu’elle est couverte par le secret des affaires est suspendue jusqu’à l’expiration du délai d’appel ou, le cas échéant, jusqu’à ce qu’il ait été statué sur l’appel. »
Articles 1er quater et 2
(Supprimés)
Article 3
I A. – Le titre IV du livre IV du code de commerce est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa du V de l’article L. 440-1, les mots : « industriel et commercial » sont remplacés par les mots : « des affaires » ;
2° Au troisième alinéa de l’article L. 441-8, les mots : « du secret en matière industrielle et commerciale et » sont supprimés.
I. – À la fin du a du 1° de l’article L. 111-2 du code du cinéma et de l’image animée, les mots : « en matière commerciale et industrielle » sont remplacés par les mots : « des affaires ».
II. – Au premier alinéa du II de l’article 349 sexies du code des douanes, les mots : « commercial, industriel ou » sont remplacés par les mots : « secret des affaires ou un secret ».
III. – À la fin de la première phrase de l’avant-dernier alinéa de l’article L. 233-1 du code de l’énergie, les mots : « en matière commerciale et industrielle » sont remplacés par les mots : « des affaires ».
IV. – Le code de l’environnement est ainsi modifié :
1° À la première phrase du second alinéa du IV de l’article L. 120-1, les mots : « , du secret industriel et commercial » sont supprimés ;
2° Au II de l’article L. 412-7, au III de l’article L. 412-8, à la première phrase du premier alinéa du I, au second alinéa du même I et à la première phrase du premier alinéa du II de l’article L. 521-7 ainsi qu’au dernier alinéa de l’article L. 523-1, les mots : « industriel et commercial » sont remplacés par les mots : « des affaires » ;
3° À la fin de la première phrase du I de l’article L. 412-17, les mots « industriel ou commercial » sont remplacés par les mots : « des affaires » ;
4° À la fin de la première phrase de l’article L. 592-46-1, les mots : « en matière industrielle ou commerciale » sont remplacés par les mots : « des affaires ».
V. – Au premier alinéa du II de l’article L. 283 D du livre des procédures fiscales, les mots : « commercial, industriel ou » sont remplacés par les mots : « des affaires ou un secret ».
VI. – Au a du 1° du I de l’article L. 213-2 du code du patrimoine, les mots : « en matière commerciale et industrielle » sont remplacés par les mots : « des affaires ».
VII. – À la fin du dernier alinéa de l’article L. 615-5-1 du code de la propriété intellectuelle, les mots : « de fabrication et de commerce » sont remplacés par les mots : « des affaires ».
VIII. – La section I du chapitre Ier du titre Ier du livre III du code des relations entre le public et l’administration est ainsi modifiée :
1° Au 1° de l’article L. 311-6, les mots : « en matière commerciale et industrielle » sont remplacés par les mots : « des affaires » ;
2° À la fin du 1° de l’article L. 311-8, les mots : « industriel et commercial » sont remplacés par les mots : « des affaires ».
IX. – Le code rural et de la pêche maritime est ainsi modifié :
1° À la seconde phrase de l’article L. 201-3, les mots : « en matière commerciale et industrielle » sont remplacés par les mots : « des affaires » ;
2° Au premier alinéa et à la première phrase du second alinéa de l’article L. 253-2, les mots : « industriel et commercial » sont remplacés par les mots : « des affaires » ;
3° Au premier alinéa du II de l’article L. 612-5, les mots : « commercial, industriel ou » sont remplacés par les mots : « des affaires ou un secret ».
X. – Le code de la santé publique est ainsi modifié :
1° À la fin de la première phrase de l’article L. 1313-2, de l’avant-dernier alinéa de l’article L. 1333-29 et du 7° de l’article L. 5311-2, les mots : « en matière industrielle et commerciale » sont remplacés par les mots : « des affaires » ;
2° Au dernier alinéa de l’article L. 1313-3, les mots : « industriel et commercial » sont remplacés par les mots : « des affaires » ;
3° À la première phrase du II de l’article L. 1413-9, les mots : « industriels ou commerciaux » sont remplacés par les mots : « des affaires » ;
4° À la fin de la première phrase du 1° de l’article L. 1413-12-3, les mots : « en matière commerciale et industrielle » sont remplacés par les mots : « des affaires » ;
5° Au premier alinéa de l’article L. 5324-1, les mots : « présentant un caractère de confidentialité industrielle ou commerciale ou relevant » sont remplacés par les mots : « relevant du secret des affaires ou ».
XI. – Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° À la fin de la deuxième phrase du quatrième alinéa de l’article L. 162-18, les mots : « en matière commerciale et industrielle » sont remplacés par les mots : « des affaires » ;
2° À l’article L. 455-3, les mots : « en matière industrielle et commerciale » sont remplacés par les mots : « des affaires ».
XII. – À la première phrase du premier alinéa de l’article L. 1511-4 du code des transports, les mots : « en matière commerciale et industrielle » sont remplacés par les mots : « des affaires ».
XIII. – Au premier alinéa du I de l’article 44 de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, les mots : « en matière industrielle et commerciale » sont remplacés par les mots : « des affaires ».
Article 4
I. – Le I de l’article L. 950-1 du code de commerce est ainsi modifié :
1° Le 1° est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les articles L. 151-1 à L. 154-1 sont applicables dans leur rédaction résultant de la loi n° … du … relative à la protection du secret des affaires ; »
2° Le tableau constituant le second alinéa du 4° est ainsi modifié :
a) La douzième ligne est ainsi rédigée :
« |
Article L. 440-1 |
la loi n° … du … relative à la protection du secret des affaires |
» ; |
b) La dix-septième ligne est remplacée par deux lignes ainsi rédigées :
« |
Article L. 441-8 |
la loi n° … du … relative à la protection du secret des affaires |
|
Article L. 441-9 |
l’ordonnance n° 2014-487 du 15 mai 2014 |
» ; |
c) La quarante-sixième ligne est remplacée par deux lignes ainsi rédigées :
« |
Article L. 483-1 |
l’ordonnance n° 2017-303 du 9 mars 2017 |
|
Articles L. 483-4 à L. 483-11 |
l’ordonnance n° 2017-303 du 9 mars 2017 |
». |
II. – Les dispositions de l’article 3 de la présente loi modifiant le code du patrimoine, le code des relations entre le public et l’administration, le code des transports, le code de la propriété intellectuelle, les articles L. 412-7, L. 412-8 et L. 412-17 du code de l’environnement, les articles L. 1333-29, L. 1413-9 et L. 1413-12-3 du code de la santé publique ainsi que l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics sont applicables dans les îles Wallis et Futuna.
M. le président. Nous allons maintenant examiner les amendements déposés par la commission.
Article 1er
M. le président. L’amendement n° 1, présenté par M. Frassa, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 78
Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :
« 1° Prendre connaissance seul de cette pièce et, s’il l’estime nécessaire, ordonner une expertise et solliciter l’avis, pour chacune des parties, d’une personne habilitée à l’assister ou la représenter, afin de décider s’il y a lieu d’appliquer des mesures de protection prévues au présent article ;
« 1° bis Décider de limiter la communication ou la production de cette pièce à certains de ses éléments, en ordonner la communication ou la production sous une forme de résumé ou en restreindre l’accès, pour chacune des parties, au plus à une personne physique et une personne habilitée à l’assister ou la représenter ;
II. – Alinéa 84
Après le mot :
sauf
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
dans le cas prévu au 1° de l’article L. 153-1.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Ayant déjà exposé l’objet du présent amendement dans mon intervention lors de la discussion générale, je considère qu’il est défendu, ainsi que l’amendement n° 2 que nous examinerons ensuite.
Ces deux amendements ayant été votés par l’Assemblée nationale avec l’accord du Gouvernement lors de la lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je crois pouvoir espérer, sans préjuger de ce que va dire Mme la garde sceaux, que son avis sera favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je confirme l’accord que vous pressentiez, monsieur le rapporteur : le Gouvernement émet un avis favorable.
M. le président. L’amendement n° 2, présenté par M. Frassa, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 10, tableau, première colonne
Remplacer la référence :
Article L. 483-1
par les références :
Articles L. 481-1 à L. 483-1
La parole est à M. le rapporteur.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Cet amendement est également défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, modifié par les amendements de la commission, l’ensemble de la proposition de loi relative à la protection du secret des affaires.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste et républicain.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 147 :
Nombre de votants | 346 |
Nombre de suffrages exprimés | 344 |
Pour l’adoption | 249 |
Contre | 95 |
La proposition de loi est adoptée définitivement.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures quarante, est reprise à onze heures quarante-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
3
Immigration, droit d’asile et intégration
Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie (projet n° 464, texte de la commission n° 553, rapport n° 552, tomes I et II, avis n° 527).
Dans la discussion du texte de la commission, nous reprenons, au sein du chapitre III du titre Ier, l’examen de l’article 8.
TITRE Ier (Suite)
ACCÉLÉRER LE TRAITEMENT DES DEMANDES D’ASILE ET AMÉLIORER LES CONDITIONS D’ACCUEIL
Chapitre III (suite)
L’accès à la procédure et les conditions d’accueil des demandeurs d’asile
Article 8 (suite)
(Non modifié)
Le chapitre III du titre IV du livre VII du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :
1° Après le mot : « formé », la fin de la première phrase de l’article L. 743-1 est ainsi rédigée : « dans le délai prévu à l’article L. 731-2 contre une décision de rejet de l’office, soit jusqu’à la date de la lecture en audience publique de la décision de la Cour nationale du droit d’asile, soit, s’il est statué par ordonnance, jusqu’à la date de la notification de celle-ci. » ;
2° L’article L. 743-2 est ainsi modifié :
a) Après le 4°, il est inséré un 4° bis ainsi rédigé :
« 4° bis Sans préjudice du 4° du présent article, l’office a pris une décision d’irrecevabilité en application du 3° de l’article L. 723-11 ; »
b) Après le 6°, sont insérés des 7° et 8° ainsi rédigés :
« 7° L’office a pris une décision de rejet dans les cas prévus au I et au 5° du III de l’article L. 723-2 ;
« 8° L’office a pris une décision de rejet ou d’irrecevabilité dans les conditions prévues à l’article L. 571-4. » ;
3° L’article L. 743-3 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Dans le cas où le droit de se maintenir sur le territoire a pris fin en application des 4° bis ou 7° de l’article L. 743-2, l’étranger peut demander au président du tribunal administratif ou au magistrat désigné statuant sur le recours formé en application de l’article L. 512-1 contre l’obligation de quitter le territoire français de suspendre l’exécution de la mesure d’éloignement jusqu’à l’expiration du délai de recours devant la Cour nationale du droit d’asile ou, si celle-ci est saisie, soit jusqu’à la date de la lecture en audience publique de la décision de la cour, soit, s’il est statué par ordonnance, jusqu’à la date de la notification de celle-ci. Le président du tribunal administratif ou le magistrat désigné à cette fin fait droit à la demande de l’étranger lorsque celui-ci présente des éléments sérieux de nature à justifier, au titre de sa demande d’asile, son maintien sur le territoire durant l’examen de son recours par la cour. » ;
4° L’article L. 743-4 est ainsi modifié :
a) La référence : « L. 743-2 » est remplacée par la référence : « L. 571-4 » ;
b) Après le mot : « exécution », la fin est ainsi rédigée : « tant que l’étranger bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français dans les conditions prévues aux articles L. 743-1 et L. 743-2. » ;
c) Sont ajoutés trois alinéas ainsi rédigés :
« Dans le cas où le droit de se maintenir sur le territoire français a pris fin en application des 4° bis ou 7° de l’article L. 743-2, l’étranger qui fait l’objet, postérieurement à la décision de rejet de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, d’une assignation à résidence ou d’un placement en rétention administrative dans les conditions prévues au livre V, en vue de l’exécution d’une obligation de quitter le territoire français notifiée antérieurement à la décision de l’office et qui n’est plus susceptible d’un recours devant la juridiction administrative, peut, dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de la décision prononçant son placement en rétention administrative ou son assignation à résidence, demander au président du tribunal administratif de suspendre l’exécution de la mesure d’éloignement jusqu’à l’expiration du délai de recours devant la Cour nationale du droit d’asile ou, si celle-ci est saisie, soit jusqu’à la date de la lecture en audience publique de la décision de la cour, soit, s’il est statué par ordonnance, jusqu’à la date de notification de celle-ci. La mesure d’éloignement ne peut être mise à exécution pendant ce délai de quarante-huit heures ou, en cas de saisine du président du tribunal administratif, avant que ce dernier ou le magistrat qu’il désigne à cette fin parmi les membres de sa juridiction ou les magistrats honoraires inscrits sur la liste mentionnée à l’article L. 222-2-1 du code de justice administrative ait statué. Le président du tribunal administratif ou le magistrat désigné à cette fin statue dans les conditions prévues au III de l’article L. 512-1 du présent code. Il fait droit à la demande de l’étranger lorsque celui-ci présente des éléments sérieux de nature à justifier, au titre de sa demande d’asile, son maintien sur le territoire durant l’examen de son recours par la cour.
« La suspension de l’exécution de la mesure d’éloignement met fin à l’assignation à résidence ou à la rétention administrative de l’étranger, sauf lorsque l’office a pris une décision de rejet dans le cas prévu au 5° du III de l’article L. 723-2.
« Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du deuxième alinéa du présent article. Il précise les modalités de prise en compte de la vulnérabilité du demandeur d’asile et, le cas échéant, de ses besoins particuliers. »
M. le président. L’amendement n° 93, présenté par M. Antiste, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
L’article L. 743-2 est abrogé.
La parole est à M. Maurice Antiste.
M. Maurice Antiste. Dans le souci de garantir le droit au recours effectif de tous les demandeurs d’asile, le Défenseur des droits a recommandé l’abandon des dispositions de l’article 8 de ce projet de loi. Il se réfère notamment à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire I. M. contre France du 2 février 2012, selon laquelle « l’effectivité du recours garantie par l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme suppose, en cas de refoulement susceptible de faire naître un risque de traitements contraires à l’article 3, l’existence d’un recours de plein droit suspensif » pour motiver son avis.
Or les modifications introduites par l’article 8 reviendraient à priver de caractère suspensif la plupart des recours introduits par des demandeurs d’asile en procédure accélérée, alors même que la réforme de 2015 avait consacré le caractère suspensif des recours introduits par ces derniers.
Cet amendement vise donc à supprimer l’article L. 743-2 du CESEDA, le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, conformément à l’avis du Défenseur des droits.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Nous tenons à l’article 8. En outre, le présent amendement vise à supprimer non seulement les apports du texte, mais aussi les conditions déjà existantes.
L’avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 93.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission des lois.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 148 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l’adoption | 94 |
Contre | 249 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Mes chers collègues, je vous informe que je suspendrai la séance à treize heures.
Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L’amendement n° 230 rectifié bis est présenté par MM. Marie et Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 561 rectifié est présenté par Mme Carrère, M. Arnell, Mme Costes, MM. Artano, A. Bertrand, Castelli, Collin, Corbisez et Dantec, Mme N. Delattre, M. Guérini, Mme Jouve, M. Labbé, Mme Laborde et MM. Menonville, Requier et Vall.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 2
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Rachid Temal, pour présenter l’amendement n° 230 rectifié bis.
M. Rachid Temal. Permettez-moi tout d’abord de formuler une remarque générale. Il n’était peut-être pas opportun de traiter dans un même texte à la fois de l’asile et de l’immigration… Il me semble que nous en avons vu l’illustration lors des deux derniers jours de débats, avec les passions qui se sont exprimées de part et d’autre. À titre personnel, je le regrette ; je tenais à le dire.
Le présent amendement vise à supprimer l’alinéa 2 de l’article 8. En effet, le projet de loi prévoit que le droit au maintien sur le territoire, garantie introduite par la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile prendra fin désormais à compter de la date de la lecture en audience publique de la décision de la Cour nationale du droit d’asile, et non plus à compter de la notification de la décision au demandeur.
Or le demandeur est rarement présent lors de la lecture de la décision et ne pourra donc en prendre connaissance – même dans le cas où celle-ci serait affichée, il ne pourra pas prendre connaissance des motifs exacts de la décision.
En conséquence cette mesure altère le droit du demandeur à un recours effectif, puisque, en cas de rejet de sa demande, il se trouve dans l’incapacité de faire valoir ses arguments. Nous considérons que cet alinéa réduit de fait à la fois le délai et la capacité de recours. C’est pourquoi nous proposons sa suppression.
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour présenter l’amendement n° 561 rectifié.
Mme Maryse Carrère. Je voudrais simplement ajouter que les dispositions prévues par cet alinéa vont à l’encontre de la notion de notification, qui impose un envoi, mais aussi une réception, qu’il faudrait par exemple attester par un recommandé.
Cela constitue à notre avis un affaiblissement du droit de recours effectif pour des réfugiés qui, si leur demande est refusée, pourraient ne plus faire valoir leurs arguments. L’objet de cet amendement est donc de supprimer les dispositions allant dans ce sens.
M. le président. L’amendement n° 56 rectifié, présenté par M. Karoutchi, Mme Canayer, MM. Poniatowski, Cambon et Kennel, Mme Garriaud-Maylam, M. Mayet, Mme Procaccia, MM. Bizet, Brisson et Duplomb, Mmes Deroche et Micouleau, M. Daubresse, Mme Berthet, MM. Courtial, Morisset et Savary, Mme Dumas, MM. Revet, Longuet, Danesi et Ginesta, Mme Thomas, M. Schmitz, Mme Lanfranchi Dorgal, MM. Genest, Joyandet, Piednoir, Charon et Dallier, Mme Deseyne, M. B. Fournier, Mme Bonfanti-Dossat, M. Bouchet, Mme Boulay-Espéronnier, M. J.M. Boyer, Mmes Chain-Larché, de Cidrac et Delmont-Koropoulis, MM. P. Dominati, Gilles, Gremillet, Mandelli, Milon, Pierre, Sido et Vogel et Mme Lamure, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Il peut, en attendant cette date, faire l’objet d’un arrêté d’assignation à résidence.
La parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. Cet amendement vise à remédier à une situation à laquelle les magistrats et les forces de police sont confrontés.
Lorsqu’un demandeur d’asile qui a été débouté par l’Office français de protection des réfugiés, l’OFPRA, dépose un recours devant la Cour nationale du droit d’asile, la CNDA, l’obligation de quitter le territoire français dont il peut faire l’objet par la suite risque de ne pouvoir être appliquée dans le cas fréquent où, craignant d’être de nouveau débouté, le demandeur a disparu sans laisser d’adresse.
Le présent amendement vise à permettre à l’autorité administrative, en fonction du profil du demandeur, d’assigner celui-ci à résidence en attendant une éventuelle décision d’obligation de quitter le territoire français, ou OQTF.
Après le dépôt de cet amendement, le rapporteur m’a informé que celui-ci était déjà satisfait par la pratique. S’il me le confirme, ainsi que M. le ministre d’État, je retirerai mon amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. En ce qui concerne les amendements identiques nos 230 rectifié bis et 561 rectifié, nous souhaitons maintenir la rédaction actuelle de l’article 8.
Permettez-moi de rappeler que, si le prononcé de la décision a une force juridique, il ne saurait dispenser, tant s’en faut, de la notification de cette décision, qui fera courir les délais de recours. Il n’y a donc pas de difficulté sur le plan des garanties individuelles.
La commission émet donc un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.
En ce qui concerne l’amendement n° 56 rectifié, je vous confirme qu’il est déjà satisfait par la rédaction actuelle, monsieur Karoutchi. S’agissant des recours suspensifs, un demandeur d’asile pourra faire l’objet d’une expulsion pour motif d’ordre public. Dans ce cas, il pourra être assigné à résidence ou placé en rétention. S’agissant des recours non suspensifs, un demandeur d’asile peut faire l’objet d’une OQTF et être assigné à résidence dans l’attente de son éloignement.
La commission demande donc le retrait de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérard Collomb, ministre d’État. J’émettrai le même avis défavorable sur les deux amendements identiques, dont l’objet est de vider l’article 8 de son contenu.
En ce qui concerne l’amendement n° 56 rectifié présenté par M. Karoutchi, je confirme l’argumentation de M. Buffet et sollicite, moi aussi, le retrait de cette disposition.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Il ne me semble pas absurde d’autoriser une personne qui a fait l’objet d’une décision à rester sur notre territoire jusqu’à la réception de la notification de celle-ci. Franchement, je ne comprends pas pourquoi cela viderait l’article 8 de son contenu, monsieur le ministre d’État !
M. Roger Karoutchi. Si, vous savez bien pourquoi !
M. le président. La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote.
M. Didier Marie. La volonté est bien, ici encore, de raccourcir les délais.
L’ensemble des mesures qui nous sont proposées – la suppression du caractère suspensif du recours devant la CNDA, l’obligation de présenter une demande de séjour fondée sur un motif autre que l’asile concomitamment à la demande d’asile, le fait que cette dernière ne soit ensuite possible qu’en présence d’éléments nouveaux, et maintenant le raccourcissement du délai –, visent à réduire les délais de procédure, en sortant immédiatement le débouté des commissions d’accès aux documents administratifs, les CADA, et en notifiant immédiatement les OQTF.
On voit bien de quelle nature est la démarche du Gouvernement et de la majorité sénatoriale.
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Mes chers collègues, il faudra faire le décompte des coups de rabot, petits ou grands, qui, heure après heure, depuis le début de cette longue discussion, sont donnés à chaque possibilité, à chaque droit, par le passé pourtant largement débattu ; on ne peut pas dire, en effet, que, dans notre pays, les dispositifs n’ont pas été élaborés pour préserver à la fois la possibilité de sanction et la garantie des droits.
À toutes ces tracasseries, à tous ces coups de rabot, s’ajoute maintenant la possibilité d’expulser quelqu’un sur le champ, sans même qu’il ait reçu de notification. On fait comme si c’était normal, et cela continue…
Je vous rappelle, mes chers collègues, pour mettre en perspective nos débats, que nous parlons de personnes, souvent rescapées, qui sont dans une détresse absolue, après avoir traversé des océans. Avez-vous vu la liste, diffusée hier par un journal, des noms et prénoms des 34 000 personnes mortes en Méditerranée ? Vous avez bien entendu : 34 000 personnes. Moi, c’est cela que je regarde d’abord ! (M. Stéphane Ravier s’exclame.)
Ceux qui ont échappé à tout cela, quand ils arrivent, doivent entreprendre de nombreuses démarches ; nous ne sommes pas laxistes, vous le savez bien. Pourtant, ceux qui, de bonne foi, cherchent à faire valoir leurs droits, on leur complique la vie toujours un peu plus. Franchement, est-ce cela, la France ?
M. Karoutchi lui-même l’a reconnu (M. Roger Karoutchi lève les yeux au ciel.), la loi de 2015, qui traitait de l’asile sans le mélanger avec l’immigration en général, a permis des améliorations en matière de délais et de capacités et d’efficacité de l’OFPRA. Mais, cette fois, ce n’est pas à raccourcir les délais ni à améliorer l’efficacité que l’on s’emploie : article après article, on ne discute que de la manière de limiter les droits des demandeurs d’asile. Et l’article 8 est l’un des plus scandaleux !
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. David Assouline. Encore ?
M. Roger Karoutchi. Puisque l’on m’interpelle, il faut bien que je réponde… (Sourires.)
Tout est un problème d’équilibre, comme toujours. La Cour des comptes, entre autres autorités, a constaté que, en 2016 et 2017, entre 4 % et 8 % seulement de ceux qui n’avaient pas obtenu le droit d’asile, ni par l’OFRA ni par la CNDA, avaient été raccompagnés aux frontières – on dispute sur les chiffres, mais c’est globalement cette proportion, ce qui n’est pas glorieux.
Il y a un problème budgétaire : sans argent pour le transport et la police, on ne raccompagne pas aux frontières. Mais tout le monde sait qu’un autre problème se pose, celui que je soulevais au travers de mon amendement n° 56 rectifié : un certain nombre de demandeurs d’asile, qui ne sont considérés comme tels ni par l’OFPRA ni par la CNDA, disparaissent dans la nature sans attendre chez eux, bien assis dans un fauteuil, la notification annonçant leur raccompagnement aux frontières. (M. Alain Richard opine.) Ceux-là vont grossir les rangs des sans-papiers qui, dans les faits, ne sont plus à la disposition des autorités françaises.
Mes chers collègues, si vous voulez que le droit d’asile soit parfaitement défendu pour ceux qui l’obtiennent, si vous voulez que les personnes à qui nous accordons le statut de réfugié parce qu’elles le méritent soient correctement traitées, il faut aussi que ceux qui ne le méritent pas, selon les règles de l’OFPRA et de la CNDA,…
Mme Éliane Assassi. Ce sont vos règles !
M. Roger Karoutchi. … soient reconduits aux frontières.
S’il n’y a pas de règles, pas d’équilibre, et si, que l’on obtienne le droit d’asile ou non, on reste sur le territoire, accorder le droit d’asile n’a plus aucun sens. Je suis pour la défense et l’intégration réussie de tous ceux qui obtiennent le statut de réfugié parce qu’ils le méritent. Si l’on banalise le droit d’asile, si, de toute façon, tout le monde reste, l’OFPRA, la CNDA et les procédures ne servent à rien. Respectons les procédures et intégrons bien ceux qui méritent d’être là ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.
M. Rachid Temal. M. Karoutchi a raison de parler d’équilibre. Malheureusement, le projet de loi n’est pas équilibré : il tombe ! Parce qu’il réduit la capacité à déposer les demandes d’asile et les délais, parce qu’il modifie le point de départ de ces délais, il n’y a plus d’équilibre ; c’est bien ce que nous déplorons.
Notre collègue dit aussi : il faut mieux intégrer ceux à qui l’asile est accordé. Nous en sommes tous d’accord, mais ce n’est là le sens ni du projet de loi ni des amendements dont nous parlons. La question posée est celle du point de départ du délai, qui, selon nous, ne doit pas être modifié.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 230 rectifié bis et 561 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Monsieur Karoutchi, l’amendement n° 56 rectifié est-il maintenu ?
M. Roger Karoutchi. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 56 rectifié est retiré.
Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 562 rectifié, présenté par Mme M. Carrère, M. Arnell, Mme Costes, MM. Artano, A. Bertrand, Castelli, Collin, Corbisez, Dantec, Gold et Guérini, Mme Jouve, M. Labbé, Mme Laborde et MM. Menonville, Requier et Vall, est ainsi libellé :
Alinéas 3 à 8
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Josiane Costes.
Mme Josiane Costes. Le commissaire aux droits de l’homme auprès du Conseil de l’Europe a jugé que le caractère non suspensif du recours devant la CNDA était susceptible de remettre en cause « l’effectivité de ce recours, laquelle suppose sa disponibilité et son accessibilité, non seulement en droit, mais aussi en pratique ».
Une fois de plus, la volonté de réduire les délais va à l’encontre du droit à un recours effectif, principe auquel les auteurs de cet amendement sont attachés.
M. le président. L’amendement n° 231 rectifié bis, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéas 4 et 5
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Rachid Temal.
M. Rachid Temal. Cet amendement vise à supprimer un cas nouveau dans lequel le caractère suspensif du recours ne s’appliquerait pas : en cas de demande de réexamen jugée irrecevable.
Outre que le recours suspensif doit demeurer le principe pour le demandeur d’asile, le CESEDA prévoit déjà que le recours suspensif ne s’applique pas en cas de demande de réexamen jugée irrecevable présentée en vue de faire échec à une mesure d’éloignement, ce qui devrait rassurer M. Karoutchi.
La coexistence de deux cas similaires, mais aux périmètres distincts, nous paraît soulever une difficulté au regard du principe d’intelligibilité de la loi.
M. le président. L’amendement n° 232 rectifié bis, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Rachid Temal.
M. Rachid Temal. Cet amendement vise à supprimer la multiplication des cas dans lesquels le droit au recours suspensif ne s’appliquerait pas : décision de rejet pour une demande examinée en procédure accélérée pour pays d’origine sûr, demande de réexamen ou menace à l’ordre public.
En effet, ces exceptions reviendraient à couvrir un nombre considérable des décisions de l’OFII et donc à faire du caractère suspensif du recours un droit résiduel. La France se placerait ainsi en contradiction avec le droit européen, qui garantit le principe du droit au recours.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Nous avons déjà traité de ces sujets. La commission émet un avis défavorable sur ces amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 231 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 232 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. L’amendement n° 233 rectifié bis, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéas 9 et 10
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Cet amendement a pour objet de supprimer la construction baroque que le Gouvernement a conçue pour essayer d’éviter les condamnations par la Cour européenne des droits de l’homme à la suite de la suppression des recours suspensifs.
Le demandeur d’asile pourrait former un recours devant le tribunal administratif, parallèlement à son recours devant la Cour nationale du droit d’asile, afin d’obtenir le droit de se maintenir sur le territoire jusqu’à sa convocation par la CNDA. Cette construction baroque doit être dénoncée, d’autant qu’elle va engorger les juridictions.
Bien entendu, nous voterons contre l’article. Toutefois, dès lors qu’il s’agit de la dernière manière de protéger les demandeurs dans une conception où les droits sont difficiles à établir, je retire l’amendement, non sans renouveler ma condamnation de ce dispositif.
M. le président. L’amendement n° 233 rectifié bis est retiré.
La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote sur l’article.
M. David Assouline. Cet article, je le répète, est l’un des plus scandaleux du projet de loi.
Il est utile que nous continuions d’échanger sur ces questions, car les analyses de fond exposées par certains orateurs, dont M. Karoutchi, éclairent beaucoup les appréciations portées sur tel ou tel amendement.
Nous construirions la loi parce que certains veulent y échapper. Telle est l’analyse de M. Karoutchi, s’agissant notamment de la notification : un demandeur de mauvaise foi, dit-il, se sachant non éligible à l’asile, n’attendra pas la notification tranquillement chez lui.
Toutefois, pour cette personne, qu’est-ce que le nouveau dispositif changera concrètement ? Parce que le caractère irrégulier de sa situation sur le territoire sera proclamé plus tôt, ce demandeur, qui s’attend à cette décision, ne tentera pas d’y échapper ? En réalité, pour lui, cela ne changera absolument rien !
En revanche, ceux, de bonne foi, qui attendent la notification – c’est là le sujet de notre discussion –, ceux qui, dans le cadre de la procédure normale, pouvaient exercer leurs droits jusqu’au bout seront, eux, en difficulté !
Toute la construction des rabots sur les droits existants opérés par ce projet de loi vise, prétendument, à empêcher un appel d’air, à prévenir les fraudes et les contournements. Mais, toutes les lois, il y a des gens qui veulent les contourner ! Nous avons à faire des lois avec des droits, pour que ceux qui doivent pouvoir exercer leurs droits aient tous les moyens de le faire.
Chaque fois, ce sont eux que l’on atteint, eux qui subiront plus de tracasseries et de difficultés. Les autres, de toute façon, s’émancipent des règles et ont tous les moyens de le faire ; ce ne sont pas, monsieur Karoutchi, les rabots prévus dans le projet de loi qui les en empêcheront.
M. le président. Je mets aux voix l’article 8.
(L’article 8 est adopté.)
Article 8 bis (nouveau)
Après le 2° de l’article L. 5223-3 du code du travail, il est inséré un 2° bis ainsi rédigé :
« 2° bis De représentants des collectivités territoriales ; ».
M. le président. L’amendement n° 442 rectifié, présenté par MM. Karam, Mohamed Soilihi et Hassani, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – L’article L. 5223-3 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La composition du conseil d’administration assure une représentation des départements et collectivités d’outre-mer, en tenant compte de leurs flux migratoires. »
La parole est à M. Antoine Karam.
M. Antoine Karam. L’une des missions de l’Office français de l’immigration et de l’intégration est de coordonner et animer le dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés. Il prend ainsi en charge la gestion des entrées dans les centres d’hébergement et participe au dispositif du premier accueil des demandeurs d’asile.
Comme je l’ai fait remarquer hier encore, qu’il s’agisse de l’hébergement ou de l’interprétariat, les conditions d’accueil des demandeurs d’asile en Guyane restent préoccupantes, certainement plus qu’ailleurs.
Si le raccourcissement des délais répond à une situation particulière, il est indispensable de veiller à ce que les droits des demandeurs d’asile soient préservés, et leur accueil dignement assuré.
Dans le cadre de l’article 8 bis, notre rapporteur a souhaité inclure des représentants des collectivités territoriales dans le conseil d’administration de l’OFII, afin de garantir une meilleure concertation avec les territoires. Eu égard aux situations spécifiques en matière d’asile et d’immigration que connaissent certains territoires ultramarins, en particulier la Guyane et Mayotte, les auteurs de cet amendement proposent que la composition de ce conseil d’administration assure une représentation des départements et collectivités d’outre-mer.
Les collectivités territoriales de nos territoires – je le rappelle en permanence – sont en première ligne. C’est pourquoi j’ai toujours souhaité un partage de compétences, dans un domaine qui reste trop souvent encore régalien, alors que la pratique est tout autre.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Le conseil d’administration de l’OFII est aujourd’hui composé de dix-huit membres : un président nommé par décret, huit représentants de l’État, cinq personnalités qualifiées, deux parlementaires et deux représentants du personnel.
La commission a décidé d’y assurer une représentation des collectivités territoriales. La problématique ultramarine est importante ; elle a été intégrée dans plusieurs textes sur notre initiative. Il est important que les départements et collectivités d’outre-mer soient représentés aussi au sein de l’OFII.
La commission émet donc un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Nous voterons cet amendement, mais il sera important de multiplier la représentation des territoires, de manière à ce que celle d’un territoire ne se fasse pas au détriment de celle d’un autre. J’espère que, dans le cadre de la navette, les dispositions nécessaires seront prises.
M. le président. Je mets aux voix l’article 8 bis, modifié.
(L’article 8 bis est adopté.)
Article 9
I. – Le chapitre IV du titre IV du livre VII du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :
1°A L’article L. 744-1 est ainsi modifié :
a) (nouveau) À la première phrase du premier alinéa, après le mot : « intégration », sont insérés les mots : « , dans un délai de dix jours » ;
b) Au deuxième alinéa, après le mot : « social », il est inséré le mot : « , juridique » ;
c) (nouveau) Au dernier alinéa, les mots : « bénéficie du droit d’élire » sont remplacés par le mot : « élit » ;
1° L’article L. 744-2 est ainsi modifié :
a) La première phrase du premier alinéa est ainsi rédigée : « Le schéma national d’accueil des demandeurs d’asile et d’intégration des réfugiés fixe la part des demandeurs d’asile accueillis dans chaque région ainsi que la répartition des lieux d’hébergement qui leur sont destinés. » ;
a bis AA) (nouveau) À la première phrase du deuxième alinéa, les mots : « du comité régional de l’habitat et de l’hébergement concerné » sont remplacés par les mots : « d’une commission de concertation composée de représentants des collectivités territoriales, de gestionnaires de lieux d’hébergement pour demandeurs d’asile et d’associations de défense des droits des demandeurs d’asile » ;
a bis A) La deuxième phrase du même deuxième alinéa est remplacée par deux phrases ainsi rédigées : « Il fixe les orientations en matière de répartition des lieux d’hébergement pour demandeurs d’asile et réfugiés sur le territoire de la région, présente le dispositif régional prévu pour l’enregistrement des demandes d’asile ainsi que le suivi et l’accompagnement des demandeurs d’asile et définit les actions en faveur de l’intégration des réfugiés. Il définit également les actions mises en œuvre pour assurer l’éloignement des déboutés du droit d’asile et l’exécution des mesures de transfert prévues à l’article L. 742-3. » ;
a bis) (Supprimé)
b) Il est ajouté un II ainsi rédigé :
« II. – Lorsque la part des demandeurs d’asile résidant dans une région excède la part fixée pour cette région par le schéma national d’accueil des demandeurs d’asile et les capacités d’accueil de cette région, le demandeur d’asile peut être orienté vers une autre région dans laquelle un hébergement lui est proposé, où il est tenu de résider le temps de l’examen de sa demande d’asile.
« L’Office français de l’immigration et de l’intégration détermine la région de résidence en fonction de la part des demandeurs d’asile accueillis dans chaque région en application du schéma national d’accueil des demandeurs d’asile. Au regard de l’évaluation prévue à l’article L. 744-6, il tient compte de la situation personnelle et familiale du demandeur, de son état de vulnérabilité, de ses besoins et de l’existence de structures permettant leur prise en charge.
« Sauf en cas de motif impérieux ou de convocation par les autorités ou les tribunaux, le demandeur qui souhaite quitter temporairement sa région de résidence sollicite une autorisation auprès de l’office, qui rend sa décision dans les meilleurs délais, en tenant compte de la situation personnelle et familiale du demandeur.
« Un décret en Conseil d’État fixe les conditions d’application du présent II. » ;
1° bis Après l’avant-dernier alinéa de l’article L. 744-3, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« Les normes minimales en matière d’accompagnement social et administratif dans ces lieux d’hébergement sont définies par décret en Conseil d’État.
« L’État conclut avec les gestionnaires des lieux d’hébergement pour demandeurs d’asile une convention visant à assurer, sur une base pluriannuelle, l’harmonisation progressive des conditions de prise en charge dans ces structures. » ;
2° L’article L. 744-5 est ainsi modifié :
a) À la seconde phrase du premier alinéa, les mots : « à l’expiration du délai de recours contre la décision de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ou à la date de la notification de la décision de la Cour nationale du droit d’asile » sont remplacés par les mots : « au terme du mois au cours duquel le droit du demandeur de se maintenir sur le territoire français dans les conditions prévues aux articles L. 743-1 et L. 743-2 a pris fin » ;
b) (nouveau) Le troisième alinéa est ainsi modifié :
– les mots : « et les personnes ayant fait l’objet d’une décision de rejet définitive » sont supprimés ;
– est ajoutée une phrase ainsi rédigée : « Sauf décision motivée de l’autorité administrative, les personnes ayant fait l’objet d’une décision de rejet définitive de leur demande d’asile ne peuvent pas s’y maintenir. » ;
3° Après le cinquième alinéa de l’article L. 744-6, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le service intégré d’accueil et d’orientation mentionné à l’article L. 345-2 du code de l’action sociale et des familles communique mensuellement à l’Office français de l’immigration et de l’intégration la liste des personnes hébergées en application de l’article L. 345-2-2 du même code ayant présenté une demande d’asile ainsi que la liste des personnes ayant obtenu la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire. » ;
4° L’article L. 744-7 est ainsi modifié :
a) Le premier alinéa est remplacé par trois alinéas ainsi rédigés :
« Le bénéfice des conditions matérielles d’accueil prévues à l’article L. 744-1 est subordonné :
« 1° À l’acceptation par le demandeur de la proposition d’hébergement déterminée en application de l’article L. 744-2. Ces propositions tiennent compte des besoins, de la situation personnelle et familiale de chaque demandeur au regard de l’évaluation prévue à l’article L. 744-6, des capacités d’hébergement disponibles et de la part des demandeurs d’asile accueillis dans chaque région ;
« 2° Au respect de l’ensemble des exigences des autorités chargées de l’asile, afin de faciliter l’instruction des demandes, notamment en se rendant aux entretiens, en se présentant aux autorités et en fournissant les informations utiles. » ;
b) Le deuxième alinéa est ainsi rédigé :
« Le demandeur est préalablement informé, dans une langue qu’il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu’il la comprend, que le fait de refuser ou de quitter le lieu d’hébergement proposé en application du 1° du présent article ainsi que le non-respect des exigences des autorités chargées de l’asile prévues au 2° entraîne de plein droit le refus ou, le cas échéant, le retrait du bénéfice des conditions matérielles d’accueil. » ;
c) (nouveau) Au dernier alinéa, les mots : « du troisième alinéa » sont supprimés ;
5° L’article L. 744-8 est ainsi modifié :
a) Les deux premiers alinéas sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé :
« Outre les cas, mentionnés à l’article L. 744-7, dans lesquels il est immédiatement mis fin de plein droit au bénéfice des conditions matérielles d’accueil, le bénéfice de celles-ci est : » ;
b) Au début du troisième alinéa, la mention : « 2° » est remplacée par la mention : « 1° » ;
c) Au même troisième alinéa, la première occurrence du mot : « ou » est remplacée par le signe : « , » et, après le mot : « familiale », sont insérés les mots : « ou a présenté plusieurs demandes d’asile sous des identités différentes, » ;
c bis) Au début du quatrième alinéa, la mention : « 3° » est remplacée par la mention : « 2° » ;
d) Les trois derniers alinéas sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé :
« La décision de retrait des conditions matérielles d’accueil prise en application du présent article est écrite et motivée. Elle prend en compte la vulnérabilité du demandeur. Elle est prise après que l’intéressé a été mis en mesure de présenter ses observations écrites selon des modalités définies par décret. » ;
6° L’article L. 744-9 est ainsi modifié :
a) Le premier alinéa est ainsi modifié :
– la première phrase est complétée par les mots : « , dont le versement est ordonné par l’Office français de l’immigration et de l’intégration » ;
– la seconde phrase est supprimée ;
b) Le deuxième alinéa est ainsi rédigé :
« Le versement de l’allocation prend fin au terme du mois au cours duquel le droit du demandeur de se maintenir sur le territoire français dans les conditions prévues aux articles L. 743-1 et L. 743-2 a pris fin ou à la date du transfert effectif vers un autre État si sa demande relève de la compétence de cet État. Pour les personnes qui obtiennent la qualité de réfugié prévue à l’article L. 711-1 ou le bénéfice de la protection subsidiaire prévue à l’article L. 712-1, le bénéfice de l’allocation prend fin au terme du mois qui suit celui de la notification de la décision. »
II. – (Non modifié) Le décret prévu à l’article L. 744-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans sa rédaction résultant du 1° bis du I du présent article, est pris dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi.
III (nouveau). – À titre expérimental et pour une durée de trois ans à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi, des centres d’accueil et d’examen des situations peuvent héberger, pendant une durée maximale d’un mois, des étrangers qui ne disposent pas d’un domicile stable et qui ont explicitement déclaré leur intention de déposer une demande d’asile. Ils leur offrent des prestations d’accueil et d’accompagnement social, juridique et administratif.
Les décisions d’admission et de sortie de ces centres sont prises par l’Office français de l’immigration et de l’intégration, en prenant en compte l’état de vulnérabilité des intéressés ainsi que leur situation personnelle et familiale.
Les places en centre d’accueil et d’examen des situations sont prises en compte dans le décompte des logements locatifs sociaux, au sens du IV de l’article L. 302-5 du code de la construction et de l’habitation.
Cette expérimentation fait l’objet d’un rapport d’évaluation transmis au Parlement, au plus tard six mois avant la fin de l’expérimentation.
IV (nouveau). – Les deuxième et troisième alinéas du I de l’article L. 348-2 du code de l’action sociale et des familles sont supprimés.
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l’article.
Mme Cécile Cukierman. La loi française prévoit que « toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d’hébergement d’urgence ».
Le même article de loi précise : « Toute personne accueillie dans une structure d’hébergement d’urgence doit pouvoir y bénéficier d’un accompagnement personnalisé et y demeurer, dès lors qu’elle le souhaite, jusqu’à ce qu’une orientation lui soit proposée. Cette orientation est effectuée vers une structure d’hébergement stable ou de soins, ou vers un logement, adaptés à sa situation. »
L’article 9 du présent projet de loi porte excessivement atteinte aux droits fondamentaux des demandeurs d’asile, dans la mesure où il contrevient à ce droit inconditionnel à l’accueil et au maintien en hébergement d’urgence de toutes les personnes au regard du seul critère de détresse.
En effet, cet article vise à légaliser la circulaire du 12 décembre 2017, en prévoyant des modalités d’échange d’informations entre l’Office français de l’immigration et de l’intégration et le service intégré d’accueil et d’orientation s’agissant des demandeurs d’asile et des personnes ayant obtenu une protection. Il s’agit de la mise en place d’un fichier recensant les personnes accueillies dans les centres d’hébergement d’urgence, afin de connaître leur situation administrative – Dublin, fuite, débouté –, pour déterminer si elles ont toujours droit à cet hébergement.
Ce dispositif inquiète, notamment, et à juste titre, les travailleurs sociaux, qui pourraient être sollicités en vue d’établir la liste des demandeurs d’asile et des bénéficiaires d’une protection internationale devant être transmise par le SIAO à l’OFII. Or, comme le Défenseur des droits l’a souligné dans une de ses récentes décisions, les missions d’accompagnement des travailleurs sociaux sont difficilement compatibles avec des missions de sélection ou de contrôle.
De fait, ces dispositions servent la politique du chiffre en matière d’expulsions et organisent la surveillance et le contrôle des migrants dès le début de leur parcours en France, au détriment de l’accueil et des droits fondamentaux des personnes.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, sur l’article.
M. Guillaume Gontard. Plusieurs de nos collègues, dont M. Assouline, ont insisté sur les divers coups de rabot et complications de droits prévus dans le cadre du projet de loi.
L’article 9 aussi va dans ce sens, en s’attaquant aux conditions d’aide matérielle. Outre qu’il légalise votre circulaire, monsieur le ministre d’État, cet article pose de nombreuses difficultés.
En particulier, il renforce le caractère directif du schéma national d’accueil des demandeurs d’asile, puisque le demandeur sera désormais orienté vers une région précise, où il sera tenu de résider. Le contrôle des autorités est intensifié, et de nouvelles hypothèses de retrait ou de suspension des conditions matérielles d’accueil sont prévues : si l’étranger a présenté plusieurs demandes d’asile sous des identités différentes ou s’il a quitté la région désignée par l’OFII sans en informer celui-ci. Le retrait de ces conditions matérielles d’accueil – hébergement ou allocation – est d’effet immédiat.
Le Défenseur des droits estime que la mise en œuvre du schéma national d’hébergement ne peut se réaliser que si elle est faite dans l’intérêt des demandeurs d’asile, sans que l’assignation à résidence aboutisse à un système de prérétention administrative, et qu’elle doit, en tout état de cause, s’accompagner d’une augmentation de l’offre des centres d’accueil pour demandeurs d’asile, les CADA. C’est ce qu’il préconisait déjà lors de la mise en place de ce schéma par la loi de 2015.
Rappelons que, si la directive Accueil autorise les États à prendre de telles mesures, il ne s’agit que d’une possibilité. Son article 7 précise que « les demandeurs peuvent circuler librement sur le territoire de l’État membre d’accueil ».
Par ailleurs, si certaines améliorations ont été apportées au projet de loi, comme la prise en compte de la vulnérabilité du demandeur, le droit des demandeurs qui souhaitent être hébergés dans leur famille ou chez un tiers ne paraît pas expressément garanti.
Or, en excluant du bénéfice des conditions matérielles d’accueil les demandeurs d’asile souhaitant être hébergés dans leur famille ou chez un tiers, le projet de loi va bien au-delà de ce qu’autorise la directive Accueil, qui n’a jamais exclu le principe de l’hébergement chez un particulier.
Pour toutes ces raisons, nous nous inquiétons, comme d’ailleurs l’Observatoire de l’enfermement des étrangers, de la porosité croissante entre l’accueil et la détention. Sous couvert d’un accueil encadré et efficace, cette politique migratoire organise la surveillance des personnes étrangères, des violations massives de leurs droits et, finalement, leur rejet.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.
Mme Esther Benbassa. L’article 9 traite de la question, primordiale, de l’hébergement.
L’enjeu est ici celui de l’accueil inconditionnel. Les exilés sont des personnes démunies, vulnérables et dans le besoin : ils ont besoin, avant que l’on demande leurs papiers et vérifie leurs droits, d’un toit au-dessus de leur tête, pour ensuite entreprendre sereinement les démarches nécessaires à l’obtention d’un titre de séjour.
Pourtant, les mesures contenues dans l’article 9 ne sont pas satisfaisantes. En effet, cet article rend plus coercitifs et directifs les dispositifs relatifs à l’hébergement prévus par le CESEDA : le demandeur d’asile sera orienté vers une région précise, où il sera obligé de résider. Par ailleurs, rien n’est prévu pour les requérants qui souhaitent être hébergés dans leur famille ou chez un tiers.
Plus grave encore, cette fois sur le plan éthique : par cet article, entrerait dans le champ législatif l’inique circulaire Collomb du 12 décembre 2017. Rappelons que celle-ci prévoyait l’échange d’informations entre l’Office français de l’immigration et de l’intégration et le service intégré d’accueil et d’orientation, afin de permettre la création d’un fichier recensant la situation administrative des exilés hébergés. L’objectif est de déceler ceux qui ne devraient plus bénéficier du droit à l’hébergement.
De manière évidente, cet article contrevient au droit inconditionnel à l’accueil et au maintien en hébergement d’urgence des exilés en détresse !
M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli, sur l’article.
M. Xavier Iacovelli. Je profiterai de la discussion de cet article pour aborder une problématique malheureusement absente de votre projet de loi, monsieur le ministre d’État – une de plus. Je veux parler de la formation linguistique du demandeur d’asile.
Nous le savons, l’apprentissage du français est un vecteur essentiel d’autonomie pour le demandeur d’asile. La langue constitue une barrière ; elle rend les demandeurs d’asile dépendants des structures et des intervenants sociaux qui les accueillent. Au-delà des cours de français stricto sensu, la formation linguistique peut passer par des ateliers culturels, par exemple du théâtre, par le sport et par l’éducation. Il s’agit d’une demande des associations qui œuvrent au quotidien pour l’autonomie des demandeurs d’asile.
La culture, l’éducation et le sport sont des vecteurs importants d’intégration et d’émancipation pour les nouveaux arrivants. Ils permettent de créer du lien social et d’apprendre la langue et la culture françaises dans un environnement diversifié et mixte.
C’est pourquoi j’avais déposé, avec mes collègues du groupe socialiste et républicain, un amendement en ce sens. Jugé irrecevable au regard de l’article 40 de la Constitution, il visait à faire bénéficier les demandeurs d’asile d’une formation linguistique dès l’instruction de leur demande, pour favoriser leur intégration. J’espère que, lors de la réforme constitutionnelle, nous débattrons de cet article 40, qui prive allègrement les parlementaires d’initiatives…
Je trouve dommageable que cette disposition soit absente du projet de loi. Cela démontre une nouvelle fois la vision du Gouvernement en la matière : accueillir mal, pour accueillir moins.
Les conditions matérielles faites aux demandeurs d’asile leur permettent d’être dignes sur le territoire français pour défendre leur demande. On voit bien, monsieur le ministre d’État, que votre projet de loi ne va pas dans ce sens.
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin, sur l’article.
M. Yvon Collin. L’article 9 du projet de loi réforme les conditions matérielles d’accueil des demandeurs d’asile, comprenant les dispositifs d’hébergement et l’allocation pour demandeur d’asile.
Pour cela, il rend plus directif le schéma national d’accueil des demandeurs, qui déterminera désormais la part des demandeurs d’asile accueillis dans chaque région. Il soumet également l’octroi des conditions matérielles d’accueil à des conditions plus restrictives, telles que la résidence effective dans la région vers laquelle le demandeur a été orienté, ainsi que la bonne coopération avec les autorités françaises durant la procédure d’asile.
Aujourd’hui, quelque 60 % des demandeurs d’asile sont concentrés dans quatre régions métropolitaines : l’Île-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes, les Hauts-de-France et le Grand Est. Aussi cet article ambitionne-t-il de mieux répartir l’effort d’accueil sur l’ensemble du territoire national, ce qui paraît normal.
Il s’agit, d’une part, de désengorger les centres d’hébergement, et, d’autre part, d’éviter la concentration spatiale des demandeurs d’asile. Une concentration dont nous connaissons tous les effets négatifs, notamment le développement de campements insalubres se caractérisant par des conditions de vie précaires, qui ne manquent pas d’inquiéter les riverains.
En conséquence, il serait souhaitable que la mise en œuvre de l’hébergement directif se fasse vers des structures permettant un accompagnement effectif, décent et adapté à la vie privée et familiale de chacun. Il s’agit ici, tout simplement, de garantir aux demandeurs d’asile le respect de leur dignité.
Toutefois, ces questions dépassent notre cadre national, car c’est l’Europe entière qui est touchée par la crise migratoire. Mardi dernier, à Berlin, le conseil des ministres franco-allemand, réunissant Emmanuel Macron et Angela Merkel, a mis en lumière la nécessité d’une réponse européenne commune à la question migratoire, afin que chacun assume, sur son territoire, sa part de l’accueil des demandeurs d’asile.
Mes chers collègues, que ce soit au niveau national ou au niveau européen, nous le voyons bien : une réelle solidarité est nécessaire, afin que l’accueil soit plus justement partagé. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. François Patriat applaudit également.)
M. Jean-Claude Requier. Très bien !
M. Didier Guillaume. Excellent !
M. le président. L’amendement n° 10, présenté par Mmes Benbassa et Assassi, M. Bocquet, Mmes Brulin, Cohen et Cukierman, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud et MM. Savoldelli et Watrin, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Je le répète, le présent article comporte des dispositions très problématiques.
La dernière réforme du droit d’asile de juillet 2015 avait déjà introduit des dispositions relatives à l’hébergement dans le CESEDA. Ainsi, le demandeur d’asile est déjà tenu d’accepter l’hébergement qui lui est proposé, sous peine d’être privé du bénéfice de l’ensemble des conditions matérielles d’accueil.
Pourtant, le Gouvernement entend renforcer ce caractère directif et coercitif, dans la mesure où le demandeur d’asile serait désormais orienté vers une région précise, où il serait obligé de résider. Plus grave encore, la circulaire Collomb du 12 décembre 2017 entrerait dans le champ législatif. Je tiens à le répéter, le fichage des exilés pose, cela va sans dire, un grave problème éthique.
Pour ces raisons, les auteurs de l’amendement souhaitent la suppression de l’article 9, qui contrevient de manière évidente au droit inconditionnel à l’accueil et au maintien en hébergement d’urgence des exilés en détresse.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Cet amendement tend à supprimer un article que la commission des lois soutient.
La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérard Collomb, ministre d’État. Je veux dire quelques mots à Mme Benbassa. En comptant les 7 800 places qui seront créées en 2018 et en 2019, nous aurons doublé les capacités du DNA, le dispositif national d’asile, telles qu’elles étaient en 2012. Quant à l’hébergement d’urgence, nous disposons actuellement de 138 000 places. Là encore, nous avons doublé le nombre des places disponibles entre 2012 et aujourd’hui.
On peut évidemment augmenter les capacités d’accueil de manière infinie, mais, à un moment donné, un certain nombre de nos concitoyens ne comprendront plus et refuseront tout !
C’est la raison pour laquelle nous essayons de trouver un équilibre dans les propositions que nous formulons : nous essayons de mieux accueillir et d’accueillir davantage de réfugiés et, en même temps, nous tentons de résoudre une situation qui, on le voit bien, est totalement insoutenable.
Le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le ministre d’État, vous savez bien que c’est vous qui formez l’opinion publique ! Quand je dis « vous », ce n’est pas vous personnellement, mais le manque de pédagogie du Gouvernement, auquel se joint, bien sûr, une partie des médias !
Vous êtes vous-même agrégé d’histoire. Vous êtes un homme de culture et savez parfaitement comment les opinions se forment ! Elles ne naissent pas toutes seules. Il est très facile de dire que l’opinion publique ne comprendrait pas : il s’agit d’un alibi, monsieur le ministre d’État. (M. le ministre d’État proteste.)
M. le président. La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote.
M. Didier Marie. L’article 9, tel qu’il nous a été transmis par l’Assemblée nationale, était encore plus contraignant que celui que nous examinons aujourd’hui.
À cet égard, je crois que l’on peut se féliciter que la commission, grâce à notre insistance, mais tout de même avec l’accord de M. le rapporteur, ait réintroduit la garantie d’un hébergement pour les demandeurs d’asile, dans le cadre du dispositif d’orientation directive.
Le Gouvernement veut conserver l’orientation nationale des demandeurs d’asile, ce qui est une bonne chose, mais il supprime la garantie d’un hébergement. Cela revient à assumer l’idée que l’on enverra des demandeurs d’asile dans des régions qu’ils ne connaissent pas et où ils n’ont aucun contact, sans leur garantir un hébergement au bout.
Il faut avoir à l’esprit, de surcroît, que le respect de cette orientation conditionne l’octroi des aides matérielles aux demandeurs d’asile. Il s’agit donc d’une question fondamentale. Imaginez un demandeur d’asile à qui l’on demanderait d’aller en Normandie, par exemple, et de se débrouiller pour trouver à s’héberger. S’il refusait, il n’aurait en définitive plus droit aux aides matérielles.
Tout le dispositif proposé par le Gouvernement – l’orientation directive sans garantie d’hébergement, l’accord préalable de l’OFII pour sortir de la région, la multiplication des cas de retrait automatique des aides, etc. – revient in fine à parquer les demandeurs d’asile et à faire peser sur eux la menace constante d’une suppression de toute aide matérielle.
Non seulement l’hébergement doit rester la contrepartie de l’orientation directive, mais les schémas régionaux d’accueil doivent prendre en compte les situations personnelles et la vulnérabilité des personnes. Les conditions matérielles doivent pouvoir être sollicitées tout au long de la procédure et des prestations sociales et administratives minimales doivent être assurées dans tous les hébergements !
M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.
M. Bernard Jomier. Je crois que M. le ministre d’État a dit une chose qui se trouve au cœur de notre débat et qu’il faut entendre.
Monsieur le ministre d’État, en fait, vous prenez un pari. Vous pointez une évolution possible de l’opinion publique pour justifier des mesures qui permettraient de l’enrayer. C’est votre mode de raisonnement. Pour être clair, vous nous dites qu’il ne faut pas que les populistes arrivent au pouvoir et qu’il faut donc mettre en place une politique qui freinera leur ascension.
M. Roger Karoutchi. Le ministre d’État a raison !
M. Bernard Jomier. Non, monsieur Karoutchi ! Rogner les droits fondamentaux n’est pas une bonne méthode. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est le Défenseur des droits, dont vous connaissez le parcours politique.
L’histoire nous le montre aussi. Mme Benbassa a raison : M. le ministre d’État est un homme de culture, qui connaît, comme nous, cette histoire. Il n’est jamais payant d’aller dans cette direction pour empêcher des populistes d’arriver au pouvoir. C’est l’échec assuré !
M. Roger Karoutchi. Vous avez tort !
M. Bernard Jomier. De plus, le prix à payer est très lourd. On parle en effet de restreindre des droits fondamentaux, qui faisaient pourtant l’objet d’un large accord dans notre société et qui marquent le caractère social de notre République.
En réalité, monsieur le ministre d’État, vous tentez un pari, très risqué, qui pèse lourd dans la balance. Vous mettez notre identité commune – j’insiste sur le pluriel, pour ne pas faire de mauvais procès à qui que ce soit – dans la balance. Cette identité commune est maintenant en danger, et je prends le pari devant vous que votre politique ne freinera en rien la montée du populisme. En rien ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. L’article 9, tout comme les autres articles, est important et porte sur un sujet extrêmement sensible, puisqu’il concerne le volet humain du texte.
Je fais naturellement confiance à nos collègues de la commission des lois, qui s’investissent beaucoup sur ces sujets particulièrement délicats. Dans nos départements respectifs, on est souvent confronté à ces problématiques d’accueil des réfugiés.
Je rejoins l’un des précédents intervenants : la question du lien social est absolument fondamentale, et il faut rendre hommage à tous les bénévoles qui se dévouent pour assurer l’accueil de ces personnes. La question de l’apprentissage de la culture, de la lecture, de l’écrit, de la langue est également prioritaire.
Je ne voterai pas l’amendement tendant à supprimer l’article et je me rallierai à la position de la commission. Cela étant, je crois que les messages envoyés sont vraiment importants. Je pense notamment à la difficulté et la complexité des procédures : même si je puis comprendre qu’il faille être rigoureux dans l’examen des demandes, ces procédures sont particulièrement complexes, y compris pour des individus qui ont à la fois un emploi et un logement, et qu’il conviendrait d’accueillir.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier, pour explication de vote.
M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, depuis le début des débats, je vous écoute, sinon religieusement, en tout cas avec une attention toute républicaine !
Mme Esther Benbassa. Alors ça !
M. Stéphane Ravier. Vous avez fait preuve, chers collègues, et vous ferez encore preuve dans les jours qui viennent d’une grande technicité.
On sent bien que vous maîtrisez l’historique des lois relatives à l’immigration, et pour cause : hier, vous étiez sans doute déjà sénateurs ou occupiez des fonctions qui vous ont conduits à élaborer les textes de cette politique, cette folle politique d’immigration ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) Vous êtes donc tous responsables, peu ou prou, de la situation vécue et subie par nos compatriotes !
D’autres jouent et rejoueront la commedia dell’arte (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.), essayant de faire pleurer Margot sur le sort des réfugiés,…
M. Didier Guillaume. Il cite Georges Brassens !
M. Stéphane Ravier. … un sort auquel je ne puis rester insensible, moi non plus.
J’ai tout entendu : l’orgueil d’être un pays attractif, la tradition d’accueil de la France, l’humanisme, les droits de l’homme, l’éthique,…
M. Patrick Kanner. Hé oui !
M. Stéphane Ravier. … la nécessaire écoute, la prise en compte des persécutions, des souffrances – de toutes les souffrances. Je les ai toutes entendues ces souffrances, sauf une. Il existe une souffrance dont personne ne parle ici, c’est la souffrance du peuple français ! (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Le peuple français souffre de cette folle politique d’immigration, qui se traduit, chaque jour un peu plus, par une immigration non plus de peuplement, mais de remplacement, voire de grand remplacement dans certaines villes et régions ! (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
Je parle de ce peuple français que vous refusez d’interroger, que vous refusez d’écouter, et qui s’est exprimé par voie de sondage à propos de L’Aquarius : quelque 57 % des Français refusent que de nouveaux bateaux puissent accoster dans notre pays. Vous refusez de l’entendre !
L’opinion publique, chère collègue Benbassa, se forge, non pas sur le fondement des discours ou des manœuvres du Gouvernement, mais en fonction de la réalité qu’elle subit ! Cette réalité conduit à vous dire que les Français n’en peuvent plus de votre politique d’immigration, et je suis là pour le faire savoir ! (Mme Claudine Kauffmann applaudit.)
Mme Cécile Cukierman. C’est pour cela qu’ils ne vous ont pas élus au second tour de l’élection présidentielle !
M. le président. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.
M. Rachid Temal. Je me permets de réagir aux propos qui viennent d’être tenus. On comprend mieux ce qu’évoquait tout à l’heure mon collègue Bernard Jomier : courir derrière ne permettra jamais d’arrêter la « bête immonde », pour reprendre les paroles d’un chanteur célèbre.
On le voit bien, ce n’est jamais assez… (M. Stéphane Ravier s’exclame.) Je vous ai écouté, cher collègue, permettez-moi de m’exprimer à mon tour, même si je vous le dis, vos propos résonnent encore douloureusement à nos oreilles.
La stratégie consistant à toujours courir derrière ne sert à rien, parce que l’extrême droite a sa propre théorie. Nous l’avons entendu ici comme dans d’autres pays européens. Les propos sur le « grand remplacement » sont extrêmement choquants, parce qu’ils ne reflètent nullement la réalité de ce que vit notre pays, parce que ce dont nous débattons aujourd’hui, mes chers collègues, c’est de l’avenir d’hommes, de femmes, d’enfants qui sont dans l’obligation de quitter leur pays au risque de leur vie.
Mon cher collègue, vos théories nauséabondes, d’un autre temps, n’ont pas leur place aujourd’hui face à ce drame humain ! Ce que vous venez dire est intéressant, car cela démontre encore une fois – on a d’ailleurs pu voir ce qu’ont voté vos collègues de l’Assemblée nationale, notamment à l’article 5 – que vos propos sont inacceptables.
Nous sommes là pour perpétuer ce qui constitue la tradition de la France, sa capacité d’accueil, non pour suivre votre proposition de rejoindre « l’axe » sécuritaire, que certains ministres de l’intérieur essaient de promouvoir aujourd’hui en Europe ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.
M. Guillaume Gontard. Monsieur le ministre d’État, avec cette intervention, on vient d’avoir la démonstration de l’absurdité de votre politique. On vient surtout de comprendre après quoi l’on court. Quelle sera la prochaine étape ? L’Italie, les États-Unis ?…
On voit bien que cette politique est complètement absurde. Cela fait vingt ou trente ans que l’on applique la même politique, qui ne fonctionne pas et qui coûte cher, alors qu’une autre politique serait possible, me semble-t-il, celle de l’accueil. (M. Stéphane Ravier s’esclaffe.) Bien sûr, mes propos vous font rire, et vous me répondrez que je suis bien gentil avec ma politique d’accueil.
Pourtant, je vais vous donner un exemple. Je vais m’adresser à ce monsieur, qui se situe en face de moi dans l’hémicycle : il a parlé au nom du peuple français. Moi aussi, je puis parler en son nom !
Je suis élu d’un territoire de montagne, qui a connu l’immigration. Celle des protestants, des Italiens, des Algériens. Dans ce territoire de 10 000 habitants, situé dans les montagnes, on a accueilli 80 réfugiés. Or 80 personnes pour 10 000 habitants, cela représente 0,8 % de la population ; cela représenterait 600 000 demandeurs d’asile à l’échelle de la France. Et cela se passe bien ! La population est heureuse. Il existe un vrai lien social, et les élus se battent pour continuer à garantir cet accueil.
À quel moment changera-t-on de politique ? Quand se montrera-t-on un peu plus pragmatique ? J’entends toujours parler de pragmatisme. Or on voit bien que la politique que vous mettez en place, monsieur le ministre d’État, ne fonctionne pas ! Aussi, changeons de politique, soyons pragmatiques et mettons en place une politique de l’accueil qui fonctionne et qu’attendent, j’en suis sûr, nos concitoyens ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. L’intervention de M. Ravier devrait au moins servir de sonnette d’alarme et nous faire sortir de la logique et de l’état de tétanie dans lequel nous nous trouvons. Cela fait tout de même plusieurs décennies que le Front national explique, avec une certaine cohérence, que le problème, c’est l’immigration, parce que celle-ci créerait une souffrance insupportable chez les Français.
Le problème, ce ne serait pas les insuffisances d’une politique ne permettant pas aux Français d’accéder à l’emploi ou à un logement décent, de vivre en harmonie les uns avec les autres et dans un bien-être qui ne leur ferait pas chercher ailleurs les raisons de leur malheur. Après tout, c’est vieux comme le monde : le problème, c’est l’autre ! L’extrême droite le dit et le matraque.
À une certaine époque, nous avons connu une forte résistance à ce discours, qui dépassait les frontières de tel ou tel parti politique. Ce n’était pas une problématique de gauche, c’était l’affaire de l’ensemble des républicains. Dans cet hémicycle, en particulier, c’était un autre discours que l’on entendait sur l’ensemble des travées. On défendait une autre logique, consistant à dire que l’immigration n’était pas le problème.
M. Ravier parle de grand remplacement, mais j’ai entendu d’autres intervenants, qui ne sont pourtant pas membres du Front national, parler de « submersion » ! Et j’entends la même chose depuis plusieurs heures et le début de nos débats : il faudrait prendre garde, car, si on laisse les choses en l’état, la situation deviendra tellement insupportable que les Français iront vers les thèses du Front national.
Mme Marie-Thérèse Bruguière. Hé oui !
M. David Assouline. Mais non ! Voyez, chers collègues, nous avons durci les lois en matière d’immigration sous Nicolas Sarkozy. Les textes ont été durcis sans arrêt – tous les deux ans. Est-ce que, pour autant, le Front national a baissé ? Non, cela leur a donné raison !
M. Stéphane Ravier. Vous avez raison !
M. David Assouline. Cela a eu pour effet de faire croire à l’opinion publique que l’immigration était le problème !
Or la souffrance des Français n’est pas celle-là ! Nous sommes 66 millions d’habitants. (Marques d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains.) Si l’accueil des demandeurs d’asile était organisé et planifié dans la dignité,…
Mme Marie-Thérèse Bruguière. Le temps de parole est épuisé, monsieur le président !
M. David Assouline. … grâce à des projets d’intégration répartis sur l’ensemble du territoire, assurant son maillage, que ce soit dans les campagnes ou les villes, dans les villes moyennes comme les grandes villes, la situation serait acceptable !
M. Stéphane Ravier. Les choses sont claires, désormais : c’est la submersion que vous souhaitez, monsieur Assouline !
Mme Cécile Cukierman. Il n’y a pas de submersion, il faut arrêter !
M. le président. Je vous prie de rester calmes, mes chers collègues !
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, mes chers collègues, nous discutons de la politique de l’immigration et de l’asile, et il est parfaitement naturel que les points de vue s’opposent, parfois avec enthousiasme, parfois aussi avec une certaine véhémence, car ce sujet nous engage les uns et les autres, à la fois intellectuellement et en vertu de convictions profondes.
Néanmoins, il me semble – je vais essayer de le dire avec tact, avec retenue, avec réserve, sans chercher à faire pression sur aucun d’entre vous – que, lorsque les choses ont été dites une fois, il peut être utile de les dire une seconde fois, mais les répéter dix ou quinze fois, et systématiquement pendant deux minutes et demie, c’est beaucoup !
Mme Esther Benbassa. C’est l’art de la pédagogie ! (Sourires sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marie-Thérèse Bruguière. Ce n’est pas de la pédagogie !
M. Stéphane Ravier. Au moins, les Français sauront !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Naturellement, c’est un droit dont dispose chacune et chacun d’entre nous, mais nous avons aussi l’obligation de faire aboutir ce débat et, après avoir discuté, de voter et de décider.
Or, telles que les choses sont engagées depuis plusieurs jours maintenant, nous n’arriverons pas au terme de cette discussion si nous n’assumons pas, en notre âme et conscience, la responsabilité de contenir ce débat, pour ce qui concerne le temps que nous lui consacrons, dans des limites raisonnables, et à condition, évidemment, que tout soit dit et que tout puisse être dit, sans nécessairement avoir à le répéter.
Nous savons aussi, les uns et les autres, que l’important sera de nous déterminer en fonction de nos convictions, de façon utile et en donnant de notre délibération la meilleure image possible. En effet, nombre de Français s’attendent à ce que la chambre de la réflexion, que représente le Sénat dans notre République, accomplisse son travail sans emportement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires. – Mme Josiane Costes applaudit également.)
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 10.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission des lois.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 149 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 344 |
Pour l’adoption | 92 |
Contre | 252 |
Le Sénat n’a pas adopté.
L’amendement n° 234 rectifié bis, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 3
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
…) Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Les conditions matérielles d’accueil sont également proposées au demandeur d’asile de bonne foi qui en fait la demande. » ;
La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Je tâcherai d’être rapide, afin que vous puissiez suspendre la séance à l’heure prévue, monsieur le président.
Cet amendement vise à étendre les périodes pendant lesquelles le demandeur d’asile peut demander à bénéficier des conditions matérielles d’accueil auxquelles il a droit. Aujourd’hui, il n’y a accès qu’en début de procédure. Or la situation des demandeurs d’asile peut évidemment évoluer : vous pouvez être accueilli au début, avant que votre situation ne se dégrade et que, finalement, vous n’ayez besoin d’un accès aux conditions matérielles d’accueil en cours de procédure. Aujourd’hui, une telle possibilité n’est pas prévue par le texte.
Dès lors, évidemment, que le demandeur d’asile est de bonne foi, cet amendement tend à proposer que ces conditions d’accueil matérielles lui soient accessibles.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Nous souhaitons en rester au texte de la commission. J’émets donc un avis défavorable.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Pourquoi ?
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Xavier Iacovelli. Pour quel motif ?
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Ce ne sera pas une explication de vote, étant donné que ni la commission ni le Gouvernement ne nous ont donné les raisons pour lesquelles ils étaient défavorables à l’amendement ! Passons tranquillement au vote…
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 234 rectifié bis.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission des lois. (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
M. Patrick Kanner. Ce n’est pas très glorieux !
Mme Esther Benbassa. Tout cela parce que les sénateurs Les Républicains sont partis déjeuner ! Il faut travailler, chers collègues. Il faut mériter son salaire et être présent !
M. le président. Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 150 :
Nombre de votants | 324 |
Nombre de suffrages exprimés | 319 |
Pour l’adoption | 92 |
Contre | 227 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
4
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’ordre du jour appelle les questions d’actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat, sur le site Internet du Sénat et sur Facebook.
Chacun aura à cœur, tout à la fois, de respecter son temps de parole et de faire preuve de courtoisie.
achat du foncier agricole par des entreprises étrangères
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. Joël Guerriau. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
En 2016, l’acquisition par une société chinoise de 1 700 hectares de terres agricoles françaises nous a fait prendre conscience des enjeux alimentaires de la mondialisation.
Cette année encore, un conglomérat chinois a confirmé à la mi-février avoir racheté environ 3 000 hectares pour cultiver du blé. Les fariniers chinois semblent très sensibles à la réputation du blé français. Nous pourrions nous en réjouir, mais cette pratique pose problème à plus d’un titre.
Tout d’abord, les fonds de gestion chinois transforment l’exploitation en société, pour contourner le contrôle opéré par les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, les SAFER. Par ailleurs, ces rachats de terres se font auprès d’exploitants endettés, à des prix trop élevés pour que de jeunes agriculteurs puissent reprendre ces terres. Enfin, une fois nos terres cédées, la production est destinée à l’exportation.
Depuis 2016, le législateur a tenté de remédier à ces pratiques en élargissant le contrôle des SAFER sur la cession des parts, mais uniquement si 100 % des parts sont mises en vente. Le contournement est facile : les cessions de parts se font à hauteur de 98 % !
D’autres tentatives d’évolution de notre législation par le Parlement n’ont pas abouti. Pour autant, nous ne devons pas nous résigner. L’enjeu est trop important et peut, à terme, se révéler crucial pour notre souveraineté alimentaire.
Monsieur le ministre d’État, le Président de la République a annoncé la mise en place de « verrous réglementaires » sur les achats de terres agricoles par des étrangers. Qu’en est-il ? Comment comptez-vous faire pour protéger notre indépendance alimentaire et faciliter la reprise des terres agricoles par de jeunes exploitants ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture.
M. Stéphane Travert, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur Guerriau, l’achat récent de terres agricoles françaises par des sociétés étrangères suscite un grand émoi et de nombreuses interrogations – nous en avons, bien évidemment, tout à fait conscience.
Toutefois, avant d’évoquer un phénomène d’accaparement des terres, il faut examiner la réalité des données.
Un rapport récent du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux, le CGAAER, s’est intéressé à cette question : aujourd’hui, les investissements étrangers représentent moins de 1 % des transactions. Il est donc difficile, à ce stade, de parler d’un phénomène d’accaparement des terres ; ces opérations relèvent plus de stratégies d’investissement, comme peuvent le faire nos opérateurs à l’étranger.
Néanmoins la vigilance et la transparence doivent être de mise – c’est en ce sens que le Gouvernement entend agir. Les dernières acquisitions sont effectivement révélatrices de démarches de contournement du système actuel. Les outils de régulation du foncier agricole, en l’état, paraissent clairement inadaptés face au développement d’opérations conduites sous forme sociétaire et pouvant aboutir à des phénomènes de concentration.
Les récentes évolutions législatives ont permis d’améliorer le dispositif, avec un droit de préemption accordé aux SAFER pour l’acquisition de la totalité des parts sociales d’une société dont l’objet principal est la propriété agricole. Mais nous constatons que des cessions partielles sont aisément organisées pour contourner ces mesures.
Je souhaite que nous puissions avancer sur ces sujets. Nous nous appuierons, pour effectuer ce travail, sur les conclusions de la mission d’information actuellement menée à l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour la réplique.
M. Joël Guerriau. Dans votre réponse, monsieur le ministre, j’entends un consentement : oui, nous faisons face à un véritable problème !
Je voudrais simplement rappeler un proverbe chinois : « Lorsque le coup de tonnerre éclate, il est trop tard pour se boucher les oreilles ». Nous faisons face aux prémices d’un véritable phénomène : le rachat tous azimuts de terres agricoles par la Chine à travers le monde.
Il faut être très vigilants et prendre les bonnes mesures, afin, demain, de ne pas manquer de terres. Certaines doivent être sanctuarisées, pour éviter le pire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
gabegie des mutuelles
M. le président. La parole est à M. Alain Milon, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Milon. Ma question s’adresse à Mme la ministre des solidarités et de la santé et concerne l’univers merveilleux des complémentaires de santé. (Sourires.)
Au cours du précédent quinquennat, plusieurs mesures n’ont fait que complexifier un système assurantiel déjà illisible pour nos concitoyens et affaiblir les droits de ces derniers pour leur couverture santé.
Je pense à la loi du 27 janvier 2014 relative aux modalités de mise en œuvre des conventions conclues entre les organismes d’assurance maladie complémentaire et les professionnels, établissements et services de santé, dite « loi Le Roux », qui a généralisé les réseaux de soins. Dans ce cadre, possibilité a été donnée aux complémentaires dans les trois secteurs – optique, dentaire, audioprothèse – de différencier les remboursements en fonction du choix de son professionnel. Nous l’avions dénoncé.
Je pense également à l’obligation des contrats collectifs pour tous les salariés, qui a dégradé la couverture assurantielle des contrats individuels des inactifs, notamment des retraités, et qui s’est traduite par une pression fiscale supplémentaire de près de 1 milliard d’euros par an pour les salariés, avec la fiscalisation de la part employeur.
Enfin, le plafonnement du remboursement des soins médicaux des contrats responsables obtient la palme, puisque c’est le contrat qui rembourse le plus mal et qui est deux fois moins taxé par l’État.
Une étude, fort enrichissante, de l’UFC-Que choisir fait ressortir le coût toujours plus important des complémentaires de santé dans le budget des Français. Ce coût a progressé trois fois plus vite que l’inflation au cours de la dernière décennie.
En 2016, la Cour des comptes avait, d’ores et déjà, déploré des dépenses de 7,2 milliards d’euros en frais de gestion, dont près de 3 milliards d’euros pour la publicité.
La réforme sur le reste à charge zéro et la remise à plat du secteur des complémentaires de santé, madame la ministre, ne sont que les deux facettes d’une même médaille : vouloir les traiter séparément, c’est prendre le risque de faire peser de plus en plus la part des cotisations des assurances de santé sur le budget des ménages.
C’est pourquoi je souhaite connaître les mesures que vous pensez adopter pour encadrer la lisibilité des offres des complémentaires de santé et exiger une meilleure transparence sur les frais de gestion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président de la commission des affaires sociales, comme vous le savez, les complémentaires de santé sont essentielles pour l’accès aux soins des Français : 95 % de nos concitoyens sont couverts, soit par une complémentaire de santé, soit par la couverture maladie universelle complémentaire, la CMU-C.
Toutefois, vous avez raison, le coût de ces mutuelles a augmenté. La récente enquête de l’UFC-Que choisir rapporte une croissance de 47 % en onze ans de ce coût.
Un tiers de cette hausse, cela a été signalé, s’explique par l’évolution de la fiscalité sur les complémentaires. Par ailleurs, il n’est pas anormal que le coût des complémentaires suive celui de la santé. Or le rythme d’évolution des dépenses de santé représente environ 2 % par an.
Pour autant, il est vrai que les frais de gestion augmentent plus vite que la dépense remboursée. C’est un sujet de préoccupation tout à fait légitime.
Le Gouvernement est particulièrement favorable à toute mesure permettant d’améliorer la transparence et d’accroître la concurrence. Les complémentaires ont l’obligation, depuis 2012, de communiquer à leurs assurés le montant et la composition de leurs frais de gestion.
Dans la réforme dite « du 100 % Santé », ou « reste à charge zéro » – réforme récente, puisque la signature remonte à la semaine dernière –, il est prévu de rendre plus facilement comparables les contrats, grâce à une harmonisation des tableaux de remboursement, de façon à ce que tous les Français puissent comparer en fonction du soin remboursé.
Notre objectif est bien que la réforme n’induise aucune augmentation de tarif. C’est un point ayant fait l’objet de nombreux échanges avec les fédérations d’organismes complémentaires, et sur lequel nous serons particulièrement vigilants. Nous avons prévu un comité de suivi de la réforme, qui se réunira à intervalles réguliers, deux fois par an, afin de suivre l’évolution des comportements des usagers et des coûts. Nous ajusterons si nécessaire. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. Alain Milon, pour la réplique.
M. Alain Milon. Si l’on tient compte des frais, des taxes, des marges des assureurs, ce sont en moyenne 66 % des primes, seulement, qui retournent aux assurés individuels, voire 50 % dans certains types de contrats.
Aussi, je vous propose, madame la ministre, que le tarif du panier de soins dans le reste à charge zéro soit défini par le Parlement. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
projet de loi « pacte » et privatisations
M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme Anne-Catherine Loisier. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie et des finances et porte sur les annonces de privatisations.
Le Gouvernement souhaite soutenir l’innovation des entreprises. Pour cela, il propose de vendre des parts de grandes entreprises – la Française des jeux, Aéroports de Paris, et Engie – pour 10 à 15 milliards d’euros, soit près de 10 % des participations totales de l’État. Il envisage de placer les recettes de ces ventes dans un fonds, dont le rendement servirait à financer l’innovation des entreprises.
Si nous souscrivons à l’objectif, la méthode interroge. Nous avons ici des entreprises rentables, qui prospèrent et versent chaque année jusqu’à 1 milliard d’euros de dividendes, contribuant ainsi au financement de l’État et de la dette. Des entreprises qui exercent dans des domaines stratégiques en forte croissance, pour lesquels un pilotage étatique se justifie – transport aérien, régulation des jeux ou encore transition énergétique.
À l’heure où l’État doit non pas seulement diminuer ses dépenses, mais aussi consolider ses recettes, quel intérêt y a-t-il à vendre des actifs rentables et renoncer à des rentrées d’argent récurrentes ? D’autant que ce fonds stratégique – important – pourrait être financé d’une autre manière, par emprunt, les dividendes annuels évoqués permettant de financer les annuités.
En définitive, ce fonds serait disponible, les entreprises innoveraient et les Français seraient toujours les heureux propriétaires d’ADP, FDJ et Engie ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État, porte-parole du Gouvernement.
M. Benjamin Griveaux, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement. Vous l’avez rappelé, madame la sénatrice, le projet de loi dit « PACTE », qui a été présenté en conseil des ministres le 18 juin dernier, prévoit la cession, par l’État, de ses participations dans trois grandes entreprises : Engie, la Française des jeux et Aéroports de Paris. En cela, notre objectif est triple.
Premièrement, il s’agit d’investir pour l’avenir, au travers d’un fonds dénommé « fonds pour l’innovation de rupture », qui sera doté d’une dizaine de milliards d’euros et permettra de dégager 200 à 300 millions d’euros de revenus par an.
Le but, ici, est que l’État assume pleinement son rôle de stratège dans le domaine économique, avec comme préoccupation de ne pas céder aux exigences parfois « court-termistes » des marchés et de travailler sur une innovation de rupture, plutôt que d’en rester à une innovation incrémentale.
L’État, sans doute, doit jouer un rôle plus stratégique que celui qui consisterait à se contenter d’être l’heureux bénéficiaire de dividendes d’entreprises intervenant dans des secteurs d’activité qui ne figureront probablement pas, demain, parmi les secteurs permettant à la France de retrouver un modèle économique florissant et d’entrer de plain-pied dans le XXIe siècle.
Deuxièmement, madame la sénatrice, vous nous dites que nous privons les Français de ces dividendes. Mais les Français ne sont pas actionnaires, et c’est là, d’ailleurs, une culture bien française : nombre de nos grandes entreprises sont détenues par l’État ou des fonds d’investissement étrangers.
Ces cessions de titres de l’État ont précisément pour but de permettre l’émergence d’un actionnariat populaire dans notre pays (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains, sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.), afin que chaque Français puisse détenir une part de ces entreprises qui, dans notre pays, sont rentables et, ainsi, toucher des dividendes.
Mme Éliane Assassi. Comme c’est laborieux !
M. Benjamin Griveaux, secrétaire d’État. Troisièmement, l’État peut être stratège au travers de la détention de capitaux dans une entreprise publique, mais il a aussi une fonction de régulation,… (Mêmes mouvements.)
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas sérieux !
M. Benjamin Griveaux, secrétaire d’État. … à laquelle, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous sais attachés, indépendamment de vos sensibilités politiques.
Nous renforcerons aussi les mécanismes de régulation, notamment s’agissant de la Française des jeux et du Pari mutuel urbain, ou PMU. C’est un sujet, je le sais également, madame la sénatrice, dont vous êtes soucieuse. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, pour la réplique.
Mme Anne-Catherine Loisier. Monsieur le secrétaire d’État, à force de nationaliser les déficits et de privatiser les bénéfices, nous appauvrissons l’État.
Vous avez parlé d’innovation pour l’avenir. L’innovation, notamment dans l’administration de la France, c’est peut-être aussi inventer de nouveaux partenariats gagnants-gagnants, pas seulement pour les entreprises – c’est important –, mais aussi pour l’État, en faisant, sur le long terme, fructifier le patrimoine public des générations à venir ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
état de la contractualisation
M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour le groupe La République En Marche.
M. Alain Richard. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Nous approchons de la période où vont se clore les discussions, avec 322 grandes collectivités territoriales, sur les contrats permettant de maîtriser, d’un commun accord ((Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.), l’évolution des dépenses de fonctionnement.
Je rappelle que ce mécanisme a été adopté avec l’approbation de la majorité sénatoriale, sur la suggestion de sa commission des finances, et déclaré conforme au principe constitutionnel de libre administration.
Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous nous indiquer quel est l’état des conclusions d’accords envisagées par les collectivités et les points restant en discussion avec certaines d’entre elles ? Je pense, en particulier, au sujet spécifique des collectivités connaissant une forte croissance démographique, mais aussi à certaines catégories de dépenses qui sont exposées par les collectivités, sur la suggestion de l’État et, d’ailleurs, avec son aide.
Vous avez, par exemple, conclu récemment un accord sur les mineurs étrangers isolés avec les départements. Je citerai aussi les préconisations qui nous sont faites par le ministre de l’éducation nationale sur la nouvelle gestion des mercredis. Ce sont là des dépenses spécifiques, entrant aujourd’hui dans le plafond de dépenses, et qui pourraient donner lieu à quelques discussions supplémentaires.
Un comité de suivi de la contractualisation ayant été créé – il fonctionne, je crois, utilement –, pouvez-vous nous donner quelques perspectives pour la période de la vérification des comptes en 2019, qui permettrait d’améliorer encore le dispositif ? (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur Richard, grâce à l’instrument que constituent ces contrats – ils sont actuellement en négociation et doivent être signés entre les 322 principales collectivités territoriales ou établissements publics de coopération intercommunale et l’État –, nous essayons d’inventer une nouvelle façon de travailler et de maîtriser l’augmentation de la dépense publique locale, c’est-à-dire un nouveau mode de fonctionnement entre les collectivités territoriales et l’État.
Chacun se souvient ici qu’il fut un temps, pas si lointain, où les contraintes générales auxquelles étaient exposés les gouvernements s’étaient traduites, d’abord par un gel, puis par une réduction des dotations à verser aux collectivités territoriales. Le gel, général, fut suivi par une réduction, elle-même générale.
Nous avons pris la décision de ne pas nous inscrire dans cette logique. Nous avons choisi de traiter avec les principaux acteurs de la dépense publique locale, et non l’ensemble des collectivités territoriales – quel serait l’intérêt d’une contrainte générale des dépenses, affectant y compris des acteurs qui ne déterminent pas, par leur importance, l’évolution de la dépense publique locale dans son ensemble ? –, soit 322 collectivités territoriales et établissements publics de coopération intercommunale. L’idée est d’encadrer l’augmentation de leurs dépenses de fonctionnement, à un taux moyen de 1,2 %.
C’est un exercice nouveau et, évidemment, il est particulier et difficile. Il a donné lieu à des échanges nourris, notamment dans le cadre de la Conférence nationale des territoires. Vous vous souvenez, monsieur Richard, pour y avoir joué un rôle absolument essentiel, que le mode de construction de ces contrats a été discuté lors de notre réunion de Cahors, ce qui, d’ailleurs, leur vaut parfois le nom de « contrats de Cahors ».
M. Jean-Claude Requier. J’en suis heureux ! (Sourires.)
M. Édouard Philippe, Premier ministre. C’est effectivement une forme de postérité exceptionnelle pour Cahors, et j’espère que le Lot s’en trouvera encore mieux pourvu. (Nouveaux sourires.)
Néanmoins, ces contrats ont été discutés dans le cadre de la Conférence nationale des territoires. Ensuite, collectivité par collectivité, il y a eu des discussions. L’association Régions de France nous a indiqué que, sur certaines dépenses publiques locales, il fallait prendre en compte ses remarques. C’est aussi ce qu’ont fait l’Assemblée des départements de France, l’ADF, l’Association des maires de France, l’AMF, et l’ensemble des acteurs concernés.
Nous avons entendu ces remarques. Nous avons créé des critères de modulation en fonction de l’évolution de la population et d’un certain nombre d’indicateurs. Nous avons également indiqué, aux collectivités qui le souhaitaient, que certaines dépenses, de par leur nature même, devaient être gelées ou examinées à l’extérieur de ces contrats.
Cela a été le cas, par exemple, des dépenses engagées dans le cadre des fonds structurels ou par les régions dans le cadre du Plan d’investissement dans les compétences. Nous avons répondu aux demandes formulées par les régions, parce que nous considérions que, ce faisant, nous restions dans l’épure, dans le sens même de cette contractualisation qui avait été engagée.
Le 14 juin dernier, voilà une semaine, nous pouvions compter sur l’engagement de 171 communes ou EPIC, qui avaient d’ores et déjà signé le contrat avec l’État ou étaient sur le point de le faire. Nous avons jusqu’au 30 juin prochain, et j’ai observé que les discussions s’intensifiaient au fur et à mesure que le temps avançait et que la fin du délai approchait.
Certaines collectivités territoriales décident de signer avec une forme de solennité ; d’autres optent pour plus de discrétion. C’est un choix qui leur appartient !
M. Roland Courteau. D’autres ne veulent pas signer !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. En effet, certaines collectivités ont choisi de ne pas signer, et elles sont tout aussi respectables que les autres, car c’est, bien entendu, leur droit le plus strict !
Toutefois, ce dispositif a été discuté, ici, dans cette assemblée, et validé par le Conseil constitutionnel. Les collectivités qui ne signent pas s’exposent, dans l’hypothèse où elles ne respecteraient pas la norme que nous avons fixée, à une contribution, à une récupération plus élevée l’année suivante. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Olivier Paccaud. C’est du chantage !
M. René-Paul Savary. Il n’y a aucune contrepartie !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Ce n’est pas vrai ! Permettez-moi de le dire un peu directement, monsieur Savary – je le sais, on s’exprime de manière mesurée dans cette assemblée, et j’en fais généralement de même –, mais ce n’est pas vrai !
Le choix du maintien, si on l’examine à l’aune de ce qui s’est produit au cours des dix dernières années, n’est pas un engagement sans valeur. Ceux qui signent ces contrats le savent parfaitement. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils les signent ! (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe Les Républicains.)
Mme Cécile Cukierman. C’est un marché de dupe ! Un contrat à sens unique !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Cette relation contractuelle, mesdames, messieurs les sénateurs, est délicate, mais nous progressons. À l’issue de la première année d’exécution, en 2019, le comité de suivi en fera l’analyse, afin de tirer expérience de la façon dont ces contrats auront été négociés et mis en œuvre.
M. Jacques Grosperrin. L’État ne montre pas l’exemple !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Je pense que le mécanisme perdurera, parce qu’il résulte d’une demande formulée par les collectivités territoriales (Protestations sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe Les Républicains.) et parce que France urbaine ou encore l’Assemblée des communautés de France, l’AdCF, l’ont appelé de leurs vœux.
Mme Sophie Primas. Et l’AMF ?
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Je suis même prêt à en faire le pari ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
gestion de la crise migratoire avec l’allemagne
M. le président. La parole est à M. Guillaume Arnell, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Guillaume Arnell. Ma question s’adresse à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur.
Monsieur le ministre d’État, alors que la Haute Assemblée examine le projet de loi Immigration, droit d’asile et intégration, une véritable crise européenne s’est ouverte sur le sujet, à la suite de plusieurs évènements récents.
D’une part, le refus total du nouveau gouvernement italien d’accueillir les 629 migrants de L’Aquarius.
D’autre part, l’ultimatum posé par le ministre de l’intérieur allemand, Horst Seehofer, à la chancelière Angela Merkel, lui intimant de réduire substantiellement le nombre de migrants accueillis en Allemagne, sous peine de refouler aux frontières ces mêmes migrants.
M. Stéphane Ravier. Bravo ! Il a bien fait !
M. Guillaume Arnell. Cette crise politique interne pourrait avoir des conséquences importantes sur la politique migratoire européenne.
Nous savons, monsieur le ministre d’État, que vous avez participé avec le Président de la République à un conseil des ministres franco-allemand, ce mardi, pour trouver un consensus et arrêter une position commune. De même, sur invitation du président Jean-Claude Juncker, M. Emmanuel Macron participera, ce dimanche, à une réunion de travail, certes informelle, sur le sujet, pour débloquer la situation en amont du Conseil européen des 28 et 29 juin.
Ce conseil s’annonce déjà difficile, la Commission européenne proposant de réformer le règlement de Dublin, en instaurant notamment une répartition automatique des demandeurs d’asile dans l’Union européenne en période de crise comparable à celle de 2015.
Monsieur le ministre d’État, nous le savons tous, les réponses apportées à la question migratoire ne peuvent qu’être européennes.
Dans ce contexte tendu, pouvez-vous éclairer la représentation nationale sur la situation politique en Allemagne et sur l’avenir de la politique migratoire européenne ? Pouvez-vous nous assurer que la France fera tout pour parvenir à un accord acceptable et respecté par tous les États membres ?
Sinon, il est à craindre un affaiblissement de l’Union européenne, que nous avons mis tant de temps à construire. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur.
M. Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’intérieur. Vous avez raison, monsieur Guillaume Arnell, l’Europe connaît aujourd’hui une grave crise.
Pourtant, lorsque l’on examine les chiffres, l’on s’aperçoit que l’Europe avait vu 1,8 million d’entrées régulières en 2015 et qu’elle en recense seulement 205 000 en 2017. Pourquoi cette baisse ? Elle s’explique par des accords que nous avons passés avec un certain nombre de pays, qu’il s’agisse de pays de transit ou de pays d’origine.
Je citerai d’abord l’accord conclu entre l’Union européenne et la Turquie, qui a évidemment fait baisser de manière considérable les entrées par la voie orientale. Or, je le rappelle, la Turquie abrite encore, sur son territoire, 3,5 millions de réfugiés.
Je mentionnerai ensuite les accords signés entre la France et le Niger, ayant permis la fermeture progressive aux passeurs, grâce aux autorités nigériennes, de la route d’Agadez, par laquelle des centaines de milliers de personnes traversaient le Sahara, puis la Méditerranée.
J’évoquerai enfin les mesures prises par l’ancien ministre de l’intérieur italien, M. Marco Minniti, en collaboration avec certaines autorités libyennes, pour que les passeurs soient arrêtés. Et c’est la première fois depuis un an et demi que l’on voit de nouveau des bateaux chargés de migrants !
Oui, vous avez raison, la solution sera européenne. Nous allons y travailler. Le Président de la République y œuvrera dimanche prochain, afin de trouver un accord européen ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)
contractualisation entre l’état et les collectivités
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Pascal Savoldelli. Ma question s’adresse à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur.
Pour amplifier la contribution des collectivités locales à la réduction des déficits publics, le Président de la République et le Gouvernement ont clairement changé de méthode, mais pour atteindre le même objectif !
Ainsi, monsieur le ministre d’État, c’est à 13 milliards d’euros que s’élève le montant de la nouvelle réduction des dépenses utiles que vous avez décidé d’imposer aux services publics locaux d’ici à 2022, après les 11 milliards d’euros de baisse de dotations du précédent quinquennat.
Vous avez mis en place un outil redoutable, au nom pour le moins abusif : les contrats État-collectivités.
Oui, ce nom est abusif, parce que ces contrats sont construits sur des principes décidés par une seule des parties, à savoir l’État, et n’engageant en vérité que l’autre, les collectivités territoriales. Quid de la légitimité des élus locaux ? Quid des programmes démocratiquement décidés par les populations ?
Ce nom est également abusif, parce que le système est punitif pour les collectivités qui ne se plieraient pas au 1,2 % d’évolution des dépenses de fonctionnement. Et, à ce titre, il est contraire au principe constitutionnel de libre administration des collectivités.
Les collectivités territoriales assurent également une grande part de l’investissement public. Elles ne votent pas de budget en déficit.
M. André Reichardt. Elles n’en ont pas le droit !
M. Pascal Savoldelli. Leurs services publics demeurent parfois les seuls dans certains de nos quartiers et de nos campagnes désertés par l’État.
Les collectivités font également face à d’immenses besoins sociaux, en lieu et place de l’État, qui s’est délesté sur elles de compétences non financées. L’État est ainsi redevable de plus de 1,3 milliard d’euros au département du Val-de-Marne, au seul titre du revenu de solidarité active, le RSA, de l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA, et de la prestation de compensation du handicap, la PCH, depuis 2002, soit l’équivalent d’un budget annuel de fonctionnement.
Monsieur le ministre d’État, quels sont précisément les bénéfices attendus de ces contrats imposés aux collectivités, pour les populations et pour les territoires ? (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur.
M. Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Pascal Savoldelli, entre ce qui s’est passé les dernières années (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.) et ce qui se passe aujourd’hui (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe Les Républicains.), permettez à l’ancien gestionnaire de collectivités locales que je suis…
M. Roger Karoutchi. Défroqué !
M. Gérard Collomb, ministre d’État. … de vous le dire, il y a une grande différence ! (Oh ! et sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Vous étiez où, il y a trois ans ?
M. Gérard Collomb, ministre d’État. Elle se traduit dans les chiffres. La baisse de 11 milliards d’euros des dotations de fonctionnement aux collectivités locales avait eu comme résultat une diminution de l’investissement de 8 % en 2014, de 8 % en 2015, du fonctionnement de 0,2 %. (Brouhaha sur de nombreuses travées.)
M. le président. Mes chers collègues, maîtrisez votre enthousiasme !
M. Gérard Collomb, ministre d’État. Aujourd’hui, l’investissement des collectivités locales – regardez les chiffres ! – est en train de reprendre, en hausse de 6 %. (M. François Patriat applaudit. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Cela signifie qu’il s’agit non pas d’une baisse, mais d’une moindre hausse (Marques d’ironie sur diverses travées.), limitée à 1,2 %. Croyez-moi, nous avons fait les calculs pour les différentes strates de collectivités, et c’est pour cela que 60 % des collectivités vont signer le pacte que nous leur proposons. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Mme Michèle Vullien applaudit également. – Huées sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Nadine Grelet-Certenais, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Nadine Grelet-Certenais. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s’adresse à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
À l’heure où le Président de la République s’insurge contre le « pognon de dingue » versé à nos concitoyens les plus modestes et en appelle à « la responsabilisation des pauvres », je souhaiterais vous interroger sur ce sujet, car il est grave et mérite mieux que des formules aussi scandaleuses que dangereuses pour notre contrat social.
Cette musique droitière, nous la connaissons. Vous cherchez à démontrer que les minima sociaux ne « fonctionnent pas » en vue de préparer les coupes budgétaires à venir, évaluées à 7 milliards d’euros par Bercy : c’est le montant des cadeaux fiscaux aux plus fortunés.
D’autres acteurs, plus responsables, en prise avec les réalités de notre pays, imaginent les solidarités de demain. Je pense notamment aux treize départements socialistes qui ont mis sur pied un projet d’expérimentation d’un revenu de base. Leur proposition est simple : offrir aux citoyens vivant sous le seuil de pauvreté une allocation qui fusionnerait le RSA, la prime d’activité et potentiellement les aides au logement.
Ce projet présente l’avantage de traiter la question majeure du non-recours aux aides sociales, de simplifier le système de prestations et de lutter efficacement contre la précarité. Bien sûr, ce programme d’éradication de la grande pauvreté ne pourra se faire sans argent public pour être expérimenté à grande échelle.
Madame la ministre, êtes-vous prête à soutenir cette initiative originale lors de l’examen des projets de loi de finances ? Vous semblez déjà évoluer vers un renforcement de l’expérimentation « territoires zéro chômeur » lancée sous le précédent quinquennat. En sera-t-il de même pour cette nouvelle expérimentation ambitieuse ? Avez-vous pris la mesure de « l’urgence à agir » en matière de lutte contre la pauvreté ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur quelques travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Mesdames, messieurs les sénateurs, madame la sénatrice Nadine Grelet-Certenais, nous avons suivi très attentivement les débats relatifs au revenu de base et au projet d’expérimentation porté par ces treize départements. Effectivement, ce projet pose des problèmes que nous avons remarqués, qui correspondent aux priorités de la stratégie « pauvreté » sur laquelle nous travaillons.
Il s’agit d’abord de lutter contre le non-recours – je rappelle que cela représente 30 % pour le RSA – et de porter une attention particulière à la pauvreté des jeunes.
Cependant, ces expérimentations ne posent pas les bonnes questions. Leur objectif notamment nous interroge : voulons-nous attribuer à chaque personne en situation de pauvreté une allocation monétaire pour solde de tout compte ?
Le projet du Gouvernement est totalement différent : il est global pour mieux prendre en compte la situation réelle des personnes. Nous voulons travailler sur la question des freins périphériques au retour vers l’emploi et renforcer le rôle incitatif des prestations.
Aujourd’hui, nous le savons, nos aides sociales sont inéquitables, différentes selon le statut et selon l’âge, illisibles – c’est un maquis, aucun d’entre nous, aujourd’hui, ne sait les citer –, insuffisamment tournées vers l’accompagnement.
Notre souci, c’est de prévenir la pauvreté à toutes les étapes de la vie, de l’enseignement primaire – c’est ce que fait Jean-Michel Blanquer avec le dédoublement des classes de CP, le plan Mercredi, le plan Devoirs faits – jusqu’à l’insertion sur le marché du travail, à laquelle Muriel Pénicaud travaille avec la réforme de la formation professionnelle. La première arme de lutte contre la pauvreté, c’est l’accès à un diplôme, à une qualification.
Nous voulons mettre un terme au déterminisme social, aux situations qui enferment les personnes dans l’inactivité ou la sous-activité. Nous ne voulons plus nous contenter d’une politique d’insertion qui ne permet qu’à 10 % des allocataires du RSA de retrouver une activité chaque année.
Notre projet, c’est bien l’efficacité et l’investissement humain, dans lequel nous misons toutes les forces de la Nation. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – MM. Emmanuel Capus et Dominique Théophile applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Nadine Grelet-Certenais, pour la réplique.
Mme Nadine Grelet-Certenais. Madame la ministre, sans les transferts sociaux et fiscaux, notre pays compterait 5 millions de pauvres supplémentaires. La redistribution est au cœur de notre fraternité et fait la force de notre modèle social.
Après un an d’exercice du pouvoir, le résultat de votre politique s’avère foncièrement injuste.
Vous parlez d’émancipation sociale, mais, en catimini, vous baissez une nouvelle fois les APL pour les plus pauvres. Vous vantez les modèles allemand et britannique alors que leur taux de pauvreté est bien supérieur au nôtre.
Le revenu de base est un bon outil pour lutter contre l’exclusion sociale, saisissez-le ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur quelques travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
calendrier du grand paris express et logement en île-de-france
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Primas. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Cette question est un cri d’alarme.
En 2010, la loi sur le Grand Paris a défini un objectif très ambitieux de production de 70 000 logements par an en Île-de-France.
Pour atteindre cet objectif, le triptyque logement-développement économique-transports était le fondement du contrat de confiance liant l’État et les collectivités territoriales. En confiance donc, les collectivités ont rempli leur part du contrat. Le département des Yvelines, que vous connaissez bien a ainsi produit de façon volontariste 12 000 logements par an depuis dix ans. Oui, nos maires sont tous des bâtisseurs !
De son côté, l’État s’était engagé à construire des infrastructures de mobilité : des routes, des parkings de rabattement, le Grand Paris Express, la ligne Eole pour la partie ouest. Où sont les promesses de l’État ?
Les infrastructures de mobilité sont tellement saturées qu’un léger dysfonctionnement fait basculer en enfer la matinée de millions de travailleurs pendulaires. La semaine dernière est emblématique : A 13 fermée car inondée ; gare Saint-Lazare en total black-out ; RER A en panne ; RER B déraillé ; grèves de la SNCF…
Mais cette situation est en réalité notre quotidien : un simple accrochage sur l’autoroute ou un incident voyageur débouche sur une thrombose généralisée. Pourtant, nous devons continuer à construire, sans faiblir, sans solution de mobilité.
Alors, monsieur le Premier ministre, je ne vous rends naturellement pas coupable ou responsable de ce chaos. Mais vous incarnez l’État et êtes aujourd’hui comptable de ses engagements. Vous avez pris la décision de retarder la réalisation de grandes infrastructures de mobilité, alors allez jusqu’au bout et revoyez avec les élus le calendrier de leurs obligations à construire.
Je vous le demande sans esprit de polémique mais fermement, car ajouter la thrombose à la thrombose conduit à l’incompréhension, à la désespérance et peut-être à la révolte de nos concitoyens ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste. – M. Richard Yung applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Rachid Temal s’exclame également.)
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Mesdames, messieurs les sénateurs, madame la sénatrice Primas,…
M. Jean-François Husson. Sophie Primas !
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État. … je réponds au nom de mon collègue Jacques Mézard, qui ne peut malheureusement être ici aujourd’hui. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)
Permettez-moi de rappeler que ce gouvernement s’est donné les moyens à la fois financiers et opérationnels de rendre possible ce futur métro.
Un sénateur du groupe Les Républicains. Ils y croient !
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État. La confiance entre l’État et les collectivités, c’est se donner un calendrier qui soit réaliste et tenir les promesses, mais les tenir avec sincérité. (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)
Le Premier ministre a confirmé l’intégralité du tracé du Grand Paris Express : ce sont donc 200 kilomètres de lignes automatiques et soixante-huit gares qui vont doubler le maillage de l’actuel métro en Île-de-France, sans passer par Paris, et ainsi permettre de désenclaver de nombreux quartiers.
Le Gouvernement souhaite également s’assurer du financement de ce projet majeur. À ce titre, il a confié une mission au député Carrez pour stabiliser les recettes de la Société du Grand Paris, maître d’ouvrage des opérations.
M. Roger Karoutchi. C’est nous qui payons !
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État. Enfin, notre gouvernement a aussi pris le parti du réalisme en tenant compte des retards inéluctables dans le cours des opérations de construction. Ce réalisme participe de la confiance entre les parties. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)
Vous évoquez également la question du logement. Le Grand Paris Express est un acteur majeur de la transformation urbaine : il doit participer à la mutation des quartiers et à la production des logements en Île-de-France. Ainsi, ce sont 600 000 mètres carrés de bâti qui sont prévus ou à l’étude autour des gares.
Mais, pour autant, à date, seuls huit projets immobiliers liés directement aux gares étaient déjà attribués. De nombreux autres projets sont à l’étude (Mme Laure Darcos s’exclame.) et seront installés autour des infrastructures que nous bâtissons.
M. Philippe Dallier. Et tout le reste ?
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État. Comme je vous le disais en introduction, madame la sénatrice, le recalage du calendrier n’implique aucun abandon de desserte de métro. De la même manière, les projets de logements accompagneront ce nouveau calendrier. (Applaudissements sur quelques travées du groupe La République En Marche.)
M. François Bonhomme. Ce n’est pas la bonne fiche !
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, pour la réplique.
Mme Sophie Primas. Madame la Première ministre (Rires.), je vous remercie de cette réponse, qui montre le mépris que vous avez pour les élus locaux. Vous répondez totalement à côté de la question ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)
représentation parlementaire ultramarine
M. le président. La parole est à Mme Lana Tetuanui, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme Lana Tetuanui. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ‘ia ora na !
Monsieur le Premier ministre, consultée le 7 juin, l’Assemblée de Polynésie française a émis à l’unanimité des courants politiques un avis défavorable sur le futur volet organique et ordinaire de la réforme des institutions.
D’une part, la réduction du nombre de parlementaires a été jugée inefficiente en Polynésie du fait de notre configuration géographique ; d’autre part, la limitation dans le temps de l’exercice des fonctions exécutives locales réservée aux communes de plus de 9 000 habitants a été considérée comme une restriction qualifiée d’entrave à l’exercice de notre démocratie locale.
Il s’agit, à mon sens, et je pèse mes mots, d’une régression, voire d’un muselage démocratique. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Et que dire de nos frères calédoniens ?
Votre projet de réforme passe mal, car nos collectivités présentent des particularités qui n’existent ni en France métropolitaine ni dans les DOM, et parce que le droit permet une adaptation des dispositions législatives et réglementaires précisément pour prendre en compte nos spécificités. Étant donné leur situation géographique, la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie ne peuvent se réduire uniquement à des considérations d’ordre démographique !
Je tiens à rappeler les enjeux géopolitiques stratégiques de la zone Pacifique, que le Président de la République a bien voulu signifier lors de son dernier passage en Australie et en Nouvelle-Calédonie, qualifiant la France de grande puissance de l’Indo-Pacifique à travers ses collectivités ultramarines, où la représentation nationale doit être privilégiée et consolidée dans l’intérêt de notre nation.
Ainsi, pourriez-vous me rassurer sur la prise en compte de nos spécificités géographiques, afin de représenter au mieux les intérêts de la République française dans notre région du Pacifique ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des outre-mer.
Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, madame la sénatrice, la prise en compte des particularités de chaque territoire d’outre-mer est une priorité du Gouvernement. (Marques d’ironie sur diverses travées.)
C’est le sens du droit à la différenciation voulue par le Président de la République, c’est le sens de la révision de l’article 73 de la Constitution proposée par le Gouvernement, c’est le sens de l’accompagnement des évolutions statutaires souhaitées par plusieurs territoires et par le ministère des outre-mer, et la Polynésie française est concernée. Tous ces éléments seront rappelés dans le livre bleu des outre-mer, qui sera rendu public jeudi.
Mais certains principes, certains engagements politiques ne peuvent faire l’objet de dérogations territoriales, parce que cela aboutirait tout simplement à les remettre en cause.
M. Pierre-Yves Collombat. Nous y voilà !
Mme Annick Girardin, ministre. Les contraintes spécifiques, madame la sénatrice de la Polynésie française, sont prises en considération dans l’ensemble des politiques publiques.
Un sénateur du groupe Les Républicains. Ah bon ?
Mme Annick Girardin, ministre. Le Premier ministre l’a rappelé il y a quelques jours, par exemple en confirmant l’engagement fort du Gouvernement pour la santé des Polynésiennes et des Polynésiens. Il l’a aussi rappelé en évoquant un signe fort qui vient d’être donné en faveur du développement du numérique, qui est une réponse particulièrement adaptée à l’étendue de votre territoire.
Mme Lana Tetuanui. Cela n’a rien à voir !
Mme Éliane Assassi. Répondez à la question !
Mme Annick Girardin, ministre. Nous nous attachons, et vous le savez, avec le Pays, avec les parlementaires, à entretenir un dialogue de confiance (Mme Lana Tetuanui est dubitative.), un dialogue constant.
Mme Éliane Assassi. Blablabla…
Mme Annick Girardin, ministre. Mais l’engagement du Président de la République pour une démocratie représentative, efficace et responsable concerne l’ensemble des parlementaires, dont le nombre diminuera dans chaque assemblée de 30 %.
M. Roger Karoutchi. Le texte n’est pas encore voté !
Mme Annick Girardin, ministre. S’il est mis en œuvre partout, le projet de loi contient des garanties permettant une représentation juste des territoires. D’ailleurs, il sera bien sûr contrôlé par le juge constitutionnel.
Ainsi, le projet de loi assure un socle minimal d’un député et d’un sénateur… (Marques d’ironie sur diverses travées.)
M. Philippe Dallier. Génial…
Mme Annick Girardin, ministre. … pour chaque département ou collectivité territoriale relevant des articles 73 ou 74 de la Constitution. (Mme Éliane Assassi s’exclame.)
En outre, les critères de redécoupage de 2009 sont repris et même renforcés.
M. le président. Il faut conclure.
Mme Annick Girardin, ministre. Madame la sénatrice, parce que les Français en ont exprimé la volonté, une modernisation de nos institutions et de nos pratiques politiques sera faite sur tout le territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)
suppression de l’« exit tax »
M. le président. La parole est à Mme Mireille Jouve, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme Mireille Jouve. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s’adresse à M. le ministre de l’action et des comptes publics.
Monsieur le ministre, le 1er mai dernier, le Président de la République a annoncé la suppression prochaine de l’exit tax.
Celle-ci cible depuis 2012 les contribuables qui seraient tentés de s’exiler fiscalement afin de vendre leur société ou leurs participations sans s’acquitter d’un impôt sur la plus-value.
Les personnes détenant au moins 50 % d’une société ou 800 000 euros de titres et se domiciliant fiscalement hors de France sont visées. Quinze années après leur départ, elles ne seront plus assujetties à la taxe. Avant cette échéance, la valeur prise par leur patrimoine entre son acquisition et leur départ de l’Hexagone fera l’objet d’une imposition en cas de cession.
Le Président de la République, pour justifier son choix, a notamment mis en avant le faible rendement de l’impôt. Mais l’exit tax est un impôt dissuasif. Et si son rendement est faible, c’est justement parce qu’il remplit son objectif !
Le coût « véritable » de l’extinction de cette taxe – le manque à gagner pour l’État en cas de cession à l’étranger – serait de 2,5 milliards d’euros selon le Gouvernement. Ce chiffre a été revu fortement à la hausse la semaine passée par le responsable de la direction de la législation fiscale, qui l’estime désormais à 6 milliards d’euros.
Monsieur le ministre, la suppression de l’exit tax ne nous paraît pas souhaitable. Il s’agit de l’une des rares barrières mise en œuvre pour limiter l’optimisation fiscale. Sa suppression pourrait engendrer un appel d’air de départs à l’étranger pour vente de titres, dont les conséquences pourraient être beaucoup plus coûteuses pour l’État que les chiffres évoqués précédemment.
Le chef de l’État a déclaré qu’il était « pour l’idée de pouvoir se marier et d’être libre de divorcer ». Mais, monsieur le ministre, un entrepreneur doit aussi juger la réussite de son entreprise à l’aune de l’environnement économique et social que lui offre son pays.
Nos compatriotes ne sauraient concevoir que le profit qui découle en partie de cet environnement puisse échapper ainsi à la solidarité nationale.
Monsieur le ministre, comptez-vous toujours supprimer l’exit tax à compter de l’année prochaine ? (Applaudissements sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.
M. Christophe Castaner, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Mesdames, messieurs les sénateurs, madame la sénatrice Mireille Jouve, l’exit tax, c’est le génie français pour créer de la fiscalité, pour créer des barrières dont on oublie quelquefois que, parce qu’elles sont ouvertes, elles ne fonctionnent pas. (Mme Hélène Conway-Mouret s’exclame.)
L’exit tax consiste à faire payer à un entrepreneur qui s’installe à l’étranger un impôt sur les plus-values qu’il pourrait faire, si jamais il vendait les parts de son entreprise une fois expatrié.
Quel est le résultat ? Depuis 2011, vous l’avez dit, cette taxe a rapporté en moyenne 25 millions d’euros. On pourrait se dire que c’est déjà bien, mais, vous le savez, à l’échelle de notre économie ce montant est relativement marginal.
M. Pierre-Yves Collombat. On vous le rappellera !
M. Christophe Castaner, secrétaire d’État. Et surtout l’exit tax n’a servi à rien. On pourrait même penser qu’elle a été incitative puisque trois fois plus de chefs d’entreprise se sont expatriés à l’étranger.
On peut donc aujourd’hui penser que c’est un dogme, un sujet politique. Mais la réalité, c’est de l’attractivité de la France. Je voudrais vous rassurer tout de suite : il n’y a aucune raison qu’une taxe qui a rapporté en moyenne 23 millions d’euros puisse faire perdre demain 6 milliards d’euros, comme l’illustreraient certains chiffres très fantaisistes qui ont pu être évoqués.
Cette taxe rapporte peu, mais combien coûte-t-elle en étant un frein à l’attractivité de notre économie nationale ? C’est cela qu’il faut avoir en tête.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Vous donnez de l’argent aux riches, mais ils ne viennent pas !
M. Christophe Castaner, secrétaire d’État. On peut penser que taxer ceux qui pourraient éventuellement venir en France et leur annoncer cette nouvelle avant même leur arrivée dans notre pays constituera un élément d’attractivité… Pour ma part, je ne le crois pas.
Ce que je peux noter, mesdames, messieurs les sénateurs, madame la sénatrice, c’est que l’attractivité de la France a fait que, l’année dernière, nous avons progressé de 31 %, contre 6 % en Allemagne et 6 % au Royaume-Uni.
Ces 31 % correspondent à des projets concrets : ce sont 1 019 projets d’installations nouvelles, dont 323 dans l’industrie, 59 implantations de nouveaux sièges sociaux en France et 53 % d’augmentation des implantations de centres de recherche & développement.
Madame la sénatrice, et je sais que c’est aussi le sens de votre question et de votre démarche, valoriser la France et tout faire pour renforcer son attractivité, c’est conforter nos emplois, nos économies, nos prélèvements sociaux et nos prélèvements fiscaux pour conforter nos caisses ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – MM. Louis-Jean de Nicolaÿ et Philippe Dominati, ainsi que Mme Céline Boulay-Espéronnier applaudissent également.)
privatisations
M. le président. La parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Gilbert-Luc Devinaz. Ma question s’adresse au ministre de l’économie et des finances, et rejoint celle qu’a posée notre collègue Anne-Catherine Loisier. Elle concerne les privatisations du projet de loi PACTE. Je le dis d’emblée : je n’ai pas, et le groupe auquel j’appartiens non plus, d’opposition dogmatique à la privatisation. Je m’interroge davantage sur les arguments que vous avancez pour justifier ces cessions d’actifs.
Par rapport à cela, j’ai trois interrogations.
La première porte sur l’efficacité du privé par rapport au public. Les expériences en matière de privatisation des autoroutes me laissent sceptique sur ce point. En Allemagne, pays qui nous sert souvent de référence, le plus grand aéroport, celui de Francfort, est majoritairement détenu par la région et la ville. Est-il moins efficace ? Je ne le pense pas.
La deuxième interrogation concerne le renforcement du rôle de l’État régulateur. Il paraît incongru de vouloir renforcer la régulation de l’État dans une entreprise en vendant ses parts. Vous évoquez le maintien de garanties. Mais quelle meilleure garantie que d’être actionnaire majoritaire ?
Enfin, la troisième interrogation est relative au financement de l’innovation. À cet égard, nous sommes tous d’accord sur la nécessité d’un tel financement. Mais, dans ce cas, pourquoi ne pas privilégier un investissement direct ? Pourquoi créer un fonds qui va rapporter moins que les dividendes actuels des entreprises visées ne rapportent à l’État ?
Ma question est simple : quels sont les objectifs réels de ces privatisations ? (Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement.
M. Benjamin Griveaux, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Gilbert-Luc Devinaz, j’ai eu l’occasion de répondre partiellement dans la question précédente à vos différentes interrogations.
Un bon actionnaire est un actionnaire qui sait se départir de ses habitudes. Une habitude pour un actionnaire est toujours une bien mauvaise chose. Croyez-moi, l’État, parfois par habitude, parfois par paresse, parfois par fainéantise (Exclamations sur des travées du groupe socialiste et républicain.), n’a jamais réinterrogé son actionnariat.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Ce n’est pas vrai !
M. Benjamin Griveaux, secrétaire d’État. L’objectif est donc, par ce projet de loi PACTE, de s’interroger sur les secteurs stratégiques et le rôle de l’État. Je réponds en cela à vos interrogations légitimes : il n’est pas forcément utile d’être actionnaire d’une entreprise pour la réguler. Sinon, un grand nombre de secteurs dans lesquels l’État n’est pas actionnaire seraient mal régulés ; or, ce n’est pas le cas. On peut réguler sans être actionnaire, et on peut aussi renforcer les organismes de régulation sans être forcément actionnaire.
Les objectifs que nous visons, et je répondrai ainsi à votre interrogation sur le fonds pour l’innovation de rupture, sont en réalité doubles. Le Premier ministre en a donné les deux grandes pistes.
La première, c’est que sur les 200 millions à 300 millions d’euros de revenus par an produits par le placement de 10 milliards d’euros, une première enveloppe correspondant environ à un tiers des revenus sera consacrée au financement par Bpifrance de start-up. J’en ai assez de voir que figurent au fronton du CAC 40 français les mêmes entreprises depuis quarante ou cinquante ans quand, dans d’autres pays – je pense en particulier aux États-Unis –, l’essentiel des entreprises, et les plus grandes d’entre elles, n’existaient pas il y a quinze ans. Il est sain pour une économie de pouvoir faire émerger des jeunes entreprises.
La seconde piste, qui représente la deuxième partie de l’enveloppe pour les deux tiers restants des revenus, est celle des grands défis thématiques.
M. le président. Il faut conclure.
M. Benjamin Griveaux, secrétaire d’État. Je pense notamment à la question de l’intelligence artificielle, à laquelle nous consacrerons 100 millions d’euros sur trois ans, et à celle des nanotechnologies électroniques.
Vous le constatez, nous avons un plan clair pour l’utilisation de l’argent qui vient d’entreprises publiques. (Bravo ! et applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz, pour la réplique.
M. Gilbert-Luc Devinaz. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse, dont la clarté ne me paraît pas évidente. Elle me fait penser plutôt à l’image d’un calamar en fuite ! (Sourires.)
Je ne comprends pas pourquoi créer un fonds qui rapportera 200 millions à 300 millions d’euros par an en vendant des choses qui vous ont rapporté 712 millions en 2017 !
Je me demande si l’objectif n’est pas plus simple : quand un gouvernement diminue les recettes de l’État et augmente les dépenses par des promesses non budgétisées,…
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Gilbert-Luc Devinaz. … il faut, à un moment donné, trouver des fonds. Ne serait-ce pas là le simple objectif de la cession de ces actions ? (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
pensions de réversion
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. René-Paul Savary. Ma question s’adresse à Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé.
Madame la ministre, le Président de la République a précisé dans son discours tenu devant les membres de la Mutualité sa vision de la société en termes de solidarité nationale.
En revanche, il n’a pas explicité sa politique familiale. Pourtant, la famille est au cœur d’une réforme sociétale qui se prépare : la réforme des retraites, dont je dois être le rapporteur.
Toutes les générations sont concernées : les enfants au travers de la natalité, qui, faut-il le rappeler, baisse, les actifs par leurs cotisations et, bien sûr, les personnes âgées via leur niveau de vie.
Une question transgénérationnelle n’est pas précisée, celle de la pension de réversion, qui a été remise en cause dans certains pays, telle la Suède.
Madame la ministre, ma question porte sur les pensions de réversion, symbole de la solidarité familiale affichée dans le régime actuel par répartition à prestations définies, mais qui pourraient être remises en cause dans une réforme future, par un régime par points, donc à cotisations définies, plus contributif que redistributif.
Que compte faire le Gouvernement pour que les pensions de réversion restent un enjeu de solidarité familiale au travers de la réforme systémique ? (Bravo ! et applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mmes Michèle Vullien et Élisabeth Doineau, ainsi que M. Pierre Louault applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Savary, le dispositif de réversion dont vous venez d’évoquer l’enjeu est un sujet de débat, parmi tant d’autres, dans le cadre de la concertation préalable à la réforme systémique des retraites. Il est notamment débattu sur la plateforme en ligne, à laquelle tous les citoyens peuvent évidemment contribuer. Celle-ci a été lancée à la fin du mois de mai dernier, compte déjà plus de 100 000 votants et a recueilli plus de 17 000 contributions.
Vous le savez, il existe aujourd’hui 42 régimes de retraite différents, chacun ayant ses propres règles. Ces différences s’appliquent notamment aux pensions de réversion, dont les paramètres ne sont pas du tout les mêmes selon les régimes.
Il est donc nécessaire de remettre à plat cette diversité de règles qui conduit aujourd’hui à de grandes injustices entre les Français, lesquels auront droit à des pensions différentes alors qu’ils sont confrontés au même drame, le décès de leur conjoint.
À ces injustices s’ajoute une complexité importante : lorsque le conjoint décédé a été affilié à plusieurs régimes de retraite, chaque régime à son propre calcul et ses propres critères d’attribution, et le conjoint survivant doit engager des démarches souvent très longues et compliquées. Le résultat, en termes de montant perçu, peut varier considérablement d’un régime à l’autre.
L’objectif de la concertation avec l’ensemble des partenaires sociaux, telle qu’elle est menée par Jean-Paul Delevoye, est donc de refonder notre système de retraite en étudiant chaque dispositif, non pas pour les supprimer, mais pour les harmoniser.
Je terminerai en insistant sur deux points.
La future réforme ne touchera pas les pensions déjà liquidées, bien entendu, et les personnes qui reçoivent déjà une pension de réversion ne verront aucun changement.
Il n’est pas du tout non plus question de supprimer les pensions de réversion. Il s’agit simplement de repenser un dispositif pour qu’il soit plus juste, plus universel.
La part de la solidarité restera la même dans la future réforme. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – MM. Jean-Claude Requier et Didier Guillaume, ainsi que Mme Michèle Vullien applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour la réplique.
M. René-Paul Savary. Je vous remercie, madame la ministre, mais vous n’avez pas tout à fait répondu à ma question.
La réversion est véritablement une marque de la politique familiale, sur laquelle on juge un gouvernement. Cette politique familiale est trop souvent mise à mal et considérée comme une variable d’ajustement budgétaire ou fiscale.
Pourtant, c’est bien le renouvellement des générations qui permettra de trouver un équilibre pour la réforme des retraites.
N’oublions pas l’avertissement du général de Gaulle : sans le renouvellement des générations, la France ne serait plus « qu’une grande lumière qui s’éteint ». (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Élisabeth Doineau et M. Jean-Claude Luche applaudissent également.)
politique économique
M. le président. La parole est à M. Michel Vaspart, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Michel Vaspart. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s’adresse à M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances.
Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Il n’est pas là !
M. Michel Vaspart. L’année 2017 aura vu une hausse de notre PIB de 2,3 %. C’est, pour la France, la plus forte croissance depuis 2007. Toutefois, ce taux, qui semble magnifique pour une économie qui n’a pas dépassé 2 % par an depuis dix ans, fait pâle figure au regard de la situation dans les autres pays.
Monsieur le ministre, la France est à la traîne ! Sa croissance est médiocre et entravée par de multiples liens, impôts, taxes, surtranspositions de directives européennes, normes et excès de règlements, par l’incapacité de l’État à se réformer en profondeur et la réorganisation des collectivités locales, qui n’engendrent nullement des économies, mais entraînent des hausses, sans forcément apporter de services supplémentaires.
Pour 2018, vous avez basé votre budget sur une croissance du PIB de 2 %. L’INSEE vient de baisser à 1,7 % la prévision de croissance. La consommation des ménages est faible, voire atone, le prix du pétrole remonte fortement, le contexte international se tend et nous attendons encore les réformes de fond.
Monsieur le ministre, que comptez-vous faire pour créer enfin dans notre pays un véritable choc de compétitivité de la France et en faire un véritable moteur, au service de nos concitoyens ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Claude Luche applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.
M. Christophe Castaner, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Vaspart, j’espérais que mon intervention précédente aurait répondu à vos interrogations : j’ai évoqué quelques indicateurs montrant que l’attractivité de la France retrouvait aujourd’hui des lumières.
Nous partageons un constat commun : cela ne suffit pas.
Cela ne suffit pas, parce que l’attractivité de la France est nécessaire. Son développement l’est tout autant.
Je crois que la politique économique que nous conduisons permet justement d’accompagner ce redressement que vous appelez et que nous appelons de nos vœux.
Je veux vous dire combien Bruno Le Maire, qui est en ce moment même présent à Bruxelles pour préparer, dans le cadre de l’Eurogroupe, le Conseil européen des 28 et 29 juin prochains, porte cette politique, que je caractériserai par quatre mots : ambition, équité, stabilité et persévérance – je vous ai déjà donné quelques éléments concernant les résultats.
Ambition : c’est parce que nous savons que notre pays a besoin de réformes en profondeur que nous menons ces réformes et que nous cherchons systématiquement à débloquer les vrais verrous, en cessant de nous demander si les mesures nécessaires sont de droite ou de gauche, dès lors qu’elles peuvent être efficaces aujourd’hui.
Pour définir nos politiques, nous partons tout simplement du constat. Nous l’avons fait sur le droit du travail, nous le poursuivons aujourd’hui et vous allez y travailler dans peu de temps sur la réforme de l’apprentissage et de la formation professionnelle, dont on sait que ce sont des clefs.
Nous devons libérer le travail, libérer l’embauche. C’est nécessaire à la fois pour les employés, mais aussi pour les entreprises.
Équité : il nous faut effectivement, dans nos réformes fiscales, contribuer à concilier un certain nombre de mesures qui confortent l’attractivité. Nous avons parlé de l’exit tax, et je pourrais parler de la réforme de l’ISF. Nous présenterons, dans le cadre de la loi PACTE, des mesures visant elles aussi à libérer et à protéger les salariés.
Nous devons surtout agir dans la stabilité et la persévérance, parce que notre politique économique ne portera ses fruits que si elle va jusqu’au bout, notamment concernant la libération de notre potentiel de croissance.
Vous vous inquiétez, monsieur le sénateur, du taux de 1,7 %. Cet objectif est déjà ambitieux, mais l’objectif de 2 % est réaliste. En effet, l’année dernière, alors que, au même mois, nous étions sur un objectif de 1,7 %, nous avons atteint 2 %. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)
M. Philippe Dallier. Restons prudents !
M. le président. La parole est à M. Michel Vaspart, pour la réplique.
M. Michel Vaspart. Je n’ai pas complètement obtenu de réponse à ma question.
Je crois qu’il est absolument nécessaire de libérer véritablement et de simplifier.
M. François Patriat. C’est déjà ce que fait le Gouvernement !
M. Michel Vaspart. Les entreprises l’attendent depuis maintenant très longtemps ! Il faut impérativement changer de braquet.
Avec une croissance soutenue, les coupes à effectuer étaient lourdes mais supportables : 10 milliards d’euros à trouver chaque année. Or, si les prévisions sont exactes, ce sont 15 milliards d’euros qu’il faudra désormais retrancher.
Monsieur le secrétaire d’État, j’ai l’impression d’un nouveau rendez-vous manqué ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu mardi 26 juin, à seize heures quarante-cinq.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de M. Vincent Delahaye.)
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
5
Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire
M. le président. Mes chers collègues, monsieur le ministre d’État, j’ai le plaisir de saluer, dans la tribune d’honneur du Sénat, une délégation de parlementaires et de fonctionnaires de la commission des lois de l’Assemblée nationale du Koweït, conduite par son président, M. Mohammed Hussein Al Dallal. Ils sont accompagnés par notre collègue Dany Wattebled, président délégué du groupe d’amitié pour le Koweït. (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent, ainsi que M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur.)
Arrivée lundi, la délégation a rencontré, hier, notre collègue Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, pour échanger sur la question des fausses informations ou fake news.
Les députés se sont également entretenus avec plusieurs membres du groupe d’amitié France-Pays du Golfe.
Le Sénat français entretient d’excellentes relations avec l’Assemblée nationale du Koweït. Cette visite contribue à les conforter. Dans ce contexte d’intensification de notre coopération interparlementaire, une délégation du groupe d’amitié a d’ailleurs prévu de se rendre au Koweït à l’automne.
Mes chers collègues, en votre nom à tous, permettez-moi de souhaiter à nos homologues de l’Assemblée nationale du Koweït la plus cordiale bienvenue et un fructueux séjour. (Mmes et MM. les sénateurs applaudissent, ainsi que M. le ministre d’État.)
6
Immigration, droit d’asile et intégration
Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie.
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour un rappel au règlement.
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, l’article 51 de notre règlement permet de demander la vérification du quorum.
Depuis deux jours, nos débats ont été fortement ralentis par un certain nombre de scrutins publics, organisés à la demande de la commission pour faire passer le texte tel qu’elle le souhaite, compte tenu de la faible représentation numérique de certains groupes dans cet hémicycle.
Ces procédures de vote prennent du temps. Alors que notre groupe essaie de mettre l’accent sur l’ensemble des points du projet de loi qui posent problème, nous ne pouvons pas imaginer que, dans le même temps, M. le président de la commission des lois nous appelle à accélérer le rythme de nos débats.
Je veux donc inciter la majorité sénatoriale à se mobiliser aujourd’hui et demain, de manière à éviter l’organisation de scrutins publics. Ainsi, nous n’aurons pas à demander la vérification du quorum d’ici à la fin de la discussion du texte !
M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
Dans la discussion du texte de la commission, nous poursuivons, au sein du chapitre III du titre Ier, l’examen de l’article 9.
TITRE Ier (suite)
ACCÉLÉRER LE TRAITEMENT DES DEMANDES D’ASILE ET AMÉLIORER LES CONDITIONS D’ACCUEIL
Chapitre III (suite)
L’accès à la procédure et les conditions d’accueil des demandeurs d’asile
Article 9 (suite)
M. le président. Je suis saisi de seize amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 386 rectifié, présenté par MM. Retailleau, Allizard, Babary et Bazin, Mme A.M. Bertrand, MM. Bizet, Bonhomme et Bonne, Mme Bories, MM. Bouchet, J.M. Boyer et Brisson, Mme Bruguière, MM. Calvet et Cardoux, Mme Chain-Larché, MM. Charon, Courtial, Cuypers et Danesi, Mmes Delmont-Koropoulis, Deroche, Deromedi, Deseyne, Dumas, Duranton et Estrosi Sassone, M. Frassa, Mme F. Gerbaud, MM. Ginesta et Gremillet, Mme Gruny, M. Guené, Mme Imbert, M. Kennel, Mmes Lamure, Lanfranchi Dorgal et Lassarade, MM. Laufoaulu, D. Laurent, de Legge, Le Gleut, Leleux et H. Leroy, Mme Lopez, MM. Mandelli et Mayet, Mmes Micouleau et Morhet-Richaud, MM. Morisset, de Nicolaÿ, Paccaud, Paul, Piednoir, Pierre et Pointereau, Mme Puissat, MM. Revet, Saury, Savary, Savin, Schmitz, Sido et Sol, Mmes Thomas et Troendlé et M. Vogel, est ainsi libellé :
I. – Alinéas 6 à 15
Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :
1° L’article L. 744-2 est abrogé ;
II. – Après l’alinéa 15
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° Au premier alinéa de l’article L. 744-3, les mots : « , sur la base du schéma national d’accueil des demandeurs d’asile et, le cas échéant, du schéma régional prévus à l’article L. 744-2 et » sont supprimés ;
III. – Après l’alinéa 18
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° À la dernière phrase du dernier alinéa du même article L. 744-3 et à la dernière phrase du dernier alinéa de l’article L. 744-4, les mots : « qui y ont été orientées » sont supprimés ;
IV. – Alinéas 26 à 33
Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :
4° L’article L. 744-7 est abrogé ;
V. – Alinéa 36
Supprimer les mots :
, mentionnés à l’article L. 744-7,
La parole est à Mme Marie-Thérèse Bruguière.
Mme Marie-Thérèse Bruguière. Les auteurs de cet amendement ne souhaitent pas que l’orientation des demandeurs d’asile soit directive, imposée aux collectivités territoriales, sans concertation comme le prévoit le Gouvernement.
M. le président. L’amendement n° 157 rectifié, présenté par MM. Meurant et H. Leroy, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Compléter cet alinéa par les mots :
en fonction des capacités d’accueil des collectivités territoriales concernées qui peuvent, après étude, présenter un refus motivé si elles estiment déraisonnable pour la collectivité d’accueillir des demandeurs d’asile, ou contraire à l’intérêt de ces derniers de s’installer dans cette collectivité
La parole est à M. Sébastien Meurant.
M. Sébastien Meurant. Nous souhaitons compléter l’alinéa 7 de l’article 9 pour permettre aux collectivités de motiver leur refus en cas d’impossibilité pour elles d’accueillir des demandeurs d’asile.
Mes chers collègues, vous le savez tous, les collectivités sont largement impactées par les baisses de fonctionnement – nous les avons évoquées voilà quelques instants dans cet hémicycle.
Nous voudrions qu’elles puissent expliquer concrètement qu’elles n’ont pas les capacités financières d’absorber les nouvelles dépenses qu’occasionnerait l’accueil de personnes qui leur serait imposé.
Bien sûr, cette situation concerne avant tout les départements. Nous avons été nombreux à nous rendre dans les départements. Je pense notamment à un déplacement que nous avons effectué dans les Hautes-Alpes, département de 140 000 habitants où le nombre de mineurs non accompagnés est passé de 25 en 2015 à 1 300 en 2017. Vous imaginez bien que ce département a été dans l’incapacité financière et organisationnelle d’accueillir un tel afflux de population. J’ai parlé des Hautes-Alpes, mais nous pourrions évoquer le cas de très nombreux autres départements.
M. le président. L’amendement n° 357 rectifié bis, présenté par Mme S. Robert, M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 7
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…) Le premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigé : « Il fait l’objet d’une révision au moins tous les trois ans. » ;
La parole est à Mme Sylvie Robert.
Mme Sylvie Robert. En 2014–2015, au plus fort de l’afflux des demandeurs d’asile, nos capacités d’accueil ont été questionnées.
C’est dans ce contexte que la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile a apporté une réponse vraiment salutaire, en créant un schéma national d’accueil des demandeurs d’asile, afin de fixer la répartition des places d’hébergement destinées aux demandeurs sur le territoire national.
À travers ce schéma national se déclinent des schémas régionaux. En effet, l’objectif est double : d’une part, accueillir et héberger dignement les demandeurs d’asile, conformément aux obligations internationales qui nous incombent ainsi qu’à notre tradition républicaine ; d’autre part, répartir équitablement les demandeurs sur l’ensemble du pays, pour éviter que certains territoires, notamment les métropoles, ne soient confrontés à des difficultés d’accueil.
En d’autres termes, ce schéma est aussi un mécanisme de solidarité nationale entre les territoires. Comment ne pas y être favorable quand, parallèlement, une plus grande solidarité est prônée à l’échelle européenne ?
Cependant, l’histoire récente nous apprend que les flux migratoires peuvent varier, et ce sur une période très brève. L’avenir prochain nous fait penser que le nombre de déplacés et de réfugiés, en particulier pour des raisons environnementales, va croître de manière exponentielle.
Par conséquent, tout système d’accueil efficace doit faire preuve de souplesse et, surtout, être capable de s’adapter aux éventuels changements d’échelle. De fait, adapter le schéma national et les schémas régionaux qui en résulteront, c’est aussi aider les élus locaux qui gèrent au quotidien les demandeurs d’asile et les différents problèmes que ceux-ci peuvent avoir à affronter, singulièrement avec l’administration.
Nous ne pouvons les laisser seuls avec ces structures, car c’est tout simplement dépassé eu égard à l’ampleur d’une situation donnée.
Je vous propose donc, mes chers collègues, de prévoir une clause de révision du schéma national d’accueil, afin que les schémas régionaux permettent d’anticiper ces variations, de manière à flexibiliser le système et aider les élus locaux.
M. le président. L’amendement n° 387 rectifié, présenté par MM. Retailleau, Allizard, Babary et Bazin, Mmes Berthet et A.M. Bertrand, M. Bizet, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Bonhomme et Bonne, Mme Bories, MM. Bouchet, J.M. Boyer et Brisson, Mme Bruguière, M. Calvet, Mme Canayer, M. Cardoux, Mme Chain-Larché, MM. Charon, Chatillon, Courtial, Cuypers et Danesi, Mmes Delmont-Koropoulis, Deroche, Deromedi, Deseyne, Dumas, Duranton et Estrosi Sassone, M. Frassa, Mme F. Gerbaud, MM. Gilles, Ginesta et Gremillet, Mme Gruny, MM. Guené et Huré, Mme Imbert, MM. Joyandet et Kennel, Mmes Lamure, Lanfranchi Dorgal et Lassarade, MM. Laufoaulu et D. Laurent, Mme Lavarde, MM. de Legge, Le Gleut, Leleux et H. Leroy, Mmes Lherbier, Lopez et Malet, MM. Mandelli et Mayet, Mme Micouleau, M. Milon, Mme Morhet-Richaud, MM. Morisset, de Nicolaÿ, Paccaud, Paul, Pemezec, Piednoir, Pierre, Pointereau et Priou, Mme Puissat, MM. Rapin, Revet, Saury, Savary, Savin, Schmitz, Sido et Sol, Mmes Thomas et Troendlé et M. Vogel, est ainsi libellé :
Alinéa 8
Avant les mots :
d’une commission
insérer le mot :
conforme
La parole est à M. François Bonhomme.
M. François Bonhomme. Au travers de cet amendement, nous souhaitons que les collectivités territoriales soient en mesure de donner leur avis pour accueillir des demandeurs d’asile, en raison notamment des capacités d’accueil.
M. le président. L’amendement n° 235 rectifié bis, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 9, dernière phrase
Supprimer cette phrase.
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Cet amendement est défendu, monsieur le président.
M. le président. Les deux amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 122 rectifié est présenté par Mmes Benbassa et Assassi, M. Bocquet, Mmes Brulin, Cohen et Cukierman, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud et MM. Savoldelli et Watrin.
L’amendement n° 236 rectifié bis est présenté par Mme Rossignol, M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage et S. Robert, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’alinéa 9
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
…) Après le deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le schéma régional prend en compte les vulnérabilités particulières des demandeurs et prévoit des places d’hébergement en non-mixité pour les femmes isolées, les mineures et les cheffes de familles monoparentales dans les centres d’accueil pour demandeurs d’asile mentionnés à l’article L. 348-1 du code de l’action sociale et des familles. » ;
La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 122 rectifié.
Mme Esther Benbassa. L’article 9 contient notamment des dispositions relatives au placement des exilés au sein des centres d’accueil pour demandeurs d’asile, les CADA, structures qui permettent aux demandeurs d’asile de bénéficier d’un lieu d’accueil pour toute la durée de l’étude de leur dossier de demande de statut.
Cet article prévoit leur hébergement, ainsi qu’un suivi administratif, avec un accompagnement tout au long de la procédure, un suivi social – accès aux soins, scolarisation des enfants… – et une aide financière alimentaire.
Les CADA sont des structures nécessaires, et nous remercions évidemment les associations qui, la plupart du temps, en assurent la gestion.
Au cours des auditions menées par le groupe CRCE préalablement à l’étude du projet de loi, de nombreuses associations de défense des droits des femmes nous ont alertés sur la condition des demandeuses d’asile, majeures et mineures, dans les centres.
Deux problèmes majeurs ont été soulevés.
Premièrement, les femmes représentent plus de 30 % des demandeurs d’asile, mais les centres d’accueil ne disposent pas de 30 % de places pour les femmes.
Le second problème relevé est le traitement moral et physique réservé aux femmes dans les centres mixtes.
Pour pallier ces difficultés, le présent amendement vise à reconnaître et à prendre en compte la spécificité du genre féminin des demandeuses d’asile et à assurer ainsi leur sécurité au sein des CADA, en prévoyant des places d’hébergement qui leur seraient spécifiques. (Mme Laurence Cohen applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour présenter l’amendement n° 236 rectifié bis.
Mme Laurence Rossignol. Monsieur le ministre d’État, j’imagine que, pour préparer ce projet de loi, vous avez lu le rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes sur la situation des femmes demandeuses d’asile en France après l’adoption de la loi portant réforme du droit d’asile, et que vous avez pu corriger votre texte en fonction des éléments qui y sont mentionnés.
Le présent amendement vise à réserver des places d’hébergement spécifiques pour les femmes dans les CADA.
Vous savez sans doute que les migrants sont presque tous des personnes vulnérables. Cependant, dans cette vulnérabilité, il est une vulnérabilité spécifique, celle des femmes, en particulier des femmes migrantes, dont on peut dire qu’elles ont probablement presque toutes été victimes de viols ou de violences sexuelles dans leur parcours de migration. Ce sont donc des personnes encore plus fragiles que nous avons aujourd’hui à mettre à l’abri.
Or les CADA, où les femmes représentent entre 25 % et 30 % des personnes hébergées, ne garantissent pas, si ces structures sont mixtes, les conditions nécessaires à ce que ces femmes puissent se reconstruire.
C’est la raison pour laquelle l’amendement vise, comme celui qu’a présenté ma collègue voilà un instant, à réserver, dans les CADA, des places spécifiques en non-mixité pour les femmes isolées, ainsi que pour celles qui sont en situation de famille monoparentale.
Monsieur le ministre d’État, je ne doute pas que cet amendement retiendra votre attention et que vous ne pourrez qu’y être favorable.
M. le président. L’amendement n° 123 rectifié, présenté par Mmes Benbassa et Assassi, M. Bocquet, Mmes Brulin, Cohen et Cukierman, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud et MM. Savoldelli et Watrin, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 9
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…) Après le deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le schéma régional prend en compte les vulnérabilités particulières des demandeurs LGBTQI mineurs et majeurs et prévoit des places d’hébergement spécifiques pour les mineurs LGBTQI et les majeurs LGBTQI qui le souhaiteraient dans les centres d’accueil pour demandeurs d’asile mentionnés à l’article L. 348-1 du code de l’action sociale et des familles. » ;
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. De la même manière que nous avons auditionné des associations de défense des droits des femmes préalablement à l’examen du projet de loi qui nous occupe aujourd’hui, nous avons également eu l’occasion de dialoguer avec le milieu associatif LGBTI, qui a vu, ces dernières années, exploser le nombre de réfugiés LGBTI nécessitant leur soutien.
Au travers de cet amendement, qui a une tonalité proche de celle de l’amendement n° 122 rectifié, nous souhaitons que la spécificité des personnes LGBTI soit reconnue et prise en compte au sein des CADA.
Bien évidemment, tous les exilés sont aujourd’hui dans une situation de précarité déplorable. L’environnement de ceux qui ont fui leur pays d’origine du fait des persécutions qu’ils y subissaient au titre de leur orientation sexuelle mérite toutefois une attention toute particulière.
Il n’est pas acceptable que les personnes LGBTI, que notre commission nomme « personnes homosexuelles », subissent, dans les CADA, des persécutions et violences, tant morales que physiques, similaires à celles auxquelles elles ont été confrontées dans les États qu’elles ont fuis.
Le présent amendement tend ainsi à la création, au sein des CADA, de places d’hébergement spécifiques pour les personnes mineures et majeures LGBTI, afin que soit assurée leur sécurité, lorsque celle-ci n’est pas garantie.
M. le président. L’amendement n° 563 rectifié, présenté par Mme M. Carrère, M. Arnell, Mme Costes, MM. Artano, A. Bertrand, Castelli, Collin, Corbisez, Dantec, Gabouty, Gold et Guillaume, Mme Guillotin, M. Labbé, Mme Laborde et MM. Menonville, Requier et Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 12
Après la troisième occurrence du mot :
région
insérer les mots :
dans un lieu d’hébergement et d’accompagnement
La parole est à Mme Josiane Costes.
Mme Josiane Costes. Le projet de loi renforce le schéma directif de l’hébergement des demandeurs d’asile enregistrés.
Cet amendement a pour objet de préciser que l’orientation se fait vers un lieu d’hébergement et d’accompagnement.
En effet, France, des départements ont des capacités d’hébergement et des possibilités d’accompagnement – en particulier des départements en déprise démographique – et sont prêts à accueillir ces nouvelles populations dans de bonnes conditions et en leur assurant une intégration.
M. le président. L’amendement n° 420, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 12
Supprimer les mots :
dans laquelle un hébergement lui est proposé
II. - Alinéa 29, première phrase
Après les mots :
proposition d’hébergement
insérer les mots :
ou, le cas échéant, de la région d’orientation
III. - Alinéa 32
Remplacer les mots :
en application du
par les mots :
ou la région d’orientation mentionnés au
La parole est à M. le ministre d’État.
M. Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’intérieur. Cet amendement vise à rétablir les dispositions adoptées par l’Assemblée nationale sur l’orientation géographique directive des demandeurs d’asile.
Ce matin, M. Yvon Collin soulignait que les demandeurs d’asile étaient concentrés dans cinq régions. Organiser une meilleure répartition sur l’ensemble du territoire profitera non seulement aux départements concernés, mais aussi aux personnes qui vont être hébergées.
Comme Mme Costes vient de le rappeler, les communes d’un certain nombre de départements, aujourd’hui en déprise démographique, qui disposent de logements disponibles seraient prêtes à accueillir des demandeurs d’asile. Au travers de notre amendement, nous voulons leur en donner la possibilité.
Comme vous le savez, les demandeurs d’asile qui ne sont pas hébergés disposent d’un pécule. Cette somme pourrait leur permettre de louer des appartements ou d’être accueillis dans ces territoires, à moindre coût pour l’ensemble des finances publiques.
Je rappelle que l’alinéa g de l’article 2 de la directive Accueil précise qu’on entend par « conditions matérielles d’accueil, les conditions d’accueil comprenant le logement, la nourriture et l’habillement, fournis en nature ou sous forme d’allocation financière ou de bons, ou en combinant ces trois formules, ainsi qu’une allocation journalière ».
Cela veut dire que l’accueil peut se faire de manière très différente en fonction de la spécificité de chaque pays. Nous, nous proposons de déconcentrer l’accueil dans tous les territoires. Peut-être le problème sera-t-il moins aigu si nous allons effectivement vers cette déconcentration. (Mme Josiane Costes opine.)
M. le président. L’amendement n° 65 rectifié, présenté par Mmes Assassi et Benbassa, M. Bocquet, Mmes Brulin, Cohen et Cukierman, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud et MM. Savoldelli et Watrin, est ainsi libellé :
Alinéa 13, première phrase
Compléter cette phrase par les mots :
, sauf si le demandeur d’asile le refuse en faisant état de considérations relatives à sa vie personnelle et familiale, aux risques de reconstitution de sa cellule familiale, aux nécessités liées à son état de santé physique ainsi qu’à celui des membres de sa famille et de ses proches, à l’aide et au soutien pouvant lui être fourni par des tiers
La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Le présent article prévoit que l’Office français de l’immigration et de l’intégration détermine la région de résidence du demandeur d’asile en fonction de la part des demandeurs d’asile accueillis dans chaque région.
Pour ce faire, le préfet devra tenir compte de la situation personnelle et familiale du demandeur, de son état de vulnérabilité, comme cela a été inséré en commission, de ses besoins et de l’existence de structures permettant sa prise en charge. Malgré les efforts réalisés en commission, cette disposition nous semble encore lacunaire.
En effet, au-delà des critères pris en compte, cet article confie un pouvoir discrétionnaire au préfet.
Nous proposons donc, au travers de cet amendement, de permettre au demandeur d’asile de refuser cette proposition en arguant des mêmes éléments que ceux qui permettent au préfet de se prononcer.
Nous estimons que le pouvoir administratif ne doit pas disposer d’une telle prérogative et que le choix de la région de résidence, argumenté et justifié, doit garantir aux demandeurs d’asile la proximité avec leur famille, notamment leurs enfants, ainsi qu’avec les soutiens bénévoles qui les accompagnent et les assistent.
Il s’agit également de prendre en compte l’état de santé du demandeur en ne l’éloignant pas des structures qui lui procurent des soins.
Ces obligations fondamentales doivent être prises en compte, comme l’a rappelé le Conseil d’État dans le considérant 28 de son avis.
En outre, il nous semble que ces obligations permettent d’assurer le respect plein et entier de l’éventuel intérêt supérieur de l’enfant, qui pourrait être affecté par cet éloignement, conformément à l’article 3 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant.
S’il est justifié, le refus d’un demandeur ne peut donc entraîner le retrait de l’aide matérielle qui lui est due, comme à tout autre demandeur d’asile.
M. le président. L’amendement n° 240 rectifié bis, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 30
Après le mot :
ensemble
insérer les mots :
, sauf motif légitime,
La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret.
Mme Hélène Conway-Mouret. Cet amendement vise à conserver la mention, aujourd’hui prévue par le droit en vigueur, selon laquelle le non-respect d’une exigence faite au demandeur – se rendre à un entretien, se présenter aux autorités ou fournir les informations utiles, par exemple – peut répondre à un motif légitime.
La suppression de cette mention par le projet de loi supprime la marge d’appréciation de l’OFII, qui ne pourra plus évaluer si une absence à un entretien ou une non-présentation aux autorités se justifie par un motif légitime.
M. le président. L’amendement n° 242 rectifié bis, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 32
Supprimer les mots :
ou dont il est raisonnable de penser qu’il la comprend
La parole est à M. Rachid Temal.
M. Rachid Temal. Cet amendement vise à garantir que le demandeur sera informé dans une langue qu’il comprend des conséquences d’un éventuel refus ou départ du lieu d’hébergement.
Eu égard à l’importance des conséquences attachées au refus ou au départ du lieu d’hébergement, à savoir le refus ou le retrait du bénéfice des conditions matérielles d’accueil, l’information du demandeur d’asile ne peut se faire que dans une langue qu’il comprend. C’est pourquoi nous demandons la suppression du membre de phrase suivant « ou dont il est raisonnable de penser qu’il la comprend ». Nous voulons avoir une garantie sur la compréhension réelle par le demandeur.
M. le président. L’amendement n° 241 rectifié bis, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 32
Remplacer les mots :
entraîne de plein droit
par les mots :
peut entraîner
La parole est à M. Rachid Temal.
M. Rachid Temal. Il s’agit d’un amendement de coordination relatif à l’information du demandeur d’asile visant à supprimer la mention du caractère de plein droit du refus ou du retrait des conditions matérielles d’accueil.
Nous voulons revenir sur le caractère automatique du refus des conditions matérielles d’accueil.
M. le président. L’amendement n° 244 rectifié bis, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéas 35 et 36
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Xavier Iacovelli.
M. Xavier Iacovelli. Cet amendement tend à conserver la marge d’appréciation de l’OFII en cas de retrait ou de refus des conditions matérielles d’accueil.
Le caractère automatique du retrait des conditions matérielles d’accueil soulève deux difficultés majeures.
D’une part, cela signifie qu’il ne sera pas tenu compte d’éventuels motifs légitimes pouvant justifier que le demandeur n’ait pu se rendre à son entretien ou n’ait pu se présenter aux autorités dans les délais et conditions qui lui avaient été fixés. Alors même qu’il pourrait faire valoir une raison légitime, les conditions matérielles d’accueil lui seront retirées immédiatement et de plein droit.
D’autre part, ce caractère automatique du retrait ne permet plus de prendre en compte la vulnérabilité du demandeur. On ne peut avoir à la fois l’automaticité du retrait des conditions matérielles d’accueil et la prise en compte de la vulnérabilité. Le caractère automatique du retrait contredit donc la deuxième phrase de l’alinéa 41 qui vise justement à garantir qu’une « décision de retrait des conditions matérielles d’accueil […] prend en compte la vulnérabilité du demandeur ».
M. le président. L’amendement n° 243 rectifié bis, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 36
Remplacer les mots :
celles-ci est
par les mots :
celles-ci peut être
La parole est à M. Xavier Iacovelli.
M. Xavier Iacovelli. Cet amendement est défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces seize amendements en discussion commune ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Avant d’aborder l’avis de la commission sur ces nombreux amendements en discussion commune, je voudrais rappeler les trois principes suivis par la commission en matière d’hébergement des demandeurs d’asile : assurer la soutenabilité du dispositif, notamment en consultant davantage les collectivités territoriales et en les associant par principe ; respecter, évidemment, les droits des demandeurs d’asile ; s’assurer que les déboutés du droit d’asile n’occupent pas des places indûment.
Sur la base de ces trois principes, la commission demande le retrait de l’amendement n° 386 rectifié ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
Nous avons commencé à renforcer les conditions de fonctionnement de ce schéma, notamment en y associant les collectivités locales : votre amendement me semble donc satisfait.
La commission demande également le retrait de l’amendement n° 157 rectifié, au profit de l’amendement n° 387 rectifié, principalement pour des raisons rédactionnelles.
La commission est favorable à l’amendement n° 357 rectifié bis de Mme Robert, qui prévoit une révision triennale du schéma national d’accueil des demandeurs.
De même, la commission est favorable à l’amendement n° 387 rectifié : comme je l’ai indiqué à l’instant, les collectivités territoriales doivent être étroitement associées aux schémas régionaux d’accueil des demandeurs d’asile.
À l’inverse, la commission est défavorable à l’amendement n° 235 rectifié bis : il est parfaitement légitime que les schémas régionaux d’accueil prennent en compte la gestion des déboutés du droit d’asile ; sinon, l’objectif ne sera pas atteint.
Les amendements identiques nos 122 rectifié et 236 rectifié bis prévoient de mettre à disposition des places d’hébergement non mixtes. Sur cette question, la commission souhaite connaître l’avis du Gouvernement. Nous pensons qu’en réalité les choses sont faites. Nous ne doutons pas que les délégués de l’État soient déjà très attentifs aux besoins de protection en particulier des femmes évoqués par les auteurs de ces amendements.
L’avis est défavorable sur l’amendement n° 123 rectifié de Mme Benbassa : comme nous l’avons déjà souligné hier, le texte de la commission permet de prendre en compte toutes les vulnérabilités, sans qu’il soit opportun d’établir une liste.
L’amendement n° 563 rectifié est déjà satisfait par le texte de la commission. Je préférerais qu’il soit retiré plutôt que d’émettre un avis défavorable.
La commission est défavorable à l’amendement n° 420, car le texte dissocie l’orientation du demandeur et l’hébergement. Nous craignons que les collectivités locales ne voient arriver sur leur territoire des personnes sans certitude qu’elles soient hébergées, quand bien même ces personnes percevraient une somme de 230 euros par mois, selon nos informations, pour trouver un logement. À cette incertitude, nous préférons un système qui lie ces deux éléments.
La commission est également défavorable à l’amendement n° 65 rectifié dont l’adoption permettrait trop facilement à un demandeur d’asile de refuser les conditions matérielles d’accueil qui lui sont proposées.
La commission souhaite connaître l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 240 rectifié bis. Aujourd’hui, des « motifs légitimes » peuvent justifier qu’un demandeur d’asile ne respecte pas certaines exigences des autorités. Nous aimerions savoir pourquoi le projet de loi supprime cette notion de « motif légitime ».
La commission est défavorable à l’amendement n° 242 rectifié bis dont l’adoption compliquerait encore les procédures de l’OFII en restreignant les choix de langue. Nous avons déjà eu ce débat hier.
Enfin, la commission est défavorable aux amendements nos 241 rectifié bis, 244 rectifié bis et 243 rectifié bis : la commission a prévu une compétence liée de l’OFII. Si les critères des conditions matérielles d’accueil ne sont plus respectés, le versement de l’allocation pour demandeur d’asile doit cesser.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérard Collomb, ministre d’État. Le Gouvernement demande le retrait de l’amendement n° 386 rectifié ; à défaut, il émettra un avis défavorable.
Il en va de même pour les amendements nos 157 rectifié et 357 rectifié bis.
Le Gouvernement est défavorable à l’amendement n° 387 rectifié, tout comme à l’amendement n° 235 rectifié bis.
La protection des femmes vulnérables ne relève pas du domaine législatif. Nous allons prochainement ouvrir un lieu spécifique d’accueil à leur endroit. Vous avez raison de dire que les femmes, parmi les publics vulnérables, sont particulièrement vulnérables, raison pour laquelle nous voulons qu’elles puissent être accueillies et protégées contre les risques qu’elles courent plus que toute autre personne. Le Gouvernement demande donc le retrait des amendements identiques nos 122 rectifié et 236 rectifié bis. ; à défaut, il émettra un avis défavorable : nous partageons les mêmes objectifs que les auteurs de ces amendements, mais nous ne souhaitons pas que ces dispositions soient inscrites dans la loi car, je le répète, elles ne relèvent pas du domaine de la loi.
Le Gouvernement est défavorable à l’amendement n° 123 rectifié.
Sur l’amendement n° 563 rectifié, c’était l’objet de notre rédaction. Je regrette qu’elle ne recueille pas l’accord de la commission. En effet, la déconcentration de l’accueil des demandeurs d’asile dans un certain nombre de territoires me semble une très bonne chose, pour les uns comme pour les autres. Le Gouvernement s’en remet donc à la sagesse du Sénat sur cet amendement.
Le Gouvernement est défavorable aux amendements nos 65 rectifié, 240 rectifié bis – il faut pouvoir respecter l’ensemble des obligations auxquelles sont soumis les demandeurs d’asile –, 242 rectifié bis, 241 rectifié bis, 244 rectifié bis et 243 rectifié bis.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Je souhaiterais formuler deux remarques sur la série d’amendements présentés.
D’abord, j’aimerais attirer l’attention du rapporteur sur l’amendement n° 387 rectifié de M. Retailleau. Selon moi, cet amendement conduit à donner un droit de veto aux collectivités locales sur l’accueil des demandeurs d’asile dans leur territoire.
C’est un peu audacieux : cela revient à importer en France ce qui ne fonctionne pas en Europe. Nous devrions nous pencher d’un peu plus près sur ce dispositif. Si mon interprétation est juste, il me semble indispensable de ne pas voter cet amendement. Monsieur le ministre d’État, peut-être devriez-vous demander quelques précisions : encore une fois, cet amendement me semble très inquiétant.
Ensuite, la majorité à laquelle nous avons eu l’honneur de participer ensemble, monsieur le ministre d’État, a créé, en 2015, le dispositif national d’accueil, qui permet aux demandeurs d’asile d’être accueillis sur l’ensemble du territoire et d’être directif : dès lors qu’il y a des places et des hébergements, nous demandons au demandeur d’asile d’aller dans telle ou telle région et cette obligation s’impose à lui.
Vous proposez quelque chose de totalement différent au travers de l’amendement n° 420. Vous voulez exiger des demandeurs d’asile d’aller dans une région alors nous n’avons pas d’hébergement à leur proposer. La commission a eu la sagesse de retirer cette disposition du projet de loi. Il n’est pas raisonnable de la rétablir. Il faut en rester à ce qui a été créé en 2015, le dispositif national d’accueil, et créer de nouvelles places.
M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, pour explication de vote.
Mme Hélène Conway-Mouret. Je regrette les avis défavorables émis par la commission et par le Gouvernement sur l’amendement n° 235 rectifié bis.
Cet amendement vise en effet à supprimer la disposition selon laquelle les schémas régionaux d’accueil des demandeurs d’asile définissent les actions à mener pour assurer l’éloignement des déboutés du droit d’asile et les transferts des personnes sous procédure Dublin.
Or les schémas régionaux d’accueil ont aujourd’hui pour objet d’organiser les conditions matérielles d’accueil concernant l’hébergement et n’ont certainement pas vocation à intervenir en matière d’éloignement. Une telle disposition traduirait une grave confusion des genres : ces schémas ne sont pas des outils au service de l’éloignement des déboutés du droit d’asile.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Je me réjouis que vous ayez engagé la construction d’un centre d’hébergement spécifique pour les femmes isolées et vulnérables. C’est une bonne chose. Ce faisant, monsieur le ministre d’État, vous apportez une réponse à M. le rapporteur qui se demandait s’il n’en allait pas déjà ainsi sur le terrain, ce qui n’est pas le cas.
Bien évidemment, les réfugiés ne sont pas aujourd’hui hébergés dans des dortoirs mixtes. Ce n’est pas la question. Quand nous parlons d’accueil spécifique pour les femmes victimes de violences et particulièrement vulnérables, il s’agit aussi de prévoir un accompagnement psychologique et une aide à la reconstruction. Il ne s’agit pas simplement d’un toit ou d’un abri.
Monsieur le ministre d’État, vous avez raison, il n’y a pas besoin de loi pour le faire. À preuve, vous avez engagé cette action. Pour autant, inscrire cette disposition dans la loi permettrait de renforcer votre initiative et d’en garantir la pérennité. Pour cette raison, je ne retirerai pas mon amendement.
M. le président. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.
M. Rachid Temal. Je voudrais remercier le rapporteur d’avoir émis un avis favorable sur l’amendement n° 357 rectifié bis.
En revanche, je suis très surpris de la position du Gouvernement, qui nous explique souvent qu’il faut faire preuve d’efficacité, de pragmatisme et savoir prendre la décision après beaucoup d’échanges.
En l’occurrence, nous proposons simplement que le schéma national d’accueil puisse être révisé. On sait bien que, en cas de nouvelles arrivées, des différences existeront entre les territoires. Il nous semble donc assez normal de prévoir dans la loi un dispositif de révision dudit schéma.
Votre fermeté, pour ne pas dire votre rigueur, nous étonne.
M. le président. Madame Bruguière, l’amendement n° 386 rectifié est-il maintenu ?
Mme Marie-Thérèse Bruguière. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 386 rectifié est retiré.
Monsieur Meurant, qu’en est-il de l’amendement n° 157 rectifié ?
M. Sébastien Meurant. Je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 157 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l’amendement n° 357 rectifié bis.
(L’amendement est adopté.)
M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote sur l’amendement n° 387 rectifié.
M. Alain Richard. J’aurais souhaité que nos collègues du groupe Les Républicains, ainsi que la commission, réexaminent leur position sur l’amendement n° 387 rectifié.
De quoi s’agit-il ? Le droit en vigueur prévoit d’établir un schéma régional des structures d’accueil qui soit conforme à un schéma national. Il est soumis, ce qui est tout à fait cohérent, à l’avis – donc, c’est un sujet de concertation – du comité régional du logement.
Or le groupe Les Républicains demande que cet avis soit non pas un avis simple, mais un avis conforme. Autrement dit, on donne à un comité régional, qui n’est d’ailleurs pas complètement représentatif puisqu’il réunit des représentants de l’État et des représentants de collectivités territoriales, un pouvoir de veto sur l’adoption d’un schéma régional qui dépend lui-même d’un schéma national.
Je m’en remets à votre réflexion. Toutefois, si le comité régional du logement émet un avis conforme négatif, il ne peut y avoir de schéma régional. Autrement dit, le schéma national s’applique directement, l’adaptation de ce schéma au territoire régional ne peut avoir lieu puisque, du coup, on prive l’État de son pouvoir prescriptif. Je ne sais pas si c’est l’intérêt de la région, de ses collectivités et, bien entendu, des personnes qu’il s’agit d’héberger et d’accueillir.
Il me semble préférable de prévoir – ce qui relève plutôt du domaine réglementaire – un mécanisme de concertation approfondi. Par exemple, après un premier avis négatif, le préfet de région pourrait formuler une nouvelle proposition.
S’en tenir à un mécanisme qui mène au blocage me paraît irrationnel et ne sert l’intérêt de personne. Avant de procéder à un vote par scrutin public sur un sujet qui n’a peut-être pas été complètement vu, je suggère de prendre un instant de réflexion.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Mes propos s’inscrivent dans le droit fil de l’intervention de notre collègue Alain Richard et de mon explication de vote précédente.
Eu égard à l’importance du sujet et qui conduit finalement à importer en France les difficultés européennes en matière de répartition des demandeurs d’asile, j’aimerais que le rapporteur nous confirme qu’il est bien favorable à cet amendement et que le Gouvernement précise sa position.
Tout blocage sur cette question me semblerait très grave dans la mesure où l’on a besoin d’un dispositif national d’accueil qui fonctionne.
M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Je rejoins pleinement les observations que vient de faire notre collègue Alain Richard.
L’amendement n° 387 rectifié, présenté par M. Retailleau et un certain nombre de ses collègues du groupe Les Républicains, est extrêmement dangereux. Je vous renvoie à un article très intéressant du Monde du 20 juin 2018 sur un centre d’accueil de migrants au Luc, dans le Var. Dans cette commune dirigée par un maire issu du Front national, une pétition a circulé contre l’installation de ce centre. Or, cinq mois plus tard, les choses se passent fort bien et les habitants disent regretter d’avoir signé cette pétition, car ces Afghans et ces Soudanais sont parfaitement sociables.
Prévoir un avis conforme reviendra à lancer de nouveau des débats qui renverront au populisme. Comme l’ont souligné Jean-Yves Leconte et Alain Richard, cet amendement est dangereux : qu’un avis soit exprimé, oui, mais un avis conforme est manifestement excessif et risque de conduite à des dérives.
M. le président. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.
M. Rachid Temal. Monsieur le président, je suis surpris des demandes récurrentes de scrutin public.
À quelques minutes d’un match de l’équipe de France, cette situation me fait penser à la phrase de Gary Lineker, ancien joueur anglais : « Le football est un jeu simple : vingt-deux hommes courent après un ballon pendant 90 minutes et, à la fin, ce sont les Allemands qui gagnent. »
Nous sommes 348 sénateurs. Depuis maintenant trois jours, les membres de la majorité sénatoriale ont des difficultés à être présents et font appel à ce fameux scrutin public. Je pense qu’il faut accepter les règles du jeu et être présent en séance pour voter à main levée. Ce serait plus simple pour tout le monde. (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Éliane Assassi. Quel rapport ?
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.
M. Gérard Collomb, ministre d’État. Le Gouvernement a émis un avis défavorable sur l’amendement n° 387 rectifié pour les mêmes raisons que celles qui viennent d’être explicitées : nous risquons d’aboutir à une situation de blocage total. Si nous nous heurtons partout à des avis négatifs, nous ne pourrons construire aucun lieu d’hébergement pour les demandeurs d’asile dans nos régions.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 387 rectifié.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est favorable et que celui du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 151 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 330 |
Pour l’adoption | 196 |
Contre | 134 |
Le Sénat a adopté.
Je mets aux voix l’amendement n° 235 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 122 rectifié et 236 rectifié bis.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 563 rectifié est-il maintenu, madame Costes ?
Mme Josiane Costes. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 563 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l’amendement n° 420.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 240 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 242 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 241 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 244 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 243 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. L’amendement n° 358 rectifié bis, présenté par Mme de la Gontrie, MM. Leconte, Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 17
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Un décret en Conseil d’État définit les normes minimales en matière de prestations et d’accompagnement social et administratif dans les lieux d’hébergement pour garantir la qualité des prestations délivrées et l’adéquation de l’accompagnement aux besoins des demandeurs d’asile.
La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Permettez-moi, monsieur le président, de présenter en même temps l’amendement n° 359 rectifié bis.
M. le président. J’appelle donc en discussion l’amendement n° 359 rectifié bis, présenté par Mme de la Gontrie, MM. Leconte, Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, et ainsi libellé :
Après l’alinéa 17
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« La charte des droits et libertés de la personne accueillie mentionnée à l’article L. 311–4 du code de l’action sociale et des familles est remise au demandeur d’asile.
Veuillez poursuivre, ma chère collègue.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. L’amendement n° 358 rectifié bis vise à compléter le dispositif prévu à l’article 9, afin que le décret en Conseil d’État qui devra définir les normes minimales en matière de prestations et d’accompagnement social garantisse la qualité des prestations délivrées et l’adéquation de l’accompagnement aux besoins des demandeurs d’asile.
La réflexion chemine en ce sens, comme en témoigne la démarche de l’Assemblée nationale, qui a souhaité inciter le Gouvernement à mettre fin à l’empilement des structures en charge de l’hébergement des demandeurs d’asile – CAO, PRAHDA, HUDA, ATSA, CAES… – et à « harmoniser par le haut les prestations et services rendus dans les lieux d’hébergement pour demandeurs d’asile, quel que soit leur statut ».
Quant à l’amendement n° 359 rectifié bis, il vise à inscrire l’opposabilité de la charte des droits et libertés de la personne accueillie, déjà applicable aux CADA et à l’ensemble des établissements et services sociaux et médico-sociaux régis par la loi, afin de mettre en œuvre une uniformité des droits des personnes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission a émis un avis favorable sur l’amendement n° 358 rectifié bis.
S’agissant de l’amendement n° 359 rectifié bis, elle demande l’avis du Gouvernement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur ces deux amendements ?
M. Gérard Collomb, ministre d’État. Le Gouvernement est défavorable à ces deux amendements.
Nous sommes en train de reconfigurer le dispositif national d’accueil, avec trois niveaux de prise en charge. Le premier niveau serait celui des CAES. Aujourd’hui, 40 centres sont ouverts, avec 2 800 places, dont 700 en Île-de-France. Le deuxième niveau serait celui de l’hébergement d’urgence pour demandeur d’asile en procédure Dublin ou accélérée. Le troisième niveau serait celui des CADA. À cela s’ajouteraient les CPH pour les réfugiés.
L’ensemble du dispositif d’asile est donc en passe d’être remodelé, mais nous ne souhaitons pas inscrire cet objectif dans la loi.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote sur l’amendement n° 358 rectifié bis.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le ministre d’État, je ne comprends absolument pas votre discours, dans la mesure où cet amendement prévoit qu’un décret en Conseil d’État définira ce que, justement, vous ne voulez pas inscrire dans la loi. Vous devriez donc être favorable à cet amendement, en vertu des arguments que vous présentez.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 359 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. L’amendement n° 526 rectifié, présenté par M. Arnell, Mmes Costes, M. Carrère et N. Delattre, MM. Requier, Artano, A. Bertrand, Castelli, Collin, Corbisez, Dantec, Gabouty, Gold, Guérini et Guillaume, Mmes Guillotin et Jouve, M. Labbé, Mme Laborde et MM. Menonville et Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 18
Compléter cet alinéa par les mots :
, en particulier l’adaptation des hébergements proposés à des séjours prolongés et à l’accueil de familles
La parole est à M. Guillaume Arnell.
M. Guillaume Arnell. Au travers de cet amendement, il s’agit de souligner l’inadaptation des solutions d’hébergement parfois proposées aux familles de demandeurs d’asile.
Monsieur le ministre d’État, il est compréhensible que, dans un premier temps, nos préoccupations portent d’abord sur la quantité d’hébergements disponibles. M. le rapporteur l’a rappelé, les solutions d’hébergement sont encore insuffisantes et de nombreux demandeurs d’asile occupent des hébergements d’urgence de droit commun.
Pour autant, la dimension qualitative des hébergements proposés ne devrait pas être perdue de vue. D’où cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission demande le retrait de cet amendement, qui est satisfait par l’adoption de l’amendement n° 358 rectifié bis. À défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérard Collomb, ministre d’État. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
Pour revenir sur le débat précédent, l’organisation du dispositif national d’accueil ne relève pas d’un décret en Conseil d’État, mais d’une circulaire. Afin de ne pas tout confondre, j’ai émis un avis défavorable sur l’amendement précédent.
M. Jean-Pierre Sueur. Le législateur peut penser que le décret en Conseil d’État est nécessaire !
M. le président. L’amendement n° 526 rectifié est-il maintenu, monsieur Arnell ?
M. Guillaume Arnell. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 526 rectifié est retiré.
Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 63 rectifié, présenté par Mmes Assassi et Benbassa, M. Bocquet, Mmes Brulin, Cohen et Cukierman, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud et MM. Savoldelli et Watrin, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 20
Après les mots :
sont remplacés par les mots :
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
« à la fin du deuxième mois suivant l’expiration du délai de recours contre la décision de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la notification de la décision de la Cour de la Cour nationale du droit d’asile » ;
II. – Alinéa 47, première et seconde phrases
Après les mots :
prend fin
rédiger ainsi la fin de ces phrases :
à la fin du deuxième mois suivant l’expiration du délai de recours contre la décision de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la notification de la décision de la Cour nationale du droit d’asile.
La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Il s’agit d’un amendement de cohérence avec ce que nous proposons par ailleurs quant au délai de recours devant la CNDA, que nous souhaitons porter à deux mois.
L’article L. 744–5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit que l’accueil en lieu d’hébergement des demandeurs d’asile est assuré pendant la période d’instruction de la demande et, le cas échéant, jusqu’au transfert vers un autre État. Il prend fin à l’expiration du délai de recours contre la décision de l’OFPRA ou lors de la notification de la CNDA, soit dans un délai d’un mois, que le Gouvernement, je vous le rappelle, souhaite restreindre à quinze jours.
Nous souhaitons, pour notre part, que l’accueil en hébergement des demandeurs d’asile court jusqu’à la fin du deuxième mois suivant l’expiration du délai de recours contre la décision de l’OFPRA ou la notification de la décision de la CNDA.
Il s’agit là d’une mesure humaine permettant aux déboutés du droit d’asile de bénéficier d’un accueil digne, afin de demander leur admission au séjour à un autre titre.
Cet amendement s’inscrit également en cohérence avec notre volonté de revenir sur l’article 23 du texte, qui prévoit que la démarche pour un autre titre de séjour doit être effectuée en parallèle à la demande d’asile. Nous y sommes opposés, un tel dispositif portant atteinte aux droits de certaines catégories de demandeurs d’asile, notamment les personnes « dublinées ».
Mes chers collègues, vous l’avez compris, nous combattrons chaque détail de ce texte, pour démanteler votre logique de pénalisation et de répression de ceux qui viennent chercher refuge dans notre pays.
M. le président. L’amendement n° 360 rectifié bis, présenté par Mme de la Gontrie, MM. Leconte, Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 20
Remplacer les mots :
au terme du mois au cours duquel le droit du demandeur de se maintenir sur le territoire français dans les conditions prévues aux articles L. 743-1 et L. 743-2 a pris fin
par les mots :
à la fin du deuxième mois suivant l’expiration du délai de recours contre la décision de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la notification de la décision de la Cour nationale du droit d’asile
II. – Alinéa 47, première phrase
Remplacer les mots :
au terme du mois au cours duquel le droit du demandeur de se maintenir sur le territoire français dans les conditions prévues aux articles L. 743-1 et L. 743-2 a pris fin
par les mots :
à la fin du deuxième mois suivant l’expiration du délai de recours contre la décision de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la notification de la décision de la Cour nationale du droit d’asile
La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Au travers de cet amendement, il s’agit de prendre en compte l’avis du Conseil d’État sur ce projet de loi. Ce dernier a en effet invité le Gouvernement à « différer l’entrée en vigueur de ces dispositions, qui pourraient être reportées à la fin du deuxième mois suivant celui où est intervenue la lecture ou la notification de la décision de la CNDA. »
Après que la décision est tombée, il faut pouvoir s’organiser un minimum. C’est la raison pour laquelle cet amendement vise, comme le souhaite le Conseil d’État, à instaurer un délai suffisant entre la décision de rejet définitif de la demande d’asile et la fin des conditions matérielles d’accueil.
M. le président. L’amendement n° 66 rectifié, présenté par Mmes Assassi et Benbassa, M. Bocquet, Mmes Brulin, Cohen et Cukierman, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud et MM. Savoldelli et Watrin, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 45
Rédiger ainsi cet alinéa :
- à la seconde phrase, les mots : « dans l’attente » sont remplacés par les mots : « dans un délai de huit jours à compter de l’acceptation des conditions matérielles d’accueil et jusqu’à la notification » ;
II. – Alinéas 46 et 47
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Chacun ici a déjà été le témoin de la misère qui se répand en périphérie de nos villes, des tentes qui s’amoncellent comme seuls refuges de fortune après un voyage souvent épuisant et traumatisant pour les exilés.
Il est scandaleux que des familles entières se retrouvent à vivre dans ces conditions. Certains s’en émeuvent en pensant à la dégradation de l’image touristique de notre pays, loin d’eux bien sûr l’idée du respect de la dignité humaine, qui est ici bafouée.
Je n’épiloguerai pas sur l’exemple emblématique du campement de la Villette. Il est désormais urgent de s’interroger sur les dispositions à mettre en place pour assurer à ces exilés un accueil digne. Cela passe par des conditions matérielles d’accueil bien encadrées et par l’allocation de moyens, qui leur permettent de subvenir à leurs besoins primaires, en attente de mieux.
Or, au même titre que l’hébergement, le versement de l’allocation pour demandeur d’asile est souvent retardé, faute de moyens administratifs suffisants. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que la situation des demandeurs d’asile concernés se dégrade. C’est d’autant plus problématique que l’interdiction de salariat court sur une période de neuf mois.
C’est pourquoi nous proposons au travers de cet amendement de prévoir un délai de huit jours maximum pour que le versement de l’allocation pour demandeur d’asile soit effectué. Il est urgent de répondre aux dysfonctionnements actuels en matière de retards et de délais.
En outre, nous souhaitons supprimer l’arrêt du versement de l’ADA un mois après l’audience publique de la CNDA. Comme le Conseil d’État l’a noté, ce délai est beaucoup trop court pour permettre aux personnes concernées et aux associations qui les accompagnent dans leurs démarches d’organiser leur départ des lieux d’hébergement et de trouver des solutions adaptées, précisément pour pallier cette situation d’accueil indigne qui n’est plus tolérable.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Ces trois amendements concernant la cessation des conditions matérielles d’accueil, qui, à l’heure actuelle, prennent fin au terme du mois au cours duquel la décision de la CNDA a été notifiée.
Par coordination avec l’article 6 du projet de loi, l’article 9 tend à mieux encadrer ces conditions matérielles d’accueil : le versement de l’ADA serait supprimé au terme du mois au cours duquel la décision de la CNDA a été lue en séance et non plus notifiée.
Ces trois amendements visent à allonger ce délai, afin que le débouté bénéficie des conditions matérielles d’accueil durant un mois supplémentaire. Vous l’avez rappelé, le Conseil d’État est intervenu en ce sens.
Toutefois, le Gouvernement ayant affirmé clairement, dans le cadre des auditions que nous avons menées, qu’il était en mesure de gérer la procédure sans qu’il soit nécessaire de prévoir un mois supplémentaire, la commission a émis un avis défavorable sur ces trois amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérard Collomb, ministre d’État. Le Gouvernement est défavorable à ces trois amendements.
Il s’agit effectivement de faire coïncider la fin de l’hébergement et la fin de l’ADA, puisque nous payons en général l’ADA au mois échu.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 360 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 237 rectifié bis est présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 439 est présenté par M. Richard et les membres du groupe La République En Marche.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéas 21 à 23
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour présenter l’amendement n° 237 rectifié bis.
M. Jean-Yves Leconte. Cet amendement vise à rétablir la disposition permettant à un demandeur débouté de sa demande de se maintenir dans son lieu d’hébergement pendant un mois.
Il est totalement illusoire d’imaginer qu’il sera plus facile d’éloigner une personne qui vient d’être déboutée, alors même qu’on ne saura pas où elle est. Il est donc assez logique de proposer à un débouté du droit d’asile de pouvoir rester hébergé pendant un mois, de manière à préparer son départ dans de bonnes conditions. Or cette disposition a été supprimée par la commission. On crée ainsi exactement le contraire de ce qu’on déclare vouloir faire. Finalement, les gens seront sans droit, à la rue, et on ne pourra pas les retrouver.
M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton, pour présenter l’amendement n° 439.
M. Julien Bargeton. Cet amendement est identique au précédent. Le texte adopté par la commission étant source de contentieux, il s’agit de prévoir une contrainte supplémentaire pour l’autorité administrative. À nos yeux, un débouté doit disposer d’un mois pour se préparer à quitter le lieu dans lequel il est hébergé. Très franchement, il convient de revenir sur la modification introduite par la commission des lois, cause d’inefficacité.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Je le rappelle, les déboutés du droit d’asile peuvent rester un mois supplémentaire dans les lieux d’hébergement. En réalité, ils y restent bien plus longtemps, et les gestionnaires se trouvent dans une situation difficile.
La commission a donc conditionné le maintien dans les lieux d’hébergement à une décision motivée de l’autorité administrative. Ce dispositif a d’ailleurs déjà été adopté au Sénat en 2016.
J’insiste sur ce point, le débouté pourra rester temporairement dans son lieu d’hébergement pour trouver une solution alternative. Toutefois, la procédure sera beaucoup mieux encadrée.
Ces deux amendements identiques visent à supprimer l’apport de la commission. Pourtant, la priorité est de prévoir un hébergement pour les demandeurs d’asile et non pas pour ceux qui ont été déboutés.
Faut-il le rappeler, les déboutés du droit d’asile occupent aujourd’hui environ plus de 10 000 places dans le dispositif national d’accueil, soit pratiquement 12 % du parc, ce qui est absolument considérable. Si l’on veut un système efficace, il faut prévoir un outil efficace.
La commission est donc défavorable à ces deux amendements identiques.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérard Collomb, ministre d’État. Le Gouvernement est favorable à ces deux amendements. En effet, il ne nous semble pas possible de faire en sorte que la personne déboutée quitte immédiatement son lieu d’hébergement. Si tel était le cas, elle relèverait immédiatement du programme 177 d’hébergement d’urgence de droit commun. On aurait dès lors un transfert d’un lieu à un autre.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 237 rectifié bis et 439.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission des lois.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable et que celui du Gouvernement est favorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 152 :
Nombre de votants | 332 |
Nombre de suffrages exprimés | 331 |
Pour l’adoption | 136 |
Contre | 195 |
Le Sénat n’a pas adopté.
L’amendement n° 103 rectifié, présenté par Mmes Berthet, Deromedi, Di Folco et Eustache-Brinio, MM. Frassa, Karoutchi et Meurant, Mme Morhet-Richaud, M. Morisset, Mme Puissat et MM. Revet et H. Leroy, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 23
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…) Après les mots : « autorité administrative compétente », la fin du quatrième alinéa est ainsi rédigée : « ou le gestionnaire du lieu d’hébergement demandent en justice, après mise en demeure restée infructueuse, qu’il soit enjoint à cet occupant sans titre d’évacuer ce lieu. » ;
La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Comme il est rappelé dans l’objet de cet amendement, la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile a permis au préfet d’enjoindre à un débouté du droit d’asile de quitter son lieu d’hébergement. L’affaire est alors portée devant le tribunal administratif, qui statue en référé. Cette procédure reste peu utilisée, alors même que les dispositifs d’accueil des demandeurs d’asile sont engorgés et que des déboutés s’y maintiennent indûment.
Cet amendement vise donc à permettre au gestionnaire du centre d’hébergement de saisir lui-même la justice lorsqu’un débouté du droit d’asile refuse indûment de quitter les lieux et à prévoir une compétence liée du préfet et du gestionnaire pour s’assurer de la mise en œuvre de cette procédure.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission des lois a émis un avis favorable sur cet amendement utile.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérard Collomb, ministre d’État. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement. Les préfets recourant de plus en plus à cette procédure, il semble en effet préférable, à tous points de vue, de la leur réserver.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L’amendement n° 64 rectifié est présenté par Mmes Assassi et Benbassa, M. Bocquet, Mmes Brulin, Cohen et Cukierman, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud et MM. Savoldelli et Watrin.
L’amendement n° 238 rectifié bis est présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 564 rectifié est présenté par Mme M. Carrère, M. Arnell, Mme Costes, MM. Artano, A. Bertrand, Castelli, Collin, Corbisez, Dantec et Gold, Mme Jouve, M. Labbé, Mme Laborde et MM. Menonville, Requier et Vall.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Alinéas 24 et 25
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Fabien Gay, pour présenter l’amendement n° 64 rectifié.
M. Fabien Gay. Cet amendement vise à supprimer les alinéas visant à légaliser la « circulaire Collomb » du 12 décembre 2017.
Nous dénonçons cette circulaire, comme beaucoup d’associations, qui ont d’ailleurs déposé un recours devant le Conseil d’État contre celle-ci.
De quoi s’agit-il ? Ce texte autorise les services de l’État à se rendre dans les centres d’hébergement, afin d’y recenser les personnes en fonction de leur droit au séjour. Surtout, et c’est ce que nous proposons de supprimer au travers de cet amendement, il entend imposer aux gestionnaires la transmission aux services intégrés d’accueil et d’orientation, les SIAO, des informations à caractère personnel, alors même que ces services, nous le savons tous, sont déjà débordés. Le temps qu’ils accorderont à cette mission empiétera sur celui, plus utile, qu’ils consacrent au service des personnes en besoin d’hébergement, qu’elles soient en situation régulière ou non.
Avec cette circulaire, l’État a déjà recensé 4 000 personnes dans les centres et hôtels sociaux, en y envoyant des « équipes mobiles », constituées d’agents des préfectures et de l’Office français de l’immigration et de l’intégration.
Le Gouvernement se justifie en estimant qu’il s’agit d’un moyen indispensable pour orienter les publics en fonction de leur situation – réfugiés, déboutés ou autres – et désengorger des centres saturés. Pour notre part, nous ne pouvons pas ne pas nous inquiéter du sort des personnes en situation irrégulière qui ont le droit, sous une forme ou une autre, de bénéficier d’un hébergement.
Nous estimons ainsi que ces mesures contreviennent au principe de l’inconditionnalité de l’accueil prévu par le code de l’action sociale et des familles, mais aussi par la loi DALO, aux termes de laquelle les personnes en situation irrégulière, sans pouvoir prétendre à un droit au logement, peuvent être désignées par les commissions de médiation aux fins d’obtenir un hébergement.
Au-delà du droit, c’est un principe d’humanité qui est en cause. Alors que de nombreux citoyens et citoyennes se mobilisent partout, en France, individuellement ou dans le cadre des associations, pour venir en aide à ces personnes qui ont fui la guerre et la misère au péril de leur vie, on attend de l’État qu’il accompagne la solidarité et non qu’il vienne l’entraver.
M. le président. La parole est à M. Rémi Féraud, pour présenter l’amendement n° 238 rectifié bis.
M. Rémi Féraud. Cet amendement, identique au précédent, vise à supprimer les alinéas 24 et 25 de l’article 9, qui reprennent la circulaire du 12 décembre dernier, dite « circulaire Collomb ».
L’intensité de la polémique au moment où la circulaire a été prise et les restrictions introduites par le Conseil d’État dans son interprétation de ce texte auraient pu conduire le Gouvernement à y renoncer, afin de tenir compte des graves problèmes qu’il soulève et que vient d’exposer notre collègue.
Bien au contraire, le Gouvernement propose de donner à cette circulaire une valeur législative en l’inscrivant dans la loi. Cela pose deux problèmes. D’abord, un problème de principe lié à l’inconditionnalité de l’accueil et au fait que les associations ou les structures qui gèrent l’hébergement d’urgence ne doivent pas sortir de leur rôle social et rompre leur lien de confiance avec les personnes qu’elles hébergent.
Ensuite, une question de pragmatisme : les personnes, quelles qu’elles soient, que leur situation soit régulière ou non, ne doivent pas refuser un hébergement de peur d’être contrôlées et orientées vers d’autres structures.
Il y va aussi de milliers de personnes hébergées qui pourraient, en raison de l’application de cette disposition, se retrouver à la rue.
Notre proposition est simple et très importante, parce qu’il s’agit d’un point lui-même très important du projet de loi : supprimer ces deux alinéas 24 et 25, afin de bien garantir l’inconditionnalité de l’accueil dans les centres d’hébergement d’urgence, au moment où, dans notre pays, la question des personnes qui sont à la rue se pose si gravement.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Arnell, pour présenter l’amendement n° 564 rectifié.
M. Guillaume Arnell. Cet amendement est défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Sur ces trois amendements, la commission a émis un avis défavorable, pour des raisons que nous avons déjà expliquées précédemment.
Cet échange d’informations, « légalisé » par le projet de loi, permet de mieux prendre en charge des personnes qui relèvent de la politique de l’asile et qui sont aujourd’hui hébergées dans des structures d’hébergement d’urgence, sans aucun accompagnement social ou administratif.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérard Collomb, ministre d’État. Même avis défavorable.
Comme le Président de la République et le Premier ministre ont eu l’occasion de le dire, si l’accueil doit être inconditionnel, il ne doit pas être indifférencié.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 64 rectifié, 238 rectifié bis et 564 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 245 rectifié bis, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 38
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Cet amendement vise à supprimer un cas supplémentaire de retrait du bénéfice des conditions matérielles d’accueil, dans le cas où le demandeur aurait présenté plusieurs demandes d’asile sous des identités différentes, en raison des effets pervers que cette disposition pourrait engendrer.
Ce nouveau cas de retrait pourrait avoir pour effet de couvrir des situations très disparates – je pense en particulier à celle d’un demandeur d’asile présentant une demande sous une fausse identité parce qu’il fait l’objet de pressions ou de menaces de la part de passeurs, puis procédant à une demande sous sa véritable identité.
M. le président. L’amendement n° 246 rectifié bis, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 38
Après le mot :
alinéa,
insérer les mots :
après le mot : « asile », sont insérés les mots : « , sans motif légitime, »,
La parole est à M. Bernard Jomier.
M. Bernard Jomier. Cet amendement de repli a pour objet de garantir qu’un retrait du bénéfice des conditions matérielles d’accueil est possible, sauf motif légitime invoqué par le demandeur.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Le droit en vigueur – je le rappelle – permet de retirer le bénéfice des conditions matérielles d’accueil si le demandeur d’asile a fourni des informations mensongères relatives à sa situation familiale.
Le projet de loi y ajoute un autre motif de retrait, à savoir le dépôt de plusieurs demandes d’asile sous des identités différentes, selon le principe « fraus omnia corrumpit », « la fraude corrompt tout ».
L’amendement n° 245 rectifié bis de M. Leconte vise à supprimer ce motif. L’adoption de l’amendement n° 246 rectifié bis du même auteur permettrait de déroger à son application en cas de « motif légitime ».
La commission a émis un avis défavorable sur ces deux amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 245 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 246 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. L’amendement n° 247 rectifié bis, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 39
Rédiger ainsi cet alinéa :
c bis) Le quatrième alinéa est abrogé ;
La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Cet amendement vise à abroger le quatrième alinéa de l’article L. 744–8 du CESEDA, qui permet le refus du bénéfice des conditions matérielles d’accueil lorsque la personne concernée présente une demande de réexamen de sa situation ou lorsqu’elle présente sa demande d’asile au-delà du délai légal de 120 jours.
Il nous semble que cet alinéa soulève des difficultés.
D’abord, il est quand même étrange de priver de droit un étranger alors même qu’il a le droit de demander le réexamen de son statut : il y a une contradiction dans cette situation.
Ensuite, concernant l’expiration du délai – ce délai a lui-même été réduit, mais nous n’y revenons pas –, vous conviendrez qu’il paraît complexe d’opposer un tel délai à une personne arrivant sur notre territoire, dans les conditions que nous constatons souvent, pour y demander l’asile.
Pour ces deux motifs, qui constituent autant d’inconvénients et même de dommages, nous souhaitons l’abrogation de cet alinéa.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
En effet, lier la date de dépôt de la demande d’asile et les conditions matérielles d’accueil est explicitement prévu par l’article 20 de la directive Accueil.
En outre, il convient d’inciter les demandeurs à déposer leur dossier au plus vite.
Enfin, le droit en vigueur prévoit une certaine souplesse, s’agissant notamment des « motifs légitimes ».
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Et en cas de réexamen ?
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 247 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. L’amendement n° 47 rectifié, présenté par M. Karoutchi et Mme Lamure, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 39
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
…) Après le quatrième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L’étranger, présent sur le territoire français, peut introduire une action en paiement dans un délai de deux ans à compter de la date d’ouverture de ses droits. Ce délai est également applicable, à compter du paiement des prestations entre les mains du bénéficiaire, à l’action en recouvrement des prestations indûment payées, sauf en cas de fraude ou de fausse déclaration. » ;
La parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. Comme vous le savez, l’ADA, l’allocation pour demandeur d’asile, était voilà encore deux ans gérée par Pôle emploi, dans des conditions – disons-le ainsi – un peu compliquées et difficiles. Après la publication d’un certain nombre de rapports aux conclusions assez désastreuses sur la gestion par Pôle emploi, il avait été décidé, par le gouvernement précédent, de transférer la gestion de l’ADA de Pôle emploi à l’OFII, l’Office français de l’immigration et de l’intégration.
L’OFII, donc, gère désormais l’ADA.
Mais, naturellement, l’OFII a d’abord commencé par régulariser, si je puis dire, un certain nombre de situations liées à l’ancienne gestion par Pôle emploi. Et, aujourd’hui, l’OFII doit à la fois verser l’ADA à des demandeurs d’asile qui ne l’auraient pas reçue dans des conditions normales – et nous proposons que le délai applicable, comme pour l’ensemble des prestations sociales, soit fixé à deux ans – et, en sens inverse, récupérer les indus qui ont été versés à des demandeurs d’asile qui n’avaient plus droit à l’ADA – en la matière, le même délai de deux ans est proposé.
Il s’agit donc de permettre à l’OFII soit de verser l’allocation soit de récupérer les indus sur une période de deux ans.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Sur cet amendement très technique mais très utile, l’avis de la commission est favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 248 rectifié bis, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 41
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
…° Après l’article L. 744-8, il est inséré un article L. 744-8-… ainsi rédigé :
« Art. L. 744-8-… – Par dérogation à l’article L. 744-8, et sauf en cas de comportement violent ou de manquement grave au règlement du lieu d’hébergement, les conditions matérielles d’accueil ne peuvent être suspendues, retirées ou refusées en cas de non-respect du délai d’enregistrement de la demande d’asile mentionné à l’article L. 741-1. » ;
La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Cet amendement vise à traiter un sujet que l’on pourrait qualifier d’angle mort dans le projet du Gouvernement, à savoir le moment de l’enregistrement de la demande d’asile en préfecture.
Alors que le délai d’enregistrement de la demande n’est pas toujours respecté par l’État – je rappelle qu’il est normalement de trois jours –, la sanction peut être lourde pour le demandeur, puisqu’il peut être sanctionné par le refus ou le retrait du bénéfice des conditions matérielles d’accueil alors même que l’État ne lui fait pas de proposition d’hébergement.
Cette situation est paradoxale ; elle fait peser sur le demandeur l’effet néfaste – il est sanctionné – d’un retard administratif dont il n’est pas comptable, mais victime.
Il est prévu, afin de rassurer nos collègues, que notre proposition ne soit pas applicable en cas de comportement violent ou de manquement grave au règlement du lieu d’hébergement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
En toute hypothèse, il faut pouvoir retirer le bénéfice des conditions matérielles d’accueil à un demandeur d’asile qui aurait menti aux autorités françaises ou aurait quitté son lieu d’hébergement de manière prolongée, de surcroît sans prévenir l’OFII.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 248 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. L’amendement n° 361 rectifié bis, présenté par Mme de la Gontrie, MM. Leconte, Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 44
Compléter cet alinéa par les mots :
dans un délai de huit jours à compter de l’acceptation des conditions matérielles d’accueil
La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Cet amendement vise à garantir que l’allocation pour demandeur d’asile, l’ADA, soit versée dans un délai de huit jours à compter de l’acceptation des conditions matérielles d’accueil.
Aujourd’hui, les demandeurs d’asile ne perçoivent l’ADA qu’après l’enregistrement de la demande d’asile – c’est normal. Mais les délais d’enregistrement des demandes – ils sont de vingt jours ouvrés en moyenne selon les associations, ce qui est assez important – et les délais d’envoi des dossiers de demande d’asile à l’OFPRA, qui sont de vingt et un jours maximum, font que le versement de l’ADA peut intervenir près de deux mois après l’accès du demandeur à la plateforme d’accueil.
Pour cette raison, nous souhaitons encadrer ce versement par l’instauration d’un délai beaucoup plus court, de huit jours à compter de l’acceptation des conditions matérielles d’accueil.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Sur cet amendement, l’avis de la commission est défavorable. N’y voyez aucune volonté, mes chers collègues, d’être désagréable.
M. Fabien Gay. C’est gentil de le préciser !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Certains avis défavorables sont émis par méchanceté (M. Roger Karoutchi rit.) ; d’autres le sont en toute bienveillance – il nous arrive, tout simplement, de penser, s’agissant de tel ou tel dispositif, que les services auront les moyens de le faire fonctionner tel qu’il existe.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Ce n’est pas le cas aujourd’hui !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. D’après les auditions que nous avons menées, c’est ce que nous pensons du présent dispositif.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérard Collomb, ministre d’État. Même avis bienveillant mais défavorable. (Mme Marie-Pierre de la Gontrie s’exclame.)
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Cet amendement est sympathique, mais irréaliste. D’un côté, vous dites, lorsque les demandeurs d’asile doivent recevoir par courrier telle ou telle décision les concernant, qu’il faut des délais, pour s’assurer de la bonne réception du courrier ; de l’autre, vous voudriez contraindre l’OFII à respecter un délai de huit jours ?
Quels que soient les moyens supplémentaires dont dispose l’OFII aujourd’hui – et, franchement, l’OFII fait très bien son travail –, un délai de huit jours est impossible à tenir ! (Mme Marie-Pierre de la Gontrie s’exclame de nouveau.) Il ne faut pas demander l’impossible !
Dieu sait que les effectifs de l’OFII ont été renforcés, et que l’OFII, qui se concentre sur cette mission, gère nettement mieux l’ADA que Pôle emploi. Mais de là à dire que le versement doit intervenir dans les huit jours, il y a un pas qui ne peut aboutir qu’à de nombreux contentieux : aussi vite que puisse faire l’OFII, huit jours, c’est beaucoup trop court !
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Proposez un autre délai !
M. Roger Karoutchi. Un mois, c’est faisable ; mais huit jours, c’est trop court, franchement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Si l’on souhaite accélérer les procédures de demande d’asile, il est absolument indispensable que les demandeurs d’asile disposent des moyens qui leur permettent de vivre au moment où ils doivent déposer leur demande, écrire leur récit, etc.
M. Roger Karoutchi. Huit jours, ce n’est pas faisable !
M. Jean-Yves Leconte. Huit jours, c’est peut-être très court, monsieur Karoutchi,…
M. Roger Karoutchi. Oui !
M. Jean-Yves Leconte. Vous êtes un bien meilleur défenseur des droits de l’OFII que de ceux des demandeurs d’asile !
M. Roger Karoutchi. Pas du tout !
M. Jean-Yves Leconte. Lorsque nous vous disons qu’il est impossible, pour un demandeur d’asile, de faire une demande de recours en quinze jours, vous nous répondez : « Si ! Il faut qu’il s’y mette ! ».
Concrètement, si l’on veut pouvoir exiger d’un demandeur d’asile qu’il soit capable très rapidement d’écrire son récit et de répondre à des convocations, il faut qu’il dispose d’un minimum de moyens.
C’est la raison pour laquelle, s’il s’avère qu’un délai de huit jours est trop court, il faut du moins qu’un délai soit inscrit dans la loi – il en existe beaucoup d’autres en matière de procédures d’asile –, afin que les choses soient encadrées de manière très précise.
Il faut s’assurer que, lorsque l’on demandera au demandeur d’asile qui habite à Montpellier de venir à Paris et de répondre à un certain nombre d’exigences, celui-ci disposera d’un minimum de moyens pour y pourvoir.
M. Roger Karoutchi. Proposez un délai d’un mois ! Huit jours, ce n’est pas possible !
M. Jean-Yves Leconte. Si un délai de huit jours est impossible à tenir, essayons de trouver autre chose. Mais on ne peut pas tirer argument d’une telle impossibilité pour dire qu’il ne faut rien faire !
M. Roger Karoutchi. Ce n’est pas ce que j’ai dit ! J’ai dit que huit jours, c’est trop court !
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 361 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. L’amendement n° 507, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 47
Insérer trois alinéas ainsi rédigés :
…° Après l’article L. 744-9, il est inséré un article L. 744-9-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 744-9-1. – Lorsque le droit au maintien a pris fin en application du 4° bis ou du 7° de l’article L. 743-2, l’étranger bénéficie des conditions matérielles d’accueil jusqu’au terme du mois au cours duquel lui a été notifiée l’obligation de quitter le territoire français prise en application du 6° du I de l’article L. 511-1. À défaut d’une telle notification, le bénéfice des conditions matérielles d’accueil prend fin au terme du mois au cours duquel a expiré le délai de recours contre la décision de l’office ou, si un recours a été formé, au terme du mois au cours duquel la décision de la cour a été lue en audience publique ou notifiée s’il est statué par ordonnance.
« La suspension de l’exécution de la mesure d’éloignement prononcée par le président du tribunal administratif ou le magistrat désigné à cette fin saisi sur le fondement du dernier alinéa de l’article L. 743-3 entraîne le rétablissement des conditions matérielles d’accueil. Celui-ci ne peut être obtenu par aucune autre voie de recours. »
La parole est à M. le ministre d’État.
M. Gérard Collomb, ministre d’État. Il s’agit, à travers cet amendement, d’unifier les contentieux de l’ADA, du recours non suspensif et de l’OQTF, l’obligation de quitter le territoire français, dans un souci de clarification.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission a regretté que cette proposition n’ait pas été examinée dans l’étude d’impact. Nous y sommes malgré tout favorables.
Avis favorable, donc, sur cet amendement.
M. le président. L’amendement n° 403 rectifié, présenté par MM. Assouline, Jomier et Féraud, Mmes Lienemann, de la Gontrie, Conway-Mouret et Conconne, MM. Cabanel, Antiste et Tissot, Mmes Artigalas et Ghali, MM. Temal et Tourenne, Mme Lubin, M. Vallini, Mme Lepage, MM. Manable, Houllegatte et Daudigny, Mmes Jasmin et S. Robert, MM. Durain, Courteau et Magner, Mme Préville, MM. Iacovelli et Dagbert et Mmes Espagnac et Taillé-Polian, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 52
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
Dans les communes le souhaitant, des centres de premier accueil peuvent accueillir pour une durée maximale d’un mois des étrangers qui ne disposent pas d’un domicile stable. Le droit à l’hébergement d’urgence de toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale est garanti dans les conditions prévues à l’article L. 345-2-2 du code de l’action sociale et des familles.
En lien avec les associations et avec l’État ces centres de premier accueil offrent des prestations d’accompagnement social, juridique et administratif.
La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Cet amendement vise à établir un principe d’accueil digne pour l’ensemble des migrants, sans distinction de situation : réfugiés, « dublinés », demandeurs d’asile. Cette mesure est inspirée du dispositif concret qui a été mis en place par la mairie de Paris, à la porte de la Chapelle notamment.
Les centres de premier accueil offrent un hébergement aux étrangers en situation irrégulière, quelle que soit cette situation. Des services d’accompagnement juridique seront mis en place afin de faciliter le dépôt d’une demande d’asile pour ceux qui en ont exprimé la volonté.
Il s’agit de travailler à la création de structures dédiées, dont la conception se ferait en relation avec l’État, comme beaucoup de maires l’ont demandé, notamment le maire de Bordeaux, la maire de Paris et d’autres maires de villes françaises d’importance.
La situation que l’on a vue se répéter sous les ponts de la porte de la Villette n’est pas acceptable. On a attendu, deux mois, trois mois, pour finir par installer les migrants dans des gymnases disséminés ici et là, remplissant la fonction exacte qui serait celle de ces centres dont je vous propose de prévoir la création par la loi, au lieu de n’agir qu’en urgence et en catastrophe. Il y a absolument besoin de lieux d’hébergement où les migrants puissent concrètement entamer leurs démarches. C’est nécessaire !
On le voit notamment à propos des « dublinés », phénomène auquel vous n’avez pas voulu qu’on apporte de réponse voilà quelques instants. Lorsque 600 Soudanais ou Érythréens, qui ont droit à l’asile politique, sont en France en situation irrégulière parce qu’ils sont passés par l’Italie, on fait semblant de ne pas les voir. Or on pourrait, de façon digne, leur accorder ce premier accueil, tout en traitant leurs demandes de façon individuelle, et non pas collective, contrairement à ce qui nous a été opposé. Ils pourraient ainsi avoir accès à leurs droits.
Pour Paris, c’est important – on voit bien l’importance de ce qui s’y passe, à chaque fois que cela se passe. Il faut cesser de traiter ces situations dans l’urgence ; toutes les villes d’importance demandent des centres d’hébergement de premier accueil.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Cet amendement vise à permettre aux communes d’accueillir pour une durée maximale d’un mois des étrangers qui ne disposent pas d’un domicile stable.
L’article 9 du texte me semble satisfaire cet amendement, avec la consécration légale des CAES, les centres d’accueil et d’examen des situations, qui sont justement destinés à cette fin.
En outre, rien n’empêche les communes d’organiser elles-mêmes cet hébergement, dont elles peuvent parfaitement, le cas échéant, maîtriser les modalités.
La commission et son rapporteur n’entrent pas dans la particularité des débats avec les communes.
Avis défavorable, donc.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.
M. Bernard Jomier. J’entends bien les propos du rapporteur ; mais, comme vous le savez, une commune ne peut pas gérer à la fois l’amont, le centre et l’aval.
Qu’a-t-on vu à Paris ? Tant que l’État assurait l’aval, c’est-à-dire tant qu’à la sortie du centre humanitaire les migrants étaient répartis dans les centres des différentes autres communes, le premier centre a quasiment rempli sa fonction, et on n’a pas connu de reconstitution des campements de rue. Mais à partir du moment où l’État a cessé d’assurer cette orientation d’aval, et dès lors que le centre a fermé, les campements de rue se sont reconstitués.
Permettre aux communes de mener cette action, leur donner la légitimité de la loi, c’est instaurer un rapport plus équilibré avec l’État dans la discussion sur l’aval, sur ce qui vient après ce centre.
S’agissant de l’amont, mon collègue David Assouline l’a dit : ces centres visent à répondre à ce qui constitue quand même un angle mort du projet de loi, à savoir la question des « dublinés ».
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Mon collègue Jomier a répondu aux petits éléments donnés par le rapporteur, qui a dit qu’il existe déjà des CAES. Non ! On voit bien qu’ils ne remplissent pas cette fonction.
Il s’agit, d’abord, du premier accueil ; il s’agit, ensuite, qu’un travail puisse être effectué, dans des conditions dignes et humaines, pour diriger les migrants vers les différents centres existants.
Or, je le répète, lorsque 600 Érythréens, qui savent qu’ils ont toute légitimité à obtenir l’asile politique, savent aussi qu’ils sont en situation irrégulière du point de vue de Dublin, ils se cachent, ou individuellement ou en groupe, et, en général, ils se regroupent – c’est ce qui s’est passé sous le pont de la Chapelle.
Que ce premier accueil puisse se faire sous les ponts, c’est une indignité pour un pays comme le nôtre – ceux qui ont été voir le savent : huit semaines, les pluies, les inondations, en bord de Seine, deux noyés, la promiscuité totale, les risques d’épidémies, des gosses mélangés à tout ça !
Nous voulons simplement que des centres soient dédiés à cet accueil, aux premiers soins, au nom de la dignité, afin que les demandes d’asile puissent être faites, avec l’aide des associations, et afin que les demandeurs puissent ensuite être dirigés vers les dispositifs déjà existants.
Au lieu d’organiser cet accueil au coup par coup, parce qu’on y est obligé, par le biais de gymnases notamment, comme cela s’est toujours passé, nous demandons qu’une politique soit définie et que les communes aient la légitimité, par la loi, de pouvoir mettre en place ledit accueil. Beaucoup de communes le demandent ; elles veulent prendre des responsabilités. Que la loi leur donne cette possibilité !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Mes chers collègues, le rapporteur et le ministre vous expliquent, de bonne foi, en toute sincérité, que votre amendement est très largement satisfait,…
M. David Assouline. Mais non !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. … et vous revenez encore, dans vos explications de vote, sur l’exposé de vos motifs.
Mais en fait, que constate-t-on ? Vous savez bien que 70 % des demandeurs d’asile seront déboutés du droit d’asile, si bien que nous avons à traiter un problème massif, qui est un problème de société : c’est que le demandeur d’asile n’a généralement pas droit à l’asile.
M. David Assouline. Ce n’est pas le cas des Érythréens et des Soudanais !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Nous allons naturellement lui permettre de défendre ses chances, et nous faisons en sorte que des garanties lui soient apportées.
Mais nous ne pouvons pas nous mettre systématiquement du côté du demandeur d’asile, comme si sa demande allait être probablement admise, alors que nous savons que la réalité est que, dans 70 % des cas, elle ne le sera pas.
Le problème que nous avons à traiter ici, qui est le problème principal, n’est pas de construire un système de garanties supplémentaires pour les demandeurs d’asile,…
M. David Assouline. Non ! C’est un problème de dignité humaine !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. … car la France peut s’honorer d’avoir un système extrêmement protecteur qui remplit intégralement nos obligations internationales.
Le problème d’aujourd’hui, la question qui nous est posée, que la réalité nous impose de traiter, est celle de savoir comment faire pour réguler la demande d’asile de telle manière qu’on ne multiplie pas les déboutés du droit d’asile, lesquels viennent engorger nos dispositifs d’accueil. (M. David Assouline s’exclame.)
Mme Esther Benbassa. Nous savons tout cela !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. L’enjeu n’est pas de créer davantage de dispositifs d’accueil ; nous n’en avons pas besoin pour traiter les demandes d’asile légitimes !
M. David Assouline. Vous n’avez pas lu l’amendement !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Ce débat sous-jacent, il faut quand même réussir à le formuler ; sinon, vous allez continuer à vous faire les porte-étendards du demandeur d’asile qui sera débouté, tandis que nous allons continuer, sans le dire – mais nous devons aussi l’assumer –, à nous faire les défenseurs d’un système conçu pour éviter que notre dispositif, dont la vocation est de faire respecter les droits légitimes des demandeurs d’asile, ne soit « embolisé » par des étrangers qui, en réalité, le détournent pour essayer d’obtenir un titre de séjour durable en France. (Bravo ! et applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. David Assouline. Tout cela n’a rien à voir avec l’amendement !
Mme Esther Benbassa. Quel rapport avec l’amendement ?
M. le président. Je mets aux voix l’article 9, modifié.
J’ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe Les Républicains, l’autre, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 153 :
Nombre de votants | 333 |
Nombre de suffrages exprimés | 331 |
Pour l’adoption | 217 |
Contre | 114 |
Le Sénat a adopté.
Article 9 bis AA (nouveau)
Après les mots : « réinsertion sociale », la fin de la première phrase du 4° du IV de l’article L. 302-5 du code de la construction et de l’habitation est ainsi rédigée : « , des centres d’accueil pour demandeurs d’asile, des centres provisoires d’hébergement mentionnés aux articles L. 345-1, L. 348-1 et L. 349-1 du code de l’action sociale et des familles et des centres d’hébergement d’urgence des demandeurs d’asile. » – (Adopté.)
Article 9 bis A
(Non modifié)
Le chapitre Ier du titre V du livre VII du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est complété par un article L. 751-3 ainsi rédigé :
« Art. L. 751-3. – Dans l’attente de la fixation définitive de son état civil par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire peut solliciter le bénéfice des droits qui lui sont ouverts en application du code du travail, du code de la sécurité sociale, du code de l’action sociale et des familles ou du code de la construction et de l’habitation, sur la base de la composition familiale prise en compte dans le cadre de la procédure d’asile prévue au titre IV du présent livre.
« Un décret fixe les modalités d’application du présent article. » – (Adopté.)
Article 9 bis
Le I de l’article L. 349-3 du code de l’action sociale et des familles est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Pour l’accès aux centres provisoires d’hébergement, il est tenu compte de la vulnérabilité de l’intéressé, de ses liens personnels et familiaux et de la région dans laquelle il a résidé pendant l’examen de sa demande d’asile. » – (Adopté.)
Articles additionnels après l’article 9 bis
M. le président. L’amendement n° 484 rectifié, présenté par M. Ravier, est ainsi libellé :
Après l’article 9 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Les articles 19-1, 19-3, 19-4 et 20-5 du code civil sont abrogés.
II. – Au deuxième alinéa de l’article 20 du même code, les références : « 19-1, 19-3 et 19-4 » sont supprimées.
III. – Les articles 23 et 25 de la loi n° 73-42 du 9 janvier 1973 complétant et modifiant le code de la nationalité française et relative à certaines dispositions concernant la nationalité française sont abrogés.
La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Les changements majeurs, pour ne pas dire révolutionnaires, intervenus dans les flux migratoires ces dernières années nous imposent – ou devraient nous imposer – une refonte profonde des règles de délivrance de la nationalité française. Nous devons pouvoir choisir au cas par cas qui aura la chance, pour ne pas dire l’honneur, de devenir Français.
Cet amendement vise à supprimer tous les articles de notre législation qui consacrent le droit du sol.
Je le rappelle pour mémoire, l’un de nos anciens collègues, alors ministre de l’outre-mer, avait déclaré au mois de septembre 2005, après une visite à Mayotte, que, pour certaines collectivités d’outre-mer, « le chantier le plus important, c’est l’immigration » ! Le ministre François Baroin, libéré de toute idéologie, libéré aussi de ses lectures (M. Roger Karoutchi rit.), avait pris conscience de la réalité de l’immigration en général, et de l’immigration clandestine à Mayotte en particulier, d’où son souhait de modifier le code de la nationalité.
Cette proposition a bien sûr été refusée par le Président de la République de l’époque, grand architecte de l’immigration de masse, M. Chirac, avant d’être frappée d’inconstitutionnalité. On ne peut évidemment pas avoir un droit du sol en métropole et un droit du sang dans nos collectivités d’outre-mer.
Mes collègues à l’Assemblée nationale ont déposé une proposition de loi constitutionnelle qui est au fondement de notre contre-projet. Nous souhaitons inscrire dans la Constitution une mesure que nous considérons comme préalable à toute politique d’immigration. Nous proposons ainsi d’introduire, après l’article 2 de notre Loi fondamentale, la disposition suivante : « Nul étranger ne peut accéder à la nationalité française s’il ne l’a demandé, s’il n’est assimilé à la Nation et s’il ne satisfait aux autres conditions requises. » Ces conditions sont, par exemple, de ne pas avoir été condamné pour crime ou délit ou de ne pas être fiché S.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Cet amendement est important : il vise purement et simplement à supprimer le droit du sol. La commission y est évidemment défavorable.
Il ne me semble pas concevable de remettre en cause par un simple amendement un principe aussi important que le droit de la nationalité, auquel nombre d’entre nous sommes très attachés. Cela supposerait un travail beaucoup plus approfondi et anticipé.
Je tiens tout de même à rappeler quelques principes.
Les dispositions relatives à l’acquisition de la nationalité par le droit du sol sont prévues depuis le XIXe siècle en droit français.
Le code civil distingue l’attribution et l’acquisition de la nationalité française. L’attribution de la nationalité française vise ceux qui naissent français. Elle obéit aux deux principes traditionnels du droit français de la nationalité que sont le droit du sang, c’est-à-dire est français l’enfant né d’au moins un parent français, et le double droit du sol, c’est-à-dire est français l’enfant né en France d’au moins un parent lui-même né en France. Le code civil distingue en outre plusieurs modes d’acquisition de la nationalité française visant ceux qui, ayant une nationalité étrangère, deviennent ensuite français. Il prévoit notamment l’acquisition par la naissance et la résidence en France, la nationalité étant acquise à la majorité de l’enfant. Elle peut faire l’objet d’une déclaration anticipée de la part du mineur de plus de seize ans, ou formée par les parents au nom de l’enfant à partir de ses treize ans.
Ces principes sont anciens, mais ils ont fait leurs preuves.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Je ne serais pas intervenu sur cet amendement, car je partage ce qu’a dit notre rapporteur, si M. Ravier n’avait pas fait allusion aux fiches S.
Subordonner le droit de la nationalité aux fiches S est proprement insensé, pour une raison que nous devons constamment rappeler : l’immense majorité des personnes qui sont fichées S n’ont commis aucune infraction, aucun délit, aucun crime. C’est un fichier qui fait partie des outils du renseignement, outils utiles, car le renseignement est nécessaire dans la lutte contre le terrorisme.
Cela procède d’un certain nombre de déclarations politiques tendant à dire que toute personne fichée S devrait être emprisonnée ou expulsée. Or, mes chers collègues, vous le savez tous, lorsqu’une personne commet une infraction, un délit ou un crime, cela relève de la justice !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois, a eu la bonne idée de nous convier à constituer un groupe de travail présidé par François Pillet sur les fichés S. Cela me paraît nécessaire pour éviter de telles confusions, qui n’ont vraiment aucun sens.
M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. On ne peut évidemment que s’opposer à un tel amendement. Je remercie M. le rapporteur d’avoir rappelé quelques principes.
Le droit de la nationalité va faire l’objet d’autres amendements. Nous mesurons là, me semble-t-il, les dangers d’un texte sur l’immigration, l’asile et l’intégration dans lequel on voudrait insérer des amendements concernant les dispositions du code civil relatives à la nationalité.
Mme Éliane Assassi. Exactement !
M. Jacques Bigot. Le droit du sol, stabilisé depuis la loi du 16 mars 1998 relative à la nationalité, est extrêmement précis. L’enfant né en France de parents étrangers n’acquiert pas d’office la nationalité française. Il l’acquiert à la majorité, à condition de justifier qu’il a vécu en France de manière continue ou discontinue pendant cinq ans depuis l’âge de onze ans et qu’il dispose d’une résidence en France au moment où il veut acquérir la nationalité. Autrement dit, c’est quelqu’un qui est présent sur le sol français et qui a pu s’intégrer grâce à l’école.
Trop de gens croient que l’on peut arriver sur notre territoire, avoir des enfants et acquérir la nationalité française. Or ce n’est pas possible ; il faut le répéter.
De tels amendements montrent bien que le populisme est à nos portes. C’est contre ce populisme qu’il faut lutter !
Pourtant, comme le soulignait notre collègue de Savoie ou comme le montre l’exemple que j’ai mentionné précédemment à propos de la commune du Luc, les étrangers sont acceptés en France. La vision de masse est dangereuse, alors que la vision individuelle de nos concitoyens reste humaniste et généreuse. C’est à nous, élus, de le rappeler ! (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain. – Mmes Esther Benbassa et Laurence Cohen, ainsi que M. Fabien Gay applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Il est absolument essentiel de bien le comprendre : ce qui définit la communauté nationale, ce sont les dispositions du code civil relatives au droit de la nationalité. Notre conception du droit du sol n’a rien à voir avec la manière dont la nationalité est conférée aux États-Unis.
Comme l’a rappelé notre collègue Jacques Bigot, un enfant né en France de parents étrangers a des possibilités d’acquérir la nationalité française à partir de l’âge de treize ans, mais avec des conditions exigeantes et précises de durée sur le territoire français.
Tous ceux qui, par leurs propositions ou discours, font croire que le droit du sol en France consiste simplement à naître en France propagent des idées fausses et sont responsables de certaines évolutions. Il me semblait utile de le rappeler.
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour explication de vote.
M. Thani Mohamed Soilihi. Je n’avais pas non plus prévu d’intervenir sur cet amendement. Mais il se trouve que notre collègue a cru bon d’invoquer le cas de Mayotte. Une telle instrumentalisation de ce département, qui connaît des difficultés majeures, pour faire passer des idées abjectes et nauséabondes (M. Stéphane Ravier s’exclame.) m’indigne profondément !
Cet amendement n’a rien à voir avec ceux que je défendrai tout à l’heure et qui s’expliquent par une situation bien particulière, partagée sur aucun autre territoire.
M. Stéphane Ravier. La Guyane !
M. Thani Mohamed Soilihi. Vous vous moquez de cette île et des Mahorais, cher collègue ! Et vous le faites pour la circonstance ! C’est scandaleux !
C’est cette instrumentalisation que je voulais condamner avec la plus grande force à ce stade de nos débats ! (Bravo ! et applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain. – Mmes Maryse Carrère et Florence Lassarade, ainsi que M. Roger Karoutchi applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Je voudrais rappeler que l’on peut également devenir citoyenne ou citoyen français parce que l’on a mis un talent exceptionnel à la disposition de notre République ou offert des services à la collectivité.
Ainsi, nombre d’étrangers qui se sont engagés dans la Résistance française ont obtenu à ce titre la citoyenneté française à la Libération. Ils se sont battus contre un régime, celui de l’État français, qui incarnait alors la Nation.
M. Roger Karoutchi. Non ! Il n’incarnait pas la Nation !
M. Pierre Ouzoulias. Et je suis fier qu’ils aient combattu cet État français que vous défendez ici, monsieur ! (M. Stéphane Ravier s’esclaffe.)
M. le président. Je suis saisi de cinq amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 113 rectifié bis, présenté par Mmes Assassi et Benbassa, M. Bocquet, Mmes Brulin, Cohen et Cukierman, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud et MM. Savoldelli et Watrin et les membres du , est ainsi libellé :
Après l’article 9 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le paragraphe 3 de la section 1 du chapitre III du titre Ier bis du livre Ier du code civil est ainsi modifié :
1° L’article 21-7 est ainsi rédigé :
« Art. 21-7. – Tout enfant né sur le territoire de la République est reconnu comme français, à moins que ses parents, s’ils sont tous deux étrangers, ne s’y opposent. » ;
2° Après le mot : « Français », la fin du premier alinéa de l’article 21-8 est ainsi rédigée : « à partir de sa majorité. » ;
3° Le second alinéa de l’article 21-9 est supprimé ;
4° L’article 21-11 est abrogé.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Je ne reviendrai pas sur les propos de l’auteur de l’amendement n° 484 rectifié ; je n’ai pas envie de m’énerver… L’amendement de ce monsieur incarne ce qu’il y a de plus immonde en matière de négation de l’être humain.
Nous, nous souhaitons réaffirmer sans ambiguïté le droit du sol.
Comme cela a été souligné, un enfant né en France de parents étrangers doit attendre l’âge de seize ans pour demander la nationalité française, à moins que ses parents ne l’aient fait à partir de ses treize ans.
Selon le code civil, l’enfant étranger souhaitant acquérir la nationalité française dispose actuellement d’une telle faculté, sous certaines conditions. Or nombreux sont ceux qui l’ignorent : condition de résidence pendant une période continue ou discontinue d’au moins cinq ans depuis l’âge de onze ans ; possibilité de décliner la qualité de français dans les six mois qui précèdent sa majorité ou dans les douze mois qui la suivent ; possibilité de réclamer à partir de seize ans la nationalité française par déclaration s’il a en France sa résidence et s’il a eu sa résidence habituelle en France pendant une période continue ou discontinue d’au moins cinq ans depuis l’âge de onze ans… Et la liste des cas, des exceptions et des conditions n’est pas exhaustive !
Un de nos collègues proposait même d’ajouter une nouvelle condition pour l’outre-mer : l’enfant ayant atteint sa majorité devrait, avant d’acquérir la nationalité française, apporter la preuve que ses parents résidaient en France de manière ininterrompue pendant six mois lors de sa naissance.
Voyez jusqu’où va l’imagination débordante de certains d’entre vous pour compliquer la vie d’enfants parfaitement intégrés sur notre territoire, pour les stigmatiser en les renvoyant aux conditions de vie de leurs parents dix-huit ans plus tôt ! C’est vraiment invraisemblable !
Pour notre part, nous pensons que toutes ces conditions d’accès à la nationalité française pour l’enfant mineur né en France de parents étrangers sont inappropriées, en contradiction avec l’intérêt supérieur de l’enfant et, surtout, contraire à nos valeurs républicaines. La France n’est pas une réalité ethnique. C’est l’existence d’un destin commun qui doit fonder l’accès à la nationalité. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – M. Rachid Temal applaudit également.)
M. le président. L’amendement n° 407 rectifié ter, présenté par M. H. Leroy, Mmes Berthet, Deromedi, Di Folco et Eustache-Brinio, MM. Frassa, Karoutchi et Meurant, Mme Morhet-Richaud, M. Morisset, Mme Puissat, MM. Revet et Menonville, Mme Lherbier, MM. Leleux, Paccaud, Charon, Joyandet, Bonne, Paul, Cardoux, Laménie, Sido, Bonhomme, B. Fournier, Danesi et Gremillet, Mmes Lassarade et Bories et M. Ginesta, est ainsi libellé :
Après l’article 9 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au premier alinéa de l’article 21-7 du code civil, le mot : « acquiert » est remplacé par les mots : « peut, à condition qu’il en manifeste la volonté à partir de l’âge de seize ans, acquérir ».
La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Sans remettre en cause les règles d’acquisition de la nationalité concernant les personnes nées en France de parents étrangers et remplissant une condition de résidence sur le territoire, le présent amendement vise à faire en sorte que ces jeunes manifestent leur volonté de devenir Français par une démarche individuelle et active.
M. le président. L’amendement n° 164 rectifié bis, présenté par MM. Meurant et H. Leroy, est ainsi libellé :
Après l’article 9 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le premier alinéa de l’article 21-7 du code civil est complété par les mots : « et s’il a manifesté publiquement son désir d’acquérir la nationalité française, de révoquer toute autre nationalité, et s’il a satisfait à un examen manifestant sa maîtrise de la langue française, sa connaissance de la culture et de l’histoire françaises, et son adhésion aux valeurs de la France, en particulier le respect de l’égale dignité de tout être humain, quel que soit son âge, son sexe, sa condition ou sa religion »
La parole est à M. Sébastien Meurant.
M. Sébastien Meurant. Au surlendemain de l’anniversaire de l’appel du 18 juin 1940, je voudrais avoir une pensée émue pour un grand monsieur, un grand ministre de l’intérieur et un compagnon : Charles Pasqua. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme Esther Benbassa. Il nous manquait, celui-là !
M. Sébastien Meurant. Quoi qu’il arrive – je crois que le sujet le mérite –, la flamme de la Résistance française ne doit pas s’éteindre, et ne s’éteindra pas ! Charles Pasqua était de cette espèce d’hommes d’État guidés par le bien commun et par l’intérêt supérieur de la Nation. Charles Pasqua savait précisément ce que voulait dire être ou devenir français.
L’amendement que nous vous proposons s’inspire directement d’une loi qu’il a défendue ici, en 1993. Aujourd’hui, l’article 21–7 du code civil prévoit qu’un enfant né de parents étrangers acquiert automatiquement la nationalité française à sa majorité si, à cette date, il remplit une condition de séjour.
L’amendement que nous soumettons est le fruit d’un travail collectif effectué en concertation avec quelques sénateurs du groupe Les Républicains. Il s’agit de préciser que le jeune étranger souhaitant devenir français doit avoir manifesté sa volonté d’intégrer la communauté nationale par une démarche individuelle et active.
Mme Esther Benbassa. Par exemple ?
M. Sébastien Meurant. Mes chers collègues, ce principe est d’une importance capitale. Nous devons affirmer que la nationalité n’est pas une pochette-surprise que l’on reçoit à sa majorité ! La nationalité se mérite, mais elle doit aussi se vouloir. Voilà ce que nous vous proposons de voter ! Est français qui reconnaît que la loi de la République est la seule qui s’applique sur le territoire de la Nation ! (Mme Éliane Assassi s’exclame.)
M. le président. L’amendement n° 401 rectifié, présenté par M. Karoutchi, est ainsi libellé :
Après l’article 9 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code civil est ainsi modifié :
1° Après le premier alinéa de l’article 21-7, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« À Mayotte, pendant une période de dix ans à compter de la promulgation de la loi n° … du … pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, ces dispositions ne sont applicables qu’à l’enfant dont l’un des parents au moins a été en situation régulière au regard des lois et accords internationaux relatifs au séjour des étrangers en France à sa naissance et pendant la période durant laquelle il a eu sa résidence habituelle en France. » ;
2° L’article 21-11 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« À Mayotte, pendant une période de dix ans à compter de la promulgation de la loi n° … du … pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, ces dispositions ne sont applicables qu’à l’enfant dont l’un des parents au moins a été en situation régulière au regard des lois et accords internationaux relatifs au séjour des étrangers en France à sa naissance et pendant la période durant laquelle il a eu sa résidence habituelle en France. »
La parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. Cet amendement m’a été inspiré par mon ami le député Mansour Kamardine. Mais je préfère la rédaction, meilleure et plus complète, que notre collègue Thani Mohamed Soilihi propose aux amendements nos 30 rectifié bis et 31 rectifié bis. C’est pourquoi je retire mon amendement au profit des siens.
M. Roger Karoutchi. Je profite de l’occasion pour répondre à M. Ouzoulias. (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) Mon cher collègue, d’un point de vue historique, je ne peux absolument pas vous laisser dire que l’État français incarnait la Nation. C’était peut-être le pays légal ; ce n’était pas le pays légitime ! (MM. Philippe Mouiller, Arnaud Bazin, Michel Vaspart et Alain Schmitz applaudissent.)
M. Michel Vaspart. Bravo !
M. le président. L’amendement n° 30 rectifié bis, présenté par MM. Mohamed Soilihi, Hassani, Navarro, Marchand et Amiel et Mme Schillinger, est ainsi libellé :
I. - Après l’article 9 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 2492-1 du code civil est ainsi rédigé :
« Art. 2492-1. – Pour un enfant né à Mayotte, le premier alinéa de l’article 21-7 et de l’article 21-11 ne sont applicables que si, à la date de sa naissance, l’un de ses parents au moins résidait en France de manière régulière et ininterrompue depuis plus de trois mois. »
II. – En conséquence, insérer une division additionnelle et son intitulé ainsi rédigés :
Titre…
Adaptation des règles de nationalité à Mayotte pour préserver les droits de l’enfant, l’ordre public et faire face au flux migratoire
La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Les débats à l’Assemblée nationale et ici au Sénat ont confirmé la complexité de ce texte et l’ampleur des enjeux.
Les amendements nos 30 rectifié bis et 31 rectifié bis sont issus d’une proposition de loi que j’ai déposée le 25 avril dernier et sur laquelle j’ai souhaité que le Conseil d’État rende un avis, compte tenu de la sensibilité du sujet.
Le récent soulèvement populaire qui a eu lieu à Mayotte a relancé la prolifération de prises de position autour de la question du droit du sol dans ce département et, plus généralement, de sa remise en cause dans notre pays. Il existe à Mayotte des raisons objectives et insoutenables qui ne se retrouvent sur aucune autre partie du territoire français et qui justifient aujourd’hui ce débat et le dépôt de tels amendements.
Sur une compréhension illusoire de la manière dont on acquiert la nationalité française, des femmes, majoritairement de nationalité comorienne, viennent à Mayotte dans des conditions de voyage précaires et dangereuses, afin d’y accoucher. En 2007, 10 000 nouveau-nés ont vu le jour au centre hospitalier de Mayotte, et 74 % de ces enfants sont nés de mère étrangère et la moitié de deux parents étrangers.
Cette chimère d’un droit du sol automatique pousse encore un nombre considérable de parents à laisser leur enfant à Mayotte lorsqu’ils font l’objet d’une mesure d’éloignement. Ce sont quelque 3 000 mineurs isolés étrangers qui, au mieux, sont livrés à eux-mêmes sur ce territoire et, dans le pire des cas, sombrent dans la violence, la drogue ou la prostitution. Le Défenseur des droits dénonce régulièrement leur sort.
La moitié des habitants de cette petite île de 374 kilomètres carrés sont aujourd’hui d’origine étrangère, et une immense partie de cette population d’origine étrangère est en situation irrégulière. Une telle pression migratoire insensée entraîne des conséquences en matière d’ordre public. Elle a des effets sur tous les services publics, notamment la santé et l’éducation nationale. Voilà la réalité de notre situation sur place ! Est-il digne de notre République de laisser cette situation perdurer ? Je ne le pense pas.
C’est la raison pour laquelle je présente ces deux amendements.
L’amendement n° 30 rectifié bis exige que l’un des parents d’un enfant né à Mayotte ait été présent de manière régulière sur le territoire national depuis plus de trois mois au jour de la naissance.
L’amendement n° 31 rectifié bis prévoit pour l’établissement de la preuve de cette condition que l’officier d’état civil chargé de rédiger l’acte de naissance précise dès ce moment si l’un des parents au moins la remplit effectivement.
Ces amendements n’apportent aucune dérogation limitée aux modalités d’acquisition de la nationalité française. Ils ne remettent pas en cause le principe de la naturalisation par l’effet de la résidence en France et ne modifient pas la durée de résidence exigée. Ils maintiennent également la possibilité pour un enfant né de parents étrangers de résider sur l’ensemble du territoire national, à Mayotte comme sur le reste du territoire, cette résidence comptant pour le bénéfice de la naturalisation.
Le contrôle de constitutionnalité et de conventionnalité auquel le Conseil d’État les a soumis devrait, je l’espère, vous convaincre de leur légitimité. J’en conviens, leur adoption ne viendra pas seule à bout de la difficulté. Mais elle permettra une respiration.
Mes chers collègues, je compte sur vous pour voter en faveur de ces amendements. Je compte également sur la population pour adopter localement des comportements responsables qui viendront à bout des pratiques frauduleuses.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’adoption de l’amendement n° 113 rectifié bis aurait pour effet de supprimer toute condition de délai, de résidence ou de déclaration pour l’acquisition de la nationalité des enfants nés sur le territoire, ainsi que l’acquisition de la nationalité française prévue au bénéfice d’engagés dans l’armée. Au demeurant, un tel amendement me semble contraire à notre tradition juridique, en vertu de laquelle la naissance en France n’est pas à elle seule attributive de nationalité – nous venons de l’évoquer –, mais doit être confortée par d’autres éléments de rattachement.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
En revanche, l’avis est favorable sur l’amendement n° 407 rectifié ter, qui vise à faire en sorte que les jeunes nés en France de parents étrangers manifestent désormais explicitement leur volonté de devenir français. Une telle mesure a un caractère symbolique important.
Conséquence de cet avis favorable, la commission sollicite le retrait – à défaut, ce serait un avis défavorable – de l’amendement n° 164 rectifié bis. En effet, les mineurs devraient désormais renoncer à toute autre nationalité et passer en plus un examen de nationalité pour évaluer notamment leurs connaissances historiques et linguistiques. Le risque, avec l’introduction de multiples conditions restrictives, est d’aller trop loin.
Enfin, à propos du problème spécifique de Mayotte, la commission, qui remercie M. Karoutchi d’avoir retiré l’amendement n° 401 rectifié, a émis un avis favorable sur l’amendement n° 30 rectifié bis.
Cet amendement très complet reprend le texte de la proposition de loi soumise par le président du Sénat au Conseil d’État, et que ce dernier a jugée parfaitement conforme à la Constitution. Je rappelle à notre assemblée qu’il s’agit d’une adaptation limitée de l’un des aspects du droit du sol, dans un contexte de pression migratoire sans précédent. Il est prévu d’exiger, pour l’acquisition de la nationalité des enfants nés à Mayotte de parents étrangers, que l’un des parents ait été présent de manière régulière sur le territoire national depuis plus de trois mois au jour de la naissance.
Je le précise, cette condition supplémentaire est circonscrite au seul département mahorais. Elle est justifiée par la situation particulière du département. Comme l’a relevé le Conseil d’État en s’appuyant sur les données de l’INSEE, 41 % des résidents à Mayotte sont de nationalité étrangère, dont la moitié en situation irrégulière. Le taux de natalité est de 40 pour 1000, contre 12 pour 1000 pour le territoire métropolitain. En 2016, 74 % des enfants sont nés de mère étrangère, le plus souvent comorienne. Le Conseil d’État considère que ces éléments constituent des caractéristiques et des contraintes particulières.
L’amendement répond donc parfaitement aux dispositions et au cadre fixé par l’article 73 de la Constitution, qui permet d’adapter les lois aux caractéristiques et contraintes particulières des départements ultramarins.
L’autre amendement de notre collègue, sur lequel nous nous prononcerons juste après, permettra d’apporter une garantie supplémentaire pour l’établissement par l’intéressé de la preuve de la résidence régulière.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérard Collomb, ministre d’État. En déposant le texte sur l’asile, l’immigration et l’intégration, le Gouvernement n’a pas voulu introduire de dispositions relatives à la nationalité, pour les raisons qu’exposait M. le rapporteur il y a quelques instants. Outre que le sujet est extrêmement sensible, si nous avions mélangé les deux questions, nous aurions vu fleurir une série d’amendements qui, de proche en proche, auraient pu remettre en cause ce qu’est aujourd’hui le droit de la nationalité. C’est trop important pour que l’on procède à un remodelage par petites touches.
Comme l’indiquait M. Mohamed Soilihi, le problème de Mayotte est spécifique. La plupart des enfants qui naissent à la maternité ont pour parents non pas des Mahorais, mais des migrants comoriens ayant débarqué sur l’île. Nous connaissons les problèmes qui peuvent être causés par cette situation particulière. Nous comprenons donc le souhait de M. le sénateur.
J’ai lui ait proposé et je lui réitère ma proposition – ce serait sage pour le Sénat – que nous n’examinions pas aujourd’hui le problème mahorais, mais que cela fasse l’objet d’une proposition de loi spécifique.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Mais c’est fait !
M. Gérard Collomb, ministre d’État. Elle doit être inscrite à l’ordre du jour du Sénat et de l’Assemblée nationale pour que nous résolvions de manière particulière le problème de Mayotte parce que c’est un cas particulier.
Je rappelle que cette proposition s’inscrit dans une série d’actions que mène aujourd’hui le Gouvernement vis-à-vis des autorités comoriennes. Comme vous le savez, il existe une pression extrêmement forte de la part de la diplomatie française sur l’État comorien pour qu’il respecte un certain nombre de règles. En outre, les difficultés de Mayotte ne se limitent pas au seul problème de la nationalité, mais concernent toute une série d’infrastructures sur lesquelles le Gouvernement a fait des propositions d’ensemble.
Si Thani Mohamed Soilihi et la commission en étaient d’accord, nous pourrions reprendre ce débat lors de l’examen, dans les meilleurs délais, de cette proposition de loi, afin que nous puissions avoir un avis unanime sur un problème qui, en raison de son importance, mérite le consensus le plus large.
Avis défavorable sur tous les amendements qui concernent la nationalité. Nous ne voulons pas mélanger le projet de loi que nous présentons avec les problèmes de nationalité.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Juste quelques mots à mon collègue Karoutchi sur la Nation – c’est un dossier trop complexe, ne l’ouvrons pas maintenant. Je ne confonds pas l’État français et la nation française, je disais simplement que l’État français a eu une conception de la nation française qui n’est pas la nôtre. Je rappelle que l’État français – Vichy – a déchu de leur nationalité 15 000 Français juifs et gaullistes. Il a ensuite décidé de ne pas accorder la nationalité française aux enfants juifs nés en France de parents étrangers. C’est à ce titre que je soutiens une autre idée de la citoyenneté française.
M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Monsieur le rapporteur, je me range bien évidemment à votre avis au sujet de ces amendements, excepté sur celui de M. Mohamed Soilihi.
Monsieur le ministre d’État, je vous sais gré d’avoir dit que vous ne souhaitiez pas à l’occasion de l’examen de ce texte, comme je l’avais suggéré lors de l’amendement précédent, que nous abordions la question de la nationalité.
Je respecte beaucoup le travail qui a été fait par M. le vice-président Mohamed Soilihi sur son territoire pour essayer de trouver une solution. Je sais le temps qu’il y a consacré, la réflexion qu’il a menée, la prudence avec laquelle il aborde ce sujet. En réalité, le droit du sol n’entraîne pas ipso facto pour un enfant né dans une maternité à Mayotte un droit à la nationalité française. C’est peut-être cette chimère qui amène aujourd’hui des parents à venir à Mayotte et à y laisser leur enfant. Or les conditions d’acquisition de la nationalité, on l’a rappelé il y a quelques instants, font qu’un tel droit n’est pas automatique.
Le Conseil d’État a examiné la proposition de loi dont il a été fait mention. Mais le Conseil d’État, je le rappelle, n’est pas le Conseil constitutionnel. Il justifie la possibilité de cette dérogation pour le territoire sur le fondement l’article 73 de la Constitution, en raison des caractéristiques du territoire. Rien ne dit que le Conseil constitutionnel aurait le même avis.
En outre, le Conseil d’État précise également dans son avis que « eu égard à l’objet de la proposition de loi, le Conseil d’État relève plus généralement l’intérêt que soit menée une campagne d’information à Mayotte et aussi à destination des pays d’origine des personnes y immigrant irrégulièrement sur l’état du droit qui résulterait du vote de la proposition de loi ».
Cela signifie que votre proposition de loi, cher collègue, a pour but, comme trop souvent les textes de loi, de donner une information supplémentaire. Elle vise à dire : « Attention, si votre père ou votre mère n’a pas résidé pendant trois mois avant votre naissance sur le territoire, vous n’aurez pas la nationalité » !
Cependant, aujourd’hui déjà, ils n’auront pas ipso facto la nationalité ! Voilà pourquoi votre proposition n’ajoute rien à ce qui existe et constitue uniquement une affirmation supplémentaire. C’est ce que le Conseil d’État appelle une information.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Jacques Bigot. Comme l’a proposé M. le ministre d’État, il faut que nous examinions cette question à l’occasion d’une proposition de loi. Cela nous permettra d’avoir un vrai débat sur le sujet de Mayotte, de manière complexe.
M. le président. Merci !
M. Jacques Bigot. Le Gouvernement pourra alors nous dire ce qui est mis en œuvre pour sortir de cette situation extrêmement difficile.
M. le président. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.
M. Rachid Temal. Je salue le fait que le ministre d’État n’ait pas voulu introduire de dispositions relatives à la nationalité dans ce projet de loi et ait souhaité que le droit à la nationalité ne soit pas modifié à cette occasion.
Pour autant, on le voit bien – nous ne manquons d’ailleurs pas de vous le dire –, en ayant démarré avec l’asile, puis en étant passé à l’immigration et en ayant tenté d’y ajouter un soupçon sur l’intégration, la pente est prise et nous amène à cette question, comme l’a prouvé notre collègue de l’extrême droite, qui est allé jusqu’au bout de sa conception.
On l’a bien vu avec l’amendement n° 164 rectifié bis de mon collègue Val-d’Oisien Sébastien Meurant, personne n’imagine, et surtout pas les Français nés de parents étrangers, pouvoir devenir français avec une pochette-surprise. Il faut faire attention aux propos que l’on peut tenir ! Je suis un exemple d’avant 1993 et le grand homme qui voulait statuer avec la réforme de M. Pasqua. Dans ce temps-là, dans un vieux monde, bien avant l’ancien monde, donc quasiment la préhistoire, on naissait en France, on y suivait sa scolarité et on devenait ensuite français, sans soupçons, sans regards biaisés, contrairement à ce qui est en train de se faire. Ainsi, un enfant né en France de parents étrangers devrait, jour après jour, montrer patte blanche. Or il est né en France, il est français !
Faisons attention, à la fois à l’Assemblée nationale et au Sénat, à nos représentations et à ne pas avoir un regard particulier sur les enfants de France. Aussi, j’invite notre assemblée à faire preuve de sagesse, de respect et à mettre en avant les valeurs de la République qui nous rassemblent, plutôt que d’évoquer les « Français comme ceci » ou les « Français comme cela », car il n’y a pas à catégoriser les Français ! (Mme Sophie Taillé-Polian et M. Patrice Joly, ainsi que plusieurs sénateurs du groupe communiste républicain citoyen et écologiste applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. La situation à Mayotte est particulièrement grave, nous l’avons déjà évoquée hier ; d’autres amendements l’aborderont aussi. Les dispositions spécifiques et restrictives de circulation des étrangers à Mayotte par rapport à l’Hexagone renforcent encore la difficulté de la situation.
Quoi qu’il en soit, l’immigration à Mayotte, ce n’est pas seulement une motivation de nationalité, c’est aussi une motivation sanitaire. Une telle disposition ouvre trois boîtes de Pandore.
La première boîte de Pandore est effectivement l’idée qu’il suffit d’être né en France pour avoir la nationalité française. En instillant ainsi encore plus cette idée, nous rencontrerons dans d’autres territoires le problème que nous avons à Mayotte.
La deuxième boîte de Pandore – j’en parle en tant que sénateur représentant les Français établis hors de France ayant à connaître nombre de situations de nationalité, liées en particulier au statut civil de droit local en Algérie – est que le droit de la nationalité est particulièrement compliqué dès lors que, sur l’ensemble du territoire de la France, on commence à établir des différences. Aujourd’hui, on est obligé, pour des gens qui, depuis trois générations, ont des cartes d’identité, des passeports, d’aller chercher un décret en Conseil d’État, rédigé par Napoléon, par la grâce de Dieu, pour vérifier l’ascendant sur N générations, pour s’assurer qu’ils ont bien eu la nationalité française autrement que grâce au statut civil de droit local, tout ça parce qu’ils demandent un certificat de nationalité pour un enfant de cinq ans !
Allons-nous aujourd’hui prendre la responsabilité de créer des situations de cette nature pour les Mahorais dans dix, vingt ou trente ans ? Je ne le crois pas.
Enfin, la troisième boîte de Pandore est la résolution des Nations unies de 1975 sur la souveraineté de Mayotte puisque l’on ferait évoluer le droit de la nationalité à Mayotte vers un droit de la nationalité qui est plus proche d’un droit pour les Français qui s’établissent hors de France que d’un droit pour des personnes qui vivent sur le territoire national. (Mme Laurence Cohen applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.
Mme Éliane Assassi. J’ai pris attentivement connaissance des amendements de notre collègue Thani Mohamed Soilihi. Je pense sincèrement qu’il se trompe, car ils ouvrent une brèche pour toutes celles et tous ceux qui veulent remettre en cause le droit du sol. Ce sont des amendements qui enfreignent le principe fondamental de l’intérêt de l’enfant. Ils ouvrent aussi une brèche dans l’unicité de notre République.
Je connais Mayotte pour m’y être rendue il y a quelque temps, et je sais que les Mahoraises et les Mahorais vivent une situation très difficile, que personne ne doit ignorer. Toutefois, je ne pense pas que l’on puisse régler la situation par voie d’amendements. À mon sens, les solutions résident davantage dans des initiatives, sans doute complexes, notamment au travers des relations entre Mayotte et les Comores, c’est-à-dire entre la France et les Comores.
Je veux bien comprendre que, devant les difficultés de vie à Mayotte – nous nous souvenons tous ici des grandes mobilisations contre la vie chère qui ont eu lieu à Mayotte il y a quelque temps –, la population mahoraise essaie de trouver des solutions. Nos compatriotes mahorais se retrouvent d’ailleurs parfois bien seuls face à toutes leurs difficultés. On ne peut donc rien leur reprocher. Néanmoins, ce qui est proposé aujourd’hui ne constitue pas une bonne réponse. (Mme Laurence Cohen applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour explication de vote.
M. Philippe Bonnecarrère. Mes collègues du groupe Union Centriste et moi-même avons écouté à plusieurs reprises M. Mohamed Soilihi intervenir sur les problématiques spécifiques de Mayotte. Nous suivons, bien sûr, les éléments d’actualité. Je ne vous cache pas, cher collègue, que nous avons tous été impressionnés par vos explications, par leur caractère, semble-t-il, adapté aux problèmes rencontrés à Mayotte. Nous tenons donc à vous exprimer un soutien très marqué à la proposition de loi que vous aviez déposée et à vos deux amendements.
Nous avons aussi écouté les explications de nos collègues. M. Jacques Bigot a parlé de chimère quand les Comoriennes font le choix de venir accoucher à Mayotte pour des raisons considérées comme erronées. Or nous ne sommes pas face à des chimères, nous sommes face à une réalité : les trois quarts des jeunes entre dix-huit et vingt-quatre ans à Mayotte sont des enfants nés de parents comoriens et en situation irrégulière !
Par ailleurs, en ce qui concerne le Conseil d’État, il se serait substitué, selon vous, monsieur Leconte, au Conseil constitutionnel. Or il n’a pas cette prétention. Il a en effet pris soin de citer deux décisions du Conseil constitutionnel montrant qu’une adaptation était possible.
J’en viens à l’essentiel. Pour nous, cet amendement doit être maintenu, monsieur Mohamed Soilihi, et, pour notre part, nous le soutiendrons.
J’ai entendu les observations M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur. Il serait bon que le Gouvernement prenne l’engagement d’inscrire votre proposition de loi, cher collègue, à l’ordre du jour, dont le Gouvernement a la maîtrise, à la fois au Sénat et à l’Assemblée nationale. Tout doute serait levé si nous obtenions de sa part cette double garantie concernant l’inscription de ce texte à l’ordre du jour des assemblées.
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.
M. Gérard Collomb, ministre d’État. Je vous donne cette double garantie : nous voulons dissocier cette question de l’examen du présent projet de loi, mais la proposition de loi sera bien examinée et au Sénat et à l’Assemblée nationale.
Mme Éliane Assassi. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Je suis naturalisée et très fière de l’être. Je crois que j’ai servi la France comme je l’ai pu. J’ai grandi dans une ambiance où l’on me disait que la France était le pays universel.
M. Stéphane Ravier. C’est le passé !
Mme Esther Benbassa. L’universalité française, c’est la dignité des êtres qui habitent ce pays. J’ai grandi avec ce slogan, loin, à 5 000 kilomètres d’ici. C’est ouvrir une brèche que de faire une République qui n’est plus universelle, mais qui est à plusieurs vitesses. La France, la République, doit rester ce qu’elle est. Même si la situation des Mahorais est très compliquée, même si les choses sont fort complexes à Mayotte, restons la Nation que nous sommes, qui fait l’honneur de la France.
Monsieur le ministre d’État, je ne partage pas souvent vos idées, vous ne l’ignorez pas, mais je vous remercie aujourd’hui d’avoir mis l’accent sur un danger qui nous guette. (Mme Laurence Cohen et M. Pierre Ouzoulias applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour explication de vote.
M. Patrick Kanner. Nous allons peut-être nous diriger vers un retrait, dans les conditions évoquées par M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur, des amendements de M. Mohamed Soilihi. Quoi qu’il en soit, malgré toute l’amitié que je porte au vice-président du Sénat, nous ne les voterions pas s’ils étaient maintenus. Ils constituent en quelque sorte un appel au secours. La départementalisation qui a été voulue par le gouvernement de l’époque, en 2011, est un échec.
Mme Éliane Assassi. Vous l’avez votée !
M. Patrick Kanner. C’est un échec parce que la République n’a pas été à la hauteur des besoins de ce territoire. Je tiens à le dire, si aujourd’hui la plus grande maternité française est Mamoudzou, c’est parce que des femmes, notamment de la Grande Comore, estiment que, quoi qu’il arrive, il vaut peut-être mieux venir accoucher sur le territoire national. Rien n’est réglé par cette départementalisation.
Si notre collègue Thani Mohamed Soilihi porte un bon diagnostic sur cette situation dramatique, la solution qu’il propose n’est pas une bonne réponse. Nous souhaitons naturellement que le droit de la nationalité ne soit pas touché par les amendements que nous examinons sur ce texte.
Si ces amendements étaient adoptés, que pourrions-nous dire à propos d’amendements identiques sur la Guyane, en lien avec le Surinam ? Quelle autre boîte de Pandore, pour reprendre l’expression de notre collègue Leconte, ce serait pour nous dans les semaines et les mois à venir !
Par conséquent, nous approuvons la proposition de M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur d’avoir un débat spécifique sur le sujet, qui ouvrira très largement la question sur la situation économique et sociale de Mayotte, ainsi que des villes et des territoires des îles de la Grande Comore et de l’archipel comorien. À ce stade, je le dis au nom du groupe socialiste et républicain, nous ne pourrions pas voter ces amendements.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier, pour explication de vote.
M. Stéphane Ravier. Je passerai volontiers sur les élucubrations des derniers représentants de ce cadavre politique qu’est le communisme (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.), qui empeste encore la société française, en particulier cet hémicycle !
Mme Éliane Assassi. Un peu de respect ! Vous êtes tout seul !
M. Stéphane Ravier. Je sais que vous regrettez le bon vieux temps du pacte germano-soviétique…
Mme Esther Benbassa. Il faut arrêter avec ça !
M. Stéphane Ravier. … et de ce gouvernement ou de cet État français composé essentiellement de ministres issus de la gauche et de l’extrême gauche ! (Vives exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. Fabien Gay. C’est lamentable ! On nous insulte !
M. le président. S’il vous plaît, la parole est à M. Ravier pour explication de vote sur les amendements. Restons-en à la discussion des amendements !
M. Stéphane Ravier. Ce bon vieux temps, disais-je, où vous négociiez avec les autorités allemandes la parution de l’Humanité !
Mme Esther Benbassa. Ce sont des attaques personnelles, pas des explications de vote !
Mme Éliane Assassi. Rappel au règlement ! (Mme Esther Benbassa frappe sur son pupitre.)
M. Stéphane Ravier. J’ai du mal à m’exprimer dans ces conditions, monsieur le président.
M. le président. Restez-en à votre explication de vote, je vous prie.
M. Stéphane Ravier. En revanche, j’abonde dans votre sens pour que ces étrangers qui ont combattu pour que la France reste française et pour qu’elle demeure libre puissent devenir français. Honneur à eux ! Je pense, bien sûr, à ceux de 1940, de 1945, mais aussi à ceux que vous avez politiquement poignardés dans le dos et lâchement abandonnés, à savoir nos compatriotes harkis à la fin des années 1950 !
Mme Éliane Assassi. Vous parlez de choses que vous ne connaissez pas !
M. Stéphane Ravier. Je veux répondre à notre collègue M. Thani Mohamed Soilihi dont je ne comprends pas la réaction. J’ai mis l’accent sur une situation dramatique, qui fut rappelée en son temps par notre ancien collègue M. Baroin, qui, encore une fois, s’était libéré de ses dogmes et ses lectures pour prendre conscience de ce qui se passait là-bas, parce qu’il s’y était rendu. De la même manière, lorsqu’on se rend en Guyane, on ne peut qu’être atterré par le processus de submersion. J’ai même entendu dans cet hémicycle parler de « génocide par substitution » – ce n’est pas moi qui l’ai dit le premier !
Quand on réussit à se libérer de ses dogmes, quand on réussit à voir la réalité en face, quand on habite la planète Terre, eh bien on fait comme les Mahorais : on vote à plus de 43 % pour la candidate nationale Marine Le Pen à l’occasion de l’élection présidentielle de l’année dernière ! Voilà quelle est la meilleure réponse !
Mme Catherine Troendlé. Ce n’est pas une explication de vote !
M. Stéphane Ravier. Les Mahorais soutiennent notre politique parce qu’ils savent très bien que nous sommes avec eux. C’est la seule réponse que je puisse vous apporter, monsieur Mohamed Soilihi.
M. le président. Merci, cher collègue !
M. Stéphane Ravier. Soyez en phase avec nos compatriotes de Mayotte (M. Patrick Kanner frappe sur son pupitre.), ils vous en seront reconnaissants !
M. le président. La parole est à M. Sébastien Meurant, pour explication de vote.
M. Sébastien Meurant. À sujet tabou, problème insoluble ! Ces questions sont essentielles, mais il faudrait les diviser : asile, immigration, intégration sont trois sujets différents. Comme l’a dit mon collègue Patrick Kanner, ouvrir cette proposition sur Mayotte, c’est évidemment parler de la Guyane et remettre en cause l’acquisition de la nationalité.
M. Roger Karoutchi. Évidemment !
M. Sébastien Meurant. Ces problèmes sont fondamentaux puisqu’ils concernent l’avenir du pays et de la Nation. Il faut vraiment être aveugle et sourd pour ne pas comprendre que partout en France l’immigration, l’asile, l’intégration sont des sujets cruciaux. De plus, c’est un déni de démocratie. En démocratie, je pense que nous sommes tous d’accord, c’est au peuple de décider qui entre en France,…
M. Stéphane Ravier. Absolument !
M. Sébastien Meurant. … qui a le droit de devenir français.
M. Stéphane Ravier. Tout à fait !
M. Sébastien Meurant. Si c’est au peuple de décider et si nous sommes en démocratie, nous devrions pouvoir examiner sans tabou, calmement, ces phénomènes d’immigration.
La Guyane comptait 40 000 habitants en 1975, elle en compte plus de 400 000 à l’heure actuelle. Évidemment qu’il y a des problèmes ! On comprend tout à fait que l’on veuille les résoudre. Or que nous dit-on aujourd’hui ? Qu’il faut attendre que M. le ministre de l’intérieur travaille sur cette question éminemment complexe !
Être français, madame Benbassa, c’est reconnaître que les lois de la République s’appliquent partout sur le territoire. Pour quelles raisons le communautarisme gagne-t-il du terrain dans certains territoires ?
Mme Esther Benbassa. Qu’est-ce que cela a à voir avec le communautarisme ?
M. Sébastien Meurant. C’est une réalité ! Cher collègue du Val-d’Oise, il y a quarante ans, on en était loin, bien sûr, mais aujourd’hui quid du droit des femmes, du droit au blasphème, du droit à l’apostasie ? Il faut dire haut et fort que la France, c’est la loi de la République ! C’est des usages, des coutumes, c’est la transmission d’une civilisation. Or la transmission de cette civilisation est bafouée dans bon nombre de territoires !
M. Stéphane Ravier. Bienvenue au Rassemblement national !
Mme Esther Benbassa. Qu’ai-je à voir avec ça ? Je bafoue quoi ?
M. Sébastien Meurant. Ce ne sont pas des personnes d’extrême droite qui disaient il y a quelques années que le seuil de tolérance était dépassé.
M. le président. Il faut conclure, cher collègue.
Mme Éliane Assassi. C’est la fin de la logorrhée !
M. Sébastien Meurant. Qui a dit que le Front national posait les bonnes questions, mais apportait les mauvaises réponses ?
Mme Éliane Assassi. C’est fini !
M. Sébastien Meurant. Qui disait cela, messieurs les socialistes ? (Protestations sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) Reconnaissez-le !
M. le président. Chers collègues, je vous appelle au calme. Tenez-vous-en aux amendements et évitez les débats trop généraux, faute de quoi nous n’avancerons pas.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Nous avons tous beaucoup d’amitié pour Thani Mohamed Soilihi et nous comprenons la situation très difficile dans laquelle se trouve Mayotte. Il y a six ans, M. Cointat, M. Desplan et moi-même avons remis, au nom de la commission des lois, un rapport comportant des propositions très précises. Depuis, M. Christnacht – je tiens à le citer – a réalisé un travail très approfondi.
Monsieur le ministre d’État, nous savons quel est le problème. Le problème, c’est que tous les jours des bateaux appelés kwassa-kwassa transportent des gens, au péril de leur vie, pour arriver de manière illégale. Il s’agit de passeurs qui œuvrent dans l’illégalité la plus complète grâce à des connivences et à de la corruption. Il faut l’empêcher, ce qui ne pourra se faire que si la République française passe un accord avec les Comores : il n’y a pas d’autre solution, quels que soient les contentieux qui existent, monsieur le ministre d’État. Cette coopération devra être douanière et policière.
On ne peut pas continuer ce système infernal et qui n’en finit pas où des gens arrivent, sont interceptés par la gendarmerie, vont dans un centre de rétention – qui a d’ailleurs été rénové –, en partent deux jours après, retournent chez eux, puis reviennent à Mayotte quelques jours après, etc.
Il n’y a pas d’autre solution que de garantir un État de droit. J’ai vu, monsieur le ministre d’État, que le préfet de Mayotte a lancé cette semaine un groupe de réflexion sur l’immigration clandestine. C’est très bien, mais l’heure n’est plus tellement aux groupes de réflexion, il est plutôt temps de trouver des solutions et de les mettre en œuvre. C’est une question de sécurité publique et de respect des règles !
M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia, pour explication de vote.
Mme Catherine Procaccia. Je soutenais l’amendement qu’a retiré Roger Karoutchi. Je comprends ce que dit M. Mohamed Soilihi. Lui, il vit à Mayotte ! Nous connaissons tous sa modération et ses talents de juriste. S’il maintient son amendement, je le voterai ! (MM. Philippe Bas et Stéphane Artano, ainsi que Mme Catherine Troendlé applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. Je voudrais, sur un mode républicain, essayer d’argumenter pour dire que cet amendement de Thani Mohamed Soilihi est nécessaire.
M. Stéphane Artano. Très bien !
M. Alain Richard. Il n’est pas superflu, il n’est pas hors sujet. L’article 73 de la Constitution permet qu’une législation différente s’applique suivant les territoires ultramarins.
Je fais observer à certains collègues que, depuis vingt ans, sous un gouvernement auquel j’avais l’honneur d’appartenir, il a été décidé que le droit du suffrage serait différent en Nouvelle-Calédonie de ce qu’il est dans le reste du pays : c’est en vigueur et c’est constitutionnel !
Donc, il y a un motif d’intérêt général, que le Conseil d’État a parfaitement résumé, pour empêcher l’acquisition de la nationalité française dans des conditions désordonnées sur ce territoire.
Je veux aussi souligner que l’idée, gentille, de la coopération avec les Comores est un non-sens. (Mme Éliane Assassi s’exclame.) Les Comores contestent depuis quarante ans la souveraineté de la France sur Mayotte, en s’appuyant d’ailleurs sur des arguments de droit qui ont leur poids. Par conséquent, il est hors de portée d’obtenir des autorités comoriennes la moindre coopération sur ce sujet. Nous le savons tous, elles encouragent les trafics.
C’est une erreur de droit, monsieur Jacques Bigot, de penser qu’aujourd’hui un jeune né à Mayotte et qui y a séjourné pendant au moins treize ans ne remplit pas toutes les conditions pour devenir français. Il a bien cette capacité. Et c’est le cas de milliers d’entre eux !
Il y a donc bien là un sujet de droit et, dussè-je, pour une fois, contrarier le ministre d’État, je pense qu’il faut le traiter maintenant. En effet, nous connaissons tous l’état d’encombrement du travail législatif jusqu’à la fin de l’année. Le problème ne fait que s’aggraver à Mayotte.
Nous avons une opportunité et nous avons, constitutionnellement un lien avec l’objet du texte, pour amender maintenant dans ce sens. C’est licite, légitime, nécessaire et équitable ! (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste. – MM. Jérôme Bignon et Alain Schmitz applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. J’aimerais d’autant plus expliquer mon vote que j’ai retiré mon amendement au profit de celui de Thani Mohamed Soilihi. Je ne veux absolument pas qu’il retire le sien ! Sinon, qu’aurais-je fait ?…Vous n’allez pas me faire cela, mon cher collègue ? Il vous faut maintenir votre amendement, car nous allons le voter et il sera adopté.
Monsieur le ministre d’État, vous avez sûrement raison : une proposition de loi examinée au Sénat et à l’Assemblée nationale serait plus sûre qu’un texte adopté ici par voie d’amendement et qui pourrait être supprimé lors d’une commission mixte paritaire. C’est vrai !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Mais on garde cette possibilité !
M. Roger Karoutchi. Mais, « en même temps » (Sourires.) – ce qu’Alain Richard a dit est vrai –, tout en étant d’accord avec le texte, tout en disant que son auteur a raison et qu’il y a bien un problème, on ne le vote pas !
Monsieur le ministre d’État, acceptez l’amendement afin qu’il soit voté, puisque vous êtes d’accord sur le fond ! Le problème est simplement de procédure parlementaire : fait-on passer la mesure par voie d’amendement ou via une proposition de loi ?
Si l’amendement subsiste à l’issue de la commission mixte paritaire, les choses avanceront ; à défaut, Thani Mohamed Soilihi déposera, avec notre soutien, une proposition de loi qui sera votée au Sénat et à l’Assemblée nationale.
Il faut laisser le Sénat, dans sa respiration démocratique et parlementaire,…
M. Jérôme Bignon. Très bien !
M. Roger Karoutchi. … voter sur du fond quand il est d’accord ! Sinon, ça ne peut plus fonctionner.
Je comprends l’argument de l’efficacité, monsieur le ministre d’État, mais, sur le principe, on ne peut à la fois dire à nos collègues de Mayotte que l’on est d’accord avec leur proposition et la remettre à plus tard.
Il faut la voter, la soutenir, et ensuite le Gouvernement et le Parlement se débrouilleront pour que les choses se passent mieux à Mayotte ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. Thani Mohamed Soilihi applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.
M. Gérard Collomb, ministre d’État. Je maintiens ce que j’ai dit précédemment. Sur ce problème dramatique de Mayotte, il convient d’avoir les plus grandes convergences.
J’y insiste, le Gouvernement vous demande de ne pas adopter ce texte à l’occasion de la présente discussion, pour les raisons que j’ai déjà indiquées. Mais il s’engage à ce que la proposition de loi sur ce sujet soit examinée au Sénat et à l’Assemblée nationale. La position gouvernementale consistera, à ce moment-là, à faire adopter cette proposition de loi avec les modifications indiquées par le Conseil d’État.
M. le président. La parole est à M. Antoine Karam, pour explication de vote.
M. Antoine Karam. Je déplore profondément la tournure que prend le débat depuis quelques minutes, du fait d’une minorité qui se sert de nos territoires comme d’un fonds de commerce. C’est inacceptable ! Je me demande même s’ils savent où se trouvent la Guyane et Mayotte, parce qu’ils sont souvent fâchés avec la géographie… (M. Stéphane Ravier s’exclame.) Très bien ! Au moins, vous avez appris quelque chose. (M. Stéphane Ravier s’exclame de nouveau.) S’il vous plaît, laissez-moi continuer !
Je ne veux pas non plus que l’on fasse l’amalgame entre ces deux territoires : la Guyane se trouve en Amérique du Sud, Mayotte dans l’océan Indien. (M. Stéphane Ravier s’exclame de nouveau.) S’il vous plaît, je ne vous ai pas interrompu !
Mon collègue Thani Mohamed Soilihi prend ses responsabilités et nous respectons ses amendements. Nous ne les avons pas signés, parce que nous ne sommes pas dans la même situation. Nous sommes une nation arc-en-ciel. Je suis, quant à moi, le pur produit de cette nation arc-en-ciel.
Respectons ce que souhaite notre collègue ! Cela a été dit, on ne peut refaire ni le match ni l’histoire, mais si l’approche avait été meilleure en 1979, Mayotte n’en serait pas là aujourd’hui. (MM. Richard Yung, Jérôme Bignon, David Assouline et Stéphane Artano, ainsi que plusieurs sénateurs du groupe communiste républicain citoyen et écologiste applaudissent.)
M. le président. Monsieur Mohamed Soilihi, l’amendement n° 30 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Thani Mohamed Soilihi. Je remercie tous les intervenants qui ont apporté leur contribution, leur pierre à l’édifice. Je ne demande pas que l’on nous manifeste de l’amitié ou de la compassion. Je suis très heureux des liens amicaux qui nous unissent, mes chers collègues, mais c’est de la situation de Mayotte qu’il s’agit. Je demande de l’efficacité, car cette situation a trop duré.
Cher Jacques Bigot, cher ami, voici ce que ces dispositions vont changer : aujourd’hui, les clandestins se disent qu’ils peuvent partir pour tenter leur chance à Mayotte ; ils y restent un mois, ou dix ans ; ils donnent naissance à un enfant… Et lorsqu’ils sont reconduits à la frontière, ils montrent l’acte de naissance de leur enfant et disent qu’ils sont inexpulsables parce que l’enfant est né sur le sol français. Il faut casser cette logique et conditionner le maintien sur le territoire à la situation régulière de l’un des parents. Cela changera énormément de choses !
Je ne demande pas que cette mesure soit prise pour l’ensemble du territoire national. C’est pourquoi je me suis insurgé contre vos propos, cher collègue Ravier : seule la situation de Mayotte justifie ce dispositif.
Monsieur le ministre d’État, vous vous êtes engagé à plusieurs reprises. Vous ne me facilitez pas la tâche, alors même que tous ici, à quelques exceptions près, acceptent d’aller dans la direction de ce qui est bon pour Mayotte.
J’ai écouté vos propos et je suis, à titre personnel, tenté de vous suivre. Mais j’ai le plus profond respect pour le travail qui se fait ici, au Sénat. Et si j’en suis arrivé là, c’est parce que son président, Gérard Larcher, a accepté de transmettre ma proposition de loi au Conseil d’État.
Ce ne serait respecter ni le président du Sénat, ni la commission des lois, ni notre collègue Roger Karoutchi, qui a retiré son amendement au profit du mien, que de retirer cet amendement. Je m’en remets donc, même si cela ne se fait pas souvent, à la commission, qui a travaillé avec moi et m’a accompagné dans cette tâche depuis deux ans.
Encore une fois, je suis tenté, dans un souci d’efficacité, de suivre M. le ministre d’État. Mais au vu du travail effectué durant ces deux années, je préfère m’en remettre à la commission, ce qui ne signifie pas que je botte en touche ou que je refuse d’assumer mes responsabilités. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche, du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M Jérôme Bignon applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Avec toute son élégance et la détermination dont il fait preuve dans ce combat, notre collègue Thani Mohamed Soilihi a bien voulu s’en remettre à la commission des lois : c’est la réponse qu’il apporte à la demande de M. le ministre d’État de retrait de son amendement.
Le rapporteur de ce projet de loi, François-Noël Buffet, et moi-même allons donc reprendre cet amendement, ce qui lève toute ambiguïté et tout embarras pour son auteur. Par conséquent, notre assemblée peut, en tout état de cause, se prononcer sereinement sur ce problème, sans que notre collègue ait à en assumer seul la responsabilité.
Il me semble important que nous réglions dès à présent cette difficulté. J’ai beaucoup apprécié la réponse très mesurée que M. le ministre d’État nous a faite. J’interprète cette réponse comme un encouragement à faire aboutir cette réforme pour Mayotte : il ne se serait pas engagé à ce que, en cas d’échec du processus sur ce point dans le cadre de la loi sur l’immigration, le Gouvernement inscrive à son ordre du jour prioritaire la proposition de loi de notre collègue s’il n’avait pas le désir sincère qu’elle parvienne à son terme.
Si tel est bien votre désir, monsieur le ministre d’État – je n’ai pas de motifs d’en douter ; j’en ai au contraire de vous croire –, il n’y a aucune raison pour que vous n’obteniez pas de l’Assemblée nationale, dès maintenant, ce que vous êtes prêt à lui demander demain. Nous devons, par conséquent, tout en ne méconnaissant pas le geste que vous avez fait, poursuivre la discussion de ce texte en intégrant la réforme pour Mayotte.
Cette réforme nécessaire, que Thani Mohamed Soilihi a préparée avec le Conseil d’État, est une réforme constitutionnelle, qui pose des conditions très claires, très précises et, d’une certaine façon, assez restrictives.
Elle ne met pas en cause les grands principes, mais prévoit seulement des adaptations nécessaires pour un département en grande souffrance, que l’on ne peut pas laisser plus longtemps dans cette situation préjudiciable aux équilibres sociaux, à la qualité des services publics – l’école, l’hôpital, etc. – et à la sécurité des habitants.
Il y a urgence à agir. C’est la raison pour laquelle la commission des lois, qui a déjà apporté son plein soutien à cet amendement, le reprend afin qu’il puisse être définitivement adopté et qu’ensuite la commission mixte paritaire puisse suivre le vote du Sénat, lequel est le signe de la solidarité de la représentation nationale à l’égard de nos compatriotes mahorais. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – MM. Jérôme Bignon et Stéphane Artano applaudissent également.)
M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 582, présenté par M. Buffet, au nom de la commission des lois, et ainsi libellé :
I. - Après l’article 9 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 2492-1 du code civil est ainsi rédigé :
« Art. 2492-1. – Pour un enfant né à Mayotte, le premier alinéa de l’article 21-7 et de l’article 21-11 ne sont applicables que si, à la date de sa naissance, l’un de ses parents au moins résidait en France de manière régulière et ininterrompue depuis plus de trois mois. »
II. – En conséquence, insérer une division additionnelle et son intitulé ainsi rédigés :
Titre…
Adaptation des règles de nationalité à Mayotte pour préserver les droits de l’enfant, l’ordre public et faire face au flux migratoire
La commission et le Gouvernement se sont déjà exprimés.
La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Le plus souvent, je trouve que les explications de vote ne sont pas forcément nécessaires, mais, en l’occurrence, la situation est très particulière.
Je connais bien la situation de la protection de l’enfance à Mayotte. Elle est indigne de la République, vraiment indigne ! Ce que vivent les enfants à Mayotte n’est, selon nous, pas tolérable. Et pourtant, nous le tolérons depuis tant d’années, en laissant les élus se débrouiller comme ils peuvent ! Je prends, vous le savez, ma part de responsabilité et de culpabilité dans cette affaire.
Pour autant, je comprends aussi l’appel au secours que nous lance notre ami, quand il nous dit de faire quelque chose, de ne pas laisser son territoire dans cette situation. Toutefois, je ne crois pas que ce soit en changeant le code de la nationalité que l’on va résoudre la question de la protection de l’enfance à Mayotte.
Que ces enfants soient destinés à être français ou non, ce sera pareil : il y aura toujours le même nombre d’enfants, la même insuffisance des services sociaux, le même manque de moyens, les mêmes difficultés. Tout ne se règle pas par la nationalité !
Par ailleurs, dans le contexte actuel, et comme l’attestent certaines interventions que je viens d’entendre, on sent bien que la question du code de la nationalité est instrumentalisée au-delà du cas de Mayotte.
Mme Laurence Cohen. Bien sûr !
Mme Laurence Rossignol. C’est pour cette raison qu’avec mes collègues, nous voterons contre l’amendement : je ne veux pas mettre le doigt dans une réforme du code de la nationalité instrumentalisant Mayotte.
Monsieur le ministre d’État, vous ne pouvez pas dire simplement à un sénateur de faire une proposition de loi, dont vous vous servirez ensuite. Vous, faites un projet de loi !
Que le Gouvernement prenne ses responsabilités à l’issue de ce débat pour apporter aux élus de Mayotte, à sa population et aux enfants la protection et la dignité auxquelles ils ont droit ! (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 113 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 407 rectifié ter.
(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, n’adopte pas l’amendement.)
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 164 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 582.
J’ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, de la commission des lois, l’autre, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Je rappelle que l’avis du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 154 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 342 |
Pour l’adoption | 248 |
Contre | 94 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Élisabeth Doineau ainsi que MM. Richard Yung, Thani Mohamed Soilihi et Jérôme Bignon applaudissent également.)
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 9 bis.
L’amendement n° 31 rectifié bis, présenté par MM. Mohamed Soilihi, Hassani, Navarro, Marchand et Amiel et Mme Schillinger, est ainsi libellé :
I. - Après l’article 9 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 2492-2 du code civil est ainsi rédigé :
« Art. 2492-2. – Par dérogation à l’article 35, l’officier de l’état civil précise sur l’acte de naissance si l’un des parents, au jour de la naissance de l’enfant, résidait en France de manière régulière et ininterrompue depuis plus de trois mois. Un décret en Conseil d’État fixe les modalités de la procédure à suivre pour l’inscription de cette mention, les conditions dans lesquelles il est justifié de la résidence régulière et ininterrompue en France et les modalités de recours en cas de refus par l’officier de l’état civil de procéder à cette inscription. »
II. – En conséquence, insérer une division additionnelle et son intitulé ainsi rédigés :
Titre…
Adaptation des règles de nationalité à Mayotte pour préserver les droits de l’enfant, l’ordre public et faire face au flux migratoire
Cet amendement a été précédemment défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Sur cet amendement, l’avis est favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérard Collomb, ministre d’État. Cet amendement étant de conséquence par rapport au précédent, l’avis est défavorable.
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour explication de vote.
M. Thani Mohamed Soilihi. Je maintiens bien sûr cet amendement, qui est une conséquence de l’amendement qui vient d’être adopté. S’il n’était pas adopté, les situations potentiellement difficiles qui ont été décrites ici seraient encore aggravées. Il est donc nécessaire de voter en faveur de cet amendement.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 9 bis.
TITRE II
RENFORCER L’EFFICACITÉ DE LA LUTTE CONTRE L’IMMIGRATION IRRÉGULIÈRE
Article additionnel avant l’article 10 AA
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 394 rectifié, présenté par Mme Puissat, MM. Allizard, Babary et Bazin, Mmes Berthet et A.M. Bertrand, MM. Bizet et Bonne, Mme Bories, MM. Bouchet, J.M. Boyer et Brisson, Mme Bruguière, M. Calvet, Mme Canayer, M. Cardoux, Mme Chain-Larché, MM. Charon, Chatillon, Courtial, Cuypers et Danesi, Mmes Delmont-Koropoulis, Deroche, Deromedi, Deseyne, Dumas, Duranton et Eustache-Brinio, MM. B. Fournier et Frassa, Mme F. Gerbaud, MM. Gilles, Ginesta et Gremillet, Mme Gruny, M. Guené, Mme Imbert, MM. Joyandet, Karoutchi et Kennel, Mmes Lamure, Lanfranchi Dorgal et Lassarade, MM. Laufoaulu et D. Laurent, Mme Lavarde, MM. de Legge, Le Gleut, Leleux et H. Leroy, Mmes Lherbier et Lopez, MM. Mandelli et Mayet, Mme Micouleau, M. Milon, Mme Morhet-Richaud, MM. Morisset, Paccaud, Paul, Pemezec, Pierre, Pointereau, Rapin, Reichardt, Retailleau, Revet, Savary, Savin, Schmitz, Sido et Sol, Mmes Thomas et Troendlé et M. Vogel, est ainsi libellé :
Avant l’article 10 AA
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 211-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est complété par quatre alinéas ainsi rédigés :
« Une caution peut être exigée de tout étranger, hors ressortissants d’un État membre de l’Union européenne, d’un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse, lors de l’attribution d’un visa ou d’un titre de séjour temporaire.
« Cette caution est retenue si l’étranger s’est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou après l’expiration de son titre de séjour.
« Cette caution est restituée lors du départ de l’étranger si celui-ci a respecté les obligations attachées à son titre ou visa.
« Un décret en Conseil d’État précise les conditions d’application du présent article. »
Cet amendement est retiré.
L’amendement n° 488 rectifié, présenté par M. Ravier, est ainsi libellé :
Avant l’article 10 AA
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 211-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est rétabli dans la rédaction suivante :
« Art. L. 211-2. – La délivrance d’un visa peut, suivant les États et en vertu d’une liste établie annuellement par décret après avis des commissions parlementaires compétentes et mise en œuvre d’une procédure de consultation publique, être subordonnée au paiement d’une taxe ainsi qu’au dépôt d’une caution couvrant les frais de rapatriement, laquelle est restituée par l’autorité consulaire au retour dans l’État d’origine de la personne sollicitant le visa.
« Le montant des taxes susvisées en fonction des États est fixé par décret en Conseil d’État. »
La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. La délivrance d’un visa n’est pas un acte anodin.
Nous l’avons déjà affirmé, notre objectif est de réduire drastiquement les flux migratoires afin d’aboutir à un solde annuel de 10 000 entrées. Pour y parvenir, il est nécessaire de contrôler beaucoup plus strictement la délivrance des visas, lesquels permettent à certains étrangers entrés légalement de se maintenir clandestinement sur notre territoire une fois la validité du visa expirée. En effet, sur près de 135 000 personnes régularisées, quelque 68 000 seraient entrées via un visa de tourisme.
Alors oui, il est essentiel d’encadrer de façon beaucoup plus restrictive l’octroi des visas. C’est tout l’objet du présent amendement, qui prévoit la possibilité de subordonner leur délivrance au paiement d’une taxe, ainsi qu’au dépôt d’une caution couvrant les frais de rapatriement, caution restituée par l’autorité consulaire au retour de la personne sollicitant le visa dans l’état d’origine.
Ce dispositif ne serait évidemment pas automatique, mais applicable selon les États en vertu d’une liste établie annuellement par décret, après avis des commissions parlementaires compétentes et organisation d’une procédure de consultation publique.
M. le président. L’amendement n° 491 rectifié, présenté par M. Ravier, est ainsi libellé :
Avant l’article 10 AA
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article L. 311-18 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, il est inséré un article L. 311-… ainsi rédigé :
« Art. L. 311-…. – La délivrance des titres de séjour est subordonnée au paiement d’une taxe ainsi qu’au dépôt d’une caution destinée à couvrir les frais de rapatriement dans le cas d’un dépassement de la durée du séjour autorisée en France.
« Les montants des taxes et des cautions par pays sont fixés par décret. »
La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Comme nous l’avons déjà dit, ces dernières années, les différents gouvernements, de gauche comme de droite, n’ont cessé de mener une politique laxiste. Rappelons que, sous la mandature de Nicolas Sarkozy, il est entré plus d’étrangers en France que sous le gouvernement Jospin. Une prouesse qui mérite d’être rappelée !
Cela rend de plus en plus permissives les conditions du droit au séjour, qui ne tiennent compte ni des capacités d’accueil de notre pays ni des nécessités de son économie.
Vous savez très bien qu’un titre de séjour n’est, par définition, qu’une autorisation temporaire de demeurer sur le territoire national, une autorisation donnée par les Français à des étrangers.
Un étranger présent sur le sol français sans titre de séjour est en situation irrégulière. Il doit, s’il n’est pas éligible au droit d’asile, être reconduit dans son pays d’origine.
Le système actuel – votre système ! – favorise la fraude et pèse sur les finances publiques puisque les rapatriements sont à la charge de l’État, c’est-à-dire de nos compatriotes.
Nous proposons à travers cet amendement de subordonner l’obtention d’un titre de séjour au paiement d’une taxe, ainsi qu’au dépôt d’une caution visant à couvrir les frais de rapatriement. Il s’agit, là encore, d’une mesure de bon sens : il ne faut pas que l’éventuel rapatriement de ces étrangers soit uniquement financé par les contribuables français, ces contribuables de qui vous exigez beaucoup trop.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Avis défavorable sur les deux amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 491 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 10 AA (nouveau)
Le titre V du livre II du code de l’action sociale et des familles est ainsi modifié :
1° Le chapitre Ier est ainsi rédigé :
« CHAPITRE IER
« Aide médicale d’urgence
« Art. L. 251-1. – Tout étranger résidant en France sans remplir la condition de régularité mentionnée à l’article L. 380-1 du code de la sécurité sociale et dont les ressources ne dépassent pas le plafond mentionné à l’article L. 861-1 du même code a droit, pour lui-même et les personnes à sa charge, à l’aide médicale d’urgence, sous réserve, s’il est majeur, de s’être acquitté, à son propre titre et au titre des personnes majeures à sa charge, d’un droit annuel dont le montant est fixé par décret.
« En outre, toute personne qui, ne résidant pas en France, est présente sur le territoire français, et dont l’état de santé le justifie, peut, par décision individuelle prise par le ministre chargé de l’action sociale, bénéficier de l’aide médicale d’urgence dans les conditions prévues par l’article L. 251-2.
« De même, toute personne gardée à vue sur le territoire français, qu’elle réside ou non en France, peut, si son état de santé le justifie, bénéficier de l’aide médicale d’urgence, dans des conditions définies par décret.
« Art. L. 251-2. – La prise en charge, assortie de la dispense d’avance des frais, concerne :
« 1° La prophylaxie et le traitement des maladies graves et des douleurs aiguës ;
« 2° Les soins liés à la grossesse et ses suites ;
« 3° Les vaccinations réglementaires ;
« 4° Les examens de médecine préventive.
« La prise en charge est subordonnée, lors de la délivrance de médicaments appartenant à un groupe générique tel que défini à l’article L. 5121-1 du code de la santé publique, à l’acceptation par les personnes mentionnées à l’article L. 251-1 du présent code d’un médicament générique, sauf :
« 1° Dans les groupes génériques soumis au tarif forfaitaire de responsabilité défini à l’article L. 162-16 du code de la sécurité sociale ;
« 2° Lorsqu’il existe des médicaments génériques commercialisés dans le groupe dont le prix est supérieur ou égal à celui du princeps ;
« 3° Dans le cas prévu au troisième alinéa de l’article L. 5125-23 du code de la santé publique.
« Art. L. 251-3. – Sauf disposition contraire, les modalités d’application du présent chapitre sont déterminées par décret en Conseil d’État. » ;
2° Le chapitre II est abrogé ;
3° Le chapitre III est ainsi rédigé :
« CHAPITRE III
« Dispositions financières
« Art. L. 253-1. – Les prestations prises en charge par l’aide médicale d’urgence peuvent être recouvrées auprès des personnes tenues à l’obligation alimentaire à l’égard des bénéficiaires de cette aide. Les demandeurs de l’aide médicale d’urgence sont informés du recouvrement possible auprès des personnes tenues à l’obligation alimentaire à leur égard des prestations prises en charge par l’aide médicale.
« Art. L. 253-2. – Les dépenses d’aide médicale sont prises en charge par l’État.
« Lorsque les prestations d’aide médicale ont pour objet la réparation d’un dommage ou d’une lésion imputable à un tiers, l’État peut poursuivre le tiers responsable pour le remboursement des prestations mises à sa charge.
« Art. L. 253-3. – Les demandes en paiement des prestations fournies au titre de l’aide médicale par les médecins, chirurgiens, chirurgiens-dentistes, sages-femmes, pharmaciens, établissements de santé et autres collaborateurs de l’aide sociale doivent, sous peine de forclusion, être présentées dans un délai de deux ans à compter de l’acte générateur de la créance.
« Art. L. 253-4. – Sauf disposition contraire, les conditions d’application du présent chapitre sont déterminées par décret en Conseil d’État. »
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l’article.
Mme Laurence Cohen. L’article 10 AA que nous allons examiner, qui supprime l’aide médicale de l’État, l’AME, pour la remplacer par une aide d’urgence, est particulièrement grave. C’est une atteinte aux acquis sociaux, aux droits des étrangères et des étrangers malades.
Ma collègue Christine Prunaud reviendra plus précisément sur ce sujet en présentant notre amendement de suppression, mais je souhaite apporter un premier éclairage sur les conséquences d’une telle remise en cause.
Toutes les associations membres de l’Observatoire du droit à la santé des étrangers, l’ODSE, sont unanimes : le respect des droits réservés aux étrangères et étrangers malades, droits notamment encadrés par la loi du 11 mai 1998 introduisant la régularisation pour raisons médicales, est mis à mal par le gouvernement actuel.
Régulièrement attaqués, ces droits ont déjà fait l’objet de nombreuses remises en cause. La plus récente, la loi de mars 2016, a transféré l’évaluation médicale faite par les agences régionales de santé, les ARS, qui sont sous tutelle du ministère de la santé, à l’Office français de l’immigration et de l’intégration, l’OFII, lequel est sous l’autorité du ministère de l’intérieur.
Ce dernier étant davantage animé par des objectifs de contrôle des flux que par la préservation de la santé publique, nous nous étions fermement opposés à cette mesure absolument révélatrice de la logique comptable, déjà portée par le gouvernement précédent, en matière de politique migratoire.
Nos collègues socialistes ont regretté, dans leur motion tendant à opposer la question préalable, que les mesures de cette loi de 2016 n’aient pas encore pu produire leurs effets. Pourtant, sachez que les premiers chiffres disponibles sont éloquents : le nombre de titres de séjour délivrés pour soins a chuté de 37 % entre 2016 et 2017.
Le texte de 2016 a donc ouvert la brèche, et le gouvernement En Marche s’y engouffre.
Ainsi, par exemple, l’article 20 du texte que nous examinons prévoit qu’un ressortissant étranger faisant l’objet d’une mesure d’éloignement fondée sur le rejet de sa demande d’asile ne pourrait plus solliciter un titre de séjour hors du délai fixé, sauf « circonstances nouvelles ». Cela vise de nombreux étrangers malades, car une part importante des déboutés du droit d’asile relèvent de la procédure du droit au séjour pour soins, comme le révèle le rapport sur l’admission au séjour des étrangers malades.
Un texte commun a été signé par 63 associations pour que ces dispositions soient supprimées. Que leur répondez-vous, monsieur le ministre d’État ? Et que leur répond votre collègue Mme Buzyn ?
Supprimer l’aide médicale de l’État fait aussi courir le risque d’une propagation de maladies pour cause de non-recours aux soins. Il s’agit donc d’une question de santé publique.
Cet article étant extrêmement grave, nous allons vous présenter un amendement visant à le supprimer.
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, sur l’article.
M. Richard Yung. Il s’agit là de dispositions que nous connaissons bien : nous les avons examinées à de nombreuses reprises – M. Karoutchi présente même, presque chaque année, un amendement de cette nature en commission des finances. C’est une vieille lune, si j’ose dire, une sorte de marotte…
Cette fois-ci, on nous propose d’instaurer un droit de timbre. C’est une mesure que je considère comme injuste, presque cynique, d’une certaine manière.
Monsieur Karoutchi, je vous rappelle que, entre 2010 et 2011, pas moins de trois lois avaient modifié le dispositif de l’aide médicale de l’État, l’AME. Le gouvernement Fillon avait subordonné l’attribution de cette aide au versement d’un droit annuel de 30 euros : vous voyez que ce n’est pas nouveau ! Il avait également soumis la prise en charge des frais hospitaliers lourds, au-delà de 15 000 euros, à une autorisation préalable de la caisse primaire d’assurance maladie.
Au fond, qu’ont donné toutes ces dispositions ? Elles ont complexifié le dispositif de l’AME et découragé un certain nombre de bénéficiaires.
Ce renchérissement a conduit des personnes en grande difficulté à renoncer à se faire soigner, ou à reporter leurs demandes de soins. Lors de diverses auditions, des praticiens, des médecins hospitaliers nous ont fait part de ce constat : ils voyaient arriver des patients présentant des pathologies lourdes. Ces derniers n’avaient pas été soignés. En définitive, on aboutissait évidemment à un surenchérissement des coûts.
D’ailleurs, vous vous souvenez sans doute qu’un rapport commun de l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, et de l’Inspection générale des finances avait évalué – sauf erreur de ma part – à 20 millions d’euros le surenchérissement des coûts que ces dispositions entraînaient.
Heureusement, ces mesures ont été supprimées en 2012 par le gouvernement socialiste de Manuel Valls, gouvernement que je continue de soutenir.
M. Roger Karoutchi. Ah oui, M. Valls est en marche, lui aussi !
M. Richard Yung. Le dispositif actuel est déjà très encadré. Pour pouvoir bénéficier d’une prise en charge, les étrangers en situation irrégulière doivent résider sur notre territoire « de manière ininterrompue depuis plus de trois ans », et leurs ressources ne doivent pas dépasser un certain seuil.
Je ne comprends donc pas l’acharnement avec lequel vous souhaitez réintroduire cette disposition, que nous avons, heureusement, repoussée.
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, sur l’article.
M. Roger Karoutchi. Je serai très bref, puisque M. le rapporteur exprimera, dans quelques instants, l’avis de la commission sur les amendements de suppression, et qu’il défendra ainsi notre proposition.
Monsieur Yung, je ne sais pas ce que vous appelez « vieille lune »… Mais, pardonnez-moi de vous le dire, lorsque le droit de timbre existait, j’ai entendu bien des ministres de gauche déclarer qu’ils ne trouvaient rien à y redire, voire affirmer que cette imposition était nécessaire et logique.
Je peux comprendre que les prises de position varient… Mais n’en faites pas une question fondamentale, alors que vos amis politiques ont longtemps défendu ce dispositif, avant de l’abandonner. (Protestations sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. David Assouline. Nous l’avons supprimé !
M. Roger Karoutchi. Monsieur Assouline, nous nous sommes tous deux engagés à ne pas nous interrompre mutuellement : je vous invite, comme moi, à respecter cet accord. Merci de me laisser parler !
On peut ériger tout sujet en affaire de principe ; on peut affirmer que l’aide médicale d’urgence est strictement inadmissible, et citer, à l’appui de son propos, tel ou tel rapport de l’IGAS… Mais il y a aussi les rapports de la Cour des comptes qui dénoncent un certain nombre de dérives de l’AME.
Monsieur Yung, vous évoquez nos débats en commission des finances. J’ai précisément souvenir d’une réunion, au cours de laquelle la ministre, socialiste, de la santé – c’était d’ailleurs sous le gouvernement de Manuel Valls – reconnaissait elle-même qu’il s’agissait d’un sujet difficile et qu’il fallait réformer l’AME. Or je n’ai jamais vu de réforme de l’AME !
On ne peut pas admettre que cette aide doit être réformée, puis renoncer à le faire, parce que ce chantier est compliqué et parce que l’on ne veut pas se faire d’ennemis, alors même que les reproches émis par la Cour des comptes sont toujours d’actualité.
Notre proposition n’a rien d’incendiaire. Nous relevons simplement que, pour pérenniser ce dispositif d’aide, mieux vaut le rationaliser.
La réforme que nous défendons a été proposée par la Cour des comptes et acceptée par les ministres socialistes…
M. David Assouline. Oh !
M. Roger Karoutchi. Monsieur Assouline, vous n’étiez pas en commission des finances ! Le précédent gouvernement socialiste a accepté cette réforme, mais il ne l’a pas mise en œuvre.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Bravo !
M. le président. La parole est à M. David Assouline, sur l’article.
M. David Assouline. Il faut arrêter de jouer aux magiciens avec nous ! Le débat en question a eu lieu dans l’hémicycle, et nous nous sommes opposés à ce droit de timbre.
Monsieur Karoutchi, vous voulez faire de l’histoire, et vous nous renvoyez à chaque fois à des faits qui n’existent que dans votre tête.
M. Roger Karoutchi. Je ne vous permets pas ! Je vous respecte, respectez-moi !
M. David Assouline. Je vous respecte totalement, mais, en l’occurrence, vous ne dites pas la vérité.
M. Roger Karoutchi. Si ! Vos méthodes sont inacceptables !
M. David Assouline. Il ne s’agit pas d’opposer ma parole à la vôtre : référez-vous au compte rendu de nos séances ! Les élus du groupe socialiste se sont opposés à la création d’un tel droit de timbre.
M. Roger Karoutchi. Et l’année dernière ?
M. le président. Monsieur Karoutchi, la parole est à M. Assouline, et à lui seul !
Veuillez poursuivre, cher collègue.
M. David Assouline. J’étais dans l’hémicycle quand a eu lieu ce débat de fond : est-il bon pour la France de créer une aide médicale d’urgence, plus difficile d’accès, parce qu’elle est destinée à des immigrés ? Non seulement ces personnes malades peuvent être contagieuses ; mais la France n’a-t-elle pas le devoir de soigner une personne malade, quelle que soit sa situation ?
M. Roger Karoutchi. Qui a dit le contraire ?
M. David Assouline. Nous avons eu ce débat, et les élus du groupe socialiste se sont prononcés contre l’aide médicale d’urgence.
Ensuite, vous évoquez « des ministres de gauche ». Vous avez peut-être des conversations privées avec telle ou telle personne, mais cela ne nous intéresse pas !
M. Roger Karoutchi. C’était en commission des finances !
M. David Assouline. Vous invoquez les actes : le gouvernement socialiste a supprimé ce droit de timbre.
M. Patrick Kanner. Oui !
M. David Assouline. En séance, nous nous sommes prononcés contre ce dispositif, et quand nous avons été au pouvoir, nous l’avons supprimé. Est-ce que c’est bien clair ?
Pour ces raisons, et dans la continuité de nos combats, nous nous opposons à l’aide médicale d’urgence, dans cet hémicycle, encore aujourd’hui. Certaines de nos positions peuvent présenter des incohérences ; mais, en la matière, nous sommes cohérents depuis un bon bout de temps !
M. Patrick Kanner. Très bien !
M. le président. Je suis saisi de cinq amendements identiques.
L’amendement n° 118 est présenté par Mmes Assassi, Benbassa et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 249 rectifié bis est présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 421 est présenté par le Gouvernement.
L’amendement n° 448 rectifié est présenté par MM. de Belenet, Bargeton, Richard, Amiel, Cazeau, Dennemont, Gattolin, Hassani, Haut, Karam, Lévrier, Marchand, Mohamed Soilihi, Navarro, Patient, Patriat et Rambaud, Mmes Rauscent et Schillinger, MM. Théophile, Yung et les membres du groupe La République En Marche.
L’amendement n° 527 rectifié est présenté par M. Arnell, Mmes Costes, M. Carrère et N. Delattre, MM. Requier, Artano, A. Bertrand, Castelli, Collin, Corbisez, Dantec, Gabouty, Gold, Guérini et Guillaume, Mmes Guillotin et Jouve, M. Labbé, Mme Laborde et MM. Menonville et Vall.
Ces cinq amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Christine Prunaud, pour présenter l’amendement n° 118.
Mme Christine Prunaud. Mes chers collègues, Laurence Cohen vous a fait part de nos inquiétudes quant aux traitements dont bénéficient les étrangers malades que ce texte va encore dégrader. En effet, l’article 10 AA réduit l’aide médicale de l’État en une aide médicale d’urgence concentrée sur certaines maladies graves, la médecine préventive et le suivi de grossesse.
Avec cet article, nous en sommes donc à débattre d’une mesure qui figurait en bonne place dans les programmes de François Fillon et de Marine Le Pen…
Nous le savons, lors du conseil interministériel consacré à l’intégration des étrangers, qui s’est tenu le 5 juin dernier, M. Gérald Darmanin s’est montré favorable à la suppression de l’aide médicale de l’État, au motif qu’elle était trop coûteuse.
Monsieur le ministre d’État, vous avez également soutenu cette position…
Mme Christine Prunaud. D’après les informations dont nous disposons à ce jour, le Premier ministre aurait, pour le moment, renoncé, quant à lui, à supprimer l’AME. Mais pour combien de temps encore ? Telle est notre inquiétude.
À l’heure actuelle, l’AME n’est déjà pas accordée si facilement aux étrangers malades : elle est attribuée sous condition de résidence stable – ce critère est très difficile à remplir pour les personnes concernées –, et sous condition de ressources – critère encore plus difficile.
De plus, pour demander cette aide, il faut constituer un dossier. Nous sommes nombreux, ici, à avoir accompagné des étrangers, et nous pouvons vous assurer que ces démarches sont un véritable parcours du combattant.
Enfin, une fois attribuée, l’AME n’est accordée que pour un an : ensuite, le renouvellement doit être demandé chaque année.
Si une réforme s’impose en matière de santé, c’est l’extension de la CMU, la couverture maladie universelle, aux sans-papiers, qui sont en proie aux problèmes sociaux, aux difficultés administratives, et qui sont souvent dans un état de santé déplorable.
La santé est un bien universel et commun. Les ressortissants étrangers doivent pouvoir bénéficier, au même titre que les ressortissants français, de notre système de protection de la santé. Nous ne devons rien céder sur ce point !
Dès les premières décisions qu’il a rendues en matière de protection de la santé, le Conseil constitutionnel a reconnu que le droit à la santé était un principe à valeur constitutionnelle. Je tiens à le répéter dans cet hémicycle, à rebours des images tant diffusées : il n’existe pas de tourisme médical. Les personnes qui migrent ne quittent pas leur pays pour percevoir l’AME ! (Mmes Laurence Cohen et Esther Benbassa applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour présenter l’amendement n° 249 rectifié bis.
M. Bernard Jomier. Mes chers collègues, j’ai peu pris la parole au cours de ce débat, sinon, il y a quelques instants, pour mentionner les droits fondamentaux.
En la matière, nous sommes bien face à un droit fondamental – l’accès aux soins –, et face à un droit inconditionnel, qui s’étend donc également aux personnes en situation irrégulière.
Nous avons déjà débattu de l’aide médicale de l’État lors de l’examen du dernier projet de loi de finances. La majorité sénatoriale avait alors voté un budget modifié, en coupant la poire en deux, si je puis dire : elle avait réduit les crédits de l’AME de 30 % ou de 50 %, sur la base de considérations strictement financières.
Or l’on ne peut pas avoir une lecture purement budgétaire ou purement juridique de l’AME : on doit d’abord avoir une lecture du point de vue de la santé. Sinon, il n’y a plus qu’à tirer un trait sur le droit fondamental à l’accès aux soins ; mais alors, il faut le dire clairement ! Nous sommes face à une logique que j’ai précédemment dénoncée au cours de ce débat.
Dès lors que l’on respecte ce droit fondamental, il faut y consacrer les moyens nécessaires, lesquels ne sont pas très élevés. Je le répète, l’AME représente 0,4 % du budget de santé de la Nation : autant dire trois fois rien.
De plus, monsieur Karoutchi, on ne peut pas affirmer que l’aide médicale de l’État n’a pas été réformée. Que l’on soit d’accord ou non avec ce dispositif, le panier de soins a été réduit au cours des dernières années.
M. Roger Karoutchi. C’est tout de même 1 milliard d’euros…
M. Bernard Jomier. Contrairement à ce qu’un ministre affirme encore aujourd’hui – je ne citerai pas son nom, par charité (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.) –, les allocataires de l’AME ne disposent pas de conditions plus favorables que les bénéficiaires de la CMU : c’est l’inverse, et c’est tout à fait légitime.
On voit bien que, sur le strict plan de la santé, cette question n’intéresse pas les auteurs du présent article. En effet, le dispositif qui nous est proposé est totalement incohérent ! On nous détaille un contenu en quatre items, dont « la prophylaxie et le traitement des maladies graves et des douleurs aiguës »… Il faudra m’expliquer ce qu’est la prophylaxie des douleurs aiguës. Nous allons entrer dans des discussions relatives aux différents types de douleurs : cela n’a aucun sens !
Pour avoir le dispositif le plus efficient et le plus économique possible – il est tout à fait normal de viser ce second objectif –, l’Académie de médecine a dit ce qu’il fallait faire : fusionner le régime de la CMU et celui de l’AME. L’Inspection générale des finances a dit exactement la même chose !
M. Roger Karoutchi. Pas la Cour des comptes…
M. Bernard Jomier. Au lieu de se lancer dans la destruction d’un droit fondamental, ce qui est absolument contraire à nos principes, il faut donc réformer l’aide médicale de l’État, en la fusionnant avec la CMU. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Laurence Cohen applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État, pour présenter l’amendement n° 421.
M. Gérard Collomb, ministre d’État. Cet amendement tend à supprimer l’article 10 AA, introduit dans le présent texte par la commission.
Cet article substitue à l’AME une aide médicale d’urgence qui serait non seulement conditionnée, pour les bénéficiaires majeurs, au paiement d’un droit de timbre, mais aussi restreinte à la prise en charge de pathologies graves, de soins liés aux grossesses et des actes de prévention.
J’ai peur que de telles dispositions n’atteignent précisément l’opposé de l’objectif poursuivi : en voulant réduire les soins, on contribuerait, demain, à embouteiller les urgences. Les personnes qui n’auraient pu être soignées en amont propageraient des maladies contagieuses sur le territoire, et exigeraient, à l’hôpital, des soins impliquant des coûts beaucoup plus élevés que la médecine de ville.
C’est la raison pour laquelle nous sommes opposés à ces dispositions.
M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour présenter l’amendement n° 448 rectifié.
M. Alain Richard. Je serai bref, car, en la matière, les arguments sont assez convergents – je rejoins, en particulier, une grande partie des propos que M. Jomier a tenus à l’instant.
D’ailleurs, quand, à l’appui de sa démonstration, on cite à la fois l’Académie de médecine et l’Inspection des finances, les gens raisonnables commencent tout de suite à rectifier la position ! (Sourires.)
À mon sens, il y a matière à une réforme de l’aide médicale de l’État ; mais il existe également des risques de dérive. La solution qui consiste à inventer un nouveau régime d’aide, en se fondant sur une distinction, dont certains collègues doivent garder un souvenir quelque peu douloureux, entre les maladies graves et les autres, n’est sans doute pas la bonne voie.
C’est la raison pour laquelle nous proposons cet amendement de suppression.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Arnell, pour présenter l’amendement n° 527 rectifié.
M. Guillaume Arnell. Aux arguments que viennent de présenter nos collègues, nous ajoutons l’enjeu déontologique, lequel a toute son importance.
Tout comme l’article 9 du code de déontologie médicale, l’article R. 4127-9 du code de la santé publique dispose : « Tout médecin qui se trouve en présence d’un malade ou d’un blessé en péril, ou informé qu’un malade ou un blessé est en péril, doit lui porter assistance ou s’assurer qu’il reçoit les soins nécessaires. »
La réforme proposée placerait donc les médecins et les personnels soignants face à une injonction paradoxale, en particulier dans les services d’urgences. À nos yeux, elle ne ferait qu’aggraver la crise que traverse actuellement l’hôpital public.
Aussi, les membres du RDSE formulent cette mise en garde : veillons à ne pas réduire davantage encore le temps des soins, par de nouvelles préoccupations administratives et budgétaires dans nos lieux de santé. C’est pourquoi nous sommes, nous aussi, favorables à la suppression du présent article.
M. Richard Yung. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La transformation de l’aide médicale de l’État en aide médicale d’urgence a été adoptée par la commission des lois, sur l’initiative de notre collègue Roger Karoutchi, qui a déposé un amendement à cette fin.
Ce sujet n’a été abordé ni par le Gouvernement ni par l’Assemblée nationale, alors que tout le monde sait qu’il pose problème.
Pour mémoire, l’AME est une aide fournie aux étrangers présents en France, en situation irrégulière, depuis plus de trois mois. Depuis plusieurs années, le nombre de ses bénéficiaires connaît une hausse sensible. En 2017, il s’est établi à 311 000 – ces chiffres figurent dans les rapports du budget de 2018 –, contre 100 000 lors de la création du dispositif en 2001, et 210 000 environ en 2011.
La question financière a été évoquée tout à l’heure. Le montant de cette aide a été porté de 815 à 923 millions d’euros, soit une augmentation de plus de 13,3 %, par la loi de finances pour 2018.
Bref, le débat existe, et, que l’on soit d’accord ou non avec nos propositions, tout le monde le reconnaît.
D’ailleurs, il y a tout juste deux semaines, le ministre de l’action et des comptes publics, M. Darmanin, a estimé qu’il fallait trouver des pistes de financement pour les actions d’intégration des étrangers.
Je rappelle que le dispositif voté par le Sénat en commission a déjà été adopté en 2016. En outre, contrairement à ce que j’ai pu entendre, il maintient un régime protecteur pour les étrangers et en matière de santé publique.
Soyons tout à fait précis : l’aide médicale d’urgence permettrait la prise en charge de la prophylaxie des maladies graves, des douleurs aiguës, des soins liés à la grossesse et à ses suites, des vaccinations réglementaires et des examens de médecine préventive. Nous ne sommes donc pas face à un « tout ou rien ».
Pour ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur ces amendements de suppression.
Mes chers collègues, une autre disposition prouve que nous ne nous désintéressons nullement des problèmes de santé. Ainsi, à l’article 21 bis, nous précisons que l’Office français de l’immigration et de l’intégration, l’OFII, peut prendre toutes les mesures de surveillance médicale nécessaires pour les étrangers présents dans nos universités. Depuis deux ans, l’OFII ne s’occupe plus de ces étudiants, et leur santé n’est donc plus suivie. En découlent des problèmes et des risques de problèmes.
Ces sujets ne doivent pas être tabous : il faut simplement les étudier de manière calme et sereine.
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, pour explication de vote.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Mes chers collègues, je tiens à exprimer mon soutien à la commission, et à l’amendement de Roger Karoutchi dont procède cet article.
En effet, nous sommes responsables des deniers de l’État, des finances publiques, et ce rôle a toute son importance. Or, en la matière, on assiste à une forme de dérive vers le tout-gratuit qui peut être extrêmement gênante et envoyer un signal très négatif à d’autres pays. Cette image de l’Eldorado européen peut provoquer certaines migrations. (M. Sébastien Meurant acquiesce.)
Voilà pourquoi il me semble préférable de responsabiliser les étrangers qui viennent en France, via une aide médicale d’urgence. Ce dispositif reste très étoffé, mais il sera réservé aux situations d’urgence : il me semble tout à fait pertinent, et il ne me gêne pas du tout d’un point de vue éthique.
D’ailleurs, je précise que les Français de l’étranger n’ont pas droit à la protection sociale quand ils rentrent en France. Eux aussi doivent attendre trois mois, ils doivent travailler et accomplir un parcours du combattant. Ce dispositif est donc tout à fait souhaitable, ne serait-ce que pour garantir, avec les Français de l’étranger, un traitement égalitaire. (Mme Sophie Taillé-Polian proteste.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 118, 249 rectifié bis, 421, 448 rectifié et 527 rectifié.
J’ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe La République En Marche, l’autre, du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 155 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 280 |
Pour l’adoption | 137 |
Contre | 143 |
Le Sénat n’a pas adopté.
L’amendement n° 145 rectifié bis, présenté par MM. H. Leroy et Meurant, Mme Lherbier, MM. Leleux, Paccaud, Charon, Joyandet, Bonne, Paul, Cardoux, Laménie, Sido, Bonhomme, B. Fournier, Retailleau, Daubresse et Revet, Mme Deromedi, MM. Ginesta et Gremillet et Mmes Lassarade et Eustache-Brinio, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 5
Remplacer les mots :
d’un droit annuel dont le montant est fixé par décret
par les mots :
du droit annuel mentionné à l’article 960 du code général des impôts
II. – Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… - Après le paragraphe V de la section II du chapitre II du titre IV de la première partie du livre premier du code général des impôts, il est inséré un paragraphe ainsi rédigé :
« … : Aide médicale d’urgence
« Art. 960. – Le droit aux prestations mentionnées à l’article L. 251-2 du code de l’action sociale et des familles est conditionné par le paiement d’un droit annuel d’un montant de 30 euros par bénéficiaire majeur. »
La parole est à M. Sébastien Meurant.
M. Sébastien Meurant. Avec cet amendement, nous poursuivons le précédent débat.
On peut multiplier les droits formels et les droits réels, mais – mes collègues de droite devraient être sensibles à cette question – la politique est affaire de réalités.
On l’a vu : le nombre de bénéficiaires de l’AME a été multiplié par trois en quelques années. Jusqu’où va-t-on aller ?
Pour tenter de limiter, autant que faire se peut, l’attrait de cette AME, dispositif que la France est l’un des rares pays à avoir, nous proposons de rétablir le droit de timbre de 30 euros en vigueur avant la loi du 16 août 2012.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 145 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 10 AA.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 156 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 281 |
Pour l’adoption | 144 |
Contre | 137 |
Le Sénat a adopté.
Mme Catherine Troendlé. Très bien !
M. le président. Mes chers collègues, nous avons examiné 52 amendements au cours de cet après-midi ; il en reste 318.
Nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Marie-Noëlle Lienemann.)
PRÉSIDENCE DE Mme Marie-Noëlle Lienemann
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie.
Dans la discussion du texte de la commission, nous en sommes parvenus aux amendements tendant à insérer un article additionnel après l’article 10 AA.
Article additionnel après l’article 10 AA
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 78 rectifié, présenté par M. Karoutchi, Mmes L. Darcos et Canayer et M. Mouiller, est ainsi libellé :
Après l’article 10 AA
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 1113-1 du code des transports est complété par une phrase ainsi rédigée : « Le bénéfice de cette réduction tarifaire est subordonné à la régularité du séjour en France. »
La parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, cet amendement vise à répondre à la situation que connaît la région d’Île-de-France depuis quelques mois.
La présidente de région avait choisi de priver du bénéfice des réductions tarifaires les personnes en situation irrégulière et le conseil régional avait pris une décision en ce sens. Celle-ci a été appliquée durant un an, puis un recours a été formé, qui a conduit à son annulation.
Les tarifs en Île-de-France s’appliquent de manière classique à tout le monde, notamment le pass Navigo à tarif unique. Les salariés comme les fonctionnaires se voient rembourser la moitié de leurs frais de transport par leur entreprise ou par la fonction publique, mais beaucoup de gens modestes prennent également les transports publics et paient le tarif plein, sans réduction ni remboursement.
L’objet de cet amendement, par souci d’équité envers ceux qui paient le plein tarif, est de limiter le bénéfice de la réduction aux personnes en situation régulière. Je le dis tout de suite, les demandeurs d’asile ne sont pas concernés, car ils sont bien en situation régulière.
En revanche, on ne comprend pas pourquoi des gens qui sont en situation irrégulière depuis leur arrivée ou qui ont été déboutés du droit d’asile et se retrouvent en situation irrégulière à l’issue de la procédure auraient droit à une réduction tarifaire qui n’est pas généralisée et dont des habitants modestes d’Île-de-France ne bénéficient pas.
Nous entendons donc mettre tout le monde sur le même plan : si vous n’êtes pas en situation régulière, vous ne bénéficiez pas de la réduction.
Mme la présidente. L’amendement n° 29 rectifié ter, présenté par Mme L. Darcos, MM. Karoutchi, Bazin et Dallier, Mme Primas, M. Hugonet, Mmes Dumas, Procaccia et Boulay-Espéronnier, M. Charon, Mme de Cidrac, MM. Schmitz, Cuypers, Leleux et Daubresse, Mme Lamure, MM. Panunzi, Brisson, Paccaud, H. Leroy, Bascher, Cardoux, Meurant, Reichardt, Chaize, Courtial et Mouiller, Mme Gruny, M. B. Fournier, Mme Bonfanti-Dossat, M. Kennel, Mme Lopez, MM. Revet, Frassa et Danesi, Mmes Lherbier et Bruguière, M. Sido, Mme Deseyne, M. Pierre, Mme Lanfranchi Dorgal, M. Bonhomme, Mmes Deroche, Thomas et Duranton, M. J.M. Boyer, Mme Canayer et M. Le Gleut, est ainsi libellé :
Après l’article 10 AA
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 1113-1 du code des transports est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le bénéfice de l’aide médicale d’urgence prévu pour les personnes mentionnées à l’article L. 251-1 du code de l’action sociale et des familles n’ouvre pas droit à la réduction tarifaire mentionnée au premier alinéa. »
La parole est à Mme Laure Darcos.
Mme Laure Darcos. Je ne vais pas répéter les propos de mon collègue Karoutchi, mais nous avons en effet tous été choqués par la décision du tribunal administratif de Paris. C’est une question de simple justice sociale au regard des situations comparées des personnes à revenus modestes et des étrangers en situation irrégulière.
Cet amendement diffère seulement du précédent en ce qu’il vise à ce que le bénéfice de l’aide médicale de l’État prévu pour les personnes mentionnées à l’article L. 251-1 du code de l’action sociale et des familles n’ouvre pas droit à la réduction tarifaire mentionnée au premier alinéa de l’article L. 1113-1 du code des transports.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission émet un avis favorable sur l’amendement n° 78 rectifié, parce qu’il est fondé sur la régularité du séjour plutôt que sur l’éligibilité à l’aide médicale de l’État.
Elle demande donc à Mme Darcos de bien vouloir retirer l’amendement n° 29 rectifié ter au profit du précédent.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérard Collomb, ministre d’État. Ces problèmes seront traités dans le cadre du projet de loi d’orientation sur les mobilités qui sera soumis au Parlement. Je propose d’attendre qu’une décision valable pour toute la France soit prise et donc je suggère à leurs auteurs de retirer ces amendements ; à défaut, l’avis du Gouvernement serait défavorable.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. On peut reconnaître à Roger Karoutchi le bénéfice de la sincérité. Il n’avance pas masqué et ne prétend pas que son amendement tende à un autre but que celui de régulariser la situation désagréable dans laquelle se trouve la présidente de la région d’Île-de-France, Valérie Pécresse, depuis que deux des décisions qu’elle a fait adopter ont été annulées par le tribunal administratif. À ce sujet, je tiens à rassurer Laure Darcos, tout le monde a très bien supporté cette épreuve !
Mme Pécresse a fait appel et a convaincu son ami Roger Karoutchi de déposer cet amendement…
M. Roger Karoutchi. Son grand ami ! (Sourires.)
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Son ami récent, mais son grand ami, admettons ! (Nouveaux sourires.)
Cela démontre la foi que Mme Pécresse a dans la légalité de sa décision. Son recours est pendant devant la cour administrative d’appel, mais elle préfère diligenter un amendement au Sénat, de manière à être assurée du résultat. Toute convaincue donc qu’elle soit du bien-fondé juridique de sa décision, son attitude dénote tout de même un peu d’inquiétude !
Nous voterons contre celui de ces deux amendements qui sera finalement mis aux voix – peu importe lequel, ils ont le même objet – pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, ils nous semblent irrecevables parce qu’ils constituent un cavalier législatif, au sens de l’article 48 du règlement du Sénat, comme l’indique, si j’avais besoin de vous en convaincre, le fait qu’ils tendent à modifier le code des transports.
Je rappelle, ensuite, que l’obligation de mettre en place un tarif au moins à moitié prix destiné aux personnes les plus démunies est issue de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, ou loi SRU. De nombreuses villes l’ont fait, comme Strasbourg, Nantes ou Clermont-Ferrand, mais également Bordeaux, je le dis pour mes collègues de droite. Ces dispositions permettent d’instaurer un système de tarification plus favorable pour les personnes qui n’ont pas beaucoup de ressources.
Enfin, ces amendements nous paraissent présenter un défaut de constitutionnalité, parce qu’ils créent une situation de discrimination potentielle. MM. Karoutchi et Buffet sont familiers du principe d’égalité d’accès aux services publics. Dans le cas dont nous discutons, le Conseil d’État a estimé que les collectivités peuvent décider de moduler l’accès au service en cause seulement si les situations sont différentes ou si la mesure s’impose, car justifiée par une nécessité d’intérêt général en rapport avec les conditions d’exploitation du service.
Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue !
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Telles sont les raisons pour lesquelles l’adoption de l’un de ces deux amendements amènerait le texte à ne pas être conforme à la Constitution et pour lesquelles, outre le mauvais fondement de l’amendement qui vise l’AME, nous sommes défavorables à ces propositions.
Mme la présidente. Il faut vraiment conclure !
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. J’ai été un peu longue, mais j’évoquais deux amendements ! Je pourrais d’ailleurs reprendre la parole sur le second, s’il était maintenu… Cela étant, je vous remercie de votre bienveillance, madame la présidente.
Mme la présidente. Madame Darcos, l’amendement n° 29 rectifié ter est-il maintenu ?
Mme Laure Darcos. Non, je vais le retirer, madame la présidente.
Entre Mme de la Gontrie et moi-même, c’est une sorte de private joke. Et M. Karoutchi et moi-même n’avons pas besoin que Valérie Pécresse nous demande quoi que ce soit !
Deux propositions de loi ont été déposées en ce sens, l’une par moi-même au Sénat, l’autre par nos collègues Constance Le Grip et Robin Reda à l’Assemblée nationale.
Vous évoquez l’égalité de traitement dans l’accès aux transports, mais nous visons bien des personnes en situation irrégulière, absolument pas des individus en situation régulière, lesquels garderont le même accès aux transports. Des personnes âgées m’ont souvent interrogée sur cette tarification considérant que certains citoyens, comme les anciens combattants, devraient avoir droit à des réductions plus importantes. C’est véritablement une simple question de justice sociale.
Madame de la Gontrie, Dieu sait que je me sens parfois proche de vous quand vous évoquez l’asile, mais cette situation me semble poser un problème d’équité.
Cela dit, je retire mon amendement n° 29 rectifié ter au profit de l’amendement n° 78 rectifié.
Mme la présidente. L’amendement n° 29 rectifié ter est retiré. Ne serait-ce pas pour empêcher Mme de la Gontrie de reprendre la parole ?… (Sourires.)
La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote sur l’amendement n° 78 rectifié.
M. Roger Karoutchi. Madame de la Gontrie, je n’ai pas d’états d’âme. Chacun sait que cette question s’est posée en Île-de-France, une région qui représente entre 60 % et 70 % des déplacements en transports publics en France. Bien évidemment, ce qui s’y fait prend une importance que l’on ne retrouve pas dans d’autres agglomérations.
Vous parlez d’inconstitutionnalité. Pardonnez-moi, mais cela revient à dire que des citoyens français modestes n’auraient pas accès à la tarification sociale parce que ce n’est pas prévu ainsi…
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Ce n’est pas vrai !
M. Roger Karoutchi. … alors que des personnes en situation irrégulière, je dis bien « en situation irrégulière », donc qui ne sont pas demandeurs d’asile, ont accès aux tarifs réduits.
On affirme que nous ne pourrions pas créer d’inégalité envers ces gens en situation irrégulière, mais il y a bien une inégalité au détriment des gens modestes d’Île-de-France qui, eux, paient plein pot !
M. David Assouline. Pourquoi « au détriment » ?
M. Roger Karoutchi. Je suis désolé, mais je considère que cela n’est pas du tout égalitaire et je souhaite donc que cet amendement soit adopté.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Il est amusant d’entendre les arguments présentés par M. Karoutchi ce soir, parce que nous y avons déjà été confrontés sur les bancs du conseil régional d’Île-de-France.
Mme Laurence Cohen. Les membres de sa famille politique ont en effet toujours refusé la tarification sociale quand les élus de la mienne, les communistes, se battaient pour la mettre en place. Mme Valérie Pécresse avait d’ailleurs combattu cette proposition. Et voilà que l’on fait revenir par la fenêtre ce que l’on avait chassé par la porte !
Comme le climat est à la méfiance – nous en avons eu la démonstration tout l’après-midi –, on tente d’opposer les étrangers en situation irrégulière et les pauvres qui, eux, sont en situation régulière et seraient maltraités. La question n’est pourtant pas là !
Pourquoi la politique de Mme Pécresse a-t-elle été retoquée ? Parce qu’il s’agit de modifier le règlement en vigueur, afin que les étrangers en situation irrégulière ne puissent pas profiter de la tarification sociale, alors que le bénéfice de celle-ci ne dépend que de l’éligibilité à l’AME, point barre !
Vous essayez maintenant de tordre le manche, si je puis dire, pour exclure toute une population et faire passer, en modifiant la loi, ce que le conseil régional d’Île-de-France a échoué à imposer.
Mme Catherine Troendlé. Il a raison !
Mme Laurence Cohen. C’est fort de café !
M. Roger Karoutchi. C’est votre appréciation.
Mme Laurence Cohen. Enfin, ne prétendez pas qu’il ne s’agit que de l’Île-de-France : vous tentez de changer la loi pour faire passer une mauvaise politique locale, mais la loi s’applique bien à l’ensemble du territoire national !
Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour explication de vote.
Mme Sophie Taillé-Polian. On est en train d’essayer d’élargir à toute la France une mauvaise décision prise en Île-de-France, au mépris de la possibilité pour les étrangers, y compris en situation irrégulière, d’avoir accès à des soins, parce que c’est bien de cela dont il s’agit.
Cette décision a été l’une des premières que le conseil régional d’Île-de-France a adoptées après les dernières élections. Au sein du conseil, certains avaient alors souligné qu’elle était illégale. On tente maintenant de la sauver comme on peut, mais elle n’en reste pas moins illégitime.
Monsieur Karoutchi, vous affirmez qu’il n’y a pas de tarification sociale pour tous dans les transports en Île-de-France. C’est faux ! Il existe un certain nombre de réductions tarifaires.
M. Roger Karoutchi. Je n’ai jamais dit cela !
Mme Sophie Taillé-Polian. Vous venez de le dire ! Peut-être vous êtes vous mal exprimé, mais je ne suis pas la seule à avoir ainsi compris vos propos.
Vous prétendez qu’accorder le bénéfice de tarifications sociales aux étrangers en situation irrégulière empêcherait d’autres personnes d’en bénéficier également. Ce n’est pas le cas, rien n’interdit de prévoir d’autres tarifications sociales.
Ce système permet aux personnes qui souffrent de problèmes de santé d’avoir accès aux soins. C’est la raison pour laquelle il me semble que cette décision du conseil régional d’Île-de-France, utilement annulée par une décision de justice, ne doit pas être remise en vigueur et surtout pas être étendue à toute la France.
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Je ne veux pas m’acharner, mais, monsieur Karoutchi, pourquoi dites-vous « au détriment » ?
M. Roger Karoutchi. Je n’ai jamais dit cela !
M. David Assouline. L’ensemble de votre argumentation repose sur l’estimation que cette prestation serait offerte aux étrangers en situation irrégulière au détriment d’autres catégories.
M. Roger Karoutchi. Non, pas « au détriment » !
M. David Assouline. Ah si, pardonnez-moi, je l’ai noté et le compte rendu en attestera. C’est l’idée que vous avez défendue, mais cela vous a peut-être échappé.
M. Roger Karoutchi. Non !
M. David Assouline. Je vous prie de me laisser parler. À chaque fois que je prends la parole, vous vous manifestez ! Mon intervention commence, mais vous m’avez déjà privé de quarante-cinq secondes !
Vous avez donc dit cela, peut-être cela vous a-t-il échappé, mais c’est intéressant. On entend souvent l’argumentation, notamment dans la bouche des extrêmes, selon laquelle tout ce que l’on fait pour les étrangers en situation irrégulière, voire pour les étrangers en général, se fait au détriment des Français défavorisés, des gens qui souffrent et qui ne bénéficieraient pas des mêmes avantages.
M. Sébastien Meurant. C’est tout à fait le cas !
M. David Assouline. Pourtant, cette tarification sociale n’est pas proposée au détriment des Français qui y auraient droit et l’économie qui serait réalisée par la région si votre proposition était adoptée ne serait pas reversée à des catégories de population qui n’y auraient pas droit aujourd’hui. « Au détriment » n’est donc pas la juste expression.
Le transport, c’est vital, y compris pour quelqu’un qui est en situation irrégulière, d’abord pour aller à la préfecture remplir un dossier de régularisation, mais aussi pour se soigner ou pour faire soigner ses enfants.
Ce ne sont pas ceux qui n’ont pas de papiers qui vivent le mieux dans ce pays ! Il ne nous semble pas souhaitable de rendre toujours la vie plus difficile, même dans ses dimensions les plus quotidiennes, à ceux dont la situation est déjà exécrable.
Nous nous opposons donc à ce qu’une mesure retoquée par le tribunal administratif soit inscrite dans la loi uniquement pour valider une décision de Valérie Pécresse, décision qui, au demeurant, n’a été mise en place dans aucune autre région, en particulier pas dans celles que la droite dirige.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d’État.
M. Gérard Collomb, ministre d’État. Ce débat est extrêmement intéressant, mais M. Buffet et moi sommes deux Lyonnais et nous n’occupons pas le temps du Sénat avec des débats propres à l’agglomération lyonnaise.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Cela n’a pas toujours été le cas, monsieur le ministre d’État !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Ce sont pourtant des questions intéressantes !
M. Gérard Collomb, ministre d’État. En effet, et elles mériteraient d’être soumises à discussion. Peut-on essayer d’élargir le sujet ?
Nous avons adopté une disposition un peu spéciale pour Mayotte, je le comprends, monsieur le président de la commission, mais nous ne pouvons pas discuter de la situation de chaque région, autrement, nous n’en sortirons pas et nous ne mènerons pas à bien le débat sur ce texte, alors que nous avons à répondre à un certain nombre d’exigences importantes.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Dites-le à M. Karoutchi !
M. David Assouline. Je suis d’accord avec vous, monsieur le ministre d’État !
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.
M. Bernard Jomier. Je constate que, dans cette discussion, nous multiplions les débats sans lien direct avec le projet de loi. Nous avons évoqué de nouveau l’aide médicale de l’État, nous parlons maintenant des transports. Mme Pécresse savait très bien que sa décision n’était pas conforme au droit, mais elle a des amis bien placés, donc elle n’applique pas la décision du tribunal et tente de faire changer la loi, c’est plus simple ! Et ensuite, nous parlerons de l’alimentation, puis d’autre chose ? Il faut arrêter ! Que je sache, ce texte ne porte pas sur les étrangers en France.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Un peu, tout de même !
M. Bernard Jomier. Le président de la commission des lois nous a demandé de cesser de multiplier les débats, mais qui ouvre sans arrêt de nouveaux champs ?
Nous pourrions évoquer la mobilité des étrangers et débattre des raisons pour lesquelles l’AME, en Île-de-France comme dans d’autres régions, ouvre droit à une réduction sur le prix les transports, mais il s’agit d’un sujet à part entière, qui me semble avoir sa place dans une discussion sur les transports et les mobilités plutôt que dans le débat sur ce texte, sauf à vouloir tout mélanger et à laisser entendre que ce projet de loi poursuit d’autres objectifs que ceux qu’il affiche.
Mon cher collègue, s’il vous plaît, retirez votre amendement ; nous discuterons de ces dispositions à une autre occasion.
Mme la présidente. Monsieur Karoutchi, l’amendement n° 78 rectifié est-il maintenu ?
M. Roger Karoutchi. Bien sûr, madame la présidente !
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 78 rectifié.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant de la commission des lois. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
MM. Bernard Jomier et Rachid Temal. C’est lamentable !
M. Xavier Iacovelli. Ce n’est pas sérieux !
Mme la présidente. Je rappelle que l’avis de la commission est favorable et que celui du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 157 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 329 |
Pour l’adoption | 195 |
Contre | 134 |
Le Sénat a adopté. (Mme Laurence Cohen proteste.)
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 10 AA.
Mme Catherine Troendlé. Très bien !
Chapitre Ier
Les procédures de non-admission
Article 10 A
(Non modifié)
L’article L. 213-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :
1° Le deuxième alinéa est ainsi modifié :
a) Après le mot : « choix », la fin de la première phrase est supprimée ;
b) Les deux dernières phrases sont supprimées ;
2° Après le même deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L’étranger peut refuser d’être rapatrié avant l’expiration du délai d’un jour franc, ce dont il est fait mention sur la notification prévue au deuxième alinéa. L’étranger mineur non accompagné d’un représentant légal ne peut être rapatrié avant l’expiration du même délai. Le présent alinéa n’est pas applicable aux refus d’entrée notifiés à Mayotte ou à la frontière terrestre de la France. » ;
3° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Une attention particulière est accordée aux personnes vulnérables, notamment aux mineurs, accompagnés ou non d’un adulte. »
Mme la présidente. L’amendement n° 250 rectifié bis, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 6, dernière phrase
Supprimer cette phrase.
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Cet amendement vise à nous conformer à une décision de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH et à rétablir le bénéfice d’un jour franc pour l’étranger qui se voit notifier un refus d’entrée aux frontières terrestres de la France ou à Mayotte. Cela concerne en particulier la situation à la frontière franco-italienne.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 250 rectifié bis.
(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, n’adopte pas l’amendement.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 10 A.
(L’article 10 A est adopté.)
Article 10 B
(Non modifié)
Après l’article L. 213-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, il est inséré un article L. 213-3-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 213-3-1. – En cas de réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures prévue au chapitre II du titre III du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen), les décisions mentionnées à l’article L. 213-2 peuvent être prises à l’égard de l’étranger qui, en provenance directe du territoire d’un État partie à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990, a pénétré sur le territoire métropolitain en franchissant une frontière intérieure terrestre sans y être autorisé et a été contrôlé dans une zone comprise entre cette frontière et une ligne tracée à dix kilomètres en deçà. Les modalités de ces contrôles sont définies par décret en Conseil d’État. »
Mme la présidente. L’amendement n° 251 rectifié bis, présenté par MM. Assouline et Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner et Kerrouche, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Cet amendement vise à supprimer le présent article, qui fige dans la loi le périmètre dans lequel un étranger ayant franchi la frontière intérieure du territoire national pourra faire l’objet d’une décision de refus d’entrée et non pas d’une décision d’éloignement.
Aujourd’hui, si un étranger qui a franchi la frontière de manière irrégulière est arrêté, il ne peut faire l’objet que d’une décision d’éloignement. Cet article crée un périmètre de dix kilomètres dans lequel le régime de la reconduite à la frontière pourra être appliqué.
Ainsi, un étranger arrêté à Menton ne ferait pas l’objet d’une procédure d’éloignement, mais serait considéré comme ayant dépassé et franchi illégalement la frontière, et à ce titre, il y serait reconduit.
Nous avons là un exemple d’anicroche au droit – demain, ce périmètre pourra être porté à vingt, voire trente kilomètres. Nous ne pouvons que nous opposer à une telle disposition.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission des lois, qui juge l’article 10 B très utile, est défavorable à cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. En conséquence, l’article 10 B est supprimé.
Article 10
(Non modifié)
Le livre II du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :
1° À la deuxième phrase du sixième alinéa de l’article L. 213-9, les mots : « sauf si l’étranger dûment informé dans une langue qu’il comprend s’y oppose, » sont supprimés ;
2° À la première phrase du troisième alinéa de l’article L. 222-4 et à la troisième phrase du premier alinéa de l’article L. 222-6, les mots : « à laquelle l’étranger dûment informé dans une langue qu’il comprend ne s’est pas opposé » sont supprimés ;
3° Avant la dernière phrase du premier alinéa de l’article L. 222-6, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Le premier président de la cour d’appel ou son délégué peut, par ordonnance motivée et sans avoir préalablement convoqué les parties, rejeter les déclarations d’appel manifestement irrecevables. »
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi, sur l’article.
Mme Éliane Assassi. Le présent article généralise le recours à la vidéo-audience sans le consentement de la personne concernée, tant devant le juge administratif que devant le juge des libertés et de la détention lorsque ceux-ci sont saisis dans le cadre de procédures de maintien en zone d’attente.
Cela a été dit, la généralisation de la vidéo-audience est particulièrement problématique dans le cadre du droit d’asile et du droit des étrangers, car l’oralité revêt une dimension majeure pour la compréhension par le juge du parcours de la personne étrangère.
Outre les difficultés pratiques rencontrées, cette technique déshumanise les débats et ne permet pas d’échanger dans de bonnes conditions. Elle crée une distance préjudiciable aux droits de la défense.
En outre – cela a été évoqué lors de la défense de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité –, l’élargissement du recours à la visioconférence sans le consentement de l’étranger contrevient au droit à un procès juste et équitable et présente des risques d’inconstitutionnalité.
À cet égard, le Défenseur des droits relève que la mise en œuvre de la vidéo-audience, contrairement aux exigences liées au droit à un procès équitable, affecte notamment la publicité des débats, le respect du contradictoire et les droits de la défense – comme dirait l’autre, « je dis ça, je ne dis rien, mais je le dis quand même ».
Sur ce dernier point, la garantie des droits de la défense implique la mise en œuvre d’un dispositif permettant la préparation des débats entre les avocats et leurs clients en amont de l’audience avec l’assistance d’un interprète et avec des garanties de confidentialité. Aussi des locaux adaptés à la présence physique d’un avocat et d’un interprète aux côtés de l’étranger apparaissent-ils nécessaires avant et pendant l’audience.
Enfin, dans le cadre des appels formés contre les ordonnances de maintien en zone d’attente prises par le juge des libertés et de la détention, l’article 10 prévoit que le juge pourra rejeter des déclarations d’appel manifestement irrecevables par ordonnance motivée sans avoir préalablement convoqué les parties.
Cette disposition porte atteinte au droit à un recours effectif et à l’accès au juge, en violation de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui dispose : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable ».
Pour toutes ces raisons, nous demandons que les dispositions de cet article soient supprimées.
Mme la présidente. L’amendement n° 15 rectifié, présenté par Mmes Assassi et Benbassa, M. Bocquet, Mmes Brulin, Cohen et Cukierman, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud et MM. Savoldelli et Watrin, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Le présent amendement vise à supprimer les alinéas 2 et 3 de l’article 10 du projet de loi. Cet article généralise le recours à l’audience par visioconférence, et ce même sans l’accord du requérant depuis la salle de la zone d’attente ou le centre de rétention administrative où il est retenu.
Dans la zone d’attente de Lyon – M. Collomb doit le savoir –, la demande d’asile se fait par téléphone, au milieu de la salle commune, ce qui rend les choses tout à fait intimes !
Cet article, dont les dispositions sont déshumanisantes pour le requérant, contrevient au principe fondamental du droit à un procès équitable et effectif.
Les auteurs du présent amendement demandent donc la suppression de ces dispositions.
Mme la présidente. Madame Benbassa, vous venez de défendre l’amendement n° 68 rectifié bis, qui sera appelé ensuite. Nous examinons pour l’instant l’amendement n° 15 rectifié, qui vise à supprimer l’article. Puis-je considérer qu’il est défendu ?
Mme Esther Benbassa. Oui, madame la présidente.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission des lois approuve les simplifications procédurales qui sont proposées par le texte.
En effet, le recours à la vidéo-audience est justifié par la particularité du contentieux et par des motifs d’intérêt général.
Par ailleurs, il est assorti des garanties appropriées pour le demandeur que je tiens à rappeler : confidentialité de la transmission, aménagement spécial de la salle, double publicité et double procès-verbal, salle d’audience relevant du ministère de la justice et non du ministère de l’intérieur, audition de l’intéressé ou de son conseil, concours d’un interprète et communication du dossier.
Enfin, le traitement par ordonnance dite de « tri » des appels irrecevables existe déjà pour la rétention administrative.
L’avis de la commission est donc défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 15 rectifié.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant de la commission des lois.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 158 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l’adoption | 114 |
Contre | 229 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Je suis saisie de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 68 rectifié bis, présenté par Mmes Benbassa et Assassi, M. Bocquet, Mmes Brulin, Cohen et Cukierman, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud et MM. Savoldelli et Watrin et les membres du , est ainsi libellé :
Alinéas 2 et 3
Supprimer ces alinéas.
Cet amendement vient d’être défendu par Mme Benbassa.
L’amendement n° 253 rectifié bis, présenté par MM. Marie et Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Didier Marie.
M. Didier Marie. Cet amendement vise à supprimer la possibilité d’organiser une audience par vidéoconférence sans l’accord du requérant depuis la salle de la zone d’attente en cas de recours contre une décision de refus d’entrée.
La possibilité pour le requérant de venir s’exprimer en personne devant le tribunal administratif compétent pour exposer ses arguments de fait et de droit est une garantie essentielle, qu’il convient de conserver.
Cette régression est d’autant moins acceptable qu’elle est motivée par des difficultés d’organisation des audiences. Or on ne peut accepter que des garanties procédurales soient altérées au nom de considérations pratiques.
Une audience se tenant par vidéoconférence est incompatible avec une défense de qualité, de surcroît lorsque l’oralité est déterminante pour la décision qui doit être prise.
C’est pourquoi la vidéoconférence doit être réservée aux seuls cas de force majeure, tels qu’un éloignement géographique rendant impossible la présence physique du requérant.
Mme la présidente. L’amendement n° 255 rectifié bis, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Rachid Temal.
M. Rachid Temal. Cet amendement est défendu, madame la présidente.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Ces trois amendements ont pour objet de supprimer les audiences par vidéoconférence. La commission a déjà exprimé sa position de principe sur cette question. Elle émet un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérard Collomb, ministre d’État. Avis défavorable.
Permettez-moi d’ajouter que nous discutons actuellement avec de nombreux pays, afin qu’ils prennent leurs responsabilités. Toutefois, si nous manifestons en France des attitudes comme celles de ce soir, je crois que nous aurons beaucoup de difficultés à poursuivre les discussions. Ces pays diront que la France est inconséquente, et qu’elle mérite de subir les conséquences de ses propres difficultés internes.
Je demande donc que nous puissions avancer sur ce texte.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 68 rectifié bis.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant de la commission des lois.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 159 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l’adoption | 114 |
Contre | 229 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Je mets aux voix l’amendement n° 253 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 255 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. L’amendement n° 252 rectifié bis, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° À la première phrase du premier alinéa de l’article L. 221-4, les mots : « dans les meilleurs délais » sont remplacés par les mots : « dès notification du maintien en zone d’attente » ;
La parole est à Mme Sylvie Robert.
Mme Sylvie Robert. Cet amendement vise à corriger une incohérence du CESEDA concernant l’information des droits des étrangers maintenus en rétention.
Ses auteurs proposent d’affirmer le principe selon lequel l’étranger est informé de ses droits au moment de la notification de son maintien en zone d’attente, ou « dans les meilleurs délais » dans le cas où un nombre important d’étrangers serait maintenu simultanément en zone d’attente.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission estime que le droit positif est satisfaisant. Son avis est défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 252 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. L’amendement n° 363 rectifié bis, présenté par Mme de la Gontrie, MM. Leconte, Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° Le dernier alinéa de l’article L. 222-3 est supprimé ;
La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Cet amendement est défendu, madame la présidente.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 363 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 10.
(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, n’adopte pas l’article.) (Mme Esther Benbassa applaudit.)
Article 10 bis (nouveau)
Le chapitre II du titre II du livre II du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :
1° À la seconde phrase de l’article L. 222-5 et à la deuxième phrase du second alinéa de l’article L. 222-6, le mot : « six » est remplacé par le mot : « dix » ;
2° L’article L. 222-5 et le second alinéa de l’article L. 222-6 sont complétés par une phrase ainsi rédigée : « Durant cette période, l’étranger peut, s’il le souhaite, contacter son avocat et un tiers, rencontrer un médecin, et s’alimenter. »
Mme la présidente. L’amendement n° 528 rectifié, présenté par M. Arnell, Mmes Costes et M. Carrère, MM. Requier, Artano, A. Bertrand, Castelli, Collin, Corbisez, Dantec, Gabouty, Gold, Guérini et Guillaume, Mme Jouve, M. Labbé, Mme Laborde et MM. Menonville et Vall, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Guillaume Arnell.
M. Guillaume Arnell. L’article 10 bis porte de six à dix heures la durée maximale de maintien en zone d’attente, le procureur de la République disposant de ce délai pour faire appel d’une décision du juge des libertés et de la détention et, éventuellement, pour demander que cet appel soit suspensif.
Toutefois, la pertinence de cette mesure adoptée par commission des lois n’a pas fait l’objet d’une évaluation approfondie. Cet allongement est justifié par la même logique que celle qui a été appliquée aux articles 16 et 17 bis concernant les personnes placées en centre de rétention administrative, et non en zone d’attente. Or ces deux situations ne sont pas comparables.
Le nombre de personnes placées en centre de rétention administrative chaque année, et par conséquent d’éventuels recours, est sensiblement supérieur à celui des personnes placées en zone d’attente – il est d’environ 46 000 contre 8 000. Les cas d’appel d’une décision de fin de placement en zone d’attente sont donc plus exceptionnels que ce que l’on observe s’agissant des placements en centre de rétention administrative.
Les conditions matérielles d’accueil et les droits des personnes maintenues en zone d’attente ou retenues en centre de rétention administrative diffèrent également. L’incidence d’un allongement de la durée de placement ne peut donc être considérée comme identique dans l’une et l’autre situation. Les conditions de placement en zone d’attente sont d’ailleurs régulièrement critiquées, notamment pour manque de prise en compte du critère de vulnérabilité des personnes placées.
Dans ces conditions, nous proposons la suppression de l’article 10 bis.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’article 10 bis porte de six à dix heures le délai dont dispose le procureur de la République pour faire appel de la décision du juge des libertés et de la détention, le JLD, mettant fin au placement en zone d’attente. Le parquet peut ainsi mettre à profit ce délai pour demander au juge d’appel de donner un caractère suspensif à son recours. Pendant ce délai, l’étranger est maintenu à la disposition de la justice.
On ne peut donc supprimer un article qui sera très utile à nos services. Par ailleurs, il s’agit d’un simple parallélisme avec le régime prévu pour la rétention par le projet de loi. La mesure est, en outre, assortie de garanties.
L’avis de la commission est par conséquent défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 528 rectifié.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant de la commission des lois.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 160 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 342 |
Pour l’adoption | 114 |
Contre | 228 |
Le Sénat n’a pas adopté.
L’amendement n° 256 rectifié bis, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Jérôme Durain.
M. Jérôme Durain. Cet amendement vise à supprimer l’augmentation de six à dix heures de la durée pendant laquelle un étranger est maintenu à la disposition de la justice après notification mettant fin à son maintien en zone d’attente.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 256 rectifié bis.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant de la commission des lois.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 161 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 344 |
Pour l’adoption | 114 |
Contre | 230 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Je mets aux voix l’article 10 bis.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant de la commission des lois. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 162 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l’adoption | 218 |
Contre | 125 |
Le Sénat a adopté. (Murmures sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
La parole est à M. le président de la commission des lois. (Exclamations sur les mêmes travées.)
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Madame la présidente, je sollicite une suspension de séance de dix minutes.
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour dix minutes.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt-deux heures trente-cinq, est reprise à vingt-deux heures cinquante.)
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Madame la présidente, j’ai sollicité il y a quelques instants une suspension de séance afin de rechercher les moyens de poursuivre notre débat dans des conditions acceptables.
Je constate qu’il est très difficile, à cette heure tardive, de mobiliser nos collègues, sur certaines travées, et certains n’ont pas pu participer à notre débat de ce soir. Leur absence a entraîné un déséquilibre dans la manière dont pouvait être conduit le processus législatif au Sénat ce soir.
Mes chers collègues, je regrette profondément cette situation ; je puis même dire que je la déplore. Je souhaite vivement pour notre assemblée qu’elle ne se renouvelle pas.
Je considère néanmoins que, les conditions ne pouvant pas être réunies pour poursuivre ce débat dans des conditions satisfaisantes, il vaudrait mieux lever la séance et faire en sorte qu’elle puisse reprendre demain – la conférence des présidents a décidé hier que nous siégerions demain – avec la participation nécessaire à un débat efficace.
Je suppose que le Gouvernement a un avis sur cette question, mais ce n’est pas à moi de le solliciter. Telle est en tout cas, madame la présidente, la demande que je vous adresse très précisément.
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner.
M. Patrick Kanner. Monsieur le président Bas, avec tout le respect que je vous porte, je dois dire que, pour nous, les conditions de travail sont acceptables.
Nous ne sommes pas responsables des manquements de certains groupes de la Haute Assemblée. Et je n’oublie pas les paroles que vous avez prononcées voilà quelques heures, pour nous exhorter à n’être pas trop bavards…
Nous faisons notre travail de parlementaires, un travail auquel, je le sais, vous êtes profondément attaché. Le groupe que j’ai l’honneur de représenter, le groupe socialiste et républicain, est normalement présent dans cet hémicycle, après une mobilisation que nous avons souhaitée au regard de l’importance du texte qui nous est soumis. Nous voulons pouvoir travailler dans de bonnes conditions.
Les conditions ce soir sont ce qu’elles sont. Vous usez et abusez des scrutins publics, faute d’être majoritaires dans l’hémicycle. C’est votre problème ! Nous voulons, nous, avancer dans la discussion de ce texte essentiel, que nous combattons avec les arguments qui sont les nôtres, minoritaires aujourd’hui, mais qui, peut-être, seront majoritaires dans quelques instants, dans le cadre du rapport de force présent.
Madame la présidente, mes chers collègues, le groupe socialiste et républicain souhaite continuer à travailler le temps qu’il faut pour que ce texte soit analysé dans les meilleures conditions parlementaires.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d’État.
M. Gérard Collomb, ministre d’État. Madame la présidente, le Gouvernement ne peut évidemment pas interférer dans l’organisation des travaux de la Haute Assemblée. Simplement, si nous poursuivons la discussion ce soir, sans doute avec une série de scrutins publics, nous n’aurons pas de débat sur le fond.
M. Patrick Kanner. Pourquoi non ?
M. Jean-Pierre Sueur. Cela n’empêche pas le débat de fond !
M. Gérard Collomb, ministre d’État. Je pense que, pour les uns et pour les autres, il convient que nous ayons ce débat sur le fond.
À l’heure qu’il est, nous connaissons une nouvelle crise en Méditerranée, où deux bateaux sont en train d’arriver de Libye, deux bateaux dont on ne connaît pas, à ce stade, la destination.
M. Stéphane Ravier. Eh oui !
M. Gérard Collomb, ministre d’État. Les décisions du gouvernement italien ne sont pas encore déterminées.
Je pense donc qu’il serait préférable pour nos débats que nous nous en tenions là pour ce soir et que nous reprenions nos travaux sereinement demain.
En tout état de cause, je suis personnellement à la disposition des sénatrices et des sénateurs et prêt à me plier à leur volonté.
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Depuis avant-hier, nous débattons d’un texte très important, puisqu’il concerne la vie de centaines et de centaines d’hommes, de femmes et d’enfants dans notre pays qui sont en souffrance. Je considère que le Sénat et sa majorité n’ont pas été à la hauteur de ce que contient ce projet de loi, qui mérite un débat non pas partisan, mais politique, au sens noble du terme.
Les conditions ne sont effectivement pas réunies pour que ce débat politique ait lieu dans la sérénité. La majorité sénatoriale en porte ce soir la responsabilité.
J’entends ce que le président de la commission des lois nous a proposé. Je le regrette, d’autant que mon groupe, proportionnellement, est relativement bien représenté depuis le début de cette discussion.
Nous avons essayé de créer les conditions d’un débat serein sur des amendements porteurs de contenu, qui ne se bornent pas à manifester notre opposition, mais comportent un certain nombre de propositions alternatives. Nous savons en effet que des dizaines et des dizaines d’organisations et d’associations, et des milliers de nos concitoyens, attendent des éléments précis sur ce que notre pays est en mesure de proposer à tous ces hommes, toutes ces femmes et tous ces enfants en souffrance.
Après avoir entendu la proposition de M. le président de la commission des lois, j’aimerais bien, madame la présidente, entendre aussi ce qu’en pensent nos collègues de la majorité sénatoriale, du moins ceux qui sont là… (Marques d’approbation sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
MM. Pascal Savoldelli et Guillaume Gontard. Très bien !
Mme Éliane Assassi. En effet, quelle que soit la décision que nous allons prendre, le point de départ est que nous ne pouvons pas débattre sereinement, du fait de l’absence d’un très grand nombre de collègues de la majorité sénatoriale, ce qui conduit à demander des scrutins publics. Donc, madame la présidente, si vous le permettez, j’aimerais entendre la voix de nos collègues de la majorité sénatoriale !
Mme la présidente. Mes chers collègues, il me revient de décider. J’ai entendu l’ensemble des points de vue. (Dénégations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. Jean-Yves Leconte. Et la majorité ?
Mme la présidente. Mes chers collègues, il ne m’appartient pas de solliciter les sénateurs qui ne souhaitent pas s’exprimer.
Mme Laure Darcos. Je demande la parole, madame la présidente ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laure Darcos.
Mme Laure Darcos. Je m’exprimerai en tant que nouvelle sénatrice. Je partage la tristesse du président de la commission des lois. Ce n’est pas non plus facile pour nous d’avoir recours à des scrutins publics.
J’espère en tout cas, mes chers collègues, que vous saluerez la présence de ceux qui sont là, certes pas en nombre, mais qui vous écoutent et essaient de débattre avec vous.
M. Guillaume Gontard. C’est bien la moindre des choses !
Mme Laure Darcos. Je ne pense pas que vous arriverez à nous provoquer, mais j’espère que nous serons à l’avenir très nombreux, pour pouvoir débattre de manière respectueuse et en évitant les scrutins publics.
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous n’allons pas éterniser le débat sur la poursuite ou non de la séance. Je propose que nous continuions nos travaux. C’est la règle, et je ne crois pas que les conditions d’un débat serein ne sont pas réunies.
Mme Éliane Assassi. Tous les groupes ne se sont pas exprimés sur le sujet ! Pourquoi prendre une telle décision ?
Mme la présidente. Ma chère collègue, je pouvais ne demander aucun avis, mais ce n’est pas mon habitude. Il ne me revient pas néanmoins de solliciter l’avis des groupes qui ne se manifestent pas spontanément.
Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 445 rectifié bis, présenté par MM. Sueur et Iacovelli, Mme G. Jourda, M. Marie, Mmes Harribey et Blondin et MM. Fichet et M. Bourquin, est ainsi libellé :
Après l’article 10 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 221-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi rédigé :
« Art. L. 221-5. – Un mineur ou un étranger accompagné d’un mineur ne peut faire l’objet d’une mesure de maintien en zone d’attente. Immédiatement avisé par l’autorité administrative, le procureur de la République est saisi dans un délai de vingt-quatre heures. »
La parole est à M. Xavier Iacovelli.
M. Xavier Iacovelli. Cet amendement vise à supprimer la possibilité de maintenir des mineurs accompagnant leur famille en zone d’attente.
L’enfermement des enfants en zone d’attente est contraire à l’article 3 de la convention internationale relative aux droits de l’enfant selon lequel « l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. »
La privation de liberté pendant une durée pouvant atteindre vingt, voire vingt-six jours, avec le risque d’être réacheminé à tout moment, est par définition attentatoire à l’intérêt supérieur de l’enfant.
Dans son arrêt Popov contre France, la Cour européenne des droits de l’homme relève que « la promiscuité, le stress, l’insécurité et l’environnement hostile que représentent [les centres de rétention] ont des conséquences néfastes sur les mineurs, contraires avec les principes internationaux de protection des enfants ». Cette décision est parfaitement transposable aux zones d’attente.
Par ailleurs, la situation faite aux mineurs placés en zone d’attente est en contradiction flagrante avec le principe de protection des mineurs contre l’éloignement.
Monsieur le ministre d’État, vendredi dernier, j’ai visité la zone d’attente pour personnes en instance – la ZAPI – de Roissy-Charles-de-Gaulle. J’ai pu y rencontrer des mineurs, des familles, ainsi que les représentants de la Croix-Rouge qui gèrent ce centre. Unanimement, les salariés de la Croix-Rouge m’ont parlé des traumatismes que pouvait provoquer cette rétention des enfants, et de la frustration des familles qui ont des enfants en zone de rétention.
Nous partons du principe qu’un mineur, qu’il soit isolé ou accompagné, reste un mineur et qu’il n’est pas à sa place dans un lieu de privation de liberté.
Mme la présidente. L’amendement n° 94 rectifié, présenté par M. Antiste, est ainsi libellé :
Après l’article 10 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le quatrième alinéa de l’article L. 221-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi rédigé :
« Un mineur ne peut être placé en zone d’attente. »
La parole est à M. Maurice Antiste.
M. Maurice Antiste. En juin 2015, le Défenseur des droits, M. Jacques Toubon, s’est saisi d’office de la situation de deux fillettes âgées de trois et six ans, retenues plusieurs jours dans la zone d’attente de l’aéroport de Roissy. À cette occasion, il a réaffirmé son opposition à l’enfermement des enfants en zone d’attente.
Dans sa décision 2017-144, faisant suite à cette saisine, il a conclu à la violation de plusieurs droits, portant atteinte à l’intérêt supérieur des deux fillettes. Il a tenu à rappeler que le maintien en zone d’attente ne peut constituer qu’une mesure de dernier ressort et doit être d’une durée aussi brève que possible. Cela l’a conduit à formuler dix recommandations générales, afin de mieux garantir la prise en compte de l’intérêt de l’enfant.
Aussi, cet amendement tend à l’interdiction générale et absolue de placer des mineurs en zone d’attente, dans la mesure où il s’agit d’une privation de liberté. À ce titre, aucun mineur ne devrait avoir à subir un tel traitement, qu’il soit accompagné ou non. Dans un cas comme dans l’autre, il appartient aux autorités de confier les mineurs isolés ou les mineurs avec leur famille aux centres d’hébergement prévus par le CESEDA.
Mme Éliane Assassi. Très bien !
Mme la présidente. L’amendement n° 24 rectifié bis, présenté par Mmes Assassi et Benbassa, M. Bocquet, Mmes Brulin, Cohen et Cukierman, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud, MM. Savoldelli, Watrin et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 10 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :
1° Le quatrième alinéa de l’article L. 221-1 est ainsi rédigé :
« Un mineur non accompagné ne peut faire l’objet d’une mesure de maintien en zone d’attente. » ;
2° L’article L. 221-5 est ainsi rédigé :
« Art. L. 221-5. – Un mineur non accompagné ne peut faire l’objet d’une mesure de maintien en zone d’attente. Immédiatement avisé par l’autorité administrative, le procureur de la République est saisi dans un délai de vingt-quatre heures. »
La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Je vais défendre cet amendement, mais, avant cela, je tiens à dire que je n’accepterai pas que l’on manipule la commission des lois pour lui faire assumer les problèmes du groupe Les Républicains ! C’est inadmissible ! Alors qu’une révision constitutionnelle est annoncée, vous vous rendez compte de l’image que nous donnons du Sénat !
Je comprends que mes collègues du groupe La République En Marche regardent le spectacle…
Mme Laurence Rossignol. Avec gourmandise !
M. Pascal Savoldelli. … avec gourmandise, oui !
Mme Catherine Procaccia. Il ne faut pas leur prêter de mauvaises intentions !
M. Pascal Savoldelli. Je ne prête d’intention à personne, ma chère collègue, mais je ne comprends pas cette attitude ! J’ai une opinion différente de celle de Mme Darcos sur de nombreux sujets, mais cette dernière a eu le courage de s’exprimer. Elle a pris ses responsabilités, elle, au moins ! Où se trouve le groupe majoritaire du Sénat ?
M. Fabien Gay. Oui, il est où ?
M. Pascal Savoldelli. On va trouver d’autres solutions. Je vais inviter M. Buffet ou M. Bas, ainsi que mon collègue Laurent Lafon – pour maintenir les équilibres –, à visiter le centre de rétention de Vincennes !
M. Philippe Pemezec. On n’a pas besoin de vos leçons !
M. Pascal Savoldelli. C’est sérieux, mes chers collègues. Il y a un vrai problème en termes d’image du Sénat ! Franchement !
M. Philippe Pemezec. Vous prolongez inutilement le débat !
Mme la présidente. Monsieur Savoldelli, présentez votre amendement, s’il vous plaît !
M. Pascal Savoldelli. Je vais le faire, madame la présidente, mais vous voyez bien que je suis en colère ! Cette colère n’est pas propre à un parti ou à une idéologie. On parle tout de même du Sénat !
Mme Catherine Di Folco. Vous vous donnez en spectacle !
M. Pascal Savoldelli. Les Républicains étaient davantage présents quand nous avons examiné la réforme de la SNCF ! L’absence des membres de votre groupe durant des heures découle non pas d’un oubli ou de quelconques loisirs, mais d’une décision d’ordre politique que vous avez prise, mes chers collègues. Je fais confiance à votre capacité de vous organiser !
Mme Catherine Troendlé. Mais nous, nous sommes bien là ! Ayez du respect pour ceux qui sont présents !
M. Pascal Savoldelli. Mon discours ne vous plaît peut-être pas, mais, personnellement, je serai là demain aussi et, avec les élus de mon groupe, je passerai la nuit, s’il le faut, à défendre nos amendements ! Nous respecterons le Sénat comme nous l’avons toujours respecté, quelles que soient les réformes examinées, y compris lorsque nos amendements sont rejetés par la majorité. Nous respectons l’institution avant tout et acceptons le conflit d’idées !
Revenons-en à mon amendement. Six mille personnes, y compris des gosses, transitent par la ZAPI de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle. La médiatrice interprète de la Croix-Rouge, qui s’occupe des mineurs, nous a expliqué qu’ils étaient stressés, qu’ils pleuraient, parce que les uniformes les effraient. Et que dire des aménagements ?
Que fait le Sénat ? Allons-nous continuer à parler de nos querelles, de chiffres, du fait qu’un groupe a décidé d’être peu présent pour des raisons que celui-ci n’est même pas capable d’expliquer, alors que la France s’honorerait à garantir de meilleures conditions de placement en rétention à ces mineurs, ainsi que leur intégrité psychique et psychologique, et ce quel que soit leur pays d’origine ? C’est de cela que nous devrions parler !
C’était un moment de colère et d’humeur, j’en conviens, madame la présidente, mais j’espère qu’il est partagé ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Il est certain que nous avons tous, les uns et les autres, de bonnes raisons de ne pas être satisfaits de la manière dont ce débat se déroule.
Mme Esther Benbassa. Les uns et les autres ! (Sourires.)
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Pour autant, je crois que nous en avons suffisamment parlé et que la meilleure démonstration que nous puissions apporter de notre esprit de responsabilité, à nous tous qui sommes présents ce soir, est de continuer à travailler sur le fond, puisque la séance se poursuit, et de faire avancer le débat. (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme Esther Benbassa. La séance a été suspendue plus d’un quart d’heure !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Ne nous arrêtons pas à chaque instant sur des questions d’organisation : nous en avons déjà suffisamment discuté entre nous. S’il vous plaît, mes chers collègues, puisque nous avons décidé, avec madame la présidente, de continuer à débattre du fond, débattons du fond !
M. Fabien Gay. C’est incroyable ! Vous avez dit l’inverse tout à l’heure !
Mme la présidente. L’amendement n° 254 rectifié ter, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 10 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 221-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi rédigé :
« Art. L. 221-5 – Un mineur non accompagné ne peut faire l’objet d’une mesure de maintien en zone d’attente. Immédiatement avisé par l’autorité administrative, le procureur de la République est saisi dans un délai de vingt-quatre heures. »
La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Lorsqu’il sera temps de le mettre aux voix, cet amendement n’aura peut-être plus d’objet, dans la mesure où les amendements qui le précédent l’englobent.
En effet, il a pour objet d’interdire le placement en zone d’attente des mineurs non accompagnés. Mes collègues ont exposé tout à l’heure toutes les difficultés, les inconvénients et les aspects inadmissibles de la rétention des enfants, y compris lorsque ceux-ci sont accompagnés de majeurs. Mais lorsqu’ils ne sont pas accompagnés, c’est totalement intolérable !
Sans chercher à établir de comparaisons déplacées, certaines images provenant d’outre-Atlantique d’enfants séparés de leurs parents nous ont heurtés. Nous connaissons également la position des instances internationales, ainsi que l’avis du Conseil d’État, sur le sujet : l’interdiction de placer un mineur non accompagné en zone d’attente doit être la règle. C’est pourquoi il faut adopter cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’amendement n° 445 rectifié bis vise à interdire le placement en zone d’attente de tous les mineurs et de tous les étrangers accompagnés de mineurs. M. Antiste, auteur de l’amendement n° 94 rectifié, propose une telle interdiction pour tous les mineurs. Les amendements nos 24 rectifié bis et 254 rectifié ter tendent à limiter cette interdiction aux mineurs isolés ou non accompagnés.
L’adoption de ces amendements équivaudrait concrètement à devoir accepter l’entrée sur notre territoire de tout mineur isolé, de tout mineur, voire de toute personne accompagnée d’un mineur, du seul fait qu’ils se présentent à nos frontières. Ce serait nier la possibilité même d’un contrôle du franchissement de nos frontières. Ce n’est évidemment pas conforme à nos engagements vis-à-vis de l’Europe ni au code frontières Schengen.
J’ajoute que le maintien des mineurs en zone d’attente est particulièrement encadré pour tenir compte de leur vulnérabilité. Outre les garanties reconnues à tout étranger, à savoir l’assistance d’un interprète et d’un médecin, la communication avec un conseil ou toute personne de son choix, le mineur bénéficie de protections spécifiques supplémentaires.
En effet, il ne peut être éloigné avant un délai minimal d’un jour franc, dont il bénéficie de plein droit. Un administrateur ad hoc doit être désigné pour le représenter dans le cadre de toutes les procédures administratives et juridictionnelles, s’il n’a pas de représentant légal. En outre, les conditions matérielles de maintien sont aménagées : il bénéficie ainsi, en pratique, à Orly ou à Roissy, d’un lieu d’hébergement adapté et séparé, que, comme beaucoup d’entre vous, mes chers collègues, nous avons visité. Enfin, le réacheminement ne peut se faire qu’après s’être préalablement assuré de la prise en charge du mineur, soit par sa famille, soit par une institution chargée de le protéger.
Pour toutes ces raisons, la commission des lois émet un avis défavorable sur ces quatre amendements.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérard Collomb, ministre d’État. Je partage l’avis du rapporteur.
Si ces amendements étaient adoptés, tous les mineurs non accompagnés qui arriveraient sur le territoire français devraient effectivement y rester. Or vous savez, si certains d’entre vous ont des responsabilités dans les départements, que l’un des problèmes majeurs des départements aujourd’hui est celui de la prise en charge des mineurs non accompagnés, et qu’une discussion a lieu actuellement entre le Premier ministre et le président de l’Assemblée des départements de France pour trouver les solutions à ce problème.
Ensuite, je peux vous dire, en tant que ministre de l’intérieur, que nous connaissons un certain nombre de mineurs qui sont arrivés à Paris totalement asociaux. Ces mineurs ne peuvent être pris en charge par aucun service social aujourd’hui ! Il s’agit d’une difficulté majeure que nous traitons à bas bruit, mais que nous traitons tous les jours ! Ça aussi, c’est la réalité, et les Français la voient également cette réalité-là ! Il ne s’agit pas d’une simple réalité virtuelle ; c’est une réalité de tous les jours, dans un certain nombre de quartiers !
Le Gouvernement est donc défavorable à ces amendements.
Mme Éliane Assassi. Que fait-on, alors ? On les enferme ?
Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Iacovelli, pour explication de vote.
M. Xavier Iacovelli. Monsieur le ministre d’État, la réalité, c’est que vous justifiez l’enfermement des mineurs. Or, qu’il soit accompagné ou non, un mineur reste un mineur !
Je suis désolé, mais il existe d’autres solutions pour ces mineurs : plutôt que d’être enfermés dans une prison pendant vingt à vingt-six jours, encadrés par la Police aux frontières, ils pourraient être assignés à résidence, accueillis dans des centres d’hébergement où les personnels ne portent pas l’uniforme.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Monsieur le ministre d’État, je suis désolé, mais, pour moi, vos propos sont terriblement inquiétants !
En effet, ce que vous venez de dire peut conduire tout droit à un renoncement de la France aux conventions internationales qu’elle a ratifiées. C’est grave !
Le problème des mineurs étrangers isolés présents sur notre territoire est une réalité, comme dans d’autres territoires en Europe. Il s’agit d’une réalité extrêmement forte. On a beaucoup parlé de Mayotte aujourd’hui. Et pourtant, des conventions internationales – parce que l’on croit à la protection de l’enfance – s’imposent à nous.
J’espère que, au-delà des propos que vous avez tenus, votre idée n’est pas de renoncer à l’État de droit dans lequel nous sommes engagés, et qui fait l’honneur de la République, depuis 1789 !
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le ministre d’État, je suis extrêmement scandalisé par vos propos. Ils me touchent au plus profond de mon âme.
Je suis élu départemental des Hauts-de-Seine et je peux vous assurer qu’il y a, aujourd’hui, dans ce département, énormément de mineurs asociaux que les services de l’État ont abandonnés. Et ils sont français !
Ce qui nous sépare, monsieur le ministre, c’est que je ne fais pas de différence entre des mineurs asociaux français et étrangers : c’est ça l’humanité ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Maurice Antiste, pour explication de vote.
M. Maurice Antiste. J’avoue avoir très mal moi aussi, moi qui suis le fils d’une génération, dont on peut très bien deviner les origines, qui est issue de rapports que l’histoire ne cesse de dénoncer.
Je ne comprends pas comment on peut traiter des enfants comme cela et les déshumaniser à ce point. Je ne comprends pas comment un peuple peut être traité de cette manière, surtout par le pays qui se dit le champion des droits de l’homme !
J’en suis très triste et, si je n’avais aucun motif de voter contre ce texte, ce moment précis m’en donne toutes les raisons ! Je suis très amer, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Prunaud, pour explication de vote.
Mme Christine Prunaud. Monsieur le ministre d’État, je suis également très choquée par vos propos, surtout quand vous utilisez l’expression « réalité virtuelle ». Nous sommes peut-être des hors-la-loi pour vous, mais mes collègues et moi-même sommes entièrement accaparés dans nos départements par le problème des jeunes mineurs.
Monsieur le ministre d’État, juste avant que nous abordions la question de ces mineurs qui fuient leur pays, avec ou sans leurs parents, vous nous avez dit que des bateaux venant de Libye, où l’on sait que l’esclavage des migrants est un commerce tout à fait banal, allaient bientôt arriver, sans pour autant que vous sachiez exactement où ils se trouvent et où ils accosteront.
Pouvez-vous nous donner davantage d’informations sur ce sujet, de sorte que les associations puissent s’organiser pour accueillir les personnes qui se trouvent sur ces bateaux ?
Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud de Belenet, pour explication de vote.
M. Arnaud de Belenet. Je veux dire à notre collègue communiste, qui interpellait tout à l’heure les membres du groupe La République En Marche, qu’aucune forme d’indignité ne suscite la gourmandise et que le spectacle offert ce soir n’éveille chez moi absolument aucune gourmandise !
Cela étant, j’ai déposé un amendement sur l’article 15 quater, qui concerne la rétention des mineurs accompagnés. Certes, nous débattons en cet instant d’un sujet différent. Je veux simplement relever que l’amendement précité, comme ceux dont nous discutons maintenant, a un premier mérite, celui de rappeler que notre code prohibe la rétention des mineurs, et fixe un certain nombre de conditions préalables à la rétention. Il faut quand même le dire. Avec ce texte, nous sommes donc en mesure de tenir nos engagements sur un plan juridique.
Je suis conscient de la situation particulière des mineurs isolés en zone d’attente, et j’entends les arguments du rapporteur et du ministre sur ce sujet-là.
S’agissant de l’article 15 quater, nous avons besoin de temps pour travailler, afin de mieux encadrer l’assignation à résidence, l’accueil des familles avec des enfants et leur hébergement. Il faut aussi travailler pour améliorer la définition d’un certain nombre de conditions préalables à la rétention, car c’est à propos de la rétention des mineurs accompagnés que la France a été condamnée, et non du placement en zone d’attente des mineurs.
M. Rachid Temal. Mais alors, vous allez voter pour ou contre nos amendements ?
M. Arnaud de Belenet. Sur la question de la rétention des mineurs accompagnés, nous avons effectivement encore des marges de progression.
Mme Éliane Assassi. Vous êtes pour ou contre les amendements dont nous discutons ?
M. Arnaud de Belenet. Je ne voterai évidemment pas les amendements relatifs à l’interdiction du placement des mineurs en zone d’attente (Exclamations ironiques sur certaines travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.), ce qui ne m’empêchera pas de défendre mon amendement sur le placement en rétention des mineurs accompagnant leur famille.
M. Rachid Temal. Pensée complexe ! (Sourires.)
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. Arnaud de Belenet. Sur ce dernier sujet, en effet, un travail préalable est nécessaire.
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Ravier, pour explication de vote.
M. Stéphane Ravier. Oui, 1789 ! Vous nous faites faire un bond en arrière de trois siècles pour tenter de justifier les mesures complètement ahurissantes que vous souhaiteriez prendre en 2018 !
C’est, 1789, l’année de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui commence par la formule « Au nom du Peuple François et du citoyen ». J’ai beau éplucher les dix-sept versets de cette religion laïque et obligatoire, je n’y ai pas trouvé l’obligation d’accueillir chez nous toute la misère du monde, même lorsqu’elle est mineure ! L’interprétation que vous en faites est purement idéologique et n’est absolument pas adaptée à la réalité de notre pays en 2018.
Mme Éliane Assassi. Quelle bouillie !
M. Stéphane Ravier. Cela a été rappelé dans cet hémicycle, il y a quelques semaines, on estime que 70 % de ces mineurs, du moins déclarés comme tels, sont en réalité des majeurs,…
Mme Esther Benbassa. D’où viennent vos chiffres ?
M. Stéphane Ravier. … sachant que chaque prétendu mineur coûte à la collectivité près de 60 000 euros par an !
Mme Éliane Assassi. Ce sont vos fantasmes !
M. Stéphane Ravier. Il y a une première mesure à prendre dans une démocratie responsable, surtout lorsqu’elle compte 9 millions de pauvres et 5 millions de chômeurs : il faut obliger ces prétendus mineurs à accepter le test qui permet de déterminer si, oui ou non, ils sont mineurs et d’agir en conséquence.
Mes chers collègues, il serait temps que vous regagniez la planète Terre (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain) et que vous affrontiez la réalité de cette situation qui fait que, encore une fois, nos compatriotes qui sont dans les plus grandes difficultés économiques, sociales, identitaires, sécuritaires,…
M. Rachid Temal. Il faut arrêter !
M. Stéphane Ravier. … en grande partie à cause de votre politique d’immigration, ne sont pas pris en compte ! (M. Philippe Pemezec applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote.
M. Didier Marie. Un enfant, dans la plupart des cas, est socialisé. Parfois, il peut malheureusement être désocialisé, mais, en aucun cas, un enfant n’est asocial.
L’honneur de la République, c’est d’aider ces enfants, qu’ils soient français ou étrangers. Le déshonneur, c’est d’ignorer leur souffrance et de les enfermer.
Vous ne mesurez pas, monsieur le ministre d’État, les dégâts psychologiques produits sur un enfant, quel que soit le nombre d’heures pendant lesquelles il est privé de liberté. Le droit de l’enfant et les conventions internationales nous obligent : nous devons, quoi qu’il en coûte, quelles que soient les circonstances, protéger les enfants. Ne jamais priver un enfant de liberté doit l’emporter sur toute autre considération ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Meurant, pour explication de vote.
M. Sébastien Meurant. Je veux vous faire part, mes chers collègues, d’une expérience menée avec un certain nombre d’entre vous dans les Hautes-Alpes. En effet, aller voir sur place est certainement la meilleure façon de se faire une idée.
Mme Esther Benbassa. On ne vous a pas attendu !
M. Sébastien Meurant. Je ne vais pas interpréter, mais décrire ce que nous avons vu dans les Hautes-Alpes : nous n’avons vu que des hommes, habillés…
M. Rachid Temal. En bleu ! (Sourires.)
M. Sébastien Meurant. … avec des maillots de football – c’était un soir de match –, en jogging, chaussés de tennis et munis de téléphones.
Nous leur avons demandé si c’était le département qui leur fournissait ces vêtements, chaussures et téléphones. Ces hommes nous ont répondu que ce n’était pas du tout le cas. Ils avaient été récupérés par des associations,…
M. Xavier Iacovelli. Pas récupérés ! Sauvés !
M. Sébastien Meurant. … qui leur fournissaient tout ce que je viens de décrire.
Ces hommes étaient tous mineurs, puisqu’ils disaient tous l’être et avoir seize ans. Tous voulaient prendre le même chemin, être menuisiers ou électriciens, parce qu’ils s’étaient imaginé que, lorsqu’on a seize ans en France, on peut toucher de l’argent. (Brouhaha sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme Éliane Assassi. Vous êtes un odieux personnage !
M. Sébastien Meurant. La difficulté pour les personnes qui ont à traiter les dossiers de ces jeunes hommes, mineurs ou non, difficile de le savoir,…
Mme Éliane Assassi. Vous êtes vraiment un odieux personnage !
M. Sébastien Meurant. Madame la présidente, serait-il possible qu’on me laisse m’exprimer ?
Mme la présidente. Je vous ai donné la parole, mon cher collègue !
M. Sébastien Meurant. Pourriez-vous demander à nos collègues de se taire ?
M. Roger Karoutchi. Il faut ramener l’ordre !
Mme la présidente. Mon cher collègue, il est normal que l’on puisse s’interpeller. Cela étant, j’en appelle au respect de chacun. Veuillez poursuivre, monsieur Meurant.
M. Sébastien Meurant. Les services sociaux du département des Hautes-Alpes nous ont expliqué que tous ces réfugiés déclaraient être mineurs. Les Hautes-Alpes, c’est la montagne : ces migrants étaient hébergés dans un centre qui n’était pas fermé, sans gardien.
Ces services sociaux nous ont aussi expliqué – cela vous intéressera peut-être – que les rares jeunes femmes présentes, mineures ou pas – évidemment, on ne peut pas le déterminer, puisqu’on ne réalise pas de tests et que l’on ne peut même pas recueillir leurs empreintes –, étaient tout de suite récupérées par des réseaux. Ces femmes sont qualifiées de porte-monnaie ambulants ! Je le dis pour vous faire un peu réfléchir !
En faisant des déclarations de principe – l’État doit, quant à lui, gérer des faits concrets –, vous êtes les complices de ces trafiquants d’êtres humains ! (Vives protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
Mme Esther Benbassa. Vous faites du cinéma !
M. Sébastien Meurant. Vous êtes les complices de ces réseaux de prostitution. Rendez-vous compte de cela !
Mme Éliane Assassi. C’est scandaleux !
Mme la présidente. Madame Assassi, laissez s’exprimer l’orateur !
M. Sébastien Meurant. Dans les Hautes-Alpes, nous avons tout simplement écouté les services sociaux : ce sont eux qui passent leur temps avec les réfugiés, et ils estiment que la moitié de ces jeunes ne sont pas des mineurs. La moitié !
En tout cas, je peux vous le dire, ces migrants sont pris en charge et ne sont pas laissés dans la nature, dans la montagne. Et vous, que proposez-vous ? Que fait-on de ces jeunes, de ces individus qui se déclarent mineurs, alors que la moitié ne l’est pas ?
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Le sujet dont nous discutons est essentiel et, en même temps, très symbolique. Le débat se poursuivra d’ailleurs dans quelques instants avec les zones de rétention.
Pour le moment, nous discutons des zones d’attente. Très franchement, la question des enfants, des mineurs, qu’ils soient isolés ou non, devrait faire consensus dans une enceinte républicaine ! Je dis bien une « enceinte républicaine ».
Je répète que je suis très étonné des propos que j’entends. Nous avons eu par le passé d’autres débats sur l’immigration : lors de dérapages sur les valeurs républicaines, même sur les travées de droite, on faisait front. Je me souviens que nous nous étions soulevés contre les tests ADN et que le Sénat avait finalement rejeté cette disposition. C’est le Sénat qui, à l’époque, avait rendu son honneur à notre pays !
Mme Éliane Assassi. Tout à fait !
M. David Assouline. Pourtant, la mesure venait d’un gouvernement de droite, mais c’est ici que l’on a réagi, parce que l’on touchait à des choses essentielles, à des valeurs humaines.
Comment peut-on envisager d’enfermer un enfant, avec des gardes à l’entrée ? Il n’a commis aucune faute, l’enfant !
M. Stéphane Ravier. C’est juste un clandestin !
M. David Assouline. Arrêtez avec votre inhumanité cynique !
D’ailleurs, en France, même pour les enfants qui commettent des fautes, on a quelques égards, justement parce qu’ils sont des enfants !
M. Stéphane Ravier. Vous êtes extraordinaire ! Vous êtes dans le déni permanent !
M. David Assouline. Là, nous touchons le fond. Oui, nous touchons le fond ! Nous avons toujours eu des désaccords sur les questions liées à l’immigration. Mais très franchement, mes chers collègues, pensez-vous sérieusement que cela grandisse l’image de la France ?
Tous ces jeunes qui traversent les montagnes, les mers… J’ai encore vu récemment un reportage sur un bateau en train de dériver, qui a justement été sauvé par les associations, dont l’Aquarius. À la fin, le bateau coule et on voit un enfant flotter à la surface. Alors, risquant leur vie, des personnels associatifs vont le sauver.
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. David Assouline. Ce sont des enfants ! On risque sa vie pour eux ! C’est ce que l’on nous a appris ! Alors, arrêtez ! N’en rajoutez pas !
On n’enferme pas un enfant ; il en aura des séquelles toute la vie !
Mme la présidente. Votre temps de parole est écoulé !
M. David Assouline. Mais je suis sans cesse interrompu, madame la présidente.
Mme la présidente. Comprenez bien que, vu les circonstances, je sois très rigoureuse, parce que chacun considère être brimé par rapport à l’autre.
M. David Assouline. Je ne suis pas brimé. Mais les interruptions incessantes empêchent le bon déroulement d’une intervention.
Mme la présidente. Quoi qu’il en soit, je dois faire preuve de la même rigueur à l’égard de chaque orateur.
La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.
M. Fabien Gay. Il y a des moments, je crois, où l’actualité nous rattrape. Ce soir, notre débat porte sur les mineurs ; hier, une image a dû choquer tout homme et toute femme, quelle que soit son appartenance politique : celle de ce mineur, de ce jeune Mexicain encagé par l’administration Trump.
Beaucoup de choses ont été dites par mes collègues de gauche, et je ne vais pas les répéter.
Néanmoins, sommes-nous toutes et tous d’accord pour considérer qu’un mineur, qu’il soit né en France, au Mexique ou en Syrie, est un mineur ? Pour ma part, je dis : oui !
Par conséquent, on n’enchriste pas un mineur dans aucune geôle, où que ce soit dans le monde ! C’est comme ça ! C’est un droit humain fondamental !
Sommes-nous d’accord avec ça ?
Par ailleurs, je m’étais fait une promesse en entrant dans cet hémicycle, voilà dix mois : ne jamais répondre à l’extrême droite. Sans cela, on lui donne une tribune. Ses représentants sont rarement présents et, quand ils sont là, on s’amuse à leur répondre. Mais là, c’est trop !
Monsieur le ministre d’État, votre réponse me fait penser à une course à l’échalote. Vous courrez derrière l’extrême droite ! Vous légitimez les discours qui sont tenus, aujourd’hui, dans cet hémicycle ! C’est intolérable !
Pour la première fois, en France, un texte assimile asile et immigration. C’est un jeu très dangereux, car l’extrême droite progresse partout en Europe. Ils sont au pouvoir en Italie, en Hongrie, en Autriche ; ils sont entrés, pour la première fois, au Bundestag allemand…
On ne combat pas l’extrême droite sur ses propositions ; on la combat pied à pied !
M. Philippe Pemezec. C’est votre attitude qui la fait progresser !
M. Fabien Gay. On fait reculer l’extrême droite quand on s’occupe de faire reculer la pauvreté et la précarité.
On fait reculer l’extrême droite, en parlant, non pas aux bas instincts de nos concitoyens,… (Exclamations.)
Mme la présidente. Un peu de calme, mes chers collègues !
M. Fabien Gay. … mais à leur intellect !
M. Philippe Pemezec. Ce n’est pas parce que vous crierez fort que vous allez nous convaincre !
M. Fabien Gay. C’est un défi d’humanité !
Il n’y a pas un « flot migratoire », c’est faux ! Le solde migratoire n’a pas progressé depuis trente ans dans ce pays ni en Europe. Ce sont 3 %, seulement, des hommes et des femmes qui fuient la guerre et la misère que l’on retrouve en Europe, les autres – 97 % – restent dans leur propre pays ou dans les pays voisins.
M. Stéphane Ravier. Vous mentez !
M. Fabien Gay. Le Liban, 6 millions d’habitants, a accueilli 1 million de réfugiés.
M. Philippe Pemezec. Arrêtez de crier ! Vous nous saoulez !
M. Fabien Gay. C’est ça, la réalité !
Vous parlez aux pires instincts de nos concitoyens ; parlons à leur intellect ! J’ai honte de ce qui se passe, ce soir, dans cet hémicycle ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. J’en appelle, pour ma part, à un peu de sérénité et d’écoute dans nos discussions.
M. Philippe Pemezec. Contrôlez votre famille politique, alors !
Mme Laurence Cohen. Vous n’avez même pas commencé à m’écouter ; vous ne savez pas ce que je vais dire ! Ayez au moins le respect d’attendre mon propos, cher collègue… si je peux encore vous appeler ainsi !
Ce débat n’est pas digne de la Haute Assemblée. Tout est mélangé dans les propos ! J’ai entendu un ou deux parlementaires ici présents nous expliquer que certains mineurs n’étaient pas des mineurs – ils se déguisaient –, qu’il fallait faire attention aux femmes présentes dans ces camps, parce qu’elles allaient être violées ou entraînées dans des réseaux. Mais on est où ? Sommes-nous entre parlementaires en train de légiférer ? Ou sommes-nous en train de fantasmer ?
Que nous ayons des désaccords idéologiques ou politiques, soit ! Nous les assumons tous, mes chers collègues, et c’est important, effectivement, de pouvoir confronter des points de vue différents. Cela enrichit nos discussions.
Je suis élue depuis 2011 au Sénat. Chaque fois, c’est ainsi, et chaque fois, on progresse, même si certaines lois que je ne partageais pas ont été votées – il y en a eu, hélas, beaucoup, beaucoup trop. Mais c’est un autre débat !
En tout cas, que l’on ne mélange pas tout !
Je suis orthophoniste : quand on parle d’enfants, on parle d’enfants ; quand on parle de mineurs, on parle de mineurs. Leur cas n’est jamais désespéré ! Ce dont ils ont besoin, toujours, c’est d’être accueillis. Ils n’ont pas besoin d’être rejetés !
Or, là, nous mettons en place le rejet et, le rejet appelant le rejet, il y a toujours des boucs émissaires ! C’est toujours la faute des autres ! Et la situation va en s’aggravant…
Ce n’est pas en se protégeant avec des petites phrases et des ricanements que l’on pourra sortir le pays de ses difficultés actuelles !
J’en appelle donc à un débat intelligent, serein. On peut être en désaccord, mais il faut se respecter, tout comme il faut respecter les enfants et les mineurs, qu’ils soient étrangers ou français. (Applaudissements sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Merci, madame Cohen, de cette intervention, qui fait suite à d’autres interventions, que je salue également.
Nous avons entendu ce soir beaucoup de propos assez terrifiants,…
M. Philippe Pemezec. C’est vous qui êtes terrifiant !
M. Jean-Yves Leconte. … tant sur le fond que sur la forme !
Sur le fond, certains de mes collègues ont parfaitement répondu.
Sur la forme, donc la manière de débattre, nous pouvons continuer à discuter de généralités, mais ces amendements soulèvent une question précise : des êtres humains – enfants ou se déclarant mineurs – arrivent à la frontière ; qu’en fait la République, quand ils sont isolés et quand ils sont accompagnés ? Différentes solutions sont proposées.
Comment établit-on qu’un enfant ou un mineur non accompagné, qui se déclare comme tel, en est bien un ? Nos principes veulent que l’on s’appuie sur sa propre déclaration, sauf si la justice de notre pays en décide autrement. Qu’en fait-on ? Le place-t-on en zone d’attente s’il est isolé, ou pas ?
Voilà ce sur quoi portent les amendements ! Il n’est peut-être pas nécessaire de faire des généralités sur l’asocialité de telle ou telle partie… Ce n’est pas ça ! La problématique est très précise. Que fait-on des enfants qui se présentent, de manière isolée ou en famille, aux frontières ? Les enferme-t-on ?
Le Gouvernement et nos collègues de droite ont apporté des réponses très générales. Un certain nombre d’horreurs ont été prononcées. Nous, nous proposons qu’un mineur ou un enfant isolé se présentant à la frontière puisse être accueilli et protégé.
Tel est donc l’objet de ces amendements, et je crois souhaitable que nous en restions à des considérations précises, concrètes, et que chacun prenne ses responsabilités par rapport à cette question du traitement d’un enfant se présentant à nos frontières. (Très bien ! et applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.
M. Guillaume Gontard. Je ne sais pas si vous vous rendez compte, mes chers collègues, de ce que nous sommes en train de vivre, de l’endroit où nous sommes et du sujet dont nous parlons !
Je suis jeune élu. À aucun moment, jamais, je n’aurais imaginé me retrouver, ici, à me poser la question de savoir si on doit, ou non, enfermer des mineurs ! Jamais je ne l’aurais imaginé !
Et puis ce ne sont pas des mineurs ! Ce sont des enfants ! J’en ai moi aussi, mes chers collègues, comme beaucoup d’entre vous, j’imagine. Quand vous regardez vos enfants dans les yeux, que vous dites-vous ? Vais-je l’enfermer ou non ? Posez-vous la question tout de même !
Il est invraisemblable que nous soyons, ici, à examiner ce problème. Nous sommes dans le délire le plus absolu !
Mais, monsieur Collomb, qu’êtes-vous en train de faire avec ce projet de loi ? On le voit ! Les sénateurs La République En Marche ont déserté ; il n’y a plus personne… La discussion se tient entre Les Républicains, du moins ce qu’il en reste, …
M. Philippe Pemezec. Les meilleurs sont là !
M. Guillaume Gontard. … et l’extrême droite !
Voilà où l’on en est ! Voilà à quoi mène ce discours ! Je vous rappelle, et je conclurai ainsi, car je ne veux pas être plus long, que vous avez été maire de Lyon, la ville des Justes. Souvenez-vous-en ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme la présidente. Monsieur le ministre d’État, demandez la parole si vous souhaitez intervenir. Elle est de droit.
Mme Éliane Assassi. N’inversez pas les rôles !
Mme Laurence Cohen. C’est votre projet de loi qui est mauvais !
M. Philippe Pemezec. Il y a des limites !
Mme la présidente. Monsieur le ministre d’État, le Parlement est un lieu libre de parole. Si vous souhaitez réagir, je vous laisserai intervenir.
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Je comprends le courroux du ministre d’État, mes chers collègues. Certains amalgames sont proprement intolérables,…
Mme Catherine Troendlé. Mais oui !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. … surtout quand ils visent nommément – que ce soit un membre du Gouvernement ou toute autre personne – quelqu’un n’ayant évidemment rien à voir avec ces insinuations. Je trouve cela tout à fait scandaleux !
Je comprends que, dans le feu du dialogue, s’il s’agit d’un dialogue, on puisse s’emporter et franchir les limites, mais ce type d’accusations implicites est proprement intolérable.
Mme Laurence Cohen. C’est l’histoire !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Madame la présidente Assassi, je veux souligner à ce stade du débat, après tant de manifestations d’indignation, que la loi de la République n’a pas attendu le débat de ce soir pour se préoccuper de la situation des enfants étrangers qui arrivent dans nos aéroports.
Je signale à nos collègues du groupe socialiste et républicain que la législation sur l’immigration a été modifiée en 2015, puis en 2016, sans qu’aucun membre du gouvernement de l’époque ni aucun des sénateurs ici présents n’ait eu l’idée d’apporter des restrictions ou des conditions supplémentaires au placement temporaire d’enfants étrangers dans les zones d’attente.
Nous avons à trouver un bon équilibre entre plusieurs préoccupations.
La préoccupation de la dignité de la prise en charge de ces enfants est évidemment un souci majeur, et croyez bien, mes chers collègues de la gauche, que ce souci est partagé sur toutes les travées. Les postures accusatoires sont tout à fait excessives et blessantes pour le reste de l’assemblée, qui, à l’évidence, possède les mêmes qualités de cœur que les vôtres.
M. Philippe Pemezec. On se croirait à l’Assemblée nationale !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. La vérité, c’est que la législation actuelle est très protectrice, posant un certain nombre de conditions. En l’absence de tuteur légal, on désigne un administrateur provisoire, qui est chargé de l’enfant tout juste arrivé.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Êtes-vous l’avocat du Gouvernement ?
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Les conditions d’accueil dans les zones d’attente obéissent à des prescriptions visant à assurer la qualité de l’environnement de l’enfant.
Mme Éliane Assassi. On vous dit que ce n’est pas vrai !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. L’enfant ne peut pas être renvoyé par le même avion dans son pays d’origine, car l’on peut procéder à ce renvoi seulement après avoir vérifié qu’il peut être accueilli à son retour.
Si bien que toute allusion à la barbarie nazie et aux camps de concentration est évidemment totalement déplacée, s’agissant de cette loi de la République que la gauche au pouvoir n’a pas cherché à modifier – si elle n’a pas cherché à le faire, c’est bien qu’elle l’estimait digne et respectueuse des enfants étrangers arrivant à nos frontières… Et c’est effectivement le cas !
Je crois qu’il est temps, ce soir, de revenir à une plus exacte appréciation de nos réalités et de notre droit.
On peut fort bien refuser ces amendements, tout en ayant aussi à cœur le respect des valeurs d’humanisme fondant notre démocratie.
Mme Catherine Troendlé. Bien sûr !
M. Roger Karoutchi. Qui êtes-vous pour donner des leçons de morale ?
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Ou, en tout cas, pas moins que vous !
En outre, ces amendements présentent des effets pervers évidents. Ainsi, la France n’aura plus le droit de renvoyer dans son pays aucun jeune homme ou aucune jeune fille âgés de dix-sept ans et onze mois qui pénétrerait sur son sol.
Mme Laurence Cohen. Ayez le même courroux vis-à-vis du Front national !
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. On parle d’enfants !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. J’ai attendu patiemment mon tour, mes chers collègues, puisque j’ai demandé la parole au moment où notre collègue a parlé des Hautes-Alpes, nous décrivant des jeunes qui étaient tous, si j’ai bien compris, des tricheurs, des menteurs, des voyous, et des filles qui se préparaient à la prostitution.
Cela me paraît significatif d’un certain type de discours. Je suis parlementaire depuis un certain temps, j’ai entendu beaucoup de choses, mais là, il y a un tournant !
Je ne mets pas tout le monde dans le même sac – pas du tout, monsieur Karoutchi…
M. Roger Karoutchi. Je n’ai rien dit encore !
M. Jean-Pierre Sueur. Je lis sur votre visage !
Mais certains présentent constamment les immigrés – il faut écouter ce qui est dit, il faut penser à l’implicite – comme des tricheurs, des fraudeurs potentiels, des délinquants en puissance, comme des gens qui vont nous gêner, nous mentir, ne pas respecter notre pays.
Il est possible qu’il y ait des tricheries – c’est même certainement le cas –, mais voyez-vous, mes chers collègues, il y en a aussi parmi les franco-français !
La plupart des immigrés sont tout de même des gens qui, dans la misère, en difficulté ou persécutés, ont été obligés de partir. Tous ces gens qui ont quitté leur maison, ils ne l’ont pas fait de gaîté de cœur ! Tous ces gens qui sont dans les bateaux…
Et maintenant on nous indique qu’il y a de nouveau des bateaux ! Il va encore y en avoir, et il va falloir les accueillir !
M. Xavier Iacovelli. À Marseille !
M. Jean-Pierre Sueur. Si nous ne voulons pas le faire, il faudra bien qu’ils soient accueillis quelque part ! Il faudra bien que la France – nous en sommes tous conscients – prenne, avec d’autres, des initiatives pour que l’Europe organise l’accueil de toutes ces personnes dont la situation est infernale. C’est la réalité !
Je proteste donc contre tout un tas de discours implicites, qui, en définitive, sont méprisants à l’égard de personnes en très grande difficulté.
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Beaucoup de choses ont été dites, mais je veux apporter mon témoignage, en complément de celui de M. Gontard.
Je suis allée à plusieurs reprises à la gare de Menton et j’ai vu ces mineurs qui font l’aller-retour, parfois deux fois dans la journée, entre l’Italie et la France. Ces mineurs – issus de la Corne de l’Afrique – étaient renvoyés le même jour, sans accompagnement, et le même jour ils revenaient.
À l’occasion d’une de ces visites – j’étais avec ceux que l’on appelle les « délinquants solidaires », dont M. Pierre-Alain Mannoni –, nous avons fait des efforts considérables pour placer une jeune fille à l’aide sociale à l’enfance, l’ASE. Cela a été impossible. Nous l’avons retrouvée, le même jour, avec des hommes, dans une salle exigüe de la police aux frontières, avec deux toilettes disponibles dans la cour pour 80 personnes ! C’est cela, aussi, le « destin » de ces mineurs, que l’on laisse sans accompagnement et sans aide ! Nous sommes tout de même parvenus, dans la soirée, à placer cette jeune fille à l’ASE.
Mes chers collègues, ce n’est pas du cinéma ! Nous parlons de personnes perdues, de personnes qui souffrent ! Cette jeune fille perdue était la dernière que nous avons pu aider, mais les passages ont été multiples toute la journée.
Dès lors, comment peut-on employer les termes que certains de nos collègues ont utilisés ? Comment peut-on faire des descriptions pleines d’indifférence et de mépris, en nous racontant un film monté de toutes pièces ?
Arrêtez avec vos fantasmes, mes chers collègues ! La réalité est là ! Des gens souffrent, monsieur le ministre d’État ! On ne va pas non plus enfermer ces enfants, ces mineurs dans des cages !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d’État.
M. Gérard Collomb, ministre d’État. Pour que certains se rendent compte de la réalité, je les invite à venir voir comment les choses se passent dans ma ville, comment on considère l’ensemble des couches de la population, quelles sont mes relations – puisqu’on m’accuse de cela – avec la communauté juive de ma ville (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.),…
Mme Éliane Assassi. Il n’était pas question de ça !
M. Gérard Collomb, ministre d’État. … quel respect les habitants ont pour notre action, comment nous entretenons, avec des personnes issues de l’immigration, des rapports de qualité.
Ce que nous essayons de faire à Lyon, ce que j’essaie de faire aujourd’hui, c’est de rassembler. Mais, pour pouvoir rassembler, encore faut-il dire la vérité !
La vérité, nous l’avons souligné depuis le début de l’examen du texte, c’est que ce projet de loi a un objectif très simple : faire en sorte que celles et ceux qui, effectivement, sont des réfugiés au sens de la convention de Genève soient accueillis, mais que celles et ceux qui sont des migrants économiques soient, au bout de six mois, éloignés du territoire et renvoyés dans leur pays. C’est aussi une façon de prouver notre humanité !
Lorsque le Président de la République se rend en Afrique pour porter une volonté de développement, lorsqu’il intervient auprès de l’Union européenne afin que des fonds pour le développement et pour la sécurité en Afrique soient octroyés, oui, nous menons une politique équilibrée et, pour cela, nous n’avons besoin d’insulter personne !
Nous pouvons ne pas partager l’avis de certains d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, mais, justement, notre vertu, c’est de respecter chacune et chacun.
M. Xavier Iacovelli. Sauf les enfants !
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 445 rectifié bis.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant de la commission des lois.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 163 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 342 |
Pour l’adoption | 101 |
Contre | 241 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Je mets aux voix l’amendement n° 94 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 24 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 254 rectifié ter.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous avons examiné 68 amendements au cours de la journée ; il en reste 300.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
7
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, vendredi 22 juin 2018, à neuf heures trente, quatorze heures trente et le soir :
Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie (n° 464, 2017-2018) ;
Rapport de M. François-Noël Buffet, fait au nom de la commission des lois (n° 552, 2017-2018) ;
Avis de M. Jacques Grosperrin, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication (n° 527, 2017-2018) ;
Texte de la commission (n° 553, 2017-2018).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à minuit.)
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD