Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, sur l’article.
M. David Assouline. Mes chers collègues, cet article est tout à fait important, et il confirme ce que nous avons essayé de démontrer tout au long de nos travaux : ce projet de loi cherche, tantôt à durcir les dispositions en vigueur, tantôt à afficher des durcissements qui n’ont absolument aucun effet.
Tâchons d’être pragmatiques, et voyons de plus près ce dont on parle. Pour avoir régulièrement visité des centres de rétention administrative, nous savons que le constat est toujours le même. À l’heure actuelle, le temps moyen de placement au sein des CRA s’établit à 12,7 jours. Au total, moins de 4 % des personnes concernées y restent jusqu’au terme des 45 jours ; et, en définitive, ces personnes sont libérées quoi qu’il en soit !
Ce sujet a été évoqué plusieurs fois par le Gouvernement : le problème, ce sont les accords avec les gouvernements étrangers en vertu desquels les consulats autorisent le rapatriement de ces personnes.
Tous les professionnels sur le terrain nous le disent : au-delà de 7 jours, 12 jours au maximum, si le retour n’a pas eu lieu, le maintien en rétention est un pur affichage. On sait très bien que, en définitive, il faudra faire sortir ces personnes des centres de rétention administrative. Certains peuvent dénoncer cette réalité, dire qu’il s’agit d’un scandale, mais c’est un fait.
Ainsi, cet affichage de 90 jours ne renvoie à aucune réalité. Le seul effet de cette mesure sera de faire « souffrir » davantage les 4 % de personnes qui atteignent 45 jours, et qui devront attendre 45 jours de plus avant d’être relâchées.
J’ajoute que la rétention administrative n’est pas une incarcération. Dès lors, comment justifier un tel traitement ? S’il s’agissait de délinquants condamnés, cet allongement ne poserait pas problème, mais tel n’est pas le cas.
À l’origine, les centres de rétention ont été créés pour mettre un terme aux camps sauvages qui existaient, notamment, à Marseille. Il fallait raccompagner les personnes concernées en dehors de toute réglementation, et, dans l’intervalle, on ne disposait pas d’un cadre permettant de les garder.
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. David Assouline. Je donnerai davantage d’explications au titre des amendements qui suivent : en la matière, il faut faire de la pédagogie,…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Ah !
M. Roger Karoutchi. En effet…
M. David Assouline. … car beaucoup de personnes se font des illusions. Je poursuivrai donc mon argumentation tout à l’heure.
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Jomier, sur l’article.
M. Bernard Jomier. Mes chers collègues, en fait, cette question de délai renvoie essentiellement à la nature de la rétention administrative.
Il faut bien distinguer la rétention de la détention. Or, plus le nombre de jours s’accroît, plus on passe d’une logique de rétention à une logique de détention, ce qui n’est pas du tout la même chose pour les personnes qui sont retenues.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Ça, c’est vrai !
M. Bernard Jomier. Nombreux sont certainement ceux qui, dans cet hémicycle, ont eu l’occasion de visiter, pendant quelques heures, des centres de rétention. Nous le savons bien : en rétention, on n’a pas accès aux mêmes activités qu’en détention.
On peut laisser une personne sans aucune activité pendant quelques jours ; elle va le supporter. Mais, au bout de 90 jours, ce ne sera pas du tout la même chose ! En CRA, il n’y a pas de salle de sport ; plus généralement, aucun équipement n’est prévu.
En glissant de la rétention à la détention, sans prendre la mesure de ce changement, on crée donc de grandes difficultés.
J’ai également été marqué par ce que disent les policiers travaillant au sein des CRA. Ils sont en train d’essayer d’inventer un métier. Certains d’entre eux s’habillent en civil, pour, disent-ils, apaiser les tensions. Tout lieu privatif de liberté engendre de la violence – c’est humain –, et les policiers qui doivent gérer ces problèmes essaient de trouver les moyens d’agir au mieux. Mais les policiers ne sont pas des fonctionnaires de l’administration pénitentiaire. Ils le disent eux-mêmes : ce n’est pas leur travail de garder des personnes privées de liberté pendant des semaines et des semaines – nous savons très bien que l’Assemblée nationale finira par imposer une durée de 3 mois.
Enfin, cette mesure pose des questions d’aménagement des locaux.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Eh oui, il n’y en a pas assez !
M. Bernard Jomier. Mme la ministre nous certifie que le Gouvernement va investir dans les CRA. Mais une directrice de CRA m’a fait savoir que, depuis 2014, elle demandait en vain l’installation d’un équipement permettant aux retenus de se distraire : elle n’a jamais obtenu les crédits nécessaires…
Mme Sophie Primas. On n’a pas de sous !
M. Bernard Jomier. Je doute fort que les CRA deviennent tout d’un coup des lieux adaptés, non à des rétentions, mais, de fait, à des détentions assez longues.
À l’arrière-plan des amendements que nous allons présenter, il y a donc l’idée suivante : quel que soit l’état actuel du texte, on sait très bien que nous allons, potentiellement, vers trois mois de privation de liberté, et que ce changement appelle d’autres dispositions.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, sur l’article.
M. Jean-Yves Leconte. Mes chers collègues, certains avancent qu’une personne ne peut être expulsée qu’après avoir été placée en rétention, mais c’est un mythe complet !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Qui dit cela ?
M. Jean-Yves Leconte. En la matière, je vous propose de comparer la France et l’Allemagne. En 2016, l’Allemagne a procédé à 26 000 expulsions vers des pays tiers ; la France en a effectué 24 000. Au cours de cette même année, l’Allemagne a totalisé 1 800 placements en rétention ; la France, 9 000. Il est donc possible d’éloigner plus avec moins de placements en rétention.
En outre, sur ce sujet, nous regrettons l’évolution qu’a connue le présent texte en commission des lois. Non seulement la commission a considéré que l’augmentation de la durée maximale de rétention, de 45 jours à 90 jours, pouvait être maintenue, mais elle a restreint le contrôle exercé par le juge des libertés et de la détention !
Jusqu’à présent, ce juge accomplit cinq contrôles ; notre rapporteur n’en propose que deux, et le premier serait effectué 5 jours après l’entrée en rétention. Or, à ce titre, nous sommes face à une très grande hypocrisie. Si l’on retarde ainsi l’intervention du juge des libertés et de la détention, pendant 5 jours, on ne peut pas vérifier si la personne a été placée en rétention dans des conditions correctes ; et, pendant ce temps, cette personne peut être expulsée.
L’efficacité même de ce type de mesures est sujette à caution. Les statistiques le montrent bien : les mesures d’éloignement sont effectuées lors des premiers jours de rétention. Dans tous les cas, cela ne sert à rien d’aller au-delà de 20 jours. En voici la meilleure preuve : depuis que le gouvernement de Nicolas Sarkozy a porté la durée maximale de rétention de 32 jours à 45 jours, en proportion, le nombre d’éloignements a diminué.
Enfin, la police de l’air et des frontières voit son métier changer profondément : elle se transforme petit à petit en administration pénitentiaire, en passant du contrôle des frontières à la gestion de centres de privation de libertés, où les retenus sont appelés à rester de plus en plus longtemps. Or les tensions constatées au sein de ces centres depuis le mois d’octobre dernier sont particulièrement graves, et elles ne pourront pas durer.
Bref, cet allongement de la durée maximale de rétention n’est pas efficace, il n’est pas respectueux des droits et il pose des problèmes au sein des CRA, qu’il s’agisse des conditions de travail ou des conditions de rétention.
Mme la présidente. L’amendement n° 125 rectifié, présenté par Mmes Benbassa et Assassi, M. Bocquet, Mmes Brulin, Cohen et Cukierman, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud et MM. Savoldelli et Watrin, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Cet amendement est défendu, madame la présidente.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur. Même avis défavorable.
Mme la présidente. L’amendement n° 537 rectifié, présenté par M. Arnell, Mmes Costes, M. Carrère et N. Delattre, MM. Requier, Artano, A. Bertrand, Castelli, Collin, Corbisez, Dantec, Gold, Guérini et Guillaume, Mme Jouve, M. Labbé, Mme Laborde et MM. Menonville et Vall, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
L’article L. 551-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est complété par un IV ainsi rédigé :
« IV. - Le placement en rétention des personnes en situation de handicap moteur, cognitif ou psychique ainsi que les conditions d’accompagnement dont elles peuvent bénéficier ou non sont prises en compte dans la détermination de la durée de cette mesure. »
La parole est à M. Guillaume Arnell.
M. Guillaume Arnell. L’allongement de la durée maximale de placement en centre de rétention administrative est une autre des dispositions phares de ce projet de loi, et certainement l’une des plus contestées.
Selon les chiffres de la direction générale des étrangers en France publiés sur le site du ministère de l’intérieur, lesquels sont, il est vrai, peu actualisés, le taux de délivrance des laissez-passer consulaires est assez faible. En 2011, le taux de délivrance global était de 32 %, et le taux de délivrance dans les délais de 29,5 %. Or, toujours en 2011, sur les 8 350 laissez-passer demandés, seuls 227 ont été obtenus hors délais, soit seulement 3 % du total.
Cette situation ne laisse pas présager de la grande utilité d’un allongement du temps de placement en CRA.
Sauf à ce que ces résultats aient sensiblement évolué, nous sommes donc opposés à l’allongement proposé, qui pourrait se révéler à la fois coûteux pour le contribuable et dommageable pour les personnes placées, puis relâchées, faute d’obtention de ce fameux laissez-passer.
Les chiffres avancés par notre rapporteur ne semblent pas infirmer la faible efficacité de ces placements en CRA ; et son pari pour renforcer cette efficacité repose uniquement sur une mesure – le fait de conditionner la délivrance de visas à celle de laissez-passer.
En outre, l’état de santé physique et psychologique des personnes placées en CRA, lesquelles sont affectées par la privation de liberté, ne permet pas un placement si long.
Dans ces conditions, ni la solution proposée par le Gouvernement ni celle proposée par le rapporteur ne sont tout à fait acceptables. C’est pourquoi nous proposons de supprimer l’essentiel de cet article, pour en rester au droit en vigueur, à l’exception des dispositions introduites par l’Assemblée nationale visant à mieux protéger les personnes vulnérables placées en centre de rétention administrative.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Cet amendement est presque identique au précédent, et la commission émet donc, également, un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Certes, le Gouvernement n’est pas favorable à la rédaction issue des travaux de la commission des lois du Sénat. Toutefois, si cet amendement était adopté, l’on en reviendrait à la rédaction actuelle du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le CESEDA, ce que nous ne souhaitons pas non plus. Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
Mme la présidente. Je suis saisie de cinq amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 275 rectifié bis, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéas 1, 4, 13, 14 et 17
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Madame la présidente, avec votre permission, je présenterai par la même occasion l’amendement n° 269 rectifié ter.
Mme la présidente. Je vous en prie, chère collègue ; veuillez poursuivre.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. L’amendement n° 275 rectifié bis tend à supprimer l’allongement à 5 jours de la première phase de la rétention administrative. En effet, cet allongement reporte au sixième jour l’intervention du juge des libertés et de la détention, ce à quoi nous ne sommes pas favorables.
Quant à l’amendement n° 269 rectifié ter, il vise à porter à 2 jours ouvrés, et non à 48 heures, le délai pour exercer un recours contre une obligation de quitter le territoire français, ou OQTF.
Certains pourraient penser que deux jours ouvrés et 48 heures sont une seule et même chose ; eh bien, pas du tout, monsieur Karoutchi…
M. Roger Karoutchi. Mais je n’ai rien dit ! (Sourires.)
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Pour assurer l’exercice des droits, il est important de savoir exactement comment les délais sont décomptés. En l’occurrence, les 48 heures peuvent inclure un dimanche. Ainsi, la mention des deux jours ouvrés permettra d’exercer ces droits dans de bonnes conditions.
Mme la présidente. L’amendement n° 503, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
A. – Alinéa 1
Supprimer cet alinéa.
B. – Alinéa 4
Supprimer cet alinéa.
C. – Alinéa 14
1° Première phrase
Remplacer les mots :
cinq jours
par les mots :
quarante-huit heures
2° Seconde phrase
Remplacer les mots :
avant l’expiration du sixième jour de rétention
par les mots :
dans les quarante-huit heures suivant sa saisine
D. – Alinéa 17
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Cet amendement vise à rétablir à 48 heures la durée de la première phase de rétention administrative que votre commission des lois a portée à 5 jours, ce qui ne répond pas aux objectifs du Gouvernement.
Le séquençage de la rétention doit être efficace dans une action cohérente de lutte contre l’immigration irrégulière et doit garantir en même temps l’accès de l’étranger à un recours effectif.
La directive Retour ne définit pas le délai dans lequel doit intervenir le contrôle juridictionnel de la rétention, toutefois, son article 15 requiert que ce contrôle intervienne « le plus rapidement possible à compter du début de la rétention ». Une telle exigence est, du reste, conforme au paragraphe 4 de l’article 5 de la convention européenne des droits de l’homme, qui garantit à toute personne privée de sa liberté « le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »
La validation constitutionnelle obtenue le 9 juin 2011 sur la loi du 16 juin 2011 qui a reporté l’accès aux juges à l’expiration du cinquième jour ne suffirait pas à justifier un retour à une phase administrative de 5 jours.
Dans le dispositif issu de la loi de juin 2011, l’accès au juge des libertés et de la détention était reporté au cinquième jour à l’occasion de l’audience contradictoire sur la requête aux fins de prolongation de rétention. L’étranger ne disposait pas d’un accès effectif rapide devant un juge compétent pour contrôler à la fois la privation de liberté et la légalité de la décision administrative de placement.
Considérant la possibilité d’exécution de l’éloignement avant que le juge judiciaire ait statué, la Cour européenne des droits de l’homme a ainsi jugé que ces dispositions issues de la loi de juin 2011 n’étaient pas conformes aux exigences de la convention. Dans cette décision, la Cour a cependant pris acte de la réforme intervenue en mars 2016 en ce qu’elle a ouvert un droit de recours à l’étranger devant le juge des libertés et de la détention, suivant la notification de la décision de placement.
Dans ces conditions, le Gouvernement est défavorable à ce retour au délai de 5 jours et plaide en faveur du maintien du délai actuel de 48 heures.
Mme la présidente. L’amendement n° 536 rectifié, présenté par M. Arnell, Mmes Costes, M. Carrère et N. Delattre, MM. Requier, Artano, A. Bertrand, Castelli, Collin, Corbisez, Dantec, Gold, Guérini et Guillaume, Mme Jouve, M. Labbé, Mme Laborde et MM. Menonville et Vall, est ainsi libellé :
Alinéas 1, 4 et 17
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Guillaume Arnell.
M. Guillaume Arnell. La commission des lois a adopté une nouvelle version de l’article 16 qui prévoit la possibilité de saisir le juge des libertés et de la détention 5 jours et non plus 48 heures après le placement en CRA.
Au regard de la restriction de liberté que constitue ce placement, il est proposé de maintenir ce délai à 48 heures, afin que les personnes susceptibles d’obtenir la suspension de leur rétention puissent le faire valoir le plus tôt possible.
Mme la présidente. L’amendement n° 269 rectifié ter, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Rédiger ainsi cet alinéa :
I. - Aux première et seconde phrases du premier alinéa du III de l’article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, les mots : « quarante-huit heures » sont remplacés par les mots : « deux jours ouvrés ».
Cet amendement a été défendu.
L’amendement n° 105, présenté par Mmes Assassi, Benbassa et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 14
Compléter cet alinéa par trois phrases ainsi rédigées :
La personne en rétention ne peut être éloignée du territoire avant que le juge des libertés et de la détention n’ait statué. Tout agent public ayant pris cette décision d’éloignement du territoire alors que le recours devant le juge est suspensif est passible de poursuites sur le fondement de l’article 432-4 du code pénal. Tout agent public ayant eu connaissance, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission, de tels actes et s’étant abstenu volontairement soit d’y mettre fin si elle en a le pouvoir, soit, dans le cas contraire, de provoquer l’intervention d’une autorité compétente, est passible de poursuites sur le fondement de l’article 432-5 du même code.
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Cet amendement vise à protéger le droit au recours des personnes en rétention qui ont saisi le juge des libertés et de la détention.
De nombreuses associations, dont la CIMADE, ont dénoncé des expulsions dites « sauvages » par lesquelles l’étranger est reconduit à la frontière alors même que le juge n’a pas statué sur sa requête.
Ainsi, le collectif « Stop Dublin – Marseille » a publié en janvier dernier quelques témoignages sur les conditions d’arrestations et d’expulsions de demandeurs d’asile dublinés, assignés à résidence dans les PRAHDA de France, ces hébergements issus du programme d’accueil et d’hébergement des demandeurs d’asile.
Le collectif explique, sur sa page Chroniques honteuses, que ces témoignages évoquent tous des agissements illégaux de la police et de la gendarmerie, parfois même contre des décisions de justice : « absence de traductions et d’interprètes à toutes les étapes de la procédure d’expulsion, pressions policières et menaces pour obliger les demandeurs d’asile à signer des papiers dont ils ne comprennent pas le contenu, escortes policières surnuméraires et entraves – menottes, liens pieds et jambes – non conformes à la situation, décisions de la préfecture de maintenir des expulsions alors même que des juges ont ordonné la remise en liberté… »
Sous couvert du règlement de Dublin, les polices pourraient donc aujourd’hui faire abstraction des lois, des décisions juridiques et du droit d’asile, ce qu’aucun d’entre nous ici ne saurait cautionner.
C’est pourquoi nous vous soumettons, par cet amendement, deux propositions.
Premièrement, la personne en rétention ne pourrait être éloignée du territoire avant que le juge des libertés et de la détention ait statué.
Deuxièmement, tout agent public ayant pris une décision d’éloignement du territoire alors que le recours devant le juge est suspensif serait passible de poursuites. De plus, tout agent public ayant eu connaissance, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission, de tels actes et s’étant abstenu volontairement soit d’y mettre fin, s’il en a le pouvoir, soit, dans le cas contraire, de provoquer l’intervention d’une autorité compétente, serait passible des mêmes poursuites.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’avis de la commission est défavorable sur l’ensemble de ces amendements.
Mes explications seront utiles pour tous les amendements déposés sur cet article, afin de donner de la cohérence à l’ensemble.
La durée de rétention est aujourd’hui de 45 jours. Elle a été modifiée il y a quelques années, puisqu’elle était de 28 jours. Elle est passée à 32 jours, puis, au début des années 2010, à 45 jours. La motivation de cette augmentation était la nécessité d’obtenir plus de laissez-passer consulaires afin de pouvoir s’assurer d’un renvoi vers les pays sources des retenus.
Reconnaissons-le, nous ne disposons pas d’un bilan complet de cette augmentation et nous ne connaissons pas clairement le nombre de laissez-passer consulaires qui ont été obtenus grâce à elle.
En revanche, nous avons pu constater que la réduction du délai maximum d’intervention du juge des libertés et de la détention, le JLD, de 5 jours à 48 heures, a posé des difficultés à l’administration pour défendre valablement son point de vue devant le JLD, voire devant le tribunal administratif. Le nombre de décisions exécutées a ainsi baissé.
Il ne s’agit donc pas de remettre en cause la situation des personnes, mais de permettre à notre administration de défendre correctement son point de vue dans l’exercice de sa mission. Les services préfèrent évidemment disposer d’un délai plus long, c’est normal. Pour être efficaces, nous devons revenir à une intervention du JLD dans un délai de 5 jours.
Rien n’empêche, par ailleurs, la personne retenue de déposer un recours devant le JLD avant l’expiration de ce délai. Les magistrats rendent leur décision le plus rapidement possible et cela offre donc une garantie supplémentaire.
C’est la raison pour laquelle la commission des lois avait souhaité, en 2016, revenir sur le dispositif en vigueur. Nous avions voté en ce sens, mais le projet n’avait pas prospéré. Nous y revenons à l’occasion de ce texte pour réaffirmer le principe d’une intervention du juge des libertés et de la détention dans un délai de 5 jours.
Une partie des amendements en discussion tendent à contester ce choix, mais il s’agit pour nous d’une question d’efficacité, qui ne remet pas en cause le droit des retenus.
Pour aller au bout du sujet, je rappelle que le JLD peut considérer au bout du cinquième jour que le retenu doit être remis en liberté, mais il peut également décider que la rétention doit continuer. Celle-ci peut alors durer jusqu’à 45 jours. La commission des lois propose de s’en tenir à ce délai actuellement en vigueur.
Nous avons beaucoup réfléchi à prolonger la rétention jusqu’à 90 jours. Le texte initial du Gouvernement imposait d’ailleurs un délai beaucoup plus long. Nous avons entendu certains arguments du Gouvernement, aussi proposons-nous, afin, notamment, de lutter contre d’éventuelles mesures dilatoires, qu’au bout de 45 jours, la rétention puisse être à nouveau reconduite pour la même durée, après intervention du JLD.
Je vous rappelle que la rétention peut être prolongée jusqu’à 6 mois selon le droit actuel, en cas de terrorisme.
Ce qui importe ici, c’est que le JLD interviendra au quarante-cinquième jour et pourra ordonner la poursuite de la rétention pour la même durée ou pour une durée plus courte. En outre, le retenu pourra saisir le JLD à n’importe quel moment de sa rétention.
Le séquençage que propose la commission des lois après avoir entendu certains arguments est donc basé sur le principe d’une rétention de 45 jours, renouvelable jusqu’à 90 jours dans des conditions bien précises.
Au bénéfice de ces explications, l’avis de la commission est donc défavorable sur l’ensemble des amendements en discussion commune.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Le Gouvernement demande le retrait de tous les amendements en discussion commune au profit de celui qu’il a lui-même déposé.
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Pour désidéologiser la discussion sur la durée, je souhaite rappeler à notre assemblée la mémoire de ses propres débats, car ce n’est pas la première fois que nous abordons ce sujet.
Alors que nous débattions de la loi Hortefeux-Besson, le Gouvernement avait proposé de faire passer la durée de rétention de 32 jours à 45 jours.
Nous avions alors évoqué un rapport d’information du député Thierry Mariani, publié en 2009, affirmant qu’une augmentation au-delà de 32 jours de la durée de rétention n’était pas nécessaire. « La mission d’information, ajoutait-il, estime que la durée maximum actuelle de 32 jours est suffisante et ne devra pas être augmentée lorsque la directive sera transposée en droit français. »