Mme Nicole Bonnefoy. Avec votre permission, monsieur le président, je défendrai également l’amendement n° 560 rectifié bis.
M. le président. J’appelle donc en discussion l’amendement n° 560 rectifié bis, présenté par Mme Bonnefoy, MM. Cabanel, Montaugé, Bérit-Débat, Lurel et Joël Bigot, Mme Cartron, M. Dagbert, Mme M. Filleul, MM. Houllegatte, Jacquin et Madrelle, Mmes Préville et Tocqueville, M. Kanner, Mme Lienemann, M. Jomier, Mme Artigalas, M. Roux, Mme Taillé-Polian, M. Tissot, Mme Conconne, M. Fichet, Mmes Blondin, Monier et les membres du groupe socialiste et républicain, et ainsi libellé :
Après l’article 14 quinquies
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Après le chapitre III du titre V du livre II du même code, il est inséré un chapitre ainsi rédigé :
« Chapitre …
« Dispositions relatives à la réparation intégrale des préjudices directement causés par l’utilisation des produits phytopharmaceutiques
« Section 1
« Réparation des divers préjudices
« Art. L. 253-19. – Peuvent obtenir la réparation intégrale de leurs préjudices : les personnes qui ont obtenu la reconnaissance, au titre de la législation française de sécurité sociale ou d’un régime assimilé ou de la législation applicable aux pensions civiles et militaires d’invalidité, d’une maladie professionnelle occasionnée par les produits phytopharmaceutiques mentionnés à l’article L. 253-1.
« Section 2
« Fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques
« Art. L. 253-20. – Il est créé un fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques, personne morale de droit privé. Il groupe toutes les sociétés ou caisses d’assurances et de réassurances mutuelles agricoles.
« Ce fonds a pour mission de réparer les préjudices définis à l’article L. 253-19. Il est représenté à l’égard des tiers par son directeur.
« Art. L. 253-21. – Le demandeur justifie de l’exposition à des produits phytopharmaceutiques et de l’atteinte à l’état de santé de la victime.
« Il informe le fonds des autres procédures relatives à l’indemnisation des préjudices définis au présent article éventuellement en cours. Si une action en justice est intentée, il en informe le juge de la saisine du fonds.
« En l’absence de déclaration préalable par la victime, le fonds transmet sans délai le dossier à l’organisme concerné au titre de la législation française de sécurité sociale ou d’un régime assimilé ou de la législation applicable aux pensions civiles et militaires d’invalidité. Cette transmission vaut déclaration de maladie professionnelle. Elle suspend le délai prévu à l’article L. 253-23 jusqu’à ce que l’organisme concerné communique au fonds les décisions prises. En tout état de cause, l’organisme saisi dispose pour prendre sa décision d’un délai de trois mois, renouvelable une fois si une enquête complémentaire est nécessaire. Faute de décision prise par l’organisme concerné dans ce délai, le fonds statue dans un délai de trois mois.
« Le fonds examine si les conditions d’indemnisation sont réunies. Il recherche les circonstances de l’exposition aux produits phytopharmaceutiques et ses conséquences sur l’état de santé de la victime ; il procède ou fait procéder à toutes investigation et expertise utiles sans que puisse lui être opposé le secret professionnel ou industriel.
« Au sein du fonds, une commission médicale indépendante se prononce sur l’existence d’un lien entre l’exposition aux produits phytopharmaceutiques et la survenue de la pathologie. Sa composition est fixée par un arrêté conjoint des ministres chargés de la santé, des outre-mer et de l’agriculture.
« Vaut justification de l’exposition à des produits phytopharmaceutiques la reconnaissance d’une maladie professionnelle occasionnée par ces produits au titre de la législation française de sécurité sociale ou d’un régime assimilé ou de la législation applicable aux pensions civiles et militaires d’invalidité.
« Vaut également justification du lien entre l’exposition à des produits phytopharmaceutiques et le décès la décision de prise en charge de ce décès au titre d’une maladie professionnelle occasionnée par des produits phytopharmaceutiques en application de la législation française de sécurité sociale ou d’un régime assimilé ou de la législation applicable aux pensions civiles et militaires d’invalidité.
« Dans les cas valant justification de l’exposition aux produits phytopharmaceutiques mentionnés aux deux alinéas précédents, le fonds peut verser une provision si la demande lui en a été faite. Il est statué dans le délai d’un mois à compter de la demande de provision.
« Le fonds peut demander à tout service de l’État, collectivité publique, organisme assurant la gestion des prestations sociales, organisme assureur susceptibles de réparer tout ou partie du préjudice, la communication des renseignements relatifs à l’exécution de leurs obligations éventuelles.
« Les renseignements ainsi recueillis ne peuvent être utilisés à d’autres fins que l’instruction de la demande faite au fonds d’indemnisation et leur divulgation est interdite. Les personnes qui ont à connaître des documents et informations fournis au fonds sont tenues au secret professionnel.
« Le demandeur peut obtenir la communication de son dossier, sous réserve du respect du secret médical et du secret industriel et commercial.
« Art. L. 253-22. – Dans les neuf mois à compter de la réception d’une demande d’indemnisation, le fonds présente au demandeur une offre d’indemnisation. Il indique l’évaluation retenue pour chaque chef de préjudice, ainsi que le montant des indemnités qui lui reviennent compte tenu des prestations énumérées à l’article 29 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation, et des indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d’autres débiteurs du chef du même préjudice. À défaut de consolidation de l’état de la victime, l’offre présentée par le fonds a un caractère provisionnel.
« Le fonds présente une offre dans les mêmes conditions en cas d’aggravation de l’état de santé de la victime.
« L’offre définitive est faite dans un délai de deux mois à compter de la date à laquelle le fonds a été informé de cette consolidation.
« Le paiement doit intervenir dans un délai d’un mois à compter de la réception par le fonds de l’acceptation de son offre par la victime, que cette offre ait un caractère provisionnel ou définitif.
« L’acceptation de l’offre ou la décision juridictionnelle définitive rendue dans l’action en justice prévue à l’article L. 253-23 vaut désistement des actions juridictionnelles en indemnisation en cours et rend irrecevable toute autre action juridictionnelle future en réparation du même préjudice. Il en va de même des décisions juridictionnelles devenues définitives allouant une indemnisation intégrale pour les conséquences de l’exposition à des produits phytopharmaceutiques.
« Art. L. 253-23. – Le demandeur ne dispose du droit d’action en justice contre le fonds d’indemnisation que si sa demande d’indemnisation a été rejetée, si aucune offre ne lui a été présentée dans le délai mentionné à l’article L. 253-22 ou s’il n’a pas accepté l’offre qui lui a été faite.
« Cette action est intentée devant la cour d’appel dans le ressort de laquelle se trouve le domicile du demandeur.
« Art. L. 253-24. – Le fonds est subrogé, à due concurrence des sommes versées, dans les droits que possède le demandeur contre la personne responsable du dommage ainsi que contre les personnes ou organismes tenus à un titre quelconque d’en assurer la réparation totale ou partielle dans la limite du montant des prestations à la charge desdites personnes.
« Le fonds intervient devant les juridictions civiles, y compris celles du contentieux de la sécurité sociale, notamment dans les actions en faute inexcusable, et devant les juridictions de jugement en matière répressive, même pour la première fois en cause d’appel, en cas de constitution de partie civile du demandeur contre le ou les responsables des préjudices ; il intervient à titre principal et peut user de toutes les voies de recours ouvertes par la loi.
« Si le fait générateur du dommage a donné lieu à des poursuites pénales, le juge civil n’est pas tenu de surseoir à statuer jusqu’à décision définitive de la juridiction répressive.
« La reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, à l’occasion de l’action à laquelle le fonds est partie, ouvre droit à la majoration des indemnités versées à la victime en application de la législation de sécurité sociale. L’indemnisation à la charge du fonds est révisée en conséquence.
« Art. L. 253-25. – Le fonds est financé par :
« 1° L’affectation d’une fraction du produit de la taxe prévue à l’article L. 253-8-2 ;
« 2° Les sommes perçues en application de l’article L. 253-23 ;
« 3° Les produits divers, dons et legs.
« Art. L. 253-26. – Les demandes d’indemnisation doivent être adressées au fonds dans un délai de dix ans.
« Pour les victimes, le délai de prescription commence à courir à compter de :
« – pour la maladie initiale, la date du premier certificat médical établissant le lien entre la maladie et l’exposition aux produits phytopharmaceutiques ;
« – pour l’aggravation de la maladie, la date du premier certificat médical constatant cette aggravation dès lors qu’un certificat médical précédent établissait déjà le lien entre cette maladie et une exposition aux produits phytopharmaceutiques.
« Art. L. 253-27. – L’activité du fonds fait l’objet d’un rapport annuel remis au Gouvernement et au Parlement avant le 30 avril.
« Les modalités d’application du présent chapitre sont fixées par décret en Conseil d’État.
« Le délai fixé au premier alinéa de l’article L. 253-23 est porté à douze mois pendant l’année qui suit la publication du décret mentionné au précédent alinéa. »
II – Le VI de l’article L. 253-8-2 du code rural et de la pêche maritime est ainsi rédigé :
« VI. – Le produit de la taxe est affecté :
« 1° En priorité, à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, dans la limite du plafond fixé au I de l’article 46 de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012, pour financer la mise en place du dispositif de phytopharmacovigilance défini à l’article L. 253-8-1 du présent code et pour améliorer la prise en compte des préjudices en lien direct avec l’utilisation des produits phytopharmaceutiques ;
« 2° Pour le solde, au Fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques. »
Veuillez poursuivre, ma chère collègue.
Mme Nicole Bonnefoy. Ces deux amendements portent sur le même sujet : la création d’un fonds d’indemnisation pour les victimes des produits phytopharmaceutiques, au premier rang desquelles les agriculteurs. Ils visent à reprendre la proposition de loi portant création de ce fonds d’indemnisation spécifique, qui a été déposée par le groupe socialiste et adoptée à l’unanimité par la Haute Assemblée le 1er février 2018.
Ce fonds vise à permettre la prise en charge de la réparation intégrale des préjudices des personnes atteintes de maladies liées à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques par la création d’un fonds d’indemnisation abondé par les fabricants de ces produits.
L’amendement n° 559 rectifié bis concerne tous les malades, qu’ils soient d’origine professionnelle ou non. Il vise à reprendre l’intégralité de la proposition de loi adoptée au Sénat en février.
L’amendement n° 560 rectifié bis est une forme de « repli » dans le sens où il prévoit, dans un premier temps, de restreindre le champ de ce fonds aux maladies reconnues professionnellement.
Notre proposition est totalement en adéquation avec les conclusions d’un rapport de janvier 2018 publié conjointement par l’Inspection générale des affaires sociales, l’Inspection générale des finances et le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux. Ce fonds permettra d’accompagner les victimes qui souffrent de maladies liées à l’utilisation de ces produits en facilitant leurs démarches, en leur offrant un cadre global pour une plus grande égalité et en les indemnisant en réparation de l’intégralité du préjudice subi. Il permettra également de mieux identifier toutes les victimes, puisqu’on estime que seulement un malade sur dix est actuellement suivi pour cette raison.
Monsieur le ministre, mardi, lors de la discussion générale au cours de laquelle j’ai évoqué ce sujet, vous avez déclaré que « nous avançons » sur la question du fonds d’indemnisation. Des paroles aux actes, il n’y a qu’un pas, et le moment est enfin venu d’accorder aux victimes la juste compensation qu’elles doivent recevoir.
J’appelle donc le Sénat à réparer la souffrance de ces victimes – majoritairement des agriculteurs – que notre société n’a pas encore su prendre en considération et à prolonger l’unanimité qui s’était dégagée de nos travées en février dernier par la création de ce fonds.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteur. Ces amendements visent à reprendre le contenu d’une proposition de loi du Sénat largement adoptée.
L’amendement n° 559 rectifié bis vise à élargir l’accès à ce fonds à toutes les maladies, professionnelles comme non professionnelles. L’élargissement de l’indemnisation aux maladies non professionnelles rend le champ très large. La difficulté est d’estimer le nombre de victimes potentielles sans diluer l’ensemble du dispositif. L’avis est donc plutôt défavorable.
En revanche, la commission est favorable à l’amendement n° 560 rectifié bis, qui vise essentiellement les maladies professionnelles.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Travert, ministre. C’est un sujet qui tient à cœur à beaucoup de parlementaires et à nombre de nos concitoyens. J’ai effectivement précisé l’autre jour que le travail avançait ; je ne parlais pas du fonds d’indemnisation en lui-même, mais de la question de la reconnaissance des accidents du travail et des maladies professionnelles. C’est le sens de l’action que nous menons.
Je sais le travail que vous avez réalisé, madame la sénatrice, avec Sophie Primas en 2012 sur ces sujets.
Un rapport des inspections générales, qui a été remis en février 2018, préconise d’améliorer la réparation dans le cadre du régime accidents du travail et maladies professionnelles. C’est sur ce point que nous avançons en particulier. Notre objectif est de faciliter la reconnaissance des maladies professionnelles liées aux expositions aux produits pharmaceutiques et, bien sûr, d’améliorer leur prise en charge.
Nous avons souhaité une évaluation scientifique à la fois solide et robuste pour la reconnaissance des maladies professionnelles. Cette mission a été confiée à l’INSERM, en lien avec l’ANSES. Il importe notamment d’actualiser les liens entre les pathologies et les expositions professionnelles aux pesticides. La précédente étude avait compilé les données jusqu’en 2013. Or la connaissance depuis cette date a nettement progressé.
Notre deuxième souhait était de réviser le tableau des maladies professionnelles, afin qu’il prenne en compte les nouvelles données scientifiques depuis 2013. C’est un travail qui a été demandé aux présidents de commission. Il sera remis au plus tard à la fin de l’année 2019.
Nous avons également souhaité harmoniser les décisions de reconnaissance qui ne relèvent pas des tableaux de reconnaissance par les comités régionaux. Ce sera fait d’ici à la fin de l’année 2018. Nous avons voulu entamer une concertation pour améliorer l’indemnisation des exploitants agricoles dont le niveau d’indemnisation est moindre aujourd’hui que pour les salariés agricoles.
En résumé, nous souhaitons améliorer le système d’indemnisation pour les victimes des produits phytopharmaceutiques par le dispositif qui existe aujourd’hui pour les maladies professionnelles. Par ailleurs, nous souhaitons répondre aux besoins réels de simplification du dispositif pour le rendre beaucoup plus accessible. Il s’agit de mettre un terme au parcours du combattant auquel doivent se livrer les personnes touchées par ces maladies professionnelles, les procédures n’ayant jamais été aussi longues. Tout cela va dans le sens des préconisations de la mission que vous aviez conduite avec Mme Primas.
Pourquoi ne créons-nous pas un fonds spécifique, même si nous souhaitons faire en sorte que les victimes des produits phytopharmaceutiques puissent être mieux indemnisées, mieux traitées et qu’elles puissent faire valoir leurs intérêts ?
Votre proposition initiale a été modifiée pour la limiter aux seules personnes dont la maladie a été reconnue comme maladie professionnelle consécutive à l’exposition aux produits phytopharmaceutiques. Vous avez ainsi pris en considération l’une de nos préoccupations – mais ce n’était pas la seule – dans votre amendement de repli n° 560 rectifié bis. Un tel dispositif pose cependant un problème d’équité, parce qu’il ne concerne que les victimes des produits phytopharmaceutiques. Par conséquent, les personnes victimes de maladies professionnelles liées à d’autres causes seraient indemnisées de manière moins favorable. En outre, certaines de ces maladies peuvent être causées par l’exposition à d’autres risques chimiques que des produits phytopharmaceutiques.
Un tel dispositif, qui viserait à la réparation intégrale, exonérerait également les industriels de leurs responsabilités, ce qui ne doit pas être le cas. Cette indemnisation serait opérée sans détermination préalable de responsabilité, et les industriels bénéficieraient, de fait, d’une décharge de responsabilité individuelle contre une prise en charge mutualisée du risque, sachant que les contributions qu’ils peuvent apporter concourent au fonctionnement de l’ANSES, mais pas à la réparation des préjudices.
Je rappelle que des actions de prévention des utilisateurs, mais aussi un réel engagement en faveur d’une réduction des produits phytosanitaires iront dans le sens d’une meilleure reconnaissance et d’une meilleure traçabilité pour celles et ceux qui sont atteints par des maladies ou pathologies liées à l’utilisation ou à l’exposition à des produits phytosanitaires.
Avec Mme la ministre des solidarités et de la santé, nous allons engager un travail pour compléter le tableau des maladies professionnelles, car il est aujourd’hui absolument indispensable de le faire : un certain nombre de pathologies doivent être reconnues comme étant liées à l’exposition à des produits phytosanitaires ; je pense, par exemple, aux lymphomes ou à la maladie de Parkinson.
Tel est le sens de l’action que nous menons. Nous n’employons peut-être pas tout à fait le même chemin que celui que vous préconisez au travers de votre amendement, mais soyez sûre que l’objectif reste parfaitement le même, à savoir déterminer et accompagner les victimes des produits phytopharmaceutiques. Nous continuerons à travailler en ce sens, et vous serez la bienvenue – c’est une invitation que je vous adresse – pour vous joindre à nous sur l’ensemble de ces sujets.
En conséquence, l’avis du Gouvernement est défavorable sur ces deux amendements.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy, pour explication de vote.
Mme Nicole Bonnefoy. Faire évoluer le tableau des maladies professionnelles est une évidence quand on voit les difficultés que rencontrent les malades dans leur parcours de reconnaissance de la maladie, y compris parfois pour une reconnaissance post-mortem. L’association Phyto-Victimes avec laquelle je travaille depuis des années sur ces sujets demande depuis longtemps l’évolution de ce tableau et l’adaptation du régime AT-MP. D’ailleurs, le rapport des différentes inspections que j’ai mentionné précédemment le relève. Pour autant, cela ne règle en rien la réparation, y compris la réparation intégrale du préjudice.
La reconnaissance de la maladie est une chose, mais, après le parcours du combattant que vous avez évoqué, monsieur le ministre, les malades ne perçoivent qu’une indemnisation forfaitaire. Or nous demandons une indemnisation intégrale du préjudice, que le fonds proposé prendrait en charge. Les inspecteurs de l’IGAS et de l’IGF le relèvent, le fonds a une pertinence, et il s’avérerait tout à fait utile. Vous affirmez qu’il va déresponsabiliser les firmes, mais pas du tout ! Au contraire, celles-ci participeront au fonds par le biais de la taxe sur les autorisations de mise sur le marché : il s’agit du principe pollueur-payeur.
Je ne peux pas entendre ce que vous dites. Nous avons travaillé à la création de ce fonds d’indemnisation avec les juristes de l’association Phyto-Victimes, ceux-là mêmes qui ont construit le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante. Vous arguez que le fait de n’indemniser que ces travailleurs conduira à une rupture d’égalité avec les autres malades. Mais que n’a-t-on fait quand on a créé un fonds pour indemniser les victimes de la Dépakine, de l’amiante, etc. ?
Ce fonds a une pertinence, sa création doit être votée. Aussi, j’appelle tous mes camarades… tous mes collègues, voulais-je dire – mes collègues sont des camarades ! (Sourires.) –, à voter en sa faveur.
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Je vais être bonne camarade, chère Nicole Bonnefoy ; nous avons travaillé ensemble durant plusieurs mois sur ces sujets.
Monsieur le ministre, nous ne nions pas tous les efforts réalisés depuis plusieurs années pour assurer une meilleure reconnaissance de ces maladies professionnelles et pour aller dans le sens de la simplification. Simplement, je n’entends pas, à l’instar de Nicole Bonnefoy, votre argument selon lequel cette mesure serait de nature à opérer une distinction entre les agriculteurs qui souffriraient d’autres maladies et ceux qui seraient victimes des produits phytosanitaires. Nicole Bonnefoy a évoqué le cas de l’amiante : des travailleurs ont été exposés à l’amiante et d’autres ont aussi été exposés à d’autres molécules ou d’autres produits – on a évoqué les goudrons –, et le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante existe bien.
Je ne pense pas non plus que nous allons décharger les firmes de leurs responsabilités, ces fameuses firmes dont parle souvent notre collègue. Au contraire, c’est un gage de responsabilisation : ce fonds indemnisera en totalité les préjudices subis par les agriculteurs. Ce sera une manière d’engager leur responsabilité.
Voter cette proposition au travers de l’amendement de repli de Nicole Bonnefoy, lequel est somme toute assez raisonnable, honorerait la Haute Assemblée. Ce serait reconnaître là le travail que nous avons engagé, vous comme nous, ainsi que les différents gouvernements qui se sont succédé, depuis des années : mettons nos propres agriculteurs à l’abri d’un certain nombre de maladies qui, nous le savons aujourd’hui, sont directement liées à l’usage intensif, trop important et sans réserve de ces produits.
Pour ma part, et au nom de la commission, je soutiendrai l’amendement n° 560 rectifié bis. (Applaudissements sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Pierre Médevielle, rapporteur pour avis. Saisie pour avis, notre commission n’a pas examiné cet amendement, mais je souligne que, à titre personnel, j’y suis favorable.
Il faut bien sûr agir prioritairement à la source du problème dans une logique préventive, en réduisant l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et l’exposition à ces produits à la fois pour leurs utilisateurs et la population ; nous en avons déjà parlé précédemment lors de l’examen d’amendements, et nous en reparlerons dans un instant.
Il faut également agir sur le volet curatif, en améliorant les conditions de prise en charge de celles et de ceux qui développent des pathologies liées à cette exposition. On ne peut l’ignorer, certains utilisateurs ont été exposés à ces produits pendant une dizaine d’années, à une époque où le risque sanitaire était moins bien identifié, il faut le reconnaître.
Lors d’une table ronde organisée par notre commission sur ce sujet, en janvier 2016, réunissant l’ensemble des parties prenantes, tous les acteurs convergeaient vers la nécessité d’assurer une meilleure indemnisation des victimes de ces produits, au premier rang desquels les agriculteurs.
Par ailleurs, nous connaissons les limites du tableau des maladies professionnelles, qui a certes connu des évolutions, mais qui ne répond pas pleinement à la diversité des difficultés rencontrées par les malades. Vous avez parlé de l’amiante. Que dire des pionniers qui utilisaient les premiers tracteurs et passaient des heures et des heures au milieu de poussières et ont développé des pathologies similaires à celles des mineurs ?
En créant un fonds dédié, cet amendement est de nature à nous permettre d’avancer sur ce sujet. Je salue l’initiative de notre collègue Nicole Bonnefoy, engagée sur ce sujet depuis de nombreuses années, et je remercie Mme la rapporteur de la commission des affaires économiques pour l’avis favorable donné à cet amendement de compromis.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Travert, ministre. Je ne veux pas laisser croire que le Gouvernement balaye d’un revers de main votre travail…
Mme Nicole Bonnefoy. Je n’ai pas dit ça !
M. Stéphane Travert, ministre. … et nie la nécessité de faire avancer les choses. Seulement, nous avons choisi un autre chemin.
Par ailleurs, on ne peut pas juxtaposer les exemples. Je viens d’un territoire où les associations de victimes de l’amiante sont très nombreuses,…
Mme Nathalie Goulet. Eh oui !
M. Stéphane Travert, ministre. … et nous savons le travail qu’elles mènent. Les maladies liées à l’amiante sont spécifiques dans la mesure où elles sont impactées par l’amiante, alors que, avec les produits phytosanitaires, le spectre est beaucoup plus large : comment apporter la preuve réelle que ce sont les produits phytosanitaires qui ont engendré la pathologie ? Voilà où est toute la difficulté. C’est pourquoi nous voulons compléter le tableau des maladies professionnelles.
Par ailleurs, la création d’un fonds pose aussi en quelque sorte un problème d’égalité auquel je suis sensible : cette question de principe mérite d’être prise en compte. Demain, une personne souffrant d’une maladie liée à une exposition à des produits phytosanitaires et reconnue comme étant atteinte d’une maladie professionnelle pourrait bénéficier d’une réparation intégrale, alors que les maladies liées aux produits phytosanitaires ne sont pas spécifiques. En clair, une même maladie peut être liée à une exposition à des produits phytosanitaires, mais aussi à l’exposition à d’autres produits. Certaines hémopathies peuvent être provoquées par des pesticides, mais aussi par le benzène auquel les agriculteurs peuvent être aussi exposés. Un agriculteur souffrant d’une hémopathie liée à une exposition aux pesticides pourrait bénéficier d’une réparation intégrale, contrairement à celui qui souffre de la même affection provoquée par une exposition à un autre produit comme le benzène. Cela pose un problème d’égalité.
Dans ces conditions, il nous semble important de pouvoir travailler sur les améliorations à apporter au dispositif relatif aux accidents du travail et aux maladies professionnelles – la marge de manœuvre est très large –, afin que toutes les victimes puissent en bénéficier, qu’elles soient accidentées ou qu’elles souffrent d’une maladie reconnue d’origine professionnelle. La première des choses est de prendre en compte l’évolution des connaissances en vue de faire évoluer le tableau des maladies professionnelles. C’est la voie que nous avons choisie pour agir.