M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour explication de vote.
M. Joël Labbé. Monsieur le ministre, pardonnez-moi, mais vous parlez de cette question très tranquillement. Je vais aussi essayer de rester calme.
M. Joël Labbé. Je ne vous demande pas de vous énerver, mais je vais vous dire une chose.
M. Joël Labbé. On a évoqué la question de l’amiante et de son impact sur la santé humaine. Aujourd’hui, l’amiante est interdit, alors que l’on continue de mettre sur le marché les pesticides appelés CMR, cancérigènes, mutagènes, toxiques pour la reproduction ! Je ne vous accuse pas, monsieur le ministre, mais je fais ce constat, et j’essaie de parler en restant calme.
Votre prédécesseur Stéphane Le Foll déclarait en 2015 – cette déclaration faisait la une de Libération – :…
M. Joël Labbé. … les produits phytosanitaires sont une véritable bombe à retardement. On est en plein dedans ; on commence à en voir les effets.
C’est pourquoi je me rangerai également derrière l’amendement de repli de Nicole Bonnefoy, même s’il ne me satisfait pas : il faut un amendement beaucoup plus dur. En effet, on demande un lien direct pour les professionnels. Mais que va-t-on faire pour les non-professionnels qui sont victimes de l’exposition à ces produits ?
À cet égard, je prendrai deux exemples : la question des malformations génitales des nourrissons – les conséquences ont lieu avant même la naissance – est scientifiquement avérée. Sophie Primas et Nicole Bonnefoy doivent s’en souvenir, lors de nos auditions, un chirurgien pédiatre de Lille nous a confié qu’il existe tellement de cas qu’il s’est spécialisé dans ce domaine. J’évoquerai aussi les perturbateurs endocriniens : des gamines de neuf ou dix ans sont victimes – je dis bien : victimes, parce que c’est le cas – d’une puberté précoce. Un grand-père m’a appelé il n’y a pas si longtemps pour me confier son désespoir : résidant dans une zone géographique qui subit des traitements, le médecin lui a affirmé qu’il existait un lien direct de cause à effet.
Vous avez parlé, monsieur le ministre, des lymphomes, qui seraient éventuellement liés aux pesticides, ou de la maladie de Parkinson. La maladie de Parkinson y est directement liée ; elle est maintenant reconnue maladie professionnelle. (M. le ministre opine.) Cela se comprend, puisqu’on utilise des neurotoxiques. Les néonicotinoïdes sont neurotoxiques ; on parlera ultérieurement de l’extension de la définition des néonicotinoïdes. C’est pour cette raison que je vous parlais de responsabilité.
M. le président. Il faut conclure, cher collègue !
M. Joël Labbé. Je le dis tranquillement, je ne veux pas accuser qui que ce soit, mais notre responsabilité est grande. Et je ne vous parle pas de celle des firmes : c’est de l’empoisonnement généralisé !
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. J’ai écouté avec beaucoup d’attention tous mes collègues et ce que vous avez dit, monsieur le ministre, notamment à propos de l’amiante. Nous avons en partage la zone de Condé-Caligny, que nous connaissons bien et qui compte un nombre élevé de maladies et de décès lié au poison qu’est l’amiante. Joël Labbé a raison, l’amiante est aujourd’hui interdit.
Je comprends très bien votre argumentation, mais je suis un peu ennuyée : vous nous proposez d’attendre, alors que nous sommes face à des problèmes totalement humains et que nous sommes dans une course contre la montre pour faire reconnaître la maladie en vue d’indemniser et de soigner ceux qui en souffrent. Certes, la rédaction de l’amendement pourrait être améliorée, mais, comme tous les textes sont examinés dans l’urgence, on n’a absolument aucun moyen d’améliorer les dispositifs proposés. La navette aurait été une procédure adaptée pour un texte aussi important ! Vous n’y êtes pas pour grand-chose non plus, car cette méthodologie est appliquée depuis déjà très longtemps : on n’a plus qu’une seule lecture. Des textes importants pourraient être améliorés par l’Assemblée nationale et le Sénat, mais cela n’est pas possible pour cause de navettes avortées, si je puis dire.
Je comprends très bien ce que vous dites, et je partage votre méthodologie, mais il est aussi de notre devoir d’envoyer un signal fort ; je comprends aussi tout à fait la position de la présidente de la commission des affaires économiques, de la rapporteur et du rapporteur pour avis. Il appartiendra ensuite au Gouvernement et aux associations de mettre en place le dispositif le plus vite possible pour répondre aux besoins.
Il ne s’agit pas là de régler un problème administratif ; on pourra toujours améliorer le dispositif ultérieurement. Mais, reconnaissez-le avec moi, monsieur le ministre, quand nous avons dû faire face à tous les problèmes qui se sont posés à Caligny et à Condé, il y a des urgences. Songez que des personnes qui travaillaient chez Moulinex ne sont toujours pas indemnisées pour des problèmes liés à l’amiante, parce que les dispositifs applicables n’ont toujours pas été étendus, alors que l’usine est fermée depuis vingt ans ! Il y a quand même là un problème. C’est à ce type de problème que nous voulons répondre, même si le dispositif proposé n’est pas parfait.
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, pour explication de vote.
M. Didier Guillaume. Ce sujet est, me semble-t-il, très important, et il faut en débattre tranquillement, avec calme. Je veux remercier la présidente de la commission et le rapporteur pour avis de leurs propos.
Monsieur le ministre, il me semble, avec tout le respect que j’ai pour vous, que vous apportez à une question politique et sociétale portée par nos concitoyens une réponse administrative et technocratique. Considérant le débat que nous avons à l’instant, le Sénat semble s’orienter vers un vote très majoritaire. Aussi, parfois, le Gouvernement doit écouter le Parlement. En l’occurrence, ici, il faut envoyer des signaux : des signaux positifs et négatifs sont donnés dans cette loi. Alors, envoyons ce signal positif à nos concitoyens, qui, unanimement, le percevraient comme tel : lorsqu’une personne souffre d’une maladie liée aux produits phytosanitaires, elle doit être indemnisée.
On le sait très bien, le véritable danger réside aujourd’hui, comme cela a déjà été évoqué à plusieurs reprises, dans l’exposition à de faibles doses dans la durée ou à ces substances mélangées à d’autres produits. D’ailleurs, je vous engage, monsieur le ministre, à visiter le pôle européen de toxicologie environnementale et d’écotoxicologie construit à Valence, dans la Drôme, l’un des deux seuls en Europe qui travaille sur ce sujet.
Nous voterons l’amendement n° 560 rectifié bis : il n’est peut-être pas parfait, mais il va envoyer un signal, celui de dire aux Françaises et aux Français, aux agriculteurs et aux agricultrices que le Sénat les comprend et qu’ils pourront être indemnisés. Ce signal, vous pourriez, si ce n’est le soutenir, du moins l’accompagner, car il comptera dans le champ des orientations globales prévues dans votre projet de loi.
M. le président. La parole est à M. Alain Houpert, pour explication de vote.
M. Alain Houpert. L’amiante est un grand scandale, connu depuis plus d’un siècle, et notre société a accusé du retard dans la prise en compte de ce problème. Il existe un fossé entre ces scandales du temps passé, d’un temps ancien, et le principe de précaution.
On a parlé d’une relation de cause à effet, mais, en médecine, il n’y a pas de relation de cause à effet : une maladie est souvent due à plusieurs effets. Actuellement, une polémique agite un peu l’opinion sur les perturbateurs endocriniens et, quelquefois, on aboutit un peu à la théorie du complot.
Il serait souhaitable de se remettre en question, comme l’a dit mon collègue Didier Guillaume, en légiférant ou en traitant les cas particuliers avec une plus grande empathie : il ne faut pas catégoriser les patients, comme cela a été fait pour l’amiante et comme on va le faire avec les perturbateurs endocriniens. Soyons beaucoup plus dans l’empathie !
Mme Nicole Bonnefoy. Je retire l’amendement n° 559 rectifié bis, monsieur le président !
M. Stéphane Travert, ministre. Monsieur le sénateur Labbé, je ne peux pas vous laisser dire que nous devisons tranquillement, comme si nous parlions de sujets tout à fait basiques de la vie de tous les jours. Ne sous-estimez pas ou ne mésestimez pas l’importance que nous accordons à la question des victimes des produits phytosanitaires ou à celle des victimes de l’amiante. Point n’est besoin de sauter de son fauteuil pour évoquer de tels sujets ! Nous devons les aborder tranquillement, dans le respect des uns et des autres et surtout, d’ailleurs – nous leur devons ! –, dans le respect de celles et de ceux qui sont aujourd’hui malades et qui cherchent des solutions pour s’en sortir.
J’entends bien la réaction de chacun d’entre vous : répondre par la négative à la création d’un fonds pourrait être mal interprété. Mais nous n’avons pas pour objectif de ne pas vouloir créer un fonds.
Mme Nicole Bonnefoy. Si !
M. Stéphane Travert, ministre. Comme cela a été souligné précédemment, vingt ou vingt-cinq ans après la fermeture de l’usine, un certain nombre de salariés de Moulinex ne sont toujours pas indemnisés, parce que la création d’un fonds demande des années et des années.
Je n’apporte pas ici de réponse administrative ni technocratique, j’essaie d’apporter une réponse pragmatique : comment faire pour aller plus vite, pour mieux protéger et mieux encadrer les malades au travers du tableau des maladies professionnelles. C’est cette méthode que je préconise, et elle de nature à nous permettre d’être demain plus réactifs pour indemniser celles et ceux qui souffrent de pathologies particulières. J’entends bien que nous puissions avoir un désaccord sur ce point, mais nous estimons que cette méthode peut être plus rapide pour traiter certains cas d’indemnisation des professionnels agricoles, notamment. L’amiante fait partie de cas spécifiques, je le répète, dans la mesure où l’on connaît précisément la nature de l’exposition ainsi que les dangers du produit.
C’est la raison pour laquelle j’incline à agir en ce sens. Je ne veux pas laisser dire que nous ne souhaitons pas avancer ni faire quoi que ce soit. C’est une autre voie que nous choisissons. D’ailleurs, je recevrai au ministère à la fin de cette semaine les associations, y compris le président de l’association visée dans les semaines à venir, parce que nous devons travailler ensemble. À ce propos, je réitère mon invitation : les parlementaires intéressés pour travailler sur ces sujets sont les bienvenus.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 560 rectifié bis.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste et républicain.
Je rappelle que l’avis de la commission est favorable et que celui du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 181 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 323 |
Pour l’adoption | 323 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements.)
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 14 quinquies.
Article 14 sexies
Par dérogation au premier alinéa du I de l’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime, une expérimentation de l’utilisation des aéronefs circulant sans personne à bord et opérés par un télépilote pour la pulvérisation aérienne de produits phytopharmaceutiques est menée, pour une période maximale de trois ans à compter de la publication de l’arrêté prévu au dernier alinéa du présent article, sur des surfaces agricoles présentant une pente supérieure ou égale à 30 %. Cette expérimentation, qui fait l’objet d’une évaluation par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, vise à déterminer les bénéfices liés à l’utilisation de drones pour limiter les risques d’accidents du travail et pour l’application de produits phytopharmaceutiques en matière de réduction des risques pour la santé et l’environnement.
Les conditions et modalités de cette expérimentation sont définies par arrêté conjoint des ministres chargés de l’environnement, de l’agriculture et de la santé, de manière à garantir l’absence de risque inacceptable pour la santé et l’environnement.
M. le président. La parole est à M. François Patriat, sur l’article.
M. François Patriat. Songez au territoire de Condrieu, ce patrimoine extraordinaire qui ne se situe pas en Bourgogne, malheureusement…
M. Didier Guillaume. Mais dans la vallée du Rhône !
M. François Patriat. Vous connaissez donc, cher ami Didier Guillaume et chers collègues de ce territoire, les difficultés de traitement sur ces terres merveilleuses, mais d’accès ô combien difficile.
Aujourd’hui, on dispose d’appareils tels que les aéronefs ou les drones, qui permettent de procéder au traitement de cultures en pente pour lesquelles les traitements traditionnels diffusés « à la main » ont tendance à exposer fortement les professionnels aux pesticides et, surtout, à déverser parfois trop de pesticides sur les pentes à accès difficile. Dans de telles configurations, on peut considérer que le traitement est parfois intensif, avec des produits agressifs et en surdosage. Une pulvérisation aérienne précise par drone permettrait l’utilisation à moindre dose de ces produits de traitement. L’utilisation d’appareils volant très bas évite la dispersion du produit à laquelle donnait lieu l’épandage par hélicoptère. Elle renforce la sécurité des travailleurs.
L’article 14 sexies n’ouvre pas la porte à un nouvel épandage aérien démesuré et généralisé. Il s’agit d’une expérimentation, encadrée dans le temps, sur des surfaces en particulier, avec des pentes supérieures à 30 %, et qui fera l’objet d’une évaluation de l’ANSES. Pour toutes ces raisons, notre groupe souhaite le maintien de cet article dans sa rédaction actuelle.
Je profite de cette occasion pour préciser que les drones ne sont pas uniquement utilisés pour l’épandage ; ils permettent également aux agriculteurs d’étudier l’évolution des cultures : ces derniers se servent des images de leurs champs pour optimiser l’usage des traitements et gérer au mieux les apports hydriques. Quand on possède un drone, encore faut-il pouvoir l’utiliser. Or la réglementation en vigueur me paraît complexe et contraignante, peu adaptée à l’usage que peuvent en faire les agriculteurs. C’est pourquoi j’encourage le Gouvernement à mener une réflexion sur la réglementation encadrant l’usage des drones, notamment pour nos agriculteurs.
Dans ces conditions, nous nous opposerons aux amendements identiques visant à la suppression de cet article.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 201 rectifié est présenté par Mme Cukierman, M. Gontard, Mme Benbassa et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 474 rectifié est présenté par MM. Labbé, Arnell et Artano, Mme M. Carrère, MM. Castelli, Corbisez, Gold et Guérini, Mme Laborde et MM. Léonhardt, Menonville, Requier et Vall.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Fabien Gay, pour présenter l’amendement n° 201 rectifié.
M. Fabien Gay. L’article 14 sexies va complètement à l’encontre de la philosophie de ce texte. En effet, au milieu d’une série d’articles visant à restreindre l’usage des intrants chimiques en agriculture, il autorise l’expérimentation d’épandage par drone. Il paraît que cela permettrait un épandage plus précis et moins dispendieux. Le bon sens paysan nous invite plutôt à penser que le moindre coup de vent capricieux viendra répandre les produits à côté de leur cible, abîmant un peu plus la biodiversité. C’est pour cette raison évidente que l’épandage aérien est interdit et qu’il doit le rester. N’ouvrons surtout pas la boîte de Pandore dans ce texte !
De surcroît, cette disposition ouvre la possibilité d’épandre des pesticides dans des zones jusque-là inaccessibles aux machines et aux pulvérisateurs. Nous pensons, notamment, aux cultures de moyenne montagne, que mon collègue Guillaume Gontard, qui siège à mes côtés, connaît bien. Ces terres jusqu’à présent préservées de pesticides seront désormais à la portée des intrants chimiques ; nous ne pouvons pas y voir un progrès.
Enfin, la mécanisation incessante de l’agriculture constitue une fuite avant, qui oblige les agriculteurs à s’endetter toujours davantage pour « moderniser » leur exploitation. Cela diminue d’autant plus leurs marges financières et les place dans une situation de dépendance à l’égard de l’industrie. Tout cela les maintient dans un cercle vicieux dont ils ne peuvent plus sortir.
N’aggravons donc pas les choses avec une nouvelle invention hors de prix, qui n’améliorera pas la situation des agriculteurs, mais aggravera encore peu plus la dégradation de nos sols.
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour présenter l’amendement n° 474 rectifié.
M. Joël Labbé. En avant-propos, je dirai simplement que ce qui est mauvais, nocif, doit être interdit.
L’épandage de pesticides par voie aérienne pose des problèmes de santé publique et d’environnement du fait de la dérive au vent des produits pulvérisés. Il s’agit d’une pratique inadaptée au contexte agricole français en raison du parcellaire et de la densité des cours d’eau et des habitations.
Les épandages aériens sont aujourd’hui interdits pour ces raisons. Il convient de rester sur cette position et d’éviter par cette expérimentation de rouvrir la porte aux épandages aériens.
Il est certes proposé ici une simple expérimentation, mais ne mettons pas un pied dans la porte, qui est une porte de sortie. Nous devons, plutôt que revenir en arrière, promouvoir les alternatives qui existent.
Par ailleurs, la législation actuelle et celle qui est proposée ne permettent pas d’assurer un contrôle efficace de l’usage des drones et, donc, une protection de la santé des riverains. Par conséquent, l’amendement vise à supprimer cette possibilité d’expérimentation.
Pourquoi vouloir faire des drones le futur de l’agriculture ? J’ai lu voilà peu de temps dans la presse que les super-fabricants de drones avaient réussi à imaginer des micro-drones à même de remplacer les abeilles pour assurer la pollinisation. C’est ce qu’on appelle l’« agriculture intelligente ». Si c’est ça l’intelligence, bonjour !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteur. Il s’agit non pas, avec cet article, de micro-drones, mais d’une dérogation à l’interdiction de l’épandage aérien, qui se justifie avant tout, mes chers collègues, par la dangerosité pour les agriculteurs qui pulvérisent manuellement sur des surfaces présentant des pentes supérieures à 30 %.
Compte tenu de cette réalité et des accidents qui mettent en danger la vie des agriculteurs, et grâce à une technologie qui permet aujourd’hui cette expérimentation, celle-ci se justifie pleinement. L’avis est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Travert, ministre. Attention, monsieur le sénateur Gay, aux termes employés ! Il ne s’agit pas ici de réintroduire l’épandage aérien tel que nous pouvions le connaître lorsque nous étions adolescents, c’est-à-dire celui réalisé par des hélicoptères aux bras articulés en banderilles sur quatorze mètres !
M. Didier Guillaume. La Chevauchée des Walkyries ! (Sourires.)
M. Stéphane Travert, ministre. Les choses ne se passent plus ainsi aujourd’hui, puisque l’épandage aérien a été interdit. Ce que nous voulons, c’est éviter que les salariés ne se mettent en danger. Il y a des cas, notamment lorsqu’il faut traiter des vignes plantées sur des pentes à 35 %, dans lesquels des accidents se produisent, car les véhicules utilisés à cet effet se retournent. Mais si l’on n’utilise pas de véhicule et qu’il faut monter à pied, le travail est très pénible.
Nous avons souhaité lancer une expérimentation d’épandage, non pas aérien, mais par drone. Il s’agit d’une agriculture de précision.
Vous vous souvenez, comme moi, de l’époque de l’épandage aérien : les bras articulés épandaient dans un périmètre très large. Avec un drone, vous avez la possibilité de déposer une goutte de produit sur le pied de vigne qui doit être traité. Cela permet non seulement de pratiquer une agriculture de précision, mais aussi de soulager les salariés de la viticulture de leurs tâches les plus pénibles, ce qui est aussi un élément important.
L’interdiction de la pulvérisation est problématique pour les cultures en forte pente, où, je le répète, il y a un risque élevé d’accidents et de chutes encouru par les opérateurs. Il faut éviter que ceux-ci surviennent. Le recours à l’épandage par drone permet, à la fois, la diminution des risques et la réduction de la dérive, grâce à des vols précis et de faible hauteur.
Nous avons souhaité faire une expérimentation dans des conditions précises, prévues par arrêté conjoint du ministre de l’agriculture et du ministre de la santé, puis faire évaluer les résultats par l’ANSES. Cela permettra d’établir si ce mode d’application peut apporter les bénéfices attendus dans les conditions requises pour la santé et l’environnement.
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, pour explication de vote.
M. Didier Guillaume. Je partage ce que vient de dire M. le ministre. Nous n’allons pas commencer à nous accuser de vouloir mettre des produits phytosanitaires partout, surtout après le vote qui vient d’intervenir. Pour ce qui me concerne, on ne peut pas m’accuser d’être défavorable à la transition vers l’agroécologie.
Cette expérimentation a pour cible des endroits très difficiles dans lesquels, si l’on ne traite pas, il peut y avoir un risque de récolte nulle et de prolifération de maladies. Je suis donc très favorable au maintien de l’article 14 sexies, et bien sûr défavorable à ces deux amendements identiques. Et comme l’ont très bien dit Mme la rapporteur et M. le ministre, il y a aussi dans ces zones difficiles un risque d’accidents !
Nous ne mettons pas le pied dans la porte, cher Joël Labbé. Nous devons être capables, en tant que parlementaires, de ne pas voir dans chaque mesure que l’on nous propose une arrière-pensée. Cet article prévoit tout simplement, dans des zones au relief très accidenté, potentiellement accidentogènes, la possibilité d’utiliser des drones. Cela permettra, comme vient de le dire M. le ministre, de traiter les cultures à la goutte près et d’obtenir une récolte.
Telle est la pierre que je voulais apporter à ce débat. Je voterai contre les amendements de suppression, car je pense qu’il est important, à titre d’expérimentation, de maintenir cet article.
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Il n’y a évidemment, avec cet article, aucune volonté de revenir sur l’interdiction des pulvérisations par voie aérienne. Nous avons écarté cette pratique il y a quelques années ; nous n’allons pas la rétablir.
Adopter ces amendements reviendrait à envoyer un message contradictoire. En effet, alors que notre volonté permanente tend vers la recherche d’innovations, en l’occurrence pour renforcer la sécurité des agriculteurs ou pour permettre des traitements extrêmement fins et ciblés, nous rejetterions les innovations qui arrivent.
Je vous invite donc, mes chers collègues, à rejeter ces amendements identiques.
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour explication de vote.
M. Daniel Gremillet. Je me réjouis de la position commune, que je soutiens, adoptée par Mme la rapporteur et M. le ministre.
Adopter ces amendements, ce serait tourner le dos à un progrès qui permettra de traiter les problèmes de manière très précise sur nos territoires. Je dirai à ceux qui ont pris l’initiative de proposer une expérimentation de l’épandage par drone que cela me fait penser aux progrès accomplis dans le domaine de la microchirurgie.
Je veux aussi dire aux auteurs des amendements, avec toute ma sympathie, que cette expérimentation permettra peut-être, demain, d’épandre de façon très ciblée des produits de biocontrôle. Cette expérimentation, limitée à des terrains difficiles d’accès et qui permettra de sauver des vies humaines, d’éviter des accidents, de préserver la biodiversité de ces territoires très précieux de notre pays, nous permettra peut-être demain d’avoir une vision encore plus ambitieuse de l’utilisation de ces nouvelles technologies et des services qu’elles peuvent rendre à l’homme.
Je voterai donc contre ces deux amendements de suppression.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.
M. Guillaume Gontard. Je suis, moi aussi, pour le progrès et l’innovation. Mais, en l’occurrence, j’ai l’impression que l’on fait marche arrière, dans la mesure où l’on avait interdit l’épandage par avion.
Pour ma part, je ne crois pas du tout à la théorie de la petite goutte de produit qui sera déposée bien comme il faut… Je pense au contraire que l’on pulvérisera, avec les drones comme on le faisait par avion, de la même manière les pollinisateurs. Comme le disait Joël Labbé, on ouvre la porte à quelque chose qui ne me semble pas aller dans le bon sens.
Nous examinerons ultérieurement des amendements relatifs aux distances par rapport aux habitations. Encore une fois, je ne suis pas certain qu’en autorisant cette méthode on aille dans la bonne direction.
L’innovation, on peut la trouver ailleurs, notamment dans l’agroécologie : un certain nombre de viticulteurs travaillent ainsi à moins traiter leurs vignes.
Mieux vaut rechercher l’innovation dans la diminution des traitements plutôt que dans ces drones censés déposer leur petite goutte là où il faut. Je n’y crois absolument pas !
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.
M. Fabien Gay. J’entends les arguments.
Pour ce qui concerne l’innovation technologique, nous sommes évidemment pour toujours plus de progrès. Par ailleurs, nous ne sommes jamais opposés aux expérimentations, quelles qu’elles soient, même si elles se traduisent parfois par du bon et parfois par du moins bon. Mais, en l’occurrence, je m’interroge sur l’aspect expérimental de la chose.
Nous sommes bien conscients que l’épandage par drone n’équivaut pas à l’épandage par avion que nous avons connu autrefois. Mais, comme Guillaume Gontard, j’ai du mal à croire qu’un drone pourra déposer une goutte de produit au bon endroit. Il faut aussi prendre en compte la problématique du vent.
Surtout, pourquoi mettre en place une expérimentation visant à traiter par pesticides, même si ce n’est qu’une goutte, alors qu’a lieu actuellement un débat de société, y compris dans cet hémicycle, en vue d’interdire les pesticides à une échéance qui n’est pas encore déterminée. Nous pensons, pour notre part, qu’il faut y parvenir le plus rapidement possible ; d’autres disent qu’il faut attendre un peu, notamment parce qu’on ne dispose pas aujourd’hui de toutes les techniques permettant d’y arriver.
Pourquoi ne pas consacrer l’argent à d’autres formes d’expérimentation ? Il y a là, honnêtement, une contradiction un peu folle ! J’ai l’impression que nous allons à rebours de l’histoire…
Enfin, j’entendais nos collègues dire qu’ils étaient les ardents défenseurs du pouvoir d’achat des agriculteurs et des agricultrices. Très bien ! Quant à moi, je me demande combien vaut ce type de drone, car je n’en ai aucune idée.
Monsieur le ministre, combien vaut un drone capable de déposer, au millimètre près, une goutte de pesticide sur une fleur ? Lorsque nous connaîtrons ce prix, nous pourrons avoir un débat. Si on me dit qu’un tel drone vaut quelques dizaines d’euros et que tous les agriculteurs et toutes les agricultrices pourront se le payer, alors je veux bien… Mais je n’ai pas l’impression que ce soit le cas. Dans le cadre d’autres fonctions que j’ai exercées, j’ai eu à connaître du prix des drones : à ce niveau de précision, on parle de milliers d’euros !
Je vois là deux contradictions majeures. Nous maintenons donc notre amendement.