Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Françoise Gatel. Madame la garde des sceaux, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nul n’a le monopole du cœur ou de l’indignation. Nul ici ne sous-estime la complexité du sujet, mais nul ici ne peut nier que chacun de nous porte comme un devoir, une conviction, une volonté la protection farouche de tous les mineurs.
Aussi, sur un tel sujet, il appartiendra à chacun, en son âme et conscience, mais avec raison et discernement, de se prononcer. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Madame la présidente, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, mes chers collègues, dimanche, vous l’avez rappelé, madame la ministre, la nation française a rendu hommage à Simone Veil, à ce qu’elle était, à son histoire, mais aussi à ce qu’elle a fait.
En 1975, une nouvelle étape pour les droits des femmes était franchie avec la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse. Ce fut un parcours long et chaotique, semé d’embûches, qui a ravivé les franges les plus conservatrices de la société et marqué le septennat de Valéry Giscard d’Estaing.
Si on se retourne un peu sur notre histoire récente, on constate que le mandat de chaque Président de la République a été marqué par des avancées pour les droits des femmes.
Le général de Gaulle a instauré le droit de vote des femmes en 1944 et légalisé la contraception avec la loi Neuwirth en 1967. Georges Pompidou a fait inscrire dans la loi le principe « à travail égal, salaire égal » en 1972. On doit à Valéry Giscard d’Estaing, je l’ai dit, la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse ; à François Mitterrand le remboursement de l’IVG par la sécurité sociale en 1982, l’ouverture du congé parental aux deux parents en 1984, la loi sur l’égalité professionnelle, la première femme Premier ministre et le premier ministère des femmes de plein droit ; à Lionel Jospin et à Jacques Chirac la loi sur la parité et la loi renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ; à Nicolas Sarkozy l’inscription du principe de parité dans la Constitution. Quant à François Hollande, il a permis l’adoption du mariage pour tous, et donc pour toutes. Enfin, en 2016, a été adoptée la loi de notre collègue Laurence Rossignol visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées, que je ne pouvais oublier.
Nous attendions donc avec intérêt de connaître l’ambition du président Macron, après que les affaires de Pontoise et de Melun, concernant des fillettes de onze ans et des hommes adultes, ont secoué l’opinion. Le 25 novembre dernier, à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, nous avons pris connaissance de ses priorités et appris que l’égalité entre les hommes et les femmes serait érigée en grande cause nationale du quinquennat.
Au final, votre projet de loi a déçu, vous le savez, madame la ministre. C’est une petite loi pour une grande cause, d’autant plus qu’il n’y en aura vraisemblablement pas d’autre, même si nous espérons le contraire. Nous relevons une contradiction aussi : le fameux « et en même temps » permet au Président de la République de soutenir ce texte tout en s’opposant à la directive européenne prévoyant un allongement du congé de paternité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Votre projet de loi avait une finalité essentielle : la lutte contre toutes les formes de violences sexuelles et sexistes. Il était attendu, à la suite de l’affaire Weinstein et des mouvements #BalanceTonPorc et #MeToo.
Rappelons quelques chiffres effroyables : en 2016, en France, 93 000 femmes auraient été victimes de viols et/ou de tentatives de viols. Au cours de sa vie, une femme sur sept et un homme sur vingt-cinq subira une violence sexuelle, 40 % avant l’âge de quinze ans pour les femmes, 60 % pour les hommes.
Ce texte contient néanmoins quelques apports, comme l’allongement du délai de prescription et la nouvelle incrimination d’outrage sexiste, mais ils ne suffisent pas à effacer les points contestables, et ils sont nombreux. Vous avez ainsi renoncé à instaurer un seuil d’âge minimum en dessous duquel toute relation sexuelle d’un mineur avec une personne majeure est interdite, pour des raisons que vous avez tenté d’expliquer tout à l’heure et sur lesquelles nous reviendrons évidemment au cours du débat, réduisant ainsi à néant tout dispositif qui aurait sans doute permis d’éviter les affaires de Pontoise et de Melun.
Pis, vous avez créé une circonstance aggravante en cas d’atteinte sexuelle avec acte de pénétration sexuelle sur mineur de quinze ans. Vous avez indiqué tout à l’heure y renoncer. Tant mieux, car il y avait un fort risque d’orienter des viols vers la correctionnalisation. La commission des lois l’a supprimée, vous la suivez, c’est heureux.
Aujourd’hui, madame la garde des sceaux, madame la secrétaire d’État, vous devez vous interroger : peut-on avoir raison contre tout le monde ? Chacun de nous peut d’ailleurs s’interroger, mais, en l’occurrence, c’est vous qui êtes en charge de ce texte. Comment pouvez-vous aujourd’hui refuser de criminaliser l’agression sexuelle avec pénétration sur mineur de treize ans alors que tout le monde vous alerte et vous demande de le faire ? Pourquoi rester sourdes à la demande de la délégation aux droits de femmes et de notre groupe de créer cette incrimination nouvelle ? Nous la défendrons dans le débat, car elle est très importante. C’est l’adulte qui est responsable, jamais l’enfant. Ce point ne souffre pas de discussion. De la même façon, nous combattrons la notion de maturité sexuelle suffisante, laquelle a été introduite de manière choquante par la commission des lois.
Le groupe socialiste et républicain sera, comme toujours, constructif. Nous présenterons une cinquantaine d’amendements et nous aborderons toutes les problématiques – la prévention, le cyberharcèlement, le cybersexisme.
Nous souhaitons, madame la garde des sceaux, madame la secrétaire d’État, que vous puissiez démontrer, comme Mme Schiappa l’a dit en ouverture de notre débat, que la réflexion collective est finalement toujours plus productive que la réflexion individuelle et nous espérons que vous ne serez pas sourdes aux propositions du Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Mme Nassimah Dindar applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Marc. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. Alain Marc. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, qu’elles concernent les mineurs ou les majeurs, qu’elles se déroulent sur internet ou dans la rue, toutes les violences sexuelles et sexistes doivent être dénoncées et combattues avec fermeté.
Pour cela, il apparaît nécessaire de mieux sensibiliser et éduquer l’ensemble de la société à cette problématique qui connaît un développement croissant. Aussi, nul ne saurait remettre en question, au sein de cet hémicycle, les objectifs poursuivis par ce projet de loi.
Sur un sujet complexe, on ne peut pas apporter une réponse hâtive. Il y va de la qualité de la loi. Je me félicite donc que la commission des lois de notre assemblée, dans sa sagesse, ait pris le temps de la réflexion avec la création d’un groupe de travail pluraliste sur les infractions sexuelles commises à l’encontre des mineurs.
Car il apparaît clairement que, si ce projet de loi contient des évolutions importantes du code pénal, son effectivité et sa clarté nécessitent en revanche des améliorations.
Ainsi, la commission des lois a notamment réparé des oublis majeurs du projet de loi en le complétant par des volets relatifs à la prévention des violences sexuelles et sexistes et à l’accompagnement des victimes, déjà prévus par le Sénat lors de l’adoption, au mois de mars 2018, de la proposition de loi d’orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d’infractions sexuelles.
Afin de faciliter les poursuites criminelles en matière de viol commis à l’encontre de mineurs, la commission des lois a choisi de protéger tous les mineurs, sans distinction d’âge, en inversant la charge de la preuve en matière de viol sur mineurs lorsque ceux-ci sont incapables de discernement ou en cas de différence d’âge significative entre l’auteur et la victime mineure.
La commission a également prévu de transformer la contravention d’outrage sexiste en un délit, puni d’une amende de 3 750 euros, et de mieux lutter contre le cyberharcèlement en conférant de nouvelles obligations aux plateformes et aux hébergeurs sur internet.
Madame la ministre, madame la secrétaire d’État, malgré la gravité du sujet, je conclurai par un petit clin d’œil, en appelant le ministre de l’éducation nationale, qui vient d’offrir Les Fables de La Fontaine à tous les élèves de CM2, à une explication de texte, notamment sur ces trois vers de La Laitière et le Pot au lait, après que Perrette a renversé son pot de lait :
« Sa fortune ainsi répandue,
Va s’excuser à son mari,
En grand danger d’être battue. »
Autres temps, autres mœurs… (Sourires.)
Madame la garde des sceaux, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe Les Indépendants votera en faveur de ce texte de loi, tel que modifié par la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, sur des travées du groupe socialiste et républicain, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Maryse Carrère.
Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteur, mes chers collègues, dans Totem et tabou, Freud présentait le tabou comme « le plus vieux code non écrit de l’humanité », destiné à préserver les personnes importantes ou, au contraire, vulnérables, telles que les enfants, par la transmission de règles morales implicites assimilées inconsciemment par les individus. Si l’inceste figure parmi ces interdits universels, force est de constater que la seule existence de ce tabou n’est pas suffisante pour empêcher la transgression de cet interdit.
Dans nos sociétés contemporaines, différentes lois pénales ont donc explicité ces interdits et ont progressivement protégé les mineurs des violences sexuelles dont ils peuvent être les victimes.
Les différentes auditions menées par notre groupe de travail, piloté par notre collègue Marie Mercier, ont permis de souligner la nécessité de parler de ces violences particulières et de l’importance de les faire sortir de la zone d’ombre où le tabou les maintient parfois. C’est pourquoi, de façon générale, nous nous félicitons de toutes les occasions données au législateur d’évoquer les violences sexuelles commises sur mineurs, dans l’espoir que les débats tenus dans cet hémicycle servent de caisse de résonance et participent à la prévention de ces actes, que nous appelons de tous nos vœux.
Je voudrais à ce titre rappeler, parmi les constats dressés par notre rapporteur, l’aspect éludé par ce projet de loi que sont les violences sexuelles exercées par des mineurs sur d’autres mineurs. Comme le montre une étude, à Paris, 44 % des mis en cause pour un viol commis sur un mineur sont également mineurs et, parmi eux, 42 % avaient entre dix et quatorze ans au moment des faits. Ces quelques données montrent, me semble-t-il, l’importance que nous devons porter à l’éducation préventive auprès des plus jeunes quant au respect du corps d’autrui, et la vigilance qui incombe aux adultes encadrant les mineurs au moment de la découverte de leur sexualité. Elles posent également la question de l’accompagnement des enfants coupables de telles violences sexuelles.
Madame la garde des sceaux, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les interventions des uns et des autres montrent qu’il n’y a pas aujourd’hui d’opposition à l’objectif fixé par le deuxième titre de ce projet de loi. Cela devrait augurer de débats apaisés. Les seuls désaccords qui persistent concernent en réalité les modalités pénales de cette protection et la latitude accordée aux juridictions dans cette tâche.
C’est pourquoi nous nous interrogeons sur la pertinence de l’intégration des deux premiers titres du projet de loi à un texte également consacré à la lutte contre les violences sexistes, s’inscrivant, lui, dans le cadre de la politique du Gouvernement de promotion de l’égalité entre les sexes. Certains aspects de la réforme de la justice, qui sera examinée à l’automne, auraient mérité d’être discutés avec la question du risque de correctionnalisation lié à la création d’un délit d’atteinte sexuelle avec acte de pénétration – je pense à la création des tribunaux criminels.
Sur l’allongement du délai de prescription de vingt à trente ans, je vous avais fait part de mon cheminement lors de l’examen de la proposition de loi, adoptée au Sénat le 27 mars dernier. Si cet allongement est acceptable dans une perspective protectrice à l’égard des victimes, en revanche, la transformation en une imprescriptibilité déséquilibrerait considérablement l’échelle des prescriptions, adossée à celle des peines.
Concernant le cœur du projet de loi et la question de la fixation d’un seuil d’âge en dessous duquel une pénétration sexuelle commise par un majeur sur un mineur devrait être systématiquement regardée comme un viol, mon groupe est particulièrement partagé.
La multiplication de seuils parallèles à celui déjà fixé par l’article 227-25 du code pénal relatif à l’atteinte sexuelle est de nature à créer des confusions.
Les exigences constitutionnelles et conventionnelles relatives à la présomption d’innocence ne facilitent pas la rédaction de cette disposition, en raison de l’impossibilité d’établir des présomptions en matière criminelle.
D’un autre côté, il y a les arguments tout à fait compréhensibles des victimes mineures de violences sexuelles qui considèrent qu’une interdiction absolue aurait permis de mieux les protéger.
Nous sommes donc majoritairement favorables à la rédaction équilibrée proposée par notre rapporteur, mais certains d’entre nous soutiendront la proposition d’établir un seuil à l’âge de treize ans. Il faut d’ailleurs souligner que ces deux dispositions ne sont pas contradictoires, mais complémentaires.
Toujours au titre Ier, notamment à l’article 2 bis C, nous soutiendrons les dispositions venant alourdir les peines en cas de non-assistance et de non-dénonciation des crimes et délits commis contre l’intégrité corporelle des mineurs de quinze ans, qui reprennent, là aussi, les travaux effectués par notre groupe de travail.
Enfin, nous tâcherons de nous inspirer de l’héritage discret, mais décisif, de Simone Veil au moment d’évoquer la lutte contre les violences sexistes.
S’inscrivant dans la même « maternité », ma collègue Françoise Laborde et les autres membres de la délégation aux droits des femmes ont formulé des propositions intéressantes visant à diversifier les outils de lutte contre les violences sexistes.
Nous soutenons, bien entendu, les dispositions venant condamner les raids numériques. En revanche, si certains d’entre nous sont favorables à l’élargissement de la définition du harcèlement sexuel proposé par l’Assemblée nationale, d’autres craignent qu’elle ne vienne créer la confusion avec le délit d’outrage sexiste proposé à l’article 4, le risque étant, comme l’a souligné le Défenseur des droits, que l’on vienne « contraventionnaliser » le harcèlement sexuel par l’ajout des comportements à connotation sexiste à la définition du harcèlement. Nous soutenons les améliorations introduites par notre rapporteur sur ce point.
Sur le nouvel outrage sexiste, si nous sommes en plein accord avec l’objectif de faire cesser ces comportements intolérables, nous sommes plus partagés sur les réponses à apporter à ces agissements. La réponse législative que nous apportons m’apparaît difficilement applicable, puisqu’elle repose en grande partie sur du flagrant délit.
Pour conclure, le groupe du RDSE, fidèle à sa tradition, votera selon ses sensibilités et selon le sort réservé à ses amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur des travées du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marta de Cidrac. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marta de Cidrac. Madame la présidente, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, madame la rapporteur, chère Marie, mes chers collègues, membre du bureau de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat, c’est avec espoir et attention que j’ai étudié puis amendé ce projet de loi dont on ne peut qu’approuver les intentions, puisqu’il vise à lutter contre certaines violences sexuelles et sexistes.
Je ne reviendrai pas longuement sur l’article 1er du projet de loi. Ses dispositions me paraissent adéquates et conformes aux attentes des victimes.
En effet, l’allongement du délai de prescription pour les infractions sexuelles commises sur les mineurs participe d’une véritable reconnaissance de la difficulté pour une victime de ces agressions de les admettre et de porter plainte. Allonger à trente ans la durée de la prescription en la rendant identique à celle qui s’applique, entre autres, aux crimes de guerre démontre aux victimes l’importance accordée à leur souffrance.
L’article 2, visant à renforcer la répression des infractions sexuelles commises à l’encontre des mineurs, qu’il s’agisse de viols ou d’agressions sexuelles, et tendant à élargir la surqualification pénale d’inceste, doit être examiné avec beaucoup d’attention et de délicatesse.
La proposition de la commission des lois visant à créer une présomption de contrainte en inversant la charge de la preuve en matière de viol sur mineurs mérite d’être examinée avec intérêt, car elle introduit la notion d’incapacité de discernement du mineur et la différence d’âge significative.
Cela laisse entendre également que c’est à la personne majeure de faire preuve de discernement. Cette disposition est primordiale et a toute mon approbation, car elle permet de protéger les victimes mineures, toutes les victimes mineures sans seuil d’âge.
En ce qui concerne la création d’une contravention pour outrage sexiste, je note que le texte lui accorde une véritable place dans notre code pénal, ce que le projet de loi initial ne s’était pas résolu à déterminer.
Peut-être les violences dont sont victimes les femmes et parfois les hommes dans la rue, les transports en commun, au travail, à la maison, cesseront-elles enfin d’être considérées comme anecdotiques. Il est important, ne serait-ce que d’un point de vue moral, de leur accorder une véritable considération.
Cette infraction permettra de faire prendre conscience aux auteurs de la gravité de l’agression dont ils se rendent coupables, et ce serait déjà un bon début. Pour que la dissuasion soit effective, je suis favorable à la transformation de la contravention en délit.
Cependant, je doute que la création de cette infraction soit réellement dissuasive ou que le paiement d’une amende et, éventuellement, l’accomplissement d’un stage soient suffisants pour empêcher la récidive.
Il me semble plutôt que, pour ce qui est des insultes, des sifflets, des moqueries, il est avant tout question d’éducation et de prévention.
Nous devons avoir à cœur de protéger les victimes d’agressions sexuelles ainsi que les victimes de sexisme, j’y suis particulièrement sensible et je sais que, dans cet hémicycle, nous le sommes tous.
Vous l’aurez compris, j’ai tout de même un certain nombre de réserves à émettre sur ce texte, et la première d’entre elles est son manque d’ambition sur un point essentiel. Un volet est totalement absent du projet de loi, madame la garde des sceaux, madame la secrétaire d’État : qu’en est-il de la lutte contre l’inégalité salariale entre les hommes et les femmes à compétences et à poste égaux ? Ne pensez-vous pas qu’il s’agit également là d’une violence sexiste à l’égard des femmes ?
Vous nous l’avez rappelé, madame la garde des sceaux, le président Emmanuel Macron déclarait, le 25 novembre dernier, à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, que l’égalité entre les femmes et les hommes serait la « grande cause du quinquennat ». J’avais formé à cet égard beaucoup d’espoirs.
Peut-être le Gouvernement compte-t-il agir en ce sens dans les prochains mois ? Nous l’espérons. Si tel est le cas, vous pourrez compter sur l’engagement et la détermination des sénatrices et des sénateurs de cet hémicycle pour répondre aux questions que soulève ce sujet majeur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Laurence Rossignol. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, madame la rapporteur, mes chers collègues, pendant les cinq minutes qui me sont imparties, je me concentrerai sur l’article 2 du projet de loi. L’examen des articles nous permettra de nous exprimer sur les autres aspects du projet de loi.
Il y a quelques mois, le grand public découvrait un angle mort dans la protection des enfants contre les violences sexuelles, un angle mort que les spécialistes connaissaient, je le précise, afin de lever les suspicions de ceux qui pensent que nous légiférons sous la pression des faits divers ou des médias. Cet angle mort se résume ainsi : en l’absence de violence, menace, contrainte ou surprise, la qualification de viol ne peut être retenue à l’occasion d’une relation sexuelle avec pénétration d’un majeur sur un enfant, et c’est la qualification d’atteinte sexuelle sur mineur qui est retenue. Cette qualification délictuelle est jugée en correctionnelle ; elle n’est pas criminelle et n’est donc pas jugée en cour d’assises.
Or je considère, et nous sommes nombreux à partager ce point de vue, qu’une relation sexuelle avec pénétration entre un majeur et un mineur doit être un crime et non un délit, qu’il est indispensable qu’un seuil d’âge, en l’occurrence treize ans, soit fixé et qu’il ne saurait être question ni de maturité sexuelle ni de discernement d’un enfant qui consentirait à un acte sexuel avec un adulte.
Lorsque nous parlerons de l’outrage sexiste, vous nous direz probablement, madame la ministre, que cette contravention a une vertu éducative et qu’elle pose un interdit clair et lisible. Si ce raisonnement, que je partage, est fondé pour l’outrage sexiste, il l’est, a fortiori, pour le crime de violences sexuelles sur enfant.
Depuis l’automne dernier, nous avons tous, à un moment ou à un autre, été d’accord, le Président de la République, les délégations aux droits des femmes du Sénat et de l’Assemblée nationale, vous-même, les experts, les professionnels, les associations, les magistrats, je pense particulièrement au procureur Molins, pour fixer un seuil dit de non-consentement et punir comme un viol une relation sexuelle entre mineur et majeur.
Or, où en sommes-nous aujourd’hui ? Cette volonté a été torpillée à la fois par le Conseil d’État et par la commission des lois de notre assemblée. Deux arguments ont tourné en boucle : l’inconstitutionnalité pour cause d’irréfragabilité d’une prétendue présomption et l’absence de l’intentionnalité de l’auteur.
L’argument de l’inconstitutionnalité n’est, à mon sens, pas sérieux. D’une part, la rédaction soumise au Conseil d’État n’est pas celle que nous vous proposons aujourd’hui. Nous nous étions fourvoyés sur la voie de l’extension du viol. Nous suivons aujourd’hui une tout autre logique. On ne pourra donc pas opposer l’avis du Conseil d’État à l’amendement que nous vous soumettons.
De surcroît, et je m’adresse plus particulièrement et respectueusement à vous, madame la garde des sceaux, le Conseil d’État n’est pas le clone du Conseil constitutionnel.
Mme Laurence Rossignol. La loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, dite loi HADOPI, ou encore la loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, dite loi Burka, pour ne donner que ces deux exemples, ont prouvé que le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel pouvaient diverger. Et je cite à cet égard Jean-Marc Sauvé qui soulignait, à l’occasion d’un colloque de droit constitutionnel : « Sous le ciel de la Constitution, plusieurs analyses […] peuvent donc coexister, même si, cela va de soi, le Conseil constitutionnel a le dernier mot. »
Les arbitrages rendus par le Gouvernement n’ont pas pris en compte la subtilité du droit constitutionnel et ont donné au Conseil d’État le premier et le dernier mot.
En ce qui concerne l’exigence d’une intention qui, comme le disait Aristote, fait la culpabilité et le délit, je ne vois pas en quoi la création d’un crime de violences sexuelles sur enfant y porterait atteinte. Il n’y a pas de pénétration involontaire, alors qu’il y a, en effet, des homicides involontaires. Je ne vois pas davantage comment un pénis peut se trouver involontairement dans l’anus, le vagin ou la bouche d’un enfant.
Mme Victoire Jasmin. Très bien !
Mme Laurence Rossignol. En revanche, j’ai bien identifié un argument qui revient chez ceux qui combattent ce crime de violences sexuelles : la crainte de traîner aux assises un auteur qui ne serait pas coupable, car il serait la victime d’une Lolita. À ce propos, j’ouvrirai une petite parenthèse : la jeune Lolita de Nabokov était bien une victime de violences sexuelles, et je m’étonne que l’on ne parle jamais des « Lolitos », madame Schiappa, alors que les petits garçons représentent un quart des victimes, d’après l’enquête Violences et rapports de genre, dite Virage, et qu’ils le sont majoritairement au cours de leur minorité.
En bref, alors qu’on devrait légiférer pour mieux protéger les enfants, on légifère en réalité dans le souci de protéger des auteurs de pénétrations sur enfants…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est inadmissible !
Mme Laurence Rossignol. … au motif qu’ils auraient « ignoré » qu’ils pénétraient un enfant.
Mes chers collègues, madame la garde des sceaux, madame la secrétaire d’État, dans cette affaire, le droit constitutionnel et les principes généraux du droit pénal sont dévoyés. Ils ne sont que les alibis de la résistance d’une minorité active de notre société à poursuivre devant les assises les prédateurs auteurs de violences sexuelles sur enfants.
J’ai noté que le Gouvernement n’a pas déposé d’amendement rétablissant les alinéas 14 et 15 de l’article 2. Vous avez même annoncé que vous retiriez cette infraction d’atteinte sexuelle avec pénétration, c’est bien. Dès lors, que reste-t-il de cet article ? Une aggravation des peines et des dispositions interprétatives. Tant mieux, mais nous sommes loin des ambitions annoncées.
Entre le dépôt du projet de loi, la lecture à l’Assemblée nationale et aujourd’hui, la société s’est mobilisée. Un sondage publié hier indique que, si nous allons plus loin, nous serons soutenus par les Français. C’est pourquoi, madame la garde des sceaux, madame la secrétaire d’État, je tente de vous convaincre d’émettre un avis favorable sur notre amendement créant un crime de violence sexuelle sur enfant, et vous invite, mes chers collègues, à l’adopter le moment venu. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, et sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Union Centriste.)