Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. J’ai bien écouté Mme la garde des sceaux et Mme la rapporteur, mais leurs explications me paraissent assez paradoxales.
Madame la garde des sceaux, vous indiquez que l’adoption de l’amendement n° 127 permettra d’interrompre la prescription en cas de nouvelle infraction. Encore faut-il qu’une enquête ait lieu. Vous l’avez fort bien dit, ce n’est qu’au moment de l’engagement des poursuites, voire de l’instruction que l’éventuelle prescription est appréciée, et non au moment de l’enquête policière. Reste qu’il faudra une enquête, sinon votre amendement n° 127 n’aura aucune portée et il ne sera pas possible de rouvrir la procédure pour des victimes anciennes.
Madame la rapporteur, on ne peut pas dire, d’un côté, que c’est un protocole utile, nécessaire aux victimes, à tel point qu’il figure dans le rapport que nous avons adopté à l’issue de vos travaux, et que certains parquets le suivent, et, de l’autre, affirmer que ce n’est pas le cas de la totalité d’entre eux et qu’il ne faut pas le prévoir dans un texte. Je ne vois pas du tout où est la logique.
Nous sommes plusieurs parlementaires à avoir déposé un amendement analogue. Je souhaiterais donc faire une suggestion à Mme la garde des sceaux : vous pourriez indiquer que vous vous apprêtez à prendre une circulaire pour signaler aux parquets qu’il convient de ne pas opposer une éventuelle prescription pour refuser d’ouvrir une enquête préliminaire. Dans ce cas, on pourrait considérer qu’il n’est pas nécessaire de l’inscrire dans la loi.
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Madame la sénatrice, je vous remercie de votre suggestion. C’est effectivement ce que j’ai proposé, peut-être d’une manière qui n’était pas suffisamment claire : lorsque je parlais d’un guide des bonnes pratiques, je pensais évidemment à une circulaire qui serait adressée aux procureurs et qui serait publiée. C’est un engagement que je prends devant vous.
Mme la présidente. Sous le bénéfice de ces explications, madame de la Gontrie, l’amendement n° 22 rectifié est-il maintenu ?
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Je remercie Mme la garde des sceaux d’avoir pris l’engagement qu’une circulaire serait publiée. Il faut en effet que les personnes concernées en aient connaissance. Dans ces conditions, je retire notre amendement.
Mme la présidente. L’amendement n° 22 rectifié est retiré.
Madame Billon, l’amendement n° 73 rectifié bis est-il maintenu ?
Mme Annick Billon. Compte tenu de l’engagement de Mme la garde des sceaux, je retire l’amendement.
Mme la présidente. L’amendement n° 73 rectifié bis est retiré.
Je me tourne vers les auteurs de l’amendement n° 85 rectifié. Que décidez-vous ?
Mme Françoise Laborde. Il est retiré, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 85 rectifié est retiré.
Madame Cohen, l’amendement n° 103 rectifié bis est-il maintenu ?
Mme Laurence Cohen. Non, je le retire également, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 103 rectifié bis est retiré.
Chapitre II
Dispositions relatives à la répression des infractions sexuelles sur les mineurs
Article 2
I. – Le chapitre II du titre II du livre II du code pénal est ainsi modifié :
1° L’article 222-22-1 est ainsi modifié :
a) (nouveau) La seconde phrase est ainsi rédigée : « La contrainte morale peut résulter de la différence d’âge existant entre une victime mineure et l’auteur des faits, de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime ou encore de ce que la victime mineure était âgée de moins de 15 ans et ne disposait pas de la maturité sexuelle suffisante. » ;
b) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque les faits sont commis sur la personne d’un mineur de quinze ans, la contrainte morale mentionnée au premier alinéa du présent article ou la surprise mentionnée au premier alinéa de l’article 222-22 peuvent être caractérisées par l’abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire. » ;
2° L’article 222-23 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, après le mot : « autrui », sont insérés les mots : « ou sur la personne de l’auteur » ;
b) (nouveau) Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« La contrainte est présumée lorsque l’acte de pénétration sexuelle est commis par un majeur sur la personne d’un mineur incapable de discernement ou lorsqu’il existe une différence d’âge significative entre la victime mineure et l’auteur des faits. » ;
3° et 4° (Supprimés)
5° Le paragraphe 3 de la section 3 est ainsi modifié :
a) À la fin de l’intitulé, les mots : « commis sur les mineurs » sont supprimés ;
b) L’article 222-31-1 est ainsi modifié :
– au premier alinéa, les mots : « sur la personne d’un mineur » sont supprimés ;
– au 3°, les mots : « le mineur » sont remplacés par les mots : « la victime ».
I bis. – L’article 227-25 du code pénal est ainsi rédigé :
« Art. 227-25. – Hors le cas de viol ou de toute autre agression sexuelle, le fait, par un majeur, d’exercer une atteinte sexuelle sur un mineur de quinze ans est puni de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 € d’amende. »
II et II bis. – (Supprimés)
III. – Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° L’article 351 est ainsi rédigé :
« Art. 351. – S’il résulte des débats que le fait comporte une qualification légale autre que celle donnée par la décision de mise en accusation, le président pose une ou plusieurs questions subsidiaires.
« Lorsque l’accusé majeur est mis en accusation du chef de viol aggravé par la minorité de quinze ans de la victime, le président pose la question subsidiaire de la qualification d’atteinte sexuelle sur la personne d’un mineur de quinze ans si l’existence de violences ou d’une contrainte, menace ou surprise a été contestée au cours des débats. » ;
2° (nouveau) Après l’article 351, il est inséré un article 351-1 ainsi rédigé :
« Art. 351-1. – Le président ne peut poser une ou plusieurs questions prévues aux articles 350 ou 351 que s’il en a préalablement informé les parties au cours des débats et au plus tard avant le réquisitoire, afin de permettre à l’accusé et à son avocat de faire valoir toutes les observations utiles à sa défense. »
Mme la présidente. La parole est à Mme Maryvonne Blondin, sur l’article.
Mme Maryvonne Blondin. En dépit d’un consensus indéniable sur la nécessité de protéger les enfants de toute forme de violence, notamment sexuelle, le présent article a suscité de nombreux et vifs débats. Poser un interdit clair et précis dans le droit en ce qui concerne les relations sexuelles entre un adulte et un enfant afin de mieux sanctionner les auteurs et de protéger davantage les victimes, telle était l’ambition initiale du texte.
Mes chers collègues – faut-il le rappeler ? –, notre pays a ratifié la convention internationale des droits de l’enfant de 1989, qui précise très clairement que les États doivent « protéger l’enfant contre toute forme de violence, […], y compris la violence sexuelle ». La France a également ratifié en 2010 la convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels, appelée « convention de Lanzarote », qui impose la criminalisation de tous les types d’infractions à caractère sexuel perpétrées contre des enfants et qui dispose que les États membres doivent adopter des dispositions législatives spécifiques et prendre des mesures en vue de prévenir la violence sexuelle. Tout cela est intégré aux objectifs du programme de développement durable à l’horizon 2030.
Je rappelle qu’un enfant sur cinq est victime de violences sexuelles. Dans 80 % des cas, l’auteur de l’infraction est une personne du cercle de confiance de la victime.
Au début de l’année, nous avons tous été heurtés par les décisions qui ont été prises lors des affaires de Pontoise et de Meaux, d’où la volonté d’élaborer cette loi.
Face à l’ampleur de ce phénomène, il relève de notre devoir de législateur de garantir dans la loi la protection pleine et entière des enfants. Toucher à un enfant est interdit, un point c’est tout ! Il me semble que le texte issu de l’Assemblée nationale ne répond pas pleinement à cet objectif premier. À nous de le modifier en vue d’y parvenir. (Mmes Martine Filleul et Michelle Meunier applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien, sur l’article.
Mme Dominique Vérien. L’article 2 du projet de loi est celui qui fait le plus débat.
Les récentes affaires judiciaires, évoquées par Maryvonne Blondin, les revendications des associations et représentants des victimes, le choix initial du Gouvernement témoignent de la nécessité d’une protection totale et absolue de nos enfants face aux violences sexuelles. C’est en ce sens, et après de nombreux travaux, que la délégation aux droits des femmes a décidé de proposer la création d’une nouvelle infraction : le crime de pénétration sexuelle sur mineur de moins de treize ans par un adulte.
Cette proposition est-elle inconstitutionnelle ? Les juristes et magistrats que nous avons consultés ont répondu non.
La nouvelle infraction proposée n’est pas irréfragable, puisque, comme pour le délit d’atteinte sexuelle, il n’y aurait pas d’automaticité de la culpabilité. En effet, l’accusé pourra toujours apporter la preuve qu’il ne connaissait pas l’âge de la victime.
En matière d’intentionnalité, maintenant, la démonstration est simple, car, comme l’a rappelé Laurence Rossignol, le simple fait d’introduire son pénis dans l’orifice d’un enfant est clairement une action volontaire et intentionnelle, comme l’a conclu la Chambre des Lords au Royaume-Uni en 2008. De plus, nos voisins anglais et danois ont inscrit des articles similaires dans leur législation depuis maintenant plus de dix ans, sans que jamais une violation des droits fondamentaux ait été soulevée.
Certains nous ont reproché la création d’une zone grise, entre treize et dix-huit ans. Au contraire ! Il s’agit d’une gradation dans la protection des mineurs : aggravation de la peine de viol pour les mineurs de moins de dix-huit ans, inversion de la charge de la preuve pour démontrer « violence, menace, contrainte ou surprise » avant quinze ans et interdiction totale en dessous de treize ans.
Je vous invite, mes chers collègues, à voter la proposition de la délégation aux droits des femmes, car elle permet une protection totale de nos enfants contre les prédateurs sexuels. Agissons aujourd’hui ensemble et laissons à la sagesse du Conseil constitutionnel le soin d’arbitrer entre les attentes de notre société et notre Constitution ! (Mmes Martine Filleul et Marie-Pierre Monier applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Meunier, sur l’article.
Mme Michelle Meunier. L’article 2, dont nous engageons la discussion, a pour objet de mieux sanctionner les viols commis à l’encontre des mineurs.
En quelques mois, nous sommes passés d’une grande attente, d’une réelle prise de conscience dans l’opinion, à une désillusion.
Les faits graves jugés à Pontoise et à Meaux ont ému. La société attendait de nous que nous puissions mieux protéger ses enfants de onze ans, de treize ans, mais aussi, soyons-en certaines et certains, ses enfants de quinze ans, contre les atrocités de certains adultes. Nos concitoyens attendaient que la loi rappelle fortement et clairement que la société protège ces enfants des prédateurs sexuels. Ils attendaient que ceux-ci ne puissent échapper à l’accusation de crime.
Madame la secrétaire d’État, vos annonces de l’automne ont donc été positivement perçues. Nous allions éliminer l’idée du consentement d’un enfant aux relations sexuelles avec un adulte. Nous allions renforcer la criminalisation de ces actes, ce qui répondait aux préoccupations des victimes et des associations militant dans ce domaine. Trop souvent, en effet, ces associations ont dénoncé les insidieux procédés à l’œuvre dans les méandres des commissariats et des tribunaux. De telles méthodes conduisaient parfois à la correctionnalisation de ces crimes, « pour gagner du temps, pour que la défense coûte moins cher, pour éviter l’aléa du jury… » Bref, pour de bien mauvaises raisons, en somme, les agresseurs arrivaient, eux, à échapper à la peine que les violences qu’ils avaient commises méritaient.
Aujourd’hui, j’ai le sentiment d’un rendez-vous manqué. Au gré de l’avis du Conseil d’État, vous avez contorsionné vos ambitions, pourtant claires : vous avez adapté la notion de consentement, tant et si bien qu’elle est devenue floue et qu’elle est désormais soumise à l’interprétation des juges. Nous sommes, selon moi, assez loin de la grande loi que vous revendiquez.
En matière de droits et de protection de l’enfant, il n’y a rien de plus efficace que la loi qui s’énonce aisément : « Personne n’a le droit de te faire du mal. Aucun adulte ne peut avoir une relation sexuelle avec toi, et, si tu te sens en danger, c’est le rôle de tous les adultes de te protéger. » C’est avec de telles dispositions que nous aurions pu engager un beau programme de sensibilisation, de pédagogie, avec les professionnels de l’enfance. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, sur l’article.
M. Jacques Bigot. Madame la garde des sceaux, madame la secrétaire d’État, Michelle Meunier vient de le rappeler : avec le Président de la République, vous nous avez annoncé, il y a quelques mois, une grande avancée juridique.
Madame la garde des sceaux, vous le savez, et on le mesure chaque fois qu’il en est question, il est toujours extrêmement compliqué et difficile de toucher au droit pénal.
Ce dont il faut se féliciter, dans ce débat, c’est que, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, nous visons tous le même but. Mais la question est de savoir comment on y parvient !
À mon sens, une erreur a été commise depuis le début – je n’en fais grief à personne –, celle de se situer dans l’article du code pénal relatif aux agressions sexuelles et au viol. Dès lors, sur l’ensemble des travées, on s’est demandé comment faire pour poser que, à l’égard d’un enfant, la contrainte est présumée.
Le Conseil d’État affirme que l’on ne peut pas adopter de telles dispositions. A-t-il raison, a-t-il tort ? Qu’importe ! Vous avez entrepris de trouver autre chose. Mais, en réalité, là est l’erreur de départ.
La seule réponse consiste à dire : nous en sommes tous convaincus, il existe, dans cette société, un interdit en vertu duquel un adulte ne peut pas avoir de relation sexuelle avec un enfant mineur d’un certain âge. Pour notre part, nous pensons que l’âge de treize ans est le bon. Nous vous proposons donc, avec d’autres, un amendement qui tend à ajouter un article dans le code pénal, pour instituer un nouveau crime : la violation de cette interdiction d’avoir des relations sexuelles avec un enfant. Ainsi, nous pourrons répondre à ce que le Président de la République a annoncé le 25 novembre 2017.
Madame la garde des sceaux, madame la secrétaire d’État, nous vous offrons l’occasion de donner satisfaction au Président de la République.
Monsieur le président de la commission, madame la rapporteur, il me semble que, au sein de la commission des lois, nous avons fait la même erreur, en « calant » notre rédaction sur celle du viol avec la notion de contrainte.
Pour ce qui concerne les atteintes sexuelles, que les procureurs poursuivent parfois en tant que délits, je vous rappelle qu’elles sont sans violence : ce n’est pas la même chose, mais c’est souvent cette notion qui est utilisée, afin d’éviter à la victime et à ses parents un débat relatif au consentement.
Mme Michelle Meunier. Voilà !
M. Jacques Bigot. Dans les cours d’assises, certains adultes, notamment des jurés, pensent encore qu’un enfant de dix ans peut avoir séduit et provoqué un adulte, qu’il peut avoir donné un consentement. Nous affirmons que ce n’est pas possible : l’adulte est responsable ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Annick Billon applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laure Darcos, sur l’article.
Mme Laure Darcos. L’article 2 du projet de loi suscite bien des interrogations de la part des professionnels de l’enfance, des familles et des professionnels de santé ; à juste titre d’ailleurs, car le fait qu’un viol puisse être requalifié en délit d’atteinte sexuelle, alors même qu’il y a eu pénétration sexuelle, a soulevé l’indignation de nombre d’entre nous.
Pouvons-nous envisager un seul instant qu’un mineur consente librement à des relations sexuelles avec un majeur, alors même qu’il n’a ni la maturité ni le discernement nécessaires pour accepter de tels actes ? Pouvons-nous faire comme si l’acte sexuel subi par un mineur était sans conséquence pour son équilibre psychique et physique ?
La délégation aux droits des femmes a souhaité fixer à treize ans l’âge en deçà duquel un enfant ne peut consentir à un acte sexuel. Elle a ainsi créé une présomption irréfragable de viol en cas de pénétration sexuelle sur un mineur.
En tant que vice-présidente de la délégation aux droits des femmes, j’ai cosigné, bien entendu, notre rapport conjoint, et je salue tous les travaux menés durant cette année sur ce sujet si grave, sous la houlette de la présidente de la délégation, Mme Annick Billon. Je pense notamment à certaines auditions, qui étaient presque insoutenables.
Cela étant, je me rallierai à la proposition de la commission. Je n’agis pas, comme me l’a dit l’une de mes collègues, par simple discipline de groupe – à mon âge, je pense être capable de prendre mes responsabilités, et j’aurais fait de même si le président et la rapporteur avaient appartenu à un autre groupe politique –, mais parce que la commission des lois a décidé, pour sa part, de protéger tous les mineurs, quel que soit leur âge, en inversant la charge de la preuve en matière de viol sur mineurs, lorsque ceux-ci sont incapables de discernement, ou en cas de différence d’âge significative entre l’auteur et la victime mineure.
Au-delà des débats de juristes, lesquels sont, bien entendu, nécessaires, je souhaite redire avec force qu’un enfant n’est pas un objet sexuel, que nous lui devons une protection absolue et que nous devons sanctionner avec une extrême fermeté ceux qui abusent de sa vulnérabilité, de sa fragilité et de sa crédulité. Ainsi, la France sera à la hauteur des enjeux de civilisation contenus dans la convention internationale des droits de l’enfant, que notre pays a ratifiée il y a presque trente ans jour pour jour et qui s’impose à nous comme une évidence. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, sur l’article.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Face à ces violences sexuelles insupportables, qui se développent dans nos pays depuis de nombreuses années, il est temps de faire preuve de clarté. On ne peut plus rester dans l’entre-deux sur de tels sujets. Il faut dire clairement qu’aucun enfant ne peut donner son consentement de façon éclairée à un acte sexuel ; il faut dire clairement qu’il est interdit, pour un adulte, de faire subir un acte sexuel, une pénétration à un enfant.
M. Bruno Sido. D’accord !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Une fois que l’on a dit cela, ce n’est pas la peine d’essayer de trouver des tortillages juridiques pour nous expliquer que l’on ne peut pas vraiment énoncer d’interdiction, mais qu’il faut tout de même tenir compte de tel ou tel critère. Non !
Si, au XXIe siècle, on n’est pas capable de donner, de manière totale, claire et nette, un contenu législatif à ces deux réalités, ne vous étonnez pas qu’il existe un doute profond sur ce qui fait société, sur ce qui fait sens dans nos Républiques et dans nos démocraties. (Marques d’approbation sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
Il s’agit là, non d’un phénomène gravitant autour d’autres crimes, mais d’un crime spécifique, qui renvoie à un interdit absolu.
Cela étant, est-ce qu’une personne soupçonnée de ce crime perdrait les moyens de se défendre ? On ne lui enlève aucun droit à cet égard ! D’ailleurs, sa seule défense sera d’expliquer, soit que ce n’était pas lui, soit qu’il avait des raisons objectives de croire que ce n’était pas un enfant. Mais, dès lors, il doit apporter des preuves claires et nettes qu’il pouvait réellement se tromper ! Ce n’est pas du tout la même logique.
On sait les désastres psychologiques subis par les garçons et les filles qui ont vécu de tels traumatismes ; on sait que ces traumatismes peuvent se reproduire et se transmettre. Si ces enfants éprouvent la moindre once de culpabilité ; si, faute d’un interdit absolu, on estime qu’ils ont été potentiellement consentants, au motif qu’ils n’ont pas manifesté leur désaccord, les troubles psychologiques seront durables, ils se transmettront de génération en génération, et ces personnes auront un mal fou à retrouver une place normale dans la société.
Si la Constitution française n’est pas capable d’apporter cette garantie, il est urgent de la modifier en ce sens. À mes yeux, c’est plus important que d’y introduire toute une série de mesures, relatives à la proportionnelle ou autres. (Mme Françoise Laborde applaudit.)
M. Bruno Sido. Nous sommes bien d’accord !
M. Yvon Collin. Très bien !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. J’en suis convaincue, le Conseil constitutionnel ne pourra pas dire autre chose que cela.
Nous devons voter ces dispositions. C’est un vote de civilisation, un vote historique. Il ne faut surtout pas commencer à se noyer dans des détails de seconde zone ; et, si ces détails existent, il est temps de les écarter ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Bruno Sido et Mme Dominique Vérien applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Je me permets de prendre la parole pour essayer de tirer quelques conclusions de notre débat sur ce point.
En écoutant les interventions qui se sont succédé, je constate que nous ne sommes d’accord ni sur les données de base ni sur la réalité du droit applicable. Or, si l’on veut légiférer, il faut au moins que l’on sache quelle situation nous voulons changer.
Premièrement, j’entends dire qu’il faut absolument interdire les relations sexuelles entre un adulte et un mineur. Mais cette interdiction figure déjà dans le code pénal.
Mme Esther Benbassa. En effet !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Tant mieux ! Cela étant, cette disposition prive de leur fondement beaucoup des interventions précédentes.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Et la qualification comme crime ?
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. De quelles sanctions est assortie cette interdiction ? Tout dépend de la nature de l’acte : si c’est un viol, c’est vingt ans d’emprisonnement ; si c’est une agression sexuelle, c’est dix ans ; si c’est une atteinte sexuelle, c’est cinq ans ; et des circonstances aggravantes peuvent augmenter un peu la peine.
Deuxièmement, j’entends dire qu’il ne faut pas que le consentement de la victime puisse servir à épargner la condamnation de l’agresseur.
Mes chers collègues, je vous rassure, notre code pénal ne prévoit pas que l’on prenne en considération le consentement de la victime. Vous ne le saviez peut-être pas : c’est pourtant le code pénal, tel qu’il s’applique dans notre pays, et ce, fort heureusement, non depuis un, deux ou trois ans, mais depuis des décennies !
Au moment de légiférer, il me semble important de savoir que l’on n’est pas en train de construire à partir de zéro, à partir de rien.
De plus, je me permets de vous rappeler que, lors de la dernière année pendant laquelle le décompte a été effectué, c’est-à-dire en 2016, on a dénombré 396 condamnations pour viol, par un adulte, sur mineur.
L’affaire de Pontoise et l’affaire de Melun ont causé beaucoup d’émotion. Moi aussi, j’ai été scandalisé, je dois vous le dire.
Or, à Pontoise, le tribunal correctionnel a pris la décision de ne pas statuer sur un délit, afin que, si les faits étaient constitués, la cour d’assises puisse se prononcer sur un viol. La justice a donc réparé elle-même ce que la presse avait interprété comme un dysfonctionnement. Pour ma part, je ne connais pas cette affaire. J’ai été ému, mais j’ai pris un tant soit peu de recul, et je me suis dit que, pour se prononcer, il fallait bien connaître tout le dossier judiciaire, ce qui n’était pas mon cas. En tout état de cause, j’observe que le tribunal a pris des mesures.
Quant à Melun, sitôt que la cour d’assises a rendu cette décision qui nous a laissés stupéfaits, le procureur a fait appel.
M. Yves Détraigne. Voilà !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. À présent, que doit-on faire ? Sur la base de ce que je viens de vous dire – je défie quiconque de démentir ces explications –, on se rend compte qu’il ne s’agit pas de refonder notre droit pénal, pour ce qui concerne les viols commis sur des mineurs par des adultes : il s’agit simplement de l’améliorer. Les fondations sont solides, elles sont justes. La justice fonctionne dans l’écrasante majorité des cas ; et, quand elle dysfonctionne, elle sait se corriger elle-même.
Gardons à l’esprit que nous ne sommes pas là pour nous faire plaisir. La présomption irréfragable nous permet peut-être de brandir l’expression d’une volonté politique forte d’empêcher la commission de tels actes, parce qu’ils sont abominables et odieux – pas un seul d’entre nous n’ira dire le contraire.
M. Bruno Sido. Bien sûr !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Toutefois, il faut rappeler qu’une Constitution, ce n’est pas n’importe quoi.
Je n’ai pas inventé l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, et je ne m’en prévaux pas. Mais, tout de même, le Conseil constitutionnel en a tiré des conclusions à plusieurs reprises, et encore récemment, dans sa décision du 16 septembre 2011. Cette dernière est on ne peut plus claire : elle rappelle que, « en vertu de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, » – texte que nous chérissons tous ici – « tout homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable ; »…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Ça ne change rien !