M. Gérard Poadja. Selon le rapport d’information de la commission des lois sur la protection des mineurs victimes d’infractions sexuelles, pour mieux accompagner les victimes, qui peuvent se retrouver démunies devant la complexité des procédures, des associations d’aide aux victimes devraient pouvoir les accompagner à tous les stades de la procédure.

Aujourd’hui, le mineur peut être accompagné de son représentant légal, mais celui-ci peut être concerné par les faits. De plus, le code de procédure pénale prévoit qu’il n’est possible de désigner un administrateur ad hoc que lorsque la protection des intérêts du mineur n’est pas complètement assurée par ses représentants légaux.

Le mineur doit donc recevoir l’aide d’une association entre le dépôt de plainte et l’aboutissement de la procédure.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie Mercier, rapporteur. Mon cher collègue, cet amendement, qui vise à prévoir l’accompagnement des victimes par une association conventionnée d’aide aux victimes, est excellent.

Nous sommes d’accord avec vous, et nous émettons un avis favorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je n’ai pas sur ce sujet le même avis que Mme la rapporteur. J’émets un avis défavorable, non pas sur le fond – cette mesure est tout à fait pertinente –, mais parce qu’il me semble qu’elle ne relève pas du niveau législatif. Il s’agit d’une pratique qu’il n’y a pas lieu d’inscrire dans la loi.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 70 rectifié bis.

(Lamendement est adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 71 rectifié, présenté par MM. Poadja, Détraigne et Canevet et Mmes Goy-Chavent, Guidez, Tetuanui, de la Provôté et Vullien, est ainsi libellé :

Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :

… Avant le dernier alinéa de l’article 706-53-2, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Par dérogation au précédent alinéa, lorsque la décision concerne les délits prévus aux 4° et 13° de l’article 706-47 précité, celle-ci est inscrite automatiquement, quelle que soit sa durée. »

La parole est à M. Gérard Poadja.

M. Gérard Poadja. Cet amendement vise à systématiser l’inscription au fichier judiciaire automatisé des auteurs d’atteinte sexuelle et d’agression sexuelle. Ce fichier de sûreté contient les identités et les adresses des auteurs d’infractions sexuelles sur mineurs ou de crimes violents. Il permet aux forces de l’ordre de localiser rapidement ces individus et facilite les enquêtes.

À ce jour, l’auteur d’une atteinte sexuelle ou d’une agression sexuelle n’est pas automatiquement inscrit dans ce fichier, contrairement aux auteurs de viol puisque les délits punis d’une peine d’emprisonnement inférieure à cinq ans échappent à l’automaticité de l’inscription.

L’inscription ou non dans ce fichier relève de la décision d’un juge. Je tiens à rappeler ici que je ne remets nullement en cause la capacité d’un juge à décider d’une telle mesure. Cependant, il n’est pas acceptable que des personnes condamnées pour de telles infractions ne soient pas référencées afin de pouvoir prévenir de tristes récidives.

Chaque année, près de 62 000 femmes déclarent avoir été victimes de viol en France, ce qui représente 44 % des crimes commis. Le taux de récidive en 2017 était de 5 % pour les crimes de viol et de 23 % pour les délits sexuels.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie Mercier, rapporteur. Cet amendement vise à prévoir l’inscription automatique des délits d’agression sexuelle et d’atteinte sexuelle au motif que, contrairement aux viols, ces délits ne feraient pas l’objet d’une inscription automatique.

Cette interprétation est fausse : l’avant-dernier alinéa de l’article 706-53-2 prévoit bien que seuls les délits punis d’une peine inférieure à cinq ans d’emprisonnement ne font pas l’objet d’une inscription, sauf décision contraire de la juridiction. Or les délits d’atteinte sexuelle et d’agression sexuelle sont aujourd’hui passibles d’une peine d’au moins cinq ans d’emprisonnement, qui passera à sept ans après l’adoption du présent projet de loi. Il n’y a donc aucune faille juridique : actuellement, l’enregistrement dans le fichier des délinquants auteurs d’agressions sexuelles est le même que pour les violeurs.

De surcroît, il n’est pas possible de prévoir une inscription automatique sans également permettre à la juridiction de prendre une décision contraire spécialement motivée. Une telle mesure serait contraire au principe constitutionnel d’individualisation des peines.

Je vous prie donc, mon cher collègue, de bien vouloir retirer votre amendement. À défaut, nous émettrons un avis défavorable.

M. Gérard Poadja. Je retire l’amendement !

Mme la présidente. L’amendement n° 71 rectifié est retiré.

La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote sur l’article.

M. Jacques Bigot. Je ne voterai pas l’article 2, car il n’est pas conforme à la promesse faite par le Président de la République, le texte ayant été vidé de toute substance à la suite de l’avis du Conseil d’État. Malgré cet avis, le Gouvernement a souhaité faire un texte, tout comme la commission, mais il n’est pas satisfaisant.

De notre côté, nous avons travaillé afin de trouver une solution pour mettre en œuvre la promesse du Président de la République. Je ne le ferai pas tous les jours… Or je constate aujourd’hui que cette loi est vidée de son sens.

Mme Meunier aura certes la satisfaction de voir qu’on s’achemine lentement, très lentement, vers l’imprescriptibilité, mais le fait est que nous ne protégerons pas les mineurs contre les prédateurs et que nous ne répondrons en rien aux attentes des Français, contrairement à la promesse qu’avait faite le Président de la République.

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote sur l’article.

Mme Laurence Cohen. Il est extrêmement navrant d’en arriver là, à l’issue d’un long débat, au cours duquel chacun a fait part de ses arguments. Le texte manque en effet de clarté. Le message envoyé n’est pas lisible. L’article 2 ne permet pas de mettre en œuvre les engagements qui ont été pris de protéger les mineurs, engagements auxquels nous adhérons tous pourtant.

L’argument qui nous a été opposé tout au long de nos débats, selon lequel la création d’un délit spécifique pour les mineurs de treize ans ne permettrait pas de protéger les mineurs plus âgés et entrerait en contradiction complète avec ce qui existe dans le code pénal, n’est pas du tout satisfaisant. Si la cause de ce blocage avait réellement été celle-là, nous aurions pu fixer ce seuil à quinze ans.

En outre, nous avons totalement occulté de notre réflexion le fait que nos voisins européens ont, eux, adopté un seuil.

Mme Laurence Cohen. Je n’entrerai pas dans le détail à cette heure tardive, mais il est curieux que personne n’en ait parlé, même pas Mme la garde des sceaux ou Mme la secrétaire d’État. Or, que je sache, ce seuil n’a pas déclenché des choses terribles dans les pays voisins.

Ce texte, qui devait protéger davantage les mineurs, va décevoir les associations de protection de l’enfance et celles qui se battent pour les droits des femmes.

Nous ne voterons pas cet article.

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud de Belenet, pour explication de vote sur l’article.

M. Arnaud de Belenet. À l’instar de notre collègue Bigot, je ne voterai pas cet article, mais pour des raisons bien différentes.

Plusieurs d’entre nous ont souligné la clarté et la cohérence de l’argumentation de la garde des sceaux lors de la présentation des amendements nos 129 et 130, qui visaient à revenir au texte du Gouvernement. Le projet de loi initial permettait en effet d’atteindre un certain nombre d’objectifs de manière immédiatement opérationnelle. Las, nos débats nous ont conduits à adopter d’autres positions. Je regrette que le texte initial ait été dénaturé, ce qui lui fait perdre de l’efficacité et de la cohérence.

Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote sur l’article.

Mme Annick Billon. Je ne voterai pas cet article, qui constitue un recul évident par rapport aux annonces faites en novembre dernier par M. le Président de la République et par Mme la secrétaire d’État. Je pense que la protection des mineurs n’y gagne rien. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote sur l’article.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Cet article sonne le glas de tous les espoirs d’un renforcement de la lutte contre les violences sexuelles commises à l’encontre des mineurs que nous avions pu placer dans ce projet de loi. Nous nous sommes efforcés d’améliorer ce texte, mais cela n’a pas été possible ; par cohérence, nous allons donc devoir nous y opposer.

Pour autant, que faire pour sauver ce qui peut l’être encore ? Je ne sais pas. Nous nous prononcerons demain sur des mesures qui, pour certaines, sont intéressantes, mais qui ne sont pas à la hauteur de ce que nous espérions. Peut-être parviendrons-nous, à l’occasion de l’examen d’un futur texte, à instaurer un dispositif législatif robuste pour protéger les enfants victimes d’agressions sexuelles… (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote sur l’article.

Mme Françoise Gatel. Au-delà de la difficulté, de la complexité du sujet, une espérance a été suscitée, celle de la sacralisation de l’enfance, tant attendue, et de l’affirmation d’un interdit. Des annonces ont donné à penser qu’un seuil d’âge pourrait être instauré. Les médias et l’opinion publique se sont enflammés.

La rapporteur, Mme Marie Mercier, a exposé avec rigueur et humanité, en se fondant sur son expérience professionnelle, le chemin parcouru par le groupe de travail et sa volonté d’agir. Je respecte le sentiment de désillusion éprouvé par certains, mais je suis convaincue pour ma part que ce dispositif permettra de renforcer la protection de tous les mineurs, notamment en instaurant une présomption simple et en allongeant le délai de prescription. On ne peut donc pas dire que rien n’est fait. Je voterai l’article 2. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour explication de vote sur l’article.

Mme Catherine Deroche. Comme l’ensemble des membres du groupe Les Républicains, je voterai l’article 2, bien qu’ayant déposé avec mon collègue Alain Houpert, en octobre 2017, une proposition de loi visant à fixer un seuil d’âge à quinze ans.

Le groupe de travail installé par la commission des lois a accompli une œuvre considérable, d’une grande intelligence. Je tiens à cet égard à féliciter Marie Mercier. Au vu des explications apportées tant par Mme la rapporteur que par M. le président de la commission des lois, empreintes d’humanité et de savoir juridique, j’estime que ce dispositif permettra de protéger encore mieux les enfants. Je voterai donc cet article sans états d’âme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Guillemot, pour explication de vote sur l’article.

Mme Annie Guillemot. À l’entame de ce débat, Mme la secrétaire d’État nous avait annoncé une grande loi citoyenne, en saluant le rôle du Sénat et le bicamérisme et en citant Simone Veil : « Il suffit d’écouter les femmes. » Mais la montagne va accoucher d’une souris. Nous ne voterons pas cet article.

Je voudrais mettre en lumière les travaux de la délégation des droits des femmes et de l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Nous aimerions entendre la secrétaire d’État sur la réforme constitutionnelle, car dans deux ans le Sénat comptera d’un tiers à 40 % de femmes en moins…

Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je ne partage pas le sentiment de pessimisme exprimé par certains d’entre vous. Ma collègue Marlène Schiappa et moi-même portons ensemble ce texte, monsieur Kanner, et pouvons en parler indifféremment l’une et l’autre.

Malgré toutes les itérations que nous y apportons, au fil de débats aussi sensibles qu’intelligents et complexes, ce projet de loi reste un texte de progrès : il n’y a pas de recul par rapport à ce qu’a voulu le Président de la République. C’est aussi un texte de clarification : il y aura un seuil d’âge unique, fixé à quinze ans, une définition du viol unique, une preuve des éléments constitutifs du viol considérablement clarifiée et facilitée pour les mineurs de quinze ans, ce qui permettra la criminalisation par le juge de ces viols, une seule infraction poursuivie – le crime de viol –, comme nous le voulions, et un seul juge saisi, le juge criminel. La cour d’assises ou le tribunal criminel départemental sera guidé par les travaux préparatoires de la loi ; le juge s’y réfère souvent, madame Cohen ! Le juge criminel, comme ce doit toujours être le cas en matière pénale, conservera un pouvoir d’individualisation de la peine.

Très grande clarification, très grande fermeté, très grande facilitation de l’incrimination du viol en tant que crime : avec ce texte, l’interdit des relations sexuelles sur mineurs est affirmé avec force, conformément à notre volonté unanime de défendre les mineurs.

Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Marie Mercier, rapporteur. Je vous remercie de la qualité de nos débats, mes chers collègues. Notre objectif à tous était de renforcer la protection des mineurs. On ne peut pas prétendre que l’article 2 n’a pas permis d’avancées : en particulier, les fellations forcées sont maintenant vraiment qualifiées de viols. En conscience, je pense sincèrement que nous avons fait de notre mieux pour protéger tous les mineurs et, surtout, pour assurer qu’ils soient respectés.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 2, modifié.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 196 :

Nombre de votants 338
Nombre de suffrages exprimés 332
Pour l’adoption 195
Contre 137

Le Sénat a adopté.

Mes chers collègues, nous avons examiné 36 amendements au cours de la journée ; il en reste 73.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Rappel au règlement (suite)
Dossier législatif : projet de loi d'orientation et de programmation renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes
Discussion générale

6

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, jeudi 5 juillet 2018 :

À dix-heures trente :

Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes (n° 487, 2017-2018) ;

Rapport de Mme Marie Mercier, fait au nom de la commission des lois (n° 589, 2017-2018) ;

Rapport d’information de Mmes Annick Billon, Laurence Cohen, Laure Darcos, Françoise Laborde, Noëlle Rauscent et Laurence Rossignol, fait au nom de la délégation aux droits des femmes (n° 574, 2017-2018) ;

Texte de la commission (n° 590, 2017-2018).

À quinze heures : questions d’actualité au Gouvernement.

À seize heures quinze et, éventuellement, le soir :

Éventuellement, suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée le jeudi 5 juillet 2018, à zéro heure trente-cinq.)

 

 

nomination dun membre dune commission

Le groupe Les Républicains a présenté une candidature pour la commission des lois.

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai par larticle 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : M. Vincent Segouin est membre de la commission des lois.

 

Direction des comptes rendus

GISÈLE GODARD