M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Nicole Bonnefoy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous parlons ici d’économie agricole, mais nous parlons avant tout de vies humaines, d’histoires humaines, et, à cet instant, j’ai une pensée émue et reconnaissante pour Paul François, céréalier charentais de 54 ans, président de l’association Phyto-Victimes, empoisonné en 2004 par le Lasso, un herbicide interdit en 2007, et qui se bat seul, depuis plus de dix ans, devant les tribunaux français, pour obtenir d’abord la reconnaissance du caractère professionnel de sa maladie, puis la réparation intégrale par Monsanto du préjudice que lui et sa famille ont subi. Paul François vient en outre d’être durement frappé par un drame familial. Je veux ici rendre hommage à toutes les femmes d’agriculteurs qui, en silence, soutiennent leur mari ou leur compagnon, et qui, très souvent, permettent la libération de la parole de leur conjoint malade. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Union Centriste.)
J’ai aussi une pensée pour Fabian Tomasi, ouvrier agricole argentin de 53 ans, chargé de remplir de glyphosate les réservoirs des avions d’épandage et décédé il y a quelques jours des suites d’une neuropathie toxique sévère ; Fabian, que j’avais eu au téléphone, ici au Sénat, le 1er février dernier, alors que nous venions d’adopter la proposition de loi portant création d’un fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques ; Fabian qui me disait alors : « Remerciez le Sénat français pour ce qu’il a fait, je suis heureux. Moi, je vais mourir bientôt, mais je pense à tous les autres malades victimes qui pourront en bénéficier. »
J’ai une pensée pour Dewayne Johnson, jardinier municipal américain de 46 ans, atteint d’un cancer incurable du système lymphatique en phase terminale après avoir vaporisé quotidiennement des centaines de litres de Roundup et de Ranger Pro, deux poisons fabriqués par Monsanto, et qui a obtenu en première instance la condamnation de cette firme à lui payer 290 millions de dollars de dommages et intérêts.
J’ai une pensée pour les salariés de Triskalia, coopérative agricole bretonne, qui se battent depuis une dizaine d’années pour obtenir la reconnaissance de leur maladie professionnelle, puis la réparation de leur préjudice, et dont l’histoire avait bouleversé tous les membres de la mission d’information sénatoriale en 2012.
J’ai une pensée pour Dominique Marchal, agriculteur de 60 ans, qui souffre d’un cancer du sang et qui fut le premier exploitant agricole à obtenir la reconnaissance de son cancer en tant que maladie professionnelle.
J’ai, enfin, une pensée très forte pour les familles de Yannick Chesnais, de Frédéric Ferrand, d’Alain Terrade et de Stéphane Sardin, que j’ai personnellement connus et qui sont tous les quatre décédés, victimes des pesticides, dans des souffrances atroces.
Mes chers collègues, ces histoires humaines témoignent du combat que mènent seuls ces hommes et ces femmes pour obtenir reconnaissance et réparation. Leur douleur et celle de leurs familles nous obligent ; ils ne peuvent plus attendre.
Monsieur le ministre, j’ai en tête les propos de campagne du Président de la République, qui annonçait l’interdiction par la loi de l’utilisation du glyphosate mais qui ne tient pas sa promesse aujourd’hui.
J’ai en tête les propos d’Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, qui avait repris en ces lieux, en janvier dernier, sans la moindre gêne, les argumentaires et les éléments de langage des firmes, en défendant des théories qui confinent au négationnisme scientifique.
Je n’ai pas non plus oublié, monsieur le ministre, les propos que vous avez tenus lors de la première lecture de ce texte, quand vous vous êtes opposé, avec des arguments inacceptables, à la création de ce fonds d’indemnisation. Pourtant, c’était possible, car tout était prêt ! Le travail parlementaire avait été réalisé en amont depuis plusieurs années, et corroboré en janvier dernier par un rapport conjoint de l’Inspection générale de la santé, de l’Inspection générale des finances et de l’Inspection générale de l’agriculture qui concluait à la pertinence de la création d’un tel fonds d’indemnisation et proposait un mécanisme pour le mettre en place.
Et vous, monsieur le ministre, au lieu de vous appuyer sur ce travail considérable, vous le bafouez en demandant la rédaction d’un énième rapport, parfaitement inutile. C’est d’autant plus grossier que vous m’avez refusé, en première lecture de ce texte, un rapport pourtant ô combien nécessaire sur les « effets combinés » – ou effets cocktails – des produits, qui représentent, nous le savons tous, une véritable bombe à retardement.
Pardonnez-moi, monsieur le ministre, mais on voit bien que tout cela n’a pas de sens, ou plutôt que tout ce qui ne vient pas d’un élu de La République En Marche est rejeté sans aucune bienveillance ! Il s’agit là d’une posture politicienne parfaitement indigne, car les malades n’ont plus le temps d’attendre. Il se pourrait même que, un jour prochain, la responsabilité de l’État soit engagée.
En ce qui nous concerne, monsieur le ministre, sachez bien que nous interviendrons inlassablement jusqu’à la création effective du fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques que nous appelons de nos vœux.
Pour toutes ces raisons, nous voterons la motion tendant à voter la question préalable. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi par Mme Loisier et M. Raison, au nom de la commission des affaires économiques, d’une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (n° 714).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
La parole est à Mme la présidente de la commission, pour la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la commission des affaires économiques a décidé, lors de sa réunion du 19 septembre dernier, sur proposition de ses deux rapporteurs, de déposer une motion tendant à opposer la question préalable à ce projet de loi.
Aux termes de notre règlement, l’adoption d’une telle motion a pour objet de prendre acte que le Sénat s’oppose à l’ensemble du texte ou qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération. Eh bien, le présent projet de loi réussit l’exploit de répondre à ces deux motivations : non seulement le texte qui nous a été transmis ne peut nous convenir, mais tout effort pour l’amender serait inutile, puisque nous savons désormais, à l’issue de la commission mixte paritaire, qu’aucun de nos apports ne serait repris !
Je regrette cet état de fait, car le dialogue est toujours riche, cher Joël Labbé, et la confrontation des convictions source d’amélioration des textes – nous l’avons d’ailleurs démontré à propos du projet de loi ÉLAN. Mais dialoguer avec une assemblée sourde n’est d’aucune efficacité. Nous ne souhaitions pas allonger le processus législatif, ce qui aurait conduit à une troisième lecture à l’Assemblée nationale et aurait ainsi retardé l’adoption de dispositions auxquelles nous croyons certes peu, mais qui seront inscrites dans votre loi et qui sont censées être utiles en vue des négociations de cette fin d’année.
Je vous dois la vérité, monsieur le ministre, et pardonnez-moi d’être directe : le mépris avec lequel le texte du Sénat a été caricaturé, en opposant l’« ancien monde », qui serait englué dans un obscurantisme coupable et vendu aux lobbys, au « nouveau monde », pétri de modernisme, de bonne conscience et de savoir, a été très variablement apprécié au sein de notre hémicycle, y compris par les plus modérés d’entre nous. Heureusement que, lors de la première lecture, le dialogue avec vous n’était pas de cette nature : peut-être y a-t-il, monsieur le ministre, un peu d’ancien monde en vous… (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Tous les sénateurs partagent les objectifs assignés à ce texte : augmenter le revenu des agriculteurs et améliorer la qualité de l’alimentation.
En première lecture puis en commission mixte paritaire, nos rapporteurs auront tenté de remédier aux angles morts du texte tout en en préservant les grandes lignes, certes sans enthousiasme débordant ni adhésion aveugle, mais avec une volonté d’ouverture et de compromis qui aurait dû nous permettre d’aboutir. Cela n’a pas été le cas, en raison de l’intransigeance dont ont fait preuve le Gouvernement et sa majorité tout au long du processus.
Cela a été dit à maintes reprises, le rapporteur de l’Assemblée nationale a tout d’abord, de manière sans doute inédite, fait échouer la commission mixte paritaire sur des alinéas qui avaient été adoptés conformes par les deux chambres. Permettez-moi de rappeler qu’une commission mixte paritaire n’est pas censée créer des désaccords ; elle a au contraire pour vocation d’en résoudre. Le Sénat avait joué le jeu, ses rapporteurs proposant de nombreuses rédactions de compromis, qui n’ont même pas pu être présentées…
L’Assemblée nationale a ensuite rétabli en nouvelle lecture la quasi-intégralité de son texte, sans tenir compte des apports essentiels du Sénat. Notre assemblée avait pourtant rééquilibré ce texte sans remettre en cause sa philosophie générale, au terme d’un débat de fond de grande qualité. Je salue l’ensemble de nos collègues qui, sur toutes les travées de cet hémicycle, ont pris part à cette discussion passionnante.
Une lecture attentive du nouveau texte de l’Assemblée nationale révèle même l’ajout de mesures complémentaires substantielles. Outre qu’ils accentuent encore les points de désaccord entre nous, ces ajouts sont clairement contraires à la règle de l’entonnoir et nuisent à la qualité de la loi en la rendant illisible ; il est donc temps que cela cesse.
Sur le fond, monsieur le ministre, le texte transmis au Sénat révèle que les deux chambres ont une vision très différente de l’agriculture.
Le Sénat a formulé des propositions fortes pour l’instauration d’un véritable revenu agricole, contre la hausse des charges imposées aux agriculteurs, contre la surtransposition des normes, pour la sauvegarde de nos coopératives agricoles, pour la mise en place rapide d’une vraie et juste indemnisation des victimes professionnelles des produits phytopharmaceutiques – je salue à cet égard l’intervention très émouvante de notre collègue Nicole Bonnefoy, qui traduisait bien l’état d’esprit du Sénat –, contre l’adoption d’une vision binaire opposant les différentes formes d’agriculture. Je crois que le Sénat s’est ainsi fait l’écho de nos campagnes. Je constate que ses appels n’ont pas été entendus.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, dans ces conditions, vous comprendrez que nous ne souhaitions pas engager une nouvelle lecture de ce projet de loi : la position du Sénat a été largement détaillée en première lecture ; ce n’est pas celle de la majorité, et nous ne sommes pas en mesure de faire évoluer le texte.
Comme l’ont précisé les rapporteurs, la commission des affaires économiques ne baisse pas la garde pour autant. Elle sera extrêmement attentive à la constitutionnalité du texte, à son application et à l’évaluation de celle-ci dans le temps – la commission créera un groupe de suivi dédié –, s’agissant en particulier du revenu des agriculteurs, mais aussi des effets des décisions prises sans recul ni étude par l’Assemblée nationale, enfin à l’écriture des ordonnances – je pense notamment à l’ordonnance relative aux coopératives et à celle qui portera sur l’encadrement des promotions.
En conséquence, mes chers collègues, prenant acte que le Sénat s’oppose au projet de loi et qu’il n’y a plus lieu d’en poursuivre la discussion, la commission des affaires économiques vous invite à adopter cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Noëlle Rauscent, contre la motion.
Mme Noëlle Rauscent. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, je ne vous le cacherai pas, je regrette de devoir discuter de cette motion tendant à opposer la question préalable.
Sans revenir sur ce que j’ai dit précédemment, j’aimerais rappeler quelques chiffres.
Lors de son dépôt, le projet de loi ÉGALIM comportait dix-sept articles, contre un peu plus d’une centaine à son arrivée au Sénat. Vingt-huit articles ont été votés conformes en première lecture, soit plus d’un quart du texte. Il faut y ajouter une quinzaine d’articles introduits par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture. Ce sont donc près de quarante articles qui ont été adoptés conformes pendant la navette parlementaire.
Chers collègues, je ne siège parmi vous que depuis un an, mais je trouve ce ratio plutôt encourageant, et je ne qualifierai pas nos travaux d’« inutiles ». Le dialogue entre nos deux assemblées a bien eu lieu, on ne peut pas le nier. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)
Malgré ces éléments chiffrés, vous vous apprêtez à adopter une motion tendant à opposer la question préalable, et ainsi à rejeter le texte sans l’examiner en nouvelle lecture. Si ce n’est là un mépris du bicamérisme, c’est à tout le moins un refus du dialogue et du principe de la navette parlementaire ; c’est comme si le travail effectué en première lecture au Sénat n’avait pas eu lieu, comme si nos équipes avaient travaillé pour rien. (Nouveaux murmures sur les mêmes travées.)
Pourtant, regardons ce qu’il s’est passé en juin dernier ; lorsque la discussion a lieu, nous pouvons arriver à un accord et à un consensus. Je pense à la réforme des coopératives par voie d’ordonnance davantage encadrée, à la possibilité de saisir le juge en référé en cas d’échec de la médiation, à l’incorporation de 20 % de produits bio dans les repas servis en restauration scolaire, à nos débats sur le bien-être animal, à l’interdiction des importations agricoles ne respectant pas les mêmes normes que celles qui sont imposées aux produits français, à diverses mesures issues des travaux des commissions du développement durable des deux assemblées. (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)
Sur d’autres sujets – les indicateurs de prix, la réforme des coopératives, la séparation capitalistique du conseil et de la vente concernant les produits phytosanitaires –, nous avions certes des désaccords, mais ce n’est pas une raison pour refuser de débattre. Sur toutes les travées, mes chers collègues, vous avez salué l’attitude d’ouverture de M. le ministre lors des débats de juin dernier. Pour moi, choisir de ne pas examiner ce texte, c’est nier notre rôle dans la procédure parlementaire ; c’est nier notre travail d’analyse et d’approfondissement ; c’est nier, enfin, l’importance des débats dans notre démocratie. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
Une sénatrice du groupe socialiste et républicain. On cherche le responsable !
Mme Noëlle Rauscent. On peut être en désaccord avec la politique du Gouvernement, mais on ne peut pas dénigrer ainsi le débat parlementaire et s’en exonérer. Certes, l’Assemblée nationale a retoqué un certain nombre de dispositions introduites par le Sénat ; vous considérez que le désaccord est si profond qu’il vaut mieux ne pas s’y pencher de nouveau.
Je dois vous le dire, mes chers collègues : j’ai plutôt l’impression que la Haute Assemblée a fait le choix de couper court à toute discussion et décidé de s’enfermer dans une posture déraisonnable de refus du dialogue à coups de communiqués de presse. (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
M. Michel Raison, rapporteur. C’est ce qu’a fait l’Assemblée nationale en première lecture ! Ne dites pas n’importe quoi, c’est scandaleux !
Mme Noëlle Rauscent. Est-il souhaitable de s’enfermer dans une telle posture à une époque où le citoyen se pose la question du rôle des élus, et en particulier des sénateurs ? (Vives exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe Les Républicains.)
Mme Cécile Cukierman. On ne voit pas beaucoup les parlementaires de La République en Marche sur le terrain !
M. le président. Mes chers collègues, veuillez laisser l’oratrice poursuivre !
Mme Noëlle Rauscent. Est-il opportun de faire des parallèles entre CMP du projet de loi ÉGALIM, CMP du projet de loi ÉLAN et projet de réforme constitutionnelle ? Est-ce à notre avantage de refuser la discussion ?
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteur. Nous ne la refusons pas !
Mme Noëlle Rauscent. Vous parlez de stigmatisation du Sénat, mais n’êtes-vous pas en train de stigmatiser l’Assemblée nationale et sa majorité élue il y a à peine un an ? (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains et sur les travées du groupe socialiste et républicain.) J’ai la désagréable impression que, plutôt que de débattre du fond,…
M. Michel Raison, rapporteur. On touche le fond…
Mme Noëlle Rauscent. … de l’avenir de notre agriculture et de notre alimentation, des conditions de vie de nos agriculteurs, qui font nos campagnes et nos territoires, du virage environnemental que nous souhaitons prendre et de notre rapport aux animaux, vous préférez parler de la forme et utiliser ce débat à des fins purement politiciennes. (Non ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson. C’est inacceptable !
Mme Noëlle Rauscent. Je vous ai écoutés, je vous demande maintenant de me laisser parler ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.)
Les rapporteurs l’ont souligné en commission : « De plus en plus de commissions mixtes paritaires n’aboutissent pas ; ce n’est pas acceptable, et c’est le message fort que nous devons adresser à nos collègues députés. » Le projet de loi ÉGALIM est donc bien pris en otage par la majorité sénatoriale. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Comment peut-on oser dire que le bicamérisme est en cause lorsque les deux chambres n’arrivent pas à se mettre d’accord ? (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
Mme Dominique Estrosi Sassone. Parlez d’agriculture !
Mme Noëlle Rauscent. Les lignes rouges étaient connues dès l’origine. Les franchir peut rendre difficile un travail commun, mais ne remet pas en cause le bicamérisme.
M. Jean-François Husson. Parlez d’agriculture !
Mme Noëlle Rauscent. Ce n’est pas parce que les idées du Sénat n’ont pas été retenues que l’on peut dire que le Gouvernement et l’Assemblée nationale sont illégitimes. (Protestations sur les mêmes travées.) Le bicamérisme doit rester l’art de la controverse, et non celui du consensus mou.
M. Jean-François Husson. Merci pour la leçon !
Mme Noëlle Rauscent. Le Sénat va-t-il s’enfermer dans une posture de rejet systématique des textes pour « peser » dans les débats à venir ? (Mme Cécile Cukierman s’exclame.) Permettez-moi de croire que cela n’est pas une bonne stratégie… (Parlez d’agriculture ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteur. Hors sujet !
Mme Noëlle Rauscent. Le bicamérisme doit servir à construire, par étapes successives et dans la confrontation des points de vue, une voie de compromis. Cela a été possible pour d’autres textes – je pense notamment au projet de loi ÉLAN – sur lesquels les désaccords étaient pourtant profonds : ils ont été surmontés grâce à des discussions approfondies, au terme d’une commission mixte paritaire d’une durée inédite,…
M. Jean-François Husson. Grâce aux sénateurs !
Mme Noëlle Rauscent. … comme vous l’avez fait remarquer, madame la présidente de la commission des affaires économiques.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe La République En Marche votera contre cette motion tendant à opposer la question préalable. Je vous invite à faire de même. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Travert, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais vous rassurer : le Gouvernement est très attaché au bicamérisme et j’ai pour vous le plus profond respect. J’en veux pour preuve, s’il en était besoin, nos plus de trente heures de débat en première lecture. Si nous avions voulu faire l’impasse sur les travaux et les réflexions du Sénat, je n’aurais pas pris la peine de vous répondre parfois un peu longuement, comme on a pu m’en faire le reproche…
Nous avons essayé d’avancer ensemble dans un esprit constructif. Il ne nous a pas toujours été possible de nous mettre d’accord, mais cela est bien normal. C’est aussi de cette manière que le débat parlementaire doit progresser. Je ne regrette donc pas les discussions que nous avons eues en première lecture.
Je déplore en revanche que nous ne puissions continuer à avancer aujourd’hui, comme cela a été le cas à l’Assemblée nationale en deuxième lecture, et enrichir encore le texte, notamment sur le sujet essentiel des indicateurs.
À cet égard, j’ai reçu, avant et durant la période estivale, l’ensemble des filières pour connaître l’état d’avancement de leurs travaux sur la définition des indicateurs, afin que nous puissions les diffuser, les partager et les utiliser lorsque le cadre législatif aura été mis en place.
Nous serons à l’heure pour les négociations commerciales. Nous l’avons toujours dit : nous souhaitons que les producteurs, les transformateurs, les distributeurs, bref tous les acteurs des interprofessions et des filières, puissent se saisir des outils à leur disposition pour créer des prix justes et rémunérateurs.
J’entends bien que cela puisse poser question aujourd’hui, mais si nous ne faisons rien, si nous restons les bras ballants en attendant que la grande distribution impose ses tarifs comme elle a l’habitude de le faire depuis un certain nombre d’années, nous n’en sortirons jamais ! (M. Daniel Gremillet s’exclame.) Nous fixons un cadre assorti de réponses graduées et de sanctions, dans lequel les interprofessions pourront demain évoluer, et nous nous appuyons sur les engagements pris par les filières lors de la signature d’une charte, le 14 novembre dernier : je saurai les leur rappeler au moment opportun ! Nous verrons qui assumera ses responsabilités, et qui aura le courage de dire en face aux agriculteurs qu’il ne respectera pas sa signature ! Nous utiliserons alors un certain nombre d’outils et de verrous que nous avons mis en place au travers de ce texte.
J’avais apprécié nos échanges lors de la première lecture,…
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteur. Nous aussi !
M. Stéphane Travert, ministre. … empreints de respect et d’esprit constructif, mais je prends acte, tout en le déplorant, de votre choix de ne pas les poursuivre aujourd’hui. Il reste à voter définitivement le texte à l’Assemblée nationale, demain, et à parfaire un certain nombre de feuilles de route, qu’il s’agisse de la sortie du glyphosate et des produits phytosanitaires – nous l’avons entamée et nous tiendrons le calendrier prévu –, du plan pour la bioéconomie et du plan Ambition bio – nous serons au rendez-vous de 2022 pour le passage de 6,5 % à 15 % de la surface agricole utile consacrée à l’agriculture biologique – ou de la légitime indemnisation des victimes des produits phytosanitaires. Je comprends votre émotion, madame Bonnefoy, et nous partageons l’objectif, même si nous divergeons peut-être sur la manière de l’atteindre. Nous avons retenu une méthode plus agile, qui nous permettra d’être plus efficaces en matière d’indemnisation. Cela étant, je suis prêt à retravailler avec vous sur ce sujet, qui nous importe à tous et qu’il n’a jamais été question de traiter à la légère.
Au regard des échanges qui se sont tenus dans cette noble et belle assemblée, le Gouvernement émet bien évidemment un avis défavorable sur la motion tendant à opposer la question préalable.
M. le président. Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Henri Cabanel, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Henri Cabanel. Quel rendez-vous raté ! Je croyais pourtant très fort aux États généraux de l’agriculture et de l’alimentation, auxquels j’ai participé avec un enthousiasme sincère. Rassembler autour d’une même table tous les maillons de la filière agricole pour cerner les enjeux, poser un diagnostic et élaborer ensemble les solutions : c’est comme cela que je conçois l’élaboration de la loi.
Les objectifs affichés m’ont donc séduit, car je suis profondément attaché à la coconstruction et à la démocratie participative, mais les états généraux se sont arrêtés en cours de route aux portes du Sénat. La loi n’a pas été coconstruite, puisque le Gouvernement n’a tenu compte que de quelques-unes de nos préconisations, revenant au vieux clivage pourtant condamné via une parodie de concertation. Nous ne nous attendions pas à voir tout point de vue divergent écarté par le Gouvernement. La commission mixte paritaire a échoué, car la volonté de ne pas avancer sur les propositions faites était évidente.
Nous aurions aimé qu’une ligne claire se dégage dans la loi définitivement adoptée. Sinon, à quoi bon légiférer ou susciter des espoirs ? Cela ne fait qu’accentuer la défiance des citoyens envers leurs gouvernants. Quelle vision étriquée du bicamérisme ! Nous éprouvons donc de la déception, au regard de notre engagement, de notre travail, de celui de nos collaborateurs, mais aussi de la lassitude, à force de travailler pour rien, d’être méprisés, alors que de l’intelligence commune naît la meilleure des adhésions, à savoir l’acceptation des réformes.
Lors de la convention des chambres d’agriculture, mercredi dernier, j’ai entendu le Premier ministre annoncer la fin de l’allégement des charges pour les travailleurs saisonniers. Résultat : vendredi dernier, dans mon département, l’Hérault, des pomiculteurs ont tronçonné deux hectares de pommiers pour crier leur désarroi. Des centaines d’emplois saisonniers locaux vont disparaître. En effet, outre les arboriculteurs, les maraîchers et les viticulteurs sont également fortement touchés.
Prendre unilatéralement des décisions sans en analyser l’impact, sans expliquer a minima les mutations : est-ce cela, la coconstruction ? Est-ce cela, l’objectif des États généraux de l’alimentation ?
Vous qui vous targuez de représenter la société civile, vous vous êtes bien rapidement dégagés de la réalité du terrain ! Même si les motivations de notre groupe sont différentes de celles de la majorité sénatoriale – notre vision est axée sur l’agroécologie, mes collègues l’ont expliqué dans la discussion générale –, nous voterons cette motion tendant à opposer la question préalable, car nous ne cautionnons pas l’enlisement de notre politique agricole,…