M. le président. Nous allons maintenant examiner l’amendement déposé par le Gouvernement.
articles 1er A à 5 bis
M. le président. Sur les articles 1er A à 5 bis, je ne suis saisi d’aucun amendement.
Quelqu’un demande-t-il la parole sur l’un de ces articles ?…
Le vote est réservé.
article 6
M. le président. L’amendement n° 1, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 10
Remplacer les mots :
au deuxième alinéa du présent II
par les mots
à l’avant-dernier alinéa du I
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Il s’agit d’un amendement de coordination, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Avis favorable.
M. le président. Sur les articles 7 à 15, je ne suis saisi d’aucun amendement.
Quelqu’un demande-t-il la parole sur l’un de ces articles ?…
Le vote est réservé.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix l’ensemble du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude, dans la rédaction du texte élaboré par la commission mixte paritaire, modifié par l’amendement du Gouvernement.
(Le projet de loi est adopté.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures quarante-cinq, est reprise à quinze heures cinquante.)
M. le président. La séance est reprise.
4
Programmation 2018-2022 et réforme pour la justice – Renforcement de l’organisation des juridictions
Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi et d’un projet de loi organique dans les textes de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (projet n° 463 [2017-2018], texte de la commission n° 13, rapport n° 11, tomes I et II) et du projet de loi organique relatif au renforcement de l’organisation des juridictions (projet n° 462 [2017-2018], texte de la commission n° 12, rapport n° 11, tomes I et II).
La procédure accélérée a été engagée sur ces textes.
Il a été décidé que ces deux textes feraient l’objet d’une discussion générale commune.
Dans la discussion générale commune, la parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, faire de la justice une priorité : c’est l’engagement qu’avait pris le Président de la République en 2017 devant les Français. Le projet de loi de programmation et de réforme pour la justice ainsi que le projet de loi organique qui l’accompagne témoignent du respect de cet engagement par le Gouvernement.
Le constat est ancien ; il est clair, il est partagé. La société française se transforme, l’État redéfinit ses missions, les services publics se modernisent, et celui de la justice n’échappe évidemment pas à ces mutations. Pour rendre le meilleur service possible aux citoyens, la justice doit se renforcer et s’adapter.
Pour se renforcer, il lui faut des moyens. Or nous devons, en la matière, rattraper un retard cruel. Le Gouvernement répond donc à cette nécessité en décidant de consacrer un budget très important à la justice. Cette augmentation budgétaire est bien entendu absolument nécessaire ; elle ne saurait pourtant à elle seule suffire à relever les défis qui sont devant nous : il nous faut aussi adapter la justice aux besoins des justiciables et gagner en efficacité. Des réformes s’imposent donc.
Depuis que m’a été confiée la responsabilité du ministère de la justice, je me suis évertuée à aller à la rencontre des magistrats, des greffiers, des agents, des professionnels du droit et des justiciables, partout en France. Lors de mes nombreux déplacements et au travers des échanges que j’ai pu avoir en ces occasions, j’ai été frappée par la confiance que nos concitoyens ont en l’indépendance de la justice, mais aussi par le fait qu’ils la jugent trop complexe et trop lente. Ils ont raison.
Mon ambition est simple ; elle peut paraître modeste, mais je la crois au contraire essentielle : je souhaite que les Français se sentent protégés, écoutés, pris en considération par leur justice. J’ai la conviction profonde que la justice sera plus crédible si elle est rendue avant tout compréhensible pour les citoyens et si elle apporte des solutions en temps utile aux problèmes quotidiens qu’ils rencontrent. C’est cette conviction qui donne au projet que je vous présente ses caractéristiques propres et un contenu ambitieux.
Le projet de loi de programmation et de réforme pour la justice est caractérisé par trois traits : la réforme proposée est globale et concrète ; elle a été construite pour les justiciables ; elle consacre des moyens importants à la justice.
Dès mon entrée à la Chancellerie, j’ai fait un choix : celui d’une réforme globale et concrète. Globale, parce que le texte qui vous est présenté conjugue des moyens – c’est une loi de programmation – et des évolutions relatives aux procédures, aux méthodes et à l’organisation – c’est une loi de réforme de la justice. Concrète, cette réforme entend l’être, car elle s’appuie de manière pragmatique sur des propositions venues du terrain, dans le respect de principes indépassables, telle la garantie des droits.
Je n’ai pas tenu compte, dans l’élaboration de la réforme que je vous propose, de considérations idéologiques dont notre justice a parfois trop souffert par le passé. Ma volonté est simplement de mettre en action des principes qui auront un effet direct et rapide au quotidien. C’est ce souci qui a dicté la méthode que j’ai voulu mettre en œuvre pour construire cette loi de programmation et de réforme.
Cette réforme a été construite avec les acteurs du droit et pour le justiciable. J’ai organisé une grande consultation, les chantiers de la justice, d’octobre 2017 à janvier 2018. Cette consultation m’a permis d’entendre tous les acteurs et de faire remonter des propositions issues du terrain.
Des concertations ont ensuite été menées avec toutes les parties prenantes. J’ai voulu écouter les propositions, comprendre les arguments et y répondre, sans jamais abandonner mes ambitions pour la justice.
Une réforme, bien entendu, suscite toujours des réactions, surtout dans notre pays. Certains expriment des craintes face au changement ; d’autres ont des aspirations nouvelles, qu’ils font valoir. Ces craintes et ces aspirations sont loin d’être toujours convergentes, selon que l’on se place du point de vue des avocats, du point de vue des magistrats ou du point de vue des élus. Pour ma part, je n’ai qu’une seule boussole : l’intérêt des justiciables, c’est-à-dire, au fond, l’intérêt général.
C’est dans cet esprit que les deux projets de loi que je vous présente ont été déposés sur le bureau du Sénat. Ce choix, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, n’est pas dû au hasard : je sais le travail accompli par votre commission des lois sur ces questions. Je salue d’ailleurs ce travail, qui nourrira nos débats.
M. Jean-François Husson. Très bien !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. La réforme consacre des moyens pour la justice. Il s’agit, je l’ai indiqué, d’une priorité gouvernementale. Nous avons besoin de moyens pour investir et pour recruter, afin d’assurer une justice de qualité. C’est tout l’intérêt d’une loi de programmation sur cinq ans, qui offre une visibilité indispensable. Les moyens mis en jeu sont considérables.
Une première étape a été franchie avec la loi de finances pour 2018, comportant une hausse de 3,9 % du budget de la justice et la création de 1 100 emplois. Une deuxième étape est intervenue avec le budget pour 2019 : l’augmentation de nos moyens s’accélère, avec une hausse des crédits de 4,5 % et la création de 1 300 emplois.
Le présent projet de loi de programmation prévoit des moyens dont l’importance doit être mesurée à la hauteur de la discipline budgétaire à laquelle le Gouvernement s’astreint par ailleurs. Le budget de la justice augmentera de 1,6 milliard d’euros en cinq ans, passant de 6,7 milliards d’euros à 8,3 milliards d’euros hors pensions, soit une hausse de 24 %. Cela nous permettra d’engager le recrutement de 6 500 emplois. On peut évidemment vouloir toujours plus et proposer des chiffres encore plus élevés ; tout est toujours possible, mais on ne peut s’abstraire d’un contexte financier et budgétaire global, et je crois qu’il ne faut pas nier le caractère positif de la mise en jeu de tels moyens au service de la justice.
De l’utilisation de ces moyens, on peut attendre une amélioration des conditions de travail des magistrats et des personnels, une résorption des vacances de postes – elle a déjà commencé – et la possibilité de constituer de véritables équipes autour des magistrats.
Ce budget va aussi nous permettre de passer de l’ère de l’informatique à l’ère du numérique. Il s’agit pour moi d’un élément stratégique : c’est « le » défi qu’il nous faut relever pour que la justice soit vraiment à la hauteur de l’attente des justiciables. À cette fin, nous allons engager plus d’un demi-milliard d’euros pour mener la révolution numérique.
Enfin, ces moyens se déploieront naturellement dans le secteur pénitentiaire, avec la construction de 15 000 places de prison, dont 7 000 seront livrées et 8 000 engagées d’ici à 2022. Le texte comporte d’ailleurs des dispositions permettant d’accélérer la construction des établissements pénitentiaires par l’allégement de certaines procédures. Votre commission des lois les a en partie écartées, ce que je regrette.
J’ajoute que le projet de loi de programmation prévoit la création de vingt centres d’éducation fermés. Ils constitueront l’une des réponses envisageables, parmi une gamme de propositions, à la question des jeunes mineurs délinquants.
Mais, au-delà des moyens, il s’agit d’abord d’un texte de réforme, comme le Conseil d’État l’a souligné dans son avis.
Le contenu ambitieux du projet de loi de programmation et de réforme pour la justice se dessine autour de six axes.
Le premier a trait à la procédure civile. Celle-ci concerne la justice de tous les jours, de la vie quotidienne, peu spectaculaire, mais pourtant essentielle. Mon projet est simple : il faut simplifier les procédures, faciliter la vie des gens, recentrer le juge sur son cœur de métier, tout en maintenant une justice humaine, protectrice et proche des justiciables, c’est-à-dire une justice de meilleure qualité. Tel est le sens des dispositions du projet de loi.
Simplifier les procédures passe, par exemple, par la réduction des modes de saisine de la juridiction civile ou par l’instauration d’une procédure de divorce plus fluide, en divisant par deux la durée des divorces contentieux, qui dépasse aujourd’hui deux ans.
Faciliter la vie des gens, c’est supprimer les formalités inutiles en matière de protection des majeurs vulnérables, tout en renforçant encore leurs droits fondamentaux, notamment l’exercice de leur droit de suffrage. La dématérialisation des petits litiges du quotidien est une voie à explorer et une faculté nouvelle à offrir à nos concitoyens pour plus de simplicité. La dématérialisation des injonctions de payer permettra d’obtenir une ordonnance plus rapidement.
Recentrer le juge sur son cœur de métier nécessite de développer les règlements amiables des différends, comme nous le proposons. Cela suppose aussi que nous prenions en considération les outils nouveaux que sont les plateformes juridiques, mais en les encadrant avec un haut niveau de garanties pour les utilisateurs.
Assurer une justice de meilleure qualité, c’est par exemple proposer d’étendre le périmètre de la représentation obligatoire par avocat. Cela s’appliquera non pas aux litiges inférieurs à 10 000 euros, mais à certains contentieux complexes, permettant d’assurer une justice de meilleure qualité.
Grâce à ces mesures et à de nombreuses autres, l’expertise de l’avocat sera plus fine et mieux dirigée dans l’intérêt du client. Le travail du juge sera facilité : il sera recentré sur son office et la résolution des litiges ne passera plus nécessairement par le juge, afin de pacifier et de responsabiliser la société.
Je dois constater que votre commission des lois envisage de revenir sur la plupart des mesures proposées en matière de procédure civile, en les vidant bien souvent de leur substance. Je le regrette. Je ne partage pas les préventions de votre commission des lois quant au recours au numérique et à la dématérialisation. Ces préventions m’ont d’ailleurs étonnée, je dois l’avouer. Je crois que de telles évolutions constituent au contraire un grand progrès si les garanties nécessaires sont apportées et si la justice demeure humaine. C’est le cas dans le projet que je porte et il ne saurait en aller autrement.
Je ne souhaite pas pour ma part renoncer à l’ambition de cette réforme. Comme je l’ai souligné à plusieurs reprises, le statu quo n’est pas acceptable. Mais nous en débattrons.
Le deuxième axe concerne la procédure pénale. Je ne veux pas céder ici au fantasme du « grand soir » de la procédure pénale. J’ai au contraire voulu construire des solutions pratiques nées des constats issus du terrain, grâce à un travail conduit en commun avec le ministère de l’intérieur pour la phase d’enquête.
La procédure pénale s’est complexifiée ces dernières années, à l’occasion de réformes qui se sont succédé, empilées, parfois sans cohérence. Cela nuit à l’action de l’autorité judiciaire et des enquêteurs. Parallèlement, la criminalité prend des formes nouvelles qui imposent davantage de réactivité et de simplicité dans l’action.
Nous devons donc nous adapter pour mieux protéger les Français. Mon objectif est d’atteindre plus d’efficacité tant pour les justiciables que pour les acteurs de la justice, cela sans sacrifier la garantie des droits.
À cette fin, il faut simplifier le travail des acteurs, mieux protéger les victimes, lutter contre la délinquance du quotidien.
Simplifier le travail des acteurs, qu’ils soient enquêteurs ou magistrats, est bien une priorité. C’est la raison pour laquelle je souhaite une numérisation complète des procédures. C’est aussi pour cela que le texte prévoit toute une série d’harmonisations, concernant par exemple les seuils de déclenchement de certaines procédures. Plus de clarté dans les textes et de simplicité dans les procédures, c’est naturellement une action pénale plus simple au bénéfice final des justiciables.
Mieux protéger les victimes est aussi une de mes grandes préoccupations. Le dépôt de plainte en ligne constituera un réel progrès, notamment pour les victimes de violences sexuelles ou conjugales, qui hésitent parfois à franchir le seuil des commissariats pour porter plainte. Dans le même esprit, je propose l’expérimentation du tribunal criminel départemental, afin notamment d’éviter la correctionnalisation de certains crimes, par exemple les viols. Votre commission des lois a suivi le Gouvernement sur ce point, et c’est important.
Lutter contre la délinquance du quotidien est également une nécessité. L’instauration des amendes forfaitaires pour l’usage de stupéfiants ou l’extension de l’interdiction de comparaître constituent des exemples à cet égard. La commission des lois a approuvé cette démarche.
J’ai vu certains professionnels du droit s’exprimer récemment dans la presse dans des termes souvent bien différents de ceux employés lors des réunions de travail que j’ai pu tenir avec eux,…
M. Jean-François Husson. Comment est-ce possible ? (Sourires.)
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. … pour dénoncer les atteintes qui seraient prétendument portées à la garantie des droits. J’ai d’ailleurs entendu en même temps et d’un autre côté que ce texte offrait trop de garanties, au risque d’entraver le travail des enquêteurs… Tout cela est excessif et me semble infondé. Ce sont des postures. Je souhaite que nos débats soient l’occasion de clarifier les choses.
Les garanties constitutionnelles sont bien là. J’y ai veillé. Le Conseil d’État l’a amplement confirmé dans son avis. Au renforcement des pouvoirs des enquêteurs répond le contrôle des magistrats du parquet et du siège, notamment par l’intermédiaire du juge des libertés et de la détention, sur les actes d’enquête. Je rappelle que les magistrats du parquet sont avant tout des magistrats, indépendants et garants à ce titre également de la liberté individuelle. Quant aux juges des libertés et de la détention, je ne crois pas que les contrôles qu’ils exercent soient de nature formelle. Par l’intervention de ce juge statutaire, la garantie des droits est bien assurée.
Je dois l’avouer, je m’interroge sur la position adoptée par votre commission des lois, qui a très sensiblement modifié ce texte dans un sens qui me semble parfois éloigné des besoins réels des juridictions, des enquêteurs et des justiciables. J’évoquerai ici quelques exemples.
Votre commission des lois a supprimé la procédure de comparution différée. Or, il faut en avoir conscience, à l’heure actuelle, faute de disposer de cette procédure, les parquets se voient fréquemment contraints d’ouvrir des informations judiciaires, afin de solliciter le placement d’un suspect en détention provisoire pour éviter sa fuite, et ce alors que l’enquête est pourtant sur le point d’aboutir. Cette procédure de comparution différée pourrait épargner demain des mois de détention provisoire à ces suspects en sollicitant du juge des libertés et de la détention une détention provisoire de seulement quelques jours dans l’attente du retour des actes de procédures manquants.
De même, prévoir, comme le souhaite votre commission, le droit pour les suspects d’être assistés par un avocat lors d’une perquisition créera des difficultés opérationnelles majeures pour les enquêteurs sur le terrain.
Il faut être clair : sur ce plan, le texte de la commission des lois peut apparaître comme en retrait pour ce qui est de l’efficacité des enquêtes et en contradiction avec le constat dressé récemment par la mission d’information, qui appelait à « vaincre le malaise des forces de sécurité intérieure »… Mais, là encore, nous en débattrons plus en détail.
Le troisième axe est de redéfinir le sens et l’efficacité de la peine. Notre objectif est ici de mieux réprimer les infractions, de mieux protéger la société et de mieux réinsérer. C’est un chantier essentiel ; il doit s’envisager en lien avec le plan pénitentiaire que j’ai récemment eu l’occasion de présenter.
Il faut d’abord remettre de l’ordre dans notre droit de la peine. Le postulat de base est simple : ceux qui doivent aller en prison doivent s’y rendre réellement ; ceux qui n’ont rien à y faire doivent être sanctionnés, mais d’une autre manière.
C’est pourquoi je propose une nouvelle échelle des peines, considérant que toute infraction mérite sanction : en dessous d’un mois, je propose que les peines d’emprisonnement ferme soient interdites ; entre un et six mois, la peine s’exécutera par principe en dehors d’un établissement de détention ; entre six mois et un an, le tribunal aura la possibilité d’imposer que la peine s’exécute en détention, mais il pourra aussi orienter vers un aménagement de peine ; au-delà d’un an, les peines d’emprisonnement seront exécutées sans aménagement ab initio. Le seuil d’aménagement des peines d’emprisonnement sera ainsi abaissé de deux ans à un an par une modification de l’article 723-15 du code de procédure pénale.
Mon objectif est de mettre fin aux emprisonnements de courte durée, très souvent inutiles, désocialisants, qui nourrissent la récidive. Mais il faut aussi assurer une exécution effective des peines prononcées. Aujourd’hui, l’inexécution des peines de prison rend incompréhensible notre justice pénale, aussi bien pour les victimes que pour les délinquants. Il faut que les peines prononcées en lieu et place de la prison soient des peines réelles, utiles et autonomes, qu’il s’agisse des travaux d’intérêt général ou de la détention à domicile sous surveillance électronique – c’est le « bracelet électronique » –, que nous proposons de développer.
L’efficacité ne consiste pas à invoquer la prison comme un mantra ou une martingale.
M. Jean-François Husson. C’est vous qui aviez promis 15 000 places !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Ce n’est pas non plus vouloir vider les prisons au nom d’une vision irénique de la société. J’appelle à sortir de ces schémas tout faits, qui nous empêchent de voir la réalité telle qu’elle est.
Je constate que votre commission des lois, si elle partage les objectifs globaux que je propose, a adopté un point de vue opérationnel différent, en particulier sur les plus courtes peines. La prison demeure pour elle un outil, une forme d’horizon pour les plus petits délits. Pour notre part, nous proposons une approche par paliers, afin de moduler davantage la réponse et de renforcer son individualisation. Elle ne souhaite pas faire du placement sous bracelet électronique une véritable peine. Ce n’est pourtant pas une commodité, mais bien une mesure coercitive, qui permet, comme l’affirmait Dominique Perben en 2004, d’« éviter la désocialisation […] et le contact parfois préjudiciable avec le milieu carcéral ». Pour les courtes peines, il me semble préférable que la juridiction de jugement prononce dès le départ le placement sous bracelet électronique, le placement en semi-liberté ou un placement extérieur. Il faut assumer que ces modalités d’exécution sont plus efficaces qu’une incarcération.
Si je propose par ailleurs un sursis probatoire, mêlant la contrainte pénale et le sursis avec mise à l’épreuve, c’est dans un souci d’efficacité et de souplesse, pour surmonter les difficultés rencontrées dans l’application de la peine de contrainte pénale depuis sa création. Là encore, nous partageons le même objectif, mais je crains que la peine de probation proposée par votre commission des lois ne permette pas de remédier aux lourdeurs actuelles. Nous avons là un point de divergence, que j’assume au nom de l’efficacité de la sanction et de la lutte contre la récidive.
Le quatrième axe de la réforme a trait à l’évolution de l’organisation judiciaire. Il s’agit de réformer sans brutaliser. Comme je l’ai précisé devant votre commission des lois, je n’ai pas dessiné de carte ; j’ai voulu proposer une méthode.
Mon projet est fondé sur deux préoccupations. D’abord, la proximité : le justiciable doit avoir un accès simple à la justice ; cela passe par une proximité physique, mais aussi par le développement du numérique. Ensuite, la qualité du service public de la justice : la dispersion des moyens, l’absence de spécialisation pour certains contentieux complexes ne me semblent pas être le gage d’une justice efficace.
Dès l’ouverture des chantiers de la justice, j’ai affirmé qu’il n’y aurait aucune fermeture de lieux de justice. Je tiens parole. Mais il faut aussi améliorer notre organisation. Cela passe par trois évolutions principales.
Le texte prévoit tout d’abord la fusion des tribunaux d’instance et des tribunaux de grande instance. L’organisation de la première instance sera ainsi plus simple pour le justiciable, qui ne connaîtra plus qu’un seul tribunal,…
Mme Éliane Assassi. Mais loin de chez lui !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. … avec une seule procédure de saisine.
Tous les sites seront maintenus, je le redis clairement, afin d’assurer une justice de proximité pour les contentieux du quotidien. J’ai également décidé, à la suite de la concertation que j’ai menée, de maintenir un juge des contentieux de la protection, qui sera chargé des tutelles, du surendettement, des crédits à la consommation et des baux d’habitation. Ce juge spécialisé statutaire traitera des contentieux ainsi identifiés comme relevant des problématiques de vulnérabilité sociale ou économique. Pour optimiser le traitement des contentieux et s’adapter au mieux à la situation de chaque ressort, les chefs de cour pourront, dans les villes où il n’existe actuellement qu’un tribunal d’instance, confier à celui-ci des contentieux autres que ceux pouvant y être actuellement jugés. La justice s’adaptera ainsi au plus près à la réalité des besoins des justiciables.
Une deuxième évolution concerne les départements dans lesquels il existe plusieurs tribunaux de grande instance, qui sont tous maintenus. Les chefs de cour pourront également, après concertation locale, proposer de créer dans chacun de ces tribunaux des pôles de compétences qui jugeront, pour l’ensemble du département, certains contentieux spécialisés, techniques et de faible volume. L’idée est de permettre de renforcer les compétences des magistrats là où c’est utile et d’améliorer en conséquence les délais de jugement.
Enfin, le projet de loi prévoit d’expérimenter dans deux régions comportant plusieurs cours d’appel l’exercice par l’une d’elles de fonctions d’animation et de coordination, ainsi que la spécialisation des contentieux selon le modèle que je viens d’évoquer.
Le projet de loi organique tire les conséquences de la loi ordinaire quant à la fusion entre tribunaux d’instance et tribunaux de grande instance.
J’observe que la position de votre commission des lois sur ces questions a évolué. Vous étiez partis de l’idée d’un tribunal départemental imposé par la loi. C’était une réforme qui ne me semblait pas acceptable par les territoires. C’est d’ailleurs pourquoi j’ai proposé une méthode plus concrète, partant des projets territoriaux, en concertation avec les acteurs, pour conjuguer proximité et qualité de la justice. Votre méthode prévoit, certes, la création de tribunaux de première instance, mais sans que soit ouverte la possibilité de mieux adapter au plus près du terrain les compétences de chaque juridiction pour améliorer la qualité de la justice. Là encore, je le regrette.
J’en terminerai en évoquant deux axes de la réforme un peu moins centraux.
Le cinquième axe de la réforme concerne la diversification du mode de prise en charge des mineurs délinquants. Outre la création de vingt centres éducatifs fermés, que j’ai annoncée précédemment, le texte permet de mieux préparer la sortie progressive des jeunes de ces structures, notamment le retour en famille, pour en atténuer les effets déstabilisants. Il sera aussi institué à titre expérimental une mesure éducative d’accueil de jour, troisième voie entre le placement et le milieu ouvert.
Je sais le travail mené dans la Haute Assemblée par Catherine Troendlé et Michel Amiel sur ces questions, et je ne doute pas que nous évoquerons ces sujets de manière plus approfondie lors de nos débats.
Le sixième axe concerne la procédure devant les juridictions administratives. Le projet de loi prévoit en effet le recrutement de juristes assistants pour renforcer les équipes autour des magistrats. Il prévoit aussi de renforcer l’exécution des décisions par des injonctions et des astreintes.
Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est bien une réforme ambitieuse que je porte. Le Gouvernement vous proposera d’ailleurs de l’enrichir, notamment par des dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, avec la création d’un parquet national spécialement dédié, dispositions qui ont été soumises à votre commission des lois.
Mon objectif est à la fois simple et complexe : il s’agit de mieux servir les justiciables et la justice. Je suis certaine que nous le partageons.
Sur certains points, nous avons une approche différente. Sur d’autres, au contraire, nous nous rejoignons. Mais, ce qui nous réunit, c’est la volonté de faire que la justice de ce pays sorte enfin de l’état dans lequel elle se trouve. Cher Philippe Bas, vous vous étiez fixé comme objectif de « redresser » la justice. Je ne sais pas s’il faut la redresser, car elle me semble droite, en dépit de ses faiblesses ; ce dont je suis certaine, c’est qu’il faut la soutenir et la réformer. J’espère – je suis même convaincue – qu’ensemble nous trouverons les voies et moyens de promouvoir une réelle et belle réforme de la justice. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe socialiste et républicain.)