M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Madame Benbassa, pendant tous les travaux que j’ai menés sur ce texte, je n’ai jamais perdu de vue la question du droit de manifester ; en aucune autre occasion, elle n’a été plus centrale pour moi ! Le souci de préserver ce droit de manifester et l’ensemble des libertés individuelles a dicté toutes nos démarches, aboutissant aux garanties qui encadrent ce texte aujourd’hui.
Le fichier qu’il est envisagé de créer, monsieur Durain, recensera toutes les mesures d’interdiction de manifester, qu’elles soient prononcées dans le cadre judiciaire ou dans le cadre administratif. Je rappelle, à cet égard, la nouveauté introduite à l’article 2, à savoir la possibilité qu’une interdiction individuelle de manifester soit prononcée par l’autorité préfectorale.
L’outil nous semble précieux pour les forces de l’ordre, qui pourront s’assurer du bon respect des mesures prononcées par les individus concernés.
La commission des lois considère donc que ce fichier sera utile et, en conséquence, émet un avis défavorable sur ces amendements identiques.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. La création d’un traitement de données à caractère personnel ne relève pas, en principe, de la loi et, en l’espèce, la création d’un fichier constitué de mesures de police administrative ou de peines complémentaires n’appartient à aucune des matières réservées, par l’article 34 de la Constitution, au domaine de la loi.
Ce n’est en fait qu’à raison de l’enregistrement de condamnations pénales – ici la peine complémentaire d’interdiction de manifester prévue par le code de la sécurité intérieure – et si le fichier est mis en œuvre par un service autre que le ministère de la justice qu’une autorisation par la loi serait nécessaire, en application de l’article 777-3 du code de procédure pénale. La commission des lois ayant ajouté le ministère de la justice en tant que responsable du traitement, en supplément du ministère de l’intérieur, l’intervention d’une disposition législative ne semble plus nécessaire.
Par ailleurs, je précise que les réflexions menées, dans le cadre des travaux gouvernementaux, sur l’intérêt opérationnel et la nécessité d’un fichier spécifique aux interdictions administratives et judiciaires de manifester ne sont pas abouties. Il convient de les prolonger, sachant que l’intérêt opérationnel doit se mesurer au regard d’interdictions qui seraient prononcées pour des manifestations ponctuelles – d’autres fichiers, comme ceux qui concernent les interdictions de stade, portent sur des durées plus longues.
Le Gouvernement va donc poursuivre sa réflexion, notamment sur l’intérêt opérationnel de cette mesure, dans le cadre du groupe de travail. Néanmoins, et pour les mêmes motifs que ceux que j’ai mentionnés aux articles 1er et 2, son avis est défavorable sur ces amendements de suppression.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. J’ai ressenti de la colère en entendant Mme Esther Benbassa…
Mme Esther Benbassa. La colère de qui ?
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. La colère étant retombée, je vais lui répondre avec autant de courtoisie que possible.
Ma chère collègue, lorsque vous assimilez la proposition de la commission des lois aux fichiers mis en place par le régime de Vichy, nous avons le droit de juger cela insultant. En effet, implicitement, vous nous accusez d’être pétainistes ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
Mme Esther Benbassa. Je n’ai pas prononcé cette phrase ; c’est vous qui le dites !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. M. Jérôme Durain a rappelé tout à l’heure qu’il existe déjà 106 fichiers ; nous disposons de la loi Informatique et libertés et de la Commission nationale de l’informatique et des libertés – la CNIL – ; nous travaillons avec des fichiers pour la sécurité sociale, pour les cartes nationales d’identité, pour les passeports… Nous en utilisons aussi pour la sécurité nationale !
Quand une république comme la République française se défend, dans le respect du droit, sous le contrôle du Conseil constitutionnel, en mettant en œuvre de nouvelles législations destinées à empêcher les casseurs de venir disqualifier un certain nombre de manifestations pacifiques et de porter atteinte aux biens de contribuables français, d’honnêtes citoyens, je dois vous le dire, je ne me sens ni fasciste, ni vichyste, ni nazi…
Mme Françoise Gatel. Bravo !
Mme Esther Benbassa. Personne ne vous a traité de nazi !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Je ne me sens rien de tel lorsque je soutiens, dans le respect de nos libertés fondamentales, les propositions émises par les auteurs de la proposition de loi et amendées par la commission des lois, sur l’initiative de son rapporteur et dans le sens d’une meilleure proportionnalité, d’un meilleur équilibre.
Oui, il s’agit bien pour nous de prendre toutes les garanties pour pouvoir, à la fois, atteindre nos objectifs de neutralisation des casseurs – ces essaims de frelons qui viennent dégrader les biens – et respecter nos libertés fondamentales, …
Mme Esther Benbassa. Nous verrons ce qu’en pense le Conseil constitutionnel !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. … et nous le faisons sans supporter les invectives qui nous mettent en accusation d’une manière, non seulement fausse, non seulement injuste, mais aussi particulièrement violente. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.
Mme Éliane Assassi. Comme vous le savez, mes chers collègues, nous sommes, sur le fond, complètement opposés aux fichiers et, donc, a fortiori, à la création de nouveaux fichiers. Mais je voudrais mentionner un article paru dans le journal Le Monde du vendredi 19 octobre, qui nous apprend que des collègues députés travaillent actuellement sur le nombre de fichiers mis à la disposition des forces de l’ordre de notre pays. Il est question, dans cet article, du « véritable micmac juridique, technique et éthique » qui entoure la gestion de ces fichiers. Pour le même individu, un officier de police judiciaire doit ouvrir, un à un, les quelque 30 fichiers auxquels il a accès.
Par conséquent, outre le fait que nous sommes opposés à la création de fichiers, nous pouvons nous interroger sur l’intérêt, par le biais de cette proposition de loi, d’en créer un nouveau qui ne contribuera nullement à rendre plus lisible et efficace l’intervention des forces de police.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 4 et 11 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 22, présenté par Mme Troendlé, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Remplacer les mots :
en application de l’article L. 211-13
par les mots :
dans les conditions prévues à l’article 131-32-1 du code pénal
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de coordination.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Un peu plus tard dans la discussion, nous allons présenter un amendement plus général, visant à supprimer la totalité de l’article prévoyant une peine d’interdiction de participer à des manifestations sur la voie publique, du fait de la disproportion des dispositions dont il est porteur. C’est pourquoi le Gouvernement n’est pas favorable à cet amendement de coordination.
M. le président. L’amendement n° 12 rectifié, présenté par Mmes Benbassa, Assassi, Apourceau-Poly, Cohen et Cukierman, M. Bocquet, Mme Brulin, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud, MM. Savoldelli et Collombat et Mme Lienemann, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Rédiger ainsi cet alinéa:
« La conformité de ces traitements automatisés de données à caractère personnel est contrôlée, en coopération avec la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, par un ou plusieurs membres de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Le contrôle est effectué dans des conditions permettant d’en assurer la confidentialité. »
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Je n’ai pas repris la parole tout à l’heure, car je ne voulais pas ouvrir la polémique. Mais je crois que vous exagérez, mes chers collègues…
Mme Sophie Primas. C’est vous qui nous traitez de pétainistes !
Mme Esther Benbassa. Monsieur Bas, vous jouez le courroux, pour ne pas parler du vrai danger des fichiers ! Nous, les historiens, en avons vu d’autres !
M. François Grosdidier. Vos propos sont très approximatifs pour une historienne !
Mme Esther Benbassa. Je n’ai pas de leçon à recevoir de vous, monsieur Grosdidier !
Mme Sophie Primas. Nous non plus, madame Benbassa !
Mme Esther Benbassa. Voilà dix ans, Nicolas Sarkozy proposait le fichage de personnes atteintes de pathologies mentales hospitalisées d’office. Si le Président de la République de l’époque a reculé, le procédé semble toutefois s’être popularisé depuis : généralisation des passeports biométriques pour les exilés arrivant aux frontières de l’Union européenne, « circulaire Collomb » visant au fichage des réfugiés dans les centres d’accueil de demandeurs d’asile, etc. Ce sont maintenant les manifestants qui sont visés par ce procédé démagogique et populiste.
Mme Sophie Primas. Non, les casseurs !
Mme Esther Benbassa. Par cette mesure, visant à interdire de manière préventive la présence de certains militants à des rassemblements…
M. François Grosdidier. Des casseurs !
Mme Esther Benbassa. Franchement, il faut laisser les gens parler ! C’est la première des libertés dans ce Parlement, n’est-ce pas ?
Par cette mesure, visant à interdire de manière préventive la présence de certains militants à des rassemblements, une atteinte de poids est portée à l’article IX de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, portant sur la présomption d’innocence.
Ainsi, nous ne pouvons que saluer la volonté de la rapporteur, qui a cherché à encadrer une telle mesure, et remercier la commission des lois…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Merci !
Mme Esther Benbassa. … pour son travail tendant à rendre le dispositif initialement proposé moins attentatoire aux libertés fondamentales.
M. François Grosdidier. Il ne l’était pas du tout !
M. le président. Ça va, maintenant ! (Violentes protestations sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
Mme Esther Benbassa. Néanmoins, ces avancées ne sauraient rendre ce texte acceptable.
La commission, afin de se conformer à la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, a demandé que la confection d’un tel fichier se fasse après avis de la CNIL. Une telle solution nous paraît bien faible au regard des enjeux.
C’est pourquoi nous proposons d’encadrer davantage encore le fichage des manifestants, en plaçant celui-ci sous un contrôle strict par la CNIL, en coopération avec la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, la CNCTR.
M. le président. Mes chers collègues, veillez à respecter vos temps de parole !
Depuis environ une heure, en l’absence d’interruptions, le débat se déroulait bien. Je vous demande de revenir au calme et à une écoute mutuelle et respectueuse.
Mme Françoise Gatel. Alors, il ne faut pas parler comme ça !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Cet amendement vise à introduire un contrôle du fichier recensant les mesures d’interdiction de manifester, contrôle qui serait exercé par la CNIL et la CNCTR.
En application de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, le fichier prévu à l’article 3 de la proposition de loi sera effectivement soumis, comme tous les traitements de données à caractère personnel, à un contrôle a posteriori de la CNIL. Introduire dans la loi un nouveau fondement juridique pour le contrôle serait source de confusion. Je propose donc que l’on en reste au droit actuel, donc à ce contrôle a posteriori par la CNIL.
Mme Esther Benbassa propose également une participation de la CNCTR à ce contrôle. Pour avoir été membre de cette instance, je puis vous affirmer, mes chers collègues, qu’elle n’est pas compétente, ni pour le contrôle a priori ni pour le contrôle a posteriori. Elle l’est pour les techniques de renseignement, mais n’a aucune prérogative concernant les fichiers.
La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. S’agissant du contrôle d’un traitement automatisé de données, la CNIL est compétente et exercera sa compétence.
Par ailleurs, je confirme les propos de Mme le rapporteur sur la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. Compétente pour émettre des avis préalables sur des autorisations de mise en œuvre de techniques de renseignement et pour en contrôler, ensuite, l’utilisation et la mise en œuvre, cette instance n’est absolument pas compétente pour contrôler des fichiers.
Par conséquent, l’avis du Gouvernement est également défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l’article 3, modifié.
(L’article 3 est adopté.)
Chapitre II
Dispositions pénales
Article 4
Après l’article 431-9 du code pénal, il est inséré un article 431-9-1 ainsi rédigé :
« Art. 431-9-1. – Le fait pour une personne, au sein ou aux abords immédiats d’une manifestation sur la voie publique, de dissimuler volontairement, totalement ou partiellement, son visage afin de ne pas être identifiée dans des circonstances faisant craindre des atteintes à l’ordre public est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende.
« Le présent article n’est pas applicable aux manifestations conformes aux usages locaux ou lorsque la dissimulation du visage est justifiée par un motif légitime. »
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, sur l’article.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Cet article tend à sanctionner plus sévèrement les auteurs de violences et de dégradations dans les manifestations, en faisant de l’infraction de dissimulation volontaire du visage dans une manifestation dans des circonstances faisant craindre des troubles à l’ordre public un délit puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.
Cette infraction est actuellement punie d’une contravention de la cinquième classe. Selon nous, en continuant d’aggraver les sanctions, les auteurs de ce dispositif continuent à traiter les causes, non les symptômes. Modifier l’échelle des peines au gré des fins politiques ne mènera jamais à la résolution des problèmes.
Nous sommes là dans la pure illustration de l’échec de la répression. Pourtant, les auteurs de cette proposition de loi continuent à se fourvoyer, même si aucune infraction nouvelle n’est créée, les comportements visés étant déjà constitutifs d’infractions pénales – violence, dégradation et destruction de biens, port d’armes…
Au lieu de renforcer des sanctions qui existent déjà, donnons plutôt aux forces de l’ordre les moyens de démasquer en amont les individus. Or l’état de déshérence dans lequel sont plongées les forces de l’ordre les empêche de remonter le fil des organisations violentes qui, pourtant, annoncent bien souvent leurs intentions avant d’agir. À cet égard, il semblerait que les groupuscules ayant frappé lors de la manifestation du 1er mai dernier aient annoncé leur « mobilisation » sur les réseaux sociaux, au moins la veille des troubles visés.
Madame la rapporteur, pensez-vous vraiment que les dispositifs que vous proposez parviendront à enrayer ce genre de dysfonctionnements ? Si oui, pouvez-vous nous expliquer comment ?
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher, sur l’article.
M. Jérôme Bascher. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame le rapporteur, mes chers collègues, si manifester n’est pas mon mode d’expression habituel, je me battrai toujours pour la liberté de manifester. Il faut pouvoir manifester en toute sécurité et cet article, contrairement à ce que j’ai pu entendre, vient protéger cette liberté.
Lorsque des individus cagoulés, visage dissimulé par des casques, se mêlent à la foule des manifestants, ils menacent directement ces derniers, d’une part, parce que les forces de l’ordre peuvent être amenées à contrôler par des moyens un petit peu durs ces individus et qu’il peut y avoir des victimes collatérales parmi les manifestants, d’autre part, parce que cela n’interdit pas à ces gens au visage dissimulé de faire des contre-manifestations à l’intérieur des manifestations et, de fait, de molester les manifestants eux-mêmes.
Mme Éliane Assassi. Bien sûr !
M. Jérôme Bascher. C’est de cela qu’il s’agit : protéger d’abord les manifestants qui exercent leur droit constitutionnel, protéger ensuite les riverains, qui sont les victimes collatérales et les victimes économiques de ces manifestations, protéger enfin nos forces de l’ordre qui se battent à armes inégales avec ces commandos.
Monsieur le secrétaire d’État, vous êtes sans doute celui qui connaît le mieux ces individus aujourd’hui. Je suis très content que vous soyez à ce poste à l’occasion de l’examen de ce texte. En effet, vous savez comme moi que ceux qui sont cagoulés ne sont pas tous des casseurs ; en revanche, tous sont complices des casseurs : il y a ceux qui viennent photographier, ceux qui viennent juste énerver les forces de l’ordre et ceux qui viennent vraiment casser.
Vous connaissez par cœur ces groupes dont l’organisation est très compliquée et qui, aujourd’hui, sont non pas sur les réseaux sociaux comme j’ai pu l’entendre,…
Mme Éliane Assassi. Si, si !
M. Jérôme Bascher. … mais sur le darknet, de manière anarcho-militaire. C’est cela qui se passe en ville !
J’ai bien entendu qu’il s’agissait de phénomènes urbains. Aujourd’hui, on les retrouve aussi à la campagne, monsieur le secrétaire d’État : par exemple, des gens cagoulés filment et attaquent des chasses autorisées. C’est exactement la même chose et il faudra se pencher là-dessus. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 5 est présenté par MM. Durain, Kanner, Sueur, J. Bigot et Fichet, Mmes de la Gontrie et Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie, Sutour et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 13 rectifié est présenté par Mmes Assassi, Benbassa, Apourceau-Poly, Cohen et Cukierman, M. Bocquet, Mme Brulin, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud, MM. Savoldelli et Collombat et Mme Lienemann.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jérôme Durain, pour présenter l’amendement n° 5.
M. Jérôme Durain. Nous pensons que cet article est inutile. Il renforce la législation anti-cagoule en faisant de cette infraction un délit puni de un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Or le droit en vigueur admet aujourd’hui deux cas d’interdiction de dissimulation du visage.
D’une part, l’article R. 645-14 du code pénal punit d’une amende de 1 500 euros « le fait pour une personne, au sein ou aux abords immédiats d’une manifestation sur la voie publique, de dissimuler volontairement son visage afin de ne pas être identifiée dans des circonstances faisant craindre des atteintes à l’ordre public », hormis le cas où les manifestations sont conformes aux usages locaux ou lorsque la dissimulation du visage est justifiée par un motif légitime.
D’autre part, l’article 3 de la loi du 2 mars 2010 renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d’une mission de service public fait de la dissimulation du visage une circonstance aggravante de certaines infractions. L’article 431-4 du code pénal issu de la loi précitée fait ainsi de la dissimulation du visage une circonstance aggravante du délit consistant à « continuer volontairement à participer à un attroupement après les sommations ».
Ainsi, l’interpellation n’est possible que lorsque la dissimulation du visage s’accompagne de la commission d’un délit ou de la tentative de commettre un délit, exigence qui permet de consolider la procédure, puisqu’il faut apporter une double preuve : en premier lieu, que le contrevenant masqué se dissimule le visage afin de ne pas être identifié, de manière volontaire ; en second lieu, qu’il existe des « circonstances de nature à faire craindre des atteintes à l’ordre public ».
Dès lors, on peut considérer que la création d’un tel délit est inutile, voire disproportionnée, pour lutter contre la délinquance, car, si elle est censée faciliter l’interpellation et le placement en garde à vue, en pratique, elle ne rendra pas plus aisé le fait d’aller chercher les individus cagoulés au cœur d’une manifestation.
M. Jean-Pierre Sueur. C’est imparable !
M. le président. L’amendement n° 13 rectifié a été précédemment défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Je rappelle que l’article 4 vise à créer un délit de dissimulation du visage dans une manifestation dans le but de ne pas être identifié par les forces de l’ordre dans des circonstances faisant craindre un trouble à l’ordre public. La dissimulation du visage est aujourd’hui punie d’une simple contravention de la cinquième classe.
La commission émet un avis défavorable sur ces amendements identiques de suppression. Elle considère en effet que la création d’un délit présente un intérêt majeur sur le plan opérationnel, puisqu’elle permet la mise en œuvre de mesures de contrainte, dont la garde à vue qui est essentielle. Cela a été souligné à plusieurs reprises lors des auditions.
Ces mesures de contraintes, notamment la garde à vue, ne sont pas possibles dans le cas d’une contravention. Sans méconnaître la difficulté qu’il peut y avoir à interpeller un individu masqué lorsque des débordements se produisent, nous pensons que la sanction prévue par la proposition de loi pourrait être plus dissuasive que l’actuelle contravention dont, faut-il le rappeler, le plafond est de 1 500 euros. Si elle devient un délit, les sanctions encourues peuvent être de un an de prison et 15 000 euros d’amende. Nous pensons que l’effet dissuasif est également important.
M. Bruno Retailleau. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Le Gouvernement est favorable à l’article 4, qui transforme cette contravention en délit. Un travail complémentaire et une réflexion se poursuivent autour de la juste proportionnalité de la sanction prévue par le texte, soit un an d’emprisonnement. En prévoyant une peine de six mois, on atteindrait le même objectif que celui qu’a décrit Mme le rapporteur, à savoir la possibilité de signaliser, placer en garde à vue et juger en comparution immédiate.
Si le Gouvernement poursuit la réflexion dans le cadre du groupe de travail dont j’ai parlé, il émet également un avis défavorable sur ces amendements identiques de suppression.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 5 et 13 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 4.
(L’article 4 est adopté.)
Article 5
I. – L’article 431-10 du code pénal est ainsi rédigé :
« Art. 431-10. – Est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende :
« 1° Le fait d’introduire ou de porter une arme ou, sans motif légitime, tout objet susceptible de constituer une arme au sens de l’article 132-75, y compris des fusées et artifices, dans une réunion publique, dans une manifestation sur la voie publique ou à ses abords immédiats ;
« 2° (Supprimé)
« 3° Le fait de jeter un projectile présentant un danger pour la sécurité des personnes dans une manifestation sur la voie publique.
« La tentative de ces délits est punie des mêmes peines. »
II. – À l’article 431-12 du code pénal, les mots : « de l’infraction définie » sont remplacés par les mots : « des infractions définies ».
M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume, sur l’article.
Mme Michelle Gréaume. Cet article tend à élargir l’infraction de participation à une manifestation ou à une réunion publique en étant porteur d’une arme, afin de viser non seulement le port d’arme, mais aussi le port d’arme par destination et celui de fusées et d’artifices.
Je suis au regret de constater que sont clairement visés, à travers cet article, non pas les Black Blocs, mais bien certains syndicalistes. Je pense en particulier aux cheminots ou aux dockers, qui peuvent utiliser de manière pacifique ce genre d’artifices, non pour en faire usage d’arme, mais bien plutôt pour marquer leur colère dans l’espace public, se faire entendre et se faire voir. Tel est l’objet des manifestations revendicatives, me semble-t-il.
En outre, nous nous interrogeons sur la notion d’arme par destination et ce qu’elle pourrait englober. La latitude que se laissent les auteurs de ce dispositif est en cela particulièrement inquiétante et nous laisse pour le moins songeurs quant à leurs intentions réelles. J’ai un doute : ne s’agit-il pas tout bonnement de mettre en place les conditions pour censurer finalement toute forme de manifestation dans l’espace public ?
Par ailleurs – et j’ouvre ici une parenthèse importante, car il ne s’agit pas du sujet qui nous occupe à proprement parler aujourd’hui –, je vous invite à prendre connaissance des études de l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture, l’ACAT, sur l’armement de la police en France.
M. Loïc Hervé. Ah !
Mme Michelle Gréaume. L’ONG chrétienne alerte les autorités françaises sur la dangerosité des armes dont elles se dotent et sur le caractère contre-productif et possiblement contraire au droit international du recours à ces armes, indiquant que les forces de l’ordre françaises comptent parmi les plus armées d’Europe. « Bien évidemment, le recours à ces armes génère davantage de tensions et troubles à l’ordre public qu’il n’y apporte de solution. À moyen et long termes, le recours à des armes de plus en plus offensives participe de l’accroissement du niveau de violence et concourt à creuser le fossé entre les forces de sécurité et la population », estime l’ACAT.
Une question s’impose : ces armes sont-elles vraiment adaptées au maintien de l’ordre lors de manifestations ? Sont-elles indispensables ? Peut-être y aurait-il lieu de légiférer sur le sujet prochainement avec la même ardeur qui vous amène aujourd’hui à défendre ce genre de dispositifs, mes chers collègues.