Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnances les mesures de préparation du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, il faut que vous sachiez, madame la ministre, que je suis un rapporteur déçu et mécontent de l’attitude du Gouvernement sur un texte qui aurait dû être consensuel jusqu’au bout.
Vous allez comprendre pourquoi je dis cela. Pour avoir lu en détail tout ce qu’il s’est dit en commission, vous avez pu constater que les sénateurs de tous bords se sont montrés particulièrement responsables.
Les parlementaires n’aiment pas, en général, les ordonnances. Et pour cause : il s’agit de leur retirer un droit au débat. Malgré cela, compte tenu du sujet difficile que constitue le Brexit, quel que soit l’avis qu’on porte sur cette question, tous nos collègues se sont montrés responsables en acceptant le recours à cette procédure : ceux du groupe Les Républicains, ceux du groupe Union Centriste, ceux du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ceux du groupe socialiste et républicain, ceux du groupe La République En Marche, bien sûr, et même ceux du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, qui se sont abstenus plutôt que de voter contre – ils nous diront tout à l’heure quelle est leur position.
Ils ont compris que c’était un problème urgent, que le Brexit pouvait se passer bien, tout autant qu’il pouvait mal se passer. En l’absence d’accord, le Gouvernement disposera non pas de plusieurs mois, mais juste de quelques semaines pour prendre les différentes mesures que vous avez évoquées concernant les Français qui habitent ou travaillent au Royaume-Uni – c’est l’article 2 –, les Anglais qui habitent ou qui travaillent en France – c’est l’article 1er – ou bien les dépenses urgentes d’investissement qu’il faudra faire dans nos infrastructures portuaires, aéroportuaires, au profit du tunnel sous la Manche, etc.
Tout le monde en a pris conscience, et nous avons tous dit oui à ces ordonnances, même si, je le répète, nous n’« aimons » guère cette procédure. Or j’ai le sentiment que c’est en raison de cette attitude favorable, que vous avez pu observer, que vous vous êtes permis de ne pas jouer le jeu d’un minimum de débat entre le Gouvernement et le Parlement.
Les huit amendements – cela ne fait pas beaucoup – de la commission spéciale allaient tous dans le sens des recommandations que vous avaient faites le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État, ce dernier soulignant que votre texte manquait de précision et que le débat parlementaire pourrait être utile dans ce sens.
En plus, le dialogue que nous avons eu ensemble ces derniers jours me semblait bon. La preuve en est que, ce matin, j’ai encore déposé, au nom de la commission spéciale, quatre amendements qui ont tous un seul but : tenir compte des observations que vous nous aviez faites. Nous nous sommes donc montrés particulièrement coopérants ! Surprise : en prenant connaissance des amendements du Gouvernement ce matin, nous nous rendons compte qu’ils expriment tous le refus du texte adopté par la commission spéciale. C’est pour cette raison que je me permets de dire que je suis mécontent.
Je vais m’arrêter là, n’ayant pas besoin d’aller plus loin. Nous reviendrons sur les mesures que vous proposez lors de l’examen de vos amendements, mais excusez-moi par avance si, au cours de ce débat, je fais preuve d’un peu de fermeté.
En tant que rapporteur, je vous indique, malgré ce comportement que je n’apprécie pas et que je regrette, que la commission spéciale, réunie ce matin, a rejeté à l’unanimité la totalité de vos amendements. Il en ira sans doute de même tout à l’heure. Je me permettrai de vous dire pourquoi, parfois un peu fermement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Exception d’irrecevabilité
Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Masson et Mme Kauffmann, d’une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnances les mesures de préparation au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne (n° 93, 2018-2019).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Claudine Kauffmann, pour la motion.
Mme Claudine Kauffmann. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la presse nationale du mardi 16 octobre 2018 a confirmé que le Gouvernement refusait de rendre public l’avis du Conseil d’État relatif au projet d’ordonnances d’habilitation au sujet du Brexit. C’est exact, car les membres de la commission spéciale du Sénat qui avaient demandé à connaître cet avis ne l’avaient pas obtenu. À l’évidence, le Gouvernement espérait que le Sénat ne serait pas informé des réserves du Conseil d’État au sujet de ce projet de loi.
Il s’agit d’un manque de loyauté à l’encontre des parlementaires qui sont appelés à voter sur un texte sans en connaître les tenants et les aboutissants. De plus, c’est contraire à la pratique habituelle, car si effectivement le Gouvernement n’est pas tenu de publier l’avis du Conseil d’État, c’était néanmoins devenu un usage habituel. Quoi qu’il en soit, la presse a eu connaissance de cet avis qui avait été rendu le 27 septembre 2018.
Selon le journal Le Monde, le Conseil d’État regrette que le projet de loi « n’énumère que les têtes de chapitre des domaines pouvant donner lieu à ordonnances, mais sans préciser, dans la plupart des cas, la portée des mesures envisagées. Le Gouvernement explique ces choix par le souci de ménager la position de la France dans les négociations en cours, en préservant ses marges de manœuvre ».
Or, selon le Conseil d’État, la Constitution oblige le Gouvernement à indiquer au Parlement la finalité des mesures envisagées avec une précision suffisante. « Tout en admettant que le projet du Gouvernement s’inscrit dans un contexte très particulier […], le Conseil d’État considère, au stade où il est saisi, que le respect de cette exigence constitutionnelle suppose de préciser davantage l’énoncé de la finalité des mesures ».
Dans ces conditions, il apparaît clairement que, selon l’avis du Conseil d’État, ce projet de loi présente un risque flagrant d’inconstitutionnalité. C’est la raison pour laquelle les signataires de la présente motion proposent l’adoption d’une exception d’irrecevabilité.
Mme la présidente. Y a-t-il un orateur contre la motion ?…
Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’exception d’irrecevabilité s’oppose aux dispositions inconstitutionnelles, car elle a pour effet d’entraîner le rejet du texte.
Je regrette moi aussi, madame Kauffmann, le choix du Gouvernement de ne pas publier l’avis du Conseil d’État, dans la mesure où, comme je l’ai dit en commission, cela crée un mystère autour de cet avis, qui ne contient pourtant rien d’extraordinaire. D’ailleurs, la publication des avis du Conseil d’État était une pratique constante depuis 2015. Toutefois, elle n’est pas obligatoire : c’est pourquoi vous avez préféré ne pas vous y soumettre, madame la ministre.
En revanche, nous, sénateurs, avons tenu compte de cet avis en apportant un certain nombre de précisions qui ne figuraient pas dans le texte initial. Et je vous rassure, madame Kauffmann, les amendements que nous avons adoptés en commission ont permis de préciser les finalités des habilitations à légiférer par ordonnance, dans le respect de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Pour ces raisons, la commission spéciale a émis un avis défavorable sur votre motion.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Madame Kauffmann, le Gouvernement a effectivement fait le choix de ne pas rendre public l’avis du Conseil d’État, pour la seule et unique raison que le projet de loi touche aux relations internationales de la France, à l’instar des projets de loi de ratification d’accords internationaux prévus par l’article 53 de la Constitution, pour lesquels les avis du Conseil d’État ne sont traditionnellement pas rendus publics non plus.
Le projet de loi d’habilitation s’inscrit dans un contexte extrêmement particulier et incertain, comme j’ai eu l’occasion de le dire devant vous. Toute la difficulté sur le fond était de concilier la nécessaire précision des ordonnances avec la capacité du Gouvernement à réagir très rapidement en fonction de l’évolution des négociations comme des mesures envisagées par nos partenaires européens et par les Britanniques eux-mêmes en cas d’absence d’accord.
L’examen du projet de loi par le Conseil d’État a déjà conduit le Gouvernement à apporter à son texte initial des améliorations, notamment sur les finalités des mesures envisagées. Le Conseil d’État a précisé explicitement dans son avis que, dans la nouvelle rédaction telle qu’elle a été présentée au Sénat, le texte est conforme aux exigences constitutionnelles, eu égard notamment au contexte exceptionnel dans lequel il s’inscrit.
C’est pourquoi j’émets un avis défavorable sur cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.
M. Olivier Cadic. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission spéciale, hier, des centaines d’Européens résidant au Royaume-Uni et de Britanniques installés dans l’Union ont formé une chaîne humaine devant Downing Street pour demander au gouvernement britannique de garantir leurs droits dans l’hypothèse d’un Brexit sans accord avec l’Union européenne.
À l’invitation des organisations The3million et British in Europe, je suis intervenu hier dans l’enceinte du Parlement, à Londres. J’ai souhaité que tout soit entrepris pour sécuriser et préserver les droits des trois millions d’Européens du Royaume-Uni et des deux millions de Britanniques en Europe. C’est également la volonté exprimée par notre gouvernement en de nombreuses occasions.
Le cauchemar du Brexit a commencé il y a deux ans, quatre mois et treize jours : 866 jours après le référendum et à J moins 143 de l’échéance, personne ne sait ce que « Brexit » signifie. En tant qu’entrepreneur, on me demande de me préparer ; mais me préparer à quoi ?
Le Gouvernement est dans la même situation : il est contraint de nous demander de lui permettre de s’adapter très vite, dès lors que nous saurons ce que le Gouvernement britannique choisira. La raison en est simple : il n’y a pas de consensus au Royaume-Uni sur le projet de sortie. Même si le pire n’est jamais sûr, l’absence d’accord est devenue une option. Personne ne peut plus faire de projets. Pour cinq millions d’Européens, l’angoisse est totale. Il faut que ce cauchemar cesse : il faut donc être flexible et pragmatique, et habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnances les mesures de préparation au retrait du Royaume-Uni. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – Mme Fabienne Keller applaudit également.)
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion n’est pas adoptée.)
Mme la présidente. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Masson et Mme Kauffmann, d’une motion n° 2.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnances les mesures de préparation au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne (n° 93, 2018-2019).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Claudine Kauffmann, pour la motion.
Mme Claudine Kauffmann. Le site internet de l’hebdomadaire Le Point résume très bien la duplicité des négociateurs de l’Union européenne dans l’affaire du Brexit. Sous le titre : « Brexit, cette négociation qui n’en est pas une », Le Point explique que, malgré une apparente bonne volonté, l’Union européenne ne cherche pas à négocier réellement. En fait, les Européens ont posé d’emblée leurs exigences et ils refusent toute discussion.
Ces exigences reposent sur quatre points : premièrement, le refus de traiter séparément la circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux ; deuxièmement, le statut des ressortissants européens résidant en Grande-Bretagne ; troisièmement, le solde financier et le paiement par la Grande-Bretagne des projets déjà engagés ; quatrièmement, et enfin, le refus de toute frontière physique entre l’Irlande du Nord et le reste de l’île.
Les négociateurs européens savent très bien que cette dernière condition est, à elle seule, un obstacle quasi insurmontable, car, dans le même temps, ils veulent créer une frontière physique avec le reste de la Grande-Bretagne. Cela revient donc à obliger les Britanniques à accepter un dépeçage de leur pays, lequel serait littéralement coupé en deux par une véritable frontière.
Le Point résume très bien la finalité des responsables : ils veulent absolument que les Britanniques perdent tous leurs avantages et qu’ils vivent moins bien, tout cela afin qu’ils regrettent leur départ. À la veille des élections européennes, leur seul but est de faire croire à nos concitoyens que l’évolution vers une Europe fédérale serait la seule solution de bon sens pour l’avenir.
Ainsi, l’impasse actuelle des négociations sur le Brexit est en très grande partie due à la stratégie politicienne des dirigeants de l’Union européenne. Le président Macron est à la pointe de la coalition, qui essaie de saboter le Brexit en « pourrissant » les négociations. Le Gouvernement français ferait vraiment mieux de chercher honnêtement des solutions plutôt que de mettre de l’huile sur le feu par son intransigeance.
Cela justifie donc l’adoption d’une motion tendant à opposer la question préalable, conformément à l’article 44, alinéa 3, du règlement du Sénat.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Je le rappelle, voter la motion tendant à opposer la question préalable signifie que l’on s’oppose à l’ensemble du texte et qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération. Nous pensons, au contraire, que ce projet de loi est nécessaire pour tirer les conséquences du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, comme nous venons de le rappeler ici.
La France devra agir rapidement pour préserver ses intérêts, mais également la situation des Français et celle des Anglais. Je vous rappellerai trois chiffres, à titre d’information complémentaire : les exportations vers le Royaume-Uni représentent 3 % du PIB français ; en outre, chaque année, quelque 32 millions de personnes et 4,2 millions de poids lourds franchissent la Manche soit par le tunnel, soit en bateau, soit en avion ; enfin, 4 millions de Britanniques se rendent chaque année sur le territoire français. Autrement dit, ce flux est important, et l’on ne peut pas faire comme s’il n’existait pas. Les mesures que nous prendrons sans doute, a fortiori en l’absence d’accord de retrait, il faudra les adopter en urgence.
Vous comprendrez donc pourquoi la commission spéciale a émis un avis tout à fait défavorable sur cette motion.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Notre objectif est, aujourd’hui comme hier, de parvenir au meilleur accord possible pour le Royaume-Uni et pour l’Union européenne. Le projet de loi présenté en conseil des ministres ne constitue pas un acte de défiance, ni à l’encontre du Royaume-Uni ni à l’encontre des négociations : celles-ci se poursuivent et le négociateur de l’Union a l’entier soutien du gouvernement français.
Toutefois, l’hypothèse d’un échec des négociations, ou celle d’une absence de ratification par l’une des deux parties, ne peut être exclue. C’est la raison pour laquelle la France, tout comme les vingt-six autres États membres et les institutions de l’Union européenne, mais aussi le Royaume-Uni, pour ce qui le concerne, se prépare à toutes les éventualités, y compris une absence d’accord.
Tel est le sens du projet présenté au conseil des ministres, qui vise à permettre au Gouvernement de prendre, par ordonnances, les mesures nécessaires, soit, pour certaines d’entre elles, en cas d’accord de retrait, soit en cas d’absence d’accord.
Contrairement à ce que vous laissez entendre, madame Kauffmann, nous n’essayons ni de « saboter le Brexit » ni de « pourrir les négociations » ; nous veillons simplement à préserver les intérêts de notre pays, quelles que soient les hypothèses.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement émet un avis défavorable à la motion tendant à opposer la question préalable.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.
M. Olivier Cadic. Madame la présidente, dès l’annonce du résultat du référendum en 2016, j’ai pris avantage de mes différents déplacements dans de nombreux pays de l’Union européenne pour interroger les gouvernements et les parlementaires et savoir s’ils pouvaient être favorables à la restriction de la liberté de circulation au sein de l’Union européenne, comme le souhaitaient les Brexiters.
Leurs réponses ont été unanimement contre la moindre restriction à cette liberté au sein de l’Union européenne, qui est une liberté fondamentale. J’ai également observé une unanimité, à la fois pour défendre le statut des trois millions d’Européens vivant au Royaume-Uni, et pour que les Britanniques assurent leurs engagements financiers pris en qualité de membre à part entière de l’Union européenne. Enfin, j’ai constaté la même l’unanimité pour que les accords du Vendredi saint soient préservés.
En effet, l’Union européenne a permis que le conflit en Irlande du Nord prenne fin. Elle a investi des milliards d’euros pour soutenir le développement de l’Irlande du Nord. La visite du groupe de suivi sur le Brexit, présidée par Jean Bizet, à Belfast, nous a permis d’observer que la situation restait tendue. Il faut donc éviter toute frontière physique entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande ; sinon, la menace d’un retour au conflit ne peut être exclue.
Les négociations conduites par Michel Barnier pour l’Union européenne sont exemplaires. La position de l’Union européenne n’a jamais varié. En réponse aux orateurs qui cherchent à accabler Emmanuel Macron, adoptant les mots des « ultra-Brexiters », je rappelle que celui-ci n’était pas Président de la République lorsque cette position de l’Union européenne a été adoptée.
L’Union européenne a été fidèle à sa devise : « Unie dans la diversité ». Durant la campagne, les Brexiters annonçaient que, sitôt le Brexit voté, l’Union européenne imploserait. Aujourd’hui, c’est plutôt le contraire qui pourrait bien se passer. Je ne comprends pas que des parlementaires français puissent reprendre les arguments des Brexiters les plus agressifs : eux ne se soucient ni de l’intérêt de la France, ni de celui de l’Union européenne.
Voilà pourquoi nous devons faire bloc avec le Gouvernement et voter contre cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote.
M. Didier Marie. Cette explication de vote vaut double, puisqu’elle aurait pu porter sur la motion précédente. Si cette motion elle était adoptée, cela reviendrait à abandonner purement et simplement les 350 000 Français – voire plus – aujourd’hui installés en Grande-Bretagne.
Au travers de sa demande d’habilitation à traiter par ordonnances les situations auxquelles nous sommes confrontés, le Gouvernement s’intéresse au sort des Britanniques installés en France : or nous savons que, si nous ne traitons pas cette question positivement, si nous ne leur garantissons pas le droit au séjour ou leurs acquis sociaux, il n’y aura pas de réciprocité pour nos concitoyens installés en Grande-Bretagne. C’est l’une des raisons, parmi beaucoup d’autres, qui nous incite à ne pas voter cette question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.
M. Richard Yung. Nous sommes en face de stratégies ou de tactiques dilatoires, et nous perdons notre temps dans cette discussion, car je ne pense pas que cette motion puisse prospérer longtemps.
Madame la ministre, comment se fait-il, alors que vous êtes hostile à l’Europe et souhaitez le retrait de la France de l’Union européenne, que vous ne vous réjouissiez pas du départ des Britanniques, en ayant à l’esprit que c’est le premier pas qui compte et que les autres suivront ? Vous devriez pourtant aller dans ce sens. Or c’est le contraire qui se produit, et j’ai du mal à comprendre pourquoi.
Quoi qu’il en soit, il est clair vous ne voulez pas des ordonnances. En réalité, vous voulez que, le 30 mars prochain, nous soyons dans la pire des positions possibles si, malheureusement, se produisait un Brexit dur. Or cette position n’est pas favorable aux intérêts français. Permettez-moi de vous le dire : vous n’agissez pas pour la France ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe La République En Marche.)
Vous comprendrez donc pourquoi nous ne soutiendrons pas votre texte. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 2, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion n’est pas adoptée.)
Discussion générale (suite)
Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en 2016, les Britanniques choisissaient de délier leur destin de celui de l’Union européenne. En votant en faveur du leave, ils ont choisi le « grand large », selon la fameuse expression churchillienne.
Le choc fut rude même si nous savions les limites d’une adhésion en demi-teinte : le Royaume-Uni avait renégocié sa contribution financière, s’était exclu de Schengen, de l’euro ou encore de la Charte des droits fondamentaux.
Pendant plus de quarante ans de vie commune, l’Angleterre a toujours eu un pied dehors, un pied dedans. Aussi, il n’est pas surprenant que cette dichotomie ressurgisse à propos de l’accord de retrait, jusqu’à rendre – peut-être – celui-ci impossible pour des considérations qui ne sont même plus d’ordre technique. C’est bien dommage ! En effet, les divisions politiques internes au Royaume-Uni menacent un retrait ordonné. Madame la ministre, lors de votre audition devant la commission spéciale, vous avez évoqué cette possible impasse, ce no deal qui se profile.
Nous avons tous bien compris que Theresa May essayait de naviguer entre les europhobes de son propre parti et ceux qui regrettent le Brexit, tout cela avec, en point d’orgue, la question de la frontière entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord. Et pour ne rien arranger, les nationalistes écossais ne sont pas en reste lorsqu’ils soutiennent l’idée d’un nouveau référendum. Comme l’a très justement souligné le Président de la République à l’issue du dernier Conseil européen : « Ce n’est pas à l’Union européenne de faire des concessions pour trouver des solutions à un problème politique interne britannique. »
Le groupe du RDSE partage cette position. Il revient au Royaume-Uni d’assumer ses difficultés intérieures et de ne pas demander l’impossible pour tenter de les résoudre, comme ce fut le cas avec le plan de Chequers, une sorte de marché unique à la carte.
Bien sûr, il ne s’agit pas pour autant de méconnaître la très délicate question irlandaise, bien au contraire. La construction européenne a dans ses gênes l’idée de paix. Le format du retrait britannique ne doit en aucun cas menacer les accords du Vendredi saint, tout le monde en convient.
C’est pourquoi l’idée du backstop prôné par Michel Barnier, le filet de sécurité entre l’Irlande du Nord et l’Union européenne, est une très bonne option. Espérons seulement qu’elle gagne rapidement du terrain outre-Manche. J’en profite pour saluer le travail remarquable de notre compatriote négociateur en chef de la Commission, qui ne ménage pas sa peine pour trouver le meilleur compromis et qui s’emploie à présenter le visage d’une Europe à vingt-sept unie.
Quoi qu’il advienne, avec ou sans accord, le retrait étant irréversible, l’Union européenne, et au sein de celle-ci notre pays, doit s’y préparer. Le Conseil européen l’a rappelé depuis 2017 lors de chacune de ses réunions. Nous y sommes aujourd’hui.
La mise en œuvre de l’article 50 du traité sur l’Union européenne étant une première, ses conséquences soulèvent des inquiétudes, s’agissant en particulier de la libre circulation des personnes et des marchandises.
Demain, le Royaume-Uni sera un État tiers. Les enjeux sont nombreux pour les citoyens, les expatriés, les couples mixtes, dont la circulation et les droits pourraient être un temps entravés. Quant aux marchandises, on imagine aisément, en cas d’impréparation, les difficultés que pourrait avoir le rétablissement des frontières lorsque l’on sait, par exemple – je tiens à le redire –, que chaque année transitent 25 millions de tonnes de marchandises par le tunnel sous la Manche.
Le projet de loi d’habilitation qui nous est soumis cet après-midi doit anticiper ces situations. Compte tenu du contexte que nous avons tous évoqué, celui de négociations non abouties – tout au moins dans les délais fixés initialement –, le projet de loi présente la particularité de proposer des habilitations contenant des mesures de portée très générale, voire peu précises quant à leurs finalités. Le Conseil d’État s’en est d’ailleurs ému, mais il faut reconnaître, madame la ministre, que l’équation est complexe.
On mesure bien les contraintes qui entourent ce texte : des négociations en suspens – je viens de le rappeler – qui commandent une certaine flexibilité au sein de ces ordonnances, la nécessité également de tenir compte des dispositions qui seront prises par le Royaume-Uni, par l’Union européenne et par chacun des États membres.
Pour toutes ces raisons, le groupe du RDSE estime que ces ordonnances se justifient, même si, en tant que parlementaires, nous n’en sommes pas très friands, car, disons-le, elles comportent souvent une part d’inconnue.
La commission spéciale a en tout cas entrepris un travail de clarification et de consolidation des quatre articles du projet de loi, qui va, pour l’essentiel, dans le bon sens. Je pense en particulier aux amendements à l’article 3 concernant le régime applicable aux travaux de construction et d’aménagement qui seront rendus nécessaires par le rétablissement de contrôles aux frontières. Cet article concerne près d’une dizaine de codes et des mesures allant du permis de construire au travail de nuit, en passant par les obligations environnementales.
Si l’urgence peut conduire à contourner provisoirement le droit commun, l’allégement des procédures doit néanmoins être borné par le respect des droits et des libertés garantis par la Constitution. C’est un apport très utile de la commission spéciale que je souhaitais souligner. Je regrette donc l’amendement du Gouvernement tendant à introduire le mot « notamment ». Je pensais naïvement que ce mot était à proscrire dans un texte de loi, mais peut-être est-ce pour nous signaler que la liste des adaptations ou des dérogations, déjà longue, est incomplète. Nous en débattrons, madame la ministre, lors de la discussion des amendements.
Mes chers collègues, dans cette épreuve qui secoue l’Europe, les États membres ont leur part de travail à fournir pour protéger nos concitoyens et nos intérêts.
Le groupe du RDSE, profondément attaché au projet européen, sera au rendez-vous des mesures qui faciliteront la concrétisation d’une Europe à vingt-sept. Et, au-delà, nous espérons qu’un divorce à l’amiable est encore possible, afin de réussir au mieux la prochaine étape, le cadre des relations futures entre l’Union européenne et le Royaume-Uni. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste. – MM. Robert del Picchia et Jean-Paul Émorine applaudissent également.)