M. Richard Yung. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. Emmanuel Capus.
M. Emmanuel Capus. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, pour la première fois depuis trente ans, nous examinons un « vrai » projet de loi de finances rectificative. C’était un engagement du Gouvernement ; il a été tenu, et je m’en félicite.
Jusqu’à cette année, les collectifs budgétaires de fin de gestion contenaient habituellement un grand nombre de dispositions fiscales nouvelles. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, et notre groupe n’a pas souhaité déroger à cette bonne pratique, qui fera, je l’espère, jurisprudence.
De même, le Gouvernement n’a pas eu recours à des décrets d’avance. C’est une bonne décision, qui évite le mélange des genres entre projet de loi de finances et collectif budgétaire. Elle évite, surtout, de dénaturer l’autorisation parlementaire. Nous saluons encore une fois, monsieur le ministre, le respect de la parole donnée.
Toutefois, monsieur le ministre, pour faire preuve de nuance, en matière de parole donnée comme de respect du vote du Parlement, une disposition de ce projet de loi m’inquiète, je ne vous le cacherai pas. J’ai d’ailleurs eu l’occasion, voilà quinze jours, d’interroger en votre absence – vous étiez dans le Nord – votre secrétaire d’État, M. Dussopt, sur la mission « Défense ». Le surcoût des opérations extérieures et intérieures, qui était prévisible et était même prévu dès l’année dernière, ne fera cependant pas l’objet du traditionnel financement interministériel.
Une telle décision enfreint l’esprit et la lettre des deux lois de programmation militaire que nous avons votées. Elle enfreint également la parole du chef des armées, qui avait pris des engagements très clairs vis-à-vis des armées durant la campagne présidentielle et lors des vœux aux armées. Cela reporte des programmes d’équipements indispensables à la sécurité de nos soldats et à l’avance technologique de nos armées.
Certes, monsieur le ministre, j’entends bien l’argument de la nécessaire sincérisation du budget de la défense. J’entends aussi l’argument d’une hausse sans précédent du budget de la défense depuis de nombreuses années. J’entends encore l’argument du « dégel » récent de 272 millions d’euros de crédits de paiement pour le budget des armées, qui constitue un moindre mal. Loin de moi l’intention de nier tous ces éléments, qui sont à mettre au crédit du Gouvernement et nous le félicitons de ces mesures courageuses.
Convenez toutefois, monsieur le ministre, qu’il y a là un problème de respect du vote du Parlement et des engagements pris à l’égard des armées. J’ai donc déposé un amendement pour rétablir une situation conforme à l’article 4 de la loi de programmation militaire. Je le défends par avance, car je devine que nous n’aurons pas l’occasion d’en débattre lors de la discussion des articles.
M. Roger Karoutchi. Mais si, mais si ! (Sourires.)
M. Emmanuel Capus. Pour ce qui est des grands équilibres macroéconomiques, cela a été dit, la prévision de déficit public pour 2018 reste conforme à celle de la loi de finances initiale, soit 2,6 % du PIB.
Néanmoins, l’effort structurel, lui, est pratiquement nul. C’est pourtant l’indicateur le plus pertinent pour mesurer l’effort de maîtrise des finances publiques. Nous aurons l’occasion d’avoir ce débat lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2019.
Nous souhaitons sincèrement que le processus Action publique 2022 que le Gouvernement a mis en place porte ses fruits. Nous souhaitons sincèrement que l’objectif de 50 000 fonctionnaires en moins d’ici à la fin du quinquennat soit tenu. Nous souhaitons sincèrement que le combat pour l’assainissement des comptes publics soit mené à bien, grâce à un effort en dépenses, et non en recettes !
Je ne reviens pas sur la question de la fiscalité énergétique, qui fera l’objet de débats importants dans quelques jours. Ce projet de loi de finances rectificative et le projet de loi de finances pour 2019 posent la même question : celle de l’affectation intégrale, ou plutôt partielle, de la fiscalité verte à la transition énergétique. On le constate : le contraire n’est pas compris par nos concitoyens, qui ne voient que la dimension punitive de la hausse des taxes.
Vous devrez, monsieur le ministre, nous rassurer sur votre méthode et, surtout, rassurer les Français. La transition énergétique ne doit pas être menée dans l’ambiguïté. Les Français demandent de la clarté et de la pédagogie. Ils demandent surtout des réformes supportables, utiles et qui leur paraissent acceptables.
Changer de modèle est toujours difficile, monsieur le ministre. C’est même une mission historique pour votre gouvernement. Les choix doivent être faits de façon pragmatique, en tenant compte de la réalité et du quotidien des Français. Nous espérons donc que vous entendrez ces derniers.
Sous réserve de l’adoption de notre amendement relatif à la mission « Défense », je ne vois pas de raison de s’opposer à ce projet de loi de finances rectificative.
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Cambon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Christian Cambon. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, j’ai souhaité intervenir dans cette discussion budgétaire au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, que j’ai l’honneur de présider, en raison de la décision du Gouvernement de faire supporter le surcoût des OPEX par le budget de la défense, et non pas, comme la loi le prévoit, par la solidarité interministérielle. La conséquence de cette décision, c’est l’annulation de 404 millions d’euros sur la mission « Défense ».
Dès la parution de cette nouvelle, notre commission a protesté dans un communiqué qui m’a valu un courrier personnel de M. le Premier ministre. J’y ai été évidemment particulièrement sensible, même si, vous le comprenez, monsieur le ministre, nous ne pouvons partager les éléments contenus dans cette lettre.
Je veux saluer ici aussi les efforts constants de Mme la ministre des armées, qui, depuis sa prise de fonction, a marqué sa ferme volonté de redonner à nos armées leurs capacités opérationnelles depuis trop longtemps défaillantes. Nous nous sommes engagés à ses côtés.
Certes, l’exercice budgétaire 2018 se termine dans des conditions meilleures que l’an passé pour le budget des armées, mais, compte tenu de l’immensité des besoins à couvrir, on ne peut pas se satisfaire de cette situation !
Par ailleurs, monsieur le ministre, la loi de programmation militaire qui s’achève est absolument formelle : le surcoût des OPEX doit être financé dans le cadre de la solidarité interministérielle, à due concurrence de la part de chaque ministère dans le budget général. Serait-il donc possible que votre ministère ne respecte pas la loi ? À la veille de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi de programmation militaire, ce serait un très mauvais signal. Faut-il rappeler que l’application de ces lois n’est pas facultative ? Ce n’est pas une option !
À partir de là, monsieur le ministre, vous avez multiplié les explications pour tenter de nous rassurer et nous expliquer que la disparition de 404 millions d’euros n’avait aucun impact sur les engagements du Gouvernement pour la remise à niveau de nos armées. Vous déclarez : « La loi de finances pour 2018 sera exécutée à l’euro près ». Chacun comprend que, la sincérisation des surcoûts liés aux OPEX étant progressive – 450 millions d’euros en 2017, quelque 650 millions d’euros en 2018, quelque 850 millions d’euros en 2019 –, cette exécution « à l’euro près » aura pour effet de cannibaliser d’autres dépenses des armées, qui seront soit reportées, soit annulées.
On savait dès le début que l’enveloppe réservée aux OPEX était insuffisante ; le Sénat l’avait dit ! Aujourd’hui, on demande aux armées de payer les opérations Barkhane – 700 millions d’euros –, Chammal – 460 millions d’euros – et Sentinelle – 215 millions d’euros –, avec des dépenses initialement prévues pour la modernisation de l’équipement, la réparation d’infrastructures vétustes ou l’amélioration de la condition de vie en régiment. Le nier est inutilement blessant pour nos armées, qui peuvent comprendre que l’on perde un arbitrage budgétaire, mais pas que l’on déguise la vérité.
Vous déclarez par ailleurs, monsieur le ministre : « En 2019, le budget sera conforme à la première annuité de la LPM ». Un enfant d’école primaire comprendrait que des dépenses reportées de 2018 à 2019 réduiront d’autant l’augmentation réelle des moyens ! Nos débats pendant l’examen de la LPM ont montré les immenses besoins d’un outil militaire fatigué, quand il n’était pas à bout de souffle, à force de suremploi et de sous-investissement. Ainsi, pour les seules infrastructures, l’état des casernes par exemple, les besoins non couverts sur la programmation sont chiffrés par notre commission à 1,5 milliard d’euros. Que l’on ne nous dise pas qu’il y avait de la marge. C’est faux !
Le Gouvernement tend à nous expliquer qu’il n’y aura pas de conséquences physiques, voire que le ministère des armées serait satisfait que l’on lui prenne 400 millions d’euros : voilà qui laisse évidemment bouche bée ! Dans ce cas, si le Secrétariat général pour l’administration n’arrive pas à dépenser ces crédits, qu’il laisse donc la main aux commandants des bases de défense, qui sont parfois obligés de remonter à Paris pour faire face à des réparations d’infrastructures, de bâtiments, de cantine ou de transport automobile de leurs soldats.
Quant aux difficultés de recrutement, comment ne pas voir qu’elles résultent de la faible attractivité de carrières où l’engagement est total, mais la rémunération insuffisante ? Les médecins militaires quittent le service militaire aux armées pour augmenter leur rémunération. Des réformes s’imposent ; nous attendons du Gouvernement des annonces en ce sens.
Souhaitez-vous faire de la cavalerie avec l’Organisation conjointe de coopération en matière d’armement, l’OCCAR, le bras armé de la coopération capacitaire européenne de défense, monsieur le ministre ? C’est à la fois une aberration budgétaire et un contresens total au regard de l’engagement du Président de la République.
En conclusion, la légèreté avec laquelle le Gouvernement a rayé d’un trait de plume 404 millions d’euros de crédits a quelque peu ébranlé notre confiance. Plus grave encore est l’impact politique que cette décision risque d’avoir. Monsieur le ministre, croyez-vous que nos hommes qui, au moment même où nous parlons, s’exposent avec courage dans le cadre des OPEX vont être sensibles à toute votre petite mécanique budgétaire ? Ne croyez-vous pas, au contraire, que, à l’entrée en vigueur de la nouvelle LPM, ils y voient déjà une forme de renoncement ?
Tout cela augure bien mal de l’avenir. Le Sénat a accompagné les efforts de Mme la ministre des armées, pour que, enfin, la sincérité de nos engagements soit synonyme de vérité. Nous allons vous y aider, monsieur le ministre, par le biais d’un amendement qui vise à revenir au financement interministériel des OPEX.
Ne vous y trompez pas, monsieur le ministre : tout au long de cette loi de programmation militaire, le Sénat tiendra son engagement, pour que ce texte soit exécuté comme il a été voté. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. Philippe Dallier. Bravo !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Raynal.
M. Philippe Dallier. Il va nous reparler de l’héritage ! (Sourires.)
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Pour le condamner ?
M. Claude Raynal. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, comme ceux qui m’ont précédé à cette tribune, je commencerai par exprimer quelques satisfactions : comme le Gouvernement s’y était engagé, ce collectif de fin de gestion ne comprend pas de dispositions fiscales nouvelles.
C’est un progrès sensible par rapport aux années précédentes,…
M. Philippe Dallier. Ah !
M. Claude Raynal. … dont la pratique remontait à loin, cher monsieur Dallier !
Nous espérons que cette nouvelle façon de faire deviendra la règle. Combien de fois, en effet, nous sommes-nous trouvés dans l’impossibilité de porter un jugement éclairé sur des textes complexes transmis en catastrophe ? Ce projet de loi de finances rectificative se limite à neuf articles et, pour l’essentiel, à de simples mesures budgétaires ajustant l’équilibre de la loi de finances initiale. Si le délai d’analyse reste court,…
M. Claude Raynal. … il est cependant aujourd’hui plus conforme à la nature même du texte.
J’en viens au scénario macroéconomique. Le Gouvernement conserve sa prévision de croissance à 1,7 %, peut-être légèrement optimiste, mais le risque n’est sans doute pas significatif sur le plan budgétaire.
En revanche, monsieur le ministre, votre première exécution budgétaire ne se traduit que par une très faible évolution du solde structurel, ce que relève le Haut Conseil des finances publiques – certes, ce n’est pas la première fois.
Si le solde budgétaire connaît par ailleurs une légère amélioration, il le doit pour l’essentiel à la vente de 2,35 % du capital de Safran et à l’accroissement des recettes perçues par l’État au titre de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, la TICPE, qui découle de l’augmentation des prix du pétrole. Opération ponctuelle pour l’une, recette de constatation pour l’autre : rien ne justifie que le Gouvernement ne se félicite pas particulièrement de cette amélioration du solde budgétaire.
Lors de l’examen du texte, le groupe socialiste et républicain reviendra, en première partie, sur le compte d’affectation spéciale « Transition énergétique » et, en deuxième partie, sur les missions « Défense » et « Travail et emploi ».
En ce qui concerne le compte d’affectation spéciale « Transition énergétique », s’il n’y a pas lieu de s’offusquer du rééquilibrage budgétaire opéré, il convient cependant de s’étonner d’une sous-consommation des crédits à hauteur de 600 millions d’euros, donc de la réversion d’une part de TICPE au budget général, au moment où chacun s’interroge sur les montants de fiscalité écologique prélevés au regard des actions menées en matière de transition énergétique. Nous déposerons donc un amendement – d’appel, bien évidemment – pour évoquer ce sujet avec vous, monsieur le ministre.
Ma collègue Hélène Conway-Mouret vous interrogera sur le budget de la mission « Défense ». Pour ma part, permettez-moi seulement de m’étonner que la prise en charge des OPEX et de l’opération Sentinelle se fasse essentiellement par annulation de crédits, notamment ceux qui sont dédiés à l’équipement des forces, dont je pensais qu’ils avaient été sanctuarisés. (M. Pierre Ouzoulias s’exclame.)
Mme Nathalie Goulet. Mais oui !
M. Claude Raynal. C’est en tout cas la lecture que j’avais faite de la toute récente loi de programmation militaire.
Autant vous dire tout de suite que nous n’avons pas été convaincus par les explications du Premier ministre à l’Assemblée nationale sur ce point. Nous déposerons un amendement visant à annuler les ouvertures et annulations de crédits auxquelles procède ce projet de loi de finances rectificative au sein de la mission « Défense ».
Pour ce qui concerne la mission « Travail et emploi », la baisse très significative des crédits de la mission pour 2019 se double d’une annulation de crédits de paiement pour 2018 de près de 500 millions d’euros. La justification de ces annulations de crédits reposerait sur l’amélioration de la conjoncture. Nous nous en réjouirions avec vous, monsieur le ministre,…
M. Claude Raynal. … si tel était bien le cas. Or plusieurs amendements de rétablissement des crédits de la mission nous permettront de démontrer qu’il n’en est rien.
Ainsi, 359 millions d’euros sont annulés pour le programme 102, qui concerne les contrats aidés et l’insertion par l’activité économique. Au total, la baisse réelle de ce programme aura été de 953 millions d’euros en crédits de paiement par rapport à 2017. Rappelons-nous que la loi de finances initiale pour 2018 ne prévoyait que 200 000 contrats aidés en 2018, en diminution de 100 000 par rapport à 2017, avec, qui plus est, un taux moyen de prise en charge par l’État de 50 % du SMIC brut en 2018, contre 72 % en 2017.
Comment d’ailleurs s’étonner que, dans ces conditions, des crédits n’aient pas été utilisés, supprimant des occasions d’entrer dans le monde du travail pour les publics concernés et mettant en difficulté des secteurs associatifs liés à la culture, à la petite enfance ou aux soins à domicile par exemple ? En pratiquant en deux fois, le Gouvernement a voulu masquer l’importance de la baisse réelle concernant les contrats aidés. Il a, de fait, caché ses intentions réelles au Parlement. Sincérité budgétaire, disiez-vous, monsieur le ministre…
L’annulation des crédits mis en réserve pour l’aide à l’embauche dans les PME sera aussi pour nous l’occasion de vous interroger sur la suppression d’une mesure qui aurait sans doute mérité d’être ajustée en étant ciblée davantage vers les toutes petites entreprises, afin d’en limiter les effets d’aubaine.
Pour ces raisons, mais aussi parce que ce projet de loi de finances rectificative vient compléter une loi de finances pour 2018 qui supprimait l’impôt sur la fortune et créait le prélèvement forfaitaire unique et à laquelle nous nous étions très clairement opposés, nous voterons, en toute logique, contre ce projet de loi de finances rectificative. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Dominique de Legge. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Dominique de Legge. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, ce projet de loi de finances rectificative affecte principalement en annulations de crédit deux missions : « Travail et emploi » et « Défense ».
Sur la première mission, à l’évidence, il s’agit d’une sous-exécution des dispositifs d’aide à l’emploi, qui pose de nouveau la question de leur efficacité. Il n’en est pas de même concernant les crédits de la mission « Défense », monsieur le ministre, puisque vous annulez purement et simplement 404 millions en crédits de paiement et en autorisations d’engagement.
Voilà qui me conduit à formuler plusieurs observations. Je vous prie de m’en excuser, monsieur le ministre, mais la pédagogie étant l’art de la répétition, je reprendrai les mêmes arguments que mon collègue Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères.
Pour la première fois depuis de nombreuses années, en contradiction totale à l’article 4 de l’actuelle loi de programmation militaire et l’article 4 de la future LPM, la solidarité interministérielle ne jouera pas. Ce renoncement aux principes inscrits dans la loi actuelle augure mal de la manière dont vous entendez appliquer la future LPM, monsieur le ministre.
C’est une question de confiance, de respect de la parole donnée vis-à-vis de nos militaires, de respect de la loi en tant qu’expression de la volonté du Parlement ; celui-ci avait d’ailleurs pensé avoir trouvé un accord et un consensus avec le Gouvernement. Je ne peux à cet instant oublier les déclarations de la ministre des armées à cette tribune même le 29 mai dernier, lors du vote solennel du projet de loi de programmation militaire : « Nous venons, ensemble, d’envoyer à nos armées un message clair : les privations sont finies, le renouveau commence. »
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Ah !
M. Philippe Dallier. Cela commence mal ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Dominique de Legge. Monsieur le ministre, le ministre, où est le renouveau ?
Certes, la provision OPEX était majorée de 200 millions d’euros en 2018 par rapport à 2017, mais la solidarité interministérielle qui prévalait par le passé, si elle n’exonérait pas les armées de participer au financement des OPEX, en limitait le coût – en moyenne 395 millions d’euros sur la période 2011-2017. Cette année, c’est 580 millions d’euros, soit 30 % de plus que naguère. Si je considère la sous-consommation des crédits de personnels pour 150 millions d’euros, sujet sur lequel nous aurons l’occasion de revenir, car il témoigne d’un double phénomène – difficultés à recruter et à fidéliser les personnels –, ce sont encore 430 millions d’euros d’amputation, soit le record des sept dernières années.
Ce mauvais coup illustre la bien curieuse manière qu’a le Gouvernement de communiquer.
M. Christian Cambon. Eh oui !
M. Dominique de Legge. À grand renfort de cocoricos, monsieur le ministre, vous avez affiché un budget des armées en augmentation de 1,8 milliard d’euros en 2018 par rapport à 2017, vous gardant bien de rappeler l’annulation de crédits de 850 millions d’euros intervenue au mois de juillet 2017. Voilà pourtant qui ramenait l’effort réel à 950 millions d’euros, effort lui-même réduit aujourd’hui de 580 millions d’euros supplémentaires, ramenant l’amélioration réelle des moyens de la défense à 370 millions d’euros. En d’autres termes, le 1,8 milliard d’euros annoncés ne fait plus, à la sortie, que 370 millions d’euros !
Le Gouvernement – le Premier ministre en tête – explique que tout cela est incolore et inodore pour nos armées, car, rapporté à leur budget, cela ne représente qu’un peu plus de 1 % du montant des crédits. Le seul problème, c’est que l’annulation de crédits porte majoritairement sur le programme 146, doté de 10 milliards d’euros, soit une baisse de 3 %.
Monsieur le ministre, je ne suis pas un spécialiste de la comptabilité publique.
M. Dominique de Legge. Je compte peut-être comme un épicier breton, ne m’en voulez pas ! (Nouveaux sourires.) Mais je ne vois pas comment, en annulant des crédits de paiement, nous pourrons honorer en temps et heure nos factures. De la même façon, je ne vois pas comment l’annulation d’autorisations d’engagement ne se traduira pas à un moment ou à un autre, en 2019, 2020 ou 2021, par des retards dans les livraisons.
En conclusion, si ce bonneteau touchait d’autres missions que la mission « Défense », je n’y verrais qu’une technique budgétaire peu glorieuse pour boucler le budget. Le problème, c’est que nous touchons à la défense, fonction régalienne par définition, fonction dont le Président de la République est le garant.
Remonter les Champs-Élysées dans un command-car ou s’adresser aux Français depuis le fleuron de la marine française, c’est bien. Toutefois, on attend du chef suprême des armées non qu’il nous livre de belles images de lui en situation, mais qu’il respecte sa parole. Déclarer la main sur le cœur que l’on veut sanctuariser les crédits de la défense, inviter nos partenaires européens à construire une défense européenne nécessite de mettre en cohérence ses actes et ses paroles. C’est sa crédibilité de chef d’État et de chef des armées qui est en cause.
Décidément, en matière de pratique budgétaire, le nouveau monde ressemble à l’ancien… mais en pis ! C’est parce que nous refusons de cautionner une telle pratique que nous ne voterons pas ce projet de loi de finances rectificative. Nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Christian Cambon. Excellent !
M. Philippe Dallier. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret.
Mme Hélène Conway-Mouret. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, je ne pensais sincèrement pas intervenir dans l’examen de ce projet de loi de finances rectificative. Je le fais pour exprimer ma déception et ma profonde incompréhension à l’égard de ce nouveau coup porté à nos armées.
Votre emploi abusif de superlatifs, monsieur le ministre, crée de grands espoirs et provoque une déception d’autant plus grande. Elle crée aussi, dans tous les domaines, un écran de fumée derrière lequel vous vous cachez pour mieux tout casser. Quand il se dissipe, on découvre trop souvent une autre réalité, différente de celle que vous avez annoncée.
Mes propos vont s’inscrire dans ceux du président de la commission des affaires étrangères, Christian Cambon, et de Dominique de Legge. Faisant fi du principe de solidarité interministérielle pour le financement du surcoût des opérations extérieures lancées au nom de la Nation, ce sont 404 millions d’euros qui manqueront cette année à la défense.
Cette disposition qui primait jusqu’alors est pourtant inscrite en toutes lettres dans l’article 4 de la loi de programmation militaire, promulguée au mois de juillet dernier. C’est donc en toute bonne foi que nous avons voté ce texte et que nous avons voulu croire dans les promesses qui nous étaient faites, celles d’un effort inédit, d’une remontée en puissance exceptionnelle et d’un renouveau du budget des armées, éléments de langage certes utilisés par tous les ministères, mais qui semblaient appropriés au vu des chiffres annoncés. Il a donc suffi de quatre mois pour balayer cet engagement au détour d’un projet de loi de finances rectificative.
Monsieur le ministre, vous justifiez ce revers par votre volonté de sincérisation et de responsabilisation budgétaire – en tout cas, ce sont les mots-clefs, à en juger par l’utilisation que vous en avez faite dans vos propos. J’entends, dans ce discours, une subtile hâblerie, autrement plus habile que les violentes coupes budgétaires à hauteur de 850 millions d’euros survenues à l’été 2017,…
Mme Hélène Conway-Mouret. … qui avaient poussé à la démission le chef d’état-major des armées.
Comment parler de sincérité quand le budget alloué aux OPEX est de 650 millions d’euros, alors que leur coût réel atteint 1,2 milliard d’euros ? Il eût été plus honnête d’annoncer une augmentation du budget des armées pour 2018, non de 1,2 milliard d’euros, mais de 800 millions d’euros. De même, est-ce responsabiliser un ministère que de l’affaiblir en lui coupant ses crédits ?
Derrière ce que l’on nous présente froidement comme un simple exercice comptable, je vois l’impact direct de cette mesure sur nos militaires. Alors que nous leur certifiions hier la préservation de leurs moyens, ils devront aujourd’hui composer avec une baisse de 319 millions d’euros alloués à l’équipement des forces, avec un inévitable report des commandes. Nous connaissons leurs besoins en matériel pour assurer leur sécurité et la nôtre, mais ils devront encore attendre.
Je regrette que l’engagement que nous avons pris collectivement avec la LPM au mois de juillet dernier soit foulé aux pieds, que le vote du Parlement soit rendu caduc et, surtout, que notre crédibilité soit ainsi perdue à l’égard de nos armées. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Christian Cambon applaudit également.)