Sommaire
Présidence de Mme Valérie Létard
Secrétaires :
Mme Mireille Jouve, M. Guy-Dominique Kennel.
2. Loi de finances pour 2019. – Suite de la discussion d’un projet de loi
Solidarité, insertion et égalité des chances
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial de la commission des finances
M. Éric Bocquet, rapporteur spécial de la commission des finances
M. Philippe Mouiller, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé
Amendement n° II-435 du Gouvernement. – Adoption.
Amendement n° II-752 rectifié de M. Jean-Louis Tourenne. – Rejet.
Amendement n° II-755 de M. Jean-Louis Tourenne. – Rejet.
Amendement n° II-756 de M. Jean-Louis Tourenne. – Rejet.
Amendement n° II-753 de M. Jean-Louis Tourenne. – Rejet.
Amendement n° II-754 de M. Jean-Louis Tourenne. – Rejet.
Amendement n° II-694 rectifié de Mme Patricia Schillinger. – Retrait.
Vote sur les crédits de la mission
Adoption des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », figurant à l’état B, modifiés.
Articles additionnels après l’article 83
Amendement n° II-758 de M. Jean-Louis Tourenne. – Retrait.
Amendement n° II-87 rectifié de M. Max Brisson. – Retrait.
Article 83 bis (nouveau) – Adoption.
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial
Adoption de l’article.
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial
Adoption de l’article.
Article additionnel après l’article 83 quater
M. Alain Joyandet, rapporteur spécial de la commission des finances
Mme Corinne Imbert, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
3. Fiscalité écologique et pouvoir d’achat. – Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat
M. Édouard Philippe, Premier ministre
M. Édouard Philippe, Premier ministre
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Hélène Conway-Mouret
4. Loi de finances pour 2019. – Suite de la discussion d’un projet de loi
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé
Amendement n° II-35 de la commission. – Adoption par scrutin public n° 34.
Amendement n° II-962 du Gouvernement. – Adoption.
Vote sur les crédits de la mission
Adoption des crédits de la mission « Santé », figurant à l’état B, modifiés.
Article additionnel avant l’article 81 quater
Amendement n° II-43 de la commission. – Adoption par scrutin public n° 35.
Articles 81 quater et 81 quinquies (nouveaux) – Adoption.
Article additionnel après l’article 81 quinquies
Amendement n° II-762 de M. Michel Amiel. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.
Suspension et reprise de la séance
Gestion des finances publiques et des ressources humaines
Action et transformation publiques
Compte d’affectation spéciale : Gestion du patrimoine immobilier de l’État
Régimes sociaux et de retraite
Compte d’affectation spéciale : Pensions
Proclamation du résultat d’un scrutin public
Gestion des finances publiques et des ressources humaines (suite)
Action et transformation publiques (suite)
Compte d’affectation spéciale : Gestion du patrimoine immobilier de l’État (suite)
Régimes sociaux et de retraite (suite)
Compte d’affectation spéciale : Pensions (suite)
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics
gestion des finances publiques et des ressources humaines
Amendement n° II-49 de la commission. – Adoption.
Amendement n° II-51 de la commission. – Adoption.
Amendement n° II-52 rectifié de la commission. – Adoption.
Amendement n° II-423 de M. Yannick Vaugrenard. – Rejet.
Vote sur les crédits de la mission
Adoption des crédits de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines », figurant à l’état B, modifiés.
Article additionnel avant l’article 77 bis
Amendement n° II-50 de la commission. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.
Articles 77 bis et 77 ter (nouveaux) – Adoption.
Article additionnel après l’article 77 ter
Amendement n° II-973 du Gouvernement. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.
Vote sur les crédits de la mission
Adoption des crédits de la mission « Crédits non répartis », figurant à l’état B.
action et transformation publiques
Amendement n° II-445 rectifié de Mme Laure Darcos. – Retrait.
Adoption des crédits de la mission « Action et transformation publiques », figurant à l’état B.
compte d’affectation spéciale : gestion du patrimoine immobilier de l’état
Adoption des crédits du compte d’affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l’État », figurant à l’état D.
Article 84 ter (nouveau) – Adoption.
Amendement n° II-959 du Gouvernement. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
régimes sociaux et de retraite
Adoption des crédits de la mission « Régimes sociaux et de retraite », figurant à l’état B.
compte d’affectation spéciale : pensions
Adoption des crédits du compte d’affectation spéciale « Pensions », figurant à l’état D.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Dallier
Immigration, asile et intégration
M. Sébastien Meurant, rapporteur spécial de la commission des finances
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur
Amendement n° II-696 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° II-697 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° II-698 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° II-574 rectifié bis de Mme Sophie Taillé-Polian. – Non soutenu.
Rejet des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration », figurant à l’état B.
Article 77 quater (nouveau) – Rejet.
Compte d’affectation spéciale : Contrôle de la circulation et du stationnement routiers
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur
Amendement n° II-761 rectifié bis de Mme Nathalie Delattre. – Non soutenu.
Rejet des crédits de la mission « Sécurités », figurant à l’état B.
compte d’affectation spéciale : contrôle de la circulation et du stationnement routiers
Amendement n° II-971 de la commission. – Adoption.
Amendement n° II-612 rectifié ter de M. Michel Raison. – Devenu sans objet.
Amendement n° II-610 rectifié ter de M. Michel Raison. – Retrait.
Adoption des crédits du compte d’affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers », figurant à l’état D, modifiés.
Article additionnel après l’article 84 bis
Amendement n° II-613 rectifié ter de M. Michel Raison. – Retrait.
Amendement n° II-611 rectifié ter de M. Michel Raison. – Retrait.
compte rendu intégral
Présidence de Mme Valérie Létard
vice-présidente
Secrétaires :
Mme Mireille Jouve,
M. Guy-Dominique Kennel.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Loi de finances pour 2019
Suite de la discussion d’un projet de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2019, adopté par l’Assemblée nationale (projet n° 146, rapport général n° 147, avis nos 148 à 153).
Nous poursuivons l’examen, au sein de la seconde partie du projet de loi de finances, des différentes missions.
seconde partie (suite)
MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES ET DISPOSITIONS SPÉCIALES
Solidarité, insertion et égalité des chances
Mme la présidente. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » (et articles 82 à 83 quater).
Mes chers collègues, au regard de notre ordre du jour, et afin d’éviter tout risque de report de mission, j’invite chacun et chacune d’entre vous à la concision et au respect du temps de parole.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial de la commission des finances. Madame la présidente, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », qui porte les politiques publiques de solidarité et de cohésion sociale de l’État en faveur des personnes les plus fragiles, est dotée, en 2019, de 21,1 milliards d’euros de crédits de paiement. Ces crédits progressent ainsi de 7,5 % par rapport à 2018.
Cette augmentation est principalement due au dynamisme des dépenses d’intervention, qui représentent 93 % des crédits de la mission, mais s’explique également par les revalorisations dites « exceptionnelles » de la prime d’activité et de l’allocation aux adultes handicapés.
Il y a ainsi un effort budgétaire d’ensemble de la part du Gouvernement, que nous reconnaissons, mais qui doit cependant être nuancé par l’existence d’un certain nombre de mesures de paramètre, des mesures dont l’impact sur les bénéficiaires ne semble, d’ailleurs, pas vraiment maîtrisé par le Gouvernement, ce qui est quelque peu inquiétant.
Derrière la communication gouvernementale et les revalorisations annoncées, la réalité des crédits de la mission atteste, en effet, de la mise en œuvre d’un certain nombre de réformes de paramètre, qui viennent minorer, voire neutraliser dans certains cas, les revalorisations annoncées, le Gouvernement ayant choisi de faire sien le célèbre adage « donner d’une main pour mieux reprendre de l’autre »…
En effet, parallèlement aux revalorisations annoncées, différentes mesures sont prévues par le projet de loi de finances pour 2019, ou ont déjà été mises en œuvre par la loi de finances pour 2018.
Concernant tout d’abord la prime d’activité, il s’agit de la baisse de l’abattement portant sur les revenus d’activité pris en compte dans le calcul de la prime – de 62 % à 61 % –, intervenue par un décret d’octobre dernier. Ainsi, d’après des simulations effectuées, sur les 20 euros de revalorisation forfaitaire annoncés, une personne au SMIC et sans enfant bénéficierait d’un gain de seulement 8 euros !
Autre réforme paramétrique, l’exclusion pour les « nouveaux entrants » du bénéfice de la prime d’activité : les bénéficiaires de rentes accidents du travail et maladies professionnelles, ou AT-MP, et de pensions d’invalidité.
Enfin, il a été décidé la suppression de la revalorisation annuelle du 1er avril pour 2019 et 2020 de la prime et de son bonus, indexées jusque-là sur l’inflation.
De même, pour l’allocation aux adultes handicapés, l’AAH, sont prévues ou déjà mises en œuvre les réformes de paramètre suivantes.
Le rapprochement des règles de prise en compte des revenus d’un couple dont l’un des deux perçoit l’AAH, sur celles d’un couple percevant le revenu de solidarité active, le RSA, a déjà débuté, avec la publication d’un décret, fin octobre, qui abaisse le plafond de ressources à 1,89. En 2019, celui-ci sera abaissé à 1,81.
Autre mesure qui atténue la revalorisation annoncée, la suppression d’un des deux compléments de l’AAH, le complément de ressources. D’un montant de 179 euros par mois pour les personnes les plus fragiles, il sera supprimé par l’article 83 rattaché à la mission, sur lequel nous présenterons un amendement de suppression.
Enfin, dernière mesure paramétrique, je citerai, comme pour la prime d’activité, la suppression de la revalorisation annuelle indexée sur l’inflation pour 2019, et sa limitation à 0,3 % en 2020.
Outre le fond de ces mesures, c’est surtout la méthode du Gouvernement qui est quelque peu critiquable, madame la ministre. Le Gouvernement a su abondamment communiquer sur les coups de pouce, en oubliant d’évoquer ces nombreux coups de ciseaux, qui seront autant de mauvaises surprises pour les bénéficiaires, c’est-à-dire, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, ne l’oublions pas, les plus vulnérables de nos concitoyens.
Nous souhaiterions ainsi, madame la ministre, que nous soient transmis des éléments chiffrés et statistiques, et notamment les simulations réalisées par le Gouvernement, pour connaître le réel impact de toutes ces mesures de restriction budgétaire sur les bénéficiaires. Nous nous sommes essayés à l’exercice et avons obtenu des ordres de grandeur, mais nous aimerions avoir des chiffres plus précis.
Malgré ces insuffisances, que je regrette, la commission des finances a décidé d’adopter ces crédits, mais également de voter un amendement visant à maintenir, conformément au droit existant, le complément de ressources à l’allocation aux adultes handicapés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Éric Bocquet, rapporteur spécial de la commission des finances. Madame la présidente, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, Arnaud Bazin a parfaitement souligné les insuffisances budgétaires dont souffre cette mission, mais il ne s’agit malheureusement pas des seules.
Outre cette question des revalorisations et de ces mesures paramétriques, la mise en œuvre du budget de la mission, pour 2019, est entourée d’un certain nombre d’incertitudes. Elles concernent notamment le financement des mineurs non accompagnés. L’aide exceptionnelle aux départements s’agissant de la prise en charge partielle des dépenses d’aide sociale à l’enfance est certes reconduite, mais l’incertitude demeure sur son montant.
Il semblerait que le niveau des dépenses prises en charge par l’État diminue, passant de 30 % à 15 %. Toutefois, malgré nos demandes, le Gouvernement n’a malheureusement pas été en mesure de nous le confirmer, ce qui est regrettable, puisqu’une enveloppe a bien été budgétée pour 2019. Nous souhaiterions, madame la ministre, avoir, sur cette question, des éléments de réponse de votre part.
Par ailleurs, sur ce sujet qui relève, à notre sens, de la politique nationale d’immigration, nous estimons que l’État doit prendre ses responsabilités, d’une part, en assumant les dépenses d’évaluation et de mise à l’abri, et, d’autre part, en augmentant l’aide versée aux départements pour les dépenses d’aide sociale à l’enfance.
Outre cette question des MNA, il est un autre sujet dont l’exécution nous semble entourée d’incertitudes : il s’agit du plan Pauvreté. Nous ne pouvons que saluer les objectifs de cette stratégie et le travail mené par le délégué interministériel, que nous avons reçu en audition. Néanmoins, la majorité des crédits inscrits au titre de la mission reposent sur une contractualisation avec les départements. La mise en œuvre de ce plan semble ainsi, en l’état actuel des choses, compromise au vu de la situation financière des départements.
Un autre sujet était entouré d’incertitudes, et le Gouvernement est finalement intervenu en cours de discussion à l’Assemblée nationale : la suppression de la prise en compte, en tant que revenus professionnels, des rentes AT-MP et des pensions d’invalidité dans le calcul du droit à la prime d’activité.
Cette mesure avait été adoptée en loi de finances initiale pour 2018, contre l’avis du Sénat, pour une application au 1er janvier 2018. Elle fut appliquée temporairement, et avec retard, au 1er juin 2018, mais le Gouvernement a finalement « fait machine arrière », suspendant l’application de la mesure au vu de ses conséquences dommageables sur les bénéficiaires, conséquences que l’on avait pourtant pointées lors de l’examen de la dernière loi de finances. Des pertes ont ainsi été constatées chez les bénéficiaires – majoritairement, des familles monoparentales – s’échelonnant de 60 à 200 euros par mois.
On ne peut que regretter, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, la mise en œuvre chaotique de cette mesure, qui n’a fait l’objet d’aucune publicité auprès des bénéficiaires, ni s’agissant de la suppression du droit ni ensuite s’agissant du versement du rappel. Nous reviendrons, lors de l’examen des amendements, sur l’article que vous avez ajouté, par voie d’amendement, à l’Assemblée nationale.
Enfin, le dernier financement entouré d’incertitudes que je souhaitais aborder ici dépasse le cadre strictement national. Il s’agit du financement de l’aide alimentaire par le biais du Fonds européen d’aide aux plus démunis, dont nous avons montré le caractère essentiel dans un récent travail de contrôle sur le sujet. Nous souhaiterions, à l’heure où les négociations européennes débutent, que le Président de la République et le Gouvernement s’engagent clairement pour la pérennisation de ce fonds.
Enfin, je terminerai mon intervention par un mot sur les deux autres programmes de la mission.
S’agissant du programme 137 relatif à l’égalité entre les femmes et les hommes, ses crédits sont stables à l’euro près, mais masquent des situations contrastées, notamment la diminution des crédits liés à la lutte contre la prostitution, portée par la loi du 13 avril 2016. Bien que la diminution soit moins importante que l’année dernière, nous tenions à rappeler que le maintien de financements aux associations est essentiel, puisque d’elles dépend la mise en œuvre de cette loi et des parcours d’accompagnement de sortie de la prostitution.
Enfin, s’agissant du programme 124 – il porte l’ensemble des crédits de soutien des politiques des ministères sociaux et la contribution de l’État au fonctionnement des agences régionales de santé –, ses crédits diminuent de près de 2,5 %.
Les ministères sociaux faisant partie des ministères non prioritaires, ils sont ainsi touchés significativement, depuis plusieurs années, par des mesures d’économie budgétaire. Il semble néanmoins que le processus de rationalisation des moyens atteigne aujourd’hui ses limites. Nous serons ainsi attentifs, mesdames les ministres, au maintien d’un niveau satisfaisant des crédits en cohérence avec le bon fonctionnement de ces ministères.
Ainsi, pour ces différentes raisons, j’avais, personnellement, émis un avis défavorable à l’adoption des crédits de cette mission. La commission des finances a finalement décidé de les adopter. (Mme Laurence Cohen et M. Marc Laménie applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Philippe Mouiller, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je suis rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales sur les crédits de la mission depuis quatre ans. Bien que cette période ait vu une augmentation régulière de ces crédits, je constate une évolution moins solidariste des politiques publiques qu’elle finance.
La prime d’activité nous en fournit depuis deux ans l’illustration. Voilà une prestation sociale dont le succès, certes, ne se dément pas, mais dont l’objectif repose sur une ambiguïté : minimum social ou incitation financière au retour à l’emploi ?
La réduction de la pauvreté est un objectif évidemment louable, mais encore faut-il qu’il soit mesuré à partir de principes fermement établis, et pas simplement à l’aune de dépenses budgétaires reconduites, année après année, sans que le cap soit clairement défini.
La prime d’activité repose sur deux composantes : l’une familialisée et l’autre individuelle. Selon l’arbitrage, un effort concentré sur la première contribuera à l’augmentation du niveau de vie des ménages les plus pauvres, alors que la seconde touchera davantage l’incitation financière au retour à l’emploi. Par les mesures contenues dans le présent projet de loi de finances, le Gouvernement privilégie ce dernier aspect, limitant ainsi le soutien aux revenus les plus modestes.
Le programme dispersé de la stratégie pluriannuelle de prévention et de lutte contre la pauvreté, qui sera majoritairement orienté vers l’insertion dans l’activité, promet, certes, de belles réussites, mais laisse présager d’inquiétantes lacunes… Tandis que les efforts porteront sur les « moins pauvres des plus pauvres », qu’en sera-t-il des autres ? Les mesures qui les visent directement sont d’une ambition moindre et, surtout, ne paraissent pas encore parfaitement abouties : crèches à vocation sociale et « petit-déjeuner pour tous » sont dénoncés par certaines associations comme inopérants. À ceux qui sont susceptibles d’en faire le meilleur usage, on attribue les revenus de remplacement réévalués ; aux autres, on réserve les prestations en nature : curieuse partition…
Un autre sujet de la mission doit être évoqué : la réforme de l’allocation aux adultes handicapés. La revalorisation de son montant, qui passera à 900 euros d’ici au 1er novembre 2019, est une excellente nouvelle.
Je tiens néanmoins à rappeler mon attachement au caractère spécifique de l’AAH et au danger qu’il y aurait à calquer sur cette prestation, créée pour des personnes en situation d’inadaptation durable à l’emploi, les critères généraux des autres minima sociaux, conçus, eux, pour inciter à la reprise d’une activité. Le début de rapprochement de l’AAH et du RSA, qu’illustre notamment la fusion des compléments de ressources, présente selon moi le danger de la perte d’une spécificité qu’il faut maintenir.
Enfin, la commission des affaires sociales a adopté un amendement visant à créer, sans modification de crédits, un nouveau programme budgétaire spécifique à l’évaluation et à l’hébergement d’urgence des mineurs non accompagnés, afin que soit officiellement consacrée la compétence exclusive de l’État en cette matière. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur le banc des commissions. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, malgré son intitulé, la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » est loin d’épuiser à elle seule les moyens que la Nation consacre à la solidarité envers nos concitoyens en difficulté et à la réduction des inégalités.
Pour mémoire, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 consacre cette année 500 milliards d’euros au financement de la protection sociale, qui est au cœur de notre système solidaire.
La mission « Travail et emploi » est l’un des autres vecteurs de la solidarité, avec des crédits majoritairement consacrés à l’insertion dans l’emploi.
Je pourrais aussi convoquer le budget de l’éducation nationale et celui de l’enseignement supérieur, dont l’objet même est d’offrir à nos futurs concitoyens les outils indispensables à l’égalité des chances que sont le savoir et les compétences.
Tant par les prélèvements que par les prestations, le système socio-fiscal français est un puissant moteur de réduction des inégalités, qui concrétise au quotidien le troisième terme de la devise de la République. Aux côtés de l’État régalien, celui de la défense, de la police et de la justice, il y a donc bien un État social, auquel est consacré près d’un tiers de notre richesse nationale. Le modèle social français divise ainsi par quatre les écarts de revenus entre les 10 % les plus riches et les 10 % les plus pauvres.
Cet effort ne s’est pas démenti pendant la crise, notre pays ayant fait le choix de l’augmentation des impôts, mais aussi des déficits pour garantir ce modèle, même s’il l’écornait quelque peu au passage dans son soutien aux familles, la baisse des prestations ayant suivi de peu la baisse du quotient familial. Les Français semblaient s’accommoder d’un haut degré de prélèvements pour garantir cette spécificité qui semblait placée au cœur de notre identité.
Comment se fait-il, alors, que ce modèle semble craquer de toutes parts depuis quelques semaines, déchiré entre des injonctions contradictoires de « plus de solidarité » et de « moins d’impôt » ? Dans ces circonstances complexes où les passions se mêlent aux contradictions, on ne peut que faire preuve d’humilité dans la recherche d’explications. J’en tenterai cependant quelques-unes.
La première, c’est que nous ne sommes pas sortis de la panne de croissance qui mine notre pays depuis trop d’années. La crise reste bien présente dans tous ses aspects : crise économique, crise des finances publiques, crise sociale, elle est devenue une crise de confiance, dans l’avenir, dans les institutions, dans la possibilité pour les jeunes à vivre demain mieux que leurs parents.
Dans les réponses apportées, les gouvernements successifs n’ont pas su éviter deux écueils majeurs.
Le premier, c’est le piège du pouvoir d’achat, porté en étendard, alors que l’État est bien loin d’en maîtriser tous les paramètres, puisqu’il relève avant tout de la situation de l’emploi.
Le second, c’est la tentation du meccano fiscal, certes irrésistible, parce qu’il entretient l’illusion de l’action, mais à la complexité si effroyable et aux résultats si limités qu’ils ne peuvent que semer le doute dans l’esprit de nos concitoyens quant à ses finalités ultimes. Quel besoin y avait-il ainsi d’emporter dans un même tourbillon la fiscalité du patrimoine, la contribution sociale généralisée, la taxe d’habitation et les cotisations sociales avec des effets et des calendriers différenciés ?
M. René-Paul Savary. Tout à fait !
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Le résultat est en tout cas une incompréhension totale, un brouillage complet et une méfiance accrue.
Derrière le débat, d’apparence technique, qui a émergé ces dernières semaines sur l’affectation de telle ou telle taxe à telle ou telle dépense au sein du budget de l’État, se profile un autre sujet d’ampleur, celui du consentement à l’impôt.
La commission des affaires sociales s’est opposée, pour cette raison, aux modifications intervenues dans le financement de la sécurité sociale et de l’assurance-chômage. Les cotisations sociales ont un sens, celui de la contrepartie sous forme de prestation. Cette contrepartie que certains de nos concitoyens perdent de vue et ne perçoivent plus doit rester présente dans la sphère sociale. C’était le sens du rétablissement, par le Sénat, de la contribution salariale d’assurance chômage, dont nous considérons qu’elle n’est pas équivalente à une CSG devenue indifférenciée et sans doute trop élevée.
Pour en venir plus précisément aux crédits de la mission qui nous occupe ce matin et qui traduit les premières orientations du plan de lutte contre la pauvreté, nous avons besoin de clarté, clarté sur les objectifs, clarté sur les bénéficiaires, clarté sur les résultats attendus.
Clarté sur les objectifs, tout d’abord.
Ainsi que l’a indiqué M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, nous ne sommes pas très au clair sur les objectifs de la prime d’activité. François Chérèque l’avait souligné en son temps devant notre commission, le débat entre soutien à la reprise d’activité et soutien au niveau de vie des familles n’est pas tranché et la lisibilité de cette prestation s’en ressent.
Clarté sur les bénéficiaires des prestations, ensuite.
Le retour en arrière sur la prise en compte des rentes AT-MP et des pensions d’invalidité en tant que revenus professionnels traduit, là encore, une certaine hésitation. Que voulons-nous faire de la prime d’activité ?
Clarté sur les résultats attendus, enfin.
Nous ne pourrons jamais garantir un revenu considéré comme satisfaisant par des revenus de transfert. Ils doivent néanmoins garantir une certaine dignité, en application du préambule de la Constitution de 1946, à ceux qui ne peuvent subvenir à leurs besoins par eux-mêmes. À tous les autres, la solidarité nationale doit garantir les moyens d’accéder à l’autonomie et d’exercer leur liberté en favorisant l’émancipation par la santé, par l’éducation et par le travail. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi qu’au banc des commissions. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque unité de discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de dix minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Madame la présidente, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, je vais essayer d’être un peu plus positive et tiens à apporter tout mon soutien au Gouvernement dans les moments bien difficiles que nous vivons.
La mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » compte plusieurs mesures de soutien destinées à celles et ceux qui en ont le plus besoin. Elle s’inscrit totalement dans la volonté du Gouvernement de « faire plus pour ceux qui ont le moins ».
Ainsi, les crédits de la mission s’élèvent à 21,1 milliards d’euros de crédits de paiement et progressent de 7,5 % entre 2018 et 2019, soit une augmentation de près de 1,5 milliard d’euros en crédits de paiement.
Parmi les mesures de solidarité de ce projet de loi de finances, la première vise à revaloriser dès avril prochain le montant de la prime d’activité de 30 euros au niveau du SMIC, par création d’un bonus. En quelques mois, c’est la deuxième augmentation, après la récente majoration d’octobre dernier. Ce bonus, croissant jusqu’à un SMIC, sera versé à chaque membre du foyer dont les revenus sont compris entre 0,5 et 1,2 SMIC. Il augmentera significativement le pouvoir d’achat des travailleurs et renforcera l’incitation à l’activité.
De plus, une réorganisation des prestations complémentaires à l’allocation aux adultes handicapés est prévue pour rationaliser et mieux articuler le soutien aux personnes en situation de handicap.
Lors de la lecture à l’Assemblée nationale, le Gouvernement a introduit par voie d’amendement l’article 83 ter, qui met en place l’expérimentation d’une innovation dans le mode de délivrance du RSA en Guyane, à Mayotte et à Saint-Martin. Cette innovation consiste à distribuer le RSA via un titre de paiement de type « carte prépayée ». Elle a pour objectif de permettre aux bénéficiaires de régler l’achat de biens et l’ensemble des services via ce moyen de paiement. Cela prend pleinement en compte les difficultés des usagers au sein des territoires, notamment leur faible accès aux services bancaires à Mayotte.
Enfin, je souhaite particulièrement insister sur un amendement déposé par notre groupe et qui prévoit des expérimentations de mise en libre distribution de protections périodiques dans différents lieux accueillant du public, et notamment les personnes les plus vulnérables.
Sujet trop souvent éludé, la précarité liée aux règles est peu connue et peu traitée dans notre pays. Il est cependant indéniable que, faute de moyens, beaucoup de femmes dans notre pays se retrouvent dans l’impossibilité de se procurer des protections périodiques. Ainsi, lorsque l’on vit à la rue ou en centre d’hébergement, les règles représentent des moments particulièrement difficiles, humiliants, et impliquent de nombreuses complications pour de trop nombreuses femmes déjà vulnérables, parfois contraintes d’utiliser des morceaux de vêtements pour se protéger.
Cette situation critique sur le plan sanitaire et sur celui de la dignité sociale ne peut plus durer ! Il nous faut sans attendre explorer et tester les solutions qui s’offrent à nous !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne.
M. Jean-Louis Tourenne. Madame la présidente, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, en cette période troublée que la violence sauvage utilise et que nous devons unanimement condamner, j’aurais vraiment aimé approuver les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». Hélas, ce gouvernement fait de la mystification auprès des plus vulnérables sa méthode.
Derrière les grandes déclarations se cache tout de même un certain cynisme ; c’est intolérable ! Ainsi se nourrissent et s’accroissent un profond ressentiment dans la population et de la défiance à l’égard des élus. Christine Lagarde, que l’on ne peut soupçonner d’être une dangereuse gauchiste, accuse les élites d’être inconscientes de ce qui se passe.
Ainsi, sur l’AAH, une augmentation, louable, des crédits de 5,1 % est annoncée. En réalité, cette mesure est accompagnée de la suppression pure et simple d’un droit essentiel pour les bénéficiaires, à savoir la garantie de ressources fixée à 998 euros, soit en dessous du seuil de pauvreté. Cette garantie vole en éclats avec la fusion, injustifiable et incompréhensible, du complément de ressources et de la majoration pour vie autonome. Elle entraînera, de surcroît, une perte de pouvoir d’achat de 75 à 179 euros pour les nombreuses personnes concernées.
Les mesures contre les personnes en situation de handicap ne s’arrêtent pas là : diminution de 10 % de l’allocation aux adultes handicapées pour les couples de bénéficiaires, suppression de la prime d’activité aux travailleurs invalides - on leur doit un peu plus de reconnaissance et de respect -, augmentation des frais de tutelle après désengagement de l’État et désindexation de l’AAH.
Sur la prime d’activité, on atteint des sommets en matière de supercherie.
Le Gouvernement annonce à tous les carrefours à son de trompe la revalorisation de 20 euros de la prime d’activité. Chacun s’en réjouit et approuve. Hélas, le bleu budgétaire au bas de la page 38 précise : « Le montant forfaitaire de la prime d’activité a fait l’objet d’une revalorisation exceptionnelle de 20 euros […]. En parallèle, le coefficient de prise en compte des revenus est abaissé d’un point, passant de 62 % à 61 %. » Pourquoi ? Cela fait 12 euros de moins sur les 20 euros promis à un salarié au SMIC. Excusez du peu !
Ainsi, l’augmentation se limitera à 8 euros – désindexés, soit moins de 7 euros en réalité – pour un SMIC, et à 14 euros pour un demi-SMIC, sachant que le périmètre aussi a changé. En dessous d’un demi-SMIC, pas de prime d’activité !
Les plus touchés sont, encore et toujours, les plus fragiles, notamment les femmes travaillant à temps partiel et, encore, les personnes en situation de handicap ! Comment peut-on agir ainsi : tromper et accabler ceux de nos concitoyens qui, accablés, le sont déjà, et ce pour quelques économies minimes, surtout au regard de l’argent distribué aux très riches ?
L’égalité entre les hommes et les femmes, c’est la grande cause du quinquennat, selon le Gouvernement. Eh bien, la grande cause n’échappe pas « à la poudre de perlimpinpin ». On refond en totalité les crédits, selon une géométrie quelque peu fantaisiste. Cela permet subtilement, pense-t-on, d’opérer des coupes importantes. Ainsi assiste-t-on à une réduction de 500 000 euros pour l’accompagnement des personnes en situation de prostitution, et à une réduction de 400 000 euros du montant de l’allocation financière pour leur insertion sociale et professionnelle, soit une baisse de 20 % des crédits consacrés à cette politique indispensable de lutte contre la prostitution et d’insertion des êtres qui y étaient contraints.
Votre proposition met en péril l’accompagnement social apporté par les associations agréées, qui font pourtant un travail remarquable sur nos territoires pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles et accompagner les personnes qui en sont victimes.
Le même sort est réservé aux actions en direction des personnes en difficulté. Le RSA n’est pas revalorisé et les crédits consacrés à l’aide alimentaire, dont les principaux bénéficiaires sont les Restaurants du cœur et la Banque alimentaire, baissent de 363 000 euros, alors que les indicateurs montrent une progression élevée du nombre de demandes – plus de 4 millions aujourd’hui. Tandis que l’Union européenne peine à reconduire ses aides, les difficultés risquent d’être considérables cet hiver.
Par ailleurs, le Gouvernement divise par cinquante le montant de l’aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d’origine, laquelle passe de 10 millions d’euros en 2017 à 200 000 euros en 2019. Cette action, décidée en 2016, s’inscrivait dans une politique globale et lucide de l’immigration, s’efforçant de limiter les sorties et de favoriser les retours. Mais c’était l’ancien monde…
La lutte contre la pauvreté, annoncée comme l’une des grandes priorités – mais qu’est-ce qui, dans les déclarations du Gouvernement, n’est pas prioritaire ? –, ressemble juste à un alibi pour tenter de se construire une image plus noble que celle qui lui colle désormais à la peau de gouvernement des très riches. Un montant de 135 millions seulement pour sortir de la misère 8 millions de pauvres et 3 millions d’enfants paraît totalement déconnecté de la réalité des besoins. Il est vrai que l’ambition est de faire participer les collectivités locales… Comment croire encore à la parole du Gouvernement, qui, là encore, communique plus qu’il n’agit ?
Enfin, les ministères sociaux sont parmi les plus touchés par les suppressions de postes. Après 287 en 2018, le Gouvernement supprime, cette année, 460 emplois. Cette décision est contradictoire avec les grandes et belles déclarations. Curieuse vision d’une politique sociale ambitieuse ! On compte de moins en moins de personnels pour la mettre en œuvre.
Un tel acharnement quasi clandestin contre les politiques sociales, contre la cohésion sociale, c’est la négation de nos traditions de solidarité. Or la solidarité est le fondement d’une société civilisée, selon la définition d’Edgar Morin. Elle devrait permettre à tout individu, quelles que soient ses différences, d’accéder à son maximum d’autonomie, de s’insérer dans les meilleures conditions, tant sur le plan social que sur le plan professionnel, de réussir sa vie sans être condamné par les conditions de sa naissance.
Il est grand temps de changer d’orientation, d’engager des actions de lutte contre les inégalités plutôt qu’accroître celles-ci, de favoriser l’épanouissement de tous, d’offrir à chacun les conditions de sa réalisation, de rassembler la Nation derrière et autour d’un projet pour une société plus juste, plus douce, plus harmonieuse et plus solidaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.
M. Jean-Marc Gabouty. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, le montant des crédits consacrés à la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », qui a essentiellement pour vocation de financer le versement d’allocations destinées aux publics les plus fragiles, s’élève à plus de 21 milliards d’euros pour 2019.
À périmètre courant, les crédits de la mission progressent de 7,5 % entre 2018 et 2019, soit une augmentation de près de 1,5 milliard d’euros en crédits de paiement. C’est l’une des évolutions les plus favorables de ce projet de loi de finances.
Cette mission s’articule autour de deux grands programmes, mettant en œuvre la prime d’activité et l’allocation aux adultes handicapés, qui représentent, à elles deux, près de 90 % des crédits de la mission. Il est naturel de rappeler notre attachement à ces mécanismes de soutien, destinés aux personnes les plus vulnérables ou dans les situations les plus précaires, notamment les femmes qui élèvent seules des enfants, au nom de la solidarité nationale.
Les crédits de la mission s’inscrivent donc logiquement dans la mise en place de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté présentée par le Président de la République le 13 septembre dernier.
Le programme 304, doté, pour 2019, de 175 millions d’euros, est l’une des traductions budgétaires de cette volonté. Comme je l’ai indiqué, les dépenses recouvrent principalement la prime d’activité, dont bénéficient 2,8 millions de nos concitoyens et qui traduit une double volonté : une politique d’incitation à la reprise d’activité et un soutien au pouvoir d’achat. Notons tout particulièrement l’amélioration apportée par l’adoption, à l’Assemblée nationale, d’un amendement du Gouvernement, qui aura pour effet, avec le versement de cette prime, d’augmenter le SMIC de 30 euros supplémentaires dès le mois d’avril 2019, puis de 20 euros les deux années suivantes, soit une hausse totale de 80 euros d’ici à 2021.
Le programme 157 regroupe, quant à lui, essentiellement les crédits dédiés au financement de l’allocation aux adultes handicapés. Ces derniers connaissent une progression de 5,1 % et sont le prolongement de l’engagement qu’a pris le Président de la République de revaloriser l’AAH, qui est passée à 860 euros le 1er novembre dernier et qui sera portée à 900 euros à la fin de l’année 2019. Cette mesure de justice et de solidarité, que l’on ne peut que saluer, est une avancée importante, même si l’on peut encore regretter que le montant de l’allocation soit toujours en dessous du seuil de pauvreté.
Enfin, les crédits du volet relatif aux mineurs non accompagnés, passés de 15,7 millions d’euros en 2017 à 132 millions d’euros en 2018, atteindront 141 millions d’euros en 2019.
À l’Assemblée nationale, vous avez souligné, madame la ministre, que l’appui aux conseils départementaux pour la mise à l’abri et l’évaluation des personnes se présentant comme mineures serait renforcé par une compensation plus juste des dépenses engagées, sur la base d’un forfait calculé par jeune évalué. Pour reprendre vos propos, cela « traduit la volonté du Gouvernement d’œuvrer à l’avènement d’une nouvelle contractualisation entre l’État et les conseils départementaux dans la déclinaison des politiques sociales. »
Pour autant, notre rapporteur pour avis, M. Philippe Mouiller, a estimé que ce montant était très insuffisant par rapport aux besoins exprimés, qui sont difficiles à chiffrer, étant donné que leur évolution est assez rapide. Par conséquent, il nous proposera d’adopter un amendement visant à créer un programme budgétaire distinct au sein de la mission, exclusivement dédié à l’accueil des mineurs non accompagnés. Il souhaite ainsi envoyer un signal fort, en incitant l’État à assumer une mission dont les conseils départementaux ont toujours pensé qu’elle relevait de sa compétence exclusive, au titre de la politique migratoire. L’évaluation et l’hébergement d’urgence de jeunes migrants dont la minorité n’est pas encore établie doivent être pleinement conduits par l’État. Aux conseils départementaux revient l’accompagnement des jeunes reconnus mineurs au titre de l’aide sociale à l’enfance.
À ces programmes majeurs s’ajoute un ensemble de dispositifs portant sur des actions très variées, comme l’aide alimentaire, pour un montant de 51,9 millions d’euros, la protection juridique des majeurs, qui se voit doter de 668 millions d’euros, ou encore l’égalité entre les hommes et les femmes, dont les crédits ont été stabilisés à hauteur de 30 millions d’euros.
Quelles que soient les réserves ou les critiques émises par certains de mes collègues – pour ma part, elles me paraissent assez excessives, voire caricaturales –, la progression de 7,5 % de la masse financière de cette mission témoigne de la volonté du Président de la République et du Gouvernement de renforcer la solidarité en direction des plus fragiles de nos concitoyens. Même si ce message est malheureusement peu audible dans le contexte actuel, le groupe du RDSE se félicite de cet effort. Il approuvera les crédits de la mission.
Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Doineau.
Mme Élisabeth Doineau. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, le 13 septembre dernier, le Président de la République dévoilait sa stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, dont l’ambition est de lutter contre les inégalités de destin et permettre une égalité des chances réelle. Cette priorité sociale affichée par le Gouvernement se traduit par une augmentation de près de 7 % des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », qui atteignent 21 milliards d’euros.
Dans le même temps, comme je l’ai dit lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, celui-ci entérine un quasi-gel des prestations sociales pour les deux prochaines années. Si le Gouvernement explique vouloir concentrer ses efforts sur les personnes les plus en difficulté, cette désindexation risque de placer un certain nombre de foyers aux portes de la pauvreté.
Sans remettre en cause la priorité donnée à la lutte contre la pauvreté, le sentiment de déclassement grandit au sein de la population, surtout de la population qui travaille, comme en témoigne le mouvement des gilets jaunes. Aussi, la présente mission budgétaire revêt un rôle plus que jamais central.
Je m’attarderai sur les points les plus saillants de cette mission.
Le programme 157, « Handicap et dépendance », regroupe les crédits consacrés à l’allocation aux adultes handicapés. Ceux-ci sont en hausse de 5,1 % par rapport à 2018, portant l’enveloppe à 11,9 milliards d’euros.
Cette augmentation permet de concrétiser l’engagement du Président de la République en faveur de la revalorisation de l’AAH. L’aide à taux plein sera portée à 900 euros à la fin de l’année 2019. Cet investissement doit être salué à sa juste mesure.
Cependant, quelques ajustements paramétriques contrastent avec l’engagement tenu. Pour n’en citer qu’un, l’alignement des règles de prise en compte des revenus d’un couple bénéficiant de l’AAH sur celles d’un couple touchant le RSA abaisse mécaniquement le plafond en deçà duquel un couple peut bénéficier de deux AAH à taux plein. Les associations de personnes handicapées alertent à juste titre. L’AAH est par nature différente du RSA et leurs objectifs divergent. C’est notre premier point de vigilance.
Le programme 304, « Inclusion sociale et protection des personnes », est le deuxième programme le plus important en termes de crédits mobilisés, avec 7,7 milliards d’euros demandés pour 2019, soit 1 milliard d’euros de plus qu’en 2018. Selon le Gouvernement, ce programme sera l’instrument majeur dans l’application de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté. L’un des outils mobilisés est la revalorisation de 20 euros, en 2019, du montant forfaitaire de la prime d’activité. Cette augmentation succède à une première hausse du même montant, intervenue en 2018. D’ici à la fin du quinquennat, la revalorisation pour les bénéficiaires de la prime d’activité rémunérés au niveau du SMIC s’élèvera à 80 euros.
Comme l’a souligné fort justement notre rapporteur pour avis, Philippe Mouiller, la concentration sur la prime d’activité des efforts de lutte contre la pauvreté incite les travailleurs déjà partiellement insérés dans l’emploi à s’y insérer davantage, mais, dans le même temps, le Gouvernement semble oublier les personnes les plus éloignées de l’emploi. Je souscris donc à l’analyse de notre collègue, pour lequel la prime d’activité, en l’espèce, est plus un soutien au pouvoir d’achat qu’une incitation à retourner vers l’emploi.
S’agissant de la situation des mineurs non accompagnés, au sujet de laquelle j’ai réalisé, l’année dernière, un rapport d’information avec notre ancien collègue Jean-Pierre Godefroy, je demande à l’État une vraie prise en charge de cette compétence, en raison des difficultés des départements à y répondre.
Depuis 2014, l’augmentation du nombre de mineurs non accompagnés est en forte hausse. Comme on l’a vu ces derniers mois, cette évolution est parfois difficile à vivre pour les départements. Certes, comme l’a précisé Jean-Marc Gabouty, les crédits consacrés à l’accueil des mineurs non accompagnés sont portés à 141 millions d’euros. Mais, au final, le problème ne réside pas tant dans les moyens alloués aux départements que dans le fait que ces derniers n’arrivent plus aujourd’hui à héberger les jeunes. Dans combien de départements les jeunes sont-ils une fois de plus hébergés à l’hôtel ? Cette situation n’est pas toujours acceptable.
M. Michel Savin. Ils sont même à la rue !
Mme Élisabeth Doineau. Les crédits ne sont donc qu’une aide ponctuelle ; ils ne répondent pas aux problèmes de fond. À cet égard, comme Jean-Marc Gabouty, je salue la proposition de Philippe Mouiller de créer un programme budgétaire distinct dédié à l’accueil des mineurs non accompagnés, obligeant l’État à assumer cette compétence.
Les départements ne sont pas tous égaux pour évaluer l’âge des jeunes accueillis ou traiter les documents administratifs. C’est pourquoi je propose une plateforme à l’échelle soit régionale, soit interdépartementale, pour plus de compétence et d’équité dans l’évaluation des jeunes.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme Élisabeth Doineau. Toutefois, l’action la plus décisive reste le renforcement de la lutte contre les filières de passeurs, en coopération avec les États d’origine des mineurs non accompagnés. Cette lutte relève de la compétence de l’État. La question reste posée : comment favoriser le développement des pays de départ pour diminuer les candidats à la migration ? J’y insiste, au-delà de la distinction entre majeurs et mineurs, le problème central demeure le même, à savoir le départ d’une population recherchant, à travers une migration, une terre d’accueil pouvant assurer la sécurité et l’autonomie financière.
Enfin, je ne peux clôturer mon intervention sans évoquer la grande cause nationale du quinquennat : l’égalité entre les femmes et les hommes. Les crédits sont légèrement inférieurs à 30 millions d’euros. Je m’interroge sur l’absence d’augmentation des crédits dédiés à ce qui a été promu grande cause nationale.
Pour conclure, tout en espérant que le Gouvernement entendra les quelques points de vigilance que j’ai évoqués, j’indique que le groupe Union Centriste votera les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. Jean-Marc Gabouty applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » s’élèveront à 21,1 milliards d’euros en 2019, en augmentation notable, de 7,5 %, par rapport à 2018, au bénéfice notamment de la prime d’activité et de l’AAH.
De manière générale, la mission a connu une hausse au cours des neuf dernières années, ses crédits passant de 11,5 milliards d’euros en 2009 à 21,1 milliards d’euros en 2019.
Nous pouvons saluer cette augmentation, signe de l’attention portée par le Gouvernement aux populations les plus vulnérables, qui ont besoin d’une continuité de l’État. Cette continuité, je la souhaite évidemment ardemment.
Bien sûr, des efforts restent et resteront toujours à faire pour les populations qui se situent sous le seuil de pauvreté. À cet égard, deux programmes de la mission méritent une attention plus particulière, dans la mesure où ils mettent en œuvre deux allocations de solidarité qui visent à redonner du pouvoir d’achat aux Français.
Tout d’abord, le programme 304, « Inclusion sociale et protection des personnes », se caractérise par une hausse de 14 % de ses crédits, liée à la revalorisation exceptionnelle de la prime d’activité de 20 euros pour les revenus supérieurs à 0,5 SMIC. Le Gouvernement souhaite que cette prime soit un instrument d’incitation au retour à l’emploi. Nous saluons cet effort.
Ensuite, le programme 157, « Handicap et dépendance », est lui aussi marqué par une hausse de ses crédits. Cette augmentation, qui s’élève à 5,13 %, intègre l’annonce d’une revalorisation de l’AAH, laquelle passe de 675 euros à 900 euros. Cela représente un progrès sensible. Notre groupe approuve cette mesure importante en faveur des personnes en situation de handicap. Il convient de soutenir ces personnes dans leur recherche de travail. Le doublement du nombre des entreprises adaptées va dans ce sens ; il faut le saluer.
La sortie de la précarité des personnes handicapées passera par la création d’emplois en entreprises adaptées. Il s’agit de les accompagner vers l’inclusion, lorsque cela est possible.
Un certain nombre de réformes minorent les hausses annoncées. Ainsi, la revalorisation de la prime d’activité pour une personne touchant le SMIC ne sera que de 8 euros et, pour les allocataires en couple, le coefficient de prise en compte des revenus du conjoint passera de 2 à 1,8 fois le montant de l’AAH.
Notre groupe souhaite appeler l’attention du Gouvernement sur la question des mineurs non accompagnés, dont le nombre, passé de 20 000 en 2017 à 25 000 en 2018, atteindra 30 000 en 2019. Placés sous la responsabilité sociale et financière des départements, ces mineurs, de plus en plus nombreux, sont le plus souvent dans des situations complexes et difficiles. Cette charge est de plus en plus lourde pour nos collectivités territoriales. À terme, elle sera insoutenable.
L’État doit prendre sa part de responsabilités pour soutenir davantage les départements et assurer l’hébergement d’urgence et l’évaluation. Le budget correspondant est passé de 15 millions d’euros en 2017 à 141 millions d’euros en 2018, soit dix fois plus, mais cela reste insuffisant.
Les membres de notre groupe aimeraient également avoir des précisions quant à la mise en œuvre de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, qui permet des avancées notables. Cependant, cette dernière repose, en partie, sur la contractualisation avec les départements, dont la situation financière est souvent difficile. N’oublions pas de soutenir les salariés aux revenus modestes ne bénéficiant que du RSA, qui ne percevront pas la prime d’activité si leur salaire est inférieur à 0,5 SMIC.
Enfin, les crédits du programme 137, « Égalité entre les femmes et les hommes », sont stables. Le Président de la République l’ayant décrétée grande cause nationale, il serait souhaitable, à l’avenir, que ces crédits soient en hausse, avec un appui ciblé aux associations qui œuvrent au quotidien, notamment pour la prévention contre la prostitution et les violences sexistes.
Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » est très importante pour les finances publiques et pour notre système de protection. Elle se place au sixième rang des missions budgétaires de l’État. Elle est au cœur de l’action publique en matière d’attention portée aux personnes les plus en difficulté. Le groupe Les Indépendants – République et territoires se félicite de cet effort budgétaire au bénéfice des plus fragiles et votera en faveur des crédits de la mission.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, le projet de loi de finances pour 2019 prévoit une augmentation des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », dont le montant passera de 19,44 milliards en 2018 à 20,93 milliards en 2019, ce qui correspond à une augmentation de 7,7 %. Par les temps qui courent, c’est plutôt une bonne surprise, d’autant que la majeure partie de ces crédits est destinée à financer la prime d’activité et l’allocation aux adultes handicapés, qui relèvent toutes les deux des programmes 304 et 157.
Les crédits du programme 157, « Handicap et dépendance », sont donc en hausse, ce qui s’explique essentiellement par la revalorisation exceptionnelle de l’allocation aux adultes handicapés. Si nous nous réjouissons de cette augmentation, nous déplorons la réduction du nombre de ses bénéficiaires, du fait de l’abaissement du plafond de ressources pour les couples. En outre, sa revalorisation est désindexée de l’inflation, ce qui entraînera forcément une baisse de son montant au fil du temps. En outre, cette mesure exceptionnelle ne suffit pas à faire oublier les nombreuses décisions qui ont récemment porté atteinte au pouvoir d’achat et aux conditions d’existence des personnes en situation de handicap, comme la suppression du complément de ressources ou le rejet de notre proposition de loi portant suppression de la prise en compte des revenus du conjoint dans la base de calcul de l’AAH.
Concernant les crédits du programme 304, « Inclusion sociale et protection des personnes », le constat est le même : leur hausse s’explique essentiellement par la revalorisation exceptionnelle de la prime d’activité. Toutefois, cette augmentation doit être nuancée, car plusieurs mesures, telles que la baisse de l’abattement, le gel des revalorisations annuelles en fonction de l’inflation et l’exclusion des bénéficiaires de pensions d’invalidité et de rentes AT-MP restreignent la portée de cette allocation.
Au fond, ce sont des augmentations de crédits en trompe-l’œil, qui masquent, en réalité, des mesures d’économies, le Gouvernement prenant aux uns pour donner aux autres. Et votre plan Pauvreté, madame la ministre, ne nous rassure pas ! Éric Bocquet en ayant déjà parlé, je ne m’y attarderai pas.
De plus, toujours dans le programme 304, les financements liés au suivi des mineurs non accompagnés progressent, mais cette augmentation des crédits est contrebalancée par le nombre croissant de bénéficiaires. La mise en œuvre de ce dispositif dépend des départements, qui sont en grande difficulté, vu leur étranglement financier, tandis que les aides versées par l’État sont largement insuffisantes. Le Gouvernement doit prendre ses responsabilités et assurer une réelle protection de ces mineurs en danger, dont la précarité est dénoncée par de nombreuses associations.
Pour terminer sur le programme 304, à la suite de la mobilisation des organisations syndicales et des professionnels, le GIPED, qui gère notamment le numéro gratuit 119, voit finalement ses crédits revenir au niveau de 2017, au lieu des 7 % de baisse prévus initialement. Nous serons très vigilants sur les crédits inscrits à son profit dans le PLF pour 2020 : ils doivent permettre à ces professionnels d’exercer leurs missions dans de bonnes conditions.
J’en viens à présent au programme 137, « Égalité entre les femmes et les hommes ».
De nouvelles actions ont été ouvertes, prévoyant notamment de favoriser l’accès aux droits pour les femmes, le développement de la culture de l’égalité et de financer les délégations régionales aux droits des femmes. Cependant, le budget correspondant, à euros constants, n’est pas suffisamment important pour mener une politique de lutte contre les inégalités ambitieuse : il ne s’élève même pas à 30 millions d’euros, soit 0,007 % du budget de la France ! Même s’il faut également prendre en compte les budgets transversaux, nous ne pouvons que constater et regretter que la prétendue grande cause du quinquennat ne bénéficie pas de moyens supplémentaires.
De même, nous regrettons que, dans le nouvel intitulé des actions nos 21, 22 et 23, toute référence à la lutte contre la prostitution ou à la lutte contre les violences sexistes ait totalement disparu. Nous avions été nombreuses et nombreux, lors de l’examen du PLF de l’an dernier, à intervenir sur la baisse de l’enveloppe de l’AFIS, mise en place dans le cadre des dispositifs de sortie de la prostitution. Le Gouvernement justifie la nouvelle baisse par les difficultés de mise en œuvre sur le terrain et le peu de personnes potentiellement concernées. Nous sommes en désaccord avec ce raisonnement et pensons, au contraire, comme notre collègue Tourenne, que ce dispositif va monter en puissance, à condition que le Gouvernement le soutienne vraiment.
Le budget qui nous est présenté est, une fois encore, un budget a minima, dans lequel les améliorations sont systématiquement contrebalancées par des mesures de restriction budgétaire. Alors que la France traverse une crise profonde, vous continuez d’appliquer vos vieilles recettes. Vous continuez à ne pas entendre celles et ceux qui souffrent de vos choix politiques profondément injustes et qui manifestent jour après jour.
Nous voterons contre la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » du projet de loi de finances pour 2019. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires sociales, messieurs les rapporteurs spéciaux, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai l’honneur de vous présenter, avec Sophie Cluzel, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées, le budget de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».
Je veux souligner d’emblée la cohérence politique de ce budget avec le projet de loi de financement de la sécurité sociale : ils portent les mêmes choix et les mêmes priorités.
D’abord, priorité est donnée aux personnes les plus fragiles, afin de répondre de façon spécifique à leurs attentes prioritaires et d’agir sur les facteurs du déterminisme social.
La priorité est également donnée aux salariés les plus modestes, pour que le travail paie davantage.
Cette priorité sociale du Gouvernement se lit d’abord dans l’évolution des crédits de la mission, qui augmentent de 7 %. Cette hausse est considérable ; c’est l’une des plus importantes du projet de loi de finances. Une augmentation de 7 % permettra que 1,4 milliard d’euros supplémentaires soient consacrés, en 2019, aux politiques de solidarité.
Ce budget est d’abord celui d’une solidarité renforcée, au bénéfice de nos concitoyens les plus fragiles.
Je veux évoquer, en premier lieu, la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, que nous avons présentée le 13 septembre dernier. Comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, il s’agit d’une politique ambitieuse et globale, qui vise à éviter que les enfants pauvres d’aujourd’hui ne deviennent les adultes pauvres de demain.
Le Gouvernement a bâti une stratégie qui va se déployer dans tous les territoires et qui a pour objectifs de renforcer l’accès aux services de la petite enfance, de conforter les droits fondamentaux des enfants et de renforcer l’insertion des jeunes et des adultes par l’emploi.
Le programme 304 est le support budgétaire principal de cette stratégie. Il porte les crédits dédiés à la contractualisation avec les territoires à hauteur de 171 millions d’euros en 2019. Je précise que 135 millions d’euros seront consacrés à la contractualisation avec les départements, laquelle portera sur les quatre objectifs suivants : l’accompagnement des sortants de l’aide sociale à l’enfance, le renforcement de l’accompagnement des bénéficiaires du RSA, la formation des travailleurs sociaux et l’accueil social de proximité.
L’effort de solidarité s’exprime également et fortement au travers de l’évolution des crédits du programme 157, « Handicap et dépendance », qui sont portés à 11,9 milliards d’euros, soit une augmentation de 5,1 %. Cette hausse très importante traduit la priorité, pour le quinquennat, que constitue la construction d’une société plus inclusive. Elle permet de concrétiser l’engagement du Président de la République en faveur de la revalorisation de l’allocation aux adultes handicapés, afin de donner à tous leur juste place dans le projet national et de garantir un revenu minimal aux personnes dont le handicap interdit ou limite fortement l’accès au travail.
La revalorisation de l’AAH a porté, le mois dernier, le niveau de l’aide à taux plein à 860 euros, ce qui représente une progression de 41 euros par mois. L’allocation verra ensuite son montant porté à 900 euros par mois à la fin de l’année 2019. Globalement, l’investissement pour améliorer la situation des personnes en situation de handicap s’élève à plus de 2,5 milliards d’euros sur le quinquennat.
Parce que le travail conduit à l’émancipation sociale, le soutien à l’insertion professionnelle des travailleurs handicapés est également renforcé, notamment dans le milieu ordinaire, avec un effort important en faveur de l’emploi accompagné. Ce dispositif combine accompagnement médico-social et accompagnement professionnel pour les travailleurs handicapés.
Les crédits dédiés à ces emplois accompagnés augmenteront ainsi de 40 % par rapport à l’année précédente.
L’engagement du Gouvernement s’inscrit pleinement dans le cadre du comité interministériel du handicap organisé le 25 octobre dernier, qui a permis de mobiliser l’ensemble des ministères autour du Premier ministre, Édouard Philippe, et de la secrétaire d’État, Sophie Cluzel, pour mettre en œuvre des mesures de simplification en faveur des droits des personnes et lutter contre les ruptures de parcours des personnes handicapées.
L’effort de solidarité bénéficie, en troisième lieu, à nos compatriotes d’outre-mer, dans deux territoires confrontés à des difficultés sociales très importantes : la Guyane et Mayotte.
Conformément à l’engagement pris par le Président de la République en octobre 2017, l’État reprend à sa charge le financement du RSA dans les deux collectivités de Guyane et de Mayotte à compter du 1er janvier 2019, pour un montant de 170 millions d’euros. Il s’agit de soulager ces collectivités du poids du financement et de l’attribution du RSA, sans pour autant remettre en cause leurs compétences pour ce qui concerne l’insertion des bénéficiaires.
De plus, l’État assume pleinement ses responsabilités au sujet des mineurs non accompagnés. Le Gouvernement a bien entendu les difficultés des départements, et il a fait le choix de renforcer le soutien qu’il leur apporte, à deux niveaux complémentaires : d’une part, pour la mise à l’abri et l’évaluation des personnes se présentant comme mineures – à compter de 2019, l’appui financier de l’État sera renforcé par une compensation plus juste des dépenses engagées, sur la base d’un forfait par jeune réévalué – ; d’autre part, l’État prendra en charge une partie des dépenses supplémentaires des départements au titre de l’aide sociale à l’enfance, l’ASE, lorsque les personnes sont effectivement évaluées comme mineures. Pour la seconde année consécutive, un dispositif exceptionnel sera mis en œuvre en 2019.
Je tiens à insister particulièrement sur ce second volet. En effet, à l’issue d’échanges très nourris et étroits avec l’Assemblée des départements de France, l’ADF, le Gouvernement a souhaité aller plus loin que ce qui était prévu. Il a ainsi décidé de relever son concours financier. Concrètement, en 2019, une aide forfaitaire de 6 000 euros sera octroyée aux départements pour 75 % des mineurs non accompagnés supplémentaires admis à l’ASE par rapport à l’année précédente, contre 50 % auparavant. En tout, ce sont plus de 175 millions d’euros qui seront consacrés, en 2019, au soutien des départements.
Plus largement, l’effort engagé à la fois dans le cadre de la stratégie Pauvreté et pour la gestion des mineurs non accompagnés traduit la volonté du Gouvernement d’œuvrer à l’avènement d’une nouvelle contractualisation entre l’État et les conseils départementaux dans la déclinaison des politiques sociales. Je mènerai cette politique de concert avec Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
La mission « Solidarités » porte également un effort sans précédent au bénéfice des salariés modestes de ce pays.
La prime d’activité bénéficie aujourd’hui à 2,8 millions de nos concitoyens. C’est une prestation importante : elle soutient le pouvoir d’achat et incite à la reprise d’activité. Pendant sa campagne, le Président de la République a pris l’engagement de la revaloriser de 80 euros pour un salarié au SMIC d’ici à la fin du quinquennat. Cette revalorisation s’ajoutera au gain de pouvoir d’achat de 20 euros par mois du fait de la suppression des cotisations salariales maladie et chômage, laquelle est pleinement effective depuis le mois d’octobre dernier. Pour le SMIC, elle garantira donc un gain total de 100 euros d’ici à 2022.
Cet engagement sera tenu. Ainsi, la prime d’activité au SMIC augmentera de 30 euros supplémentaires dès 2019 : pour plusieurs centaines de milliers de ménages, ce sera, dans quelques mois, un gain de pouvoir d’achat significatif, plus important et plus rapide que prévu par la loi de programmation des finances publiques. En outre, cette prime augmentera de nouveau de 20 euros en 2020 et de 20 euros en 2021, soit un total de 80 euros d’ici à 2021.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le montant des crédits consacrés à la prime d’activité était seulement de 4,3 milliards d’euros en loi de finances initiale pour 2017 ; deux ans après, parce que nous avons rétabli la sincérité budgétaire, parce que le montant de la prime d’activité progresse et parce que le nombre de bénéficiaires augmente, ce montant dépasse 6 milliards d’euros. Cet effort exceptionnel est le signe tangible de la priorité qu’accorde le Gouvernement au pouvoir d’achat des travailleurs aux revenus modestes.
J’évoquerai à présent un programme à forte dimension transversale, le programme 137.
Comme vous le savez, l’égalité entre les femmes et les hommes a été érigée par le Président de la République en grande cause nationale du quinquennat. Cet engagement s’est traduit par un ensemble de mesures qui ont été annoncées le 25 novembre 2017. Elles ont mobilisé le Gouvernement tout entier, qui leur a consacré un comité interministériel, et impliquent les acteurs économiques et sociaux de notre pays.
Le programme 137 est l’un des outils de cette politique, qui mobilise un ensemble de crédits beaucoup plus important. Si le montant de ce programme n’augmente pas, le taux d’exécution des crédits est en hausse de plus de trente points. Il approche désormais les 100 %, ce qui est le signe d’une efficacité accrue dans la conduite des actions.
C’est donc un budget porteur d’une ambition sociale et sanitaire exceptionnellement forte que le Gouvernement soumet à votre vote. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Mme Élisabeth Doineau ainsi que MM. Daniel Chasseing et Jacques Mézard applaudissent également.)
Mme la présidente. Nous allons procéder à l’examen des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », figurant à l’état B.
ÉTAT B
(En euros) |
||
Mission |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
Solidarité, insertion et égalité des chances |
21 202 126 978 |
21 224 803 340 |
Inclusion sociale et protection des personnes |
7 792 143 848 |
7 792 143 848 |
Dont titre 2 |
1 947 603 |
1 947 603 |
Handicap et dépendance |
11 922 991 246 |
11 922 991 246 |
Égalité entre les femmes et les hommes |
29 871 581 |
29 871 581 |
Conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative |
1 457 120 303 |
1 479 796 665 |
Dont titre 2 |
719 018 224 |
719 018 224 |
Mme la présidente. L’amendement n° II-435, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
+ |
- |
+ |
- |
|
Inclusion sociale et protection des personnes dont titre 2 |
|
|
||
Handicap et dépendance |
|
|
|
|
Égalité entre les femmes et les hommes |
|
|
|
|
Conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative |
|
341 362 |
|
341 362 |
dont titre 2 |
341 362 |
341 362 |
||
TOTAL |
|
341 362 |
|
341 362 |
SOLDE |
- 341 362 |
- 341 362 |
La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre. La loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, promulguée le 18 novembre 2016, prévoit le transfert du contentieux des tribunaux des affaires de sécurité sociale, les TASS, des tribunaux du contentieux de l’incapacité, les TCI, et d’une partie des commissions départementales d’aide sociale, les CDAS, vers les futurs pôles sociaux des tribunaux de grande instance.
Cette réforme prendra effet le 1er janvier 2019. Son application sera assurée grâce à la mise à disposition du ministère de la justice des personnels qui travaillent dans ces tribunaux et qui relèvent soit des organismes de sécurité sociale, soit du ministère des solidarités et de la santé, ainsi que des moyens de fonctionnement associés.
En outre, le projet de loi de finances prévoit un transfert d’emplois correspondant à 52 équivalents temps plein travaillé, ou ETPT, du programme 124, « Conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative », vers le programme 166, « Justice judiciaire ».
Le dépôt de cet amendement, en miroir de l’amendement présenté au titre de la mission « Justice », se justifie par l’actualisation du besoin en agents, imparfaitement stabilisé à la date de dépôt du projet de loi de finances. Il faut augmenter le nombre d’emplois transférés et réalloués pour permettre les recrutements nécessaires au sein du ministère de la justice.
En conséquence, nous proposons un transfert supplémentaire d’emplois du programme 124 vers le programme 166, à hauteur de 5 ETPT, représentant un coût chargé de 341 362 euros.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. Madame la ministre, madame la secrétaire d’État, le programme 124 fait l’objet de mesures d’économies budgétaires depuis plusieurs années. Nous vous encourageons donc à veiller à préserver le montant de crédits satisfaisant pour le bon fonctionnement des ministères sociaux ; étant donné que vous en êtes les garantes, nous émettons un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, pour explication de vote.
M. Jean-Louis Tourenne. Lors de la discussion générale, les différents orateurs ont relevé la réduction de crédits que subit ce programme : il nous paraît totalement indécent de l’aggraver encore au profit d’un autre programme. En conséquence, nous voterons contre cet amendement.
Mme la présidente. L’amendement n° II-297, présenté par M. Mouiller, au nom de la commission des affaires sociales, est ainsi libellé :
I. – Créer le programme :
Évaluation et hébergement d’urgence des mineurs non accompagnés
II. – En conséquence, modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
|
+ |
- |
+ |
- |
Inclusion sociale et protection des personnes dont titre 2 |
|
141 200 000 |
|
141 200 000 |
Handicap et dépendance |
|
|
|
|
Égalité entre les femmes et les hommes |
|
|
|
|
Conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative dont titre 2 |
|
|
|
|
Évaluation et hébergement d’urgence des mineurs non accompagnés |
141 200 000 |
|
141 200 000 |
|
TOTAL |
141 200 000 |
141 200 000 |
141 200 000 |
141 200 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Philippe Mouiller, rapporteur pour avis. Cet amendement tend à créer un nouveau programme budgétaire exclusivement dédié à l’évaluation et à l’hébergement d’urgence des mineurs non accompagnés, au sein de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».
Il s’agit de consacrer par la loi ce qui n’existe pour l’heure qu’au sein des programmes annuels de performance et n’a donc pas de valeur contraignante. Il s’agit surtout d’envoyer un signal fort à l’État au sujet de cette mission : les conseils départementaux ont toujours estimé qu’elle relevait de sa compétence exclusive, au titre de la politique migratoire, et il doit désormais l’assumer.
L’évaluation et l’hébergement d’urgence de jeunes migrants doivent être pleinement conduits par l’État. Cela étant, avec cet amendement, nous nous contentons de créer le véhicule législatif nécessaire ; le montant transféré reste égal au montant annoncé au titre du projet de loi de finances pour 2019.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. Avec cet amendement, il s’agit d’envoyer un signal fort à l’État, pour l’inciter à assumer pleinement une mission qui relève des compétences régaliennes.
De plus, nous souhaitons être en mesure de bien distinguer, d’une part, les crédits d’aide à l’évaluation de la minorité, d’autre part, les crédits d’accueil déployés ensuite. Cette année, ce travail s’est révélé un peu difficile. La création de cette ligne devrait le faciliter à l’avenir.
Pour ces raisons, nous sommes évidemment favorables à ces dispositions, qui constituent donc un signal fort.
Madame la ministre, nous avons visité ensemble, voilà quelques jours, un établissement d’accueil relevant de l’ASE. Vous avez pu voir le travail que font les départements pour donner toutes leurs chances à ces jeunes. (Mme la ministre le confirme.) Toutefois, face à l’afflux croissant de mineurs étrangers isolés, désormais dits « mineurs non accompagnés », ils ont aujourd’hui de grandes difficultés à assumer cette mission.
Ainsi, dans le département dont je suis l’élu, les crédits que le conseil départemental consacre à cette compétence ont dû être multipliés par douze entre 2011 et 2018. Techniquement, nous sommes également en très grande difficulté. Je saisis cette occasion pour dire, une fois de plus, à l’État qu’il doit absolument soutenir les départements. Il s’agit d’une question cruciale.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Buzyn, ministre. Monsieur le rapporteur spécial, vous le savez, nous avons entendu les difficultés des départements : les crédits dédiés à la prise en charge des mineurs non accompagnés ont été augmentés sensiblement – je pense notamment à leur mise à l’abri.
La maquette actuelle du programme 304, « Inclusion sociale et protection des personnes », est issue de la fusion, en 2015, de l’ancien programme 304, « Lutte contre la pauvreté : revenu de solidarité active et expérimentations sociales », et du programme 106, « Actions en faveur des familles vulnérables », dont relevait alors le dispositif d’évaluation et de mise à l’abri des mineurs non accompagnés.
Cette évolution de périmètre a permis d’établir un cadre budgétaire plus lisible pour les politiques publiques de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». De plus, elle s’inscrit pleinement dans la ligne tracée par le comité interministériel pour la modernisation de l’action publique, lequel plaide pour une réduction du nombre de programmes. Surtout, il est cohérent que les initiatives menées en faveur des mineurs non accompagnés s’inscrivent, au sein du programme 304, dans l’action n° 17, Protection et accompagnement des enfants, des jeunes et des familles vulnérables. Cette action regroupe les initiatives déployées en faveur des jeunes, en particulier les plus en difficulté d’entre eux, qu’ils soient mineurs non accompagnés ou qu’ils relèvent de l’ASE sans être issus de la crise migratoire que nous connaissons. Il me semble important de préserver le périmètre de l’action n° 17, dédié aux mineurs.
Pour ces raisons, je demande le retrait de cet amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Madame la ministre, vos explications sont tout de même surprenantes. Vous venez de défendre un amendement auquel nous étions opposés, et pour cause : il tend à transférer divers crédits du ministère des solidarités et de la santé vers un budget entièrement différent, celui de la justice. À présent, il s’agit de traiter un sujet que tous les orateurs ou presque ont évoqué dans leur intervention, à savoir l’accompagnement des mineurs, et vous estimez qu’il est impossible de toucher à l’enveloppe.
Nous l’avons souligné au cours de la discussion générale : les budgets actuels sont totalement insuffisants pour répondre aux problématiques des populations fragilisées. Avec cet amendement, l’on propose, en quelque sorte, un système de vases communicants. On peut comprendre la logique suivie, mais il s’agit en définitive de prendre des fonds destinés à des publics fragiles pour les attribuer à des publics encore plus fragiles.
Nous ne sommes pas du tout d’accord avec cette manière de faire. À nos yeux, la responsabilité revient au Gouvernement, qui devrait consacrer à ces enjeux des budgets beaucoup plus importants. Mais nous ne pouvons pas non plus désapprouver cet amendement : c’est pourquoi nous nous abstiendrons.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, pour explication de vote.
M. Jean-Louis Tourenne. On l’a dit, les départements sont submergés par l’arrivée de mineurs non accompagnés ; ce phénomène a connu une véritable montée en puissance, et j’ai eu l’honneur de présider, au nom de l’ADF, une commission visant à répartir sur le territoire l’ensemble de ces jeunes et des dépenses qui leur sont dédiées.
L’État est responsable de la politique d’immigration. De plus, c’est lui qui a signé la Convention internationale des droits de l’enfant. Il a donc la responsabilité de l’accueil ; il ne peut s’en dessaisir complètement en laissant aux seuls départements le soin d’assumer les conséquences des politiques qu’il conduit ou ne conduit pas. Or les dépenses en question sont considérables. Mme la ministre nous assure que l’effort a augmenté : certes ! Il a peut-être doublé, mais la somme de départ était très réduite.
En Ille-et-Vilaine, la prise en charge des mineurs non accompagnés représente un coût de 21 millions d’euros. Ce département regroupe environ un soixantième de la population française ; ainsi, à l’échelle du pays, le coût s’élève à 1,2 milliard d’euros. En comparaison, les 100 millions d’euros d’aides sont complètement dérisoires.
C’est le précédent gouvernement qui a reconnu, en la matière, la responsabilité de l’État et qui a accepté de participer au financement de cette mission, quoique de manière très insuffisante. Nous devons continuer à travailler la question, car la situation devient insupportable. (M. Thierry Carcenac acquiesce.) Certains départements n’ont même plus la capacité de traduire en actes les décisions de justice imposant l’accueil d’enfants qui subissent des situations de maltraitance dans leur propre famille !
Il s’agit donc bien d’un problème majeur, et nous sommes parfaitement d’accord pour voter l’amendement de M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales.
Mme la présidente. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Madame la ministre, avec ce budget, le Gouvernement fait un pas. Certes, l’effort n’est pas suffisant, mais l’État prend enfin conscience qu’il a une responsabilité en la matière : l’axe choisi va davantage vers la politique de l’immigration que vers la politique de l’enfance, responsabilité départementale.
Pour ma part, je vous propose une solution qui, à terme, pourrait régler le problème. Ce qui est mal ressenti par les mineurs, c’est l’évaluation : rien n’est pire que de mettre leur parole en doute. De plus, cette phase d’évaluation est toujours longue, faute de moyens.
Bien sûr, si l’on ne connaît pas l’âge de ces jeunes, l’on s’expose à accueillir des majeurs parmi les mineurs, ou à placer des mineurs dans des structures destinées aux majeurs, ce qui revient au même.
En revanche, en supprimant le seuil de l’âge, il n’y aura plus de problème d’évaluation. Dès lors, on se répartira les charges : la politique de l’immigration étant à la charge de l’État, ce dernier prendra ses responsabilités. Quand le département assurera l’hébergement, comme il sait le faire, la facture sera payée par l’État, tout simplement. Ce faisant, on pourra rendre un meilleur service et l’on mettra un terme à une éternelle divergence de financements : pour la prise en charge des hébergements, il n’y aura plus besoin d’assurer une répartition sur la base d’une évaluation de l’âge des mineurs.
À mon sens, il faut travailler en ce sens. J’ai déjà formulé cette proposition, je vous la soumets officiellement : cette porte de sortie permettrait d’agir en faveur de toutes les parties prenantes, à commencer par les mineurs.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre. Il s’agit là d’un sujet éminemment sensible, dont les problématiques relèvent à la fois des migrations et de la protection de l’enfance.
En la matière, le Gouvernement assume ses choix, et, je vous l’avoue, je suis très troublée par les propos de M. Tourenne. Ces mineurs, une fois évalués comme tels, sont traités comme tous les autres.
M. Jean-Louis Tourenne. Mais c’est justement ce que nous voulons !
Mme Agnès Buzyn, ministre. Ils sont des enfants avant tout. (M. René-Paul Savary opine.) Créer un budget spécifique, au motif que l’État doit reprendre à sa charge les mineurs non accompagnés au-delà des enjeux budgétaires, c’est-à-dire pour avoir la main sur eux, cela revient à les traiter différemment des mineurs non issus de l’immigration.
C’est un choix que je ne ferai pas. À mon sens, nous devons impérativement inclure les mineurs non accompagnés dans notre politique globale de protection des mineurs.
En l’occurrence, nous sommes face à un problème purement budgétaire : comment mieux soutenir les départements en difficulté face à l’afflux des mineurs non accompagnés ? Nous n’allons pas changer la politique de protection de l’enfance, mais nous accompagnerons mieux les départements.
Le projet de loi de finances pour 2017 consacrait 15,26 millions d’euros à cet accompagnement des départements ; deux ans après, le projet de loi de finances pour 2019 porte ce montant à 175 millions d’euros.
M. René-Paul Savary. Soit !
Mme Agnès Buzyn, ministre. J’ajoute que cet accompagnement ne peut pas être réduit à des enjeux strictement budgétaires – M. Savary l’a dit avec raison. Au sujet de l’évaluation de l’âge, nous travaillons avec l’ADF ; il est impératif de raccourcir les délais, d’harmoniser les pratiques d’évaluation. Je relève notamment que les tests osseux sont très contestés par la communauté scientifique.
M. René-Paul Savary. Il faut supprimer tout cela !
Mme Agnès Buzyn, ministre. D’un département à l’autre, on observe une véritable hétérogénéité des pratiques, et cette situation pose problème.
Mme Laurence Rossignol. Mais il y a la loi !
Mme Agnès Buzyn, ministre. Évidemment, ces questions ne relèvent pas du projet de loi de finances. Il s’agit d’un travail, que je conduis en profondeur avec Mme la ministre de la justice, Nicole Belloubet, et qui porte sur les pratiques des départements.
L’État prend sa part de l’effort. Il ne veut pas dissocier cette politique de la gestion des mineurs en général. Son geste envers les départements ne peut donc qu’être budgétaire : sinon, l’on en viendrait à créer une protection de l’enfance à double vitesse, ce qui n’est absolument pas envisageable.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Philippe Mouiller, rapporteur pour avis. Bien sûr, je maintiens cet amendement.
Je rappelle qu’il s’agit uniquement d’un transfert financier pour la création d’un programme dédié, de manière exclusive, à l’évaluation et à l’hébergement d’urgence des mineurs non accompagnés, et non à leur prise en charge dans son ensemble.
Cela étant, ce sujet important exige de la transparence. Lorsqu’un budget est réparti entre plusieurs programmes, il est difficile d’identifier les montants qui y sont consacrés. Peut-être le Gouvernement ne souhaite-t-il pas que ces chiffres soient clairement affichés. Je peux le comprendre. Mais, à nos yeux, il s’agit d’un point essentiel pour les relations entre les collectivités territoriales et l’État. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Lubin, pour explication de vote.
Mme Monique Lubin. Madame la ministre, vous vous dites troublée par les propos de mon collègue Jean-Louis Tourenne. Pour ma part, ce sont vos propos qui me troublent : vous reprenez les chiffres de 2017 pour les comparer à ceux de 2019. La gravité du sujet dont nous débattons mérite mieux que cette querelle mesquine. (Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit.) Le nombre de mineurs non accompagnés n’a plus rien à voir aujourd’hui avec celui dont il était question voilà deux ans.
Je suis élue d’un département, les Landes, où les mineurs non accompagnés arrivent par l’Espagne : nous sommes face à une situation que nous ne connaissions absolument pas en 2017. Étant donné le nombre d’arrivées que nous enregistrons désormais, cette politique devrait revenir presque entièrement à l’État. Je sais bien que, budgétairement, ce n’est pas possible, et que les départements sont toujours prêts à consentir les efforts financiers qui s’imposent. Mais, j’y insiste, cette bagarre de chiffres, un peu mesquine, n’est pas d’actualité ! (Très bien ! et applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain et sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. J’approuve tout à fait les propos de Mme la ministre : on ne doit pas dissocier les différents mineurs d’un même département.
M. Jean-Louis Tourenne. Mais personne ne le propose !
M. Daniel Chasseing. Cher collègue, s’il vous plaît, laissez-moi m’exprimer ! D’ailleurs, il ne s’agit pas de polémiquer sur les chiffres.
Pour ma part, je suis élu d’un département éloigné de l’Espagne et de l’Italie. Or, en 2017 déjà, dans une maison de l’enfance située dans mon canton, sur 70 mineurs hébergés, environ 50 venaient d’Afrique. À cette époque, le budget de 15 millions d’euros consenti par l’État était clairement sous-évalué. Les 141 millions prévus pour 2019 ne sont peut-être pas suffisants, je l’accorde : mais ce montant est tout de même dix fois plus élevé !
Pour ma part, je voterai cet amendement.
Mme la présidente. L’amendement n° II-752 rectifié, présenté par MM. Tourenne, Daudigny et Kanner, Mmes Féret, Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lubin, Meunier, Rossignol, Van Heghe, Taillé-Polian et les membres du groupe socialiste et républicain et apparentés, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros)
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
|
+ |
- |
+ |
- |
Inclusion sociale et protection des personnes dont titre 2 |
|
25 121 620 |
|
25 121 620 |
Handicap et dépendance |
|
|
|
|
Égalité entre les femmes et les hommes |
|
|
|
|
Conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative dont titre 2 |
25 121 620 |
|
25 121 620 |
|
TOTAL |
25 121 620 |
25 121 620 |
25 121 620 |
25 121 620 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à M. Jean-Louis Tourenne.
M. Jean-Louis Tourenne. Madame la ministre, nous regrettons profondément que les ministères sociaux fassent partie des ministères non prioritaires dans la politique actuellement menée.
Touchés de manière importante par les mesures d’économies budgétaires, ces ministères pâtissent des décisions prises par votre gouvernement. Qu’il s’agisse des politiques sociales et de la santé, des politiques de la ville, du logement et de l’hébergement, ou encore, et surtout, des politiques en faveur des droits des femmes, les budgets alloués reculent. Nous déplorons ce choix et nous proposons un amendement pour y remédier.
En outre, puisqu’il me reste un peu de temps de parole, je tiens à vous le dire : je n’accepte pas le mauvais procès que vous venez de me faire ! Je n’ai pas de leçons à recevoir quant à l’accueil des mineurs non accompagnés. Dans le département que j’ai présidé, ils avaient le même statut que tous les autres enfants, ils coûtaient le même prix et ils étaient pris en charge dans les meilleures conditions humaines, qui leur permettaient, d’ailleurs, d’obtenir ensuite des contrats jeune majeur ! S’il vous plaît, ne venez pas me donner de leçons à cet égard.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. Madame la ministre, madame la secrétaire d’État, vous avez pu mesurer combien la question des mineurs non accompagnés est douloureuse, et même cruciale, pour les départements. J’y insiste : ces derniers souhaitent tous assumer leurs responsabilités, mener à bien cette mission, mais ils font face à une difficulté objective que l’État ne peut pas négliger aujourd’hui. Au nom de l’ADF, nous le répétons depuis des années. Nous l’avons notamment signalé aux deux prédécesseurs de l’actuelle ministre de la justice. Il faut véritablement que nous nous saisissions ensemble de cette question. Tout craque de partout, et il serait tout à fait regrettable d’en arriver à des solutions extrêmes.
Cette mise au point étant faite, j’en viens à l’amendement n° II-752 rectifié. Comme M. Tourenne, nous sommes alarmés de la diminution constante que subissent, depuis plusieurs années, les crédits de ce programme. Nous nous inquiétons notamment de la situation dans laquelle se trouvent les agences régionales de santé, les ARS.
Néanmoins, la baisse de crédits que cet amendement tend à opérer sur le programme 304 ne nous semble pas réaliste, d’autant que la diminution constatée au titre du programme 124 est de 18 millions d’euros, et non de 37,8 millions d’euros, comme on a pu l’alléguer.
Voilà pourquoi nous émettons un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Buzyn, ministre. Les évolutions dont il s’agit s’inscrivent dans une réforme générale de l’État, qui a été annoncée et qui est nécessaire pour réduire la dépense publique. Néanmoins, nous sommes très attentifs à ce qu’elles n’obèrent pas la capacité des structures concernées, notamment les ARS, à réaliser leurs missions.
En parallèle, nous avons fait une revue des missions des ministères sociaux afin de rationaliser les actions de ces agences entre elles. Ce travail est mené de manière responsable, et en concertation avec les partenaires sociaux.
J’émets un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° II-752 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. L’amendement n° II-755, présenté par MM. Tourenne, Daudigny et Kanner, Mmes Féret, Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lubin, Meunier, Rossignol, Van Heghe, Taillé-Polian et les membres du groupe socialiste et républicain et apparentés, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
+ |
- |
+ |
- |
|
Inclusion sociale et protection des personnes dont titre 2 |
|
|
|
|
Handicap et dépendance |
|
|
|
|
Égalité entre les femmes et les hommes |
2 400 000 |
|
2 400 000 |
|
Conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative dont titre 2 |
|
2 400 000 |
|
2 400 000 |
TOTAL |
2 400 000 |
2 400 000 |
2 400 000 |
2 400 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à M. Jean-Louis Tourenne.
M. Jean-Louis Tourenne. Si les crédits ouverts en loi de finances initiale pour 2018 correspondent exactement à ceux qui étaient demandés pour 2019, leur répartition est bien différente dans ce programme 137, « Égalité entre les hommes et les femmes ». La refonte de la présentation budgétaire que vous nous proposez cette année sert en effet à masquer une diminution des crédits de 1 million d’euros à périmètre constant, dont 900 000 euros sur l’accompagnement des personnes prostituées qui s’engagent dans le parcours de sortie de la prostitution.
C’est pourquoi nous souhaitons, par cet amendement, rétablir les crédits de cette mission essentielle qu’est l’accompagnement et la protection des victimes du proxénétisme au niveau qui était le leur avant que cette majorité parlementaire ne s’installe.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. Je rappelle qu’Éric Bocquet et moi-même avons rencontré les représentants des associations qui viennent en aide aux personnes en situation de prostitution, nous les avons écoutés, comme nous l’avions fait l’année dernière. Nous considérons que les crédits de l’État envers ces structures, que nous sommes disposés à écouter à tout moment, doivent être maintenus.
Toutefois, les crédits relatifs à la lutte contre la prostitution diminuent de 416 000 euros, et non de 2,4 millions d’euros, entre 2018 et 2019, et cette baisse concerne surtout l’aide financière à l’insertion sociale et professionnelle, l’AFIS, les crédits nationaux et déconcentrés dévolus aux associations étant relativement préservés.
Nous profitons de votre présence, madame la ministre, pour vous faire part des inquiétudes exprimées par ces associations et vous demander de nous indiquer quelle est la montée en charge prévue par le Gouvernement de ce dispositif de parcours de sortie de la prostitution.
Pouvez-vous, en outre, nous informer aussi régulièrement que possible de la consommation de ces crédits, puisque c’est surtout sur ce point que porte le débat ?
L’avis est défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Buzyn, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, le budget qui vous est présenté est un budget sincère, qui correspond aux besoins réels.
Nous avons parfois assisté, sur ce sujet, à des effets d’affichage, suivis d’une sous-exécution massive, mais le Gouvernement tient cette année la position inverse : nous entendons exécuter ce budget à 100 %. Nous avons d’ailleurs dégelé complètement les crédits mis en réserve de précaution.
En conséquence, après avoir mené un travail très attentif à leurs besoins, nous apportons un soutien de 2,1 millions d’euros aux associations chargées d’accompagner les personnes en situation de prostitution.
Par ailleurs, 2 millions d’euros de crédits sont destinés à l’aide financière d’insertion sociale et professionnelle, dont on sait que la montée en charge a été assez lente.
Nous avons eu le même débat l’année dernière. J’insiste, nous vous présentons un budget sincère, qui correspond aux besoins de ces associations.
L’avis du Gouvernement est donc défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Meunier, pour explication de vote.
Mme Michelle Meunier. Depuis ce matin huit heures trente – hasard du calendrier – se tient une table ronde sur les violences, notamment sexuelles, faites aux femmes handicapées. Madame la secrétaire d’État, vous avez ainsi passé avec nous une bonne partie de la matinée pour débattre d’un sujet, certes, différent de celui qui nous occupe. Il n’en demeure pas moins que toutes les associations impliquées dans l’accompagnement des femmes victimes de violences nous disent la même chose : « Les moyens n’y sont pas, face aux demandes et aux besoins, nous n’avons pas de marge de manœuvre pour accompagner et soutenir les femmes victimes de violences. »
Concernant les personnes prostituées, les associations agréées qui travaillent avec les commissions départementales de lutte contre la prostitution, le proxénétisme et la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle nous disent la même chose : « Quand la loi est appliquée, cela fonctionne et les sorties sociales et professionnelles sont effectives. » Vous le savez, cependant, l’accompagnement exige des moyens financiers pour que les associations mobilisent les professionnels dont l’action est nécessaire.
Je soutiens donc l’amendement n° II-755.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Cette problématique est proche de ce que j’ai indiqué précédemment : le Gouvernement a beau avoir déclaré l’égalité entre les femmes et les hommes, donc la lutte contre les violences, grande cause nationale, les budgets qui lui sont alloués sont totalement insuffisants. Encore heureux qu’il s’agisse d’une grande cause nationale : imaginez, sinon, à quel niveau seraient ces budgets ! Sur le terrain, les associations nous lancent des appels au secours.
Le Gouvernement doit être plus volontaire quant à la sortie de la prostitution, car la loi, qui a été votée avec beaucoup de détermination et le soutien de bon nombre des groupes politiques, est aujourd’hui remise en cause.
Bien sûr, tenter de prendre des crédits d’un côté pour les affecter à un autre, c’est, dirais-je, un moindre mal. La responsabilité incombe au Gouvernement. Une fois de plus, on nous explique que nous ne comprenons pas bien, que nous n’entendons pas bien, parce qu’en réalité, les choses vont « bien ».
Il y a une limite à cet exercice ! Nous sommes sur le terrain, dans nos permanences : ce que nous voyons, c’est tout le contraire. Ce qui se passe aujourd’hui dans le pays indique bien également que la situation est difficile. Il est donc temps que le Gouvernement soit sensible à ce que disent les parlementaires, notamment les sénatrices et les sénateurs. Il faut que les budgets soient à la hauteur des besoins !
Cet amendement part d’une réalité. Toutefois, il tend encore à déshabiller une mission pour en habiller une autre. Ce n’est pas souhaitable ; et nous nous abstiendrons.
J’appelle tout de même le Gouvernement à réfléchir aux paroles prononcées dans cet hémicycle !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre. Soit l’on choisit de faire un effet d’annonce, c’est-à-dire de proposer un budget destiné à montrer l’importance du sujet, dont on sait par ailleurs qu’il ne sera pas utilisé, comme cela a été le cas pendant des années, soit l’on se donne les moyens d’exécuter sincèrement le budget. C’est ce que nous avons fait cette année : je le rappelle, l’exécution a augmenté de trente points pour atteindre 100 % ; notre budget est sincère et correspond aux besoins.
Monsieur le rapporteur spécial, vous m’avez interrogée à propos de la montée en charge. Au 31 août 2018, il y avait 68 bénéficiaires et 85 personnes engagées dans un parcours de sortie de prostitution ; 35 commissions chargées de délivrer l’AFIS étaient installées, il y en aura 59 à la fin de l’année 2018 ; 81 associations ont été agréées pour la mise en œuvre du parcours de sortie de la prostitution, et ce sur 62 départements.
Nous accompagnons donc de façon sincère la montée en charge progressive d’un dispositif dont on connaît la complexité, car il s’adresse à des personnes très éloignées et en situation très précaire. Nous travaillons pour accompagner au mieux les associations, qui font un travail absolument remarquable sur le terrain. Je le répète, c’est un budget sincère.
Mme la présidente. L’amendement n° II-756, présenté par M. Tourenne, Mme Rossignol, MM. Daudigny et Kanner, Mmes Féret, Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lubin, Meunier, Van Heghe, Taillé-Polian et les membres du groupe socialiste et républicain et apparentés, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
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Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
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+ |
- |
+ |
- |
|
Inclusion sociale et protection des personnes dont titre 2 |
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Handicap et dépendance |
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Égalité entre les femmes et les hommes |
900 000 |
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900 000 |
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Conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative dont titre 2 |
|
900 000 |
|
900 000 |
TOTAL |
900 000 |
900 000 |
900 000 |
900 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à M. Jean-Louis Tourenne.
M. Jean-Louis Tourenne. Madame la ministre, je vous le dis de la façon la plus courtoise possible : je suis toujours très circonspect devant les discours qui revendiquent la sincérité de manière tellement réitérée.
La loi date de 2016. Par conséquent, la montée en charge de son application est nécessairement progressive. Vous ne pouvez donc pas ajuster aujourd’hui vos crédits à la demande de 2018, sans restreindre les actions que vous allez mener.
S’agissant de cet amendement, il a le même objet que le précédent : le droit des personnes prostituées à sortir du système prostitutionnel semble gravement menacé par la restriction des crédits. Un signal politique fort en faveur de l’abolition est indispensable, pour continuer à affirmer que le corps des femmes n’est pas à vendre. Le projet de loi de finances pour 2019 en offre l’occasion et nous devons la saisir.
Le présent amendement vise ainsi à réinjecter les 900 000 euros manquants à la mise en œuvre de l’accompagnement des personnes prostituées vers l’insertion sociale et professionnelle.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. L’avis est défavorable, au bénéfice des arguments déjà développés à l’occasion de l’amendement précédent.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L’amendement n° II-753, présenté par M. Tourenne, Mme Rossignol, MM. Daudigny et Kanner, Mmes Féret, Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lubin, Meunier, Van Heghe, Taillé-Polian et les membres du groupe socialiste et républicain et apparentés, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
+ |
- |
+ |
- |
|
Inclusion sociale et protection des personnes dont titre 2 |
|
500 000 |
|
500 000 |
Handicap et dépendance |
|
|
|
|
Égalité entre les femmes et les hommes |
500 000 |
|
500 000 |
|
Conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative dont titre 2 |
|
|
|
|
TOTAL |
500 000 |
500 000 |
500 000 |
500 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à M. Jean-Louis Tourenne.
M. Jean-Louis Tourenne. C’est un one man show ! (Sourires.)
Nous nous inquiétons de l’absence de budget affecté pour 2019 aux têtes de réseaux, qui font un travail remarquable au quotidien sur nos territoires pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles et pour accompagner les personnes qui en sont victimes.
Alors que 500 000 euros leur étaient consacrés depuis plusieurs années dans le projet de loi de finances, aucune affectation budgétaire précise n’est donnée pour 2019. Cela provoque, dans les réseaux, une vive inquiétude, que nous partageons, car, sans ces budgets, plusieurs d’entre eux ne seront plus en capacité d’exercer leur mission d’intérêt général et devront tout simplement mettre la clé sous la porte.
Vous convoquez le principe de réalité, selon lequel les associations ne seraient pas en capacité de proposer 1 000 parcours de sortie de la prostitution en 2019. Elles le pourront pourtant en 2020, si les moyens qui étaient les leurs le demeurent. Il est nécessaire de leur laisser de l’espace et des outils pour se déployer pleinement et remplir leurs devoirs.
Mes chers collègues, nous ne pouvons pas accepter la perspective qui nous est soumise et nous devons garantir à ces têtes de réseaux la stabilité budgétaire. C’est pourquoi nous proposons de rétablir les 500 000 euros de crédits qui leur étaient affectés jusqu’alors.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. Notre collègue Jean-Louis Tourenne me semble avoir parfaitement intégré que répétition est mère de pédagogie ! Je vais essayer de m’exercer avec la même application : l’avis de la commission est défavorable, pour les raisons indiquées précédemment. Comme je l’ai dit, les subventions aux associations têtes de réseaux sont préservées.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Par ces trois amendements, comportant des montants différents, on a essayé de négocier quelque chose, alors même que les principes de la LOLF nous contraignent à devoir déshabiller Pierre pour habiller Paul. Or le sujet est d’importance.
Madame la ministre, je souhaite vous demander de bien vouloir procéder à des évaluations des dispositifs en discussion, parce que nous manquons de cette culture d’évaluation, qui nous permettrait de nous approcher au plus près des besoins des associations.
Ainsi pourrions-nous, à l’occasion du projet de loi de finances rectificative ou du prochain budget, réévaluer les crédits en disposant de données précises sur ces besoins.
Nous entendons vos propos sur la nécessité d’avoir un budget sincère et de ne pas accorder des crédits qui ne seraient consommés. Néanmoins, plus vous augmenterez la communication autour de la politique que vous menez, plus les moyens nécessaires seront importants, puisque les bénéficiaires vont se présenter en plus grand nombre. Avec cet effet boule de neige, les programmes que vous mettez en place devront servir plus de personnes, les besoins étant extrêmement importants.
Je forme le vœu que vous établissiez, avec les réseaux associatifs, mais aussi avec les préfectures et les acteurs sur place, des outils d’évaluation, afin que nous n’ayons plus à nous livrer à un tel marchandage durant la discussion du prochain projet de loi de finances et que le budget corresponde exactement aux demandes que vous n’allez pas manquer de susciter en braquant les projecteurs sur la politique que vous menez.
Mme la présidente. L’amendement n° II-754, présenté par M. Tourenne, Mme Rossignol, MM. Daudigny et Kanner, Mmes Féret, Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lubin, Meunier, Van Heghe, Taillé-Polian et les membres du groupe socialiste et républicain et apparentés, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
+ |
- |
+ |
- |
|
Inclusion sociale et protection des personnes dont titre 2 |
|
|
|
|
Handicap et dépendance |
|
|
|
|
Égalité entre les femmes et les hommes |
400 000 |
|
400 000 |
|
Conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative dont titre 2 |
|
400 000 |
|
400 000 |
TOTAL |
400 000 |
400 000 |
400 000 |
400 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à M. Jean-Louis Tourenne.
M. Jean-Louis Tourenne. Je vous remercie de me supporter aussi longtemps ! (Sourires.) J’ai conscience que mes propositions d’amendements posent problème, dès lors qu’elles tendent à transférer des crédits d’un programme vers un autre, alors que le premier est toujours également indispensable.
C’est pour moi un moyen d’attirer l’attention sur des nécessités et sur le fait que les baisses constatées seront largement préjudiciables aux politiques qui devraient être menées en faveur de la lutte contre la prostitution.
Cet amendement est de la même veine que les précédents et vise à rétablir les 400 000 euros retirés à l’AFIS. Il est en effet difficile de tolérer cette baisse si l’on nourrit de grandes ambitions en matière de lutte contre la prostitution.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. L’avis de la commission est défavorable sur cet amendement, encore une fois pour les motifs que j’ai déjà indiqués dès la discussion de l’amendement n° II-755.
Madame la ministre, nous prenons en compte vos arguments quant à la consommation des crédits, mais l’intervention de notre collègue Nathalie Goulet mérite d’être entendue.
Il serait bon que nous puissions rapprocher nos points de vue dans le courant de l’année 2019, grâce aux informations que vous pourrez nous donner sur la consommation effective des crédits, afin de déterminer objectivement s’il est nécessaire de les majorer. Nous pourrions alors vous accompagner dans cette démarche à l’occasion du projet de loi de finances rectificative.
Il me semble qu’il est possible de nous rassembler autour de cette idée. Je maintiens donc l’avis défavorable de la commission sur cet amendement, tout en souhaitant, à mon tour, qu’un examen objectif de la question soit fait au cours de l’année 2019.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Buzyn, ministre. Vous avez raison, nous n’avons aujourd’hui qu’une vision parcellaire de la mise en œuvre de cette politique. C’est normal : nous manquons de recul parce que la loi ne date que de 2016 et que sa montée en charge a été très lente et très progressive.
Il serait bon, en effet, que, en 2019, nous soyons en capacité de l’évaluer de façon plus fine. Je m’engage à ce que ce travail soit fait et à revenir devant vous l’année prochaine, pour le projet de loi de finances pour 2020, avec des données plus précises quant à l’efficacité du dispositif.
Nous sommes capables aujourd’hui de mesurer la consommation des crédits par les associations ou par les femmes qui entrent dans le processus d’accompagnement, mais nous n’avons pas idée du résultat final, en termes de sortie de la prostitution à proprement parler, ce qui est tout de même l’objectif. Votre proposition me paraît donc être de bon sens.
Quant à l’amendement, le Gouvernement y est défavorable.
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Meunier, pour explication de vote.
Mme Michelle Meunier. Madame la ministre, je vous remercie de vos propos marquant l’intérêt que le Gouvernement porte à cette loi. Il est vrai que celle-ci, trop récente, n’a pas encore été évaluée, mais elle est toujours contestée : vous le savez, elle fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité. Nous avons donc besoin du soutien du Gouvernement.
Les attaques se concentrent sur un seul aspect, la pénalisation de l’achat d’actes sexuels, mais la question de la sortie de la prostitution est un élément indispensable du texte.
Pour les associations qui sont sur le terrain, le compte n’y est pas. Nous maintenons donc cet amendement.
Mme la présidente. L’amendement n° II-694 rectifié, présenté par Mme Schillinger, MM. Bargeton, Amiel, Lévrier, Patriat et Buis, Mme Cartron, MM. Cazeau, de Belenet, Dennemont, Gattolin, Hassani, Haut, Karam, Marchand, Mohamed Soilihi, Navarro, Patient et Rambaud, Mme Rauscent, MM. Richard, Théophile, Yung et les membres du groupe La République En Marche, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
+ |
- |
+ |
- |
|
Inclusion sociale et protection des personnes dont titre 2 |
|
|
|
|
Handicap et dépendance |
|
|
|
|
Égalité entre les femmes et les hommes |
|
150 000 |
|
150 000 |
Conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative dont titre 2 |
150 000 |
|
150 000 |
|
TOTAL |
150 000 |
150 000 |
150 000 |
150 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. J’ai déjà évoqué le thème de cet amendement dans la discussion générale. La précarité liée aux règles est un sujet peu connu et peu abordé en France. Faute de moyens, de nombreuses femmes, dans notre pays, se trouvent dans l’impossibilité de se procurer des protections périodiques, pourtant indispensables pour être libre de ses mouvements pendant les règles. Il est primordial d’avoir accès à des produits assurant une hygiène corporelle de base.
En France, les protections hygiéniques représentent un budget annuel allant, selon les sources, de 25 euros à plus de 50 euros par femme. Une femme utilise en moyenne 22 tampons ou serviettes par cycle, ce qui représente un coût estimé entre 1 500 euros et 2 000 euros au cours de sa vie.
Certaines mutuelles, notamment étudiantes, se sont d’ores et déjà emparées de ce problème sanitaire et social, et proposent un forfait de 20 euros à 25 euros par an pour le remboursement de ces protections, sur présentation du ticket de caisse ou d’une facture.
Ces dépenses sont particulièrement importantes pour les femmes en situation de pauvreté et de précarité, car leur faible niveau de vie les contraint spécifiquement dans leur quotidien. Elles doivent parfois même renoncer à satisfaire ce besoin de protection des plus élémentaires.
À la rue ou en centre d’hébergement, les règles restent souvent un moment pénible, humiliant et très difficile à gérer pour beaucoup de femmes, contraintes parfois à utiliser des morceaux de vêtements pour se protéger.
Le sujet touche aussi nos adolescentes : certaines jeunes filles manquent l’école, car elles n’ont pas accès aux protections hygiéniques qui leur permettraient de s’y rendre pendant leurs règles.
À ce sujet, je tiens à saluer l’action de l’association Règles élémentaires, fondée en 2015 par Tara Heuzé, qui organise des collectes de serviettes hygiéniques. Grâce à cette association, plus de 200 000 protections hygiéniques ont été distribuées gratuitement en France depuis trois ans.
Face à ces enjeux sanitaires et de dignité, le présent amendement vise à expérimenter, au sein de régions volontaires, idéalement en métropole et outre-mer, la libre distribution de protections hygiéniques dans différents lieux accueillant, notamment, des publics vulnérables.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. Lors de notre mission de contrôle budgétaire sur l’aide alimentaire, qui a donné lieu à la rédaction d’un rapport d’information, Éric Bocquet et moi-même avions constaté que les structures d’aide alimentaire distribuaient également de plus en plus de produits d’hygiène.
Il n’est pas question d’expérimentation sur deux régions volontaires, ici, mais bel et bien d’une couverture, assez efficace d’ailleurs, du territoire national par des associations présentes, qui ont des savoir-faire et qui disposent de bénévoles.
Nous avons montré, me semble-t-il, à quel point ce modèle français était précieux et efficace pour démultiplier l’action publique.
Il s’agit d’un poste de dépenses important pour les plus vulnérables de nos concitoyennes, nous en sommes parfaitement conscients. Mais, selon nous, il faut investir dans le soutien aux associations d’aide alimentaire, présentes partout sur le territoire et dont le modèle peut être menacé au-delà de 2020, plutôt que dans une action expérimentale localisée, alors que nous avons les moyens de répondre par ailleurs.
Sur cet amendement, l’avis de la commission des finances est donc défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Buzyn, ministre. Madame la sénatrice Patricia Schillinger, vous posez un problème majeur pour les femmes en situation de précarité. S’il existe déjà des lieux de distribution gratuite, toutes les femmes ne les connaissent pas ou ne s’y rendent que de façon parcellaire.
Toutefois, le programme 124 sert à la lutte pour l’égalité entre les femmes et les hommes sous l’autorité de Marlène Schiappa et ne saurait être privé ainsi de ces crédits.
Pour autant, je m’engage à trouver un vecteur pour améliorer la disponibilité et la gratuité des protections hygiéniques pour les femmes, afin que, d’ici au prochain PLF ou PLFSS, nous travaillions avec vous pour trouver une réponse acceptable à la nécessité de garantir cette couverture élémentaire aux femmes en difficulté, partout sur le territoire.
À la faveur de cet engagement contracté devant vous, je vous demande de retirer votre amendement.
Mme la présidente. Madame Schillinger, l’amendement n° II-694 rectifié est-il maintenu ?
Mme Patricia Schillinger. Madame la ministre, vous savez que je vous fais confiance sur ce sujet, qui vous touche aussi.
Monsieur le rapporteur spécial, vous avez évoqué des distributions dans les lieux comme les Restos du cœur ou les banques alimentaires, mais il ne s’agit pas des lieux où les femmes recherchent ces produits. Il est impératif d’élargir la palette et de trouver d’autres lieux, comme les collèges ou les lycées. Je tiens vraiment à ce qu’une mission de travail soit mise en place avec Mme Schiappa et je suis volontaire pour m’y engager, parce qu’il y a urgence. Il est honteux, vraiment, de laisser dans cette précarité toutes ces femmes qui sont à la rue, à Paris comme ailleurs.
Cela étant dit, madame la présidente, je retire cet amendement.
Mme la présidente. L’amendement n° II-694 rectifié est retiré.
Nous allons procéder au vote des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », figurant à l’état B.
Je n’ai été saisie d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.
Je mets aux voix ces crédits, modifiés.
(Les crédits sont adoptés.)
Mme la présidente. J’appelle en discussion les articles 82 à 83 quater, ainsi que les amendements portant article additionnel après l’article 83 et après l’article 83 quater, qui sont rattachés pour leur examen aux crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».
Solidarité, insertion et égalité des chances
Article 82
I. – L’article L. 842-3 du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° Le quatrième alinéa est ainsi modifié :
a) Au début de la première phrase, les mots : « La bonification mentionnée au 1° est établie » sont remplacés par les mots : « Les bonifications mentionnées au 1° sont établies » ;
b) Les deux dernières phrases sont supprimées ;
2° Au cinquième alinéa, les mots : « de la bonification » sont remplacés par les mots : « des bonifications » ;
3° À l’avant-dernier alinéa, après le mot : « bonification », il est inséré le mot : « principale ».
II. – Le présent article entre en vigueur le 1er avril 2019.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 82.
(L’article 82 est adopté.)
Article 83
I. – Le titre II du livre VIII du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° L’article L. 821-1-1 est abrogé ;
2° L’avant dernier alinéa de l’article L. 821-1-2 est supprimé ;
3° Le dernier alinéa de l’article L. 821-4 est supprimé ;
4° À la première phrase de l’avant-dernier alinéa de l’article L. 821-5, les mots : « du complément de ressources, » sont supprimés ;
5° Aux premier et second alinéas de l’article L. 821-7, les mots : « , du complément de ressources » sont supprimés.
II. – Le titre IV du livre II du code de l’action sociale et des familles est ainsi modifié :
1° Au a du 3° du I de l’article L. 241-6, les mots : « et du complément de ressources prévu à l’article L. 821-1-1 du même code, » sont supprimés ;
2° Au premier alinéa de l’article L. 244-1, la référence : « L. 821-1-1, » est supprimée ;
3° (nouveau) Les quatorzième à vingt-quatrième alinéas et le trente-deuxième alinéa du même article L. 244-1 sont supprimés.
III. – L’ordonnance n° 2002-411 du 27 mars 2002 relative à la protection sanitaire et sociale à Mayotte est ainsi modifiée :
1° L’article 35-1 est abrogé ;
2° L’avant-dernier alinéa de l’article 35-2 est supprimé ;
3° (nouveau) À la fin du b du 5° de l’article 42-1, les mots : « , à l’article 35-1 de l’ordonnance n° 2002-411 du 27 mars 2002 modifiée relative à la protection sanitaire et sociale à Mayotte » sont supprimés.
IV. – Le présent article entre en vigueur le 1er janvier 2020.
V. – Les bénéficiaires des dispositions de l’article L. 821-1-1 du code de la sécurité sociale et de l’article 35-1 de l’ordonnance n° 2002-411 du 27 mars 2002 relative à la protection sanitaire et sociale à Mayotte dans leur rédaction antérieure à la présente loi qui, au 1er novembre 2019, ont des droits ouverts au complément de ressources continuent, tant qu’ils en remplissent les conditions d’éligibilité, à bénéficier de ces dispositions, dans la limite d’une durée de dix ans, selon les modalités en vigueur avant cette date.
Mme la présidente. La parole est à M. Maurice Antiste, sur l’article.
M. Maurice Antiste. Madame la présidente, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi de finances remet en cause, dans son article 83, le dispositif de garantie de ressources pour les personnes les plus sévèrement handicapées, adopté en 2005.
Le Gouvernement entend ainsi rationaliser les prestations complémentaires de l’allocation aux adultes handicapés, l’AAH, car la coexistence du complément de ressources – 179,31 euros par mois – et de la majoration pour la vie autonome – 104,77 euros par mois – nuirait à la lisibilité de l’AAH. Il estime donc que la fusion de ces deux compléments de ressources répond à une nécessaire simplification du dispositif et qu’elle permettra d’alléger les démarches des bénéficiaires de l’AAH.
Elle lui permettra également, toutefois, de les aligner sur la prestation la moins coûteuse, la majoration pour la vie autonome, par ailleurs elle-même soumise à la condition de percevoir une aide au logement. Le Gouvernement fera ainsi des économies de l’ordre de 75 euros à 179 euros par mois par personne concernée. À titre d’information, en décembre 2016, on comptait 152 883 bénéficiaires de la majoration pour la vie autonome et 68 118 bénéficiaires du complément de ressources.
Le Conseil national consultatif des personnes handicapées, le CNCPH, a exprimé son vif refus de cette mesure, rappelant que les deux compléments à l’AAH, s’ils ont effectivement des caractéristiques communes, ont également des motifs distincts : le complément de ressources a pour objectif de compenser l’absence durable de revenus d’activité des personnes qui sont dans l’incapacité de travailler, alors que la majoration pour la vie autonome favorise l’accès des personnes en situation de handicap à un logement autonome, sur la base d’un taux d’incapacité supérieur ou égal à 80 %.
Les dispositions de l’article 83 aggraveront dès lors l’insécurité financière à moyen terme des bénéficiaires de ces compléments. La pauvreté des personnes en situation de handicap, des bénéficiaires de l’AAH, d’une pension d’invalidité ou d’une rente, ou encore des travailleurs handicapés est une réalité prégnante sur laquelle je refuse de fermer les yeux.
C’est pourquoi je soutiendrai la demande de suppression de cet article.
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques.
L’amendement n° II-82 est présenté par MM. Bazin et Bocquet, au nom de la commission des finances.
L’amendement n° II-750 est présenté par MM. Tourenne, Antiste, Daudigny et Kanner, Mmes Féret, Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lubin, Meunier, Rossignol, Van Heghe, Taillé-Polian et les membres du groupe socialiste et républicain et apparentés.
L’amendement n° II-770 rectifié ter est présenté par MM. Corbisez, Artano et Dantec, Mme N. Delattre, MM. Gold et Guérini, Mmes Guillotin et Jouve et MM. Léonhardt, Requier, Roux et Vall.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur spécial, pour présenter l’amendement n° II-82.
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. Je ne reviendrai pas sur l’exposé général qui vient d’être excellemment fait par notre collègue. Je souligne simplement que le complément de ressources – 179 euros par mois – bénéficie tout de même à plus de 67 000 personnes et la majoration pour la vie autonome – 104 euros – à près de 150 000 personnes.
Le Gouvernement justifie la suppression du complément de ressources par le manque de lisibilité et de simplicité du dispositif, en raison de la coexistence de deux compléments aux modalités d’attribution proches.
Nous considérons que ces arguments ne sont pas recevables, pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, ce complément de ressources constituait une avancée permise par la loi du 11 février 2005, laquelle avait mis en place une garantie de ressources pour les personnes les plus sévèrement handicapées.
Ensuite, bien que ces deux compléments de l’AAH partagent des similarités, ils ont des caractéristiques propres : le complément de ressources a pour objectif de compenser l’absence durable de revenus d’activité des personnes qui sont dans l’incapacité de travailler ; la majoration pour la vie autonome permet, quant à elle, de favoriser l’accès à un logement autonome.
Enfin le nombre de bénéficiaires – plus de 67 000, je le rappelle – du complément de ressources ne peut être considéré comme constitutif d’un surcroît de charge de travail pour les maisons départementales des personnes handicapées, les MDPH, qui gèrent plus de 4 millions de demandes par an et traitent automatiquement et simultanément les demandes de complément de ressources et d’allocation aux adultes handicapés.
La suppression du complément de ressources priverait les bénéficiaires de celui-ci de 75 euros par mois dans le meilleur des cas, s’ils sont éligibles à la majoration pour la vie autonome, voire de 179 euros, s’ils n’y sont pas éligibles, par exemple parce qu’ils sont logés à titre gratuit.
Enfin, le régime qui nous est proposé créerait deux types de droit : tandis que les personnes déjà incluses dans le dispositif continueraient d’en bénéficier, celles qui n’y avaient pas recours jusqu’ici, pour diverses raisons, ne pourraient plus jamais y être intégrées.
Le Gouvernement affirme vouloir lutter contre le non-recours aux prestations, mais ce qu’il nous propose illustre le manque de cohérence de cette démarche. C’est pourquoi nous proposons la suppression de l’article 83.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, pour présenter l’amendement n° II-750.
M. Jean-Louis Tourenne. À l’appui de cet amendement identique au précédent, j’ajouterai simplement à la démonstration parfaite de M. Antiste que la suppression du complément de ressources entraînerait, entre autres conséquences insoupçonnées, la disparition de la garantie de ressources.
En effet, en plus d’augmenter les revenus des personnes handicapées au taux d’au moins 80 %, ce complément donne à chaque personne handicapée le droit d’avoir un revenu au moins équivalent à 998 euros. En supprimant le complément de ressources, on supprimerait cette garantie, ce qui ferait s’enfoncer davantage encore dans la pauvreté un certain nombre de nos concitoyens handicapés.
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Gold, pour présenter l’amendement n° II-770 rectifié ter.
M. Éric Gold. L’article 83 remet en cause le dispositif du complément de ressources AAH adopté en 2005, qui garantit des ressources au niveau du seuil de pauvreté. La suppression de ce dispositif risque d’engendrer une perte de 75 à 179 euros par mois pour les personnes concernées.
Même si une mesure transitoire est prévue pour une durée de dix ans pour les bénéficiaires actuels, la disposition proposée sera source d’insécurité financière à moyen terme et créera une disparité de ressources entre les personnes en situation de handicap.
La pauvreté des personnes en situation de handicap est une réalité qu’on ne peut pas ignorer !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées. L’article 83 du projet de loi de finances simplifie les compléments à l’allocation aux adultes handicapés en fusionnant les deux dispositifs actuels en un seul.
La coexistence de deux compléments visant le même objectif – soutenir l’autonomie des personnes dans le logement – est source de complexité et d’absence de lisibilité pour les bénéficiaires comme pour ceux qui les accompagnent.
La suppression du complément de ressources au profit de la majoration pour la vie autonome est une mesure de simplification importante, qui évitera de soumettre le demandeur à une double appréciation : de son taux d’incapacité permanente, d’une part, et de sa capacité minimale de travail, d’autre part. C’est pour arrêter de demander aux personnes d’apporter constamment la preuve de leur handicap que le Premier ministre a décidé, notamment, de rendre possible l’attribution des droits à vie, dans le cadre du dernier comité interministériel du handicap, le 25 octobre dernier.
À vrai dire, le maintien du complément de ressources est une survivance historique : il aurait dû disparaître avec la création, en 2005, de la prestation de compensation du handicap, la PCH. Destinée à soutenir l’autonomie des personnes handicapées à domicile, cette prestation bénéficie aujourd’hui à plus de 280 000 personnes, pour un montant de près de 2 milliards d’euros.
La suppression, à compter du 1er janvier 2020, du complément de ressources au profit de la majoration pour la vie autonome est organisée de manière à préserver strictement les droits des bénéficiaires actuels. Ils continueront d’en bénéficier, y compris lorsqu’ils formuleront une demande de renouvellement, pendant une durée de dix ans.
Au-delà de cette mesure, je veux rappeler que le Gouvernement soutient résolument l’autonomie dans le logement des personnes en situation de handicap, au travers notamment de l’habitat inclusif, auquel la loi ÉLAN, récemment adoptée, donne une définition législative. Son développement bénéficiera d’une enveloppe de 15 millions d’euros, financée par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, dès l’année prochaine.
Enfin, nous entreprenons un travail, très attendu, de remise à plat de la prestation de compensation du handicap, dans le cadre de la conférence nationale du handicap 2018-2019 lancée lundi dernier, 3 décembre, journée internationale des personnes handicapées.
Respectueuse de la responsabilité particulière des départements dans ce domaine, j’ai confié le pilotage de ce chantier à Mme Marie-Pierre Martin, première vice-présidente du conseil départemental de Maine-et-Loire. Vous pouvez compter sur ma détermination pour aboutir à de véritables réponses aux besoins des personnes en situation de handicap.
Je suis donc défavorable à ces amendements.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour explication de vote.
Mme Sophie Taillé-Polian. Madame la ministre, madame la secrétaire d’État, dans la situation particulière où nous sommes, je dois dire qu’on en a vraiment assez, que les gens en ont assez, de cette communication gouvernementale qui privilégie toujours les raccourcis et les petits arrangements avec la vérité. Parce que les Français s’en rendent compte !
En l’occurrence, c’est typiquement de cela qu’il s’agit : on nous dit qu’on va augmenter l’AAH, alors que, en fait, il y a une fusion, que c’est bien plus compliqué et qu’il y aura des perdants.
De même, dans le plan Pauvreté, on nous annonce une augmentation importante du dispositif « Territoires zéro chômeur », mais, quand on regarde le budget, les crédits n’y sont pas.
Songeons aussi à la prime d’activité, la mesure sociale mise en avant par le Gouvernement : un coefficient de prise en compte des revenus limitera l’augmentation qu’on nous a annoncée.
Dernier exemple en date : on annonce l’augmentation du SMIC de 3 %, alors que la hausse réelle, automatique et liée à l’augmentation des prix, ne sera que de 1,7 %.
Les gens en ont assez, parce qu’ils finissent par se rendre compte de tout cela ! C’est ainsi que l’on brise le lien de confiance, en faisant toujours des raccourcis avec la vérité. C’est ainsi que les gens finissent par s’informer sur Facebook, où prospèrent les pires thèses conspirationnistes, parce qu’ils ne croient plus à la parole politique, plus à la parole gouvernementale !
M. Martin Lévrier. Cela fait longtemps…
Mme Sophie Taillé-Polian. Je voterai évidemment ces amendements, pour les raisons que mes collègues ont très bien expliquées, mais je tenais à lancer cet appel : trêve de mauvaise foi, parce qu’elle nous conduit, nous le voyons bien, à une situation sociale où le dialogue n’est plus possible avec le Gouvernement et les autorités ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. Alain Joyandet. Ce n’est pas faux !
Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Lubin, pour explication de vote.
Mme Monique Lubin. Madame la secrétaire d’État, comment pouvez-vous affirmer que vous faites tout ce qui est possible pour l’inclusion des personnes handicapées dans le logement, quand une disposition de la loi ÉLAN réduit considérablement la proportion obligatoire de logements adaptés aux personnes handicapées ? Nous l’avons combattue, mais nous n’avons pas été entendus.
Nous le savons : s’il n’y a pas d’obligation dès le départ, les choses ne se feront pas. En effet, aménager des logements existants pour des personnes handicapées, compte tenu des mesures prises contre les organismes de logements sociaux, sera extrêmement compliqué. Sans obligation, il y aura moins de logements pour les personnes handicapées !
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos II-82, II-750 et II-770 rectifié ter.
(Les amendements sont adoptés.)
Mme la présidente. En conséquence, l’article 83 est supprimé.
Articles additionnels après l’article 83
Mme la présidente. L’amendement n° II-758, présenté par M. Tourenne, Mme Rossignol, MM. Daudigny et Kanner, Mmes Féret, Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lubin, Meunier, Van Heghe, Taillé-Polian et les membres du groupe socialiste et républicain et apparentés, est ainsi libellé :
Après l’article 83
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’avant-dernier alinéa du I de l’article 128 de la loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005 de finances rectificative pour 2005, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« … – à l’amende prévue à l’article 621-1 du code pénal. »
La parole est à M. Jean-Louis Tourenne.
M. Jean-Louis Tourenne. En application de l’article 4 de la loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, l’article 621-1 du code pénal dispose que l’outrage sexiste est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe et précise les circonstances aggravantes pour lesquelles il est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe.
Ce dispositif a vocation à réprimer le harcèlement dans l’espace public, c’est-à-dire un comportement qui contrevient à l’égalité entre les femmes et les hommes et à la liberté de circulation des femmes. Il s’agit, in fine, de changer ce type de comportement.
Le présent amendement vise à assurer un suivi de ce dispositif dans le cadre du document de politique transversale relatif à la politique d’égalité femmes-hommes pour 2019. Ce travail de suivi complétera l’évaluation de la diffusion de la culture de l’égalité prévue par ce même document, ainsi que la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. Avis favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Buzyn, ministre. Monsieur le sénateur, votre proposition est déjà satisfaite, dans la mesure où le suivi de la mise en œuvre du nouveau dispositif pénal est d’ores et déjà prévu. Dans le cadre du document de politique transversale, les contributions des ministères de l’intérieur et de la justice traiteront bien de cet aspect.
Le législateur a prévu qu’un rapport sur la politique publique de lutte contre les violences sexuelles et sexistes dont sont victimes les enfants, les femmes et les hommes serait élaboré. Ce rapport devra notamment récapituler, par ministère et pour le dernier exercice connu, l’ensemble des crédits affectés à cette politique publique, évaluer au regard des crédits affectés la pertinence des dispositifs de prévention et de répression de ces violences. Il comportera une présentation stratégique assortie d’objectifs et d’indicateurs de performance, une présentation des actions ainsi que des dépenses et des emplois avec une justification au premier euro.
Tous les éléments de ce rapport intégreront le document de politique transversale. Les contributions des ministères de l’intérieur et de la justice, notamment, seront attendues.
Je pense donc, monsieur le sénateur, que votre demande de suivi, tout à fait légitime, est satisfaite. Je sollicite le retrait de votre amendement et j’y serai défavorable s’il est maintenu.
Mme la présidente. Monsieur Tourenne, l’amendement n° II-758 est-il maintenu ?
M. Jean-Louis Tourenne. Une fois n’est pas coutume, madame la ministre, je vais vous faire confiance sur les orientations que vous avez présentées et l’ensemble des moyens qui seront mis en œuvre. Je retire donc l’amendement.
Mme la présidente. L’amendement n° II-758 est retiré.
L’amendement n° II-87 rectifié, présenté par MM. Brisson, Bas et Dallier, Mmes Bonfanti-Dossat et Noël, MM. Frassa et Cardoux, Mme Gruny, M. Courtial, Mmes Bruguière et Di Folco, M. Savary, Mmes Boulay-Espéronnier et Lanfranchi Dorgal, MM. Bonne, Cuypers et Schmitz, Mmes Imbert, L. Darcos et Deromedi, MM. Pellevat, Karoutchi, Pierre, Vogel, Gremillet, Genest, Darnaud, D. Laurent, Mandelli et Rapin, Mme Keller et MM. Le Gleut, Bonhomme, Laménie et de Nicolaÿ, est ainsi libellé :
Après l’article 83
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Les groupements d’intérêt public maison départementale des personnes handicapées, issus de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, sont exonérés de la taxe sur les salaires.
II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par une majoration des taux des prélèvements sur les jeux et paris mentionnés aux articles 302 bis ZH, 302 bis ZI et 302 bis ZK du code général des impôts.
La parole est à M. Max Brisson.
M. Max Brisson. Peu de temps après leur création, voilà douze ans, nombre de maisons départementales des personnes handicapées, ou MDPH, ont vu leur structure de personnel déstabilisée du fait du choix laissé aux agents de l’État de ne pas rejoindre leur nouvelle affectation en MDPH, mais de regagner leur administration d’origine.
L’État n’ayant pas toujours été en mesure de remplacer physiquement les intéressés, les MDPH ont dû pourvoir aux vacances par le recrutement d’agents contractuels. Afin de ne pas augmenter le nombre d’agents, certains départements ont confié des ressources financières aux groupements d’intérêt public MDPH, les GIP MDPH, pour qu’ils procèdent au recrutement des agents supplémentaires ou remplaçants nécessaires. Ainsi, de 2014 à 2016, les dépenses de personnel réglées directement par les MDPH ont crû de 12,4 %.
Or, contrairement aux collectivités territoriales et à leurs régies, les GIP MDPH employeurs ne sont pas exonérés de taxe sur les salaires ; ils sont soumis, dans ce domaine, au même régime que les entreprises privées.
Le présent amendement vise à les exonérer de cette taxe, afin de préserver leur situation financière fragile.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. Nous partageons l’inquiétude de notre collègue Max Brisson quant aux difficultés auxquelles doivent faire face les MDPH. On a précédemment évoqué le nombre considérable de décisions que ces structures sont amenées à prendre chaque année.
Toutefois, instaurer une exonération pour les groupements d’intérêt public MDPH ne nous paraît pas justifié, car ces établissements dotés de la personnalité morale relèvent de la catégorie des établissements redevables de la taxe sur les salaires, comme les établissements publics ou les organismes médico-sociaux.
Par ailleurs, cette exemption aurait un coût non négligeable sur les finances de l’État, et vous connaissez la vigilance de la commission des finances en la matière.
L’avis sur l’amendement est donc défavorable.
En revanche, nous souhaitons interroger Mme la secrétaire d’État sur les mesures mises en œuvre par le Gouvernement pour soulager le fonctionnement des MDPH, dont certaines sont en grande difficulté.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Éric Bocquet. Madame la présidente, c’est à titre personnel que je prends la parole. Je soutiens cet amendement d’appel portant sur une piste sérieuse, dont le groupe CRCE partage la philosophie. Nous prônons même une exonération de taxe sur les salaires généralisée aux établissements de santé, les hôpitaux, dont on connaît les difficultés financières.
Évidemment, on nous objectera le coût de cette mesure, mais, en face des coûts, il y a toujours des choix à faire. Aujourd’hui, c’est l’heure des choix.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État. Si je comprends bien les préoccupations qui inspirent cet amendement, je ne puis toutefois lui donner un avis favorable, car accorder une exonération de taxe sur les salaires aux seuls GIP MDPH employeurs serait contraire au principe d’égalité devant la loi et susciterait des demandes tout aussi légitimes de la part d’autres structures du secteur médico-social.
Si les collectivités territoriales, leurs régies personnalisées et leurs groupements sont expressément exonérés de taxe sur les salaires, les groupements d’intérêt public ne constituent pas des structures bénéficiant d’une exonération. Ainsi, comme tous les groupements d’employeurs, les GIP MDPH sont redevables de la taxe sur les salaires pour leurs personnels contractuels si moins de 90 % de leurs recettes ont été soumises à la TVA au titre de l’année précédente. En revanche, la taxe sur les salaires ne s’applique pas aux rémunérations des personnels de l’État ou des collectivités territoriales mis à leur disposition et qui restent rémunérés par leur administration ou leur collectivité.
Réserver une exonération de taxe sur les salaires aux GIP MDPH poserait une difficulté sur le plan du principe d’égalité devant la loi. En effet, ces structures ne sont pas les seules du secteur médico-social et ne sont pas placées dans une situation différente des autres personnes morales chargées de la gestion d’un service public dans le domaine social. Cette mesure, si elle était adoptée, susciterait donc des demandes également justifiées de la part des autres acteurs du secteur médico-social, auxquelles il serait très difficile de ne pas donner une suite favorable. Il en résulterait un coût pour le budget de la sécurité sociale, auquel la taxe sur les salaires est intégralement affectée.
Plus largement, monsieur le rapporteur spécial, il est très important que nous puissions simplifier la vie des maisons départementales des personnes handicapées. Cette simplification et les droits à vie allégeront la charge des personnels.
Par ailleurs, je tiens à vous signaler que, parmi les cinq chantiers que nous avons ouverts lors de la conférence nationale du handicap, il y a celui de la gouvernance et du fonctionnement des MDPH. Très attendu, ce chantier sera collégialement mené par les départements et l’État, afin de faire évoluer des groupements d’intérêt public créés en 2005 et dont la composition actuelle ne correspond plus exactement aux besoins ni aux réorganisations que nous souhaitons pour les MDPH. Il faut que ces structures travaillent vraiment aux orientations et aux accompagnements des personnes, ce qu’elles feront d’autant mieux si nous libérons du temps grâce à la simplification.
Monsieur le rapporteur spécial, vous pouvez compter sur moi pour tenir régulièrement le Sénat informé de l’avancée de ce chantier.
S’agissant de l’amendement, j’en sollicite le retrait ; j’y serai défavorable s’il est maintenu.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, pour explication de vote.
M. Jean-Louis Tourenne. Quand j’entends Mme la secrétaire d’État parler de simplification, je tremble… Je tremble, parce que, en règle générale, cela se traduit par des amputations.
Sur la proposition d’exonérer les MDPH, je suis un peu partagé. En effet, d’exonération en exonération, on finit par inventer l’éternité, puisqu’on ne revient jamais sur une niche fiscale : quelles que soient les belles déclarations, les bonnes intentions, on n’arrive pas à changer les choses, parce qu’on a créé une sorte de droit acquis et que ceux à qui on voudrait retirer cet avantage manient immédiatement la menace.
En l’occurrence, si les MDPH ont des difficultés, ce n’est pas lié simplement à la taxe sur les salaires. C’est lié au fait que l’État n’a pas revalorisé régulièrement sa participation, à tel point que, aujourd’hui, ces structures sont majoritairement financées par les départements, qui n’ont cessé de voir leurs charges augmenter.
Je tremble aussi quand Mme la secrétaire d’État annonce qu’on va réorienter les objectifs des départements, alors que l’État n’assure pratiquement plus le fonctionnement des MDPH, ou seulement une part infime de celui-ci. À une exonération, je préférerais l’engagement de l’État d’apporter une juste contribution au fonctionnement de ces établissements !
Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous demande d’être synthétiques dans vos interventions, car il nous reste peu de temps pour examiner les derniers amendements de cette mission.
La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Madame la secrétaire d’État, votre explication ne tient pas en ce qui concerne le personnel de l’État qui n’est plus transféré aux MDPH à terme. Cette situation oblige les MDPH à payer du personnel de remplacement, pour lequel il faudrait, en effet, prévoir une exonération de taxe sur les salaires.
C’est la double peine pour les MDPH : l’État fait des économies en ne leur transférant pas de personnel, et elles doivent lui verser une taxe sur les salaires !
Comme le budget des MDPH doit être équilibré, qui paie le déséquilibre engendré par cette non-compensation du personnel ? Les départements, qui font face ainsi à une double charge.
C’est pourquoi l’exonération proposée serait intéressante, en ce qui concerne le personnel normalement mis à disposition par l’État, mais qui, au fil du temps, ne l’est plus – ce qui représente seulement quelques personnes.
N’oublions pas que ce sont les départements qui en ont la responsabilité et qui participent aujourd’hui plus que la CNSA au budget de fonctionnement des MDPH. La solution de simplicité, madame la secrétaire d’État, c’est de faire confiance aux départements : confiez-leur la gestion entière de ce dispositif, à eux qui gèrent déjà les personnes âgées, les personnes en insertion et la politique familiale.
Faites davantage confiance aux départements, en leur donnant les moyens nécessaires, et vous verrez que les choses se passeront beaucoup mieux, beaucoup plus simplement, avec des réponses beaucoup plus rapides et adaptées aux territoires ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Faire confiance aux départements, je ne puis qu’applaudir à cette idée. Mais à la condition qu’on leur donne les moyens ! Or ce n’est pas ce que fait le Gouvernement, ni, hélas, ce qu’on fait les gouvernements précédents. Les collectivités territoriales ont été particulièrement étranglées et continuent de l’être, y compris au travers d’une remise en cause de leurs compétences.
Je trouve que la suppression de la taxe sur les salaires pour ces établissements est une idée intéressante. Comme Éric Bocquet l’a souligné, nous avons abordé cette question à plusieurs reprises, notamment lors des débats sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale à propos des hôpitaux publics.
À cet égard, je rappelle à Mme la ministre de la santé ce qu’elle a dit devant notre Haute Assemblée : un travail sera mené sur la question de la taxe sur les salaires en ce qui concerne les hôpitaux publics. À la suite de cette annonce, j’avais retiré un de mes amendements. Je reste très intéressée et vigilante sur le travail qui sera mené au sujet de ce qui me paraît être une des solutions à envisager.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Philippe Mouiller, rapporteur pour avis. J’insiste de nouveau sur la remise à plat du fonctionnement des MDPH, qui, comme l’a très bien expliqué René-Paul Savary, est essentielle, s’agissant aussi bien des financements, puisque les départements viennent compenser les manques de l’État, que de la mise en place des nouvelles mesures comme la réponse accompagnée pour tous, en cours de déploiement dans les départements et pour laquelle les services de l’État, notamment de l’éducation nationale, sont parfois absents, alors que la loi les oblige à être autour de la table pour trouver des solutions pour tous.
C’est aussi un débat de simplification. Depuis que je suis sénateur, année après année, on parle de la simplification des mesures : c’est souvent un vœu, mais la traduction juridique ne suit pas les souhaits tous les jours. Aujourd’hui, on voit bien que les MDPH sont encore sous une masse de travail relativement importante. Il y a urgence à réagir !
Le débat de l’information sur l’ensemble des données est également essentiel.
D’une façon générale, monsieur Savary, les MDPH ont une connaissance parfaite des besoins des territoires, alors que les départements n’ont pas, aujourd’hui, la pleine capacité de planifier les besoins. Si l’on veut être cohérent, il faut donner aux MDPH les moyens d’agir, mais aussi aller jusqu’au bout à l’égard des départements.
Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous invite encore une fois à la concision, pour que nous puissions terminer le débat général sur la mission « Santé » avant la suspension de la mi-journée.
Monsieur Brisson, l’amendement n° II-87 rectifié est-il maintenu ?
M. Max Brisson. J’ai été convaincu par les arguments de MM. Bazin, Savary et Mouiller beaucoup plus que par les vôtres, madame la secrétaire d’État, mais peut-être m’en donnerez-vous d’autres.
Je vais retirer cet amendement, au risque de décevoir certains de mes collègues qui voulaient le voter. Il s’agissait d’un amendement d’appel, destiné à poser la question du statut des soixante-trois MDPH employeurs, des personnels qui y travaillent et du rôle de ces structures. Il convient d’ouvrir une véritable réflexion nationale sur les charges des MDPH, sur le statut de leurs agents et sur l’ensemble des préoccupations qui ont été exprimées par nos collègues.
Je retire donc mon amendement, en restant particulièrement vigilant sur les réponses qui seront apportées.
Mme la présidente. L’amendement n° II-87 rectifié est retiré.
La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État. Je suis pleinement mobilisée pour associer les départements. Ainsi, j’ai confié à Corinne Segrétain, du département de la Mayenne, le soin de piloter ce chantier. Je compte sur vous pour que nous puissions mener tous ensemble ce travail sur l’organisation des MDPH, dont on voit bien la nécessité.
Je vous rappelle que j’ai accéléré la demande du système d’information commun des MDPH, parce que nous naviguons à vue sur les besoins des personnes. Trois opérateurs communs se mettent en ordre de marche pour que, dès 2019, nous ayons enfin un système d’information commun, qui nous permette de mieux connaître les besoins et les moyens sur les départements. Actuellement, nous n’avons aucune visibilité sur les places disponibles et la manière de répondre au mieux aux besoins.
Depuis la loi de 2005, nous avons perdu douze ans dans ce domaine, parce que les MDPH et les départements sont autonomes dans leurs choix informatiques.
M. René-Paul Savary. Oui, nous avons perdu du temps. Mais on peut le rattraper !
Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État. Nous le rattrapons et nous accélérons le déploiement du futur outil, qui permettra de mieux connaître les besoins. La CNSA est pleinement mobilisée auprès des MDPH en appui de cette transformation.
Vous pouvez compter sur ma détermination, et je veux bien compter sur votre appui : réfléchissons ensemble à l’amélioration et à la rénovation de ces dispositifs indispensables qui assurent une réponse de proximité. Aujourd’hui, 30 % des MDPH sont des maisons de l’autonomie, des MDA, qui font converger les visions sur les personnes âgées et les personnes handicapées. C’est un vrai chantier, et je vous remercie d’y travailler avec moi ! (Mme Patricia Schillinger applaudit.)
Article 83 bis (nouveau)
I. – Le 1° bis du I de l’article L. 14-10-1 du code de l’action sociale et des familles est abrogé.
II. – La section 3 du chapitre Ier du titre Ier du livre Ier du code de la construction et de l’habitation est ainsi modifié :
1° Le dernier alinéa de l’article L. 111-7-10 est supprimé ;
2° Après le mot : « domaine », la fin du dernier alinéa du III de l’article L. 111-7-11 est supprimée ;
3° L’article L. 111-7-12 est abrogé.
III. – Après le mot : « domaine », la fin de l’avant-dernier alinéa du III de l’article L. 1112-2-4 du code des transports est supprimée.
IV. – Le solde du fonds national d’accompagnement de l’accessibilité universelle prévu à l’article L. 111–7–12 du code de la construction et de l’habitation est affecté au budget général de l’État, qui reprend l’ensemble des droits et obligations de ce fonds. – (Adopté.)
Article 83 ter (nouveau)
I. – Sans préjudice des principes définis à l’article L. 262-1 du code de l’action sociale et des familles, le service du revenu de solidarité active peut s’effectuer à titre expérimental par la remise d’un titre de paiement délivré par la caisse d’allocations familiales en Guyane, à Mayotte et à Saint-Martin.
Ce titre de paiement permet le retrait de monnaie fiduciaire auprès des établissements de crédits. Pour une fraction du montant de l’allocation versée, ce titre de paiement est réservé à des opérations directes d’achat au profit de tout commerce et de règlement de services au profit de personnes morales et de collectivités sur le territoire de l’Union européenne directement au moyen du titre de paiement. Cette fraction ne peut être inférieure à 50 % ni supérieure à 70 % du montant total de l’allocation versée au bénéficiaire.
Cette fraction peut faire l’objet d’un versement en tiers payant à la demande de l’allocataire.
II. – Les modalités de mise en œuvre de cette expérimentation, et notamment celles relatives aux conditions d’utilisation du titre de paiement, à la détermination de la fraction de l’allocation réservée à des opérations directes d’achat ou de règlement de services, aux conditions permettant à l’autorité décidant de l’attribution de l’allocation de prévoir une part inférieure à 50 % de la fraction définie au deuxième alinéa du I afin de tenir compte de la situation particulière d’un bénéficiaire de l’allocation, ainsi que les périmètres géographiques où le revenu de solidarité active est versé par l’intermédiaire du titre de paiement dans chacun des territoires concernés sont fixés par décret en Conseil d’État.
III. – L’expérimentation est mise en œuvre pour une durée de quatre ans à compter du 1er juillet 2019.
IV. – Au plus tard douze mois après le début de l’expérimentation, le Gouvernement dépose au Parlement un bilan d’évaluation de l’expérimentation dans chacune des collectivités concernées.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. Madame la ministre, madame la secrétaire d’État, je réitère la question que j’ai posée à votre collègue M. Dussopt dans le cadre de l’examen de la première partie du projet de loi de finances au sujet du changement des modalités de distribution du RSA en Guyane et à Mayotte.
Nous n’avons pas d’objections de fond sur ce sujet et nous voterons bien sûr l’article 83 ter, mais je souhaite connaître les conditions financières de la réforme. Quelle sera la période référence : la dernière année ou la moyenne des années précédentes ? Ce n’est pas tout à fait neutre pour ces deux départements.
Surtout, le Gouvernement va changer les règles d’attribution du RSA, notamment en prévoyant une période plus longue de présence sur le territoire national pour le verser. La dépense à consentir sera donc a priori moindre que la dépense consentie jusqu’ici par les deux départements. Dans quelle mesure cela est-il pris en compte ? Il me semble difficilement envisageable que le Gouvernement fasse des recettes de poche au détriment de ces deux départements, dont la solidité financière n’est pas particulièrement remarquable.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre. S’agissant de la recentralisation du RSA en Guyane, à Mayotte et à Saint-Martin, nous travaillons aujourd’hui pour clarifier exactement le contour de cette reprise. Monsieur le rapporteur spécial, vous avez donc raison : nous n’avons pas encore affiché clairement les règles.
Nous envisageons une expérimentation de la carte dématérialisée, qui ne pourra pas se faire partout sur le territoire, notamment en Guyane. Cette expérimentation est en train d’être organisée.
S’agissant de l’augmentation de la durée de séjour sur le territoire, c’était une demande des départements. Nous allons dans le sens d’un mouvement qui existait sur le terrain pour essayer d’éviter d’accorder le RSA à des gens qui viendraient sur notre territoire spécifiquement pour le toucher. Cette problématique se pose notamment en Guyane.
Des réponses précises vous seront données avant la fin de l’année sur les conditions dans lesquelles cette recentralisation aura lieu.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. Je ne remets pas en cause les décisions prises par le Gouvernement en ce qui concerne l’attribution du RSA. Je dis simplement que ces décisions ont des répercussions financières.
Je vous invite à la plus grande transparence, madame la ministre, afin que nous puissions connaître les modalités de calcul des reprises de dotations sur le budget des départements. (Mme la ministre opine.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 83 ter.
(L’article 83 ter est adopté.)
Article 83 quater (nouveau)
I. – En 2018, l’article L. 842-8 du code de la sécurité sociale s’applique dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.
II. – Jusqu’au 31 décembre 2024, sont assimilés à des revenus professionnels pour le calcul de la prime d’activité, dans les conditions définies à l’article L. 842-8 du code de la sécurité sociale, les revenus suivants :
1° Les pensions et rentes d’invalidité, ainsi que les pensions de retraite à jouissance immédiate liquidées à la suite d’accidents, d’infirmités ou de réforme, servies au titre d’un régime de base légalement obligatoire de sécurité sociale ;
2° Les pensions d’invalidité servies au titre du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre ;
3° La rente allouée aux personnes victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles, mentionnée au deuxième alinéa de l’article L. 434-2 du même code.
III. – Le II du présent article entre en vigueur le 1er janvier 2019 et il est applicable aux seules personnes ayant bénéficié de l’assimilation des revenus mentionnés aux 1° à 3° du même II à des revenus professionnels pour le calcul de la prime d’activité au moins une fois entre le 31 décembre 2017 et le 31 décembre 2018.
IV. – Le présent article est applicable dans les mêmes termes au département de Mayotte.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. Le présent article, introduit par le Gouvernement à l’Assemblée nationale, vise à rétablir la prise en compte des pensions et rentes d’invalidité relevant de la branche accidents du travail et maladies professionnelles dans le calcul de la prime d’activité pour 2018, et à partir du 1er janvier 2019 jusqu’au 31 décembre 2024 pour les seules personnes ayant bénéficié au moins une fois du dispositif entre le 31 décembre 2017 et le 31 décembre 2018.
Nous ne pouvons qu’être favorables à cet article, qui sécurise la situation des bénéficiaires de 2018 à 2024. Toutefois, nous tenions à vous faire part de nos plus vifs regrets, madame la ministre, quant aux conditions de mise en œuvre de cette mesure dans le courant de l’année 2018.
Par ailleurs, les modifications actuelles du Gouvernement ne sont pas pleinement satisfaisantes, et ce pour plusieurs raisons.
D’abord, vous mettez en œuvre un droit à deux vitesses : des personnes placées dans des situations équivalentes auront des droits différents.
Ensuite, vous sanctionnez le non-recours, en contradiction avec l’objectif que vous avez annoncé de lutter contre le non-recours aux droits. Les personnes qui n’ont pas demandé la prestation entre fin 2017 et fin 2018, alors qu’aucune campagne d’information particulière n’a été menée par le Gouvernement, en seront définitivement privées dans les années à venir.
Enfin, alors que vous évoquiez l’égalité de tous devant la loi, vous créez une situation complexe en matière de droits, qui s’avère paradoxale pour un gouvernement animé de la volonté de simplifier, qu’il invoque notamment – à tort – pour légitimer la suppression du complément de ressources. Cette situation est d’autant plus regrettable que les bénéficiaires du dispositif forment un public particulièrement vulnérable.
Pour toutes ces raisons, madame la ministre, nous vous demandons d’élargir les dispositions de cet article à tous les bénéficiaires, en revenant au droit existant avant la loi de finances pour 2018. Nous ne pouvons pas nous-mêmes déposer d’amendement en ce sens du fait de l’article 40 de la Constitution.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, pour explication de vote sur l’article.
M. Jean-Louis Tourenne. Cette mesure n’est pas juste. C’est vraiment faire des économies de bouts de chandelle que de priver les accidentés ou les malades du travail, à l’égard desquels nous sommes redevables, de la prime d’activité.
Alors, j’entends bien : vous allez mettre en place un mini-système qui compensera, pour un certain nombre d’entre eux, ce manque de revenus. Il n’en reste pas moins qu’il s’agit pour eux d’une double peine : ces personnes sont accidentées et ne peuvent plus travailler ; en plus, on leur enlève la prime d’activité, alors qu’ils ont rendu service à la Nation !
Je voterai contre cet article.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 83 quater.
(L’article 83 quater est adopté.)
Article additionnel après l’article 83 quater
Mme la présidente. L’amendement n° II-407 rectifié ter, présenté par MM. Mouiller et Sol, Mme Deromedi, MM. Moga et Houpert, Mme Bruguière, MM. Daubresse et Détraigne, Mmes Berthet, Chauvin, Vullien et L. Darcos, MM. Morisset et Vaspart, Mmes Joissains et Bories, M. Bonne, Mmes Micouleau, Gruny et Billon, M. Pellevat, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Mandelli, J.M. Boyer et Darnaud, Mme Garriaud-Maylam, M. Louault, Mme Malet, MM. Kern, Canevet, Gilles et Le Gleut, Mmes Puissat et Imbert, MM. Piednoir, Bonhomme, Genest et Sido, Mme Estrosi Sassone, M. Brisson et Mme Lamure, est ainsi libellé :
Après l’article 83 quater
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – L’article L. 5135-5 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Pendant cette durée, les modalités de tarification ou de financement de l’organisme employant ou accueillant le bénéficiaire de la période de mise en situation en milieu professionnel restent inchangées. »
II. – L’article L. 344-2 du code de l’action sociale et des familles est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Ils signent avec les organismes mentionnés au 1° bis de l’article L. 5311-4 du code du travail une convention leur ouvrant la possibilité de prescrire les périodes mentionnées à l’article L. 5135-1 du même code. »
La parole est à M. Philippe Mouiller.
M. Philippe Mouiller. À l’origine, nous pensions que cet amendement serait discuté lors de l’examen des crédits de la mission « Travail et emploi ». Il concerne en effet un outil destiné à favoriser l’emploi des travailleurs handicapés.
En l’état actuel du droit, les périodes de mise en situation en milieu professionnel sont théoriquement accessibles aux travailleurs des établissements et services d’aide par le travail – les ESAT – intéressés par le milieu adapté, et aux travailleurs d’entreprises adaptées intéressés par le milieu ordinaire.
Néanmoins, pour l’entité qui accompagne le bénéficiaire, ces périodes peuvent engendrer une perte financière, qui n’est pas compensée durant la période où celui-ci est accueilli par une autre structure.
Le présent amendement vise donc à sécuriser les financements des organismes qui accompagnent le bénéficiaire d’une période de mise en situation en milieu professionnel, pour la durée de cette dernière qui, je le rappelle, ne peut excéder deux mois sur une durée d’un an.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. Avis favorable. Il s’agit d’une excellente initiative.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État. Monsieur le sénateur, votre demande est tout à fait compréhensible, car elle concerne un vrai outil d’insertion professionnelle. Vous connaissez ma détermination à faire du milieu ordinaire un milieu accueillant pour toutes les personnes qui ont pourtant besoin d’un accompagnement.
Cela étant, ce que vous proposez existe déjà en pratique. Votre amendement est satisfait par certaines conventions qui peuvent avoir été signées entre les ESAT et le milieu ordinaire. C’est pourquoi je m’en remets à la sagesse du Sénat.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 83 quater. (M. Michel Savin applaudit)
Nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».
Santé
Mme la présidente. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Santé » (et articles 81 quater et 81 quinquies).
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Alain Joyandet, rapporteur spécial de la commission des finances. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, le projet de loi de finances prévoit cette année une augmentation de 3,5 % des crédits de la mission « Santé », après une hausse inédite de 10 % en loi de finances pour 2018. Le budget de la mission atteindra donc 1,423 milliard d’euros en 2019.
Les enjeux autour de la mission « Santé » sont, hélas, assez faciles à comprendre.
Cette mission comprend un programme, le programme 204, « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins », auquel nous sommes tous attachés et qui est au fond la variable d’ajustement de la mission.
La mission comprend également le programme 183, « Protection maladie », qui se résume pratiquement à l’aide médicale de l’État, l’AME. Cette aide, je le rappelle, est consacrée à la santé des immigrés en situation irrégulière et semble n’avoir aucune limite. J’y reviendrai.
Cette année encore, madame la ministre, vous diminuez le budget alloué aux opérateurs sanitaires pour compenser l’augmentation des crédits dédiés au programme 183, c’est-à-dire essentiellement à l’aide médicale de l’État. Au total, les crédits du programme 204 ont diminué de 25 % depuis 2013, alors que ceux du programme 183 ont progressé de 27 % sur la même période.
Les coups de rabot successifs subis par les opérateurs sanitaires ces dernières années remettent en cause, à terme, leur capacité à assurer les missions que vous leur avez confiées. D’ores et déjà, ils n’atteignent pas ces objectifs, notamment en matière de prévention.
Les dépenses liées à l’AME ont augmenté de 38 % et le nombre de ses bénéficiaires de 47 %. En 2019, les dépenses totales de l’État et de l’assurance maladie, tous types d’AME confondus, s’élèveraient à 934,9 millions d’euros, soit 53,2 millions d’euros de plus qu’en 2018, alors même que l’on diminue les crédits de nos opérateurs. Je vous rappelle, madame la ministre, que lorsque nous étions au Gouvernement, le coût de l’AME était inférieur à 600 millions d’euros. Aujourd’hui, il s’élève à près de 1 milliard d’euros !
Pire, malgré ces chiffres, cela ne suffit pas ! On constate en effet des sous-budgétisations. Vous venez de procéder voilà quelques jours à peine à un virement de 9,7 millions d’euros du programme 204, qui sert toujours de variable d’ajustement, au programme 183, qui, lui, n’a pas de limites.
Madame la ministre, depuis le temps que nous en parlons, une réforme de l’AME est absolument incontournable. C’est ce que pense la commission des finances du Sénat, qui préconise un resserrement du dispositif d’accès aux soins gratuits sur les soins urgents. Dans l’attente du recentrage de l’AME et en l’absence d’une réelle politique de gestion des flux migratoires – tant que l’on ne réglera pas la question de l’immigration, en effet, il sera compliqué de régler celle de l’AME –, je vous propose d’adopter deux amendements.
Le premier a pour objet de rétablir un « droit d’entrée », un timbre fiscal qui existait auparavant et qui a été supprimé en 2012. On s’aperçoit d’ailleurs que les dépenses liées à l’AME explosent de manière incontrôlée depuis la suppression de ce timbre.
Nous pensons qu’il faut faire des efforts, surtout dans le climat social actuel. On ne peut pas raboter les moyens des agences de l’État qui font de la prévention, pour les transférer vers l’AME. Je pense notamment à la prévention du cancer colorectal pour lequel les agences n’arrivent même plus à atteindre les objectifs que vous leur avez fixés.
M. Alain Joyandet, rapporteur spécial. Non ! Vous visiez un taux de participation au programme de dépistage de ce cancer de 50 % ou de 60 % et le taux n’a atteint que 35 %.
Le second amendement découle d’une démarche responsable de la commission des finances – sinon, elle aurait directement appelé à rejeter les crédits de la mission – et a pour objet de réduire de 300 millions d’euros les crédits du programme 183 relatifs à l’AME. Nous avions fait voter un amendement similaire l’an dernier, mais vous aviez évidemment fait rétablir ces crédits. J’espère que vous nous entendrez cette année, madame la ministre.
Par ces deux amendements, la commission des finances affirme sa volonté de réformer en profondeur l’AME, afin de ramener cette dépense à un niveau plus soutenable.
Sous réserve de l’adoption de ces deux amendements, la commission des finances propose au Sénat d’adopter les crédits de la mission « Santé ». (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Élisabeth Doineau applaudit également.)
Mme Corinne Imbert, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur spécial, mes chers collègues, la prévention s’impose désormais comme le maître mot des annonces gouvernementales dans le domaine de la santé. Mais, pour ce qui est des moyens, les intentions peinent encore à se matérialiser. En effet, si les crédits de la mission « Santé » progressent globalement de 3,4 %, c’est exclusivement le fait de l’augmentation des moyens de l’AME.
Les crédits du programme 204, « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins », diminuent de 1 %. En leur sein, les moyens des agences sanitaires sont au mieux stabilisés. Le renforcement du pilotage de l’État au travers de la mise en place du Comité d’animation du système d’agences constitue un progrès, mais les marges de manœuvre de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, l’ANSM, et de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, ne cessent de se réduire.
En particulier, à la suite de la polémique autour du fonctionnement du registre des malformations congénitales « REMERA » en Rhône-Alpes, la commission des affaires sociales souhaite attirer votre attention, madame la ministre, sur les besoins de professionnalisation de nos réseaux décentralisés de surveillance sanitaire. Il est nécessaire de renforcer leur coordination et leur évaluation scientifique sous l’égide de Santé publique France et de l’ANSES.
La commission des affaires sociales s’est également émue de la fragilité du financement du volet « recherche » des plans de santé publique. L’INSERM, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, participe ainsi à de nombreux plans de santé publique, dont les plans Autisme et « Maladie de Lyme », pour lesquels les cohortes sont prêtes. Seul problème, les opérations ont dû être retardées dans l’attente des fonds nécessaires.
Une somme de 17 millions d’euros a finalement été annoncée pour la recherche en santé publique : madame la ministre, pouvez-vous nous confirmer que ces crédits seront pérennisés dans le cadre d’un programme national de recherche en santé publique, présenté en loi de finances ? Je sais que ce sujet ne relève pas directement de votre ministère, mais vous pouvez au moins solliciter le ministère responsable. Quelle part le ministère de la santé prendra-t-il dans le pilotage de ces crédits ?
Enfin, la commission a rappelé son attachement au maintien des crédits de l’AME. Ce dispositif humanitaire répond à une vraie exigence de santé publique, en prenant en charge des personnes démunies dont l’état de santé est souvent fortement dégradé. Nous ne pouvons donc pas souscrire à la proposition de la commission des finances de minorer les crédits du programme 183, « Protection maladie », ou de réintroduire un droit de timbre. (Mme Laurence Cohen applaudit.) Nous ne ferions qu’aggraver leur état de santé et prendrions le risque d’engorger à terme les services d’urgence hospitaliers.
Sous réserve de ces observations, la commission a émis un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Santé » du projet de loi de finances pour 2019. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de dix minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Martin Lévrier.
M. Martin Lévrier. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, le Gouvernement mène une politique globale de santé dont les objectifs sont clairs : développer la politique de prévention, assurer la sécurité sanitaire, organiser une offre de soins de qualité adaptée et volontaire, qui tienne compte des spécificités de chaque territoire.
Pour préserver un système de santé dont nous pouvons et devons être fiers, le Gouvernement est déterminé, dans le cadre de la stratégie nationale de santé et du plan « Ma santé 2022 », à mobiliser tous les acteurs pour réduire les inégalités qui demeurent, consolider le système de prise en charge solidaire par une vision coordonnée du système de santé, et ce dans le cadre d’une logique de parcours intégrant la promotion de la santé et la prévention.
Vous le savez, les crédits de la mission « Santé » ne constituent qu’une partie des moyens de notre politique publique sanitaire.
Pour mémoire, l’objectif de dépenses de la branche maladie, maternité, invalidité et décès pour l’ensemble des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale s’élève à près de 218 milliards d’euros. Ces dépenses ont été votées dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 même si, malheureusement, le Sénat a préféré s’affranchir d’une nouvelle lecture.
Pour 2019, le projet de loi de finances fixe les crédits de la mission « Santé » à 1,422 milliard d’euros, en hausse de 3,4 %.
L’importance de cette mission, tant dans sa structure que dans les objectifs qu’elle fixe, implique qu’on la regarde dans le détail.
Elle comporte deux programmes, le programme 204 et le programme 183.
Les crédits du programme 204 relatifs à la prévention, la sécurité sanitaire et l’offre de soins sont quasi stables après avoir enregistré une hausse de 10 % en 2018. Ce programme, qui représente 34 % des crédits de la mission, retrace en particulier les subventions pour charges de service public versées à des opérateurs sanitaires de l’État.
En 2019, la réflexion sera poursuivie en liaison avec chacun des opérateurs, afin d’améliorer leur pilotage, de favoriser leur pleine contribution aux efforts requis dans le cadre de la programmation pluriannuelle des finances publiques pour la période 2018-2022, le tout dans une volonté de mieux mutualiser et rationaliser, afin de mieux servir tout en dépensant moins.
Les crédits du programme 183 relatifs à la protection maladie des publics les plus défavorisés et des victimes de l’amiante progressent, pour leur part, de 6 %, passant à près de 943 millions d’euros dans le projet de loi de finances pour 2019. Ce programme représente 66 % du budget de la mission.
Dans ce programme, les dépenses prévisionnelles pour l’AME sont en augmentation de 45 millions d’euros. Elles s’élèvent à 935 millions d’euros, afin de répondre non seulement au problème récurrent de sous-budgétisation, mais également à un objectif humanitaire et sanitaire.
Je le rappelle, le principe de l’AME est essentiel. Premièrement, il répond au besoin de soigner les gens en première nécessité. Le serment d’Hippocrate n’est pas négociable : pour le médecin, soigner sera toujours un devoir.
Deuxièmement, il répond à une préoccupation de santé publique, en particulier, la lutte contre les maladies infectieuses et les maladies de la précarité, la tuberculose, la gale et bien d’autres maladies, qui peuvent toucher non seulement l’individu, mais aussi son entourage et, en conséquence, une partie de la population.
Mes chers collègues, certains d’entre vous ont la conviction que l’AME est un coût pour l’État et, donc, pour nos concitoyens. Seulement, les maladies contagieuses ne choisissent ni leur pays ni l’origine de celui qui sera contaminé. Alors, à défaut de voir cette volonté comme une démarche humanitaire, faites-le pour vous et pour votre entourage, afin de vous protéger en évitant une contamination par autrui. Le virus ne s’interroge pas sur la nationalité : toute personne pour lui est un vecteur de transmission de la maladie, ni plus ni moins.
Décider de protéger ces femmes et ces hommes n’empêche en rien une politique de contrôle et de lutte contre la fraude. Elle sera renforcée, afin que la mise en œuvre de la solidarité nationale s’accompagne d’une gestion rigoureuse du dispositif. Pour ce faire, l’instruction des demandes d’AME sera centralisée en 2019 autour de trois caisses pivot, à Paris, Bobigny et Marseille, et des procédures harmonisées seront mises en place.
Sans AME, notre territoire prendrait le risque de la contagion et d’une renaissance de certaines maladies. L’AME est un acte humanitaire de base, au même titre qu’un acte de prévention nationale.
Avant de conclure, permettez-moi de revenir sur les litiges amiables et contentieux mis à la charge de l’État au titre d’accidents médicaux. Si, depuis deux ans, le nombre de demandes d’indemnisation des victimes de l’amiante tend à diminuer, d’autres drames de santé publique méritent toute notre attention.
En 2016, les parlementaires ont posé les bases du dispositif d’indemnisation des victimes du valproate de sodium ou de ses dérivés. Les instructions des demandes d’indemnisation des victimes sont confiées à l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales – l’ONIAM –, comme elles le sont au Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante – le FIVA – pour l’amiante.
Pourtant, un problème persiste : le processus d’indemnisation se met en place plus rapidement que les nouvelles découvertes sur les mécanismes d’intoxication médicamenteuse n’émergent. Par conséquent, certaines victimes déboutées dans un premier temps pourraient voir aboutir leur demande aujourd’hui.
Le groupe La République En Marche du Sénat a déposé un amendement visant à réexaminer ces rejets par un collège d’experts. Je ne doute pas un instant que le caractère consensuel du sujet permettra son adoption.
Mes chers collègues, voilà en quelques mots les grandes lignes de la mission « Santé », qui, en plus d’être pertinentes, me paraissent mesurées et allant dans le bon sens. C’est la raison pour laquelle le groupe La République En Marche votera ces crédits. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la mission « Santé », d’un budget de 1,8 milliard d’euros, complète les politiques de la sécurité sociale en faveur de l’accès aux soins des publics les plus défavorisés et de l’indemnisation des victimes de l’amiante.
Comme souvent, le Gouvernement annonce un budget en hausse de 3,5 %, d’un côté, mais fait adopter un projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, qui prévoit une diminution de 3,8 milliards d’euros des dépenses de santé et la non-compensation des exonérations de cotisations sociales par l’État à hauteur de 2,1 milliards d’euros, de l’autre.
Nous regrettons ce double discours, qui va encore une fois à l’encontre des plus fragiles au nom de l’apurement de la dette sociale.
La mission « Santé » prévoit une diminution de 1,1 % des crédits de son programme 204, « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins », par rapport à 2018.
Alors que les injustices sociales ne sont plus supportées – à juste titre – par nos concitoyennes et nos concitoyens, et qu’entre 5 et 9 millions de personnes vivent actuellement sous le seuil de pauvreté, vous diminuez les crédits destinés à la santé des populations en difficulté. C’est un non-sens !
Vous ne pouvez pas continuer à augmenter les cadeaux pour les plus riches et, dans le même temps, diminuer les crédits destinés aux plus précaires.
De la même manière, le programme 204 considère le réseau associatif comme « un partenaire essentiel à la réalisation des priorités de santé publique », pour reprendre l’expression figurant dans le bleu budgétaire. Pourtant, dans le même temps, vous avez décidé de supprimer les contrats aidés financés pour partie par l’État, qui étaient indispensables au bon fonctionnement de la majorité des associations.
Vous n’êtes pas, hélas, à une contradiction près.
Ainsi, alors que la COP24 rappelle aux États les engagements pris lors de la Conférence de Paris pour lutter contre le réchauffement climatique, la mission « Santé » prévoit une baisse des crédits relatifs à la santé et l’environnement, puisqu’ils passent de 3,5 millions d’euros en 2018 à 2,78 millions en 2019. C’est une hérésie ! La santé environnementale doit être une priorité pour les pouvoirs publics et votre gouvernement devrait en tirer les conséquences en dégageant des moyens à la hauteur des enjeux.
Pour l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, l’ANSM, dont les missions ne font que s’élargir et qui a connu une diminution de 20 millions d’euros de son budget depuis 2012, soit 13 %, de ses crédits, vous prévoyez la suppression de 23 postes pour 2019 et autant en 2020.
Comment pouvez-vous maintenir une réduction de 5 % du budget de l’ANSM, qui est censée garantir la sécurité des produits de santé dans notre pays, après le nouveau scandale sanitaire des « Implant Files », qui s’ajoute aux crises de la Dépakine, du Levothyrox, de l’Agréal, du laboratoire Biotrial, de l’Androcur, et compte tenu de la pénurie de médicaments ?
Par ailleurs, alors que la prévention des maladies chroniques, qui touchent 15 millions de personnes en France, est une priorité du plan « Ma santé 2022 », les crédits diminuent eux aussi en 2019. On observe également une diminution de 2 % des crédits de l’État à l’ONIAM.
Les 77 millions d’euros inscrits au budget 2019 seront-ils suffisants pour indemniser les 1 087 premiers dossiers déposés à la suite du scandale de la Dépakine ? Surtout, que prévoit le Gouvernement pour faire face aux demandes qui risquent d’être déposées par toutes les victimes potentielles de la Dépakine, dont le nombre est estimé entre 16 000 et 30 000 ?
À cette baisse injustifiable s’ajoute la complexité du système pour les victimes qui doivent constituer des dossiers extrêmement lourds en vue de déposer une demande d’indemnisation.
Il faut revoir l’ensemble du système et nous donner les moyens financiers d’y parvenir. Nous aurons l’occasion d’y revenir lors de l’examen de l’article 81 quinquies et de l’amendement du Gouvernement tendant à insérer un article additionnel après ce même article.
Concernant les crédits du budget de l’État destinés au Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, ils sont reconduits à hauteur de 8 millions d’euros. En revanche, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, la dotation de la branche accidents du travail et maladies professionnelles au FIVA s’établit à 260 millions d’euros, en diminution de 3,7 % par rapport à 2018. Ce n’est pas acceptable !
Enfin, s’agissant du programme 183, « Protection maladie », et de la progression des crédits destinés à l’aide médicale de l’État, nous soutenons la position de la commission des affaires sociales et de la rapporteur pour avis Corinne Imbert. Notre position est cohérente avec l’ensemble de notre discours.
Les personnes étrangères bénéficiaires de l’aide médicale de l’État doivent être intégrées au régime général de la sécurité sociale. Cela s’inscrit dans le prolongement de notre combat humaniste, solidaire et universel, qui refuse d’opérer des distinctions selon les nationalités, d’autant que les bénéficiaires actuels de l’AME sont pour 21 % d’entre eux des mineurs, c’est-à-dire des individus particulièrement vulnérables.
Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas les crédits de la mission « Santé ». (Mme Sophie Taillé-Polian applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Jomier. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Bernard Jomier. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame la rapporteur pour avis, mes chers collègues, l’examen de la mission « Santé » appelle une mise en perspective préalable.
En effet, si les crédits de la mission progressent globalement de 3,4 %, le programme 204 dédié à la prévention, la sécurité sanitaire et l’offre de soins n’en bénéficie pas, et voit même ses moyens diminuer de 1 % à périmètre constant.
Au moins deux enseignements sont à tirer de cette tendance plus ancienne que le présent quinquennat, mais dont les documents budgétaires confirment l’orientation.
Le premier enseignement, c’est le transfert par le ministère du pilotage de notre politique de santé publique et la concentration croissante des outils de cette politique au niveau de l’assurance maladie. Ces dernières années, les transferts successifs du financement de la HAS, la Haute Autorité de santé, de l’ATIH, l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation, des FIR, les fonds d’intervention régionaux, de l’Agence de biomédecine, ainsi que de celui de l’École des hautes études en santé publique, désormais acté dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, l’illustrent parfaitement.
Le fait que le reste des crédits non réservés aux agences, qui voient leurs moyens au mieux stabilisés, soit en fait principalement consacré aux frais de justice, notamment pour l’indemnisation des accidents médicamenteux, l’illustre également.
S’agit-il d’un affaiblissement du pilotage politique par le ministère ou de l’étatisation de l’assurance maladie, dont le paritarisme relève d’ailleurs davantage d’une fiction que de la réalité ? En tous les cas, il devient de plus en plus difficile de déceler une vision stratégique dans le périmètre du programme 204.
Le deuxième enseignement que nous pouvons tirer est le différentiel qui sépare la volonté exprimée par le Gouvernement en matière de prévention et sa traduction en actes. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 nous avait déjà laissés sur notre faim en la matière ; la mission « Santé » du projet de loi de finances pour 2019 confirme l’absence de traduction des ambitions affichées dans le plan « Priorité prévention ».
En matière de prévention des addictions, c’est même un jeu à somme négative. Vous avez baissé de 13 % ces crédits, ainsi que de 28 % les crédits dévolus aux partenariats associatifs, alors que nous savons tous que, dans ce domaine, le tissu des acteurs associatifs est dense, expérimenté et précieux.
Il faut également rattacher ces baisses de crédits à la transformation de l’ancien fonds de prévention contre le tabac en un fonds dédié à l’ensemble des addictions à des substances psychoactives. Comme nous l’avons rappelé au cours de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, cette extension du périmètre d’action du fonds ne s’accompagne malheureusement pas d’une augmentation de son enveloppe budgétaire, difficilement maintenue autour de 100 millions d’euros. C’est trop peu, beaucoup trop peu, alors que nous savons que le coût social et sanitaire du seul alcool s’élève à 120 milliards d’euros.
Je dirai également quelques mots sur l’épidémie de VIH, dont le niveau actuel, qui s’établit à 6 000 nouvelles contaminations par an, nous engage collectivement.
Nous accueillons favorablement l’augmentation de près de 6 % des crédits consacrés à cette cause. Les efforts doivent se concentrer sur l’intensification du dépistage dans les populations clés. Nous nourrissons à ce sujet une ambition réaliste si la volonté politique et les moyens suivent, celle de vaincre, pour la première fois dans l’histoire de la médecine, un virus sans vaccin. Nous savons que vos engagements en la matière sont réels et nous les saluons.
La bataille en matière de prévention se mène aussi sur le front de l’environnement. Mais, avec des crédits en baisse de 20 %, les promesses de faire de la santé environnementale une priorité laissent un goût de déception.
Cette diminution nous inquiète à l’approche de la révision, l’an prochain, du quatrième plan national santé-environnement et de la présentation de la nouvelle stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens. Vous le savez, les progrès de la santé humaine dans les décennies à venir viendront, pour une part importante, de notre capacité à réduire efficacement les facteurs environnementaux qui dégradent notre santé. Les enjeux sont considérables, et l’attention de nos concitoyens va croissant.
La crédibilité de nos institutions sanitaires a été mise à mal à la suite de l’affaire médiatisée des malformations congénitales dans l’Ain, en Bretagne et dans les Pays de la Loire.
L’enjeu à court terme réside donc, à la fois, dans la mise en œuvre des moyens d’une réduction efficace des facteurs de risque et dans la consolidation de notre système de surveillance sanitaire. Cela passe par un renforcement budgétaire, notamment pour garantir la pérennité de registres de données environnementales et sanitaires, mais également par une réévaluation des méthodes d’expertise héritées de l’infectiologie et, parfois, peu adaptées aux enjeux environnementaux.
De manière plus générale, l’État doit prendre ses responsabilités sur le pilotage opérationnel d’une politique de santé environnementale à part entière, impulsée à la bonne échelle, au travers des services déconcentrés de l’État, et déployée de concert avec les collectivités territoriales.
Une politique de santé environnementale, oui ! Avec les collectivités territoriales, oui ! Sans le ministère, non !
J’en viens au programme 183 et à l’aide médicale de l’État.
Le budget qui nous est présenté est sincère et reflète les efforts entrepris pour rendre la gestion de l’AME plus efficiente. L’alignement de la tarification des séjours hospitaliers pour les soins somatiques des patients accueillis au titre de l’AME a notamment permis des économies estimées entre 80 millions et 140 millions d’euros par an, et les efforts de rationalisation dans la gouvernance ont renforcé, à la fois, le pilotage du dispositif et le contrôle des dossiers.
Ces réformes, conformes à ce que préconisait l’Inspection générale des finances dans son rapport de 2010, montrent qu’une mutualisation avec les services de l’assurance maladie engendre des économies d’échelle et va donc dans le sens d’une plus grande efficience.
La rationalité économique converge ainsi avec la rationalité de ceux qui, pour analyser le régime de l’AME, chaussent les lunettes de la santé publique et de l’efficience des parcours de soins. L’Inspection générale des affaires sociales, notamment, recommande depuis plusieurs années l’intégration de l’AME dans l’assurance maladie. C’est également l’avis de l’Académie nationale de médecine depuis l’année dernière.
Seuls ceux qui examinent l’AME avec les lunettes de leurs propres positions sur la politique migratoire seraient encore tentés de voir le dispositif supprimé ou réduit en morceaux. Quelle erreur !
Les objectifs de santé publique et les intérêts sur le plan économique convergent vers une intégration de l’AME dans le régime général de l’assurance maladie.
Madame la ministre, la mission « Santé », évidemment, ne résume ni ne porte à elle seule notre politique de santé.
Mais certaines volontés se décryptent dans son évolution. Or il est difficile de déceler une vision d’ensemble, un cap clair. Certaines trajectoires, comme les évolutions de l’AME, mériteraient d’être encore plus affirmées ; d’autres, telle la politique de prévention, ne répondent pas, à ce jour, à nos inquiétudes.
Sous réserve du maintien des crédits de l’aide médicale de l’État, nous approuverons toutefois les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Artano. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. Stéphane Artano. Madame la présidente, madame la ministre, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, le 19 septembre dernier, le Président de la République rappelait que notre système de santé constitue un pilier de notre République sociale et qu’il est l’une des meilleures concrétisations de la solidarité nationale.
La mission « Santé » s’inscrit dans cette volonté d’assurer un égal accès aux soins à l’ensemble de nos concitoyens et de corriger les inégalités.
Pour autant, si les crédits augmentent globalement de 3,4 %, je regrette que les moyens alloués au programme « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins » diminuent d’un peu moins de 6 millions d’euros.
Certains me rétorqueront que c’est bien peu. Certes. Toutefois, comme l’avait souligné le Premier ministre lors de la présentation du plan « Priorité Prévention », « on meurt trop souvent trop jeune en France. Et une vraie politique de prévention permettrait de préserver près de 100 000 vies par an. » La prévention doit rester au cœur de notre politique de santé.
Aussi regrettons-nous, notamment, que les dépenses dédiées à la prévention des addictions connaissent une baisse de 13 %. La France est l’un des pays européens où les adolescents consomment le plus de produits stupéfiants : 80 % d’entre eux expérimentent plusieurs produits – tabac, alcool et cannabis –, selon les derniers chiffres de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies.
En revanche, je note avec satisfaction l’augmentation des crédits destinés à soutenir les actions en matière de lutte contre les infections par le VIH, les infections sexuellement transmissibles, les IST, et les hépatites, qui passent notamment par le renforcement du dépistage.
Selon le dernier bilan épidémiologique publié par Santé publique France, en 2017-2018, 28 % des personnes diagnostiquées pour une infection à VIH ont découvert leur séropositivité à un stade avancé et 49 % n’avaient jamais été testées auparavant. Ces chiffres soulignent l’importance du dépistage.
S’agissant de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, l’ANSM, je ne peux que souscrire aux propos de notre rapporteure pour avis.
J’ai eu l’occasion de le rappeler lors du conseil d’administration de l’agence, la semaine dernière, il n’est pas certain que le maintien de la dotation de l’État à son niveau actuel permette à l’agence de faire face à ses nombreuses missions. Au-delà des missions déjà renforcées depuis 2016, le Sénat a formulé des demandes pour que l’agence investisse les champs suivants : l’accès rapide et sécurisé aux innovations thérapeutiques, la prévention et la gestion des ruptures d’approvisionnement de médicaments, son positionnement sur la recherche clinique.
Même si je reconnais que l’agence conserve une dotation identique à celle de 2018, qui avait été augmentée de 8 millions d’euros, vous comprendrez aisément, madame la ministre, ma crainte quant à sa capacité à faire face, dans de bonnes conditions, à ses missions essentielles et à leur potentiel élargissement.
Ma dernière observation porte sur l’AME, qui concentre 99 % des moyens alloués au programme « Protection maladie », avec 935 millions d’euros.
Cette année encore, la commission des finances nous demande de diminuer les crédits de l’AME de 300 millions d’euros. Cette proposition ne nous semble pas aller dans le bon sens, et ce pour plusieurs raisons.
L’AME se caractérise par une prévisibilité particulièrement complexe, dont découle une sous-budgétisation récurrente. Notre rapporteure pour avis l’a rappelé, réduire cette dépense n’est pas une solution satisfaisante : il faudra la prendre en charge d’une façon ou d’une autre.
L’accès pour tous à la santé, indépendamment du statut de la personne, relève d’une démarche humaniste, placée au cœur de notre pacte républicain. Refuser de soigner certaines personnes n’est pas envisageable !
L’AME, enfin, constitue une nécessité de santé publique pour éviter la propagation de maladies contagieuses.
La commission des finances nous propose également d’instaurer une franchise, comme cela existait avant 2012, pour réduire les dépenses et contrer des abus. Je rappellerai simplement qu’un rapport des inspections générales des affaires sociales et des finances avait jugé une telle mesure financièrement inadaptée, administrativement complexe et porteuse de risques sanitaires.
De plus, en matière de lutte contre la fraude, nous saluons déjà les efforts menés dans le contrôle de la résidence et dans l’identification et la condamnation des multi-hébergeurs.
À cela, madame la ministre, s’ajoute cette déclaration que vous avez faite : « En 2019, la centralisation de l’attribution des droits dans trois caisses primaires d’assurance maladie – Paris, Bobigny et Marseille – permettra un traitement plus homogène et un meilleur contrôle des demandes. »
Telles sont, madame la ministre, les quelques observations que je souhaitais formuler à l’occasion de la discussion générale sur cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Doineau. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Élisabeth Doineau. Madame la présidente, madame la ministre, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, au début de l’automne, le Gouvernement a présenté le plan « Ma santé 2022 », visant à refonder le système de santé autour du patient. À l’image du plan Pauvreté, dont nous avons déjà parlé, cette réforme entend « prévenir » et « accompagner » : prévenir les situations à risques et accompagner les personnes pour éviter que les situations ne se reproduisent.
Je salue le cap choisi. Nous ne pouvons pas répondre aux enjeux de vieillissement de la population et de développement des maladies chroniques en gardant comme modèle le « tout-curatif ».
La France peut être fière de son système de santé, qui nous permet de jouir d’une des meilleures espérances de vie au monde : 79,5 ans pour les hommes et 85,4 ans pour les femmes. Mais il faut se pencher sur une autre statistique, qui classe notre pays dans la moyenne européenne, seulement, s’agissant de l’espérance de vie en bonne santé : 62,6 ans pour les hommes et 64,1 ans pour les femmes.
Nous pouvons en conclure que, si nous vivons plus longtemps, nous vivons aussi longtemps en mauvaise santé, notamment à partir du départ à la retraite. C’est d’autant plus vrai pour les femmes, qui vivent plus longtemps que les hommes, mais ne vivent pas, proportionnellement, plus longtemps en bonne santé.
Aussi, la prévention est plus que jamais une urgence pour améliorer les conditions de vie de nos concitoyens, mais aussi pour préserver nos dépenses publiques.
Cette ambition portée par Mme la ministre se retrouve-t-elle, par conséquent, dans la mission « Santé » du projet de loi de finances qui nous est présentée aujourd’hui ?
La mission « Santé », c’est 1,4 milliard d’euros de budget, réparti entre deux programmes : le programme 204 relatif à la prévention, la sécurité sanitaire et l’offre de soins, pour un tiers de l’enveloppe, et le programme 183 relatif à la protection maladie, qui récolte les deux tiers restants.
Si les crédits de la mission progressent globalement de 3,4 %, c’est exclusivement le fait de l’augmentation des moyens de l’aide médicale de l’État, dans le programme 183. À périmètre constant, les crédits du programme 204 diminuent même de 1 %.
Aussi, la politique de prévention de la santé devra composer avec 5,5 millions d’euros de moins que l’année passée, comme l’ont déjà relevé un certain nombre d’orateurs. Si la prévention est autant, voire davantage, affaire de changements de pratiques et de mentalité que de moyens financiers, une telle évolution peut être néanmoins regrettée.
Il est toutefois une évolution positive à noter : l’augmentation de plus de 2 millions d’euros des subventions versées à l’Agence nationale de santé publique, acteur majeur de la prévention.
Inversement, les sommes versées à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé se réduisent de 120 000 euros, après une augmentation salutaire l’année dernière. Je regrette que le Gouvernement ne maintienne pas l’effort, alors que l’agence doit gérer plusieurs crises sanitaires importantes : celle du Levothyrox, celle de la Dépakine ou encore la pénurie de médicaments. Les Français s’inquiètent de ce dernier point à raison, alimentant d’autant la défiance à l’égard de la médecine conventionnelle et des laboratoires.
Face à la pluralité de ses missions, il convient de donner à cette agence les moyens adéquats.
J’en viens maintenant au programme 183, « Protection maladie », qui concentre ses crédits sur l’aide médicale de l’État, l’AME.
Aussi certain qu’après le jour vient la nuit l’AME fait l’objet d’un débat animé à chaque projet de loi de finances. Il serait donc tentant de reprendre, à ce stade, les éléments de l’intervention que j’ai tenue l’an dernier, mais ce serait faire injure à notre assemblée, à nos concitoyens et au débat démocratique.
Je tiens à féliciter notre rapporteure pour avis, Corinne Imbert, pour sa prise de position digne et responsable sur le sujet, à laquelle je me rallie bien volontiers.
L’AME est une nécessité humanitaire, sanitaire et économique. À sa manière, elle participe à la politique publique de prévention sanitaire.
Nous pouvons regretter la difficulté rencontrée par l’État pour contenir sa dépense – qui a pratiquement doublé entre 2004 et 2017 –, ainsi, peut-être, que le manque de sincérité des gouvernements à budgétiser ce programme. Mais il serait vain de nous enfermer dans une forme de déni.
Les propositions de notre rapporteur spécial, Alain Joyandet, de réduire de 300 millions d’euros les crédits de l’AME et l’instauration d’un droit de timbre annuel pour accéder à cette aide ne me paraissent pas opportunes. Ce droit de timbre tendrait à créer une barrière dans l’accès aux soins, tandis que la menace de réduction des crédits affectés à l’AME n’est plus crédible. Sur ces points, les analyses diffèrent au sein du groupe centriste, je le regrette.
Je salue, enfin, la gestion de l’AME de droit commun par les caisses primaires d’assurance maladie de Paris, Bobigny et Marseille. Cet effort de mutualisation permettra des économies de gestion, mais également un renforcement du pilotage du dispositif et du contrôle des dossiers, tout en homogénéisant leur traitement.
Pour conclure, si, dans l’intention, le Gouvernement a fait de la prévention son mot d’ordre en matière de politique sanitaire et sociale, d’un point de vue budgétaire, les moyens restent un peu limités.
Ces quelques déceptions exprimées, le groupe Union Centriste votera les crédits de la mission « Santé ». (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, madame la ministre, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, les crédits de la mission « Santé » pour l’année 2019 sont fixés, par le présent projet de loi de finances, à 1,422 milliard d’euros.
Ces ressources sont modestes, pour des objectifs indispensables à atteindre et déterminants. Leur progression, de 3,4 % s’explique, en grande partie, par l’augmentation de l’aide médicale de l’État, après une progression de 10 % en 2018.
Les crédits consacrés au programme 204, « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins », sont stables, après une hausse de 10 % en 2018, avec une multiplication des plans de prévention.
Nous constatons une dilution du fonds de lutte contre le tabac, élargi, à moyens quasi constants, à l’ensemble des addictions en 2019. La prévention tabac doit être maintenue.
Nous saluons, de nouveau, le programme de vaccination mis en œuvre.
Nous saluons aussi la profonde réorganisation du paysage sanitaire présentée par le Gouvernement. La mise en place du Comité d’animation du système d’agences permettra une coordination. Cet effort de cohérence, louable pour renforcer le pilotage des opérateurs sanitaires de l’État, se traduira notamment par une mutualisation des fonctions support.
L’ANSM se voit contrainte de repenser son fonctionnement pour faire face au renforcement de ses missions, à la suite de l’entrée en vigueur de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.
Une plus grande réactivité est attendue face à la multiplication des crises sanitaires, celles du Levothyrox et de la Dépakine, notamment. L’ANSM est aussi mobilisée pour l’accès rapide et sécurisé aux innovations thérapeutiques et pour la prévention et la gestion des ruptures d’approvisionnement de médicaments. Elle est amenée à gérer les conséquences sanitaires du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne.
Son budget a été augmenté de 6 millions d’euros en 2018, puis stabilisé en 2019, avec une enveloppe globale de 118 millions d’euros.
Sa mission est capitale, notamment pour les ruptures d’approvisionnement de médicaments. Pour lutter contre ce phénomène, il serait nécessaire de renforcer son pouvoir de sanction, comme le préconise la mission d’information du Sénat dont notre collègue Jean-Pierre Decool était le rapporteur, en instaurant des pénalités suffisamment dissuasives pour les entreprises pharmaceutiques.
S’agissant de Santé publique France, chargée de la veille sanitaire, ses moyens sont consolidés.
L’agence et l’ANSES sont fortement sollicitées pour objectiver l’impact sur la santé des agriculteurs de l’usage des produits phytosanitaires, mais aussi sur d’autres faits inquiétants, notamment les malformations congénitales observées dernièrement en France. Il est souhaitable de renforcer leurs moyens, afin de rétablir la confiance de nos concitoyens.
Sur le plan de la recherche, l’INSERM participe à de nombreux plans de santé publique : plan « Maladies neurodégénératives », plan « France médecine génomique », plan Autisme, plan national de prévention et de lutte contre la maladie de Lyme et les maladies transmissibles par les tiques.
Plusieurs de ces plans de financement sont incomplets. Seulement 4,5 millions d’euros ont été inscrits dans le projet de loi de finances pour 2019 au sein de la mission « Recherche et enseignement supérieur », alors que près de 15 millions d’euros seraient nécessaires, et l’on sait que l’ONDAM ne pourra pas directement les financer.
Par ailleurs, 99 % des moyens du programme « Protection maladie » sont consacrés à l’aide médicale de l’État, avec un besoin chiffré à 935 millions d’euros, en augmentation de 45 millions d’euros. Toutefois, cette aide est régulièrement sous-budgétisée, comme le démontre sa dette envers l’assurance maladie, qui atteignait 50 millions d’euros en 2017.
Ces sommes ne tiennent pas compte des frais engagés par les hôpitaux pour soigner en urgence les étrangers en situation irrégulière non éligibles à l’AME. Depuis 2010, ce sont 475 millions d’euros qui sont à la charge des hôpitaux, au titre de cette non-compensation. Des faits incontournables. Si des crédits sont enlevés, il reviendra aux hôpitaux de payer les soins sans espérer leur remboursement.
La gestion de l’AME sera renforcée en 2019, ce qui est une bonne chose, ainsi que la lutte contre la fraude, qui connaît des avancées importantes.
Par conséquent, je soutiens Mme le rapporteur pour avis dans sa demande pour un maintien des crédits à 985 millions d’euros.
Je la rejoins aussi s’agissant de la remise en place du droit de timbre annuel pour l’accès à l’AME, d’un montant de 55 euros, lorsqu’elle considère cette mesure comme étant de nature à entraîner une difficulté d’accès aux soins, notamment pour les maladies infectieuses, nécessitant une prise en charge rapide.
La lutte contre la fraude enregistre des progrès notables et reste, il nous semble, le seul moyen efficace de prévenir les abus.
Le groupe Les Indépendants votera favorablement les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Bonne. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Élisabeth Doineau applaudit également.)
M. Bernard Bonne. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame la rapporteur pour avis, monsieur le rapporteur spécial, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les grandes lignes et les équilibres des crédits de la mission « Santé » du projet de loi de finances pour 2019. Mes collègues rapporteurs ont parfaitement souligné le déséquilibre important entre les deux programmes de la mission et les difficultés que rencontrent aujourd’hui les opérateurs, en raison de budgets qui ne sont pas toujours en adéquation avec les exigences imposées.
L’ensemble de ces crédits, rappelons-le aussi, ne représentent qu’une toute petite partie des moyens de notre politique publique de santé, qui relève plus largement de la loi de financement de la sécurité sociale.
Je souhaitais, pour ma part, insister sur la question de la veille et de la sécurité sanitaires.
En tant qu’administrateur de Santé publique France, je mesure le champ toujours plus vaste sur lequel l’agence mais aussi l’ANSES sont et seront mobilisées dans les années à venir.
On se souvient du rôle central que ces organismes ont joué dans le dossier de l’amiante ; ils travaillent aujourd’hui sur les conséquences de l’utilisation des produits phytosanitaires chez les agriculteurs, mais mènent également des investigations sur les cas de malformations congénitales récemment signalés. Cette semaine encore, Santé publique France mène des investigations en Haute-Savoie sur des cas signalés de toxi-infections alimentaires, liées à une souche particulière de salmonellose.
Son expertise, parfaitement indépendante, doit être saluée.
Même si leur budget est consolidé cette année, il conviendra d’être vigilant pour conforter les moyens de ces agences de veille sanitaire : on ne peut constater le nombre croissant de leurs saisines et missions et, dans le même temps, leur demander de réduire leur plafond d’emplois de 2,5 % !
Cependant, pour réaliser ses missions, l’agence s’appuie sur des partenaires, acteurs de terrain.
L’implication des professionnels de santé dans la veille sanitaire, au travers des signalements qu’ils réalisent, de leur participation à la réponse aux alertes et de leur interface avec l’usager en relais des politiques de santé, est effectivement un des maillons essentiels de la politique de prévention.
Je veux ici souligner l’importance du rôle des médecins généralistes, qui sont de véritables sentinelles en matière de veille sanitaire et sont témoins des inégalités sociales de santé, très marquées entre les différentes catégories socio-professionnelles, mais aussi dans nos territoires.
C’est bien en permettant à tout un chacun, particulièrement aux publics les plus défavorisés, d’accéder à une offre de soins au plus près de leurs besoins que la politique de prévention sera la plus efficace.
Le constat est largement partagé : plusieurs mois d’attente pour consulter un spécialiste, des médecins généralistes débordés qui ne peuvent plus prendre de nouveaux patients, etc.
Lutter contre les déserts médicaux est donc une priorité, car la situation risque encore de se dégrader si rien n’est fait.
Les zones rurales ne sont pas les seules concernées : les centres des grandes villes, qui présentent un coût d’installation particulièrement élevé pour un jeune médecin, connaissent également une désertification massive.
N’oublions pas aussi que, face aux pénuries de médicaments parfois constatées, le lien est évident entre approvisionnement pharmaceutique et présence de professionnels de santé sur le terrain.
Au regard de cette problématique de désertification médicale, madame la ministre, vous avez proposé des mesures déjà testées pour garder et attirer les médecins – aides à l’installation dans les zones sous-dotées, simplification de l’exercice mixte salariat-libéral, activité des médecins retraités, développement et remboursement des actes de télémédecine –, mais ces mesures n’ont pas toutes été évaluées à ce jour. Qu’en est-il exactement ?
Enfin, nous avons bien conscience que les crédits de la mission « Santé » s’inscrivent, plus globalement, dans le cadre de la stratégie nationale de santé lancée à la fin de 2017, mais aussi dans celui, plus ambitieux, du plan « Ma santé 2022 » présenté en septembre dernier.
Il nous faudra être vigilants sur ces différents points, mais soyez assurée, madame la ministre, de l’engagement du Sénat pour contribuer pleinement aux prochains textes que vous porterez en faveur de la défense d’une politique de santé accessible à tous. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Élisabeth Doineau applaudit également.)
Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en France, nous avons le privilège et la chance – il faut en avoir conscience – d’avoir un système de solidarité comme il en existe rarement dans le monde, protégeant les plus vulnérables par l’effort national.
L’État garde aujourd’hui une place essentielle dans la prise en charge des soins des Français. Son rôle régalien est d’assurer une mission de service public auprès des citoyens n’ayant pas accès à l’offre de soins.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale et la mission « Santé » du projet de loi de finances programment un budget à cet effet.
Parmi les dispositions, l’aide médicale de l’État a pour but de soigner les étrangers arrivant en France, dans un souci d’action sociale et humanitaire. C’est essentiel.
L’aide médicale pour soins urgents, qui est vitale, est évidemment une nécessité.
Alors que 95 % du budget de l’AME est consacré aux étrangers en situation irrégulière, la quasi-totalité de ce budget est réservée, non pas aux soins vitaux, mais à l’aide médicale de droit commun, laquelle couvre, à 100 % et sans avance de frais, les soins quotidiens et de confort. Cette dernière a progressé de 11 % depuis 2015, avec un nombre de bénéficiaires en hausse constante.
Je voudrais souligner tout de même, en tant qu’élue d’un département rural où la démographie médicale est particulièrement faible, que l’accès aux soins est un luxe pour certains. Je rencontre souvent des personnes qui ne peuvent pas se payer des lunettes ou des soins dentaires, faute de moyens suffisants.
Les crédits alloués en 2019 au programme « Protection maladie », dont dépend l’AME, représentent 944 millions d’euros, soit deux fois plus que le programme consacré à la prévention, la sécurité sanitaire et l’offre de soins, et 53 millions d’euros de plus par rapport à l’an dernier. Ces crédits ne cessent d’augmenter. Ainsi, les fonds du programme « Protection maladie » connaissent une croissance de 27 % depuis 2013, alors que ceux qui sont consacrés à la prévention ont diminué de 25 % sur la même période.
Le rapporteur spécial de la commission des finances évoque d’ailleurs un « dynamisme non maîtrisé des dépenses du programme 183 » et de « carences persistantes dans la stratégie de pilotage » de la mission.
C’est la raison pour laquelle la commission des affaires sociales appelle, dans les plus brefs délais, à la mise en place d’un référentiel d’évaluation et de projection solide de la dépense de l’aide médicale de l’État.
Sur le plan général, les crédits de paiement de la mission « Santé » demandés pour 2019 s’élèvent à 1,423 milliard d’euros, soit 3,5 % d’augmentation par rapport à 2018. Il s’agit d’une augmentation de crédits plus faible que les années précédentes, cette faiblesse s’expliquant par la trajectoire pluriannuelle des finances publiques, qui demande un effort financier soutenu, notamment aux opérateurs sanitaires.
On peut se réjouir d’une baisse significative de la dette de l’AME, qui passe en dix ans de 246 millions à 49 millions d’euros.
On note également une amélioration de la gestion de l’AME, en partie due à l’efficience de la lutte contre la fraude.
Soulignons aussi que ces crédits sont inférieurs au plafond inscrit en loi de programmation des finances publiques. Cette démarche de sincérité budgétaire est une heureuse nouvelle, puisque, comme vous le savez, mes chers collègues, les plafonds de crédits avaient été dépassés entre 2015 et 2017.
Sous réserve de l’adoption des amendements, je voterai en faveur des crédits de la mission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
3
Fiscalité écologique et pouvoir d’achat
Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat
M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, en application de l’article 50–1 de la Constitution, portant sur la fiscalité écologique et ses conséquences sur le pouvoir d’achat.
Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je souhaite que notre débat d’aujourd’hui soit particulièrement à la hauteur de l’intérêt de notre pays.
J’appelle chacune et chacun à se montrer respectueux de la diversité des opinions qui vont s’exprimer dans notre hémicycle.
Nous devons contribuer les uns et les autres à préserver l’unité de la Nation. (Applaudissements.)
La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, dans chacun des territoires que vous représentez, depuis trois semaines, des groupes de Français ayant enfilé un gilet jaune, parfois des groupes très restreints, parfois des groupes plus larges, organisent des barrages filtrants, ouvrent des péages, occupent des ronds-points ou des zones commerciales.
Ces actions se déroulent, en général, dans le calme, un calme qui contraste avec l’extrême violence que nous avons connue samedi dernier à Paris et dans de nombreuses villes : à Toulouse, à Marseille, au Puy-en-Velay, où le Président de la République s’est rendu mardi.
J’aurais pu également citer l’île de la Réunion, où Annick Girardin s’est rendue la semaine dernière pour échanger avec les manifestants, les élus et apporter des réponses aux questions et aux colères qui étaient formulées.
Vous êtes ou avez été des élus locaux. Moi aussi. Cette colère, vous ne la découvrez pas. Moi non plus. Nous l’avons sentie monter, année après année, élection après élection, qu’elle se formule parfois par des abstentions massives ou qu’elle se formule d’autres fois par des coups de semonce.
Contrairement à quelques autres, je ne cherche pas à désigner les coupables de cette colère, mais je constate qu’elle vient de loin, qu’elle a longtemps été muette et que, si elle a été muette, c’est parce que, longtemps, elle a été tue, par pudeur, par fierté parfois, car se mettre en colère et dénoncer quelque chose que l’on subit, c’est parfois vécu et perçu comme quelque chose qui ne serait pas à la hauteur.
Certains ont reconnu avec beaucoup de sagesse et d’honnêteté que cette colère venait de loin. Je veux les en remercier, pas en mon nom propre, bien entendu, mais au nom de ceux qui, loin des surenchères, recherchent, sans renier bien évidemment leurs convictions – comme quoi les deux sont possibles –, une issue républicaine à une crise dont la violence a surpris tout le monde.
J’ai déjà eu l’occasion de citer – et je le refais bien volontiers dans cet hémicycle – le nom et l’œuvre de Marc Bloch. Dans un de ses plus célèbres ouvrages, il évoque l’importance de la lucidité, lucidité évoquée comme un exercice permanent qui implique d’être constant quand on croit que ce que l’on fait est juste et d’avoir le courage de faire autrement quand quelque chose ne fonctionne pas. Tous les maires, tous les présidents d’exécutifs locaux l’ont vécu au moins une fois.
C’est à cet exercice que nous nous sommes attelés, un exercice qui se traduit de trois manières différentes.
Lucidité, d’abord, sur la situation d’extrême tension que traverse notre pays. Ces tensions nous ont conduits à la conclusion qu’aucune taxe ne méritait de mettre en danger la paix civile. Comme je l’ai dit hier à l’Assemblée nationale, nous avons donc décidé, avec le Président de la République, de renoncer aux mesures fiscales concernant le prix des carburants et les prix de l’énergie, qui devaient entrer en vigueur le 1er janvier 2019. Le Sénat ayant voté la suppression de ces taxes dans le projet de loi de finances pour 2019, elles ne seront pas réintroduites. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – M. Bernard Buis applaudit également.)
M. Ladislas Poniatowski. Très bien !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Lucidité, ensuite, sur la méthode.
Une bonne méthode, ce n’est jamais que le moyen qui permet d’atteindre le but qu’on s’est fixé. C’est une méthode qui s’adapte à une situation qui, par nature, n’est jamais figée ; parce que certains problèmes demandent des solutions rapides et que d’autres exigent des concertations plus larges. C’est l’objectif du débat que le Président de la République m’a demandé de conduire. Un débat qui vise à répondre à trois questions concrètes.
La première concerne le rythme, les modalités, le calendrier de la transition écologique. Celle-ci demeure, nous le savons tous, pour notre pays, pour nos territoires – je pense en particulier à nos territoires ultramarins, mais cela vaut pour tous les territoires de la France –, pour notre économie, pour notre agriculture, pour notre pouvoir d’achat, un horizon qui n’est ni négligeable ni négociable.
J’ai proposé une première série de mesures d’accompagnement de cette transition, venant s’ajouter à des mesures déjà existantes.
Ces mesures, massives par leur montant, ont, à bien des égards, prouvé une partie de leur efficacité, en tout cas auprès d’une partie de la population, si j’en juge par la consommation, par le recours massif, et même supérieur à celui qui avait été initialement envisagé, à des dispositifs comme la prime à la conversion automobile.
Elles ont prouvé, donc, une partie de leur efficacité, mais elles ne répondent pas, si j’en crois les manifestants, à la totalité des besoins exprimés par les Français. Le débat doit donc permettre de les compléter, avec les Français, avec les professionnels, avec les élus, avec tous ceux qui peuvent en exprimer le besoin précis et travailler aux réponses adaptées.
La deuxième question concerne les trajets domicile-travail. Des trajets qui ponctionnent une part importante des salaires, des revenus en général, un peu, certains l’ont dit, comme un impôt caché sur le travail.
J’ai chargé Muriel Pénicaud, Jacqueline Gourault et Élisabeth Borne de conduire une concertation avec les organisations syndicales et avec les élus pour nous aider à trouver des solutions rapides, concrètes et adaptées aux spécificités de leurs territoires. Un certain nombre de ces consultations avaient été engagées dans le cadre de la préparation du projet de loi d’orientation des mobilités. J’observe que nombre d’associations d’élus avaient salué ce travail de concertation, mais il peut être approfondi, là encore, pour trouver, territoire par territoire, indépendamment des dispositifs institutionnels, le cas échéant, les solutions adaptées aux besoins exprimés par nos concitoyens.
Troisième et dernière question : la fiscalité et la dépense publique.
Les Français qui portent un gilet jaune l’ont dit : ils veulent moins d’impôts, moins de taxes, et savoir à quoi ces impôts et ces taxes servent. C’est bien légitime.
Nous devons donc ouvrir un débat. Le débat, il a lieu, évidemment et heureusement – c’est le sens même de la démocratie et du contrôle parlementaires – chaque année dans les deux assemblées. Mais reconnaissons ensemble, mesdames, messieurs les sénateurs, que la grande technicité de ce débat, sa qualité, à certains égards, rend parfois difficile la lecture, les enjeux de l’utilisation de telle ou telle enveloppe, la réalité ou les perspectives de telle ou telle recette.
Nous devons donc ouvrir un débat qui permette de ramener de la clarté, de la transparence, sur une question dont nous savons tous qu’elle est très passionnelle en France. Une question passionnelle que nous devons aborder dans le calme, sans pour autant transiger sur l’ambition.
Je me fixe deux règles en la matière. D’abord, que ce débat ne crée pas de nouvelles taxes et qu’il ne vienne pas creuser ou augmenter encore la dette. Nous voulons baisser les impôts. Très bien. Alors, regardons l’ensemble du sujet : la dépense, les recettes et cette dette qui a crû de façon très significative en France depuis maintenant de nombreuses années.
Soyons vigilants, vigilants à ce que nous ne léguions pas à nos enfants des taxes futures, des dettes qui viendront grever leur pouvoir d’achat. (Mme Sophie Joissains applaudit.)
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Soyons vigilants à ce que la maîtrise de la dépense publique préserve les territoires et les Français qui en ont le plus besoin.
Même si, là encore, pour beaucoup de Français, cela semble clair, je souhaite que ce débat puisse aussi nous permettre de prendre conscience de la chance dont nous disposons de pouvoir bénéficier de services publics de qualité. Des services qui, ailleurs, peuvent parfois coûter très cher, et très cher directement.
En France, nous payons des impôts effectivement très élevés. Mais c’est aussi grâce à ces impôts que nous pouvons consacrer, en moyenne, 6 200 euros par an à chaque élève scolarisé à l’école primaire, 8 500 euros à chaque collégien français, 12 000 euros à chaque élève de lycée professionnel, des sommes importantes à la charge de l’État ou des collectivités territoriales et qui relèvent du paiement par les Français de l’impôt et des taxes.
Ce débat, il doit être national et il doit être également territorial, au plus près des Français. Il doit être institutionnel, puisque nous pouvons nous appuyer – et c’est tant mieux – sur des associations, des institutions créées pour faire vivre le débat public, au premier rang desquelles, bien entendu, les deux assemblées parlementaires, mais, au-delà, le Conseil économique, social et environnemental, les institutions régionales qui existent en la matière.
Ce débat, il doit être aussi informel, direct, afin que chacun sache qu’il pourra y prendre part et qu’il pourra être entendu.
Je souhaite que les élus, leurs associations, y prennent toute leur place, que les Français puissent y contribuer, qu’on y parle aussi peut-être de toutes ces dépenses contraintes qui, sans être juridiquement ni des impôts ni des taxes, pèsent au fond au moins autant sur ce qui reste à la fin du mois.
Il est impératif, mesdames, messieurs les sénateurs, que les maires prennent toute leur part dans ce débat. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.) Permettez-moi de profiter de cette tribune pour saluer et remercier ceux d’entre eux qui ont relayé notre message d’apaisement, pour remercier l’Association des maires d’Île-de-France, qui a proposé d’ouvrir des cahiers à destination de ceux des Français qui souhaitent s’exprimer directement, pour remercier aussi les maires ruraux, qui organisent ce samedi une journée « mairie ouverte » pour dialoguer.
Pour moi, la vraie démocratie directe, celle qui permet d’allier proximité et légitimité, c’est bien celle-là.
Les maires sont d’ailleurs, une fois encore, en première ligne sur le terrain pour appeler au calme et répondre à la colère. Certains nous ont demandé des effectifs policiers supplémentaires en prévision de samedi prochain : nous travaillons activement avec ceux qui expriment ces besoins pour pouvoir y répondre dans des conditions satisfaisantes.
Cette lucidité nous a conduits à rechercher l’apaisement. Elle nous conduit aussi à continuer à avancer, à continuer à apporter – tenter d’apporter – des réponses très concrètes, sur mesure, pas toujours très spectaculaires, mais durables, à nos territoires, des territoires dont nous savons tous qu’ils n’ont ni les mêmes atouts ni les mêmes besoins.
C’est ce qui nous a conduits à travailler avec les élus alsaciens pour essayer d’imaginer avec eux une structuration, une évolution permettant de prendre en compte leurs aspirations, mais aussi les aspirations également légitimes des autres élus de la région Grand Est.
C’est ce qui nous a permis de travailler avec les élus, notamment du département des Ardennes, à la constitution et à la construction d’un pacte permettant, là encore, de trouver des solutions concrètes et des moyens pour faire évoluer la situation dans le bon sens.
C’est ce qui nous a conduits à poursuivre l’initiative qui avait été prise dans le bassin minier, en y apportant les financements qui avaient été évoqués, de façon, là encore, à définir sur mesure les besoins des territoires et la réponse de l’État.
C’est ce qui sera inscrit dans le pacte qui liera l’État à la région Bretagne et dans celui qui est en discussion avec les Pays de la Loire.
C’est aussi la raison du déploiement de la police de sécurité du quotidien.
C’est aussi, dans le domaine du raccordement au haut débit, dont nous discutons souvent de la nécessité et de l’urgence qui s’y attachent, le plan d’équipement grâce auquel 2 800 pylônes, depuis janvier dernier, ont reçu les équipements nécessaires pour la 4G avec, vous le savez, un changement de logique dans la relation entre l’État et les opérateurs, qui nous permet d’envisager un équipement plus rapide et plus complet du territoire par rapport à ce qui était initialement prévu.
C’est aussi, dans le domaine de la santé, la suppression du numerus clausus, afin, dans le temps, de faire en sorte que le nombre de médecins augmente. Depuis mai 2017, ce sont 1 500 jeunes médecins qui ont décidé de s’installer dans des zones fragiles.
C’est aussi le remboursement, depuis septembre 2018, de la téléconsultation.
Aucun de ces instruments à lui seul n’est une réponse à des problèmes très vastes et très anciens, mais il nous paraît que ces instruments constituent des éléments de réponse et qu’il faut les évoquer.
C’est aussi le déploiement du plan « Action cœur de ville », qui consacre 5 milliards d’euros à la revitalisation du centre de 222 villes petites et moyennes.
C’est aussi la réorientation de nos investissements des TGV vers les déplacements du quotidien, une réorientation forcément lente et toujours délicate, jamais insensible, notamment pour les territoires qui attendent la construction de ces lignes à grande vitesse, mais qui est nécessaire si nous voulons pouvoir entretenir dans de meilleures conditions les infrastructures qu’utilisent des millions de passagers, si nous voulons essayer de désengorger les métropoles grâce au rail, notamment grâce au rail de proximité, si nous voulons désenclaver les villes ou les territoires ruraux.
Je pense à la RN 164, en centre Bretagne, promise par le général de Gaulle, je crois ; à la RN 122, à Aurillac, qu’Édouard Balladur, me semble-t-il, s’était engagé à construire ; à la RN 88, du Puy-en-Velay vers Mende et Rodez. Je citerai également la RN 2, entre Hirson et Maubeuge, la RN 21 vers Périgueux, ainsi que l’autoroute vers Castres depuis Toulouse.
C’est aussi, et enfin, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi d’orientation sur les mobilités, que vous allez prochainement examiner.
Cette lucidité doit nous conduire à continuer de mieux rémunérer le travail : derrière la question du pouvoir d’achat, il y a celle de la rémunération du travail en France, qui, durant de nombreuses années, n’a pas assez augmenté ou a été grevée par des évolutions, notamment des évolutions d’impôt.
Depuis le mois d’octobre, des millions de salariés ont bénéficié d’une hausse, certes toujours moins importante que celle qu’on espérait, mais réelle de leur salaire net.
Dès le mois de janvier 2019, le SMIC augmentera de 1,8 %. Sur un an, grâce à l’action conjuguée de cette indexation de la baisse des cotisations sociales et de la prime d’activité, la hausse est de l’ordre de 3 % par rapport au 1er janvier 2018.
La hausse de la prime d’activité que nous avons décidée pour avril 2019 amplifiera encore cet effet. Je suis prêt à examiner toutes les mesures qui permettraient d’augmenter les rémunérations au niveau du SMIC sans pénaliser excessivement la compétitivité de nos entreprises.
Les salariés pourront encore gagner plus, grâce à la suppression des cotisations sociales sur les heures supplémentaires.
Vous aurez, mesdames, messieurs les sénateurs, l’occasion d’acter, dans le cadre du projet de loi PACTE, le développement massif de l’épargne salariale, de l’intéressement et de l’actionnariat salarié.
Nous continuerons à nous battre pour l’égalité des chances, parce que la colère qui s’exprime concerne évidemment les fins de mois – et même souvent les milieux de mois –, mais elle concerne aussi l’avenir, celui d’enfants de millions de familles qui ont le sentiment de ne pas avoir les mêmes chances que les autres de réussir.
C’est le sens des mesures de dédoublement des classes dans les réseaux REP et REP+, dont les retours formulés par les élus, les enseignants et les parents sont positifs.
C’est le sens du dispositif « Devoirs faits » au collège, de la scolarisation obligatoire, évoquée prochainement, dès l’âge de 3 ans, qui est une très belle mesure républicaine.
C’est le sens de la réforme de l’apprentissage, dont chacun sait qu’il permet de s’insérer avec plus de facilité dans le monde du travail.
C’est le sens de la refonte de notre système de formation professionnelle, le sens de l’investissement massif dans les compétences que nous souhaitons réaliser.
Cette lucidité nous oblige à continuer de réduire la dépense publique dans notre pays, justement pour pouvoir baisser les impôts. Nous avons vu combien ces deux baisses, parce qu’elles sont liées, sont urgentes.
En 2017, la France a réduit ses déficits et elle continuera à le faire. Elle maîtrise la hausse de la dépense publique de l’État. Grâce à l’engagement des élus, elle maîtrise aussi la hausse de la dépense publique locale. Grâce à nos efforts continus, ceux de nos prédécesseurs et ceux de la majorité actuelle, nous allons pouvoir voter un budget de la sécurité sociale à l’équilibre.
Ces tendances encourageantes sont le fruit d’efforts collectifs – en vérité moins ceux de majorités successives que ceux des Français – passés, présents, nationaux et locaux.
Depuis le mois d’octobre, des millions de contribuables ont bénéficié d’une baisse de 30 % de leur taxe d’habitation, une taxe que beaucoup d’entre nous disaient, à juste titre, injuste, une taxe que beaucoup d’entre nous dénonçaient depuis des années, et que nous allons supprimer par tranches successives en en compensant la charge, comme c’est bien naturel – et c’est surtout constitutionnel –, à l’euro près pour les collectivités.
Nous avons choisi aussi de réduire et de simplifier la fiscalité sur le capital. Parce qu’il s’agissait d’un engagement pris au moment de la campagne présidentielle puis de la campagne législative devant les Français. Parce que nos entreprises ont besoin de capital pour se développer. Parce que notre pays a besoin d’investisseurs, nationaux et étrangers. C’est un choix de stratégie économique totalement annoncé et totalement assumé.
Ce choix, je l’ai dit hier, nous sommes prêts à l’évaluer. Nous n’avons pas peur de ce débat, nous pensons qu’il est nécessaire et nous croyons même qu’il permettra de documenter, de démontrer le bien-fondé de ce choix.
Cette lucidité nous conduit à poursuivre ce combat indispensable en faveur de solidarités bien réelles.
Ce ne sont pas forcément les mesures dont on parle le plus. Pourtant, nous savons que ce sont souvent celles qui changent la vie dans les faits : la revalorisation de tous les minima sociaux, bien entendu ; la mise en place du tiers payant pour le complément de mode de garde au 1er janvier 2019 ; l’offre de petits déjeuners dans les zones REP+ ; les repas à 1 euro dans les cantines des communes rurales qui ne disposaient pas de ce service ou ne pouvaient pas l’offrir ; la possibilité pour tous les Français, à partir de 2019, et de manière progressive, de bénéficier d’une prise en charge à 100 % de leurs lunettes, de leurs frais dentaires ou de leurs prothèses auditives, autant de dépenses souvent très lourdes qui ne pèseront plus sur le pouvoir d’achat.
Là où la lucidité commande de faire différemment, la même lucidité commande de poursuivre les grandes transformations, parce que toutes ces transformations apportent une réponse, parfois de court, parfois de moyen, parfois de long terme aux préoccupations qui s’expriment.
Avant que le débat ne s’engage, je voudrais dire, mesdames, messieurs les sénateurs, un mot des violences que nous avons déplorées et de la sécurisation des probables manifestations de samedi prochain.
Mes premiers mots seront d’abord pour nos forces de l’ordre. Ces hommes, ces femmes ont été les victimes d’un incroyable déchaînement de violence dont, bien souvent, le but était d’attaquer, de blesser, parfois même de tuer.
Ces hommes, ces femmes ne sont pas simplement des représentants de la République. Ne seraient-ils que des représentants de la République, ce serait déjà une immense fierté. Ils ont été, samedi, les gardiens de la République, les incarnations de la République, les défenseurs de la République. Je veux leur dire, en mon nom propre, au nom de l’ensemble du Gouvernement et, je crois, au nom de l’ensemble de la Nation, ma reconnaissance, mon admiration face à leur sang-froid, face à leur professionnalisme. (Mmes et MM. les sénateurs, parmi lesquels certains se lèvent, du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain applaudissent longuement. – Mme Michelle Gréaume applaudit également.)
Permettez-moi de remercier également l’administration et les services judiciaires, qui se sont mobilisés pour apporter des réponses pénales rapides et fermes aux délits commis samedi dernier.
Je voudrais aussi, mesdames, messieurs les sénateurs, redire mon dégoût en découvrant les images du saccage de l’Arc de Triomphe. Ce dégoût, des millions de Français l’ont ressenti dans leur chair, tout comme ils condamnent les menaces ou les agressions contre les représentants de la Nation, élus ou fonctionnaires. Nous en retrouverons les auteurs ; ils seront traduits en justice et, je l’espère, sévèrement punis.
Depuis le début des contestations, nous n’avons jamais interdit de rassemblement. Cela étant, les événements de samedi dernier doivent nous conduire à faire preuve de la plus grande prudence et de la plus grande détermination. C’est pourquoi le ministre de l’intérieur a invité celles et ceux qui envisageaient de se rendre à Paris samedi prochain pour manifester à ne pas le faire.
Il s’agit non pas de leur interdire de s’exprimer, mais d’éviter qu’ils ne tombent dans le piège que leur tendent les casseurs.
Pour y faire face, le Gouvernement va mobiliser des moyens exceptionnels, qui s’ajouteront aux 65 000 forces de sécurités déployées dans toute la France. Nous continuerons à interpeller et à traduire en justice toute personne prise en flagrant délit de violences ou de dégradations. Nous continuerons à faire preuve de la plus grande fermeté. Nous nous battrons contre la haine, qui s’exprime dans une incroyable violence.
Mesdames, messieurs les sénateurs, dans la situation à laquelle nous faisons face, le devoir de lucidité et de responsabilité s’impose à tous : aux membres du Gouvernement, aux élus nationaux et locaux, aux responsables des formations politiques, aux commentateurs, aux éditorialistes, aux citoyens, à tous. Il s’impose à tous, parce que la liberté va toujours de pair avec la responsabilité.
Je voudrais profiter de cette tribune pour saluer tous ceux qui ont lancé ou relayé cet appel au calme : les organisations syndicales, les associations, des élus nationaux, quelles que soient les formations politiques dont ils sont membres et quelle que soit leur position face au Gouvernement. Ils ont dit que leur responsabilité était d’appeler au calme et à ne pas manifester samedi. Cette responsabilité les honore, et je voudrais dire combien elle les grandit.
En France, dans cet hémicycle, comme dans toutes les rues, c’est la République qui doit avoir, toujours, le dernier mot ; elle est notre chose commune. Puisque nous l’aimons, nous devons la préserver ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. Acte est donné de la déclaration du Gouvernement. Nous allons maintenant procéder au débat sur la déclaration du Gouvernement.
Dans le débat, la parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, notre pays traverse l’un de ces moments de fièvre politique qui ont émaillé son histoire. Nul ne saurait s’en réjouir, hormis ceux qui font toujours du tumulte, de la division et de la haine leur fonds de commerce électoraliste.
Alors que le peuple s’exprime avec force, parfois avec violence, il est de notre devoir d’élus d’en comprendre les raisons. Et d’y répondre avec sincérité et responsabilité, avant que les excès de fièvre ne cassent irrémédiablement le thermomètre de la démocratie. Cette réponse, justement, doit être d’abord politique. Et le Sénat doit y avoir toute sa place.
Toutefois, il y a, à notre sens, un préalable absolu : le maintien de l’ordre républicain. Les dérapages quasi factieux qui se sont déroulés la semaine dernière sont intolérables. Ils appellent une réponse ferme de la justice. Mon groupe salue l’engagement et le dévouement de nos forces de l’ordre sur l’ensemble du territoire national. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur des travées du groupe La République En Marche. – M. Loïc Hervé et Mme Sophie Joissains applaudissent également.) J’insiste : force doit être donnée aux lois de la République et au respect de l’ordre public.
Monsieur le Premier ministre, nous le savons, nos démocraties occidentales subissent, aujourd’hui, la pression croissante de forces contradictoires qui veulent mettre à bas l’héritage des Lumières. Nous devons prendre très au sérieux ce qui se passe aux États-Unis, en Italie, en Pologne ou en Hongrie, pour ne citer que ces pays.
À cela s’ajoute la mutation de l’information, sous l’effet des réseaux sociaux et des chaînes d’information en continu.
Mme Françoise Laborde. Eh oui !
M. Jean-Claude Requier. Jamais l’information n’a circulé aussi vite. Jamais elle n’a subi autant de déformations. Jamais non plus elle n’a autant défié notre socle démocratique, avec des risques de sur-réactions de certains de nos concitoyens.
Pour autant, la crise que nous vivons ne ressemble à aucune autre, car elle se rattache à l’un des plus grands défis de l’humanité. À l’instar de l’immense majorité de nos concitoyens, mon groupe est convaincu depuis longtemps de la menace que fait peser le réchauffement climatique sur l’homme, ainsi que de l’urgence d’une transition écologique et énergétique. C’est aussi notre modèle de croissance qui doit être interrogé, tout comme la redistribution des richesses.
Sans doute cette transition appelle-t-elle aussi à imaginer cet avenir à l’échelle de nos concitoyens, afin qu’ils deviennent des acteurs pleinement conscients de cette transformation profonde.
Oui, le besoin de réformer est une évidence ! Néanmoins, réussir à réformer suppose d’user de pragmatisme et de simplicité. Dans le respect de chacun, l’écoute et l’attention, pour répondre aux besoins quotidiens.
Il est vrai que les revendications d’une grande partie des « gilets jaunes » sont hétéroclites, pour ne pas dire parfois contradictoires. On ne peut pas réclamer dans le même souffle la baisse des impôts et davantage de services publics. Mais il est certain qu’il faut donner l’attention nécessaire à ceux qui souffrent et veulent vivre dignement de leur travail ! En revanche, nous déplorons que la parole soit donnée sur des plateaux de télévision à ceux qui appellent à la sédition et au coup de force. (Mme Françoise Laborde approuve.)
Nous voyons encore dans cette crise le symptôme de la déconnexion qui s’est progressivement installée entre gouvernants et citoyens. La fiscalité écologique cédera la place demain à un autre sujet sans doute, car cette crise ne se résoudra pas en quelques semaines.
Vous avez déjà annoncé un certain nombre de mesures, que nous considérons pour notre part comme nécessaires, mais insuffisantes : suppression de la hausse de la fiscalité des carburants – le Sénat l’a fait en premier –, gel de l’augmentation des prix du gaz et de l’électricité, suspension du nouveau contrôle technique automobile.
Vous souhaitez également lancer avec la Commission nationale du débat public un grand débat « national et local », « institutionnel et informel », selon des « formules de représentation innovantes », consacré aux grandes questions qui préoccupent les Français. Nous en prenons acte.
Mais nous notons surtout que le Sénat, et mon groupe en particulier, travaille sur ces questions depuis longtemps sans être dans la posture ou le tweet permanent. Nous cherchons d’abord à répondre aux besoins spécifiques des territoires, dans leur diversité. Non, tout le monde n’a pas vocation à créer une start-up ! Pas plus que le numérique ne doit devenir l’alpha et l’oméga de toute réforme. Pensez aux zones qui attendent encore la 1G, c’est-à-dire le téléphone portable ! (Sourires.) Cessons de ne donner la parole qu’aux financiers ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Mon groupe a toujours privilégié le dialogue à la verticalité du pouvoir. Pour nous, l’empathie, c’est-à-dire le fait d’aimer les gens, est une méthode de gouvernement, sans doute parce que nous sommes tous élus locaux et fiers de l’être. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – M. Bernard Buis applaudit également.)
Il faut donc réhabiliter les corps intermédiaires : élus locaux, syndicats, monde associatif, eux qui sont en prise avec les forces vives de la Nation. Redonnons à leur voix toute sa vigueur !
Il faut aussi écouter ces Français qui subissent la fracture territoriale, laquelle s’amplifie depuis trop longtemps. Eux qui ont l’impression de ne même plus exister vu de Paris. Eux qui subissent le recul continu de l’accès aux services publics. Eux qui ont vécu l’instauration technocratique du 80 kilomètres à l’heure comme un oukase surréaliste. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – M. Vincent Éblé applaudit également.) Eux qui n’ont que leur voiture pour se déplacer et aller travailler. Dans le monde rural, on a plus besoin de voitures que de trottinettes électriques. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Il faut comprendre ces retraités à faibles revenus à qui l’on a brutalement annoncé qu’ils devraient changer leur chaudière à fioul, mais à qui aucune banque ne prêtera l’argent nécessaire. (Mme Brigitte Lherbier applaudit.)
Il faut encore, monsieur le Premier ministre, que la technostructure fasse montre d’un peu moins de certitudes et d’un peu plus d’humilité. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Nous constatons aujourd’hui les effets de décisions bureaucratiques complètement déconnectées des réalités. Aimer les gens n’est pas une incongruité ; c’est le devoir des personnes en responsabilité. (Très bien ! et applaudissements sur plusieurs travées.)
Vous l’aurez compris, nous appelons de nos vœux des mesures pragmatiques et simples, qui répondent aux problèmes de nos concitoyens et que ces derniers pourront immédiatement s’approprier : valorisation du travail, accès aux services publics, mobilités, fiscalité, protection sociale… Ces sujets mobilisent les Français, mais n’y répondons pas par une énième structure technocratique.
Les constats sont connus : allons au but ! Pour cela, vous pourrez toujours compter sur les élus locaux et les parlementaires, le Sénat en particulier.
Comme l’écrivait Pierre Mendès France, « la démocratie est d’abord un état d’esprit ». Le groupe du RDSE, dans toutes ses expressions, est fier de porter chaque jour cet état d’esprit ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe. (Exclamations sur de nombreuses travées.)
M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, dix-huit mois après son élection, le chouchou, pour ne pas dire le joujou, de la finance, celui que la presse avait déifié, celui qui avait fait de ses adversaires acharnés de doux ministres flagorneurs, celui qui ne pouvait plus seulement présider, mais qui s’apprêtait à régner, ce Président tout puissant, est aujourd’hui contraint de fuir la France en colère !
Mais qu’a-t-il bien pu se passer pour que des Français qui n’avaient jamais manifesté descendent dans la rue, pour y crier « Macron démission ! » ? Cet effondrement est la conséquence de trois hausses : tout d’abord, la hausse des insultes par celui qui était censé être le protecteur des Français, qu’il qualifiait tour à tour d’« illettrés », de « fainéants », de « cyniques », d’« extrêmes », de « Gaulois réfractaires au changement » et même de « lépreux » , pour 11 millions d’entre eux ; ensuite, bien entendu, la hausse des taxes et des prélèvements en même temps que la baisse des prestations et la disparition des services publics, et, au nom de la transition écologique, la hausse vertigineuse des taxes sur les carburants, qui représentent 60 % du prix du litre à la pompe ; enfin, la hausse du mépris envers un mouvement populaire, apolitique et pacifique. (Exclamations sur de nombreuses travées.)
Mme Patricia Schillinger. Oh, ça suffit !
M. Stéphane Ravier. La contestation est devenue lame de fond.
Qui sème l’insulte, l’appauvrissement et le mépris récolte la colère ! La colère d’un peuple qui n’arrive plus à vivre. Beaucoup de nos compatriotes sont contraints de puiser dans leur épargne modeste pour survivre. Des millions de Français que votre politique ultralibérale a jetés sur le bas-côté, sur la bande d’arrêt d’urgence sociale et qui n’ont pas d’autre choix que de porter ce gilet jaune, signe extérieur de détresse ! Colère légitime de millions de Français qui travaillent, qui paient leurs impôts et vos taxes. Des Français qui constituent le « peuple central » méprisé par le pouvoir central.
Ces Français ne sont ni les « très aidés », où l’on retrouve les bataillons de l’immigration (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.),…
M. David Assouline. Le fascisme est là ! « Présent » !
M. Stéphane Ravier. … ni les « très aisés », qui bénéficient de tous les cadeaux fiscaux de votre gouvernement.
Ces Français en colère que vous n’avez pas vus venir, ce sont ces salariés, ces artisans, ces commerçants, ces fonctionnaires, ces chômeurs, ces jeunes, ces retraités… Tous ces Français qui sont sur les Champs-Élysées, ce sont les mêmes que l’on a vus devant l’église de la Madeleine l’année dernière. La France des « gilets jaunes », c’est la « France Johnny Hallyday » ! (Exclamations sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. David Assouline. Eux paient leurs impôts en France !
M. Stéphane Ravier. C’est la France enracinée, la France qui ne demande qu’à travailler et à vivre des fruits de son travail. (Exclamations sur les mêmes travées.)
M. David Assouline. C’est une honte !
M. Stéphane Ravier. C’est la France périphérique, la France des terroirs et des clochers, qui est obligée de parcourir des dizaines de kilomètres pour aller travailler ou pour chercher du travail, faute d’en trouver en traversant la rue ! C’est cette France contrainte de payer des taxes en même temps qu’elle voit disparaître les services publics de proximité, engloutis par la politique de la ville, dont la carte ressemble étrangement à celle de l’immigration ! (Protestations et huées sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme Éliane Assassi. Il faut arrêter de raconter n’importe quoi, monsieur Ravier !
M. Stéphane Ravier. C’est cette France qui, d’habitude, se tait, mais qui crie aujourd’hui qu’elle ne veut pas mourir et que vous avez tenté en vain de décrédibiliser !
Alors, si l’on suit votre logique du pollueur-payeur, pourquoi ne pas avoir taxé les plus gros pollueurs que sont les compagnies aériennes et les compagnies de navigation ? Avions et super porte-conteneurs polluent bien davantage que toutes les voitures du monde ! Mais, fidèle à sa ligne et à ses amis de l’hyperclasse, Emmanuel Macron protège les forts et matraque les faibles.
Vous allez taxer les Français en assénant qu’ils seraient responsables du réchauffement climatique, alors que nous n’émettons que 0,9 % du total des émissions de gaz à effet de serre : l’Allemagne en émet deux fois plus, et la Chine… trente fois plus !
En réalité, monsieur le Premier ministre, vous tentez de culpabiliser les Français pour mieux les racketter, car il faut tenir les engagements que vous avez pris devant Bruxelles. Alors, tout est bon, même les plus gros bobards : « Passons au tout-électrique, et nous sauverons la planète. » Or la production de voitures électriques est plus polluante que celle de véhicules à essence ; la production et le recyclage des batteries constituent une hérésie écologique et nous mettront de plus sous dépendance économique chinoise.
Non seulement votre transition écologique est une imposture, mais en plus elle ruine nos compatriotes.
M. David Assouline. On se demande bien de qui vous êtes le porte-parole !
M. Stéphane Ravier. Vous taxez les Français, réduisez leurs pensions, leurs allocations, comme ce sera bientôt le cas avec la réforme de l’allocation logement, qui touchera 1,2 million de Français. Certains bénéficiaires perdront jusqu’à 1 000 euros par an.
Emmanuel Macron estimant que les minima sociaux coûtent « un pognon de dingue », il sabre, il supprime… Et c’est ce même Emmanuel Macron qui s’apprête à signer le Pacte mondial de Marrakech, pacte qui fera de l’immigration un « droit de l’homme » qu’il sera impossible de contester. (Protestations et huées sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme Cécile Cukierman. Ça suffit !
M. Stéphane Ravier. Il s’agit là, ni plus ni moins, d’accélérer le processus de submersion et de ruine de notre pays par des millions d’individus qu’il faudra assister en tout, car démunis de tout ! (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. David Assouline. Menteur !
M. Stéphane Ravier. Vous surtaxez les Français en leur disant qu’il faut faire des sacrifices et, dans le même temps, vous faites savoir à toute la misère du monde qu’elle trouvera en France de quoi être logée, soignée, éduquée et formée : c’est complètement délirant et suicidaire !
Nous vous invitons à tourner la page de l’ultralibéralisme au profit d’un modèle national et protecteur. (Mmes et MM. les sénateurs du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste frappent vivement sur leur pupitre. – Brouhaha.)
M. le président. Il faut conclure, monsieur Ravier.
M. Stéphane Ravier. Produisons, consommons (Mmes et MM. les sénateurs du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste frappent de plus en plus vivement sur leur pupitre pour couvrir la voix de l’orateur. – Brouhaha.)…
M. le président. Il faut conclure, monsieur Ravier.
M. Stéphane Ravier. Difficile de lire dans ces conditions, monsieur le président !
M. le président. Concluez !
M. Stéphane Ravier. Produisons, consommons et retraitons local ! (Des sénateurs du groupe La République En Marche se joignent à ceux du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste pour frapper encore plus vivement sur leur pupitre. – Brouhaha.)
M. le président. Encore dix secondes !
M. Stéphane Ravier. Comme la moitié des pays d’Europe, comme les États-Unis, ne signez pas les accords de Marrakech, supprimez l’AME…
M. le président. Concluez !
M. Stéphane Ravier. … et toutes les pompes aspirantes de l’immigration ! (« Trois, deux un, zéro : c’est fini ! » sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, dont les membres ne cessent de frapper sur leur pupitre. – Brouhaha.)
M. le président. Concluez !
M. Stéphane Ravier. Vous pourrez ainsi augmenter le pouvoir d’achat de nos compatriotes. (Mêmes mouvements.) Je conclus, monsieur le président.
M. le président. Concluez maintenant !
M. Stéphane Ravier. En mettant un terme à votre violence fiscale et vos injustices sociales, vous ferez enfin cesser cette violence inadmissible… (Le micro de l’orateur est coupé.)
M. Loïc Hervé. Ça fait du bien quand ça s’arrête !
M. Rachid Temal. Au revoir !
M. Martin Lévrier. Par ici la sortie !
M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Hervé Marseille. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, au moment où nous engageons ce débat, ici, au Sénat, l’atmosphère est étrange. Elle est pesante, insaisissable, souvent inquiétante. Nous avons le sentiment presque d’une veillée d’armes. Certains jettent de l’huile sur le feu, comme on vient de le voir, tandis que le Gouvernement est amené à réviser la doctrine d’emploi des forces de l’ordre.
Comment a-t-on pu en arriver là ? À une France aussi fracturée, parfois désespérée, souvent colérique ? Comment a-t-on pu voir profaner la tombe du Soldat inconnu et saccager l’Arc de Triomphe ? À mon tour, je m’associe à l’hommage rendu par M. le Premier ministre aux forces de l’ordre et aux sapeurs-pompiers, à leur courage, à leur maîtrise, à leur professionnalisme. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
Monsieur le Premier ministre, oui, votre gouvernement a eu raison d’engager des réformes trop longtemps repoussées. Oui, votre gouvernement a raison de vouloir une Europe plus protectrice. Nous subissons non pas trop d’Europe, mais une insuffisance de volonté, de réactivité et d’ambition européennes. (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe La République En Marche.) Oui, votre gouvernement a eu raison de mettre en évidence l’urgence climatique.
Malheureusement, derrière ces intentions louables, il y a eu beaucoup d’erreurs de jugement et de maladresses ! Je n’en ferai pas la liste. Beaucoup s’en sont déjà chargés. Chaque critique est fondée, légitime, sauf peut-être lorsque ceux qui ont le plus rempli la cruche sont aujourd’hui ceux qui dénoncent avec le plus de cynisme les dernières gouttes versées. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Martin Lévrier applaudit également.)
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Exactement !
M. Hervé Marseille. Le rejet de nos institutions se nourrit aussi de ces comportements médiocres. La France, malheureusement, n’a pas l’exclusivité de telles manifestations. Voyez ce qui s’est passé en 2013 en Italie, avec le mouvement des « fourches » – Forconi –, qui a ensuite donné lieu à l’existence du Mouvement 5 étoiles, et vous connaissez la suite.
L’urgence est absolue. Au-delà de l’impact à l’étranger et du coût économique, un nouveau samedi de chaos nous rapproche d’un bilan dramatique. Le vandalisme, le déchaînement de violences y conduisent. Les réactions de peur et d’autodéfense y mènent tout autant.
Dans ce contexte, la question d’un abandon des nouvelles taxes carburant ne se posait même plus. Le Sénat les avait supprimées. Il est dommage de ne pas nous avoir écoutés dès l’an dernier. (Eh oui ! et applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.) Un freinage à temps aurait mieux valu qu’une sortie de route !
Ce sont des annulations, et le problème du pouvoir d’achat demeure entier. Au demeurant, le problème de l’annulation des hausses sur l’électricité va se poser dramatiquement ; on sait quelle est la doctrine du Conseil d’État en la matière, et il y aura rattrapage.
La crise doit désormais offrir l’occasion de repartir sur de nouvelles bases.
Notre expérience d’élus locaux conduit à quelques certitudes : les réformes doivent avoir un sens ; le ressenti est aussi important que la réalité ; l’égalité des chances à long terme ne peut compenser l’injustice sociale immédiate ; le discrédit partiel des corps intermédiaires ne peut justifier la verticalité de l’exercice du pouvoir ; enfin, les responsabilités de vos prédécesseurs ne vous exonèrent pas de vos propres erreurs.
Ce n’est pas parce que vous avez trouvé des dettes publiques considérables, des prélèvements excessifs, des déficits extérieurs et une compétitivité des entreprises en berne que vous aviez le champ ouvert à toutes les impulsions de la majorité.
Mme Sophie Primas. Très bien !
M. Hervé Marseille. Monsieur le Premier ministre, les réformes structurelles produisent des ennuis tout de suite et des dividendes différés. C’est bien pourquoi autant de gouvernements ont aussi souvent renoncé. Ne soyons pas hypocrites ! Vous en avez lancé. C’est à porter à votre crédit.
L’insuffisance du pouvoir d’achat est une source terrible de frustration et de colère. Beaucoup de salariés, d’artisans, de travailleurs indépendants, d’agriculteurs témoignent en ce sens depuis des semaines. C’est une désespérance, une humiliation qui se renouvellent chaque mois pour des millions de Français, renforcées par l’indécence de certains revenus ou de comportements issus d’un capitalisme outrageusement financiarisé.
Une réponse doit être adressée immédiatement à ces Français qui expriment leurs difficultés quotidiennes.
Notre groupe propose ainsi de diminuer immédiatement le taux d’imposition de l’impôt sur le revenu sur les deuxième et troisième tranches, celles des revenus modestes et des classes moyennes. Nous proposons également l’exonération des heures supplémentaires pour les salariés aux faibles revenus. Ces mesures peuvent être partiellement compensées par un relèvement de la contribution exceptionnelle sur les très hauts revenus.
La baisse des aides personnalisées au logement a été vécue difficilement par leurs bénéficiaires. Il faut absolument les revaloriser.
Monsieur le Premier ministre, les symboles sont cruciaux. Ils comportent une part d’injustice, mais ils sont ainsi, plus encore depuis l’avènement des réseaux sociaux et des chaînes d’information en continu. Nous avons connu le Fouquet’s, nous avons connu Leonarda ; il y a désormais le « président des riches ».
Votre gouvernement assume que la réussite des uns doit également servir de bienfaits aux autres. Ce raisonnement se défend, et vous avez raison d’essayer, puisque tout le reste a échoué.
Cependant, la mise en œuvre compte autant que la justesse de l’intention. Alors que notre société est assaillie par la précarisation, par la peur du déclassement, il faut mettre sous conditions ce que nos compatriotes ressentent comme des cadeaux accordés aux plus favorisés. Leur légitimité doit reposer sur une utilité sociale probante.
Les entreprises ont été fiscalement matraquées au début de la décennie. Souvenons-nous du mouvement des « pigeons » ! L’ampleur des dégâts a ensuite conduit à diminuer leurs charges. Il s’agit aujourd’hui que les mesures prises en leur faveur soient évaluées, mais également assujetties à des obligations sociales. Les aides ne sont pas faites pour augmenter les rémunérations des dirigeants ou les dividendes. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain.)
M. Michel Vaspart. Très bien !
M. Hervé Marseille. On l’a vu encore voilà peu chez Vallourec : après avoir distribué de nombreux dividendes, l’entreprise se tourne de nouveau vers la BPI pour solliciter des aides. Les aides sont faites pour augmenter les investissements, préserver les emplois, puis augmenter les salaires.
Pour nous, le montant de l’impôt payé par les entreprises ne doit plus être unique. Il doit être variable en fonction du respect d’un partage équilibré des excédents d’exploitation.
L’optimisation fiscale des grands groupes est devenue insupportable, financièrement et moralement. Ces entreprises s’enrichissent sur le dos des États en ne contribuant en rien à une prospérité dont leurs produits ou services profitent à plein.
L’Europe doit en terminer avec la règle de l’unanimité pour faire évoluer les dispositions fiscales européennes. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.) On ne peut pas construire une Europe solidaire en maintenant une faculté de veto aussi ouverte. On le voit avec le piteux accord sur les GAFA. La règle de la majorité qualifiée doit progressivement s’imposer. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
Dans le schéma du Gouvernement, la suppression de l’ISF était cohérente. Au demeurant, chacun d’entre nous se souvient que nous étions nombreux à l’avoir demandée sur ces travées. Mais abandonner cette icône aurait dû être accompagné par un symbole tout aussi fort : celui d’une contribution des plus aisés au développement de nos petites et moyennes entreprises, principales sources des créations d’emplois à venir. (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste.) Au demeurant, on voit aujourd’hui que de nombreux chefs d’entreprise demandent à pouvoir donner 10 % de leurs ressources en direction de fondations ou d’institutions. Faisons en sorte d’exaucer leurs vœux, monsieur le Premier ministre.
Le sentiment d’injustice repose aussi sur l’accumulation de dispositifs dérogatoires et illisibles, ainsi que sur l’ampleur des fraudes fiscales et sociales. Rien n’est plus dévastateur que de compter un à un ses euros lorsque d’autres trichent sans vergogne ou abusent sans scrupule. La lutte contre ces fraudes doit être non pas un slogan, mais une priorité. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains.)
Le sujet central est pourtant celui de la réforme de l’État et des politiques publiques. Il n’y a que sous cet angle que nous pourrons diminuer la dépense publique. Trop d’impôts et trop de prélèvements pour trop peu de résultats. Ce n’est pas la charge qui est choquante ; c’est le décalage entre son importance et l’insuffisance des résultats produits. La table rase dont rêvent certains est un fantasme. Néanmoins, on ne réforme pas sans écoute, sans considération et sans relais d’opinion. Plutôt que de contourner ces supposés enquiquineurs, il faut les revivifier. Ce n’est pas une conviction ; c’est une certitude sur laquelle nous vous avons maintes fois alerté.
La versatilité des peuples rend illusoire la démocratie directe. Au pays des injonctions contradictoires, il faut des enceintes de dialogue et de hiérarchisation des priorités. Des réformes subies font éclore le seul ressentiment.
Nous qui avons tous été élus locaux savons qu’on ne révise pas un plan local d’urbanisme seulement avec une poignée d’élus dans un conseil municipal. (Très bien ! sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. Loïc Hervé. C’est bien vrai !
M. Hervé Marseille. La limitation de la vitesse à 80 kilomètres par heure est à cet égard, le président Requier l’a dit, l’illustration d’une méthode cauchemardesque. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.) L’intention est bonne. Elle est louable. Mais la décision est venue du sommet : zéro concertation, zéro adaptation aux réalités de terrain, zéro confiance aux élus locaux et refus de l’expérimentation localisée. Avec, au final, une incompréhension générale, alimentant une grogne qui n’en avait pas besoin.
Monsieur le Premier ministre, face à ce défi global des réformes, comment faire pour que l’impulsion ne se perde pas dans les sables mouvants de la concertation et de la consultation ?
Nous proposons d’introduire dans notre droit une plus large ouverture aux consultations populaires. Nos référendums sont binaires et tardifs. Le peuple ne peut répondre que par oui ou non à un projet totalement ficelé, dans un contexte de dramatisation où la réponse est moins liée au sujet qu’à celui qui la pose. L’exécutif, national ou local, doit pouvoir interroger les Français sur une intention et leur permettre de manifester leur préférence pour une option parmi d’autres. S’il fallait schématiser, ces consultations seraient un sondage citoyen avec une question à choix multiples. Après un large débat tranché par un vote, charge ensuite de légiférer selon l’option privilégiée.
Monsieur le Premier ministre, l’élection d’Emmanuel Macron incarnait l’acceptation et même la demande d’une large remise à plat de nos politiques et de notre gouvernance, sans tabou, en dehors de toute approche dogmatique. Nous lui avons souvent tendu la main, ici, au Sénat, et l’avons alerté de manière constructive et loyale.
Dans une période aussi volatile, je suis convaincu que le Sénat conservera cette attitude responsable, comme un gage de la stabilité nécessaire des institutions qui constitue la force de notre pays.
Monsieur le Premier ministre, les mesures annoncées, ou du moins leur annulation, vont coûter un peu plus de 4 milliards d’euros. Aujourd’hui, nous aimerions savoir quelle est désormais la ligne du Gouvernement, quelle est sa politique, quelles sont les réformes qu’il va nous proposer.
M. Xavier Iacovelli. Rétablir l’ISF ? (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Hervé Marseille. En quelques jours, on est passé d’une ligne à une autre. Dimanche, on tenait le cap ; mardi, on était dans le moratoire ; mercredi, vous avez annoncé que ce moratoire pouvait se muer en annulation, et le Président de la République l’a confirmé par un communiqué hier soir. Quelle est aujourd’hui la ligne du Gouvernement que vous proposez à notre Haute Assemblée d’apprécier ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Les Républicains et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Claude Malhuret. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, la France est le plus révolutionnaire des pays conservateurs. Et la crise politique et sociale qui nous guette depuis trente ans est arrivée. Cette colère, tous autant que nous sommes, nous l’avions sentie venir, dans nos campagnes, dans nos quartiers, dans nos territoires. Pourtant, année après année, nous n’avons pas su relever le défi : par lâcheté, peut-être ; par faiblesse, sûrement ; par renoncement, c’est certain.
M. Julien Bargeton. Bravo !
M. Claude Malhuret. Nous n’avons pas réformé alors que tous les autres autour de nous réformaient. En punition, nous avons eu le pire des deux mondes : plus de dépenses publiques et moins de services publics ; plus de dette et moins de justice ; plus de mots et moins d’actes.
Les événements nous mettent au pied du mur. Allons-nous sortir de cette crise, comme de tant d’autres auparavant, avec un rafistolage qui ne changera rien ? Ou allons-nous profiter de cet électrochoc pour poser enfin, et résoudre, le sujet essentiel, soigneusement mis de côté depuis des années ?
Allons-nous continuer la politique du chien crevé au fil de l’eau, de toujours plus de taxes et de toujours plus de dépenses ? Ou allons-nous enfin arriver à faire, dans notre pays recordman du monde de la fiscalité, ce que plusieurs de nos voisins ont réussi, c’est-à-dire l’optimisation et la rénovation profonde de la dépense publique et des services publics, seul moyen de parvenir à la baisse des impôts, donc à la hausse du pouvoir d’achat réclamée aujourd’hui ?
M. Pierre Laurent. C’est la même crise dans toute l’Europe !
M. Claude Malhuret. Êtes-vous favorable à la hausse des impôts ?
M. David Assouline. On est pour les services publics !
M. Claude Malhuret. Ce défi concerne le Gouvernement comme le Parlement.
Il concerne le Gouvernement, tout d’abord. Cette grande consultation que vous annoncez, monsieur le Premier ministre, vous devez vous assurer qu’elle sera suivie d’effets. Si ce Grenelle de la fiscalité et de la transition écologique devait déboucher sur l’application de la formule de Queuille, « la politique, ce n’est pas de résoudre les problèmes, mais de faire taire ceux qui les posent », si elle devait consister à noyer le poisson, à mettre la tête dans le sable en attendant des jours meilleurs, alors la colère d’aujourd’hui ne sera rien en comparaison de celle qui saisira les Français, qui, depuis longtemps, n’en peuvent plus des autruches !
Si, au contraire, vous saisissez cette occasion que l’histoire vous présente, alors peut-être avez-vous une chance, dans des conditions difficiles, de réformer vraiment ce pays qui crève de ne pas avoir été réformé.
Quant à nous, parlementaires, notre responsabilité n’est pas moindre. Si notre participation au débat n’est que l’occasion, comme je l’ai déjà entendu depuis plusieurs jours, de faire des propositions démagogiques et contradictoires, du genre baisse des impôts couplée à une augmentation des dépenses, ce qui revient à essayer de soulever un seau alors qu’on a les deux pieds dedans (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.), s’il s’agit demander la démission du Président de la République depuis un trottoir des Champs-Élysées ou la dissolution de l’Assemblée nationale par ceux qui rêvent d’un Grand Soir, croyant qu’ils ont rendez-vous avec l’histoire alors qu’ils n’ont rendez-vous qu’avec le journal de TF1 (Mêmes mouvements.), je ne crois pas que les Français nous pardonneraient de prendre en otage nos institutions et d’aboutir à un nouveau quinquennat pour rien.
Dans tous les cas, il y a une responsabilité que Gouvernement et Parlement partagent. C’est celle de retrouver leurs prérogatives. Chacun a le droit d’aimer ou de ne pas aimer les « gilets jaunes », chacun a le droit de soutenir leurs revendications ou de les trouver confuses et irréalisables, chacun a le droit de penser qu’on peut bloquer les routes ou, comme c’est mon cas, d’être allergique aux atteintes à la liberté d’aller et venir. Mais, à la fin des fins, dans une démocratie représentative, la loi se fait au Parlement et pas sur les ronds-points ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe La République En Marche et du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.) Pour les mêmes raisons, il est préférable dans une démocratie de mettre des bulletins dans les urnes que des pierres dans les vitrines.
Mme Valérie Létard. C’est vrai !
M. Claude Malhuret. Pourquoi est-ce que je dis ça ? Parce que je voudrais que, dans cet hémicycle, nous nous interrogions avec gravité, mes chers collègues, sur le fait que l’une des premières revendications du mouvement actuel, nous l’avons tous entendue, était la suppression du Sénat.
M. Ladislas Poniatowski. Ce n’est pas la première !
M. Claude Malhuret. Allons-nous, ici, nous taire sur ce sujet ? Ne voyons-nous pas ce que cela signifie ? La réalité, c’est que nous sommes pris entre deux feux : d’un côté, un Président de la République qui, dans son obsession de la verticalité, a cru qu’il pouvait enjamber les corps intermédiaires – parlementaires, élus locaux – (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Républicains.) et qui se retrouve aujourd’hui logiquement, ayant fait le vide de ses interlocuteurs institutionnels, en confrontation directe avec une base radicalisée ; de l’autre, un mouvement qui pense que, sans aucune organisation et grâce à Facebook, on peut se passer de la représentation nationale, voire demander sa disparition.
Ce que nous savons, nous, c’est qu’un pays ne peut se diriger par les réseaux sociaux, que chaque jour un peu plus ces mêmes réseaux sont envahis de fake news et de bullshit, que chaque jour un peu plus leur devise semble être : « Je hais donc je suis. »
Ce que nous savons, c’est qu’une situation dans laquelle une base radicalisée s’oppose sans aucun intermédiaire au Gouvernement et au Président de la République, au point qu’un de ses leaders n’a pas hésité hier à appeler à envahir l’Élysée samedi prochain, ne peut se terminer que de deux manières : soit par l’insurrection, soit, en cas de pourrissement, par la dispersion d’un mouvement et l’oubli de ses objectifs, dont il ne resterait pas plus que ce qui reste d’un moineau ayant traversé un ventilateur ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe La République En Marche.)
S’il y a une chose que nous devons rappeler aujourd’hui, ici, dans cet hémicycle, que nous devons rappeler au Président de la République comme aux « gilets jaunes », c’est que, la dernière chose dont la France a besoin, c’est l’affaiblissement du Sénat et, plus généralement, de tous les corps que l’on appelle à tort « intermédiaires » et que l’on ferait mieux d’appeler « indispensables », car ils constituent la colonne vertébrale du pays. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.)
Il me reste un dernier sujet à évoquer, celui des violences, car la crainte de ce qui pourrait se passer samedi prochain est en train de devenir la préoccupation majeure.
Ces violences ne sont pas seulement graves en elles-mêmes.
Elles sont graves, d’abord, par leurs conséquences sur ceux que les casseurs prétendent défendre, ceux qui travaillent dans les commerces ou les entreprises détruits et qui ont les mêmes problèmes de fin de mois que les autres.
Elles sont graves, ensuite, pour l’image de la France à l’étranger, qui est en train, une fois encore, de plonger. (M. Jean-Marie Bockel applaudit.)
Elles sont graves, enfin, par le lieu choisi. L’Arc de Triomphe comme l’Assemblée nationale, le Sénat, la Concorde sont les lieux emblématiques de l’histoire de France ; ce sont les symboles de la mère patrie. Taguer l’Arc de Triomphe, casser ses bas-reliefs, dévaster son intérieur, c’est comme donner une gifle à sa mère.
Ceux qui sont capables de faire ça, et je ne les confonds pas, bien sûr, avec l’ensemble des « gilets jaunes », ne sont pas seulement des casseurs, ils ne dégradent pas uniquement un monument, ils dégradent aussi notre identité nationale ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
C’est la raison pour laquelle appeler à une nouvelle manifestation à Paris samedi, dans les mêmes conditions d’impréparation et d’irresponsabilité que celle de samedi dernier, c’est prendre une lourde responsabilité.
M. Loïc Hervé. Exact !
M. Claude Malhuret. Il y aura, en face des manifestants, ceux qui sont, eux aussi, le rempart de notre identité nationale et de notre sécurité : les forces de l’ordre. Je voudrais à mon tour, après le Premier ministre, saluer leur courage dans des circonstances particulièrement difficiles, alors même qu’elles sont, depuis trois ans, constamment sur la brèche dans la lutte contre le terrorisme.
Mes chers collègues, dans ce moment crucial, je souhaite que nous puissions faire preuve du même courage. D’abord, le courage des mots, le courage de dire la vérité aux Français, la vérité sur l’état de nos finances publiques, sur nos choix de société et sur l’avenir de la planète. Ensuite, le courage des actes, celui de prendre les décisions difficiles dont le pays et les Français ont besoin.
Mme Éliane Assassi. Ils n’en veulent pas !
M. Claude Malhuret. C’est notre mission aujourd’hui ! (Applaudissements prolongés sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Retailleau. Monsieur le Premier ministre, nous avons, en cet instant, tous conscience de la gravité de la situation et de la portée des mots. Cet après-midi, je vous parlerai avec mon cœur de Français, avec mes convictions républicaines. Je vous parlerai d’homme à homme aussi. Dans cette situation difficile, qui, évidemment, peut déraper et exige de nous une hauteur de vue, je vous parlerai comme nous parlons habituellement, ici, au Sénat avec une conscience et un sens aigu de la responsabilité, avec le sentiment de nos devoirs : le devoir, bien sûr, cher Claude Malhuret, du courage, de la lucidité sans complaisance, parce que nous ne pouvons pas traverser cette épreuve sans regarder en face la vérité.
La vérité, c’est aussi que nous avons le devoir de nous rassembler sur une double exigence : une exigence de fermeté et une exigence de responsabilité.
L’exigence de fermeté, d’abord, face à la violence. Nous sommes les élus de la République, mes chers collègues, nous ne devons supporter aucune atteinte à ceux qui la servent, c’est-à-dire aux forces de l’ordre et aux forces de sécurité civile. Nous ne devons tolérer aucun acte de vandalisme, aucun acte qui dégrade, qui profane les symboles les plus sacrés de la République et de la France !
Je pense, bien sûr, à l’Arc de Triomphe, à ce lieu sacré où repose le Soldat inconnu. Je pense à la tombe profanée. Mon grand-père était un poilu et je ne doute pas que certains d’entre vous, ici, aient également pour aïeux, pour grands-parents, des poilus. Ces actes ne sont pas des actes de résistance, comme je l’ai entendu dire. Ce ne sont pas non plus des actes qu’il faudrait excuser. Ce sont des actes de barbarie, qu’il faut punir de la façon la plus sévère ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – MM. André Gattolin et Jean-Marc Todeschini applaudissent également.)
En cet instant, monsieur le Premier ministre, ce que nous vous demandons, ce que nous demandons à vos ministres, c’est de casser les casseurs ! Ils n’ont droit, de notre part, à aucune excuse ! La force de la loi doit passer ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Le Sénat a fait des propositions, notre famille politique aussi. N’ayez aucune pudeur partisane : vous devez vous en saisir, quitte à les modifier, bien entendu. L’important est d’agir, et d’agir vite !
Foch avait coutume de la rappeler : une seule faute est infamante, c’est l’inaction. Alors, agissez ! Car aujourd’hui, en France, le droit à manifester dans le calme est désormais blessé ; il est peut-être même blessé gravement. L’État régalien ne doit plus désormais, à compter de ce jour, s’excuser de protéger nos concitoyens ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Devoir de fermeté ; exigence de responsabilité !
Cette exigence, nous l’avons eue : depuis le départ, nous avons dénoncé les violences ; depuis le début, nous appelons au calme. C’est ce que je fais aujourd’hui, avec tous mes collègues, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent, quels que soient les groupes auxquels ils appartiennent.
Depuis le début, nous avons fait la différence. Nous n’avons pas confondu cette France du grand déclassement, celle qui travaille dur sans parvenir à boucler ses fins de mois, celle qui manifeste en plantant des drapeaux tricolores sur des ronds-points et en chantant La Marseillaise. Nous ne confondons pas cette France du labeur avec la France de l’ensauvagement, celle qui profite du désordre pour piller, pour crier, pour crier, surtout, sa haine de la République ! (Mme Esther Benbassa proteste.)
De tels débordements sont intolérables, tous les groupes devraient les dénoncer sans aucune fausse pudeur ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. David Assouline. C’est le pompier pyromane !
M. Bruno Retailleau. Monsieur le Premier ministre, pour ramener le calme, il faut aussi – le devoir de vérité m’oblige à vous le dire – que le Gouvernement revienne à une certaine réalité. En effet, depuis le début de cette grande colère, vous avez semblé en décalage.
Cette colère est une colère sociale. Elle est profonde dans ses causes. Elle est aussi, bien sûr, inédite dans son mode d’expression. On a souvent eu le sentiment que vous essayiez de courir après les événements. Cette colère, vous avez du mal à la saisir avant tout parce que vous vous êtes installé dans une situation de déni.
Déni lorsque vous avez cru qu’il suffirait de faire preuve de pédagogie et d’expliquer à nos concitoyens que le cap était le bon.
Déni lorsque vous avez cru qu’il fallait répondre à cette colère qui venait du monde d’en bas par des solutions d’en haut : un haut conseil du climat !
Comme si, finalement, il fallait répondre à cette exaspération par une solution technocratique. Comme si, finalement, la promesse de dépassement du clivage n’était pas autre chose qu’une utopie technocratique. Comme si, finalement, cette promesse d’un nouveau monde n’était que le remplacement du gouvernement inspiré et empathique des hommes, cher Jean-Claude Requier, par l’administration froide des choses.
Déni aussi sur votre responsabilité. Je ne nie pas, et je l’ai écrit dans une lettre ouverte, que les racines de cette crise sont lointaines,…
M. David Assouline. L’impôt sur la fortune !
M. Bruno Retailleau. … mais vous ne pouvez pas pour autant vous exonérer de votre responsabilité.
M. Pierre Laurent. L’ISF !
M. Bruno Retailleau. La France, Hervé Marseille l’a rappelé, détient deux records. Elle détient le record européen de la dépense publique. L’an prochain, Albéric de Montgolfier l’a souligné à plusieurs reprises, le déficit public, qui engendre toujours plus d’endettement pour les plus jeunes de nos générations, va de nouveau croître, ce qui n’était plus arrivé depuis dix ans. Elle détient le record du monde des impôts et des taxes. Cette colère est d’abord celle du ras-le-bol fiscal des Français qui se sont sentis piégés et finalement trompés.
Au-delà du déni, je déplore également une forme d’arrogance et, parfois, de mépris, que l’on a appelée la verticalité. Les Français n’ont pas besoin de pédagogie pour savoir ce qu’est un impôt ou ce qu’est une taxe !
M. Christian Cambon. Très bien !
M. Bruno Retailleau. Qu’est-ce que ce nouveau monde sinon un prétexte pour détruire l’ancien, pour enjamber les corps intermédiaires, notamment les maires ? Dois-je rappeler, alors que nous traversons une crise des plus difficiles de la démocratie et de la représentation, que les Français mettent encore l’essentiel de leur confiance dans les maires, les partenaires sociaux, les présidents d’association ?
Ce nouveau monde, prétendument meilleur, est, pour paraphraser Péguy, « le monde qui fait le malin. […] Le monde de ceux qui savent […] Le monde de ceux à qui on n’a plus rien à apprendre » ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
L’une des leçons de ces dernières années est que ce sont moins les longs et grands discours, les beaux discours parfois, qui s’impriment dans la mémoire des Français que les petites phrases semées au vent de l’improvisation ou de la caricature.
C’est le déni, le mépris, mais aussi le sursis. Nous nous sommes rencontrés avec d’autres ; si je me souviens bien de cette rencontre, Marc Fesneau était alors à votre droite.
M. Jean-Louis Tourenne. Il y est resté ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Bruno Retailleau. Le Sénat avait annulé la hausse de taxes. Il est incompréhensible que vous ayez accordé un moratoire. Nous savions et vous auriez dû savoir que c’était une solution trop faible et surtout trop tardive ! Il était certain que l’annulation de la hausse de taxe aurait été demandée après le moratoire. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit. Mais le geste que vous avez dû consentir, et qui a été décidé par le Président de la République, au lieu d’apparaître comme une main tendue est apparu comme un aveu de faiblesse !
Je salue, je le dis devant mes collègues, la décision du Président de la République. Il n’y en avait pas d’autres à prendre.
Le Gouvernement pourrait d’ailleurs s’inspirer des travaux du Sénat, qui, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, cher Alain Milon, a fait le choix de réindexer les retraites, mais aussi les allocations familiales.
J’ignore si cette mesure, trop tardive, suffira à calmer la colère. Peut-être que non. Ce que je sais, c’est que le mécontentement des Français est fait de beaucoup d’autres choses. Des forces sont actuellement à l’œuvre en France et dans le monde. Vous avez ouvert les portes de l’abîme du mécontentement. Dans ce cri de colère, il y a aussi un cri existentiel : le cri d’un peuple qui ne veut plus qu’on l’ignore, le cri d’un peuple qui veut qu’on tienne compte de ses choix. Pourquoi la crise de la démocratie s’étend-elle partout en Europe et ailleurs ? Tout simplement parce que les peuples ont le sentiment que ceux qui les gouvernent ne les entendent plus, qu’ils sont insensibles à leurs souffrances ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Sophie Joissains applaudit également.) Ils ont le sentiment que les choix des dirigeants ne sont pas les choix des peuples. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Trop de grands sujets ont été décidés dans le dos des peuples ! Je pense, bien sûr, au traité de Lisbonne.
M. Michel Vaspart. Tout à fait !
M. Bruno Retailleau. Je pense aussi à un certain nombre d’accords internationaux, notamment à l’accord de Marrakech sur les migrations,…
M. Michel Vaspart. Exactement !
M. Bruno Retailleau. … au bas duquel, je l’espère, le Gouvernement n’apposera pas sa signature ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Henno applaudit également. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Je pense enfin aux jurisprudences des grandes institutions internationales, qui, avec leur vision anglo-saxonne du droit, ne nous correspondent tout simplement pas !
Mme Éliane Assassi. Il ne faut pas s’égarer !
M. Bruno Retailleau. Mes chers collègues, il y a une crise de la démocratie : les peuples ne supporteront pas éternellement qu’on leur dise que le diagnostic qu’ils font est faux, qu’ils doivent être rééduqués ! Il faut entendre leur colère ; à défaut, croyez-moi, ils sauront nous le dire, et de façon beaucoup plus brutale !
Mme Éliane Assassi. L’ISF !
M. Bruno Retailleau. Pour sortir de la crise, il n’y a qu’une voie,…
Mme Éliane Assassi. L’ISF !
M. Bruno Retailleau. … c’est celle de la Nation !
Il faut redonner du sens à la Nation, il faut redonner du sens à l’unité nationale, il faut redonner du sens aussi à la République française, qui est notre bien commun à tous !
Pour redonner du sens, il faut recréer du commun. Comment ? Je vous donnerai quelques exemples tirés de l’actualité et sur lesquels nous serons amenés à travailler dans cet hémicycle dès le début de l’année prochaine.
D’abord, je citerai le modèle social.
Recréer du sens, rebâtir du commun, c’est faire en sorte de réformer notre modèle social sans le déformer. Dans une France profondément fracturée, toutes les forces en présence après-guerre, des gaullistes aux communistes, se sont entendues pour créer la sécurité sociale, conçue comme instrument de la démocratie, car il importait de signifier aux Français qu’ils étaient partie prenante du même destin, avec une belle devise : à chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Ce n’est pas parce qu’on est pauvre qu’on ne peut pas être soigné : telle est l’intuition qui a donné naissance à la sécurité sociale.
Mme Éliane Assassi. L’ISF !
M. Rachid Temal. L’ISF !
M. Bruno Retailleau. Au moment où vous appauvrissez les retraités, au moment où vous poursuivez la déconstruction de l’universalité de la politique familiale, il faut vous en souvenir ! Ne vous rapprochez pas du modèle anglo-saxon, avec un filet de sécurité, un recentrage des aides sur les plus bas revenus – ce n’est pas moi qui le dis, c’est M. Pisani-Ferry –, un éloignement des classes moyennes. En procédant de la sorte, vous créeriez une fracture entre la société de ceux qui payent toujours – les contribuables – et la société de ceux qui reçoivent. Ce n’est pas ça le modèle social français ! Penser le commun, c’est penser le social en France.
Construire du commun, c’est également faire en sorte que les réformes soient justes. Lorsque l’on baisse l’impôt, il faut le baisser pour tous ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. Christian Cambon. Très bien !
M. Rachid Temal. L’ISF !
M. Bruno Retailleau. Lorsque l’on veut mettre en place la transition écologique, qui est nécessaire, il ne faut pas la faire payer par les plus modestes. C’est tellement évident !
Mes chers collègues, ce n’est pas en ajoutant des impôts aux taxes que l’on parviendra à rendre plus riches les plus pauvres ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Sophie Joissains applaudit également.) Ce n’est pas en ne créant pas de richesse que l’on parviendra demain à distribuer du pouvoir d’achat !
Enfin, notre République, c’est la République laïque ! Ne touchez pas, monsieur le Premier ministre, à la loi de 1905 ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
La République n’a pas à s’adapter aux religions. La République doit, certes, s’adapter aux votes du Parlement, mais ce sont aux religions de s’adapter à la République ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Pour conclure, j’ajouterai qu’il convient de sortir de cette crise par le haut. Oubliez votre projet d’émancipation individualiste, car il affaiblit le commun et dissout les liens. Sortir par le haut, c’est penser à la France. Je suis persuadé que, dans cette colère, dans cet abîme de désespérance,…
M. le président. Il faut conclure, monsieur Retailleau.
M. Bruno Retailleau. … il n’y a pas qu’un besoin d’annonces sur la situation matérielle, il y a aussi un besoin de France, un besoin de protection, un besoin de sens !
Il faudra que le Président de la République s’adresse aux Français,…
M. le président. Il faut conclure.
M. Bruno Retailleau. …qu’il retisse les liens que nous avons tous à retisser avec nos compatriotes. Je suis sûr qu’au bout du bout il parviendra à renouer les fils de ces liens (Des membres du groupe socialiste et républicain frappent sur leur pupitre.)…
M. le président. Il faut conclure !
M. Bruno Retailleau. … et à rallumer dans le cœur de chacun de nos concitoyens la flamme de l’amour de la patrie, pour que l’on puisse, demain, éteindre l’incendie qui se propage ! (Mmes et MM. les sénateurs du groupe Les Républicains se lèvent et applaudissent longuement. – Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour le groupe La République En Marche.
M. François Patriat. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, pourquoi sommes-nous réunis aujourd’hui ? (Exclamations amusées sur de nombreuses travées.)
M. David Assouline. On va enfin le savoir !
M. François Patriat. Mes chers collègues, à défaut de respecter mon humble personne, respectez au moins notre institution ! J’ai écouté tous les orateurs, dont M. Retailleau, dans le plus grand calme. J’écouterai tout à l’heure Mme Assassi. Dans les quelques minutes qui me sont imparties, j’espère pouvoir m’exprimer dans le calme !
Nous sommes réunis aujourd’hui parce que la situation est préoccupante, parce que la République est menacée, parce que la colère des Français – légitime sans doute – se traduit par des actes dramatiques et – vous l’avez indiqué à juste titre, monsieur Retailleau – de barbarie. Cette colère, nous la devons souvent pour partie à nos renoncements successifs.
Nous sommes réunis parce que le moment l’exige. C’est la tâche du Gouvernement, monsieur le Premier ministre, comme vous l’avez souligné, à la fois d’assurer le redressement du pays et de le réparer.
M. Jean-Marc Todeschini. Ah oui !
M. François Patriat. Vous montrez aujourd’hui les voies de l’ouverture et de l’espoir. Maintenant que vous tracez le chemin, nous devons agir.
Ne nous y trompons pas, nous vivons un moment décisif : décisif pour notre pays, décisif pour notre démocratie.
Dans le prolongement de votre déclaration, monsieur le Premier ministre, ce débat est l’occasion, pour la Haute Assemblée, de regarder en face la colère qui s’exprime dans notre pays. Il convient de l’entendre, de l’écouter, de la considérer, de la comprendre et d’y répondre.
Quarante années de crises politiques non résolues ont mis à mal notre justice sociale, notre justice fiscale, notre justice territoriale. Vous l’avez rappelé, monsieur le Premier ministre, cette colère vient de loin. Elle a pris ses racines à la fin des Trente Glorieuses, à l’aune des chocs pétroliers. Puis elle a grandi, elle s’est installée, elle s’est renforcée.
Pendant toutes ces années, ce mal-être a été décrit. Beaucoup ont dénoncé la fracture sociale, le fait que la « maison brûle », le ras-le-bol fiscal. Des réformes ont, certes, été entreprises, mais des fractures territoriales profondes se sont installées, tout comme des sentiments d’abandon, de déclassement et d’exclusion tenaces.
Tout cela, mes chers collègues, a favorisé l’abstention, la montée des extrêmes, le rejet de la classe politique et des corps intermédiaires. Nul ne peut considérer la désaffection croissante des citoyens à l’égard des institutions comme une accusation passagère. Elle n’en est pas une, elle ne l’a jamais été. C’est pourquoi le renouveau démocratique ne doit pas demeurer un vain mot. Notre responsabilité, en ce jour, est historique. Nous ne devons pas nous dérober à nos obligations.
Ne tombons pas dans les querelles politiciennes. Elles nous conduiraient au discrédit collectif. Elles alimenteraient plus encore la colère de cette France invisible, qui se sent dénigrée et reléguée. Cette colère se révèle durement aujourd’hui face à notre majorité, et c’est à vous, monsieur le Premier ministre, et au Gouvernement qu’appartient la responsabilité d’y répondre, non comme certains pour l’exploiter ou pour l’encourager dans un intérêt électoraliste de court terme, mais pour apporter des solutions à ces Français lassés des grandes lâchetés, qui ne veulent plus être les exclus du monde qui vient.
Depuis dix-huit mois, nous préparons ce passage vers une révolution numérique, économique, écologique de grande ampleur. Nous le préparons pour les Français et pour tous les territoires.
Plus que jamais, nous devons prendre la mesure du moment. Les ambitions demeurent, mais nous devons la vérité aux Français : il faut du temps. Les réformes structurelles doivent pouvoir porter leurs fruits, et ce n’est pas au moment où des signes de redressement apparaissent qu’il faut les mettre à mal. La transformation de notre pays doit être poursuivie.
Au bout de nos peines, un seul but : construire une société où l’on vit mieux de son travail, honorer nos engagements sur le pouvoir d’achat, libérer l’économie française. Voilà sur quelles bases peut s’ériger un contrat social renouvelé.
Face à ce constat, faisons preuve à la fois de sagesse, d’humilité, de discernement et – vous avez tous raison de le rappeler – de responsabilité. Il n’y a qu’un seul mot d’ordre : ni entêtement ni résignation !
La responsabilité du Gouvernement est d’ouvrir le dialogue, d’organiser le vivre ensemble, de faire société. À ce titre, la main que vous tendez, monsieur le Premier ministre, doit être saisie. Dans un souci d’apaisement, le Gouvernement entend la France des oubliés et lui répond.
La suppression de la hausse des taxes sur l’énergie, accompagnée d’avancées en matière de pouvoir d’achat, en matière fiscale, en matière institutionnelle, sera de nature à permettre un retour au calme et à la raison. S’ouvrira ainsi une période de concertation durant laquelle chaque Français devra être entendu. En chaque endroit, on doit pouvoir y contribuer.
Il ne peut y avoir deux France : d’un côté, une France qui avance et qui gagne ; de l’autre, une France qui stagne et qui perd. Nous devons inverser le cercle de la défiance et le transformer en cercle vertueux de la confiance.
Des premiers signes apparaissent : la confiance des investisseurs étrangers dans notre économie n’a jamais été aussi élevée. Le financement de nos PME-TPE a progressé. L’emploi industriel redémarre. Le taux d’emploi n’a jamais été aussi haut.
Mais nous devons faire plus, nous devons faire plus vite et nous devons faire plus fort.
S’il faut entendre les inquiétudes des Français déclassés, comment ne pas mettre au centre de nos préoccupations l’urgence climatique ? Elle n’est pas une entreprise cavalière des seuls gouvernants. Elle appartient à la Nation tout entière. Ne pas dissocier la fin du monde de la fin du mois, voilà notre exigence !
À l’annonce de ces mesures fortes en faveur d’un retour au calme, mais sans renoncer pour autant au processus de transition énergétique qui engage notre pays, nous vous renouvelons notre entière confiance.
Monsieur le Premier ministre, les violences et les saccages doivent cesser. La responsabilité de chacun d’entre nous est d’appeler non pas à la manifestation, mais au dialogue et d’y participer.
Permettez-moi d’évoquer le fait que les déclarations de certains « irresponsables » politiques sont à la fois insupportables, outrancières et inadmissibles ! Par ces mots, je m’adresse à ceux qui, pensant recueillir les fruits du désordre, ne récolteront que les cendres du chaos.
Nous écouterons toujours la contestation politique, nous respecterons toujours la colère sociale, mais nous n’accepterons jamais la violence insurrectionnelle.
Saluons donc nos forces de l’ordre qui, harassées par le combat qu’elles mènent à l’encontre des actes de terrorisme et de délinquance, doivent être respectées à la hauteur de tous nos symboles républicains.
Mes chers collègues, soyez rassurés, la République n’a pas perdu son âme. Sa doctrine d’action demeure : face à la colère, l’écoute ; face à la violence, la fermeté ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous vivons un moment de l’histoire de notre pays d’une grande gravité.
C’est au fil des jours que la parole vraie, la parole sincère, la parole libérée de ces femmes si nombreuses dans l’action, de ces hommes souvent marqués par la dureté de la vie et du travail, a souligné la profondeur, l’enracinement de ce mouvement social qui met en cause le principe même du capitalisme libéral. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)
Avez-vous entendu la colère rentrée de cette aide-soignante qui n’arrive plus à vêtir ses enfants ? Avez-vous entendu ces pères de famille meurtris de ne pouvoir offrir de cadeaux pour Noël ? Avez-vous entendu ces retraités guettant la sortie des poubelles des supermarchés pour trouver de quoi se nourrir ? Avez-vous entendu ces femmes et ces hommes dont le compte est à découvert dès le 10 de chaque mois et dans l’incapacité, à partir de ce jour, de se nourrir, de se vêtir, de vivre ?
Vivre, trouver les moyens pour vivre, trouver le temps de vivre ! C’est ce cri, qui couve depuis des années, qui aujourd’hui explose et vous prend totalement au dépourvu, vous, monsieur le Premier ministre, et, surtout, le Président de la République.
Vous ne comprenez pas cette colère ; cette incompréhension résulte d’un profond aveuglement. Vous occultez la réalité de la politique menée depuis mai 2017, une politique voulue par les riches pour les riches, symbolisée par la suppression de l’ISF sur les biens financiers. (Nouvelles exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)
Monsieur le Premier ministre, votre projet de budget pour 2019, inspiré par l’Europe libérale, accorde 17 % de baisse d’impôt aux 0,1 % des Français les plus riches. Le peuple l’a bien compris, et c’est pour cela que vous n’échapperez pas à la question de la justice fiscale. Vous devez rétablir l’ISF, vous devez même l’améliorer et le rendre plus efficace ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
Le grand ami et protecteur de M. Macron, Bernard Arnault, quatrième fortune mondiale, devrait payer 550 millions d’euros d’ISF ; il n’en a payé que 2,9 millions la dernière fois. Ce super cadeau n’était pas suffisant : vous l’exonérez complètement. Pensez-vous que lui et ses amis ont réinvesti cet argent dans l’économie, alors qu’ils volent de paradis fiscal en paradis fiscal, insatiables, tels des oiseaux de proie, pour y dissimuler leur fortune, fruit du travail de nos concitoyens ?
M. Macron, muet en public, a sermonné hier ses ministres, les a recadrés, en réaffirmant son attachement viscéral à la suppression de l’ISF. Il a fait savoir – a-t-il peur de l’annoncer lui-même ? – qu’il ne céderait pas sur ce point. Cette résistance folle, dangereuse pour notre pays, démontre que la clef de voûte de la politique d’Emmanuel Macron, c’est l’injustice fiscale et l’injustice sociale au service des plus riches et des grands groupes industriels et financiers.
Or cette violence fiscale et sociale du pouvoir, c’est elle qui est contestée aujourd’hui ! Oui, monsieur le Premier ministre, vous payez l’addition de décennies de colère sans réponse, mises à part quelques brèves éclaircies, d’un peuple qui subit le dogme libéral, justifié par une mondialisation financière présentée comme inéluctable. Aujourd’hui, vous payez cette addition, car les bornes ont été dépassées. Je rappelais la suppression de l’ISF, mais que dire de l’attaque contre les retraités que constitue l’augmentation de la CSG, de l’atteinte au logement social, avec la remise en cause des APL, de la situation des handicapés, victimes de multiples mesures de restriction ?
Rappelez-vous comment, s’agissant des retraites des agriculteurs, vous avez violemment utilisé la Constitution pour repousser une modeste mesure de justice à l’égard de ces hommes et femmes qui ont travaillé dur, sans s’enrichir, durant toute leur vie ? (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Cette violence fiscale, sociale, institutionnelle contre un Parlement et des élus méprisés, vous la taisez, monsieur le Premier ministre !
Que dire de l’agression dogmatique contre les services publics nationaux, comme la SNCF, et locaux, avec la remise en cause des moyens des collectivités locales, qui aggrave la fracture territoriale ?
Concernant la SNCF, vous parlez de transition énergétique, et vous attaquez l’institution qui peut porter réellement les nouvelles mobilités écologiques !
Croyez-vous que les gens ne comprennent pas, par exemple, de quelle spoliation massive ils sont victimes avec les privatisations ? Cela fait trente ans que le bien commun est cédé aux intérêts privés ! Et vous, vous continuez, avec la SNCF, dont vous préparez le bradage, avec Aéroports de Paris et la Française des jeux, que vous cédez à vos amis de la finance…
Monsieur le Premier ministre, ces questions sont cruciales, car le chemin de la justice fiscale et sociale ne pourra être retrouvé sans une puissance publique dotée des moyens de garantir l’égalité.
Rendre sa force à la puissance publique, c’est aussi garantir une transition écologique efficace. Tout le monde le dit, sauf vous : l’argent et l’écologie ne font pas bon ménage. Non, la course au profit, à la consommation et au productivisme, en un mot le capitalisme, ne font pas bon ménage avec l’écologie.
Monsieur le Premier ministre, vous disiez lors de votre discours de politique générale, le 4 juillet 2017, que « les Français nous ont habitués à travers les âges à des sursauts collectifs et à ces retours de confiance alors même que tout semblait bloqué, voire perdu ».
Ce sursaut, monsieur le Premier ministre, n’a pas eu lieu le 7 mai 2017. Ce fut alors un vote obligé, contraint, nécessaire contre l’extrême droite. Il a lieu aujourd’hui, contre le libéralisme dont M. Macron est le fruit et le soldat.
J’ai parlé des premières mesures du quinquennat du chef de l’État, mais comment ne pas évoquer la politique de sélection dans l’éducation ? Comment ne pas parler de la violence des mots, de l’arrogance, des petites phrases blessantes contre le peuple, contre son peuple ?
Alors aujourd’hui, il faut le retour à la paix, à la sérénité, il faut manifester pacifiquement. La violence a gagné la rue livrée à la colère et, comme toujours, à des agissements d’individus qui attisent le feu et dont les fonctionnaires des services de sécurité sont les premières victimes, étant trop peu, trop mal équipés, et perdus dans la crise politique. Nous condamnons avec fermeté l’usage de la violence. Mais cela vaut aussi, monsieur le Premier ministre, pour les tirs de flash ball qui défigurent de jeunes lycéennes et lycéens. (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.) Cela vaut aussi pour la mort de cette vieille dame morte tuée par un éclat de bombe lacrymogène, à Marseille. Ces actes, vous les taisez : pourquoi ?
Oui, il faut rétablir la paix et la sérénité. Il reste quelques heures à M. Macron, et je m’adresse directement à lui, pour agir et prendre des décisions fortes sur le pouvoir d’achat et la justice fiscale. Maintenant, il doit rétablir l’ISF. Son entêtement sur ce point doit cesser. Maintenant, il doit décider une augmentation significative du SMIC, à hauteur de 200 euros nets par mois. Maintenant, il doit revenir sur l’augmentation de la CSG sur les retraites. Ces mesures seraient le point de départ d’un grand débat national. Elles pourraient permettre le retour au calme et, surtout, apporter une première réponse concrète à la détresse du peuple.
Il vous reste peu de temps, monsieur le Premier ministre, pour convaincre votre Président. Mais êtes-vous convaincu, vous-même, qu’il faut prendre ce chemin ?
Monsieur le Premier ministre, nous vivons la fin d’un régime politique. La dernière élection présidentielle a souligné le dysfonctionnement, voire l’absurdité, du système. Un homme est élu pour cinq ans, non pas sur son programme, mais contre une autre candidate. Une assemblée est élue dans la foulée, selon un mode de scrutin déformateur. Le peuple aura ainsi été mis hors jeu, après avoir signé un blanc-seing pour un programme imprécis, voire inexistant.
Mais, monsieur le Premier ministre, le peuple est de retour, et ce vieux système usé qui a vu la transmission du pouvoir du politique vers l’économie vacille. Ce retour du peuple n’est pas une mauvaise nouvelle, c’est le retour de la démocratie.
C’est en toute lucidité que vous devez aujourd’hui éteindre l’incendie que vous avez allumé, en prenant ces mesures d’urgence sociale. Demain, vous ne pourrez plus ni décider ni imposer. Votre gouvernement et ceux qui lui succéderont seront placés sous contrôle citoyen. Cela, oui, monsieur le Premier ministre, c’est une bonne nouvelle : c’est le retour aux sources, celui du peuple souverain. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Patrick Kanner. Monsieur le Premier ministre, nous vous avons écouté attentivement. J’ose espérer que vos propos et vos engagements ne seront pas remis en cause, ce soir, par l’un de vos ministres qui serait en ligne directe avec le Président de la République, ce qui rendrait quelque peu illusoire la notion de cap…
Il y a cinq mois, nous étions toutes et tous à Versailles pour écouter le Président de la République. Il avait alors expliqué qu’il changerait sa méthode, pour plus de dialogue. Plusieurs responsables de groupes parlementaires lui avaient enjoint d’aller dans ce sens. J’avais moi-même prononcé ces mots : « Monsieur le Président de la République, sachez dialoguer avant de décider, sachez accepter la contradiction. Savoir écouter, savoir douter, ce n’est pas une faiblesse ; c’est ce qui renforce les décisions, c’est ce qui fait avancer la cohésion nationale. » Je ne regrette aucunement ces propos que j’ai tenus devant le Congrès.
Mes chers collègues, où en sommes-nous cinq mois après ? Où en est le fameux triptyque présidentiel : libérer, protéger, unir ?
Je ne crois pas aux prophéties, je vous rassure, mais nous voyons tous le résultat. L’entêtement de l’exécutif contre vents et marées, sans écoute, sans dialogue, nous a conduits à cette période jaune fluo.
Oui, vous auriez dû écouter plus tôt : telle est, monsieur le Premier ministre, la lucidité dont il aurait fallu faire preuve.
Oui, vous auriez dû engager un débat respectueux avec les partenaires sociaux, qui sont un facteur d’apaisement dans notre pays. Le dialogue direct avec les Français voulu par le Président de la République, s’il a pu fonctionner lorsqu’il était populaire, vous fait maintenant sombrer quand il y a une crise de confiance. Le « en même temps » et le « tout à la fois », en période de crise, cela ne marche pas !
Je ne souhaite pas faire ici l’analyse de ce mouvement ; plusieurs l’ont déjà faite avant moi. Je ne crois pas, d’ailleurs, que nous ayons suffisamment de recul pour comprendre tout ce qui se passe dans notre pays, tout ce que recouvre le phénomène des « gilets jaunes ». Ayons l’humilité de le reconnaître.
Je veux néanmoins évoquer la colère que nous observons. Cette colère a pris plusieurs formes : des blocages de ronds-points, de péages ou de centres commerciaux, des manifestations, et aussi des actes intolérables de vandalisme, voire de guérilla urbaine. Mes chers collègues, Paris ne peut pas brûler, la France ne peut pas être en état de siège ! Je condamne ici ces violences qui ne servent pas le mouvement des « gilets jaunes », et qui ne sont d’ailleurs sans doute pas le fait que de ce mouvement. Et je salue nos forces de l’ordre, l’ordre républicain, qui assure notre cohésion nationale ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.) La contestation peut et doit s’exprimer dans le calme.
Cette colère est aussi celle de nos concitoyens d’outre-mer. Nous avons vu celle qui s’est manifestée à La Réunion ces dernières semaines, mais nous avions déjà vu, chacune ayant ses raisons, la colère des Mahorais, celle des Guyanais, sans oublier la profonde lassitude de nos concitoyens des îles antillaises face aux terribles catastrophes qu’ils ont subies, et leur sentiment d’être abandonnés par la République. Le mouvement des « gilets jaunes » ne doit pas masquer la situation des outre-mer, encore plus durement touchés par les mesures prises par le Gouvernement en matière de pouvoir d’achat.
Cette colère est aussi une colère silencieuse pour beaucoup de Français, tous ceux qui ont mis un gilet jaune sous leur pare-brise. Il suffit, pour le constater, de se rendre sur un parking de supermarché.
Entendez, monsieur le Premier ministre, que ce mouvement est large, et que la partie visible de l’iceberg ne doit pas masquer tous ces « gilets jaunes » invisibles, pacifiques, de l’Hexagone ou d’outre-mer, qui sont solidaires dans la colère.
C’est bien d’ailleurs ce lien entre ceux qui soutiennent le mouvement en silence et les plus radicaux que vous avez sous-estimé, croyant que l’opinion se retournerait à la suite des violences. Ce lien doit tous nous inquiéter, mes chers collègues, parce qu’il montre le danger qui menace nos principes démocratiques lorsque nos concitoyens sont prêts à soutenir, à justifier ou simplement à tolérer les exactions.
Nous souhaitons que le calme revienne, mais il ne suffit pas de le dire comme nous le faisons depuis samedi dernier. La responsabilité de l’État vous incombe. Il vous incombe de prendre les décisions propres à rétablir le calme.
Cette situation est inquiétante et doit nous faire comprendre l’urgence dans laquelle nous sommes : une urgence sociale, une urgence démocratique et citoyenne, sans oublier l’urgence écologique, qui reste entière.
L’urgence écologique n’est d’ailleurs pas remise en cause par l’opinion. Les « gilets jaunes » ne sont pas un mouvement « anti-écolo ». Ils sont d’abord un mouvement contre l’injustice. Ils ne remettent pas en cause la nécessaire transition écologique ; j’entends d’abord des citoyens qui voudraient participer à cette transition, mais qui n’en ont pas les moyens.
Ce qui agit contre la transition écologique, ce sont avant tout vos mesures injustes, qui font peser sur les classes moyennes et les plus modestes son financement, tout en redistribuant aux plus aisés. Inversez votre politique pour renforcer le soutien de notre pays à la cause environnementale ! (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
L’inversion de votre politique devrait d’ailleurs être votre priorité pour répondre à l’urgence sociale. Vous avez consenti à quelques mesures, au premier rang desquelles un moratoire non plus de six mois, mais d’un an, sur la fiscalité carbone. Dont acte : c’était, je le crois, nécessaire.
Mais ce moratoire, nous n’avons cessé de vous le dire, n’est qu’une partie du préalable à la création des conditions du dialogue, tant vous avez tardé ! L’urgence sociale reste grande, voire totale, même avec la suspension de la taxe carbone. Cette urgence sociale dépasse la question du prix de l’essence. Elle touche avant tout à la question des salaires, qui stagnent, il est vrai, depuis plus de dix ans. (M. David Assouline opine.) S’il y a eu durant des années une tolérance face à cette stagnation, parce que chacun comprenait que la sortie de crise était difficile, il y a maintenant une impatience.
Une impatience d’autant plus prononcée que votre politique fiscale est injuste, puisqu’elle vise à diminuer les impôts des 1 % les plus riches, tout en augmentant les taxes que paient « plein pot » les classes moyennes et les plus pauvres.
L’impôt doit être accepté par tous, et pour cela il doit être juste. Sans cela, c’est le fondement même de l’État-providence que vous attaquez. Alors, la question de la justice fiscale se pose autant que celle du niveau des salaires. Nous disons « non » à l’État-pénitence !
Les prix ont repris leur progression, mais pas les salaires. C’est la réalité sociale de notre pays. C’est ce constat qui doit inspirer, avant tout, vos choix politiques.
Monsieur le Premier ministre, engagez-vous tout de suite dans la voie des négociations sociales sur le niveau des salaires. Répondez aux syndicats qui vous demandent une conférence sociale nationale. Engagez-vous tout de suite, sans attendre la fin des discussions sur le financement de la transition écologique, sur un coup de pouce au SMIC et à la prime d’activité dès le 1er janvier 2019 ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Engagez-vous tout de suite sur la réindexation des retraites sur l’inflation. Engagez-vous tout de suite sur une revalorisation du point d’indice des fonctionnaires !
Toutes ces mesures redynamiseront l’économie réelle par la consommation, tout simplement. Vous pouvez trouver tous les moyens d’une telle politique en admettant, enfin, que votre théorie du ruissellement ne fonctionne pas. Nous n’avons pas besoin d’une année de plus pour faire le bilan de la suppression de l’ISF ; nous le connaissons déjà : aucun bénéfice pour l’économie et une perte de recettes pour l’État,…
Mme Sophie Primas. Ce n’est pas vrai !
M. Patrick Kanner. … au moment où nous aurions tant besoin de redistribution.
Je demande aussi à nos collègues de la majorité sénatoriale d’entendre ce message, comme j’ai moi-même entendu les mesures annoncées par votre candidat à l’élection présidentielle !
M. Philippe Dallier. Avec le bilan de Hollande, merci !
M. Patrick Kanner. Votre ruissellement par le haut n’a pas fonctionné. Nous proposons la redistribution par le bas et le milieu, qui, elle, a déjà fait ses preuves.
M. Philippe Dallier. Rendez-nous Hollande !
M. Patrick Kanner. À quoi servent, mes chers collègues, des premiers de cordée, s’il n’y a pas de corde ?
Engagez-vous tout de suite à rétablir l’ISF, l’exit tax, et à réformer la flat tax. (Mme Nicole Bonnefoy applaudit.)
M. Alain Joyandet. Au secours, Hollande revient !
M. Patrick Kanner. Engagez-vous tout de suite sur la création d’une nouvelle tranche d’imposition pour les hauts revenus, comme certains syndicats le demandent !
Monsieur le Premier ministre, prenez la mesure de la défiance de notre pays face à l’injustice fiscale. Toutes ces propositions, sur les revenus, sur la justice fiscale, nous vous les faisons depuis un an, dans la discussion budgétaire et encore au travers de notre proposition de loi déposée lundi.
Saisissez l’occasion d’apporter une réponse sociale, pour pouvoir ensuite engager sereinement un dialogue sur le financement de la transition écologique.
Sans ce nécessaire électrochoc social, vous ne réussirez pas à régler la situation d’urgence démocratique et citoyenne dans laquelle nous sommes, et qui est l’affaire de tous. Sans cet électrochoc, vous ne calmerez pas l’impatience des « gilets jaunes ».
La colère actuelle est celle d’un peuple qui se sent abandonné, méprisé peut-être, déclassé parfois, pas écouté en tout cas. Les petites phrases d’un président perçu comme arrogant doivent laisser place au respect. Les mots qui blessent doivent cesser, pour ouvrir le dialogue. Le président jupitérien a cru qu’il avait tous les droits depuis son élection. Il en a oublié qu’il avait surtout des devoirs à l’égard des citoyens de notre pays.
Ce césarisme sous couvert de relation directe avec les Français fait qu’il gouverne aujourd’hui comme un roi nu, dépouillé de ses protections, et qui pense que tout compromis est une compromission. L’écoute, le dialogue, la concertation sont les sources de la concorde et de l’unité nationale.
Monsieur le Premier ministre, les partenaires sociaux, les associations, les élus locaux, les parlementaires sont des digues sociales et démocratiques que l’absence de dialogue a amoindries.
Pour répondre à la crise des « gilets jaunes », appuyez-vous sur les drapeaux des salariés, faites confiance aux syndicats. Appuyez-vous sur les écharpes bleu-blanc-rouge, faites confiance aux élus locaux, et notamment aux milliers de maires ruraux ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Nous sommes là, prêts à construire un avenir pour notre pays, prêts à mener un débat serein sur des propositions nouvelles, dans le dialogue et la concertation, prêts à aller vers les citoyens pour un grand mouvement démocratique qui leur redonnerait la parole.
Prenez des décisions fortes pour répondre aux urgences écologique, sociale et démocratique. Répondez, monsieur le Premier ministre, sachez entendre l’angoisse de nos concitoyens. Le temps est court, très court, monsieur Philippe ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je commencerai par remercier les orateurs qui se sont succédé à cette tribune. Je veux saluer le ton et la très bonne qualité de leurs interventions, sans me faire nullement juge de ce qui a été dit par chacun. J’ai indiqué aux présidents des formations politiques que j’ai reçus lundi dernier à Matignon que je souhaitais l’organisation d’un tel débat à l’Assemblée nationale, où il a eu lieu hier et a été suivi d’un vote, et au Sénat.
Je le souhaitais parce que, dans un moment politique intense, il est indispensable que le débat politique soit organisé à l’Assemblée nationale et au Sénat, que les échanges d’arguments, les mises en cause et les défenses éventuelles aient lieu au Parlement. Je salue donc encore une fois, très sincèrement, le ton et le talent des orateurs qui se sont exprimés.
Plusieurs d’entre vous ont procédé à une mise en perspective internationale, qui montre que cette crise n’est pas seulement française, même si je ne m’exonère d’aucune responsabilité quant à la recherche de sa solution. Il y a quelque chose de saisissant à constater que les crises sociales ou politiques actuelles interviennent environ une dizaine d’années après la crise financière qui a très profondément secoué nos économies et nos systèmes occidentaux.
Comment ne pas voir aussi dans cette crise une forme de « réplique », comparable à celle qui a été vécue en Italie, et qui n’est pas sans lien avec celle qu’ont connue les États-Unis, même si elle s’exprime différemment, car les génies nationaux sont ce qu’ils sont, et c’est heureux !
Je retiens aussi l’invitation à procéder à des réformes structurelles. Bien entendu, vos propositions de réformes ne sont pas toujours convergentes ; c’est normal. En tout état de cause, je veux voir dans cette invitation à des réformes structurelles autre chose que l’appel à un petit réglage fin visant à faire disparaître un problème au jour le jour.
Je ne crois pas une seconde qu’il faille s’exonérer de ses responsabilités en rejetant toute la faute sur le passé, et je ne le fais pas. Je tiens cependant à dire que de telles réformes structurelles ne sont pas intervenues dans notre pays depuis fort longtemps ; vous êtes d’ailleurs nombreux à l’avoir rappelé. Plus exactement, elles sont intervenues dans certains domaines, mais elles n’ont pas permis de régler l’ensemble des problèmes posés à notre pays.
Je voudrais en prendre un exemple que chacun connaît ici et qui a trait à la dette, dont plusieurs d’entre vous ont évoqué l’importance en France.
Au cours des dix dernières années, notre niveau de dette s’est considérablement accru. La dette publique s’élève à peu près à 100 % du PIB, ce qui représente de 30 à 35 points de PIB de dette en plus en dix ans. C’est absolument considérable !
Nous le savons tous ici, mesdames, messieurs les sénateurs, alors même que, pendant ces dix années, notre dette publique augmentait de façon considérable, nous faisions semblant de ne pas voir que, dans plusieurs domaines de l’action publique, nous étions en train d’accumuler une dette qui serait un jour requalifiée en dette publique. Nous préférions, par pudeur peut-être, par prudence aussi et, disons-le, parfois par lâcheté, ne pas la voir.
Songez que, pendant bien plus de dix ans, nous avons demandé à Réseau ferré de France et à la SNCF de s’endetter dans des conditions qu’aucune entreprise n’aurait pu supporter, parce que nous savions que, derrière, il y avait l’État, et que donc, ultimement, cette dette qui juridiquement n’était pas une dette de l’État en était bien une en réalité.
Qui peut dire que ce choix a été fait inconsciemment ? Il a été fait et répété, collectivement, par des gouvernements et des majorités successifs. En conséquence, lorsque nous avons voulu réformer la SNCF, nous avons assumé le fait que cette dette ne pourrait pas être financée dans des conditions normales par la SNCF et qu’il fallait donc la reprendre. Une partie de l’augmentation de la dette publique viendra, il est vrai, de cette reprise, et peut-être certains d’entre vous en feront-ils reproche au Gouvernement…
La vérité, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est qu’en ce domaine, et depuis trop longtemps, nous n’avons pas été à la hauteur des enjeux. Je le dis sans accuser personne, car je ne sais pas ce que j’aurais fait si j’avais été aux responsabilités à cette époque. Mais le dire, c’est aussi, je crois, faire œuvre de lucidité, comme je m’y invitais moi-même précédemment.
Je retiens de vos interventions l’appel ferme à la concertation et à l’exécution des mesures, le soutien unanime aux forces de l’ordre et l’invitation à la fermeté, le souci de la préservation de la sécurité des personnes, qui est une doctrine constante dans l’emploi des forces de l’ordre. Je retiens aussi le souci d’apaisement et l’appel à la responsabilité formulé sur toutes vos travées.
Je ne m’exonère, je l’ai dit, d’aucune responsabilité, d’abord parce que, pour le dire trivialement, ce n’est pas le genre de la maison, ensuite parce que ce n’est de toute façon pas possible lorsque l’on est Premier ministre.
J’essaie de m’exprimer avec calme et nuance, en ne cherchant jamais à simplifier ou à caricaturer, ce qui, selon les canons du débat public actuel, n’est pas toujours spectaculaire, il faut bien le reconnaître
Je n’ai jamais hésité à assumer des mesures que je savais impopulaires mais que je croyais bonnes. On a le droit de ne pas être d’accord avec ces mesures, mais assumer des mesures que l’on sait impopulaires a, me semble-t-il, une vertu démocratique.
Le président Marseille m’a interrogé sur notre ligne. Je crois avoir dit dans mon propos introductif combien le Gouvernement s’estimait tenu par les engagements pris par le Président de la République devant les Français et par les parlementaires de la majorité au moment des élections législatives. Notre objectif est de tenir le cap qui a été fixé à la majorité et au Gouvernement, en composant avec la réalité et en améliorant s’il le faut un certain nombre de mesures, mais sans renoncer à l’équilibre des finances publiques.
Les conditions du débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale et le projet de loi de finances permettront d’avancer dans cette voie. Beaucoup de mesures ont été proposées ici. Parfois, on dépense beaucoup d’argent public en peu de mots ! Mais, souvent, on peine à déterminer où trouver les ressources qu’il conviendrait de mettre en face de ces mots…
Nous devrons donc veiller collectivement à assurer l’équilibre des finances publiques, pour éviter que la dette n’explose et que nous continuions à reporter sur les gouvernements, les majorités, les générations qui nous suivront une charge dont nul, in fine, ne pourra s’exonérer.
Mesdames, messieurs les sénateurs, apaisement, débat, appel à la responsabilité et détermination à assurer la sécurité des Français : tel est le sens des mesures que j’ai annoncées et de la déclaration que j’ai faite. Je vous remercie très sincèrement de la qualité de ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur quelques travées du groupe Les Républicains. – MM. Hervé Marseille, Bernard Delcros et Jean-Michel Houllegatte applaudissent également.)
M. le président. Merci, monsieur le Premier ministre.
Nous en avons terminé avec le débat sur la déclaration du Gouvernement.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures trente, est reprise à seize heures quarante-cinq, sous la présidence de Mme Hélène Conway-Mouret.)
PRÉSIDENCE DE Mme Hélène Conway-Mouret
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
4
Loi de finances pour 2019
Suite de la discussion d’un projet de loi
Mme la présidente. Nous reprenons la discussion du projet de loi de finances pour 2019, adopté par l’Assemblée nationale.
Nous poursuivons l’examen, au sein de la seconde partie du projet de loi de finances, des crédits de la mission « Santé » (et articles 81 quater et 81 quinquies).
SECONDE PARTIE (suite)
MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES ET DISPOSITIONS SPÉCIALES
Santé (suite)
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame, monsieur les rapporteurs, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, après ce moment très dense, républicain, nous reprenons l’examen des crédits de la mission « Santé » inscrits au projet de loi de finances pour 2019.
Ce budget s’inscrit dans la continuité de celui de 2018 en ce qui concerne la structuration de la mission et le montant des crédits alloués.
Ces derniers sont en augmentation de 3,5 % et atteindront plus de 1,4 milliard d’euros en 2019. Ils ne représentent toutefois, vous le savez, qu’une petite partie des financements que les pouvoirs publics consacrent à la politique de santé et qui sont, pour l’essentiel, discutés dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Il m’apparaît donc nécessaire de conserver à l’esprit, lors de l’examen de ces crédits, le champ plus vaste dans lequel ils s’inscrivent.
Je commencerai par évoquer le programme 204, consacré à la prévention, à la sécurité sanitaire et à l’offre de soins.
Les grandes masses de ce programme, doté de près de 500 millions d’euros, sont relativement stables. Plus des deux tiers des crédits sont consacrés aux quatre agences sanitaires financées par ce budget, c’est-à-dire l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, l’ANSM, l’Agence nationale de santé publique, l’ANSP, l’Institut national du cancer, l’INCa, et l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES.
Ces crédits progressent en 2019 de 2,4 millions d’euros, ce qui permet de consolider les moyens de ces quatre structures.
Le périmètre des opérateurs concernés n’a pas évolué, la loi de finances de 2018 ayant mis en œuvre les dernières opérations de décroisement des crédits de l’État et de l’assurance maladie, avec le transfert à l’assurance maladie des dotations de l’Agence de la biomédecine et de l’École des hautes études en santé publique.
J’ai senti une certaine réserve, au travers de vos propos, sur les crédits de prévention du programme 204. Ils s’élèvent à 89 millions d’euros ; en légère progression, ils sont consacrés, pour l’essentiel, à la dotation de l’Agence nationale de santé publique.
Il faut toutefois, pour apprécier l’évolution des moyens que nous consacrons à la prévention, considérer l’ensemble des financements disponibles, quel qu’en soit le support. On constate alors que ces moyens augmentent de façon significative. Toutes les décisions que j’ai prises vont en effet dans le sens d’une progression des crédits consacrés à la prévention.
Ainsi, les crédits du Fonds national de prévention, d’éducation et d’information sanitaire, le FNPEIS, gérés par la CNAM, vont augmenter de 20 % par rapport à la période précédente dans le cadre de la convention d’objectifs et de gestion 2018-2022, pour s’établir à 379 millions d’euros.
Les crédits du Fonds de lutte contre le tabac, alimenté par la taxe sur les distributeurs, se sont élevés à 100 millions d’euros en 2018, contre 30 millions d’euros en 2017. Ils vont maintenant couvrir d’autres addictions que le seul tabac.
Les crédits du fonds d’intervention régional, le FIR, qui porte notamment les actions de prévention menées par les agences régionales de santé, s’élevaient à 515 millions d’euros en 2017. Ils ont augmenté de 3,3 % en 2018 et augmenteront encore de 4,8 % en 2019.
Enfin, les crédits du Fonds national de prévention des accidents du travail, consacrés à des aides incitatives à la prévention pour les entreprises, vont doubler, passant de 50 millions à 100 millions d’euros dans le cadre de la convention d’objectifs et de gestion 2018-2022.
Vous l’aurez compris, tous ces crédits sont au service des priorités de la politique de prévention telles que définies dans le plan national de santé publique présenté par le Premier ministre le 26 mars dernier, que nous avons appelé « plan Priorité prévention ».
La mise en œuvre de cette politique sera soutenue par le déploiement, d’ores et déjà en cours, du service sanitaire : 47 000 étudiants consacreront ainsi une partie de leur temps de formation à des actions de prévention dans tous les milieux, notamment auprès des jeunes. C’est l’occasion à la fois d’ancrer la culture de prévention chez ces futurs professionnels de santé et de démultiplier, au plus près du terrain, l’impact de l’éducation à la santé.
Le programme 204 porte également les dépenses d’indemnisation des victimes de la dépakine. Comme vous le savez, ce dispositif d’indemnisation est conduit par l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, l’ONIAM.
Les deux instances d’expertise – le collège d’experts et le comité d’indemnisation – ont achevé de mettre en place leurs outils et méthodes de travail. Les premiers avis d’indemnisation pourront ainsi être rendus avant la fin de l’année 2018, et le nombre de décisions au bénéfice des victimes progressera de façon très significative en 2019.
Les crédits inscrits à ce budget et les reports d’un exercice sur l’autre qui interviendront à hauteur de plus de 30 millions d’euros garantiront un financement de l’ONIAM cohérent avec les demandes d’indemnisation.
Le Gouvernement soutiendra l’amendement des sénateurs du groupe La République En Marche, qui ont par ailleurs souhaité vous proposer d’améliorer le dispositif d’indemnisation en permettant le réexamen des demandes d’indemnisation ayant fait l’objet d’un rejet lorsque l’évolution des connaissances scientifiques le justifie.
Le deuxième programme de la mission, le programme 183, est consacré pour l’essentiel à l’aide médicale de l’État, l’AME.
Je suis, vous le savez, très attachée à la préservation de ce dispositif, qui est à la fois un dispositif humanitaire, conforme à nos valeurs républicaines, et un dispositif sanitaire nécessaire, répondant à un intérêt de santé publique pour tous nos concitoyens. Les crédits qui y sont consacrés augmentent ; ils s’élèveront, en ce qui concerne l’AME de droit commun, à 893 millions d’euros en 2019, en ligne avec la progression attendue des effectifs, même si, en la matière, la prévision demeure très complexe.
Il n’est pas inutile de le préciser une nouvelle fois, ces crédits servent à financer des prestations de santé dispensées, pour l’essentiel, par les hôpitaux de notre pays et permettent donc d’éviter que les établissements de santé ne supportent seuls la charge correspondante. Toute diminution de ces crédits, comme proposée par votre commission des finances à travers un amendement, se traduirait par un report de charge sur les hôpitaux.
Comme j’ai eu l’occasion de l’indiquer lors de l’examen du projet de loi de règlement de 2017, nous devons encore progresser en matière de connaissance des dépenses et des bénéficiaires de l’AME. C’est une de mes priorités. J’ai ainsi demandé à la CNAM de développer la qualité des remontées d’information. Ces données nous permettront de mieux analyser les flux et d’améliorer la prévision. La centralisation, en 2019, de l’instruction des demandes d’AME dans trois caisses – celles de Bobigny, de Paris et de Marseille – contribuera aussi à la connaissance plus fine du dispositif.
Je souhaite, pour terminer, évoquer le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, le FIVA, qui relève également du programme 183.
Les crédits du budget de l’État destinés à doter ce fonds sont reconduits. Cette dotation intervient au titre de l’État employeur, mais correspond également à l’exercice d’une solidarité nationale à l’égard des victimes non professionnelles, qu’elles soient environnementales ou familiales, par exemple. Il s’agit bien évidemment d’une contribution annexe pour le FIVA, lequel est financé principalement, au titre de l’exposition professionnelle, par la branche accidents du travail-maladies professionnelles de la sécurité sociale. À cet égard, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 prévoit de doter le fonds de 260 millions d’euros, ce qui permettra de lui assurer sans difficulté un niveau prudentiel suffisant.
Tels sont, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, les principaux axes d’un budget dont vous aurez compris qu’il se caractérise par sa stabilité et la continuité des programmes qu’il soutient. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme la présidente. Nous allons procéder à l’examen des crédits de la mission « Santé », figurant à l’état B.
ÉTAT B
(En euros) |
||
Mission |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
Santé |
1 420 161 592 |
1 421 461 592 |
Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins |
477 270 813 |
478 570 813 |
Dont titre 2 |
1 442 239 |
1 442 239 |
Protection maladie |
942 890 779 |
942 890 779 |
Mme la présidente. L’amendement n° II-35, présenté par M. Joyandet, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
+ |
- |
+ |
- |
|
Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins |
||||
Protection maladie |
300 000 000 |
300 000 000 |
||
TOTAL |
300 000 000 |
300 000 000 |
||
SOLDE |
- 300 000 000 |
- 300 000 000 |
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Alain Joyandet, rapporteur spécial de la commission des finances. Cet amendement vise à diminuer de 300 millions d’euros les crédits de l’aide médicale de l’État.
Nous ne sommes pas les horribles méchants qui ne veulent pas que l’on soigne les immigrés en situation irrégulière et font courir à notre pays des risques épidémiologiques, comme j’ai pu l’entendre dire.
M. Yves Daudigny. Quand même !
M. Alain Joyandet, rapporteur spécial. Il s’agit simplement d’essayer de trouver une cote mal taillée pour revenir à des inscriptions budgétaires cohérentes.
Mes chers collègues, il ne peut y avoir un programme dont l’augmentation des crédits échapperait à tout débat. Or il en est ainsi depuis 2012 pour les crédits destinés à l’AME, qui, cette année, augmentent encore de 50 millions d’euros.
Voilà seulement quelques années, l’AME était dotée de moins de 600 millions d’euros. Que je sache, les personnes concernées étaient soignées. Peut-être faisait-on simplement un peu plus attention… Présidant bénévolement depuis vingt-trois ans un hôpital départemental, je ne pense pas avoir de leçons à recevoir en matière de générosité, d’accueil ou d’humanisme. Me faire un tel procès serait injuste.
Nous sommes dans une discussion budgétaire. L’actualité le montre, un certain nombre de nos concitoyens peinent à boucler leurs fins de mois… Il ne s’agit pas d’opposer les uns aux autres, mais tout se passe comme s’il n’y avait pas de limite budgétaire pour l’AME, alors même que l’on rabote tous les ans les dotations du programme 204, consacrées aux agences nationales. (Mme la ministre le conteste.)
Mes chers collègues, nous avons hésité à proposer le rejet des crédits en raison de cette augmentation totalement démesurée. Nous avons finalement préféré présenter un amendement raisonnable, qui permettra d’assurer une aide médicale de l’État fidèle à la tradition française, tout en appelant l’attention du Gouvernement sur la nécessité d’une refonte du dispositif de l’AME.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Buzyn, ministre. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement, mais je voudrais donner quelques éclaircissements à l’adresse de nos concitoyens, qui entendent assez souvent un tel discours, au Sénat comme à l’Assemblée nationale.
Le panier de soins couvert par l’AME est beaucoup plus restreint que celui de la CMU-C, par exemple. Contrairement à ce que j’ai entendu dire, aucun soin de confort n’est pris en charge par l’AME. En particulier, les médicaments faisant l’objet d’un remboursement à hauteur de 15 % ne sont pas pris en charge. Seuls le sont les médicaments remboursés à 30 % ou à 60 % par l’assurance maladie, c’est-à-dire les plus indispensables. Il s’agit donc du panier de soins le plus réduit de tous ceux couverts par la sécurité sociale.
J’entends l’argument selon lequel il faudrait réserver l’aide médicale de l’État aux soins les plus urgents et au traitement des pathologies les plus graves. En tant que médecin, je ne connais pas de maladie dont le traitement coûte moins cher quand le patient est soigné en urgence, après que son état clinique s’est dégradé. Si votre proposition devait être adoptée, cela aboutirait à une augmentation des dépenses, pour assurer la prise en charge de patients en réanimation, qui auront besoin de traitements plus longs, plus lourds. Cela signifierait faire fi de toute la politique de prévention des risques que nous menons. Or la prévention coûte moins cher que les soins. Médicalement, l’argument ne tient pas.
M. Alain Joyandet, rapporteur spécial. Je ne l’ai pas avancé, madame la ministre !
Mme Agnès Buzyn, ministre. Bien évidemment, je comprends votre volonté de réduire les coûts. Nous essayons de rationaliser les dépenses, de mieux connaître les bénéficiaires de l’AME, d’avoir un meilleur pilotage du dispositif. Nous avons ainsi décidé de centraliser sa gestion sur trois caisses et nous nous efforçons d’obtenir des remontées d’information très robustes, mais réserver cette enveloppe aux soins urgents reviendrait, en définitive, à augmenter le coût global pour nos hôpitaux.
Pour ces raisons, je ne peux qu’être défavorable à cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Bien évidemment, je voterai cet amendement.
Madame la ministre, pendant des années, j’ai été rapporteur spécial de la mission « Immigration, asile et intégration ». J’ai souvenir d’un débat en commission des finances avec Marisol Touraine, voilà maintenant cinq ans. Quand je lui ai expliqué que, au rythme où il progressait, le coût de l’AME s’approcherait du milliard d’euros à un horizon de cinq années, elle a poussé des hurlements en réponse, m’accusant d’alarmisme et m’assurant qu’elle allait prendre des mesures de rationalisation, tout en maintenant à peu près les mêmes prestations.
Finalement, il ne s’est rien passé. Les crédits ont continué d’augmenter systématiquement, tous les ans, pour les excellentes raisons que vous avez rappelées. Certes, il est préférable de soigner au fil de l’eau qu’en urgence.
Mais le vrai sujet, madame la ministre, c’est que le nombre de sans-papiers, d’étrangers en situation irrégulière augmentant, la charge de l’AME augmente de facto. D’un côté, la ministre de la santé nous dit qu’il faut bien les soigner, puisqu’ils sont présents sur notre sol ; de l’autre, le ministre de l’intérieur, interrogé sur la faiblesse du taux de reconduites à la frontière effectives et sur le nombre croissant d’immigrés en situation irrégulière, nous répond que peu de moyens sont consacrés à l’exécution des décisions de justice. La représentation nationale se trouve dès lors en quelque sorte prise en étau : en somme, il nous faut accepter que, année après année, les dépenses continuent d’augmenter à ce rythme…
Je voterai cet amendement d’appel, sans me faire aucune illusion sur le sort qui lui sera réservé à l’Assemblée nationale. Il s’agit de demander au Gouvernement de faire preuve d’un peu de cohérence. Il est bien de faire des efforts de rationalisation ; poursuivez-les.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Henno, pour explication de vote.
M. Olivier Henno. Monsieur le rapporteur, votre amendement est équilibré. Je n’en critique nullement le fondement. Il ne s’agit pas d’opposer les questions budgétaires aux sentiments humains.
Cela étant dit, nous sommes partagés sur ce sujet. Pour en avoir discuté avec le directeur de l’agence régionale de santé des Hauts-de-France, je dois bien admettre qu’il existe des risques d’épidémie liés à l’immigration illégale, à la concentration de clandestins dans ce que l’on a pu appeler la « jungle ».
La vraie question, ce n’est pas l’AME, mais l’immigration illégale. Je comprends bien la portée symbolique de cet amendement, mais comprenez de votre côté que l’on puisse être légitimement partagé sur ce sujet.
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.
M. Bernard Jomier. Un amendement d’appel n’est pas fait pour être voté. (Sourires.)
M. Roger Karoutchi. Bien sûr que si ! L’Assemblée nationale le supprimera.
M. Bernard Jomier. Un amendement d’appel, c’est fait pour être discuté !
M. Roger Karoutchi. Pas du tout !
M. Bernard Jomier. Si, monsieur Karoutchi. C’en est même la définition. Cet amendement est d’autant moins destiné à être adopté que cela conduirait à une insincérité budgétaire.
M. Roger Karoutchi. Pourquoi ?
M. Bernard Jomier. Si vous voulez réduire la charge financière de l’AME, il faut revoir le contenu du panier de soins. Or, comme la ministre l’a souligné, les soins dits de confort en sont déjà exclus. Si vous restreignez le panier de soins de l’AME, nous le paierons par la suite, en termes à la fois budgétaires et de santé publique. Faites un peu confiance à la commission des affaires sociales, je vous prie ! On ne peut traiter de la question du coût budgétaire de l’AME sans discuter du périmètre des soins couverts. Ouvrons le débat sur ce point et je vous garantis que, comme vous êtes de bonne foi, vous serez convaincus.
Il n’y a pas, d’un côté, ceux qui se préoccupent seulement de santé publique, et, de l’autre, ceux qui se préoccupent uniquement de la bonne gestion de l’argent public : celle-ci nous importe tout autant qu’à vous, monsieur le rapporteur spécial. Votre amendement soulève une question tout à fait légitime, mais ce n’est pas par là qu’il faut commencer. On ne peut pas, en responsabilité, l’adopter en se disant que l’Assemblée nationale remettra de toute façon les choses en ordre ; ce n’est pas la conception que je me fais de notre travail.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Chaque année, nous avons le même débat, et chaque année, nous votons par scrutin public sur un tel amendement.
Je fais partie de ceux qui sont opposés à la réduction des crédits de l’aide médicale de l’État, pour mille et une raisons, dont celles que vous avez évoquées, madame la ministre. Notre groupe est partagé : certains d’entre nous voteront pour son adoption, d’autres contre et d’autres encore s’abstiendront.
Je le redis chaque année, on recense 1,8 million de faux numéros INSEE, engendrant une fraude documentaire de 14 milliards d’euros via le logiciel SANDIA – Service administratif national d’immatriculation des assurés. Cet argent serait beaucoup plus à sa place dans votre budget, madame la ministre… Le constat est posé depuis au moins cinq ans, mais rien, absolument rien, n’a été fait. Votre prédécesseur m’avait annoncé la suppression de 5 000 faux numéros, sur 1,8 million : vous en conviendrez avec moi, le compte n’y est pas ! Cet argent doit revenir dans les caisses de votre ministère : nous pourrons alors discuter de l’aide médicale de l’État de façon beaucoup plus sereine.
Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Meurant, pour explication de vote.
M. Sébastien Meurant. Comme l’a souligné Roger Karoutchi, les crédits de cette mission sont en réalité liés à ceux de la mission « Immigration, asile et intégration ».
Quand j’entends certains d’entre nous, j’ai l’impression que « circulez, il n’y a rien à voir » est le mot d’ordre pour l’examen du budget de cette mission, d’année en année. Nous nous retrouverons l’an prochain pour constater que les crédits sont encore une fois en hausse et l’on nous expliquera qu’il faut les voter, sinon cela coûtera encore plus cher.
Or la sécurité sociale est un bien commun en péril, et les Français s’en rendent compte. Depuis quelques années, il est de plus en plus difficile, pour les citoyens français, de trouver un médecin traitant, des médicaments, des spécialistes…
Mme Sophie Taillé-Polian. Pas à cause des migrants !
M. Sébastien Meurant. Dans mon département, on demande aux familles d’amener les médicaments pour leurs proches en réanimation. On en est là, aujourd’hui, en France ! Des hôpitaux ferment dans certains territoires…
Mme Laurence Cohen. Quel rapport avec l’AME ?
M. Sébastien Meurant. Le rapport, ma chère collègue, c’est que la générosité ne peut être infinie. Le bien commun qu’est la sécurité sociale, c’est le fruit du labeur des Français, année après année. C’est une construction fragile, qui prend eau de toutes parts.
Il est urgent de déterminer comment on dépense l’argent public, y compris en matière de santé, et de regarder les erreurs du passé.
En juillet 2014, dans cette assemblée, certains ont voté une loi scélérate sur les produits structurés, qui ont coûté environ 3 milliards d’euros aux hôpitaux. Nous sommes le seul pays à avoir voté une loi invalidant une décision de justice : les hôpitaux continuent de payer pour les emprunts toxiques, alors que les banques ont été exonérées de toute responsabilité !
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Je voudrais d’abord dire à Mme Goulet que les 14 milliards d’euros de fraude documentaire auxquels elle a fait allusion ne sont pas uniquement liés à la santé ; celle-ci n’en représente qu’une infime partie. Il me semble extrêmement important de le souligner. Ce montant est en outre à comparer aux 50 milliards d’euros de fraude fiscale.
Il est vrai que consacrer quelques centaines de millions d’euros à l’aide médicale de l’État dans le contexte actuel, quand certains de nos concitoyens manifestent parce que leur niveau de vie baisse, peut sembler quelque peu provocateur. Pour ma part, je trouve que c’est particulièrement courageux.
Mettez-vous à la place des personnels soignants : si les crédits de l’AME sont réduits, comme le demandent Alain Joyandet et la commission des finances, vont-ils laisser mourir un enfant atteint d’une bronchiolite si ses parents n’ont pas les moyens de payer ? (M. Alain Joyandet, rapporteur spécial, s’exclame.) Vous avez présenté votre argumentaire financier, monsieur le rapporteur spécial, laissez-moi terminer mon argumentaire médical.
Imaginez que se présente un patient atteint de tuberculose, maladie qui peut se propager d’autant plus facilement que la vaccination a été abandonnée voilà quelques années. Que va faire le médecin ? Il le soignera, que ce soit en cabinet ou à l’hôpital. Si ce patient ne bénéficie pas de l’AME, qui va payer ? La sécurité sociale ou le budget de l’hôpital. De toute façon, quelqu’un paiera, et le budget de l’hôpital ou celui de la sécurité sociale sera sollicité.
Pour avoir un peu exercé la médecine au siècle dernier, je puis vous dire que plus on laisse la maladie évoluer, plus soigner le patient coûte cher.
Je sais que ces arguments ne suffiront pas à convaincre les tenants de la rigueur financière. Celle-ci est nécessaire, certes, mais les professionnels de santé se sont engagés à soigner l’humain, quel qu’il soit, Français, Français aux moyens limités, étranger en situation irrégulière…
Le problème, ce n’est pas l’AME, c’est la lutte contre l’immigration clandestine. À cet égard, comme le disait Charles Pasqua, si l’on veut lutter efficacement contre l’immigration, et en particulier contre l’immigration clandestine, il faut aider les pays d’origine, pour que les gens s’y sentent mieux. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. J’irai tout à fait dans le sens d’Alain Milon et de Mme la ministre. Il est ici question de l’AME, et non de la politique migratoire de la France.
M. Roger Karoutchi. C’est lié !
Mme Laurence Cohen. C’est lié de manière indirecte, mais nous sommes en train de parler de politique de santé, de soins dispensés à des patients. Cela a été dit à plusieurs reprises, une maladie prise en charge tardivement coûte beaucoup plus cher à la société.
La commission des finances me semble plus soucieuse d’obtenir un effet d’affichage que de régler un problème de fond. J’attire votre attention, mes chers collègues, sur le fait que la commission des affaires sociales a unanimement rejeté cet amendement.
Confondre le budget de la sécurité sociale et les problématiques de l’AME, c’est poser un faux problème. Certes, monsieur Meurant, la sécurité sociale est un bien commun, mais ce n’est pas l’AME qui est responsable du trou de la sécurité sociale, de la fermeture des hôpitaux, du manque de médecins. Mon cher collègue, si vous voulez être logique, ne votez pas les projets de loi de financement de la sécurité sociale qui nous sont proposés !
Selon moi, il est très important de maintenir l’AME, pour la santé des personnes prises en charge à ce titre et, d’une manière générale, pour la santé des populations. Sinon, c’est la porte ouverte à des épidémies.
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Daudigny, pour explication de vote.
M. Yves Daudigny. Mon collègue du groupe socialiste et républicain Bernard Jomier, le président Alain Milon et Mme la ministre ont exposé des arguments très solides en faveur du rejet de cet amendement. Sans les reprendre, je veux exprimer ici mon opposition résolue à une telle proposition, non pour donner une leçon de morale ou d’humanité à quiconque, mais pour exprimer une divergence politique profonde.
Mes chers collègues, mesurons l’impact de ce débat sur l’AME, dans le contexte actuel de révolte, de manifestations sur l’ensemble du territoire français contre la baisse du pouvoir d’achat. Nous entendons trop souvent des allusions aux avantages qui seraient octroyés aux étrangers de façon privilégiée.
Ayons le courage politique – ce n’est pas une question de générosité ou de charité – de ne pas restreindre les droits, de préserver la santé de celles et ceux, adultes ou enfants, que nous accueillons sur notre territoire. Nous devons avoir ce courage pour le bien-être non seulement de ces personnes, au nom d’une tradition humanitaire déjà évoquée, mais aussi de l’ensemble des habitants de notre territoire, la santé publique ne devant jamais être perdue de vue. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. François-Noël Buffet, pour explication de vote.
M. François-Noël Buffet. Chaque fois que nous avons eu à débattre dans cet hémicycle de la politique migratoire, la problématique de l’AME a été évoquée.
Le budget de l’AME pour 2019 sera de 5 % supérieur à celui de 2018. Depuis 2011, le nombre de bénéficiaires de l’aide médicale de l’État a plus que doublé. Telle est la réalité.
Je n’entrerai pas dans le débat médical. Chacun en est bien convaincu, les enjeux sanitaires sont importants, mais la question de l’instauration d’une participation financière des bénéficiaires de l’AME, aussi modeste soit-elle, se pose ; c’est l’objet de l’amendement n° II-43 de la commission des finances. Sauf erreur de ma part, une telle participation avait été mise en place en 2011, puis supprimée par le premier gouvernement de M. François Hollande. C’est bien dommage ! En effet, outre qu’elle est utile sur le plan budgétaire, elle responsabilise les bénéficiaires des soins.
Pour ma part, je ne souhaite pas forcément un partisan à tout crin de la réduction du budget de l’AME. Je pense que le vrai problème est la politique migratoire et la gestion de l’immigration irrégulière. En revanche, je suis très favorable à la création d’une participation financière, pour responsabiliser les gens qui reçoivent les soins. N’oublions jamais que, en matière de recours à l’AME, il existe des réseaux qui jouent un rôle peu sympathique… Il convient de traiter ce problème dans le cadre des politiques migratoires.
Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour explication de vote.
Mme Véronique Guillotin. Le groupe du RDSE votera contre cet amendement.
Certes, il est important de maîtriser les dépenses de santé est quelque chose d’important, mais, comme l’a dit M. Milon, d’un point de vue purement économique, cela suppose de traiter la maladie le plus tôt possible, sa prise en charge étant beaucoup plus coûteuse une fois qu’elle s’est aggravée : on le sait bien, une journée de réanimation coûte très cher.
Par ailleurs, vous ne verrez jamais un soignant refuser de recevoir quelqu’un qui se présente à la porte d’un service des urgences ou d’un cabinet médical. Les médecins n’en ont pas le droit, ils ont fait le serment de soigner tout le monde, quels que soient la couleur de peau, la religion, la situation administrative, le niveau social et économique. C’est aussi ce qui fait la grandeur de la politique de santé en France. Par conséquent, d’une manière ou d’une autre, qu’on le veuille ou non, les personnes dont il est question ici seront soignées.
Nous le savons tous, la santé a un coût, et ce coût sera répercuté sur le budget soit de l’hôpital, soit du professionnel de santé. On peut entendre qu’il faille maîtriser les dépenses et être vigilants à cet égard, mais il n’est pas non plus économiquement tenable de voter une réduction des crédits de l’AME sans en mesurer l’impact.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Alain Joyandet, rapporteur spécial. Pour que l’on comprenne notre démarche, il aurait sans doute fallu que je présente les deux amendements de la commission des finances en même temps. Avec votre autorisation, madame la présidente, j’évoquerai dès maintenant l’amendement n° II-43, ce qui nous permettra ensuite de gagner un peu de temps.
D’un côté, nous proposons de réduire de 300 millions d’euros les crédits du programme « Protection maladie » ; de l’autre, nous rétablissons un droit de timbre, c’est-à-dire une petite participation à la charge des bénéficiaires de l’AME.
Ces deux amendements sont cohérents : ils vont dans le sens d’une meilleure gestion de l’AME, dispositif qui donne lieu, personne ne peut le nier, a de nombreux abus et constitue, par ailleurs, un véritable appel d’air pour l’immigration clandestine.
Pour bénéficier de l’AME, il faut pouvoir justifier de trois mois de résidence irrégulière en France ; une fois délivrée l’attestation de la préfecture, on peut se rendre à l’hôpital pour recevoir gratuitement les soins que l’on veut.
Mon cher collègue Daudigny, vous déploriez entendre affirmer par des manifestants que l’on donnerait plus aux étrangers qu’aux Français. Eh bien oui, c’est parfois le cas ! (Mme la ministre et M. Bernard Jomier le contestent.) Mais bien sûr que si ! On devrait pouvoir tenir un langage de vérité sans être caricaturé ! C’est toute la noblesse de notre débat.
Mme Sophie Taillé-Polian. Il n’y a aucune noblesse dans ce débat !
M. Alain Joyandet, rapporteur spécial. Personne ici ne veut qu’on laisse mourir un enfant atteint de bronchiolite ! Nous sommes tous d’accord pour maintenir la tradition humaniste française. Simplement, cela fait trop longtemps que l’on augmente systématiquement chaque année les crédits de l’AME, sans compter, sans chercher à réguler, à mieux gérer. Mes chers collègues, y a-t-il une autre mission budgétaire dans ce cas ? Non ! M. le président de la commission des affaires sociales est dans son rôle ; la commission des finances aussi. Je refuse que l’on me fasse le procès d’être antisocial ou antihumaniste !
Ces deux amendements ne sont pas des amendements d’appel, monsieur Jomier. Quand nous avons mis en place un droit de timbre, le coût de l’AME est passé sous la barre des 600 millions d’euros ; je tiens les chiffres à votre disposition. Pour autant, des enfants d’immigrés en situation irrégulière sont-ils morts d’une bronchiolite, faute de soins ? Non !
Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur le rapporteur spécial.
M. Alain Joyandet, rapporteur spécial. Ce ne sont pas plus des amendements d’appel que l’amendement à 2,9 milliards d’euros du Sénat visant à annuler la hausse de la fiscalité sur les carburants : l’Assemblée nationale votera son maintien, y compris au sein de la majorité de M. Macron ! Nous défendons nos convictions, sans anticiper les votes de l’Assemblée nationale. (Marques d’impatience sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) Par pitié, ne nous faites pas de procès en humanisme ! Bien évidemment, je maintiens cet amendement raisonnable.
Vous pouvez considérer, madame la présidente, que l’amendement n° II-43 a été défendu.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre. Les dépenses augmentent, certes ; nous cherchons à les rationaliser et à lutter contre la fraude. Nous apportons ainsi de nombreuses modifications en matière d’accès à l’AME.
Il est tout à fait exact, monsieur le rapporteur spécial, que le nombre de demandes d’AME a diminué quand le droit de timbre a été introduit. En effet, les gens qui n’avaient pas les moyens d’acquitter ce droit de timbre ne demandaient pas l’AME : ils ont attendu d’être très malades pour se présenter aux urgences, ce qui a abouti, de fait, à grever le budget des hôpitaux publics. Je tiens moi aussi les chiffres à votre disposition, monsieur le rapporteur spécial.
Par conséquent, instaurer un droit de timbre revient en pratique à restreindre le champ de l’AME à des soins urgents dispensés à des personnes très malades, comme vous souhaitez le faire au travers de l’amendement n° II-35, et ce sont les hôpitaux publics qui, de fait, payent la facture. Il s’agit donc là d’un transfert de charge.
Cela étant, nous devons lutter contre la fraude. Dans cette perspective, nous avons centralisé l’instruction des demandes d’AME dans trois caisses, de façon à mieux connaître les bénéficiaires, nous accroissons le nombre de contrôles et le taux de dossiers contrôlés, nous avons instauré des contrôles à chaque étape de la demande de soins et nous menons un travail avec le ministère de l’intérieur pour croiser les demandes d’AME et les demandes de visa, afin de nous assurer que des gens ne viennent pas en France uniquement pour se faire soigner. Il est tout à fait légitime de faire en sorte que des personnes ne viennent pas dans notre pays pour profiter du système.
Rétablir le droit de timbre est une très mauvaise idée. Le Gouvernement y est défavorable.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° II-35.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 34 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 306 |
Pour l’adoption | 154 |
Contre | 152 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
L’amendement n° II-962, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
+ |
- |
+ |
- |
|
Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins dont titre 2 |
500 000 |
500 000 |
||
Protection maladie |
500 000 |
500 000 |
||
TOTAL |
500 000 |
500 000 |
500 000 |
500 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre. Le présent amendement vise à tirer les conséquences budgétaires de l’amendement n° II-762 de M. Amiel et plusieurs de ses collègues, qui sera examiné dans quelques instants et a pour objet d’améliorer le dispositif d’indemnisation des victimes de la dépakine, en prévoyant le réexamen de leur dossier si l’évolution des connaissances scientifiques le justifie.
Je suis bien entendu favorable à cet amendement, qui abonde le programme 204 « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins » de 500 000 euros en minorant à due concurrence les crédits du programme 183 « Protection maladie ».
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Joyandet, rapporteur spécial. Peut-être devrions-nous examiner en même temps l’amendement n° II-762, dont celui du Gouvernement n’est que la conséquence ?
Mme la présidente. Monsieur le rapporteur spécial, l’amendement qui vient de nous être présenté par Mme la ministre porte sur les crédits, et non sur le texte. Nous devons donc examiner ces deux amendements séparément.
M. Alain Joyandet, rapporteur spécial. Soit, mais je serai néanmoins obligé d’évoquer l’amendement n° II-762 pour justifier notre position sur l’amendement du Gouvernement.
Il s’agit de rouvrir des droits pour les victimes de la Dépakine, très peu de dossiers d’indemnisation ayant été acceptés jusqu’à présent.
La commission des finances a émis un avis favorable sur l’amendement n° II-762, mais elle s’interroge sur le montant de 500 000 euros prévu à l’amendement n° II-962. Comment ce chiffrage a-t-il été établi, madame la ministre ? Dans l’attente de votre réponse, la commission des finances émet un avis de sagesse sur cet amendement qui lui a été communiqué la nuit dernière.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre. L’amendement n° II-762, qui a été accepté par la commission des affaires sociales, vise à ouvrir aux victimes de la dépakine la possibilité de former un recours afin que leur dossier soit revu en cas d’amélioration des connaissances scientifiques.
Pour l’heure, assez peu de victimes de la dépakine ont été indemnisées. La méthode d’indemnisation est maintenant calée, les commissions se mettent en place et les premiers dossiers sont examinés en cette fin d’année 2018. Le dispositif montera en charge en 2019. Nous n’en sommes donc pas encore à devoir traiter des recours consécutifs à la progression des connaissances scientifiques. Le budget est relativement modéré, dans la mesure où il est peu probable qu’un grand nombre de personnes demandent à ce que leur dossier soit revu l’année prochaine : il faut déjà qu’il soit examiné une première fois.
Il s’agit de fait d’une activité de guichet : les commissions d’experts de l’ONIAM, l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, instruisent les dossiers de demande d’indemnisation. Le dispositif pourrait monter en charge dans les années à venir, en fonction du nombre de dossiers examinés et de l’évolution des connaissances scientifiques, qui entraînerait des demandes de réexamen, mais ce chiffrage à 500 000 euros a été établi en tenant compte du fait que peu de dossiers seront étudiés en 2018 et en 2019.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Alain Joyandet, rapporteur spécial. Compte tenu des explications que vient de donner Mme la ministre, je prends le risque d’émettre un avis favorable sur cet amendement. Je pense que les membres de la commission des finances ne m’en voudront pas !
Mme la présidente. Nous allons procéder au vote des crédits de la mission « Santé », figurant à l’état B.
Je n’ai été saisie d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.
Je mets aux voix ces crédits, modifiés.
(Les crédits sont adoptés.)
Mme la présidente. J’appelle en discussion les articles 81 quater et 81 quinquies ainsi que les amendements tendant à insérer des articles additionnels qui sont rattachés pour leur examen aux crédits de la mission « Santé ».
Santé
Article additionnel avant l’article 81 quater
Mme la présidente. L’amendement n° II-43, présenté par M. Joyandet, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
Avant l’article 81 quater
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – La section II du chapitre II du titre IV de la première partie du code général des impôts est complétée par un VII ainsi rédigé :
« VII : Aide médicale d’État
« Art. 963 bis. – Le droit aux prestations mentionnées à l’article L. 251-2 du code de l’action sociale et des familles est conditionné par le paiement d’un droit annuel par bénéficiaire majeur, dont le montant est fixé par décret. »
II. – Le premier alinéa de l’article L. 251-1 du code de l’action sociale et des familles est complété par les mots : «, sous réserve, s’il est majeur, de s’être acquitté, à son propre titre et au titre des personnes majeures à sa charge telles que définies ci-dessus, du droit annuel mentionné à l’article 963 bis du code général des impôts ».
III. – Le I et le II entrent en vigueur à compter du 1er janvier 2019.
Cet amendement a été défendu.
Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° II-43.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, il convient de procéder à un pointage.
Dans l’attente du résultat, je vous propose de poursuivre la discussion des articles et des amendements.
Article 81 quater (nouveau)
Après le 21° du I de l’article 128 de la loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005 de finances rectificative pour 2005, il est inséré un 22° ainsi rédigé :
« 22° Prévention en santé. » – (Adopté.)
Article 81 quinquies (nouveau)
Le Gouvernement remet au Parlement, au plus tard le 1er septembre 2019, un rapport sur la soutenabilité pour les finances publiques du dispositif prévu à la section 4 ter du chapitre II du titre IV du livre Ier de la première partie du code de la santé publique et sur la gestion de ce dispositif depuis son entrée en vigueur. – (Adopté.)
Article additionnel après l’article 81 quinquies
Mme la présidente. L’amendement n° II-762, présenté par MM. Amiel et Lévrier, Mme Schillinger, MM. Bargeton et Buis, Mme Cartron, MM. Cazeau, de Belenet, Dennemont, Gattolin, Hassani, Haut, Karam, Marchand, Mohamed Soilihi, Navarro, Patient, Patriat et Rambaud, Mme Rauscent, MM. Richard, Théophile, Yung et les membres du groupe La République En Marche, est ainsi libellé :
Après l’article 81 quinquies
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le premier alinéa de l’article L. 1142-24-15 du code de la santé publique, sont insérés trois alinéas ainsi rédigés :
« Sous réserve que le premier avis de rejet n’ait pas donné lieu à une décision juridictionnelle irrévocable dans le cadre de la procédure mentionnée au dernier alinéa, un nouvel avis peut être rendu par le comité dans les cas suivants :
« 1° Si des éléments nouveaux sont susceptibles de justifier une modification du précédent avis ;
« 2° Si les dommages constatés sont susceptibles, au regard de l’évolution des connaissances scientifiques, d’être imputés au valproate de sodium ou à l’un de ses dérivés. »
La parole est à M. Martin Lévrier.
M. Martin Lévrier. Je considère que cet amendement, qui a été brillamment évoqué par M. le rapporteur spécial et Mme la ministre, est défendu.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Joyandet, rapporteur spécial. Avis favorable, madame la présidente.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 81 quinquies.
Nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Santé ».
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante-cinq, est reprise à dix-sept heures cinquante.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
Nous poursuivons l’examen, au sein de la seconde partie du projet de loi de finances, des différentes missions.
Gestion des finances publiques et des ressources humaines
Crédits non répartis
Action et transformation publiques
Compte d’affectation spéciale : Gestion du patrimoine immobilier de l’État
Régimes sociaux et de retraite
Compte d’affectation spéciale : Pensions
Mme la présidente. Le Sénat va examiner les crédits des missions « Gestion des finances publiques et des ressources humaines » (et article 77 bis et 77 ter), « Crédits non répartis », « Action et transformation publiques », du compte d’affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l’État » (et articles 84 ter et 84 quater), de la mission « Régimes sociaux et de retraite » et du compte d’affectation spéciale « Pensions ».
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Thierry Carcenac, rapporteur spécial de la commission des finances, pour les missions « Gestion des finances publiques et des ressources humaines », « Crédits non répartis » et « Action et transformation publiques ». Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, Claude Nougein et moi-même nous sommes répartis les interventions sur les différents programmes, afin d’éviter toute redondance. Compte tenu du peu de temps de parole accordé aux rapporteurs spéciaux, nous vous renvoyons à notre rapport écrit.
Pour ma part, j’évoquerai l’administration fiscale, qui représente à elle seule les trois quarts des 10,7 milliards d’euros de crédits de la mission, en diminution de 0,7 %. Nous sommes à la veille d’un bouleversement inédit depuis des décennies, du moins si l’on en croit les ambitions affichées par le Gouvernement.
Le rapport du comité Action publique 2022 a donné le cap, l’objectif étant notamment de mettre en place à l’horizon 2022 une agence unique de recouvrement regroupant les missions de la DGFiP, de la douane et de l’URSSAF, ainsi que de généraliser les procédures dématérialisées, de réorganiser les implantations territoriales, dans une logique de séparation entre l’accueil physique et la gestion des dossiers, ou encore d’intensifier le recours au data mining dans le cadre de la programmation du contrôle fiscal.
Ces transformations auront, pour la DGFiP, des incidences sur ses effectifs et sur son organisation sans commune mesure avec les réformes de ces dernières années. Dans ses interventions prononcées les 11 juillet et 28 novembre derniers devant les cadres du ministère, le ministre de l’action et des comptes publics, M. Gérald Darmanin, n’a pas caché que ces transformations se traduiraient par d’importantes réorganisations et suppressions de postes.
Ces chantiers trouvent-ils une traduction dans le projet de budget qui nous est présenté pour l’année prochaine ? En un mot : non.
Certes, le projet de loi de finances n’a qu’une portée annuelle, et des chantiers de cette ampleur s’étendent évidemment sur plusieurs années, mais ils se préparent aussi en amont, et sont, pour certains, déjà lancés ; il est surprenant de n’en trouver aucune trace ou presque dans ce projet de budget. L’approche des élections professionnelles y est-elle pour quelque chose ?
Je ne voudrais pas, pour autant, sous-estimer l’effort consenti cette année encore par la DGFiP : 2 130 postes seront supprimés en 2019, soit un rythme comparable à celui des dernières années, exception faite de 2017 et de 2018, où 500 postes avaient été « préservés » dans le cadre de la mise en œuvre du prélèvement à la source. Cette année encore, Bercy est de loin le principal contributeur aux réductions d’effectifs dans la fonction publique d’État.
Mais, en réalité, ce budget apparaît bien davantage comme le « dernier des budgets précédents » que comme le « premier des suivants ». Je me limiterai à évoquer, à titre d’illustrations, la réorganisation territoriale, la pression croissante au sein des services et les systèmes d’information.
Premièrement, la navigation à vue se poursuit en matière de réorganisation territoriale. Des efforts ont été accomplis : 890 services comptaient moins de cinq agents en 2012, ils ne sont plus que 506 aujourd’hui ; des 42 services qui ne comptaient qu’un seul agent en 2012, il n’en reste plus que 6. Mais ce chantier reste mené de façon opportuniste, au gré des départs à la retraite et des mutations individuelles, sans stratégie d’ensemble et sans concertation avec les territoires et les autres administrations.
En pratique, chaque directeur est prié de « restituer » un certain nombre de postes chaque année pour respecter le schéma d’emplois. Tout cela manque de logique – 61 % des EPCI dépendent aujourd’hui encore de deux trésoreries ou plus – et de mutualisation : la DGFiP n’est présente que dans 250 maisons de services au public sur 1 200.
Dans ses interventions des 11 juillet et 28 novembre derniers, M. Gérald Darmanin a dit vouloir une « déconcentration de proximité ». Les territoires, les élus, les agents de la DGFiP, ont besoin de visibilité ; à l’avenir, il est impératif que l’administration se dote, en la matière, d’un schéma pluriannuel explicite, fixant un cap.
Deuxièmement, j’évoquerai la pression croissante au sein des services. En dix ans, les effectifs de la DGFiP ont diminué de 16 %, mais les tâches ont augmenté, et elles augmenteront encore avec le prélèvement à la source, la suppression de la taxe d’habitation, la mise en place du prélèvement forfaitaire unique, le PFU, et de l’IFI, l’impôt sur la fortune immobilière, la révision des valeurs locatives et l’accroissement du nombre d’entreprises. Il viendra un moment où, à missions inchangées, les agents ne seront plus en mesure de faire leur travail correctement. Là encore, le Gouvernement semble faire preuve d’une inquiétante légèreté, ou, à tout le moins, d’un sérieux manque de transparence au regard de ces échéances.
Troisièmement, je parlerai des systèmes d’information, clé de voûte des réformes structurelles qui s’annoncent. Les treize grands projets rattachés à la mission représentent un quart du coût total des grands projets de l’État, soit 608 millions d’euros. Le dérapage budgétaire est très préoccupant, avec un surcoût global de 95 %. À titre de mise en garde contre les erreurs de conception et la faiblesse du pilotage, en dépit du transfert et du rôle de la DINSIC, la Direction interministérielle du numérique et du système d’information et de communication de l’État, faut-il rappeler le précédent fâcheux de l’opérateur national de paie et des 346 millions d’euros dépensés en pure perte ?
Le budget informatique de la DGFiP a été divisé par dix en dix ans, et 80 % des dépenses d’investissement vont à la maintenance d’applications obsolètes, dont certaines datent des années quatre-vingt. Il y a une dizaine de « ruptures applicatives » dans la chaîne du contrôle fiscal.
Aucun des grands chantiers à venir ne pourra se faire sans rendre les systèmes interopérables et évolutifs. Peut-être faudra-t-il même tout recommencer de zéro, ou presque, tant les systèmes actuels sont hétérogènes, sédimentés et « défendus » par les services qui les ont conçus et qui les utilisent.
Dans le projet de budget qui nous est présenté cette année, aussi exigeant soit-il en matière de réductions du nombre de postes, un effort de clarification s’impose, monsieur le ministre.
J’en viens maintenant aux crédits du compte d’affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l’État ».
Un changement de logique dans le financement de la politique immobilière de l’État semble s’engager. Le constat d’un essoufflement du mode de financement historique, consistant à céder des biens pour construire et rénover, est partagé. Le déficit du compte, qui s’élève à 73 millions d’euros, en est la preuve.
Comme nos voisins européens, nous devons désormais envisager une valorisation de notre patrimoine immobilier. À cette fin, le Gouvernement envisage de mettre en location des biens non utilisés, mais dont la vente n’est pas envisageable. Sans doute, monsieur le ministre, pourrez-vous nous préciser davantage les contours de ce projet.
Cette orientation nouvelle pourrait notamment prendre la forme de la création d’une foncière publique, qui recevrait ces biens afin de les valoriser. Le cas échéant, quel serait le devenir de la foncière existante – je veux parler de la SOVAFIM, la société de valorisation foncière et immobilière ?
De façon très concrète, nous avons identifié des cas pour lesquels la constitution d’une foncière publique, non exclusivement orientée vers la production de logements sociaux, pourrait présenter un réel avantage.
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Thierry Carcenac, rapporteur spécial. Tel est en particulier le cas de l’immobilier pénitentiaire : pour atteindre les objectifs de rénovation et de création de 7 000 places supplémentaires de prison, il serait pertinent de recourir à une structure de portage afin de lisser les coûts.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Claude Nougein, rapporteur spécial de la commission des finances, pour les missions « Gestion des finances publiques et des ressources humaines », « Crédits non répartis » et « Action et transformation publiques ». Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, je traiterai pour ma part du budget de la douane.
Depuis trois ans, la Direction générale des douanes et droits indirects, la DGDDI, fait exception au sein de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines » : ses crédits et ses effectifs augmentent. Les crédits s’établissent à 1,6 milliard d’euros pour 2019, en hausse de 2,6 %.
La douane se prépare en effet pour le Brexit : quelle que soit l’issue des négociations, toutes ses missions seront concernées, du contrôle des voyageurs et des marchandises aux missions fiscales, notamment lors de la détaxe. Les effectifs seront affectés en priorité aux grandes frontières que nous avons avec le Royaume-Uni, dans les ports de la Manche, bien sûr, à la gare du Nord, mais aussi dans tous les petits aéroports régionaux du Sud-Ouest.
Dans ce contexte, 250 postes supplémentaires seront créés en 2019, ce solde net se déclinant en 350 créations au titre du Brexit et en 100 suppressions au titre de la modernisation de la douane. Ces créations de postes viennent s’ajouter à celles des deux années précédentes, et marquent un changement d’époque par rapport aux années de l’« après-Maastricht ».
La deuxième grande priorité de la douane pour 2019 est le soutien aux buralistes et la lutte contre la contrebande de tabac, deux actions d’autant plus nécessaires que le Gouvernement a décidé de porter progressivement le prix du paquet de cigarettes à 10 euros.
Le nouveau protocole 2018-2021, signé avec les buralistes en février, se traduit par 111 millions d’euros de crédits d’intervention supplémentaires, dont une partie destinée à abonder un « fonds de transformation » dédié au développement de nouveaux services de proximité. Je voudrais souligner ici le rôle que jouent les buralistes dans nos territoires, où ils sont parfois les derniers commerçants. À cet égard, l’article 63 du PLF, qui permettra à la DGFiP d’externaliser l’encaissement des espèces, avec un objectif « zéro numéraire » en 2022, pourrait être l’occasion pour les buralistes de diversifier leurs activités, par exemple dans le cadre d’un partenariat avec La Poste.
Le nécessaire pendant de cette politique est une action résolue contre la contrebande. La douane travaille à la mise en place d’un système de traçabilité indépendant des fabricants.
Cela m’amène, plus généralement, à évoquer l’action de la DGDDI en matière de lutte contre les trafics. Les résultats sont bons, quoique très variables d’année en année. On peut toutefois regretter que les indicateurs de performance reposent sur des seuils permettant de définir des « dossiers à enjeu ». Cela incite les douaniers à se concentrer sur les fraudes les plus graves, en laissant de côté les autres. Cette méthode n’apparaît pas adaptée à l’un des grands défis actuels que doit relever la douane : l’essor du e-commerce, caractérisé par une multitude de petits envois représentant chacun un faible risque ou enjeu, mais dont l’ensemble est, au total, très important.
Enfin, en 2019, la douane achèvera le renouvellement de ses moyens opérationnels. Sa flotte aérienne est maintenant au complet, et trois des sept nouveaux avions Beechcraft sont déjà opérationnels. S’agissant du renouvellement des hélicoptères, la douane a finalement fait le même choix que la sécurité civile avant elle : pour trois d’entre eux, dont deux sont basés aux Antilles, elle a opté pour la location, un choix dicté avant tout par les coûts de maintenance. L’avenir dira s’il s’agit d’une décision budgétaire avisée.
Voilà pour les perspectives immédiates. Cela étant, la douane est, comme la DGFiP, engagée dans une transformation de long terme de son organisation et de ses missions. Les progrès de la dématérialisation et de l’exploitation des données, la mise en œuvre du nouveau code des douanes de l’Union et du « droit à l’erreur » et, surtout, la mise en place de l’agence de recouvrement auront des conséquences majeures sur l’organisation de la DGDDI.
Ces transformations ne devraient toutefois pas avoir l’ampleur de celles de la DGFiP, ne serait-ce que parce que la douane, avec 17 000 agents, est une « petite » administration. Quelque quarante-quatre fusions ont eu lieu depuis 2015, selon un plan stratégique qui devrait s’achever en 2020.
J’aborderai maintenant la mission « Action et transformation publiques ».
Les enjeux budgétaires sont d’une moindre envergure, mais cette mission revêt une importance politique cruciale, puisqu’elle constitue un vecteur budgétaire du plan « Action publique 2022 ». Toutefois, les fonds prévus servent avant tout à légitimer cette démarche ; en pratique, cette mission comporte essentiellement des crédits dédiés à la rénovation des cités administratives. Ce programme répond à un besoin réel : nous connaissons tous, dans nos préfectures, l’état des cités administratives, qui sont rarement des œuvres architecturales remarquables.
Nous attirons néanmoins l’attention sur deux éléments : tous les projets ne pourront pas être financés et un lien direct est opéré avec la réforme des services déconcentrés de l’État, dans une perspective de rationalisation et de mutualisation.
Je conclurai par quelques mots sur la mission « Crédits non répartis ».
Le projet de loi de finances prévoit un montant total de 177 millions d’euros pour les deux programmes de cette mission. La dotation dédiée au programme « Dépenses accidentelles et imprévisibles » est maintenue à son niveau de 2018, soit 124 millions d’euros de crédits de paiement.
Les 53 millions d’euros qui restent inscrits au titre du programme « Provision relative aux rémunérations publiques » me laissent en revanche plus circonspect. Une partie des crédits initiaux ont certes été répartis en seconde délibération à l’Assemblée nationale, mais pas ceux concernant la revalorisation du barème de monétisation des jours épargnés sur un compte épargne-temps. Pourtant, le rendez-vous salarial a eu lieu il y a cinq mois !
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Claude Nougein, rapporteur spécial. Quand comptez-vous répartir ces crédits dans les différentes missions, monsieur le secrétaire d’État ?
Sous réserve de ces observations, je propose au Sénat de voter les crédits de cette mission.
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteur spéciale.
Mme Sylvie Vermeillet, rapporteur spécial de la commission des finances, pour la mission « Régimes sociaux et de retraite ». Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la contribution de l’État aux régimes sociaux et de retraite s’élève à 6,28 milliards d’euros. Elle est nécessaire pour couvrir les deux tiers des retraites versées par les caisses des régimes spéciaux, principalement ceux de la SNCF, pour 3,3 milliards d’euros, de la RATP, pour 736 millions d’euros, des marins, pour 815 millions d’euros, et des mines, pour 1,1 milliard d’euros.
Les besoins de financement de ces régimes proviennent des déséquilibres démographiques résultant d’un nombre de cotisants très inférieur à celui des pensionnés. Dans le régime général, on compte 1,3 actif pour un pensionné, contre 0,65 à la SNCF et 0,85 à la RATP.
La contribution de l’État couvre également des avantages dérogatoires. L’âge de départ est de 52 ans pour les agents de conduite de la SNCF, et la durée de service d’une pension atteint 40 ans à la RATP, soit plus que la période d’activité.
La revalorisation des retraites au 1er janvier 2019 va coûter 30 millions d’euros ; la non-indexation des pensions sur l’inflation représente toutefois une économie de 100 millions d’euros.
Le compte d’affectation spéciale « Pensions » bénéficie de la sous-revalorisation des retraites. Compte tenu des charges, qui s’élèvent à 59 milliards d’euros, l’effet est très significatif, avec une économie de 600 millions d’euros par point d’inflation non pris en compte. En l’absence de revalorisation générale du point d’indice et du fait de la hausse du nombre de contractuels – 11,8 % des effectifs en 2006, contre 16,5 % aujourd’hui –, les recettes augmentent peu.
Malgré tout, le solde du compte d’affectation spéciale est largement positif, à 1,6 milliard d’euros ; à la fin de l’exercice budgétaire, les excédents cumulés s’élèveront à plus de 8 milliards d’euros, car, ces dernières années, les cotisations salariales des fonctionnaires ont davantage augmenté que la charge employeur, alimentant ainsi l’excédent.
Globalement, les soldes financiers des régimes couverts par le compte d’affectation spéciale devraient demeurer positifs – ils le sont dans tous les scénarios – à l’horizon de 2070, au contraire du solde du régime général, qui ne pourra l’être que si la croissance est supérieure à 1,5 % par an.
Les perspectives financières à long terme induisent une réduction du taux de rendement des cotisations du fait de l’allongement de la vie active, qui réduit la valeur actualisée des droits, et de la décorrélation entre les droits à pension et la croissance économique.
Sans surprise, dans un tel contexte, le niveau de vie des retraités de la fonction publique recule par rapport à celui de la population active. La perspective du taux de remplacement n’est pas sans poser problème, puisqu’elle incite les intéressés à accroître leur effort d’épargne, avec probablement des effets assez discriminants selon les niveaux de revenu d’activité et la composition des familles.
Pour les régimes spéciaux, le rééquilibrage des comptes suppose que les anciennes réformes portent leurs fruits, en particulier le relèvement de l’âge de départ effectif à la retraite, pour la SNCF et la RATP.
L’adoption du pacte ferroviaire entraîne la création d’un nouveau régime spécial de retraite SNCF. Le déficit de ce nouveau régime va d’abord se creuser, car il n’y aura plus de nouveaux cotisants, et les besoins d’équilibre vont augmenter. À très long terme, le déficit s’effacera de lui-même avec la diminution naturelle du nombre de pensionnés.
L’un des objectifs de la réforme des retraites est, dit-on, d’instaurer un système plus juste. Le principe d’uniformité des rendements contributifs nécessitera néanmoins le maintien d’un certain niveau de solidarité, ce qui, finalement, nous ramènera à une situation assez proche de l’existant.
La question de la transition entre les deux systèmes est fondamentale : quelle en sera la durée ? Que fera-t-on des excédents ou des déficits des différents régimes actuels ? Les uns compenseront-ils les autres ? Comment prendra-t-on en compte la pénibilité ou la dangerosité de certains métiers – je pense notamment aux militaires ou aux gendarmes ? Comment prendra-t-on en compte les différentes situations familiales ? Que vont devenir les actuels gestionnaires des retraites appelés à se regrouper en une seule entité ? Les personnels seront-ils déplacés ? Les sites de province seront-ils abandonnés? Comment sera pilotée la valeur fondamentale du point dans le futur système ? Comment convaincre les fonctionnaires que leur salaire net actuel doit baisser pour une meilleure retraite ?
Je n’ai pas la réponse à ces questions, et l’échéance de juin 2019 annoncé par le Gouvernement pour y répondre me paraît bien proche.
Pour conclure, malgré ces interrogations lourdes de conséquences, et compte tenu de la nécessité de l’équilibre du compte d’affectation spéciale « Pensions » et des actuels besoins de la mission « Régimes sociaux et de retraite », je vous propose, mes chers collègues, d’adopter les crédits.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, pour la mission « Régimes sociaux et de retraite ». Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’examen des crédits de ces missions me donne l’occasion de rappeler deux messages qu’a portés, cet automne, la commission des affaires sociales du Sénat en matière de retraite, bien avant que l’on ne voie les retraités manifester.
Le premier concerne la principale économie budgétaire proposée par le Gouvernement, à savoir la sous-revalorisation de l’ensemble des prestations sociales, au premier rang desquelles les pensions de retraite : elles ne progresseront que de 0,3 % en 2019 et en 2020. Dans le contexte d’une reprise de l’inflation, c’est véritablement insoutenable.
Cette mesure, qui rapportera, en 2019, 2,4 milliards d’euros dans le champ de la sécurité sociale, engendrera également 800 millions d’euros d’économie pour le budget de l’État, principalement au titre des dépenses de retraite des fonctionnaires de l’État et des régimes spéciaux équilibrés par la solidarité nationale.
En cumulant la sous-revalorisation des pensions et l’augmentation de la CSG pour les retraités, la politique du Gouvernement en matière de retraites affiche un rendement financier proche de celui de la réforme des retraites de 2010.
Vous êtes donc en train de mener, sans l’assumer, une réforme financière des retraites pesant sur les seuls retraités, ce qui est en contradiction avec votre discours selon lequel il s’agirait d’une réforme non financière, qui ne concernera pas les retraités actuels. Nous considérons que la réforme doit maintenir, à l’avenir, le niveau des pensions, et ne doit exclure aucun paramètre de justice intergénérationnelle.
Le second message concerne les régimes spéciaux de retraite, dont j’ai entendu les représentants au cours des derniers mois.
Malgré les réformes de convergence vers le régime général, entreprises depuis 2003 pour les régimes de la fonction publique et depuis 2008 pour les autres régimes, trois spécificités principales demeurent : l’architecture de ces régimes, intégrant retraite de base et retraite complémentaire, les règles de calcul des pensions et l’existence des catégories actives, qui correspondent aux emplois particulièrement dangereux ou pénibles, aux personnels qui sont en première ligne actuellement : policiers, gendarmes, pompiers, infirmiers notamment.
La commission des affaires sociales considère que le débat sur la prise en compte de la pénibilité pour l’ensemble de la population active dans le futur système de retraite doit être ouvert rapidement. Il conviendra toutefois de tenir compte de l’échec récent du compte personnel de prévention de la pénibilité et de ne pas créer de tensions au sein des entreprises ni de stigmatisation.
En 2018, le Sénat a été le promoteur d’un débat ouvert et transparent sur la réforme des retraites, en organisant notamment le colloque du 19 avril dernier, qui a permis de lancer la réforme. Nous continuerons l’année prochaine dans cet esprit, pour construire une réforme qui soit acceptable par l’ensemble de nos concitoyens en 2019. (M. Jackie Pierre applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Troendlé, en remplacement de Mme le rapporteur pour avis.
Mme Catherine Troendlé, en remplacement de Mme Catherine Di Folco, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, pour le programme « Fonction publique ». Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous prie de bien vouloir excuser Mme Catherine Di Folco, rapporteur pour avis, qui m’a demandé de la remplacer. En tant que présidente des commissions administratives paritaires, elle devait être présente au centre de gestion du Rhône, pour les élections professionnelles.
L’avis budgétaire « Fonction publique » de la commission des lois porte prioritairement sur la fonction publique de l’État et, plus précisément, sur le programme 148, destiné à compléter les actions des ministères en matière de ressources humaines.
Ce programme 148 est doté de 206,91 millions d’euros dans le projet de loi de finances pour 2019, soit une baisse de 0,91 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2018, à périmètre constant.
Concernant la formation interministérielle, des projets de réforme des instituts régionaux d’administration et de l’École nationale d’administration permettent de dégager une économie de 1,92 million d’euros par rapport à l’exercice 2018. La commission des lois a salué le plan de transformation de l’ENA, qui doit permettre un retour à l’équilibre budgétaire dès 2020.
En 2019, les aides pour le recrutement des apprentis dans la fonction publique de l’État ne figurent plus dans le programme 148, mais sont réparties entre les budgets de chaque ministère. On peut regretter ce choix, car, d’une part, l’action de l’État en faveur de l’apprentissage perd en lisibilité, et, d’autre part, son pilotage devient plus complexe. Nous n’avons pas pu connaître l’enveloppe précise consacrée à l’apprentissage pour l’exercice 2019.
Néanmoins, je vous propose de voter en faveur de l’adoption des crédits du programme 148.
Au-delà de ce programme, je souhaite aborder trois points.
Le premier concerne la réduction des effectifs dans la fonction publique de l’État. En deux ans, seuls 5 824 équivalents temps plein seront supprimés dans les ministères et chez les opérateurs, alors que le Gouvernement s’est engagé à en supprimer 50 000 en cinq ans. L’objectif paraît donc très difficile à atteindre.
Le deuxième point a trait au retard pris dans le déploiement du régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel, le RIFSEEP. Seulement 23 % des fonctionnaires de l’État sont couverts par ce régime indemnitaire. Les retards pris par l’État sont préjudiciables aux employeurs et aux agents territoriaux, car, pour rejoindre dans le RIFSEEP, un cadre d’emplois de la fonction publique territoriale doit attendre l’adhésion du corps équivalent dans la fonction publique de l’État.
Cette situation constitue une source d’incompréhension pour les agents territoriaux et de complexité pour les employeurs. Il y a donc urgence à achever le déploiement du RIFSEEP, notamment dans les filières techniques, et à mieux valoriser les résultats des services.
De même, la commission des lois a regretté que des corps de la haute fonction publique soient exclus du RIFSEEP, comme celui des directeurs d’administration centrale.
Troisième point, la volonté du Gouvernement est de multiplier le recours aux agents contractuels pour les emplois de direction de la fonction publique territoriale. Sur le fond, la modification des règles de recrutement pour les emplois fonctionnels ne fait pas consensus.
D’une part, le droit en vigueur satisfait les employeurs territoriaux. Ces derniers n’expriment pas le besoin de recruter davantage d’agents contractuels pour des emplois fonctionnels. En revanche, ils souhaitent plus de souplesse pour recruter des contractuels sur des missions spécifiques.
D’autre part, ouvrir de nouveaux emplois fonctionnels aux agents contractuels nécessite, en amont, de repenser et de sécuriser les procédures de recrutement, de rémunération et de déontologie.
Après avoir entendu l’ensemble des parties prenantes, la commission des lois a émis beaucoup de réserves concernant une éventuelle réforme des règles applicables au recrutement pour les postes de direction de la fonction publique territoriale.
Mme la présidente. Nous revenons à l’examen des crédits de la mission « Santé », pour le résultat du scrutin public n° 35, qui a donné lieu à un pointage.
Proclamation du résultat d’un scrutin public
Mme la présidente. Mes chers collègues, voici, après pointage, et compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 35, sur l’amendement n° II-43 :
Nombre de votants | 338 |
Nombre de suffrages exprimés | 302 |
Pour l’adoption | 152 |
Contre | 150 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, avant l’article 81 quater.
Gestion des finances publiques et des ressources humaines (suite)
Crédits non répartis (suite)
Action et transformation publiques (suite)
Compte d’affectation spéciale : Gestion du patrimoine immobilier de l’État (suite)
Régimes sociaux et de retraite (suite)
Compte d’affectation spéciale : Pensions (suite)
Mme la présidente. Nous reprenons l’examen des crédits des missions « Gestion des finances publiques et des ressources humaines » (et article 77 bis et 77 ter), « Crédits non répartis », « Action et transformation publiques », du compte d’affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l’État » (et articles 84 ter et 84 quater), de la mission « Régimes sociaux et de retraite » et du compte d’affectation spéciale « Pensions ».
Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque unité de discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de dix minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la question du recouvrement de nos impôts, celle de la qualité de la relation entretenue avec le citoyen contribuable et celle de la gestion de notre service public local ou hospitalier sont au cœur du débat qui nous réunit ce jour.
Il nous faut évoquer, à la suite de M. le rapporteur spécial Thierry Carcenac, la problématique de l’évolution des effectifs de l’administration fiscale.
Cette année encore, le ministère des finances conduit une politique de réduction de ses effectifs, avec la suppression de 1 872 postes au sein de la direction générale des finances publiques, qui affecte à la fois les centres des finances publiques et les sous-directions de Bercy.
La lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, sujet qui nous tient particulièrement à cœur au Sénat, nécessite pourtant des moyens matériels et humains tout à fait particuliers.
On ne fera croire à personne que la dématérialisation des procédures de déclaration et de recouvrement suffirait, par elle-même, à garantir la transparence des résultats fiscaux et la fluidité des recettes de l’État.
De la même manière, la retenue à la source, désormais applicable à l’impôt sur le revenu, ne saurait nous garantir tout à fait contre la fraude.
C’est au premier niveau, en prise directe avec le terrain, que les agents des impôts, des douanes et de la police nationale détectent les fraudes les plus sophistiquées.
La fraude fiscale, ce n’est pas qu’une affaire de relations à fleurets mouchetés entre le Trésor public, représenté par la direction des grandes entreprises, et les grands groupes, leurs obligations de publicité et l’armada d’avocats qu’ils rémunèrent pour discuter de quelques points de droit avec l’administration fiscale.
La fraude et l’évasion fiscales sont deux maux dont souffre notre pays. Elles nous contraignent probablement à maintenir certaines recettes à rendement élevé pour pallier les manques constatés hier.
La fraude fiscale, dont on dit qu’elle coûterait environ 80 milliards d’euros à l’État, c’est-à-dire l’équivalent du déficit constaté à la fin de 2018 pour l’ensemble des comptes publics, demeure concentrée sur l’impôt sur les sociétés, la TVA et l’impôt sur les revenus les plus élevés. Elle se double de fraudes aux assurances sociales, frappant les cotisations sociales, ressource indispensable au maintien de l’égalité devant la santé, la vieillesse, la maladie ou encore les plans sociaux et leurs effets sur leur environnement économique immédiat.
Mme Nathalie Goulet. Absolument !
M. Éric Bocquet. Lutter contre la fraude et l’évasion fiscales, cela commence donc à la base, par le plus simple contrôle sur pièces, par l’étude concrète, par exemple, d’une demande de crédit d’impôt recherche, par l’analyse de la relation commerciale privilégiée entre une entreprise et l’un de ses fournisseurs : cela nécessite des équipes suffisamment denses, œuvrant au sein d’un maillage territorial suffisamment renforcé, au rebours de la ligne suivie par le Gouvernement au travers d’un projet de budget où les gains de productivité des agents et cadres de la DGFiP se traduisent par un nouvel étiolement de la présence physique et territoriale des services. L’article 77 ter du projet de loi, rattaché aux crédits de la mission, montre d’ailleurs clairement où cela risque encore de nous mener.
Nous ne pouvons, en rejetant cet article comme les crédits de la mission, que confirmer notre refus de ce démembrement continu de nos administrations fiscales et financières.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, les missions que nous examinons à présent concernent le pôle économique et financier de l’État : l’État employeur, avec la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines », dans le cadre de la mission relative aux régimes dits sociaux et de retraite, ainsi que la politique de l’État propriétaire, par le biais du compte d’affectation spéciale « Patrimoine immobilier de l’État ».
Quatre articles rattachés ont été ajoutés à l’Assemblée nationale, prévoyant notamment l’expérimentation du compte financier unique dans les regroupements de collectivités territoriales, la délégation d’opérations relevant habituellement de la compétence du comptable public, et le transfert de la propriété de l’hôtel du commandement de la Marine, en Polynésie.
Avec près de 2 millions de fonctionnaires, l’État est le premier employeur, et la gestion de son personnel revêt une importance cruciale pour notre pacte social et pour la vie de nos territoires, avec des implications sur l’efficacité de l’administration, la qualité et l’accessibilité des services publics, ainsi que le développement économique.
Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite qu’il soit mis un terme à la fuite des personnels de l’État exerçant dans les services déconcentrés de nos départements vers les métropoles et les préfectures de région.
Comme en 2018, la réduction des effectifs sera certes modeste, mais réelle, avec environ 1 500 suppressions nettes de postes. Si les grandes masses d’effectifs par ministère sont restées stables, la plus forte baisse est supportée par le ministère de l’action et des comptes publics. Mais quoi de plus normal quand on demande beaucoup d’efforts aux autres ?
L’analyse des crédits de la mission « Régimes sociaux et de retraite » et du compte d’affectation spéciale relatif aux pensions des fonctionnaires montre que, si les retraites des régimes spéciaux restent encore subventionnées dans des proportions importantes, leurs situations, au demeurant très diversifiées, tendent à converger vers le régime général. Le budget de la mission sera stable en 2019 tant en montant, à 6,3 milliards d’euros, qu’en périmètre. Quant au solde du compte d’affectation spéciale « Pensions », il est nettement excédentaire, de 1,6 milliard d’euros.
En revanche, le rapport spécial sur la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines » met en lumière des points à améliorer dans la gestion des ressources humaines de l’État. Ainsi, les déploiements de programmes informatiques créent toujours des difficultés importantes, avec beaucoup de retards, et de surcoûts aussi, mais vous le savez, monsieur le secrétaire d’État.
Il nous paraît essentiel d’améliorer la situation de l’administration dans ce domaine. Cela passe aussi par des organisations repensées, une meilleure gestion des ressources humaines et des carrières, une autre utilisation des compétences au sein des services et une meilleure négociation des contrats de fourniture et de services avec les prestataires extérieurs.
La direction générale des finances publiques, issue elle-même de fusions successives – la fusion entre le Trésor et les services fiscaux n’a pas toujours été facile -, connaît des changements importants liés aux réformes actuellement mises en œuvre, en particulier l’instauration du prélèvement à la source.
La lutte contre la fraude fiscale, effectivement fondamentale, doit rester la priorité des priorités.
La direction générale des douanes, quant à elle, est l’une des principales administrations concernées par la préparation du Brexit, dont une étape cruciale devrait se jouer la semaine prochaine.
Ces deux importantes directions sont confrontées à des défis communs, dans le cadre du programme Action publique 2022 : la dématérialisation, la distinction entre accueil physique et gestion des dossiers en back office, enfin et surtout la mise en place prévue d’une agence unique du recouvrement regroupant aussi l’URSSAF. Sachant, monsieur le secrétaire d’État, le poids considérable, de plusieurs milliards d’euros, des indus dans le budget de l’État, je souhaite que l’on s’attaque enfin à cette question, découlant également de la non-mise en place de la contemporanéité. Un certain nombre d’efforts sont consentis au titre du budget pour 2019, mais il faut aller plus loin.
Quant à la politique de l’État propriétaire, je sais le travail effectué par M. Carcenac sur ce dossier. Il y aurait beaucoup à dire, et je n’ai pas suffisamment de temps pour cela, mais il serait bon que Bercy fasse preuve de célérité en matière de cessions d’immobilier de l’État. Tout le monde s’en réjouirait, surtout ceux qui veulent bâtir.
Enfin, la mission « Action et transformation publiques », qui porte sur la rénovation des cités administratives, est importante.
Monsieur le secrétaire d’État, je conclurai ce trop bref propos en disant que le groupe du RDSE votera les crédits de ces quatre missions et de ces deux comptes spéciaux, dont les enjeux sont importants.
Mme la présidente. La parole est à M. Dany Wattebled.
M. Dany Wattebled. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mesdames, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui les crédits des missions « Gestion des finances publiques et des ressources humaines », « Action et transformation publiques » et « Régimes sociaux et de retraite ».
Les évolutions liées à la première de ces missions nous semblent aller dans le bon sens. La maîtrise des effectifs des ministères économiques et financiers est réelle et doit être saluée. La suppression de 1 947 équivalents temps plein fait de cette mission le principal contributeur à l’effort de réduction des effectifs de la fonction publique d’État. Cet effort doit avoir valeur d’exemple pour les autres ministères et pour la sphère publique dans son ensemble. Oui, assurer un service public de qualité avec moins de fonctionnaires est possible.
C’est d’ailleurs l’honneur de notre fonction publique d’avoir traversé les réformes successives de l’action publique, de la révision générale des politiques publiques, la RGPP, à la modernisation de l’action publique, la MAP, en s’adaptant pour servir avec la même excellence et la même efficacité. Nous soutenons donc le Président de la République dans sa démarche de suppression de 120 000 postes de fonctionnaire sur la durée du quinquennat.
Malheureusement, force est de constater que nous en sommes très loin. Les résultats de l’année 2018 et les prévisions pour l’année 2019 sont trop timides pour que l’on puisse espérer atteindre les objectifs de masse salariale fixés par le Gouvernement. Nous en sommes à peine à 6 000 suppressions nettes sur deux ans, ce qui est bien trop peu ! Toutefois, cette diminution de 120 000 du nombre des fonctionnaires ne doit pas être un totem, une coupe brutale comme nous en avons connu par le passé. Elle doit s’accompagner d’une réflexion d’ampleur sur les secteurs de l’action publique que nous entendons sanctuariser ou renforcer, comme la sécurité ou la justice, sur les dépenses inefficientes ou peu utiles, enfin sur la nature de l’État que nous voulons, ses missions essentielles, son périmètre, ses modes d’action.
Nous fondons aussi de grands espoirs sur la mission « Action et transformation publiques », dont nous espérons que les résultats seront à la hauteur de l’intitulé volontariste.
Le comité Action publique 2022 devra d’abord contribuer à redonner aux agents publics le goût de leur métier. La succession de réformes de l’État depuis vingt ans les a parfois conduits à perdre de vue le sens de leurs missions. Ensuite, il ne pourra pas faire l’économie d’une réforme d’envergure de la fonction publique et du statut des fonctionnaires.
Nous attendons du projet de loi qui sera présenté au début de l’année prochaine qu’il traite de la simplification des normes et des procédures dans les domaines de la mobilité, des instances de représentation, de la grille salariale et de la retraite des fonctionnaires. La Cour des comptes rappelle d’ailleurs régulièrement la nécessité d’un rapprochement avec le régime du secteur privé.
Les retraites sont justement l’objet de la mission « Régimes sociaux et de retraite ». Ses crédits correspondent aux subventions d’équilibre que l’État verse à divers régimes spéciaux de retraite dont l’autofinancement est rendu impossible par un déséquilibre démographique de plus en plus insoutenable. Ces subventions s’élèvent à 6,3 milliards d’euros dans le projet de loi de finances pour 2019, ventilés principalement entre les régimes des transports terrestres, des marins et des mineurs.
Nous devrons réfléchir à une réforme en profondeur de ces régimes spéciaux de retraite, dont l’équilibre financier est rompu depuis l’origine et dont le modèle n’est plus tenable sur le long terme. Le Président de la République et le Premier ministre se sont engagés à mener à bien, avec l’aide de Jean-Paul Delevoye, une réforme d’ampleur de ces régimes de retraite, avec l’instauration d’un régime universel. Nous saluons ces efforts en vue de la mise en place d’un système plus équitable, plus juste et plus solide. Alors que se poursuivent les consultations citoyennes autour de cette réforme, il importera de veiller à ce qu’elle ne fasse aucun perdant, surtout parmi les ménages les plus fragiles.
Pour conclure, le groupe Les Indépendants soutient le Gouvernement dans sa volonté d’améliorer les services publics, de renforcer notre fonction publique et de moderniser l’action de l’État. Nous voterons donc les crédits de ces missions, en portant un regard particulièrement vigilant sur les résultats concrets du comité Action publique 2022, qui se font malheureusement encore attendre.
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Haut.
M. Claude Haut. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mesdames, messieurs les rapporteurs, chers collègues, le service public est au cœur du pacte républicain.
Le service public, c’est ce « Lazare juridique », comme le disait le président du Conseil d’État Roger Latournerie, capable de renaître de ses cendres et d’évoluer constamment.
Le service public doit renaître. Il est critiqué par une partie de la population, car pas assez efficace, pas assez égalitaire entre nos territoires et, en même temps, pas suffisamment adapté à la réalité de ceux-ci. Il est critiqué, parce que la dépense publique française atteint un niveau indépassable. Le service public doit mieux faire. Répondre à cette demande des Français implique de faire des choix clairs et forts. Monsieur le secrétaire d’État, votre ministère fait des sacrifices importants pour que l’État réoriente ses effectifs et réponde aux enjeux du temps présent ; je salue ce courage.
Débattre de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines » me permettra d’évoquer les enjeux importants pour le service public du XXIe siècle, à savoir les mesures prises pour faciliter les relations avec l’administration et les mesures qui concernent la fonction publique.
La loi du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance, dite « loi ESSOC », a traduit la volonté d’adapter les services publics aux usagers : je veux dire par là adapter les services publics aux attentes des usagers, mais aussi mettre fin à un modèle standardisé.
Assurer l’égalité signifie adapter : c’est dédoubler les classes de cours préparatoire, par exemple, c’est aussi accepter que tous les demandeurs d’emploi ne soient pas suivis de la même manière – un cadre ne doit pas avoir le même soutien qu’une personne précaire et très éloignée du marché de l’emploi.
Ce sont ainsi des mesures concrètes qui ont été annoncées par le Gouvernement : extension des horaires d’ouverture pour les faire correspondre au rythme de la vie, fin des numéros surtaxés pour joindre les administrations et services de l’État, dématérialisation des démarches avec l’administration, principe du « dites-le-nous une fois ».
Simplifier les relations entre l’administration et les Français participera au rétablissement de la confiance avec l’État, les collectivités et, bien entendu, les élus que nous sommes.
Il faut simplifier la vie des Françaises et des Français comme nous devons simplifier la vie des entreprises. Les échanges sont le quotidien dans de nombreux territoires : le succès de la certification d’opérateur économique agréé mise en place par les douanes et retracée dans l’un des objectifs du programme 302 est, pour moi, l’une des meilleures preuves de l’évolution en cours.
Ces mesures doivent réconcilier les Français avec l’administration, à l’image du droit à l’erreur, pour qu’enfin les contrôles opérés par les pouvoirs publics soient réalisés non plus d’abord pour sanctionner, mais pour orienter.
Mais simplification ne veut pas dire laxisme. Nous pouvons tous ici saluer les créations d’emplois dans les filières de surveillance et de dédouanement : la loi de finances pour 2018 a enclenché une trajectoire de 700 créations d’emplois sur trois ans, tirant notamment les conséquences du Brexit.
Le renforcement de la surveillance concerne aussi les trafics illégaux, notamment celui du tabac, qui détruit le chiffre d’affaires des buralistes frontaliers. Je vous rappelle ici, chers collègues, les mesures entérinées par le projet de loi de lutte contre la fraude, qui renforcent les sanctions et les moyens de surveillance.
Les Français attendent aussi que la fonction publique évolue pour répondre aux transformations de l’action publique. Cela veut dire renverser le paradigme selon lequel l’administration centrale doit imposer des choix déconnectés des réalités, et plutôt inciter les managers publics à prendre des risques, à innover pour améliorer la qualité du service et les conditions de travail des agents. Le Fonds de transformation de l’action publique, doté de 700 millions d’euros, est à ce titre un levier utile.
Nous connaissons les grandes lignes de la transformation de la fonction publique : une rémunération plus individualisée pour récompenser le travail et l’efficacité, l’ouverture aux contrats pour aller plus vite lorsque c’est nécessaire, car nous vivons une époque où tout s’accélère ; une meilleure mobilité entre les trois fonctions publiques ; un meilleur dialogue social dans la fonction publique. Les concertations sont en cours, qui doivent porter en priorité sur la qualité du service public et les conditions de travail des agents publics.
En cette période de troubles où l’État est comptable aujourd’hui des intérêts des Français, et le sera demain de leurs espoirs, les fonctionnaires doivent avoir tout notre soutien, car ils sont la sève du lien social dans notre pays. Ils méritent que l’État dépasse l’approche comptable des politiques publiques ; le grand défaut de la RGPP, qui a été mise en œuvre sans le soutien des agents, a été d’en rester à la seule dimension comptable. Ils méritent d’être partie prenante à la transformation engagée, comme ils méritent un service public adapté et moderne.
Cette mission traduit en partie cette transformation. Par conséquent, le groupe La République En Marche votera ses crédits.
Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Lubin. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Monique Lubin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est pour préparer une année bien particulière et à un moment singulier que nous discutons de la mission « Régimes sociaux et de retraite » du projet de loi de finances pour 2019.
Le moment est celui d’une crise sociale et politique qui renvoie notamment à la problématique du pouvoir d’achat des Français. Aiguë, elle est en partie nourrie par des choix opérés par le Gouvernement au travers des projets de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 et pour 2019. Je pense ici au choix d’augmenter la CSG pour 8 millions de retraités et à la non-indexation des pensions sur l’inflation.
L’année particulière, c’est 2019 : selon l’agenda du Gouvernement, elle devrait être celle de la réforme des retraites, l’objectif affiché étant de simplifier un système complexe et difficilement lisible pour nos concitoyens. Les régimes spéciaux de retraite en seront un sujet clef.
L’examen des crédits de la mission « Régimes sociaux et de retraite » me donne l’occasion de m’exprimer à propos de cette réforme.
Les crédits de cette mission restent d’année en année relativement stables. Certaines interrogations perdurent, notamment sur l’imputation de la retraite complémentaire obligatoire des non-salariés agricoles sur la mission examinée aujourd’hui, et non sur la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ».
Cette mission prend surtout en charge les subventions d’équilibre versées par le budget de l’État à onze régimes spéciaux de retraite, ainsi que la subvention de l’État au régime complémentaire obligatoire des exploitants agricoles.
L’évolution qui sera proposée sera l’un des enjeux de la réforme des retraites à venir. Le haut-commissaire à la réforme des retraites, M. Jean-Paul Delevoye, est venu en présenter les prémices devant la commission des affaires sociales du Sénat. Il a été clair et bienveillant, mais nous considérons que tout reste à faire, car la bienveillance et la compétence ne font pas tout…
Ainsi, les représentants des régimes spéciaux de retraite ont signifié leur attachement à la singularité de leurs régimes respectifs et ont exprimé une inquiétude légitime, liée à la crainte d’être stigmatisés.
De fait, il va nous falloir être particulièrement vigilants ; l’état actuel de la France, caractérisé par une colère qui gronde et un profond mécontentement qui se fait jour, nous commande de faire tout particulièrement attention à la manière dont nous aborderons et traiterons ce dossier.
Je n’imagine d’ailleurs pas qu’une transformation aussi profonde de notre système de retraites que celle qui est envisagée aujourd’hui, dans un contexte aussi tendu et porteur de tant de remises en question, ne fasse pas l’objet d’un temps de travail et de réflexion particulièrement important.
C’est la raison pour laquelle je m’interroge sur la possibilité et la pertinence de voter ce texte dès 2019, sachant que la discussion ne démarrerait qu’au troisième trimestre de cette même année.
Si, toutefois, cette réforme devait être menée, j’ose espérer que l’on mettra – pour une fois – le temps qu’il faudra pour parvenir à un résultat juste et équilibré : une acceptation des Français sera indispensable, et demandera travail et dialogue.
Beaucoup de questions se posent : que deviendront les pensions de réversion, sujet .extrêmement sensible ? Sur quels régimes seront alignées les retraites des fonctionnaires ? Quid des carrières longues ? Nombreux sont ceux qui ont commencé à travailler très tôt et qui ont effectué des carrières longues et pénibles. Il est bien sûr hors de question que la réforme remette en cause leurs droits. Quid de la valeur du point, de son évolution, de la gouvernance du futur système ?
Monsieur le secrétaire d’État, les temps démontrent qu’aucune réforme, grande ou petite, ne peut être menée sans une véritable concertation avec la représentation nationale et les corps intermédiaires. Ils sont nécessaires à l’équilibre de notre démocratie. Ils sont indispensables pour que notre action soit comprise par nos concitoyens, dont le consentement est un préalable indispensable à toute réforme. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Henno.
M. Olivier Henno. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avec ces trois missions et ces deux comptes spéciaux, nous abordons de vastes sujets, qui mériteraient sans doute un plus long débat. Pour ma part, j’emploierai le temps qui m’est imparti pour formuler quelques remarques, réflexions et analyses.
J’évoquerai tout d’abord la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines », qui rassemble les crédits de l’essentiel des effectifs du ministère de l’économie et des finances. Elle traduit un objectif de baisse des dépenses de fonctionnement et des effectifs, laquelle est censée aller de pair avec une hausse de l’efficacité des services. Cette volonté s’inscrit dans la continuité de la trajectoire amorcée l’année dernière pour redéfinir les politiques publiques, dans le cadre du comité Action publique 2022.
Le seul programme dont les crédits sont en hausse est le programme 302, « Facilitation et sécurisation des échanges », notamment avec la création de 350 emplois dans les filières de surveillance et de dédouanement, afin d’anticiper le Brexit.
Avec un certain nombre de collègues, j’ai travaillé sur cette question au sein de mon groupe et de la commission des affaires européennes. Dès ce projet de budget pour 2019, nous observons le changement de paradigme que le Brexit entraîne et les coûts qu’il impose à l’État ; à mon sens, nous n’en sommes encore qu’au début. La fragilisation du multilatéralisme diplomatique et commercial va engendrer des surcoûts ; le bilatéralisme commercial va, dans le même temps, poser un certain nombre de problèmes, et ceux-là mêmes qui critiquaient le multilatéralisme vont découvrir les inconvénients résultant de sa remise en cause…
La mission « Action et transformation publiques » s’inscrit dans un vaste chantier de transformation de l’action publique et de renouvellement de la relation entre l’usager et le service public, dont relèvent des mesures comme l’instauration du droit à l’erreur ou le guichet unique. Comme le Gouvernement, je souhaite que l’on repense notre action publique à l’aube du XXIe siècle. Internet a modifié toutes nos habitudes. Il suffit de nous voir, les uns et les autres, twitter pendant les séances : je ne dénonce personne, nous le faisons toutes et tous ! (Sourires.)
L’État ne peut rester étranger aux transformations que provoque internet. Demain, notre service public sera de plus en plus numérique. Dès lors, sera-t-il toujours aussi humain ? L’expérience du déménagement de ma permanence de sénateur m’inspire à cet égard un certain scepticisme : lorsqu’on doit contacter EDF, GDF, son fournisseur d’accès à internet, tel ou tel service de l’État, et que l’on est renvoyé d’une plateforme téléphonique à une autre, l’on en vient à regretter le bon vieux temps où l’on avait affaire à une personne…
Mme Nathalie Goulet. Remettons de l’humain !
M. Olivier Henno. Faire en sorte que les services publics restent humains est un défi !
La transformation numérique est certes nécessaire, mais elle ne pourra se faire que si elle s’accompagne d’une amélioration du service rendu. Le Sénat et, tout particulièrement, le groupe Union Centriste seront les garants vigilants et exigeants de cette mutation. La transformation de notre service public ne saurait aggraver encore la fracture territoriale. Plus que jamais, nos concitoyens, dans leurs villes et dans leurs villages, ont besoin de sentir, à leurs côtés, un État de proximité.
Enfin, pour ce qui concerne la mission « Régimes sociaux et de retraite », je salue le travail accompli par nos collègues rapporteurs René-Paul Savary, au nom de la commission des affaires sociales, et Sylvie Vermeillet, au nom de la commission des finances.
Le sujet des régimes sociaux et de retraite est presque tabou dans notre pays. Or, à l’aube d’un projet de réforme systémique qui s’annonce plus que difficile pour le Gouvernement, il est indispensable de se plonger dans les chiffres.
Engagée depuis plus de quinze ans, la convergence réelle des régimes spéciaux vers le régime général semble encore un véritable défi pour la réforme à venir. Les dépenses de rééquilibrage, bien qu’en baisse, sont toujours très élevées : elles représentent près de 7 milliards d’euros. En outre, comme l’a indiqué M. Savary lors de nos échanges en commission des affaires sociales, les régimes spéciaux font partie de l’histoire de notre pays et l’attachement culturel des assurés à leur régime spécial est très fort.
L’existence des régimes spéciaux provoque de vifs débats dans notre société. Il conviendra de travailler à leur évolution sans en stigmatiser les bénéficiaires. J’appelle solennellement le Gouvernement au dialogue et à la concertation pour cette réforme à venir, qui touchera au quotidien des Français.
Sur le papier, le régime par points semble idéal, mais sa mise en œuvre pratique me laisse un peu perplexe. De toute manière, les leviers sont toujours les mêmes : le montant des pensions, le taux de cotisation et l’âge de départ à la retraite.
En attendant ces débats passionnants, les membres du groupe Union Centriste voteront les crédits de ces missions et comptes spéciaux, amendés par le Sénat. (Mmes Nathalie Goulet et Catherine Troendlé applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Lavarde.
Mme Christine Lavarde. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, madame, messieurs les rapporteurs, chers collègues, « le Gouvernement s’est résolument engagé dans une transformation profonde de l’action publique. Notre société est traversée par des évolutions importantes liées notamment aux nouvelles technologies. […] Le Gouvernement conduit la sphère publique dans cette transformation significative. […] Il a ainsi décidé de se doter des moyens d’investissement nécessaires à la mise en œuvre de réformes structurelles et ambitieuses. »
Dans ces mots du préambule du projet annuel de performance de la mission « Action et transformation publiques », je retrouve l’ambition qu’exprimait le Premier ministre en lançant le comité Action publique 2022, le 13 octobre 2017 : « Durant trop longtemps, on a recherché les économies avant de penser l’organisation. La démarche “action publique 2022” propose l’inverse : d’abord, mieux s’organiser, plus simplement, plus clairement, avec de nouveaux outils, plus performants, grâce à de nouvelles compétences, pour ensuite, mais ça, je dirais que c’est la conséquence logique, redonner du sens à l’action publique et mieux dépenser l’argent des Français. »
Monsieur le secrétaire d’État, au-delà des mots, j’ai cherché dans les programmes et les actions de la mission des propositions concrètes. J’avoue un progrès par rapport à 2018.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics. Ah, tout de même !
Mme Christine Lavarde. Les actions sont désormais assorties d’un préambule et d’une présentation. Mais, en même temps, j’avoue une grande déception. Les trois quarts des autorisations d’engagement et le tiers des crédits de paiement de la mission sont consacrés à la rénovation thermique et à l’accessibilité des bâtiments administratifs. Certes, bien souvent, ce n’est pas du luxe – vous connaissez d’ailleurs mon attachement à la rénovation thermique des bâtiments publics. Il s’agit là d’une action concrète au service de la sobriété énergétique. De plus, selon la direction de l’immobilier de l’État, au regard des résultats des premiers rapports d’audit, les besoins du parc des cités administratives dépassent potentiellement le montant total du programme. Ce qui est vrai pour l’État l’est aussi pour les collectivités territoriales : faites donc un geste en leur faveur et maintenez l’article, introduit par le Sénat, leur reversant une partie des recettes fiscales sur l’énergie. Comme vous pouvez le constater, je suis tenace !
J’en reviens aux crédits dont nous débattons.
Quel est le lien entre la maquette budgétaire qui nous est présentée et la transformation de l’action publique décrite avec tant d’emphase ? En analysant cette maquette, j’ai eu l’impression de revivre la déception du comité Action publique 2022 : les discours ne se traduisent pas en actes.
Pendant plusieurs mois, les membres dudit comité ont conduit des auditions pour faire foisonner des idées et, ainsi, tenter de répondre à cet impératif de modernisation de l’action publique. Mais au nom de quelle logique les avoir fait travailler sur des sujets comme l’agriculture ou le logement, alors que le projet de loi ÉGALIM pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et pour une alimentation saine, durable et accessible à tous et le projet de loi ÉLAN portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique avaient déjà été rédigés par le Gouvernement ? Comment prétendre que vous respectez leur travail dès lors que vous refusez de leur laisser lire l’intégralité du rapport auquel ils étaient censés avoir contribué ? J’emploie sciemment cette expression, car les missions d’appui et la direction interministérielle de la transformation publique ont fini par prendre la plume, pour ne pas dire plus, au cours de la phase finale.
Je ne rappellerai ni les soubresauts qui ont marqué la publicité du rapport ni le fait que le président de la commission des finances de notre assemblée ait dû expressément en demander la communication. Là encore, où est la cohérence avec les propos tenus par le ministre Gérald Darmanin devant la commission des finances en septembre 2017 ? Il déclarait alors : « Le Président de la République et le Premier ministre vont lancer la revue de ces missions. Elle sera réalisée par un comité Action publique 2022 […]. Le Parlement se saisira de ce travail, et nous pourrons alors définir collectivement ce que sont les missions de l’État, ainsi que les moyens humains et les crédits budgétaires correspondants. » De toute évidence, nous n’avons pas la même définition du mot « collectivement »…
La transformation de l’action publique est la pierre angulaire de la stratégie budgétaire du quinquennat. Si les économies annoncées ne sont pas au rendez-vous, l’objectif de réduction du déficit structurel ne sera jamais atteint.
Le chemin à accomplir jusqu’en 2022 est encore long. La présentation du projet de loi de finances pour 2019 en énumère les premières étapes : réforme des aides personnelles au logement, réforme de l’audiovisuel public, réduction du nombre des contrats aidés, mise en place du nouveau service public de l’emploi, ou encore réorganisation des services de l’État et de ses opérateurs à l’étranger.
Il vous reste trois ans, trois ans seulement, pour réduire de 50 000 le nombre des emplois dans la fonction publique d’État, 2018 ayant été une année blanche en la matière. À première vue, les efforts réalisés en 2019 seront quatre fois plus importants, avec la suppression de 4 164 ETP. Mais ce satisfecit relatif ne tient pas longtemps. En effet, lorsque l’on y regarde de plus près et que l’on raisonne en équivalents temps plein travaillé, c’est-à-dire lorsque l’on considère ce qui pèse sur la masse salariale, le solde des plafonds d’emplois sur le périmètre de l’État et des opérateurs progresse de 1 322 ETPT.
Le chemin est encore long pour transformer notre pays ; c’est utile et nécessaire. Les événements des derniers jours nous rappellent que cette transformation ne pourra se faire sans concertation avec les corps intermédiaires et sans le maintien de services publics de proximité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Sophie Taillé-Polian. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la baisse du plafond d’emplois de cette mission est l’inverse du signal qu’il faudrait envoyer si le Gouvernement souhaitait véritablement engager une politique de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.
Mme Nathalie Goulet. Voilà !
Mme Sophie Taillé-Polian. Quand, dans ce moment si particulier de colère sociale, le peuple se mobilise contre l’injustice fiscale, une augmentation du nombre de contrôleurs fiscaux serait de bon augure. En effet, la fraude fiscale illustre, avec une grande violence, l’injustice et le mépris social.
L’augmentation du nombre d’entreprises et de foyers fiscaux nécessiterait une augmentation du nombre des contrôles. Or que constate-t-on ? Ce budget consacre la suppression de nombreux emplois dans les services du contrôle fiscal de la DGFiP, qui étaient jusqu’à présent sanctuarisés.
On observe une baisse du nombre de contrôles, et donc un recul du taux de couverture fiscale. Ainsi, pour ce qui concerne l’impôt sur les sociétés, le taux de couverture du contrôle fiscal externe est passé de 3,17 % en 2008 à 2 % en 2016, cependant que le taux de couverture du contrôle sur pièces reculait de 7,16 % en 2008 à 3,37 % en 2016.
On constate également une telle baisse pour la TVA et l’impôt sur le revenu supporté par les foyers fiscaux. Elle s’accompagne, ces dernières années, d’une baisse des droits nets notifiés lors des opérations de contrôle fiscal. Les statistiques de la DGFiP pour 2018 nous indiquent qu’ils sont passés de 16,1 milliards d’euros en 2015 à 13,9 milliards d’euros en 2017.
La lutte contre la fraude fiscale doit s’intensifier. Il ne faut pas supprimer ces postes ! On assiste aujourd’hui, dans nos rues, à une lutte contre l’injustice fiscale, mais aussi pour le retour du service public. Or que constate-t-on ? Des fermetures de trésoreries : les services publics s’éloignent encore.
Quand on observe ce projet de budget d’un peu plus près, on remarque qu’il comporte un fonds de 50 millions d’euros destiné à soutenir les coûts de transition nécessaires à la mise en œuvre des réformes structurelles – entendez des suppressions de postes et des réorganisations. Ces 50 millions d’euros – je cite les propos de M. le ministre devant l’Assemblée nationale – sont censés financer « la formation des agents et des bilans de compétences pour reclasser les agents ».
Monsieur le secrétaire d’État, je vous fais une proposition : plutôt que d’utiliser ces 50 millions d’euros à détricoter le service public, remettez-les dans le budget, rehaussez les plafonds d’emplois pour répondre aux demandes des Français et des Françaises, pour lutter contre l’injustice fiscale,…
Mme Nathalie Goulet. Pour la police de Bercy !
Mme Sophie Taillé-Polian. … pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscales !
Mme Laurence Rossignol. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics. Madame la présidente, madame, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, en l’espace de quelques minutes, énormément de sujets ont été abordés concernant les crédits des principales missions assumées par le ministère de l’action et des comptes publics. Je vais m’efforcer non seulement de vous apporter des réponses, mais aussi de faire un point d’étape sur la transformation de l’action publique que nous entreprenons, notamment dans les deux grandes administrations à réseau phares de l’État que sont la DGFiP et la direction générale des douanes et des droits indirects, la DGDDI.
Voilà en effet un peu plus d’un an et demi, nous avons choisi de remettre à plat chaque mission d’action publique en partant des usages d’aujourd’hui et en questionnant l’efficacité de la dépense publique.
Sur le plan législatif, cette ambition s’est d’ores et déjà traduite par de nombreuses dispositions contenues dans plusieurs textes.
Je pense, bien entendu, à la loi ESSOC pour un État au service d’une société de confiance, qui comporte deux mesures essentielles au renouvellement de la relation entre l’usager et le service public, à savoir l’instauration du principe du « droit à l’erreur » et celle d’un référent unique comme interlocuteur d’un usager dans sa relation avec les services publics concernés. Nous avons récemment fait la démonstration de l’application de ce texte et de son esprit aux URSSAF, ces dernières étant peut-être l’administration la mieux connue de toutes les entreprises de France.
Je pense aussi à la clarification et à l’amélioration de la lisibilité de la politique fiscale que nous mettons en œuvre dans les lois financières, à commencer par la suppression de plus d’une vingtaine de petites taxes. Je note, au passage, que votre assemblée a judicieusement fait le choix d’accompagner ce mouvement en proposant la suppression de deux taxes supplémentaires lors de l’examen de la première partie du projet de loi de finances pour 2019. Vous aurez l’occasion de vous prononcer une nouvelle fois en faveur de la rationalisation de notre politique fiscale, en seconde partie, avec le transfert du recouvrement de certaines taxes de la DGDDI vers la DGFiP ; le but est de recentrer l’administration des douanes sur ses missions premières.
Nous avons en outre, avec Gérald Darmanin, engagé en février dernier une large consultation pour bâtir la fonction publique de demain. Dans quelques instants, nous examinerons un certain nombre d’amendements qui tendent à escamoter ce temps de concertation. Je pense notamment aux amendements qui tendent à instaurer trois jours de carence dans la fonction publique ou à effectuer des coupes massives dans les effectifs, en particulier ceux de la DGFiP, que certains d’entre vous prétendent, quant à eux, renforcer.
Au cours de cette concertation, nous avons identifié quatre leviers de transformation : la simplification du dialogue social, qui doit s’opérer en garantissant la couverture des droits ; le recours accru au contrat afin de donner davantage de liberté et de souplesse aux encadrants pour désigner leurs collaborateurs, tout en améliorant les conditions de recrutement et d’emploi des agents publics contractuels ; l’individualisation de la rémunération des agents publics ; enfin l’accompagnement renforcé des mobilités et des transitions professionnelles – nous devons anticiper l’évolution des métiers et des services qu’impliqueront les prochaines transformations, mieux former et mieux accompagner les agents.
Ces leviers n’épuisent pas les enjeux de modernisation du statut de la fonction publique, auquel nous sommes attachés, mais ils sont essentiels pour refonder le contrat social avec les agents publics. L’objectif du Gouvernement reste de soumettre au Parlement un projet de loi relatif à la fonction publique au cours du premier semestre de 2019.
Sur le plan opérationnel, de nombreuses réformes ont été lancées. Elles ne nous semblent pas répondre à la logique du rabot que deux de vos rapports spéciaux évoquent dans leurs conclusions.
Parmi ces réformes opérationnelles, je citerai le transfert à la DGFiP du recouvrement de l’essentiel de la fiscalité relevant de l’État. Comme je viens de l’indiquer, l’objectif est que la mission fiscale de la DGDDI soit concentrée sur la fiscalité proprement douanière. Ce mouvement s’inscrit dans une logique plus large d’unification du recouvrement pour les entreprises et les particuliers d’ici à la fin du quinquennat. Dans cet esprit, une agence unique de recouvrement pour la sphère de l’État et la sphère sociale pourra être constituée.
Je citerai également la mise en place, avec les collectivités territoriales, du compte financier unique, qui, se substituant à titre expérimental aux comptes administratifs et de gestion, devrait assurer une meilleure lisibilité, et donc un meilleur usage des crédits.
Je mentionnerai enfin l’expérimentation de l’agence comptable, qui traduit une évolution du principe de séparation de l’ordonnateur et du comptable, ainsi que l’objectif du « zéro espèces » dans l’administration d’ici à 2022. Ce dernier chantier est assorti d’un appel d’offres, afin que d’autres réseaux, comme La Poste ou les buralistes, puissent assurer, dans le cadre de conventions, la manipulation des espèces. Qu’il s’agisse du compte financier unique ou de l’agence comptable, la démarche est avant tout expérimentale.
J’en viens aux principales critiques ou interrogations formulées par la commission des finances du Sénat au travers de ses rapports spéciaux. Au fond, elles sont de trois ordres.
Premièrement, vous indiquez que la priorité donnée à la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales ne se retrouve ni dans les moyens ni dans les résultats du contrôle fiscal.
Mme Nathalie Goulet. Eh oui !
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Je m’inscris en faux contre ce constat : tout d’abord, au sujet des moyens, permettez-moi de rappeler les deux textes adoptés cette année, la loi ESSOC et la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale, qui transforment en profondeur la philosophie du contrôle fiscal.
La logique est double : d’une part, nous nous efforcerons de parvenir à des contrôles apaisés avec les contribuables de bonne foi, c’est-à-dire des contrôles mieux compris, plus rapides, plus précis, avec des procédures courtes, et donc in fine de meilleurs recouvrements ; d’autre part – ce volet est essentiel –, la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale renforce les instruments de détection et de répréhension de la fraude. Je pense notamment à la création d’une police fiscale, à l’augmentation du montant des sanctions, à l’utilisation du name and shame et, bien sûr, à l’ouverture du verrou de Bercy.
Mme Nathalie Goulet. Ouverture minimale…
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Au-delà des mesures contenues dans cette loi, la DGFiP exploite les nouvelles technologies à sa disposition, notamment le data mining et l’analyse-risque, pour améliorer la programmation du contrôle et ainsi mieux cibler les entreprises et les particuliers vérifiés.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous constaterez avec moi que la lutte contre la fraude constitue bien une priorité du Gouvernement, non pas seulement dans les paroles, mais bien dans les moyens.
Pour ce qui concerne les résultats du contrôle, il convient peut-être de prendre un peu de recul à l’égard des chiffres avancés. En effet, certains d’entre eux sont inexacts : le montant total des droits et pénalités notifiés en 2017 s’élève non pas à 13,5 milliards d’euros, mais à 16,6 milliards d’euros.
M. Thierry Carcenac, rapporteur spécial. Il faut comparer ce qui est comparable…
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Si l’on y ajoute les résultats du service de traitement des déclarations rectificatives, le STDR, soit 1,3 milliard d’euros en 2017, ce montant total s’élève même à 17,9 milliards d’euros.
Cela dit, il est vrai que les résultats ont baissé de 1,6 milliard d’euros depuis l’année dernière, ce qui représente un recul de 8,2 %. Plusieurs facteurs permettent de l’expliquer.
Tout d’abord, les résultats du contrôle fiscal fluctuent naturellement du fait des affaires exceptionnelles, qui sont plus ou moins nombreuses selon les années et représentent une large fraction des résultats nationaux du contrôle fiscal.
Ensuite, la fermeture du STDR, à la fin de l’année 2017, explique en partie la baisse des résultats, car les dossiers les plus importants ont été traités au début de son existence.
Enfin, les chiffres présentés au titre des années précédentes ne reflétaient pas forcément la réalité des résultats du contrôle : il a pu y avoir, par le passé, une tendance à pratiquer des redressements qui finissaient au contentieux sans donner lieu à aucun recouvrement. Cette pratique pouvait conduire à gonfler quelque peu artificiellement les chiffres présentés. Depuis 2017, nous nous efforçons au contraire de sincériser les résultats du contrôle fiscal, comme nous le faisons plus généralement pour le budget de la Nation. Nous préférons mettre en place un vrai plan de lutte contre la fraude, juste avec les contribuables de bonne foi et intransigeant avec les fraudeurs.
Deuxièmement, vous avancez que le pilotage « au rabot » et la réorganisation « à vue » du réseau ne seraient plus tenables, et vous insistez pour que la DGFiP se dote d’une stratégie pluriannuelle claire, élaborée en concertation avec les territoires. C’est précisément la raison pour laquelle une réorganisation territoriale des services est en cours d’élaboration, dans une logique de délocalisation des services centraux situés en région parisienne et de multiplication des points de contact avec les usagers, aux fins de renforcer la proximité du service public.
Compte tenu de la taille de ce réseau et de la complexité des enjeux associés, une préfiguration de ce que Gérald Darmanin et moi-même appelons la « déconcentration de proximité » sera mise en œuvre dans sept départements pilotes avant d’être étendue à l’ensemble du territoire. Les parlementaires, les organisations syndicales et les élus locaux seront naturellement associés à ce travail.
Troisièmement, vous nous reprochez de ne pas anticiper suffisamment, d’un point de vue budgétaire, les bouleversements auxquels fait face l’administration fiscale, en particulier au regard des crédits informatiques. Or ces crédits sont, en réalité, en hausse de 15 millions d’euros depuis 2017. Je rappelle que cette hausse fait suite à la baisse continue qu’ont connue ces crédits entre 2015 et 2017.
Par ailleurs, comme vous le savez, le budget informatique sera complété en 2019 par une enveloppe de crédits dédiée au lancement du prélèvement à la source ; elle sera de 37 millions d’euros, dont 27 millions d’euros consacrés aux seules dépenses informatiques.
De la même manière, en 2019, une dotation de 20 millions d’euros sera débloquée afin de financer les projets participant à la transformation des services des ministères économiques et financiers. Elle constituera un levier d’impulsion de la transformation de ces ministères, en complément des projets de transformation relevant, eux, du fonds de transformation pour l’action publique. Ce fonds s’élèvera à 245 millions d’euros en 2019, dont 50 millions d’euros destinés au fonds d’accompagnement interministériel des ressources humaines et 7,2 millions d’euros au fonds pour l’accélération du financement des start-ups d’État.
Avant de conclure, je souhaite répondre plus particulièrement à deux questions qui m’ont été posées.
Tout d’abord, monsieur Carcenac, la société de valorisation foncière et immobilière, la SOVAFIM, fera bien évidemment l’objet d’un travail dans le cadre de la réforme de la politique immobilière de l’État. Nous avons la volonté de mieux louer les biens et, parfois, de céder ceux qui ne sont plus utiles. La SOVAFIM devra être incluse dans la réflexion sur l’ensemble des foncières et leur efficacité.
Ensuite, aux différents orateurs qui ont évoqué la réforme des retraites des fonctionnaires, j’indique que notre travail s’inscrit dans le cadre de la concertation menée par le haut-commissaire, M. Delevoye. Nous sommes conscients que les retraites des fonctionnaires soulèvent un certain nombre de difficultés et de questions particulières, s’agissant notamment de la règle des six derniers mois ou de l’intégration du régime indemnitaire dans l’assiette des cotisations. Pour que la réforme des retraites soit acceptable et contribue à instaurer plus d’équité, plus d’égalité et plus de transparence, dans la fonction publique comme dans le secteur privé, il faut se donner le temps de travailler sur ces sujets. Nous avons la volonté d’harmoniser le système des retraites à tous les niveaux, tant dans le secteur privé que dans le secteur public. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – M. Marc Laménie applaudit également.)
gestion des finances publiques et des ressources humaines
Mme la présidente. Nous allons procéder à l’examen des crédits de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines », figurant à l’état B.
ÉTAT B
(En euros) |
||
Mission |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
Gestion des finances publiques et des ressources humaines |
10 695 965 134 |
10 442 121 171 |
Gestion fiscale et financière de l’État et du secteur public local |
7 980 963 922 |
7 737 275 444 |
Dont titre 2 |
6 880 827 172 |
6 880 827 172 |
Conduite et pilotage des politiques économiques et financières |
899 531 802 |
913 233 312 |
Dont titre 2 |
507 375 096 |
507 375 096 |
Facilitation et sécurisation des échanges |
1 609 889 811 |
1 586 032 816 |
Dont titre 2 |
1 245 123 293 |
1 245 123 293 |
Fonction publique |
205 579 599 |
205 579 599 |
Dont titre 2 |
200 000 |
200 000 |
Mme la présidente. L’amendement n° II-49, présenté par M. Nougein, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits du programme :
(En euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
|
+ |
- |
+ |
- |
Gestion fiscale et financière de l’État et du secteur public local |
2 200 000 000 |
2 200 000 000 |
||
dont titre 2 |
2 200 000 000 |
2 200 000 000 |
||
Conduite et pilotage des politiques économiques et financières dont titre 2 |
||||
Facilitation et sécurisation des échanges dont titre 2 |
||||
Fonction publique dont titre 2 |
||||
TOTAL |
2 200 000 000 |
2 200 000 000 |
||
SOLDE |
- 2 200 000 000 |
- 2 200 000 000 |
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Claude Nougein, rapporteur spécial. Il s’agit de dispositions que le Sénat a déjà adoptées l’an dernier, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2018.
Cet amendement vise à réduire les crédits du programme 156 « Gestion fiscale et financière de l’État et du secteur public local » à hauteur de 2,2 milliards d’euros. Cette économie résulterait d’un alignement du temps de travail des agents publics sur la durée habituelle de travail de l’ensemble des actifs, soit 37,5 heures hebdomadaires.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Monsieur le rapporteur spécial, l’avis du Gouvernement est, comme l’an dernier, défavorable, pour des raisons tant de fond que de forme.
Sur la forme, cet amendement tend à faire peser sur le seul programme 156, donc sur les seuls services de la DGFiP, une économie d’un montant considérable, car calculé pour l’ensemble du périmètre de l’État. S’il était adopté, la masse salariale de la DGFiP serait amputée de 32 %, ce qui engendrerait un véritable risque d’insoutenabilité. Vous indiquez que les économies correspondantes devront être réparties entre toutes les missions du budget général : c’est méconnaître le fait que la répartition des crédits votés par le Parlement au titre de chaque programme ne peut être modifiée qu’à la marge et sous des conditions précises, fixées par la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, la LOLF, notamment par son article 12.
Sur le fond, je souligne que le temps de travail dans la fonction publique est d’ores et déjà aligné réglementairement sur celui du secteur privé : il est fixé à 35 heures hebdomadaires en vertu de l’article L. 3121-27 du code du travail. En effet, le décret du 25 août 2000 précise que la durée de travail effective est fixée à 35 heures par semaine dans les services et établissements publics administratifs de l’État comme dans les établissements publics locaux d’enseignement. Ce décret est applicable à la fonction publique territoriale, et un texte similaire est applicable à la fonction publique hospitalière.
Pour l’ensemble de ces raisons, et notamment du fait de l’insoutenabilité totale de cet amendement au regard du programme de la DGFiP, le Gouvernement émet un avis défavorable.
Mme la présidente. L’amendement n° II-51, présenté par M. Nougein, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits du programme :
(En euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
|
+ |
- |
+ |
- |
Gestion fiscale et financière de l’État et du secteur public local |
216 000 000 |
216 000 000 |
||
dont titre 2 |
216 000 000 |
216 000 000 |
||
Conduite et pilotage des politiques économiques et financières dont titre 2 |
||||
Facilitation et sécurisation des échanges dont titre 2 |
||||
Fonction publique dont titre 2 |
||||
TOTAL |
216 000 000 |
216 000 000 |
||
SOLDE |
- 216 000 000 |
- 216 000 000 |
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Claude Nougein, rapporteur spécial. Ces dispositions ont, elles aussi, été adoptées par la commission et le Sénat, dans une version légèrement différente, lors de l’examen des projets de loi de finances pour 2015, 2016 et 2018.
Cet amendement vise à porter le délai de carence applicable aux congés de maladie des agents publics d’un jour – comme actuellement prévu par l’article 115 de la loi de finances pour 2018 – à trois jours. L’économie supplémentaire qui en résultera peut être estimée à 216 millions d’euros.
Les économies liées à l’adoption de cet amendement seront imputées sur les crédits du programme 156. Dans la mesure où elles concernent l’ensemble de la fonction publique d’État, elles devront être réparties entre toutes les missions.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Sur la forme, le Gouvernement estime que ces dispositions, comme celles du précédent amendement, ne sont pas compatibles avec l’article 12 de la LOLF.
Sur le fond, nous sommes opposés à la mesure proposée. Nous avons réintroduit un jour de carence dans la fonction publique pour lutter contre les arrêts de travail courts. Cependant, il faut garder à l’esprit que, dans la fonction publique, les protections sociales complémentaires sont relativement rares, ou en tout cas très hétérogènes. Au reste, nous avons commandé une mission aux inspections générales des finances, de l’administration et des affaires sociales pour pouvoir faire le point, en début d’année 2019, sur l’hétérogénéité de ces situations, qu’il s’agisse de la protection sociale complémentaire, de la prévoyance ou de la couverture maladie. C’est seulement après ce travail sera achevé et qu’une éventuelle généralisation d’un tel système de protection sociale complémentaire aura été envisagée que cette proposition pourra être étudiée. À ce stade, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. L’amendement n° II-52 rectifié, présenté par M. de Montgolfier, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits du programme :
(En euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
+ |
- |
+ |
- |
|
Gestion fiscale et financière de l’État et du secteur public local |
45 400 000 |
45 400 000 |
||
dont titre 2 |
45 400 000 |
45 400 000 |
||
Conduite et pilotage des politiques économiques et financières dont titre 2 |
||||
Facilitation et sécurisation des échanges dont titre 2 |
||||
Fonction publique dont titre 2 |
||||
TOTAL |
45 400 000 |
45 400 000 |
||
SOLDE |
- 45 400 000 |
- 45 400 000 |
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Le Président de la République s’est engagé à supprimer 50 000 emplois dans la fonction publique. Nous constatons que cet engagement n’est jusqu’à présent que très modestement tenu : 90 % de l’effort reste à faire d’ici à la fin du quinquennat.
Cet amendement de la commission des finances, dont la portée symbolique est importante, vise à réduire les effectifs des administrations centrales, en revenant notamment sur les « primorecrutements » prévus pour 2019, sans toucher aux personnels en place.
Faut-il plus de médecins, d’infirmières, de policiers, de gendarmes ? Certaines missions sont prioritaires, nous en convenons, monsieur le secrétaire d’État. La majorité sénatoriale avait d’ailleurs approuvé les mesures tendant à renforcer de telles missions, s’agissant par exemple de la sécurité de l’État.
Cet amendement vise les effectifs des administrations centrales parce que, nous le constatons tous depuis des années, le service public est de moins en moins assuré sur le terrain. Dans beaucoup d’administrations, y compris la vôtre, on a parfois l’impression de ne plus avoir grand monde en face de soi : la DGFiP, par exemple, a fermé certaines trésoreries et réduit les horaires d’ouverture d’autres, des postes ont été regroupés, des services d’accueil téléphonique ont été supprimés, comme j’ai pu le constater moi-même en faisant le test avec le ministre de l’action et des comptes publics. En revanche, dans les administrations centrales et, parfois, régionales, les effectifs ont continué à croître, au point que nous sommes parfois suradministrés, alors que les services publics sont de moins en moins présents sur le terrain. C’est pourquoi cet amendement ne tend aucunement à réduire les effectifs aux échelons départemental et local, là où l’on a particulièrement besoin des services publics.
Mme Catherine Troendlé. Très bien !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Nous n’échapperons pas à ce débat : notre pays compte des centaines de milliers de fonctionnaires de plus qu’il y a dix ans ; est-il pour autant mieux administré ? Je n’en suis pas certain.
Je vais vous donner un exemple concret. Il ressort d’un rapport de la Cour des comptes intitulé La chaîne de paiement des aides agricoles 2014-2017, une gestion défaillante, une réforme à mener que le contrôle des aides à l’agriculture est effectué à trois niveaux : l’Europe, le ministère et les régions. Ne sommes-nous pas suradministrés, au détriment des services publics de proximité ?
Mme Catherine Troendlé. Très bien !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. J’ai cru comprendre, d’après les propos de M. le rapporteur général, qu’il s’agissait d’un amendement d’appel.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Pas seulement !
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. En tout cas, monsieur le rapporteur général, il y a une difficulté de forme, déjà évoquée à propos des deux amendements précédents : tel qu’il est rédigé, votre amendement porte exclusivement sur la Direction générale des finances publiques, ce qui n’est pas soutenable.
Sur le fond, nous avons engagé un programme de réorganisation et de modernisation de l’administration dont nous souhaitons qu’il permette d’assurer un service de même qualité avec, à terme, des agents en nombre moins important. Ce programme est en cours d’élaboration, nous y travaillons dans le respect d’une circulaire du Premier ministre du 24 juillet dernier, qui fixe comme principe directeur, pour la réorganisation de l’administration territoriale de l’État, de retenir l’échelon départemental comme l’échelon pertinent et efficace d’action, ce qui, je crois, répond à votre préoccupation.
Au bénéfice de ces explications, le Gouvernement demande le retrait de cet amendement ; à défaut, son avis sera défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Nous avons longuement débattu de cet amendement en commission des finances.
Nous sommes devant un dilemme constant, entre la suradministration à l’échelon central et la suppression de moyens humains pour les services publics de proximité.
La DGFiP est, depuis 2012, l’une des administrations le plus touchées par la baisse des emplois. Sur le terrain, nous constatons tous, malheureusement, des fermetures ou des regroupements de trésoreries. Pourtant, les trésoreries sont des interlocuteurs privilégiés des maires et des secrétaires de mairie, ainsi que des particuliers et des chefs d’entreprise.
Quant à l’administration des douanes, même si, globalement, elle gagne quelques centaines d’emplois, cela reste peu de choses au regard de la particulière complexité de ses missions de lutte contre la contrefaçon ou la fraude. Élu d’un département frontalier, les Ardennes, je peux en témoigner.
Pour ces raisons, je soutiens l’amendement du rapporteur général.
Mme la présidente. Monsieur le rapporteur général, l’amendement n° II-52 rectifié est-il maintenu ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Le secrétaire d’État m’a invité à le retirer au motif que son dispositif est centré sur la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines ». Je l’ai conçu ainsi pour la fluidité des débats parlementaires : j’aurais pu déposer le même amendement pour chaque mission, au risque de lasser le Gouvernement…
Je souhaite que cet amendement soit voté. Il appartiendra ensuite au Gouvernement d’en répartir les effets sur l’ensemble des missions. Les ministères de la transition écologique et solidaire et de l’agriculture et de l’alimentation ne produisent-ils pas trop de normes, par exemple ? Le dispositif de cet amendement est bien ciblé sur les administrations centrales, et non sur les services publics de proximité. Les effectifs des administrations centrales augmentent, mais nos concitoyens constatent que nous ne sommes pas pour autant mieux administrés.
Je souhaite que ce débat ait lieu. Je pense d’ailleurs qu’il concernera également, tôt ou tard, l’échelon régional, qui n’est plus forcément le plus pertinent. En tout état de cause, je maintiens l’amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Dominique de Legge, pour explication de vote.
M. Dominique de Legge. Je voterai cet amendement pour deux raisons. La première, c’est que les arguments de M. le rapporteur général m’ont pleinement convaincu. La seconde, c’est que vous m’avez vous-même convaincu, monsieur le secrétaire d’État, qu’il fallait le voter, en nous indiquant que le Gouvernement allait entamer une réflexion en vue d’amener sur le terrain les services publics, et donc les personnels nécessaires à leur fonctionnement, l’objectif étant de mener une politique de proximité. Vous nous avez ainsi donné à entendre qu’il fallait effectivement rééquilibrer la répartition des moyens humains entre l’échelon national et l’échelon local… Pour vous être agréable et vous inciter à poursuivre dans cette voie, je voterai donc avec enthousiasme l’excellent amendement présenté par M. le rapporteur général ! (Sourires.)
Mme la présidente. L’amendement n° II-423, présenté par M. Vaugrenard, Mme Meunier, MM. Raynal et Féraud et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
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+ |
- |
+ |
- |
|
Gestion fiscale et financière de l’État et du secteur public local dont titre 2 |
||||
Conduite et pilotage des politiques économiques et financières dont titre 2 |
3 000 000 |
3 000 000 |
||
Facilitation et sécurisation des échanges dont titre 2 |
||||
Fonction publique dont titre 2 |
3 000 000 |
3 000 000 |
||
TOTAL |
3 000 000 |
3 000 000 |
3 000 000 |
3 000 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à M. Yannick Vaugrenard.
M. Yannick Vaugrenard. Cet amendement vise à renforcer de 3 millions d’euros les crédits du programme « Fonction publique ».
Il s’agit en fait de traiter un problème spécifique lié à l’amiante. L’immeuble Le Tripode, à Nantes, a été évacué en 1993 pour cause de présence d’amiante à tous les étages. Il a été détruit depuis, mais, paradoxalement, l’État n’a pas encore décidé s’il devait être reconnu comme site amianté ou pas. Il convient de mettre fin à une situation dramatique, car 1 800 personnes relevant du ministère des affaires étrangères, de l’INSEE et du Trésor public ont travaillé dans ces locaux en vingt-deux ans d’exploitation.
Les agents ayant contracté des maladies liées à la présence d’amiante sont au nombre de 200, toujours en exercice, sur les 850 agents en service lors de l’évacuation du site en 1993. Ces crédits permettront d’accorder l’allocation de cessation anticipée des travailleurs de l’amiante aux agents nantais ayant eu à travailler sur ce site.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Claude Nougein, rapporteur spécial. Je comprends l’intention des auteurs de cet amendement. Néanmoins, l’article 146 de la loi de finances pour 2016 prévoit que, dès lors que ces agents ont contracté une maladie liée à l’amiante et dont l’imputabilité au service est reconnue, ils peuvent bénéficier d’une cessation anticipée d’activité et même percevoir, à ce titre, une allocation spécifique. L’amendement me semble donc satisfait par le droit existant. Je demande à ses auteurs de le retirer ; à défaut, l’avis sera défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. La situation de l’immeuble Le Tripode, à Nantes, est bien connue. Ce bâtiment a, entre 1972 et 1993, accueilli 1 800 agents des ministères économiques et financiers ainsi que des affaires étrangères. Ils ont été exposés à l’amiante présente dans cet immeuble. Conscients de la réalité de l’exposition et de ses conséquences, les deux champs ministériels ont mis en place des dispositifs simplifiés de reconnaissance de maladie professionnelle en cas de pathologie liée à l’amiante, ainsi qu’un suivi médical renforcé des agents.
Par ailleurs, les agents souffrant d’une maladie en lien avec l’amiante peuvent actuellement bénéficier d’une cessation anticipée d’activité et présenter une demande d’indemnisation au Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, le FIVA.
Votre amendement vise à dégager des crédits pour permettre la mise en œuvre de ce dispositif pour tous les agents ayant travaillé dans l’immeuble Le Tripode, au-delà de ceux qui en bénéficient déjà.
Les deux ministères concernés ont abordé le sujet de façon extrêmement sérieuse et ont commandité une étude épidémiologique portant sur la population des agents ayant travaillé dans cet immeuble. Les trois études déjà menées ne permettent pas, jusqu’à présent, de mettre en évidence un abaissement sensible de l’espérance de vie lié à une présence dans cet immeuble, en dehors des cas que j’ai évoqués précédemment.
Toutefois, au-delà de ces premières conclusions, nous avons souhaité que les études épidémiologiques se poursuivent pour aller au bout de l’expertise et avoir la connaissance la plus parfaite possible de la situation.
Un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, présenté le 17 mars dernier, conclut également défavorablement au classement du site. Nous avons saisi le Premier ministre sur la question des suites à lui apporter.
À ce stade, retenir la mesure que vous proposez ne nous paraît pas justifié à court terme, car celles et ceux qui sont touchés par une maladie professionnelle peuvent être accompagnés de manière simplifiée dans le cadre du FIVA et des mesures déjà prévues.
Pour ce qui concerne le classement de l’intégralité du site, nous n’y sommes pas favorables pour l’heure, puisque les trois études ne concluent pas en ce sens. En revanche, si les travaux complémentaires que nous avons demandés donnaient des résultats différents, la situation serait reconsidérée.
Au bénéfice de ces explications, je vous demande de retirer cet amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable.
Mme la présidente. Monsieur Vaugrenard, l’amendement n° II-423 est-il maintenu ?
M. Yannick Vaugrenard. J’entends vos arguments, monsieur le secrétaire d’État, et j’ai connaissance du rapport de l’IGAS, mais il y a là, selon moi, un paradoxe. Cet immeuble a été évacué en 1993, Pierre Bérégovoy étant alors ministre de l’économie et des finances, puis détruit.
Je maintiens cet amendement, en vous demandant, monsieur le secrétaire d’État, de bien vouloir rencontrer les organisations syndicales, afin que vous leur exposiez votre argumentation dans le détail, de manière à pouvoir avancer et à engager, éventuellement, de nouvelles études, qui ne seraient sans doute pas inutiles. Les organisations syndicales demandent depuis plus d’un an à être reçues à Bercy : il me semblerait de bon aloi de les rencontrer.
Mme la présidente. Nous allons procéder au vote des crédits de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines », figurant à l’état B.
Je n’ai été saisie d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.
Je mets aux voix ces crédits, modifiés.
(Les crédits sont adoptés.)
Mme la présidente. J’appelle en discussion les articles 77 bis et 77 ter ainsi que l’amendement tendant à insérer un article additionnel avant l’article 77 bis et l’amendement tendant à insérer un article additionnel après l’article 77 ter, qui sont rattachés pour leur examen aux crédits de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines ».
Gestion des finances publiques et des ressources humaines
Article additionnel avant l’article 77 bis
Mme la présidente. L’amendement n° II-50, présenté par M. Nougein, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
Avant l’article 77 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au I de l’article 115 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018, le mot : « deuxième » est remplacé par le mot : « quatrième ».
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Claude Nougein, rapporteur spécial. Cet amendement tend à tirer les conséquences de l’adoption de l’amendement n° II-49 en modifiant l’article 115 de la loi de finances pour 2018 afin d’augmenter la durée de carence.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. L’avis est défavorable, par cohérence avec l’avis donné sur l’amendement n° II-49.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, avant l’article 77 bis.
Article 77 bis (nouveau)
I. – Un compte financier unique peut être mis en œuvre, à titre expérimental, par les collectivités territoriales et leurs groupements volontaires, à compter de l’exercice budgétaire 2020 et pour une durée maximale de trois exercices budgétaires. Ce compte financier unique se substitue, durant la période de l’expérimentation, au compte administratif ainsi qu’au compte de gestion, par dérogation aux dispositions régissant ces documents.
II. – Les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent se porter candidats à cette expérimentation, auprès du ministre chargé des collectivités territoriales et du ministre chargé des comptes publics, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi. Le ministre chargé des collectivités territoriales et le ministre chargé des comptes publics se prononcent sur les candidatures ainsi que, pour chacune des collectivités retenues, sur les exercices budgétaires concernés par l’expérimentation. Une convention entre l’État et les exécutifs habilités par une décision de l’assemblée délibérante de chaque collectivité ou groupement de collectivités retenu précise les conditions de mise en œuvre et de suivi de l’expérimentation. Un bilan de l’expérimentation est transmis par le Gouvernement au Parlement au plus tard six mois avant la fin du troisième exercice budgétaire d’application. – (Adopté.)
Article 77 ter (nouveau)
I. – Par dérogation à l’article L. 1617-1 du code général des collectivités territoriales, à l’article L. 6145-8 du code de la santé publique, à l’article L. 315-16 du code de l’action sociale et des familles et à l’article L. 212-12 du code de l’éducation, l’État peut, pour une durée de trois ans reconductible, déléguer par convention la réalisation des opérations relevant de la compétence exclusive du comptable public aux établissements publics de santé, aux collectivités territoriales et à leurs groupements ainsi qu’aux établissements publics locaux qui s’y rattachent.
Les compétences ainsi déléguées sont exercées au nom et pour le compte de l’État, sous son contrôle et sous l’autorité d’un agent comptable soumis au régime de responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics organisé par l’article 60 de la loi de finances pour 1963 (n° 63-156 du 23 février 1963) et aux dispositions relatives à la gestion budgétaire et comptable publique.
Les établissements publics de santé, les collectivités territoriales ou leurs groupements ainsi que les établissements publics locaux qui s’y rattachent présentent une demande de délégation de la réalisation des opérations relevant de la compétence exclusive du comptable public au plus tard le 31 mars de l’année qui précède la date de mise en œuvre envisagée de la délégation. Si cette demande est acceptée, la convention est conclue dans un délai de trois mois à compter de la réception de la demande et prévoit une mise en œuvre de la délégation à compter du 1er janvier de l’année suivante.
La convention détermine les conditions d’exercice de la délégation, notamment les moyens financiers, matériels et en personnels mis en œuvre par chacune des parties.
II. – L’agent comptable de l’établissement public de santé, de la collectivité territoriale, du groupement de collectivités ou des établissements publics locaux qui s’y rattachent est nommé par l’autorité investie du pouvoir de nomination au sein de la personne publique délégataire après avis du directeur départemental des finances publiques ou du directeur régional des finances publiques.
Il ne peut être remplacé ou révoqué que dans les mêmes formes.
L’agent comptable est un fonctionnaire de l’État ou, selon la nature de la personne publique délégataire, un fonctionnaire territorial ou un fonctionnaire hospitalier.
Lorsque l’agent comptable est un fonctionnaire de l’État mis à disposition, la convention mentionnée au I précise le montant du remboursement, par la personne publique délégataire, de la dépense afférente à cette mise à disposition.
Pour les besoins de la délégation, tout ou partie des agents de la direction générale des finances publiques qui exercent leurs fonctions dans un service ou une partie de service précédemment affecté à la gestion comptable et financière de la personne publique délégataire, désignée par la convention mentionnée au I, sont placés d’office en position de détachement auprès de celle-ci pour la durée initiale de la délégation afin d’assister l’agent comptable dans ses fonctions.
III. – Dans le cadre d’une délégation établie en application du I, les fonctions de comptable des régies mentionnées aux articles L. 2221-1 et L. 2221-2 du code général des collectivités territoriales sont assurées par le comptable mentionné au premier alinéa du II, hormis en ce qui concerne les régies dont les fonctions de comptable sont déjà confiées à un agent comptable.
Les fonctions de comptable des établissements publics qui sont exclusivement rattachées à la personne publique délégataire et ne sont pas confiées à un agent comptable sont assurées par le comptable mentionné au premier alinéa du II.
IV. – Le Gouvernement remet au Parlement un rapport d’évaluation du dispositif prévu au présent article au plus tard le 1er juillet 2022.
V. – Un décret en Conseil d’État définit les modalités d’application du présent article notamment le contenu de la convention, les conditions de contrôle de l’État sur la mise en œuvre de la délégation, l’obligation d’une transmission périodique à l’État des informations comptables et financières nécessaires à la production des comptes publics, les adaptations des modalités de remise gracieuse applicables aux agents comptables mentionnées au I en cas de mise en jeu de leur responsabilité personnelle et pécuniaire, les modalités de mise à disposition ou de détachement ainsi que la méthodologie de l’évaluation prévue au IV. Il précise les conditions dans lesquelles l’agent comptable et les agents mentionnés au dernier alinéa du II bénéficient des dispositifs indemnitaires d’accompagnement dans la fonction publique en cas de détachement ainsi que des dispositions régissant leur précédent corps ou emploi de détachement. – (Adopté.)
Article additionnel après l’article 77 ter
Mme la présidente. L’amendement n° II-973, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’article 77 ter
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 5424-1 du code du travail s’applique aux personnels mentionnés aux 1°, 2° et 5° de cet article, à l’exception de ceux relevant de l’article L. 4123-7 du code de la défense, lorsque ces personnels sont involontairement privés de leur emploi.
Un décret en Conseil d’État fixe les conditions d’application du présent article, y compris les cas dans lesquels la privation d’emploi est assimilée à une privation involontaire ainsi que les éléments de rémunération pris en compte pour le calcul de l’allocation mentionnée au premier alinéa de l’article L. 5424-1 du code du travail.
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Cet amendement vise à sécuriser juridiquement le droit à l’allocation chômage des agents publics, à la suite des modifications du code du travail apportées par la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Nous souhaitons apporter une correction pour éviter la création d’un vide juridique s’agissant des agents publics à partir du 1er janvier 2019. Les agents publics bénéficient de l’allocation chômage en cas de perte involontaire de leur emploi, dans les mêmes conditions que les salariés du secteur privé.
Nous reprendrons prochainement la concertation avec les organisations syndicales et les employeurs publics sur l’ouverture du bénéfice de l’allocation chômage dans certains cas de rupture volontaire de la relation de travail, mais la rédaction de la loi du 5 septembre 2018 emporte bien plus que ce qui avait été pensé et voulu tant par les deux assemblées que par le Gouvernement. Nous vous proposons donc d’adopter une mesure de correction.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Claude Nougein, rapporteur spécial. Actuellement, les agents publics peuvent percevoir l’allocation de retour à l’emploi, comme les salariés de droit privé.
À l’inverse de ce qui vaut pour le secteur privé, cette allocation est financée par l’employeur public en auto-assurance, et non par le régime d’assurance chômage.
Or, selon l’objet de cet amendement, la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a involontairement supprimé ce droit. Le présent amendement vise à le rétablir. Bien qu’il ait été déposé extrêmement tardivement et que la commission n’ait pu l’expertiser dans le détail, il me semble que cet amendement est de bon sens.
L’avis est donc favorable.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 77 ter.
crédits non répartis
Mme la présidente. Nous allons procéder au vote des crédits de la mission « Crédits non répartis », figurant à l’état B.
ÉTAT B
(En euros) |
||
Mission |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
Crédits non répartis |
476 749 773 |
176 749 773 |
Provision relative aux rémunérations publiques |
52 749 773 |
52 749 773 |
Dont titre 2 |
52 749 773 |
52 749 773 |
Dépenses accidentelles et imprévisibles |
424 000 000 |
124 000 000 |
Mme la présidente. Je n’ai été saisie d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.
Je mets aux voix ces crédits.
(Les crédits sont adoptés.)
action et transformation publiques
Mme la présidente. Nous allons procéder à l’examen des crédits de la mission « Action et transformation publiques », figurant à l’état B.
ÉTAT B
(En euros) |
||
Mission |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
Action et transformation publiques |
1 202 200 000 |
312 100 000 |
Rénovation des cités administratives et autres sites domaniaux multi-occupants |
900 000 000 |
100 000 000 |
Fonds pour la transformation de l’action publique |
245 000 000 |
160 000 000 |
Dont titre 2 |
5 000 000 |
5 000 000 |
Fonds d’accompagnement interministériel Ressources humaines |
50 000 000 |
50 000 000 |
Dont titre 2 |
40 000 000 |
40 000 000 |
Fonds pour l’accélération du financement des start-up d’État (ligne nouvelle) |
7 200 000 |
2 100 000 |
Mme la présidente. L’amendement n° II-445 rectifié, présenté par Mme L. Darcos, MM. Piednoir, Grosperrin, Longuet, Daubresse, Karoutchi et Milon, Mme Estrosi Sassone, MM. Rapin et Allizard, Mme A.M. Bertrand, M. Bonhomme, Mme Boulay-Espéronnier, MM. Bouloux et Brisson, Mme Bruguière, MM. Chaize et Cuypers, Mmes Deroche, Deromedi, Deseyne et Di Folco, MM. Dufaut, B. Fournier et Gremillet, Mmes Gruny et Imbert, MM. Laménie et D. Laurent, Mme Lavarde, MM. Lefèvre et Le Gleut, Mmes M. Mercier et Micouleau, MM. Panunzi, Pellevat et Poniatowski, Mme Procaccia et MM. Revet, Savary, Savin, Vaspart et Vogel, est ainsi libellé :
I. – Créer le programme :
Rénovation énergétique des établissements à caractère scientifique, culturel et professionnel
II. – En conséquence, modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
+ |
- |
+ |
- |
|
Rénovation des cités administratives et autres sites domaniaux multi-occupants |
300 000 000 |
33 000 000 |
||
Fonds pour la transformation de l’action publique dont titre 2 |
||||
Fonds d’accompagnement interministériel Ressources humaines dont titre 2 |
||||
Fonds pour l’accélération du financement des start-up d’État dont titre 2 |
||||
Rénovation énergétique des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel |
300 000 000 |
33 000 000 |
||
TOTAL |
300 000 000 |
300 000 000 |
33 000 000 |
33 000 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à Mme Laure Darcos.
Mme Laure Darcos. Le présent amendement a pour objet de créer un programme budgétaire dédié à la rénovation énergétique des établissements publics d’enseignement supérieur.
Le patrimoine immobilier des universités représente 18,6 millions de mètres carrés ; c’est le deuxième parc de l’État, composé d’une majorité de bâtiments construits dans les années soixante et soixante-dix.
Véritable passoire énergétique, il constitue une source de dépenses considérables, faute d’ambition politique pour l’entretenir, le réhabiliter, l’adapter aux évolutions d’usage ou le valoriser. Le coût énergétique de ce patrimoine pénalise durablement la compétitivité de nos universités, déjà fortement affectée par l’importance des charges d’exploitation.
On ne peut demander aux universités de gérer un patrimoine sans leur en donner les instruments. En parachevant l’autonomie universitaire dans son volet immobilier, l’État pourra concevoir ce patrimoine comme un actif valorisable plutôt que comme une charge de fonctionnement. L’engagement de l’État portera sur 300 millions d’euros, les études opérationnelles seront réalisées en 2019 et les travaux engagés en 2020 et en 2021.
Les crédits sont prélevés sur l’action n° 12, Travaux et gros entretien à la charge du propriétaire, du programme 348, « Rénovation des cités administratives et autres sites domaniaux multi-occupants ».
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Claude Nougein, rapporteur spécial. Cet amendement vise à transférer un tiers des crédits affectés pour 2019 à la rénovation des cités administratives au titre du programme 348 au profit de la rénovation des universités, en créant un nouveau programme.
Ses auteurs attirent notre attention sur la situation dégradée du patrimoine immobilier des universités. Leur préoccupation est fondée, ainsi que nous pouvons le constater dans nos départements.
Le patrimoine des universités relève de statuts différents selon que les établissements ont bénéficié ou non de la dévolution immobilière. Toutes les universités non propriétaires seraient concernées. Or les crédits prévus pour le programme 348 ne suffiront déjà pas pour rénover toutes les cités administratives : il sera indispensable de procéder à une sélection de projets.
Les cités administratives ont visiblement besoin de rénovation. Il importe donc de ne pas réduire davantage les crédits inscrits à cette fin en étendant la liste des projets ayant vocation à être soutenus. Nous ne saurions ainsi déshabiller Pierre pour habiller Paul !
L’avis de la commission est défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Je partage l’avis du rapporteur spécial.
D’une part, le Grand Plan d’investissement d’avenir prévoit une enveloppe de 400 millions d’euros pour les bâtiments universitaires.
D’autre part et surtout, le programme 348 doit nous permettre à la fois d’investir afin de réaliser des économies, notamment énergétiques, dans cinquante-six cités administratives et de reconstruire totalement quatre très grandes cités administratives, celles de Lille, de Nantes, de Lyon et d’Amiens.
Si cet amendement était adopté, nous ne pourrions mener à bien ces projets, qui sont « encalminés » depuis trop longtemps et que nous allons pouvoir débloquer au cours de l’année 2019, sur l’initiative de la direction de l’immobilier de l’État.
Je demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable.
Mme la présidente. Madame Darcos, l’amendement n° II-445 rectifié est-il maintenu ?
Mme Laure Darcos. Cet amendement avait surtout vocation à nous permettre de discuter de ce sujet très important. Il faudra continuer à débloquer des crédits dans les années à venir pour rénover ces bâtiments dans l’optique de la transition énergétique.
Je retire cet amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° II-445 rectifié est retiré.
Nous allons procéder au vote des crédits de la mission « Action et transformation publiques », figurant à l’état B.
Je n’ai été saisie d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.
Je mets aux voix ces crédits.
(Les crédits sont adoptés.)
compte d’affectation spéciale : gestion du patrimoine immobilier de l’état
Mme la présidente. Nous allons procéder au vote des crédits du compte d’affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l’État », figurant à l’état D.
ÉTAT D
(En euros) |
||
Mission |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
Gestion du patrimoine immobilier de l’État |
391 286 587 |
483 000 000 |
Contribution des cessions immobilières au désendettement de l’État |
0 |
0 |
Opérations immobilières et entretien des bâtiments de l’État |
391 286 587 |
483 000 000 |
Mme la présidente. Je n’ai été saisie d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.
Je mets aux voix ces crédits.
(Les crédits sont adoptés.)
Mme la présidente. J’appelle en discussion les articles 84 ter et 84 quater, qui sont rattachés pour leur examen aux crédits du compte d’affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l’État ».
Gestion du patrimoine immobilier de l’État
Article 84 ter (nouveau)
Le II de l’article L. 3211-7 du code général de la propriété des personnes publiques est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsqu’une collectivité territoriale, un établissement public, une société ou un opérateur mentionnés au 1° du présent II dispose de réserves foncières propres et de biens susceptibles de permettre la réalisation d’un programme qui comporte la construction de logements sociaux, le taux de la décote est calculé dans la limite d’un plafond établi en considération du coût moyen constaté pour la construction de logements sociaux à l’échelle de la commune ou de l’agglomération. Un décret en Conseil d’État fixe les conditions d’application du présent alinéa. » – (Adopté.)
Article 84 quater (nouveau)
L’hôtel du commandement de la Marine, situé boulevard Pomare, à Papeete (Tahiti), implanté sur la parcelle cadastrée section AE n° 19 est transféré en pleine propriété, à titre gratuit, à la Polynésie française en vue de la réalisation, à ses frais, d’un Centre de Mémoire des expérimentations nucléaires en Polynésie française.
Le transfert de propriété intervient au jour de la signature de l’acte authentique constatant le transfert. La Polynésie française est substituée à l’État dans les droits et obligations liés au bien transféré, qu’elle reçoit en l’état.
En cas de revente, y compris fractionnée, ou de cession de droits réels portant sur le bien transféré, pendant un délai de quinze ans à compter de la date de signature de l’acte authentique, la Polynésie française verse à l’État, à titre de complément de prix, la somme correspondant à la moitié de la différence entre le produit des ventes et la somme des coûts afférents au bien transféré et supportés par la Polynésie française, y compris les coûts de dépollution.
Si dans un délai de cinq ans à compter de la date de signature de l’acte authentique constatant le transfert de propriété, la Polynésie française n’a pas procédé à la réalisation de l’objet pour lequel ce transfert est intervenu, le bien est rétrocédé de plein droit à l’État, à titre gratuit, à la date d’expiration de ce délai. Cette disposition constitue une clause résolutoire, inscrite dans l’acte authentique.
Mme la présidente. L’amendement n° II-959, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Remplacer les mots :
L’hôtel du commandement de la Marine, situé boulevard Pomare, à Papeete (Tahiti) implanté sur la parcelle cadastrée section AE n° 19 est transféré
par les mots :
La parcelle cadastrée section AE n° 19, située sur la commune de Papeete et sur laquelle se trouve l’hôtel du commandement de la Marine, est transférée
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Cet amendement vise à spécifier la consistance du bien transféré, c’est-à-dire l’ancien hôtel du commandement de la Marine de Papeete, à la collectivité territoriale de Polynésie française. Il s’agit de préciser que le transfert porte sur le bâtiment de l’hôtel, mais aussi l’ensemble de la parcelle sur lequel ce bâtiment est implanté.
Je saisis cette occasion pour souligner que, après de nombreuses années de discussion entre la collectivité territoriale de Polynésie française et l’État français, un accord a été trouvé pour que l’ancien hôtel du commandement de la Marine puisse accueillir le mémorial des essais nucléaires. C’est pour que la parole de la France à l’égard de la Polynésie française soit – enfin – tenue que l’État transfère de manière gracieuse cette parcelle et ce bâtiment.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Thierry Carcenac, rapporteur spécial. L’adoption de cet amendement de précision contribuera à remplir une importante mission de mémoire.
L’avis de la commission est favorable.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 84 quater, modifié.
(L’article 84 quater est adopté.)
régimes sociaux et de retraite
Mme la présidente. Nous allons procéder au vote des crédits de la mission « Régimes sociaux et de retraite », figurant à l’état B.
ÉTAT B
(En euros) |
||
Mission |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
Régimes sociaux et de retraite |
6 284 340 353 |
6 284 340 353 |
Régimes sociaux et de retraite des transports terrestres |
4 163 492 800 |
4 163 492 800 |
Régimes de retraite et de sécurité sociale des marins |
815 697 600 |
815 697 600 |
Régimes de retraite des mines, de la SEITA et divers |
1 305 149 953 |
1 305 149 953 |
Mme la présidente. Je n’ai été saisie d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.
Je mets aux voix ces crédits.
(Les crédits sont adoptés.)
compte d’affectation spéciale : pensions
Mme la présidente. Nous allons procéder au vote des crédits du compte d’affectation spéciale « Pensions », figurant à l’état D.
ÉTAT D
(En euros) |
||
Mission |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
Pensions |
59 015 040 000 |
59 015 040 000 |
Pensions civiles et militaires de retraite et allocations temporaires d’invalidité |
55 360 300 000 |
55 360 300 000 |
Dont titre 2 |
55 357 750 000 |
55 357 750 000 |
Ouvriers des établissements industriels de l’État |
1 934 900 000 |
1 934 900 000 |
Dont titre 2 |
1 927 030 000 |
1 927 030 000 |
Pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre et autres pensions |
1 719 840 000 |
1 719 840 000 |
Dont titre 2 |
16 000 000 |
16 000 000 |
Mme la présidente. Je n’ai été saisie d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.
Je mets aux voix ces crédits.
(Les crédits sont adoptés.)
Mme la présidente. Nous avons achevé l’examen des crédits des missions « Gestion des finances publiques et des ressources humaines », « Crédits non répartis », « Action et transformation publiques », du compte d’affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l’État », de la mission « Régimes sociaux et de retraite » et du compte d’affectation spéciale « Pensions ».
Mes chers collègues, l’ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quinze.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante, est reprise à vingt et une heures quinze, sous la présidence de M. Philippe Dallier.)
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Dallier
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
Nous reprenons la discussion du projet de loi de finances pour 2019, adopté par l’Assemblée nationale.
Nous poursuivons l’examen, au sein de la seconde partie du projet de loi de finances, des différentes missions.
Immigration, asile et intégration
M. le président. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » (et article 77 quater).
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Sébastien Meurant, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 3 octobre dernier, le ministre de l’intérieur, l’homme le mieux informé de France, décrivait la situation très dégradée des quartiers sensibles aux mains d’islamistes radicaux et de narcotrafiquants, concluant en ces termes : « Je crains que, demain, on ne vive face à face. »
Comment en est-on arrivé là ? Reportez-vous trente ou quarante ans en arrière : que la France paraissait paisible ! (Mme Esther Benbassa s’exclame.)
Disons-le tout net : le budget de la mission « Immigration, asile et intégration » pour 2019, pourtant en augmentation de 22,7 %, à hauteur de 1,7 milliard d’euros, ne repose sur aucune ambition politique de relever ces immenses défis. Pourtant, n’est-il pas urgent d’ouvrir le débat sur les priorités de la générosité nationale ?
Tout d’abord, ces trois termes obéissent à une compréhension différente et devraient être traités séparément : l’asile pour Asia Bibi n’a rien à voir avec l’immigration d’un étudiant ou d’un cadre japonais qui vient travailler en France. Quant à l’intégration, ultime étape d’un parcours personnel, elle renvoie à un désir de vivre dans un pays d’adoption et d’en partager les valeurs et les usages.
Si le rôle du politique est de fixer des repères, lier ces trois notions signifie ne pas comprendre, ni maîtriser, ni anticiper les dangers pour la patrie que représente cette absence de politique migratoire. Il faut nommer, compter et distinguer.
D’ailleurs, ces 1,7 milliard d’euros ne représentent qu’une infime partie des coûts liés à l’immigration : dans le document de politique transversale annexé au projet de loi de finances pour 2019, auquel contribuent neuf ministères, le coût estimé est de 6,2 milliards d’euros.
Y a-t-il une crise migratoire ? Certains le réfutent. Ainsi, le directeur général de France Terre d’asile m’a assuré qu’il n’y avait plus de crise migratoire. Malheureusement, dans la même conversation, il m’a expliqué que les effectifs de son organisation étaient passés de 30 personnes en 1998 à 900 cette année et que, pourtant, il manquait de moyens…
Sans parler des zones de conflit et de la dégradation du contexte géostratégique, les bouleversements démographiques à l’œuvre à nos portes, avec une Afrique passée de 100 millions d’habitants en 1900 à 1,2 milliard aujourd’hui, et qui en comptera 2,5 milliards en 2050, appellent à sortir du silence.
Pouvons-nous, en conscience, détourner les yeux ? Stephen Smith, dans La Ruée vers l’Europe, affirmait en 2017 que l’on n’avait jamais connu une telle pression démographique : « À l’échelle du continent africain, 42 % des jeunes déclarent vouloir émigrer. »
Cette absence de lucidité par rapport aux enjeux, ce projet de budget en est imprégné. Pour les 70 000 à 80 000 obligations de quitter le territoire français, ou OQTF, le Gouvernement fait malheureusement semblant d’appliquer les décisions. Ainsi, on observe une stagnation des crédits pour les reconduites à la frontière, à environ 30 millions d’euros depuis quatre ans, et une baisse continue du taux d’exécution des mesures d’éloignement, qui atteignait à peine 12,5 % au premier semestre de 2018. Que deviennent les personnes concernées ?
Les chiffres des demandes d’asile sont systématiquement sous-évalués. Ainsi, en 2017, alors que 97 300 demandes d’asile avaient été prévues, plus de 100 000 ont été enregistrées. L’enveloppe de l’allocation pour demandeur d’asile, l’ADA, pourtant revalorisée de 5,7 %, pour atteindre un peu plus de 335 millions d’euros, sera insuffisante. En effet, le nombre des demandes d’asile continue de croître, à rebours de ce que l’on observe chez nos voisins : au premier semestre de cette année, il a augmenté de 16,7 %, et nous devrions dépasser les 110 000 demandeurs d’asile l’année prochaine, contre 35 000 en 2007.
Surtout, ces chiffres cachent la hausse du nombre des demandeurs d’asile sous procédure Dublin. Alors que, partout en Europe, le flux des demandes diminue, il continue d’augmenter chez nous. N’est-ce pas la conséquence de notre politique laxiste ?
Mais je dois dire, mes chers collègues, que ce qui me choque le plus, c’est la gestion comptable de cette question décisive pour notre avenir. Nous alignons des chiffres, sans réaliser que, en 2017, nous avons reçu plus de 100 000 demandeurs d’asile, des mineurs isolés et accordé 240 000 titres de séjour. Si l’on ajoute à cela les « dublinés » et l’immigration clandestine, nous dépassons largement les 450 000 entrées. Avons-nous conscience que, à ce rythme, sur cinq ans, c’est au minimum la population de ville de Paris que nous aurons accueillie ? Pouvons-nous nourrir, loger, soigner et intégrer dignement autant de personnes ? Vous devinez la réponse…
Avons-nous été élus pour agir contre les intérêts de la France et des Français ? Il n’y a ni fermeté ni humanité à laisser faire les trafiquants d’êtres humains qui se jouent de nos faiblesses !
Pour éviter d’aller plus avant dans la désintégration de l’identité nationale et la partition du territoire, ayons le courage de reprendre en main nos frontières, qui décrivent les appartenances culturelles et historiques dont nous avons besoin pour vivre.
Dans la situation chaotique que nous traversons, le président Macron serait bien inspiré de refuser le pacte pour les migrations. (M. Alain Houpert opine.) Quant à ce projet de budget qui mérite d’être qualifié d’insincère, mes chers collègues, je vous invite naturellement à le rejeter ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. François-Noël Buffet, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, pour l’immigration, l’asile, l’intégration et la nationalité. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur spécial, mes chers collègues, trois minutes, c’est peu pour résumer l’avis de la commission des lois sur le projet de budget de cette mission. Je me bornerai donc à rappeler quelques principes.
Il faut reconnaître que, à périmètre constant, ce budget augmente de l’ordre de 12 %, et qu’un effort assez substantiel est consenti, puisque les crédits sont en hausse de 0,6 %, soit 200 millions d’euros, par rapport à ce qui avait été programmé. Toutefois, la commission des lois regrette de retrouver dans ce budget des incohérences qu’elle a déjà signalées lors des débats sur la loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, promulguée en septembre dernier.
Monsieur le secrétaire d’État, nous avons bien observé les efforts consentis.
S’agissant d’abord de l’intégration, éternel parent pauvre des politiques migratoires ces dernières années, dont votre rapporteur pour avis avait dénoncé l’insuffisance des moyens l’année dernière déjà, la hausse des crédits devrait profiter à l’accueil des étrangers primoarrivants, via notamment des mesures d’insertion professionnelle et un doublement des cours de langue, ainsi que le préconisait le Sénat. Si cet effort doit être reconnu, il nous faudra rester attentifs à la mise en œuvre des mesures.
Des efforts sont prévus également pour l’accompagnement matériel des réfugiés, avec la création de places d’hébergement pour les demandeurs d’asile. C’est un élément important, mais sans doute faudra-t-il à terme simplifier le dispositif technique, qui paraît complexe.
Reste que ces hausses ponctuelles et importantes des moyens par rapport à 2018 sont généralement fondées sur des hypothèses peu plausibles. À l’évidence, les moyens prévus sont insuffisants au regard de la réalité des phénomènes migratoires auxquels nous devons faire face.
Ainsi, le projet de loi de finances prévoit une stabilisation de la demande d’asile en 2019 puis en 2020, alors que la France reste exposée à une demande d’asile sans précédent, situation atypique en Europe : les demandes ont crû de près de 19 % cette année, avec des flux secondaires en provenance d’Espagne, en sorte que le seuil des 100 000, voire des 120 000 demandeurs, devrait être franchi.
Or les budgets alloués à nos organismes sont stables : ni l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’OFPRA, ni la Cour nationale du droit d’asile, la CNDA, non plus probablement que l’Office français de l’immigration et de l’intégration, l’OFII, ne pourront tenir le délai cible de six mois en moyenne pour le traitement des demandes, pas plus que l’objectif de 86 % de demandeurs d’asile hébergés.
En ce qui concerne l’immigration régulière, toujours très dynamique, le nombre des admissions exceptionnelles au séjour a cessé de croître, mais, contrairement à nos espérances, la circulaire Valls, qui représente 30 % de ces régularisations, n’a pas été supprimée.
Enfin, l’immigration irrégulière reste le parent pauvre de la politique migratoire : ses crédits ne représentent que 8 % du total de la mission. Certes, un effort important est consenti pour 2019 en matière de rétention, avec la création de 450 places nouvelles, mais l’effort est quasi nul depuis quatre ans pour ce qui concerne les crédits consacrés à la mise en œuvre des mesures d’éloignement.
La France n’étant pas en mesure de réaliser un quelconque suivi des déboutés du droit d’asile, il n’est guère étonnant que nos politiques d’éloignement des étrangers en situation irrégulière soient un échec. Le taux d’exécution des obligations de quitter le territoire français, déjà dérisoire en 2017, a encore baissé cette année… Sur les six premiers mois de 2018, seulement 12,6 % des décisions d’éloignement ont été exécutées !
Je ne parlerai pas de la procédure Dublin, si ce n’est pour faire observer que l’évolution espérée ne se produira pas, le commissaire européen Avramópoulos ayant annoncé hier dans la presse qu’il n’était pas possible de trouver un accord. Nous sommes donc en très grande difficulté.
Pour l’ensemble de ces raisons, la commission des lois a émis un avis défavorable sur les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de dix minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. M. le rapporteur pour avis regrette que la circulaire Valls sur l’admission exceptionnelle au séjour n’ait pas été abrogée. Une circulaire est une sorte de compilation de textes législatifs et réglementaires. Il ne nous dit pas exactement ce qu’il voudrait y changer. S’agissant des paramètres sur lesquels le Gouvernement a une certaine marge de manœuvre, je signale que les critères d’admission prévus par les circulaires Sarkozy de 2006 et Hortefeux de 2008 étaient plus souples…
Vous regrettez aussi, monsieur Buffet, l’absence d’augmentation des crédits pour le financement de l’exécution des mesures d’éloignement. Je rappelle qu’un éloignement coûte en moyenne plus de quatre SMIC. C’est la méthode qui pose problème aujourd’hui, pas le manque d’argent. En réalité, le « tout-rétention » n’est pas efficace, surtout quand les pays d’origine ne coopèrent pas. La méthode allemande, plus souple, est plus efficace.
Monsieur Buffet, vous déplorez que le nombre de personnes en situation irrégulière augmente. Cela vaut pour toute l’Europe : de la Grèce à l’Allemagne et de la Turquie au Maroc, partout on constate une telle augmentation. Ces dernières années, le flux est plutôt mieux maîtrisé en France que dans nombre de pays voisins.
Le rapport de la commission des finances, quant à lui, semble confondre les crédits de cette mission de pilotage de la politique d’asile et d’immigration avec un supposé coût de l’immigration. Pourtant, les estimations de recettes, en termes de cotisations sociales ou d’impôts, rapportées au coût des prestations sociales et de la scolarité des enfants, notamment, montrent que la population immigrée apporte une contribution positive, tant à l’État qu’aux organismes sociaux, alors que l’immigration est toujours vue comme un coût !
Je rappelle à ceux qui affirment que signer le pacte de Marrakech sur les migrations serait une mauvaise chose que, si l’on souhaite lutter contre les passeurs et les trafics, il est bon d’améliorer le dialogue entre pays d’arrivée et pays de départ. Instaurer un cadre de dialogue est utile pour lutter contre l’immigration irrégulière : c’est l’objet de ce pacte, qui sera un outil non contraignant à la disposition des différents États, dont il respecte pleinement la souveraineté.
La France n’est pas seule face à ces défis. Depuis 2015, l’Europe a fait beaucoup. Ainsi, les franchissements irréguliers des frontières européennes sont passés de plus de 1,8 million en 2015 à moins de 150 000 par an aujourd’hui. Au cours de la même période, le nombre des demandes d’asile a été divisé par deux. C’est le résultat des politiques européennes. À cet égard, le budget de FRONTEX a plus que doublé entre 2015 et 2018. Si la situation reste préoccupante, il faut rappeler le chemin déjà parcouru !
Il est important, monsieur le secrétaire d’État, d’être attentif au budget de l’OFPRA, qui représente moins de trois semaines de financement de l’ADA. Pour des raisons à la fois humanitaires, d’efficacité et budgétaires, il importe que cet organisme puisse étudier rapidement les demandes d’asile. Ne le ramenons pas à sa situation de 2012 ! Aujourd’hui, il faut à l’OFPRA moins de cent jours pour étudier une demande d’asile : c’est un beau résultat, fruit du travail de ses agents. Pour aller plus loin et faire davantage d’économies, il faudrait donner la possibilité aux demandeurs d’asile de travailler et veiller à ce que l’application de la nouvelle loi sur l’asile permette d’améliorer l’accueil dans les services des étrangers des préfectures, la formation et le statut des personnels, ainsi que la cohérence entre les informations disponibles sur service-public.fr et les sites des préfectures et la réalité des choses. Je souligne aussi l’importance de la question des langues pour accélérer le traitement des demandes d’asile.
Les conditions de travail difficiles des agents de la police aux frontières – leur temps de travail dépasse souvent largement ce qu’il devrait être – pèsent aussi sur le quotidien des personnes en rétention.
Monsieur le secrétaire d’État, si nous sommes très critiques à l’égard des positions de la majorité sénatoriale, nous ne pourrons cependant pas voter les crédits dévolus à une politique qui manque de solidarité envers des pays comme l’Italie ou l’Espagne, avec les conséquences politiques que nous constatons aujourd’hui en Italie. Nous ne sommes bien sûr pas seuls responsables de cette catastrophe européenne, mais nous y avons participé.
Après l’Aquarius, ce sont aujourd’hui des bateaux marchands qui, alors qu’ils ne font que respecter le droit de la mer en sauvant des vies, ne savent pas où accoster pour mettre en sécurité les personnes qu’ils ont repêchées !
Je constate aussi que la coopération entre les garde-côtes libyens et l’Union européenne est très aléatoire, d’autant que l’on ne sait pas très bien à qui ils répondent.
Enfin, nous refusons une application de la procédure Dublin qui conduit 30 % des demandeurs d’asile en France à végéter pendant dix-huit mois avant de pouvoir engager la démarche. En attendant, ils vivent de manière indigne dans nos rues. Soit un autre pays a déjà étudié leur demande d’asile, auquel cas il faut changer les règles pour plus d’efficacité, soit ils n’ont pas encore déposé de demande d’asile, auquel cas nous devons appliquer le système Dublin de manière plus souple, pour qu’ils puissent la formuler immédiatement en France.
Par ailleurs, monsieur le secrétaire d’État, pourquoi les personnes ayant travaillé avec l’armée française en Afghanistan n’obtiennent-elles pas toutes rapidement un visa dans des conditions dignes ?
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Jean-Yves Leconte. Je n’ai pas parlé d’intégration, parce qu’avec des discours comme celui de notre collègue rapporteur spécial rien ne sera jamais possible, quelle que soit l’importance des moyens engagés !
La France inclusive que nous appelons de nos vœux n’a pas besoin d’une pluie de milliards : elle a simplement besoin de s’aimer et de faire vivre ses principes. C’est plus difficile que de mobiliser des milliards, mais là est l’enjeu pour l’intégration : respecter les droits, refuser absolument toute discrimination et permettre que, d’une génération à l’autre, les jeunes qui naissent en France puissent se sentir français et ne pas être discriminés du fait de leur origine ! (M. Jean-Pierre Sueur et Mme Esther Benbassa applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Arnell.
M. Guillaume Arnell. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, les crédits affectés à la mission « Immigration, asile et intégration » dans le projet de loi de finances pour 2019 sont en hausse de 22,7 % en crédits de paiement. Toutefois, comme d’autres missions, celle-ci voit son périmètre élargi : à périmètre constant, l’augmentation n’est que de 12 % à 14 % en crédits de paiement.
Nécessaire, cette augmentation nécessaire vise à faire face à des demandes d’asile toujours plus nombreuses année après année : leur nombre a augmenté de 17 % en 2018 par rapport à 2017. C’est donc sans surprise que la grande majorité des crédits sont concentrés sur l’action n° 02, Garantie du droit d’asile.
Bien entendu, ces chiffres à eux seuls ne sauraient refléter les dépenses de l’État pour les politiques d’immigration, d’asile et d’intégration, qui ont de multiples coûts annexes, portant la facture pour l’État à près de 5,8 milliards d’euros pour 2018.
Si le Gouvernement a augmenté les crédits de la mission, ceux-ci restent encore insuffisants pour traiter en profondeur l’enjeu majeur que constituent l’immigration et l’asile dans notre pays.
Conscient qu’il faut repenser totalement notre système d’accueil et d’intégration, de l’hébergement d’urgence à l’exécution des décisions administratives, j’accueille très favorablement l’initiative prise par le Gouvernement de consacrer une loi à cette problématique. Cela me semble d’autant plus nécessaire que, partout en Europe, et même ailleurs, le populisme gagne du terrain en se nourrissant de la question migratoire. Adopter une approche globale est donc absolument nécessaire si l’on veut que les Français ne perçoivent pas notre politique d’accueil et d’intégration comme une charge déraisonnable et contraire à leurs intérêts.
« Il faut avoir à l’esprit que cette vision négative est liée au sentiment de déclassement et au renforcement des inégalités que certains de nos concitoyens éprouvent. » Tels étaient mes propos en juillet dernier, monsieur le secrétaire d’État, des propos qui font malheureusement écho à la crise des « gilets jaunes » que nous sommes en train de vivre.
Pour revenir à la question migratoire, le texte de juillet dernier, s’il a la vertu de corriger ou d’améliorer certains dispositifs, laisse des pans entiers de la problématique sans réponse. Comme les États à l’échelle européenne, les territoires français ne sont pas exposés de la même manière aux phénomènes migratoires : les zones frontalières, particulièrement les îles françaises les plus éloignées, sont les premières concernées.
À cet égard, la situation en outre-mer est largement sous-estimée. Je pense à Mayotte et à la Guyane, mais aussi à mon territoire, Saint-Martin, qui doivent faire face à un afflux important de migrants au regard de leur taille et de leur population, ce qui fragilise fortement les équilibres locaux. À Saint-Martin, l’inexistence d’une frontière étatique physique sur l’île tend à favoriser l’installation de populations immigrées, dont la précarité s’est accrue après les désastres causés par l’ouragan Irma, dont nous peinons toujours à nous relever.
Rien non plus, dans la loi de juillet dernier, ne permet de surmonter les difficultés chroniques dans les services publics régaliens ni de garantir des solutions d’hébergement d’urgence effectives. La loi ne comporte pas davantage de dispositions contraignantes relatives à la question des futurs réfugiés climatiques ou destinées à lutter contre la traite des êtres humains à laquelle se livrent les passeurs.
Le projet de loi de finances pour 2019 ne contient aucune mesure complétant utilement nos travaux de juillet dernier ou apportant des moyens supplémentaires pour combler les lacunes que je viens de mentionner. L’augmentation des crédits de paiement est avant tout un ajustement, au demeurant indispensable, du budget pour répondre à l’accroissement du nombre des demandes d’asile à traiter.
C’est peut-être la seule raison qui conduira la grande majorité du groupe du RDSE à voter les crédits de la mission. Nous mettons cependant en garde le Gouvernement : s’il veut réellement traiter le sujet dans toutes ses dimensions, il lui faudra mobiliser à l’avenir des moyens beaucoup plus importants !
M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé.
M. Loïc Hervé. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, « la qualité de notre politique d’intégration est au cœur de l’équilibre général de notre politique d’immigration et d’asile. Nos priorités sont connues. Nous voulons un système d’asile plus rapide, une politique d’éloignement plus efficace pour les étrangers en situation irrégulière, une politique d’intégration digne de notre République pour tous ceux à qui nous donnons le droit de séjourner en France. »
Ces mots ne sont pas de moi, mais du Premier ministre, qui les a prononcés devant le Comité interministériel à l’intégration, le 5 juin dernier. En d’autres termes, le Gouvernement entend mettre en œuvre l’ensemble des moyens nécessaires à la réalisation de ses objectifs. Nous saluons cette volonté.
Au regard de ces dernières années, force est de constater que la demande d’asile connaît, en France, une hausse sans précédent, alors que, dans d’autres États européens, elle est en baisse. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : au cours de la décennie 2007-2017, la demande de protection internationale en France a pratiquement triplé, augmentant de 183 %.
L’immigration régulière est toujours très dynamique, certains efforts ayant été réalisés. En effet, l’année 2019 sera marquée par une augmentation des crédits destinés à l’accueil des étrangers primoarrivants.
De plus, la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie produit ses premiers effets. Elle a permis, entre autres résultats, une meilleure insertion professionnelle des étrangers, auxquels elle assure une formation dispensée en langue française.
Néanmoins, notre collègue François-Noël Buffet signale, au nom de la commission des lois, que, « malgré des hausses ponctuelles, les moyens programmés par le présent budget sont fondés sur des hypothèses irréalistes et restent notoirement insuffisants au regard de la réalité des phénomènes migratoires auxquels la France est aujourd’hui confrontée ». En particulier, en raison de la forte hausse de la demande d’asile dans notre pays, les objectifs avancés par le Gouvernement – respect d’un délai cible de six mois pour le traitement des demandes d’asile et 86 % de demandeurs d’asile hébergés – ne semblent pas tenables.
Je voudrais attirer votre attention sur les crédits alloués à l’action n° 03 du programme « Immigration et asile », intitulée Lutte contre l’immigration irrégulière. Ils sont certes bienvenus, mais ne prennent pas en compte les conséquences de l’augmentation du nombre des demandes d’asile, non plus que les flux secondaires en provenance, notamment, d’Italie et d’Espagne. Ma collègue Denise Saint-Pé avait alerté le Gouvernement à cet égard lors des questions d’actualité au Gouvernement du 8 novembre dernier, expliquant que les Pyrénées étaient devenues une nouvelle route pour les populations migrantes. De fait, plus de 50 000 personnes sont arrivées sur les côtes espagnoles depuis le début de l’année, ce qui représente la moitié des entrées sur le continent. En réponse à ma collègue, monsieur le secrétaire d’État, vous avez exprimé votre volonté de nommer un coordinateur pour l’ensemble du massif pyrénéen, afin qu’un interlocuteur unique dialogue avec les autorités espagnoles : pouvez-vous nous indiquer si cette initiative s’est concrétisée et ce qui ressort de vos échanges avec les autorités espagnoles ?
La suite de mon propos sera consacrée au nombre de mesures d’éloignement effectivement exécutées.
Nous le savons, mes chers collègues, l’effort à cet égard est quasi nul. En effet, depuis quatre ans, les dépenses d’éloignement des migrants en situation irrégulière stagnent à un niveau proche de 30 millions d’euros. Je fais notamment référence à l’organisation des procédures d’éloignement par voies aérienne et maritime des étrangers faisant l’objet d’une mesure d’éloignement, dont la mise en œuvre revient à la police aux frontières.
Le problème est connu : près de neuf obligations de quitter le territoire sur dix ne sont pas exécutées. C’est une question complexe, dont la résolution, j’en suis bien conscient, ne nécessite pas simplement une écriture budgétaire.
Plus globalement, le problème majeur sur lequel bute ce gouvernement, comme d’ailleurs ceux qui l’ont précédé, est celui du traitement des déboutés du droit d’asile.
Oui, la France doit continuer à protéger les populations en danger au titre de l’asile. Oui, elle a encore des progrès à faire dans le traitement de ces demandes et sur les garanties offertes à ceux qui obtiennent l’asile. Mais, surtout, pour que ce système fonctionne, pour qu’il ait un sens, il est indispensable que nous trouvions de nouvelles solutions efficaces afin que les déboutés ne viennent pas presque systématiquement grossir les rangs des personnes en situation irrégulière sur notre territoire.
Monsieur le secrétaire d’État, cette diminution des crédits est en contradiction avec l’intention affichée à plusieurs reprises par le Gouvernement de faciliter l’accès aux places de rétention partout sur le territoire, en vue, notamment, de lutter contre l’insécurité et de renforcer la lutte contre l’immigration irrégulière.
Compte tenu de l’ensemble de ces observations, les sénateurs centristes ne peuvent pas apporter leur soutien aux crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » du projet de loi de finances pour 2019 ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled.
M. Dany Wattebled. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur spécial, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, dans le projet de loi de finances pour 2019, la mission « Immigration, asile et intégration » voit ses ressources fortement augmenter, il faut le souligner. En effet, le montant du budget alloué à cette mission s’établit à 1,7 milliard d’euros en crédits de paiement et à 1,9 milliard d’euros en autorisations d’engagement, soit une progression respective de 23 % en crédits de paiement et de 37,5 % en autorisations d’engagement en un an.
Certes, le budget augmente, mais avec la crise migratoire que connaît l’Union européenne et avec les programmes de relocalisation, il est loin d’être suffisant. Ne nous y trompons pas : il s’agit encore une fois d’un budget d’affichage où rien n’est fait efficacement pour lutter contre l’immigration irrégulière. Voilà pourquoi ce budget suscite de nombreuses remarques.
Tout d’abord, et il s’agit d’un point positif, je salue les efforts consentis en vue d’accueillir les étrangers en situation régulière. Je mentionnerai le renforcement du dispositif d’hébergement d’urgence et de la formation linguistique, ainsi que l’évolution du contrat d’intégration républicaine.
En revanche, il est toujours difficile de comprendre que le Gouvernement persiste à refuser l’abrogation de la circulaire Valls du 28 novembre 2012, qui a conduit en cinq ans à une augmentation de plus de 30 % des régularisations d’étrangers en situation irrégulière.
En 2017, on a comptabilisé 10 654 exécutions de mesures d’éloignement de moins qu’en 2012, alors que la pression migratoire était largement supérieure. Pis encore, le taux d’exécution des mesures prononcées recule, signe de l’insuffisance des politiques mises en œuvre.
Sur ce point, les chiffres sont édifiants : seuls 17,5 % des obligations de quitter le territoire français ont été exécutées l’an dernier. Il s’agit du plus bas niveau historique. Non seulement ces obligations de quitter le territoire sont peu appliquées, mais le Gouvernement ne prend même pas la peine de prendre une telle mesure quand un demandeur d’asile est débouté de sa demande ; en effet, seuls 36 % des déboutés en reçoivent une.
Une politique d’éloignement efficace constitue, à bien des égards, le pendant d’une bonne intégration des étrangers en situation régulière, et notamment des réfugiés.
La crédibilité de nos politiques d’éloignement est en outre entachée par les difficultés d’application du règlement de Dublin, qui prévoit le transfert des demandeurs d’asile vers l’État de l’Union européenne responsable de leur traitement, sans qu’une volonté de réforme se manifeste à ce jour : moins de 12 % des étrangers sous procédure Dublin ont été effectivement transférés vers un autre État au début de 2018.
Ce laxisme en matière d’éloignement du territoire vous conduit même, monsieur le secrétaire d’État, à refuser d’éloigner ceux qui représentent une menace pour la sécurité des Français. Je veux parler des 3 391 étrangers fichés pour radicalisation à caractère terroriste.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans ce contexte, le groupe Les Indépendants – République et Territoires ne votera pas les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » pour 2019.
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur spécial, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, cette année encore, malgré un environnement budgétaire contraint et un contexte migratoire difficile, le budget consacré à la mission « Immigration, asile et intégration » connaît une augmentation significative, puisqu’il atteindra 1,69 milliard d’euros en 2019, soit 314 millions d’euros de plus qu’en 2018.
Monsieur le secrétaire d’État, cette hausse de 22 %, cohérente avec l’objectif du plan gouvernemental de refonte de notre politique d’asile et d’immigration et les dispositions de la loi du 10 septembre dernier, vous permettra d’améliorer les conditions d’exercice du droit d’asile et de faire face aux défis des migrations et de l’intégration des étrangers entrés régulièrement en France.
Suivant ces trois objectifs, le budget que vous nous présentez prévoit une mise à niveau et une réorganisation du dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile, qui permettra de disposer de plus de 97 000 places en 2019.
S’il est vrai que ce budget repose sur une hypothèse optimiste de stabilisation de la demande d’asile et de baisse des demandeurs d’asile placés sous la procédure Dublin, il me semble que sa sincérité n’en est pas pour autant affectée. En effet, cette année, aucun décret d’avance n’a été prévu sur cette mission dans le projet de loi de finances rectificative, ce qui démontre que cette action n’avait pas été sous-budgétisée. Je tiens à préciser que cela n’était pas arrivé depuis neuf ans.
S’agissant de l’immigration régulière, je voudrais saluer les efforts consentis par le Gouvernement en matière d’intégration des étrangers primoarrivants. Les crédits alloués permettront notamment le renforcement de l’accompagnement en matière d’insertion professionnelle, et le doublement des cours de français et d’éducation civique. L’emploi, la maîtrise de la langue et la compréhension des valeurs de la République sont en effet des facteurs essentiels d’intégration.
Enfin, concernant la lutte contre l’immigration irrégulière, s’il est vrai que l’essentiel des crédits est consacré au maintien en zone d’attente ou en rétention, il est en revanche inexact de dire que l’effort dédié à l’éloignement est quasi nul. Même si ce n’est pas suffisant, quelque 30,9 millions d’euros sont consacrés aux frais d’éloignement des migrants en situation irrégulière, ce n’est pas rien.
Je ne puis évidemment pas m’exprimer sur cette question sans évoquer la situation au sein de mon département, où plus de la moitié de la population est étrangère et d’où sont effectuées chaque année la moitié des reconduites à la frontière depuis la France.
La pression migratoire inouïe que subissent les Mahorais m’a conduit à proposer l’adaptation des règles d’acquisition de la nationalité française à raison de la naissance et de la résidence en France.
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas bien !
M. Thani Mohamed Soilihi. Cette proposition a reçu l’avis favorable du Conseil d’État et a été validée par la suite par le Conseil constitutionnel. Il faut savoir que cela concerne tout de même 41 % à 50 % des naissances enregistrées à Mayotte.
Mme Éliane Assassi. Ce n’est vraiment pas bien !
M. Thani Mohamed Soilihi. Si, c’est très bien, chère collègue !
Au cours des dix derniers mois, des tensions importantes sont apparues dans les rapports entre les autorités comoriennes et les autorités françaises. Ces tensions ont eu pour conséquence de suspendre le retour chez eux de migrants reconduits à la frontière depuis Mayotte, ou de les rendre aléatoires, suscitant la colère légitime de la population mahoraise.
La crise était tellement profonde que, le 21 mars dernier, l’Union des Comores a renvoyé vers Mayotte un bateau qui devait accoster à Anjouan, avec, à son bord, une centaine de migrants reconduits à la frontière.
Fort heureusement, nous avons retrouvé le chemin du dialogue et, aujourd’hui, des retours sont de nouveau effectués grâce aux relations que le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, entretient avec le gouvernement comorien. Il est vrai que le dialogue est primordial, comme le soulignait notre collège Jean-Yves Leconte.
Ce dialogue entre nos deux pays, mené en concertation avec les élus mahorais, devrait donner lieu très prochainement à la formalisation d’un document-cadre qui comportera des décisions et des engagements réciproques en matière de lutte contre les mouvements de population non maîtrisés et de sauvegarde des vies humaines en mer, ainsi qu’en matière de développement.
Comme mes collègues parlementaires de Mayotte, je serai évidemment vigilant quant à sa bonne mise en œuvre et compte sur le Gouvernement pour apporter une solution pérenne à ce problème.
Pour conclure, je pense que ce budget pour 2019 donnera au Gouvernement les moyens de mener des politiques ambitieuses en matière d’asile et d’immigration régulière et irrégulière. C’est la raison pour laquelle le groupe La République En Marche votera en faveur des crédits de cette mission.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur spécial, mes chers collègues, il y a quelques mois, la Haute Assemblée adoptait un texte validant l’enfermement des mineurs en centre de rétention administrative, ou CRA, facilitant les expulsions et réduisant l’accès aux droits des exilés, alors même que nous connaissions, toutes et tous, la terrible réalité de ces destins arrachés à leur terre natale par la guerre, la famine, la persécution, l’instabilité politique et le dérèglement climatique.
Après le vote de la loi Asile et immigration, restait à découvrir le budget sur lequel s’appuierait sa mise en œuvre. Chacun peut aujourd’hui constater la nette augmentation des crédits alloués à cette mission. Pourtant, sous ces apparences flatteuses, se cache une réalité tout autre.
Alors que croît le nombre de requérants à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’OFPRA, et en dépit des alertes lancées par les professionnels de terrain, le Gouvernement mise sur une stabilisation très hypothétique des demandes d’asile. Le dispositif d’hébergement et de formation professionnelle, absolument nécessaire à l’intégration des personnes émigrées, souffre d’une évidente sous-budgétisation. Ce choix politique ne fera qu’aggraver la précarité déjà grande des exilés et aboutira, je le crains, à l’apparition de nouveaux campements de fortune.
Par là même, le Gouvernement nous éclaire sur sa priorité : la lutte contre l’immigration irrégulière, au détriment de l’intégration républicaine, ce qu’attestent notamment les 450 places supplémentaires qui seront créées en CRA, et l’aide au retour largement déployée par l’exécutif.
Du fait d’un désengagement de l’État, qui se refuse à développer des programmes pertinents comme celui de l’AFPA – l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes –, ce sont les forces vives de la société civile qui prennent le relais, telles que la CIMADE, COALLIA et d’autres associations et organisations non gouvernementales, qui sont à la pointe des combats en faveur des migrants que les pouvoirs publics renoncent à mener eux-mêmes en matière d’accès aux droits, d’accès aux soins et de socialisation par l’emploi et l’apprentissage du français.
Au lieu de promouvoir les bienfaits de certaines politiques publiques exemplaires en matière d’intégration, ou d’apprécier pour ce qu’elles sont les innovations de la société civile pour accompagner l’arrivée des exilés, le Gouvernement préfère agiter les peurs.
Pourtant, que vous le vouliez ou non, monsieur le secrétaire d’État, les mouvements de populations à l’échelle mondiale ne sont pas près de s’estomper. Reprenant, hélas, à son compte les mots du Rassemblement national, votre prédécesseur estimait que l’Europe était actuellement « submergée » par les migrations d’une Afrique appauvrie et d’un Moyen-Orient en guerre. Je parle évidemment de M. Collomb.
M. Roger Karoutchi. On avait compris ! (Sourires.)
Mme Esther Benbassa. Avec les 250 millions de réfugiés climatiques supplémentaires prévus par l’ONU d’ici à 2050, nous ne sommes qu’à l’aube de flux migratoires susceptibles de bousculer le principe même de frontière.
Nous devons donc adopter dès à présent une politique budgétaire ambitieuse en faveur d’une prise en charge sociale et sanitaire des exilés, par un traitement plus attentif et plus fluide des dossiers par l’OFPRA et la CNDA, la Cour nationale du droit d’asile, et par un soutien accru aux associations, qui effectuent un travail remarquable.
M. François Bonhomme. Pauvre Gérard Collomb ! (Sourires.)
Mme Esther Benbassa. Soyons à la hauteur des enjeux et de l’histoire. Lors de l’arrivée des boat people en France,…
M. Sébastien Meurant, rapporteur spécial. Ils fuyaient le communisme !
Mme Esther Benbassa. … Raymond Aron, Jean-Paul Sartre et d’autres avaient réussi à dépasser leurs clivages idéologiques pour agir en leur faveur.
Environ 120 000 d’entre eux furent effectivement admis, puis s’intégrèrent parfaitement. Pourquoi serions-nous incapables du même geste ? (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Monsieur le secrétaire d’État, ce soir, j’imagine que vous avez davantage en tête les problèmes de samedi prochain que les questions migratoires. J’en suis désolé et j’espère que vous aurez la ténacité et le courage nécessaires pour assurer la sécurité de tous les Français ce jour-là.
Toutefois, revenons au sujet du jour. J’ai parfois l’impression de parler tout le temps d’immigration et d’avoir fait vingt ou trente rapports sur le sujet…
Pour faire bref, puisque je n’ai que très peu de temps, je commencerai par rappeler que tout État a le droit de décider de qui rentre sur son territoire. Dans ces conditions, nous devons respecter les obligations européennes. Celles-ci existent depuis des années : elles sont parfois compliquées, mais elles seront certainement renégociées après les élections européennes parce que, compte tenu du climat politique général dans l’ensemble de l’Europe, je doute que l’on en reste aux règles actuelles.
Ensuite, je n’insisterai pas sur ce point, mais je trouve un peu difficile, incohérent et franchement sans grand intérêt, l’adoption d’un pacte mondial sur les migrations sous les auspices de l’ONU. En théorie, il s’agit d’un accord non normatif, mais, en pratique, il y aura toujours quelqu’un pour nous dire que, d’après notre droit, la France devrait s’inscrire dans ce cadre. Je ne suis pas convaincu que ce pacte ait beaucoup d’effets, mais je suis convaincu que cela n’apportera rien à la politique migratoire de la France.
Enfin, j’évoquerai le droit d’asile : pour moi, il est imprescriptible et sacré. Mais le problème, c’est qu’il est détourné.
Nous ne sommes plus au XIXe siècle ou au début du XXe siècle, lorsque se pressaient aux frontières de la France des personnes qui étaient toutes torturées. Aujourd’hui, certaines personnes fuient la guerre, les massacres, les persécutions et doivent être, de ce fait, correctement accueillies. Mais, en parallèle, et c’est pourquoi on en arrive à 120 000 ou 130 000 demandes, beaucoup de personnes ressortissant à l’immigration économique cherchent en réalité à détourner les règles de l’asile pour venir en France.
La preuve, c’est que les décisions rendues par nos juridictions, quelles qu’elles soient, y compris après appel, aboutissent en gros à écarter 80 % des demandes d’asile. Seuls 20 % des demandeurs d’asile sont admis sur le territoire national avec le statut de réfugié, ce qui veut quand même dire que plus de 80 % de ces étrangers ne respectent pas les règles, ou, en tout cas, ne remplissent pas les critères.
Monsieur le secrétaire d’État, il faut bien entendu réduire l’immigration régulière. Il serait normal que le Parlement puisse voter chaque année des quotas sur le fondement des critères économiques et sociaux de la République, de même qu’il serait normal que nous puissions décider qui rentre ou ne rentre pas sur le territoire national de manière régulière.
Toutefois, je considère que le vrai problème aujourd’hui – je l’ai toujours dit –, c’est que les réfugiés qui obtiennent l’asile n’obtiennent en réalité pas grand-chose, voire très peu de chose ! Les crédits alloués à l’intégration sont en effet notoirement insuffisants.
Le réfugié va faire un peu de français, un peu de formation civique ici ou là. Le ministère a imaginé un petit film pour lui résumer l’histoire de France en une demi-heure, de la préhistoire au général de Gaulle. Les cours de français sont certes obligatoires, mais ils ne sont pas sanctionnés d’un examen final pour vérifier si le réfugié a la moindre connaissance dans ce domaine, ce qui veut dire en fait qu’il suffit pour lui de se présenter. À part cela, rien ! Ce n’est ni sérieux ni digne.
Pour les réfugiés, pour les immigrés en situation régulière, les centres d’accueil, quels que soient les efforts que l’on fait en la matière, les campements dans les rues, le manque de place, c’est indigne ! En fait, nous sommes sursaturés, et comme nous sommes sursaturés, nous traitons mal tout le monde : les immigrés en situation régulière, ceux qui sont en situation irrégulière et qui ne quittent pas le territoire national, et les réfugiés qui ne sont pas bien intégrés.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Roger Karoutchi. J’en termine, monsieur le président, en disant que, tant que l’on ne remettra pas à plat la politique migratoire, on n’y arrivera pas.
En attendant, comme l’ensemble du groupe Les Républicains, je voterai naturellement contre les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme.
M. François Bonhomme. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre pays, comme de nombreux pays européens, doit faire face à un phénomène migratoire majeur, qui devrait conduire à la mise en œuvre de politiques et de mécanismes appropriés.
C’est la raison pour laquelle la mission « Immigration, asile et intégration » est éminemment prioritaire.
Je veux évoquer ici une question qui occupe tout particulièrement le sud-ouest de notre pays, celle de l’augmentation sensible des flux transitant par la route dite « de la Méditerranée occidentale ». L’Espagne est en effet aujourd’hui le premier point d’entrée des migrants dans l’Union européenne, avec plus de 41 000 migrants arrivés en Espagne au cours des neuf premiers mois de 2018, soit une hausse de plus de 143 % par rapport à 2017.
Nos voisins espagnols sont par là même exposés à une très forte augmentation de la demande d’asile, avec une proportion importante de mineurs non accompagnés. Ces migrations donnent bien souvent lieu à des flux dits « de rebond » vers la France, puisque nombre de ces migrants ne font que transiter par l’Espagne et cherchent à franchir les Pyrénées. En témoigne la forte hausse du nombre de refus d’entrée à la frontière franco-espagnole.
Comme je le disais dans mon propos liminaire, la France est confrontée, non pas à un, mais à des phénomènes migratoires sans précédent, protéiformes et aux résonnances multiples.
Pour ce projet de loi de finances pour 2019, les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » représentent 1,86 milliard d’euros en autorisations d’engagement et 1,69 milliard d’euros en crédits de paiement, soit une hausse de 38 % en autorisations d’engagement et de 22 % en crédits de paiement par rapport à la loi de finances initiale pour 2018. À périmètre constant, ces crédits augmenteront donc de 12 %.
Néanmoins, si le budget de la mission et de ses deux programmes affiche des crédits en hausse, ces derniers sont loin d’être suffisants.
Je voudrais parler plus particulièrement de la problématique du règlement de Dublin. En 2017, près de 36 % des demandes d’asile déposées au guichet unique des préfectures s’inscrivaient dans le cadre de ce règlement, soit 36 000 demandes. Il s’agit là d’un niveau sans précédent : pour rappel, les demandes sous procédure Dublin étaient au nombre de 22 300 en 2016.
L’année 2018 confirme par ailleurs cette tendance, puisque, au cours du seul premier semestre 2018, on comptabilisait 19 400 demandes. Notre pays reste ainsi confronté, cette année encore, à une forte augmentation du nombre des demandeurs d’asile placés sous cette procédure.
Je regrette donc le refus du Gouvernement d’une éventuelle abrogation de la circulaire Valls ou, a minima, d’un durcissement des règles fixées par cette circulaire, alors même que cette dernière a contribué à l’augmentation significative des régularisations : plus de 30 % en cinq ans !
Afin d’élaborer le présent projet de loi de finances, le Gouvernement a retenu une hypothèse particulièrement basse, pour ne pas dire chimérique, de progression de la demande d’asile, puisqu’il table sur une hausse de 10 % seulement en 2018, et de 0 % en 2019 puis en 2020 !
Le Gouvernement considère que le flux des personnes placées sous la procédure Dublin n’augmentera que de 10 % en 2018 et diminuera de 10 % en 2019 puis en 2020.
Monsieur le secrétaire d’État, permettez-moi de m’interroger sur les éléments factuels, sources et autres mesures ayant amené le Gouvernement à de telles hypothèses. Je rejoins les propos émis par le rapporteur pour avis de la commission des lois, François-Noël Buffet, et m’interroge, à juste titre, sur la « crédibilité des hypothèses sur lesquelles le Gouvernement a calibré les crédits relatifs à l’asile au sein de ce budget, minorant exagérément une demande d’asile toujours très dynamique, au risque de fausser la sincérité de la programmation budgétaire ».
C’est donc sans états d’âme que notre groupe ne s’associera pas à ces orientations et ne votera pas les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ». (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur. Monsieur le président, monsieur le rapporteur spécial, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » représentent 1,694 milliard d’euros, soit une hausse de 13 % à périmètre constant, après une progression de 26 % en 2018.
Cette hausse significative traduit le fait que la pression migratoire reste forte dans notre pays, avec notamment une demande d’asile très soutenue. Notre attachement à la sincérité budgétaire nous a donc conduits à accompagner cette hausse de la demande d’asile sur le plan budgétaire.
Cette hausse correspond également à la traduction budgétaire de priorités politiques très claires en application, d’une part, des décisions prises lors du comité interministériel à l’intégration du 5 juin 2018, et, d’autre part, du plan d’action du Gouvernement pour garantir le droit d’asile et mieux maîtriser les flux migratoires.
Ce budget pour 2019 est donc robuste et complet. En effet, il garantit les moyens qui permettront à l’État de renforcer les capacités d’hébergement des demandeurs d’asile et des réfugiés – j’y reviendrai.
Ensuite, il assure des ressources nouvelles pour renforcer les instruments de l’éloignement des étrangers en situation irrégulière, qui est bien une priorité.
Enfin, il permet le changement d’échelle des politiques d’intégration, qui sont déployées en faveur des étrangers qui ont vocation à rester durablement en France. Il s’agit d’une politique très équilibrée, madame Benbassa, qui priorise certes la politique de reconduite, mais également l’intégration. Je vous donnerai quelques éléments chiffrés dans un instant.
Vous le savez, notre pays reste soumis à une pression migratoire intense, évolutive, qui appelle de notre part une action toujours plus déterminée.
Cette pression migratoire n’est pas sans paradoxes. Entre 2016 et 2017, le nombre de demandeurs d’asile dans l’Union européenne a diminué de moitié, mais il a augmenté de 17 % en France, dépassant le cap des 100 000 demandes d’asile enregistrées à l’OFPRA. Pour une part importante, cette hausse de la demande d’asile émane de personnes qui n’ont pas de véritable besoin de protection. J’en citerai deux exemples.
En 2017, le pays qui se classait au premier rang des demandeurs d’asile dans notre pays était l’Albanie, pays sûr, candidat à l’entrée dans l’Union européenne, dont les ressortissants n’ont guère plus de 6 % de chances d’obtenir le statut de réfugié.
La même année, on constatait en Guyane une hausse constante et préoccupante de la demande d’asile provenant d’Haïti, avec des personnes qui ne font généralement pas état de motifs de protection au sens du droit international.
D’où ce paradoxe : la demande d’asile est en hausse, alors que les arrivées sur notre continent de personnes fuyant véritablement la guerre baissent. Cette réalité, le Gouvernement s’en est saisi à bras-le-corps, et je reprendrai, pour en apporter la démonstration, les deux mêmes exemples.
La demande d’asile en provenance de l’Albanie enregistre, sur les neuf premiers mois de 2018, une baisse de 41 % par rapport à la même période en 2017. Pour obtenir ce résultat, l’élaboration avec le Gouvernement albanais d’un plan d’action très concret, destiné à dissuader les flux migratoires irréguliers, a été décisive.
En Guyane, le constat avait été dressé que la durée excessive de nos procédures d’asile constituait un facteur important d’attractivité. Nous avons donc pris un décret réduisant à titre expérimental le délai de traitement de l’asile dans ce territoire à deux mois, ce qui a permis une baisse de 49 % de la demande d’asile.
L’année écoulée nous le prouve, mesdames, messieurs les sénateurs, pour dissuader les flux migratoires irréguliers, l’action déterminée de l’État porte ses fruits.
Il n’en reste pas moins, et je le reconnais volontiers devant vous, que la France reste confrontée à une situation migratoire délicate, qui justifie de poursuivre et d’amplifier notre action et, par conséquent, d’y allouer les moyens nécessaires. Là aussi, je ne prendrai que deux exemples particulièrement illustratifs.
Après l’Albanie, la France est aujourd’hui la destination d’un nombre important et toujours croissant de demandeurs d’asile originaires de Géorgie. Ce pays a obtenu récemment une exemption de visas pour ses ressortissants qui se rendent dans l’Union européenne.
Or, sur les neuf premiers mois de l’année, la demande en provenance de ce pays a enregistré une hausse de 289 %. Notre détermination sera totale pour endiguer ce phénomène, qui relève effectivement d’une migration économique et concerne très largement des personnes qui n’ont pas de besoins de protection au sens du droit. Nous mobiliserons tous les outils bilatéraux, mais aussi européens, pour y parvenir.
Du fait des dysfonctionnements actuels du règlement de Dublin, notre pays est fortement exposé aux flux secondaires internes à l’Union européenne, flux dans lesquels les déboutés du droit d’asile sont, hélas, de plus en plus nombreux, comme M. Bonhomme l’a rappelé. Un tiers des demandes d’asile enregistrées en France provient de personnes ayant déjà enregistré une demande dans un autre pays de l’Union européenne. Ce n’est pas acceptable. Voilà pourquoi Christophe Castaner et moi-même nous sommes fortement engagés dans les négociations européennes, pour réformer enfin le système qui permet ce phénomène.
Même si vous pouvez compter sur mon courage et ma ténacité pour affronter ce qui nous attend samedi prochain, monsieur Karoutchi, et même si je suis devant vous ce soir, j’étais ce matin encore à Bruxelles…
M. François Bonhomme. Attention à la fatigue. Il faut penser à dormir !
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. … pour évoquer la question de la réforme et de l’évolution du règlement de Dublin avec mes homologues, en marge du conseil JAI. Dans cette attente, nous continuerons d’utiliser avec détermination les outils à notre disposition, en transférant les personnes concernées vers le pays européen chargé de l’examen de leur demande d’asile.
Comme vous pouvez le constater, en matière migratoire, l’enjeu pour l’année 2019, c’est de poursuivre et d’amplifier nos efforts pour maîtriser l’immigration, garantir le droit d’asile et tirer les conséquences de l’octroi ou du refus du statut de réfugié.
Nous le ferons en conduisant un dialogue ferme avec les pays d’origine des migrants pour qu’ils travaillent à dissuader les départs et qu’ils reprennent leurs ressortissants, en œuvrant à l’échelle européenne pour une réponse coordonnée aux défis migratoires que nous partageons, qu’il s’agisse des arrivées en Méditerranée ou des flux de rebond dans l’Union européenne, et en garantissant la dignité de l’accueil dans notre pays, par la création en 2019, conformément aux engagements du Président de la République à Orléans en juillet 2017, de 3 500 nouvelles places d’hébergement pour les demandeurs d’asile.
Il faudra aussi assumer d’éloigner ceux qui sont déboutés de leur demande d’asile, y compris, je le dis sans détour, en les plaçant en rétention lorsqu’il existe un risque de fuite. Enfin, pour les quelque 30 % de demandeurs qui obtiennent le statut de réfugié, il faudra leur donner réellement les moyens de s’intégrer dans notre pays.
Ces orientations, mesdames, messieurs les sénateurs, sont celles qui guident la construction de notre budget en 2019. J’aborderai maintenant la question des moyens de la politique d’asile.
Tout d’abord, pour faire face à une demande d’asile toujours soutenue, les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » incluent des moyens supplémentaires pour traiter les demandes d’asile et accueillir les demandeurs dans des conditions dignes. Ce renforcement du dispositif d’accueil et d’hébergement est indispensable : c’est le meilleur moyen de lutter contre les campements.
Aussi, pendant tout le temps du traitement de la demande d’asile, tous les moyens seront déployés pour accueillir dignement les demandeurs d’asile.
Conformément aux engagements déjà pris par le Gouvernement, 1 000 nouvelles places en centres d’accueil de demandeurs d’asile, les CADA, et 2 500 nouvelles places en hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile, les HUDA, seront créées en 2019. S’y ajouteront 2 000 places dans les centres provisoires d’hébergement, les CPH, qui visent à faciliter l’accès au logement des réfugiés les plus vulnérables.
Ce projet de loi de finances met également fin à une anomalie qui voulait que les places d’hébergement pour demandeurs d’asile en Île-de-France, dans les centres d’hébergement d’urgence pour migrants – CHUM –, soient financées sur le programme 177, sous la responsabilité du ministre chargé du logement. Le projet de loi de finances organise donc le transfert de ces 7 800 places de ces centres vers les programmes 104 et 303, pour un montant de 113 millions d’euros.
Pour atteindre, à la fin de 2019, notre objectif d’un délai de traitement de six mois, en moyenne, de la demande d’asile, des renforts seront alloués à l’ensemble des services qui contribuent au traitement de ces demandes.
Tout d’abord, 170 renforts de personnels titulaires ont été alloués aux préfectures. Pour tous les personnels en fonction dans les services chargés des étrangers et de l’asile, un plan d’attractivité sera mis en œuvre, destiné à fidéliser l’expertise de ces agents, mais aussi à reconnaître leur implication et leur engagement dans ces missions parfois difficiles.
De plus, 25 effectifs nouveaux seront dédiés à l’Office français de l’immigration et de l’intégration pour investir des missions nouvelles, notamment armer les équipes mobiles prévues par la circulaire du 12 novembre 2017, et 10 équivalents temps plein travaillé supplémentaires seront affectés à l’OFPRA, qui aura ainsi vu ses effectifs renforcés de 280 postes depuis 2015.
Enfin, en dehors de cette mission, mais je le mentionne tout de même compte tenu de l’importance de cette juridiction, 122 équivalents temps plein seront créés à la Cour nationale du droit d’asile, chargée de statuer sur les recours contre les refus d’asile décidés par l’OFPRA.
Enfin, toujours s’agissant de l’accueil des demandeurs d’asile, ce projet de loi de finances prévoit la poursuite du rebasage de l’allocation pour demandeur d’asile, l’ADA, qui leur est versée pendant toute la durée de la procédure et dont les crédits sont en hausse de 5,7 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2018.
Par ailleurs, le PLF pour 2019 traduit l’attachement très fort du Gouvernement à la mise en œuvre d’une politique toujours plus crédible de lutte contre l’immigration irrégulière et d’éloignement.
En la matière, l’entrée en fonction de ce gouvernement a marqué un tournant, avec une reprise des éloignements, qui ont progressé de 14 % en 2017, après des années de fléchissement. Depuis le début de l’année 2018, la tendance se maintient, puisque le nombre de personnes ayant quitté le territoire est à nouveau en hausse de 20 % par rapport à la même période en 2017.
Toutefois, cette tendance à la hausse, pour être amplifiée, appelle des moyens supplémentaires. En particulier, si la dynamique de l’aide au retour volontaire est très positive, celle des éloignements contraints, en hausse de 9 %, est en deçà de la mobilisation, que je sais pourtant très forte, des services de l’État.
Les préfets nous l’indiquent dans leurs rapports : ce qui est en cause, c’est une insuffisance criante de places dans les centres de rétention, pour permettre l’éloignement effectif de ceux qui tentent de se soustraire à l’application du droit.
L’engagement avait été pris, vous vous en souvenez, d’ouvrir 400 places supplémentaires en centres de rétention. Depuis octobre 2017, plus de 200 places ont déjà été ouvertes. Mais, pour poursuivre cette dynamique, il nous faut également investir dans ces équipements, et c’est la raison pour laquelle les crédits qui vous sont proposés prévoient un plan d’investissement en matière de rétention d’un montant de 48 millions d’euros.
Concernant les éloignements, bien évidemment, une politique est menée de manière bilatérale avec chacun des États pour obtenir des laissez-passer. Nous sommes souvent dans une politique de cousu main et, avec le ministre Christophe Castaner, je me mobilise dans les relations que nous entretenons avec les États concernés pour améliorer ces taux de laissez-passer, qui sont un élément important de la politique menée.
S’agissant du budget de l’intégration, vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, les efforts qui sont accomplis pour éloigner ceux qui n’ont pas vocation à rester durablement sur notre territoire doivent nous permettre d’amplifier, en parallèle, notre engagement pour donner plus de perspectives à ceux qui arrivent légalement en France. Il nous faut combattre leur assignation à des identités, des quartiers, des difficultés que nous ne connaissons que trop bien, et leur donner tous les moyens de contribuer à la dynamique et à la diversité de notre nation.
M. le président. Il faut conclure, monsieur le secrétaire d’État.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Toutefois, vous le savez aussi, cela ne se décrète pas : il faut y travailler avec constance et ambition. C’est pourquoi le Gouvernement a décidé un véritable changement d’échelle de nos politiques d’intégration, d’abord par la maîtrise de la langue et la maîtrise des valeurs de la République, avec des cours d’éducation civique passant de douze heures à vingt-quatre heures, puis par une intégration, une insertion plus réussie par le travail.
M. le président. Il faut vraiment conclure, monsieur le secrétaire d’État.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. En matière d’intégration, j’en terminerai par ce point, ce sont 89 millions d’euros de crédits supplémentaires qui seront dédiés à la mise en œuvre des décisions du comité interministériel.
Tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les éléments d’information que je tenais à vous donner. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. Nous allons procéder à l’examen des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration », figurant à l’état B.
ÉTAT B
(En euros) |
||
Mission |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
Immigration, asile et intégration |
1 850 908 630 |
1 688 406 760 |
Immigration et asile |
1 442 297 816 |
1 279 742 068 |
Intégration et accès à la nationalité française |
408 610 814 |
408 664 692 |
M. le président. L’amendement n° II-696, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
|
+ |
- |
+ |
- |
Immigration et asile |
20 000 000 |
20 000 000 |
||
Intégration et accès à la nationalité française |
20 000 000 |
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20 000 000 |
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La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Dans son projet de loi de finances pour 2019, le Gouvernement prévoit une augmentation de 46,3 % du programme « Intégration et accès à la nationalité française ». Au sein de celui-ci, l’action relative à l’accueil des étrangers primoarrivants est revalorisée de 33,9 %. C’est heureux, et nous ne pouvons que nous en féliciter.
Grâce à ces nouvelles dotations, l’OFII aura les moyens de mener une politique ambitieuse d’intégration. Est notamment prévu le doublement des cours de français, de la formation civique et d’une prestation d’orientation professionnelle.
Tous ces éléments sont évidemment importants, car la citoyenneté ne s’invente pas ; elle s’acquiert, et ce par la socialisation, par l’emploi et par l’apprentissage de la langue, mais aussi des us et mœurs des pays d’accueil. Mais ces bons sentiments ne doivent pas empêcher une vision plus globale de la prise en charge des exilés.
Pour ces primoarrivants, qui ont fui la guerre et le marasme économique, la priorité doit être, avant toute chose, la sécurité d’un foyer. Nous ne pouvons laisser se développer de nouveaux bidonvilles, comme cela a pu être le cas à Calais.
Voilà quelques semaines, j’ai eu l’occasion de visiter le centre Exelmans dans le XIXe arrondissement de Paris. L’association Aurore, qui en a la charge, réalise un travail formidable pour les migrants, mêlant accueil décent et apprentissage du français. De tels dispositifs devraient se multiplier.
C’est ce que propose, d’ailleurs, le Gouvernement, en incorporant dans ce projet de loi de finances pour 2019 la création de 3 500 places dans les centres d’hébergement d’urgence. Dans un esprit constructif, les auteurs du présent amendement proposent de soutenir et d’amplifier cette disposition, en portant ce chiffre à 5 500 places.
Le droit au logement est un objectif à valeur constitutionnelle. Il doit pouvoir s’appliquer à toute personne résidant sur notre territoire, ne serait-ce que temporairement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Sébastien Meurant, rapporteur spécial. Alors que nos mesures d’éloignement sont déjà les plus faibles qui soient, c’est une mauvaise idée que de baisser encore ces crédits !
L’avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. La France est dotée d’un dispositif spécifique d’hébergement pour l’accueil des réfugiés les plus vulnérables. Tous les réfugiés n’ont pas vocation à être hébergés dans ce cadre. Au contraire, la plus grande partie d’entre eux accède au logement par le biais de dispositifs de droit commun.
J’ai rappelé l’effort de 3 500 places, déployées dans le cadre du projet de loi de finances. Entre le début de l’année 2017 et la fin de l’année 2019, sur trois ans, le parc aura été multiplié par quatre, sa capacité atteignant 8 707 places au plan national. C’est donc un effort très considérable que le Gouvernement a consenti et qu’il maintiendra cette année encore, comme je le rappelais, conformément aux engagements pris.
Compte tenu de cet effort, priver le programme 303, « Immigration et asile », de 20 millions d’euros, alors que ses besoins sont également élevés, n’apparaît pas justifié.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. L’amendement n° II-697, présenté par Mmes Benbassa, Apourceau-Poly et Assassi, M. Bocquet, Mmes Brulin, Cohen et Cukierman, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, M. P. Laurent, Mme Lienemann, M. Ouzoulias, Mme Prunaud et M. Savoldelli, est ainsi libellé :
I. – Créer le programme :
Fonds de soutien à la garantie de l’exercice du droit d’asile
II. – En conséquence, modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
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Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
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Immigration et asile |
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Intégration et accès à la nationalité française |
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Fonds de soutien à la garantie de l’exercice du droit d’asile |
20 000 000 |
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20 000 000 |
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TOTAL |
20 000 000 |
20 000 000 |
20 000 000 |
20 000 000 |
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La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Dans un contexte marqué par une demande d’asile soutenue et une immigration en progression, les moyens budgétaires prévus par l’exécutif sont insuffisants.
Partant de prévisions erronées des demandes de l’OFPRA, l’exécutif a déterminé le montant des crédits en retenant l’hypothèse d’une stabilisation de la demande d’asile en 2019. Ce calcul, quelque peu erroné, entraîne un risque de sous-budgétisation de la mission et, oserai-je dire, une forme d’insincérité budgétaire. Cette hypothèse est effectivement jugée irréaliste par l’ensemble des associations et organismes compétents, lesquels estiment que l’OFPRA risque l’engorgement du fait d’un nombre croissant de requérants dans les années à venir.
Le présent amendement vise à créer un fonds de soutien à la garantie de l’exercice du droit d’asile, afin de renforcer le financement de l’action n° 02 du programme 303, « Immigration et asile ». Nous espérons ainsi réunir les conditions d’un fonctionnement plus efficient de l’OFPRA, par davantage d’emplois de personnels qualifiés.
Alors que l’action relative à la lutte contre l’immigration irrégulière a augmenté drastiquement de 86 % entre 2018 et 2019, nous jugeons qu’un transfert de 20 millions d’euros vers un soutien à l’exercice effectif du droit d’asile est nécessaire, afin d’offrir aux primoarrivants des conditions d’accueil dignes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Sébastien Meurant, rapporteur spécial. La commission partage votre avis sur l’insincérité du budget, madame la sénatrice, malgré les efforts et les augmentations budgétaires. En revanche, comme pour le premier amendement, il me semble que diminuer le budget finançant les mesures d’éloignement au profit d’une autre action n’est pas une bonne idée.
La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Le fonds, dont la création est envisagée par prélèvement des moyens du programme 303, aurait exactement le même objet que certaines des actions financées par ce même programme 303… Dès lors, cette création ne nous paraît pas utile.
Nous considérons que l’effort fourni est tout de même significatif. Je ne donnerai qu’un seul exemple, celui de l’OFPRA, dont, madame la sénatrice, vous jugez les moyens insuffisants. Depuis 2015, les crédits alloués à l’OFPRA ont augmenté de 65 %, pour atteindre 70 millions d’euros dans ce projet de loi de finances, et, dans le même temps, quelque 280 emplois ont été créés dans cet établissement public.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
M. le président. L’amendement n° II-698, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
I. – Créer le programme :
Fonds de soutien à l’accompagnement des troubles psychotraumatiques
II. – En conséquence, modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
|
+ |
- |
+ |
- |
Immigration et asile |
|
10 000 000 |
|
10 000 000 |
Intégration et accès à la nationalité française |
|
|
|
|
Fonds de soutien à l’accompagnement des troubles psychotraumatiques |
10 000 000 |
|
10 000 000 |
|
TOTAL |
10 000 000 |
10 000 000 |
10 000 000 |
10 000 000 |
SOLDE |
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La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Le 23 novembre dernier, au tribunal de grande instance de Paris, un jeune Burkinabé de quinze ans s’est défenestré après avoir été entendu par le juge. Ce fait n’est, hélas, pas un cas isolé et nous a été signalé par plusieurs associations.
La cécité du Gouvernement sur ce grave enjeu de santé publique nous interroge. La souffrance psychique des migrants est directement provoquée par les violences que subissent ces personnes, tant dans leur pays d’origine que lors de leur traversée.
Ces multiples troubles, parmi lesquels figure le syndrome de stress post-traumatique, compliquent également le travail des agents de l’OFPRA, censés examiner la véracité des récits et témoignages. Les demandeurs d’asile qui en sont atteints souffrent d’amnésies traumatiques et ne peuvent relater aisément et avec précision les persécutions subies.
Ces pathologies mentales peuvent être plus graves encore. Sans suivi médical, les individus peuvent pâtir à long terme de maladies psychiatriques de plus grande ampleur, telle la schizophrénie.
Parce que le suivi psychotraumatique est inexistant et occulté par les politiques publiques, nous proposons la création d’un fonds nécessaire à la prise en charge des pathologies dont souffrent ces personnes brisées par l’exil.
Mes chers collègues, il est de notre devoir de mettre en place, au sein de notre politique d’accueil et d’intégration, une offre de soins en santé mentale, afin de redonner confiance et dignité à ceux qui sont atteints de syndromes psychotraumatiques.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Sébastien Meurant, rapporteur spécial. Nous accueillons mal, parce que nous accueillons trop ! (Mme Esther Benbassa s’exclame.) Cette problématique rejoint celle de l’aide médicale de l’État, évoquée précédemment et dont nous avons réussi à baisser les crédits.
Mme Esther Benbassa. Ce n’est pas un argument !
M. Sébastien Meurant, rapporteur spécial. L’avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Les éventuels troubles psychotraumatiques dont peuvent souffrir les primoarrivants font l’objet d’une prise en charge, à la fois au titre de l’intégration et en tant qu’impératif de santé publique.
Depuis plusieurs années, les crédits de l’action n° 02 « Garantie de l’exercice du droit d’asile » du programme 303 sont mobilisés au bénéfice d’associations qui interviennent spécifiquement dans le champ de la prise en charge de ce type de syndromes pour les demandeurs d’asile. En 2018, plus de 500 000 euros ont été versés à des acteurs associatifs spécialisés dans la prise en charge médico-psychologique de demandeurs d’asile. Il s’agit bien de crédits spécifiques, mobilisés à cette seule fin.
Cette politique a été confirmée dans le cadre du comité interministériel à l’intégration de juin 2018. Dès lors, la création d’un fonds national n’apparaît pas opportune, d’autant plus que les modalités de prise en charge de ces traumatismes ont été mieux définies au plan local et que les préfets bénéficient de moyens supplémentaires qui, de surcroît, sont déconcentrés sur les territoires, pour mieux prendre en compte ce type de traumatismes.
L’avis du Gouvernement est donc défavorable.
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Je voudrais brièvement indiquer, notamment à l’attention de Mme Benbassa, que l’OFII a massivement créé, depuis deux ans, des postes de médecins, et qu’il a développé l’ensemble des programmes d’accueil et de contrôle médical, ne serait-ce que pour éviter que l’on retrouve, dans les rues de nos villes, des gens ayant des problèmes de santé.
Le contrôle médical est donc beaucoup plus performant aujourd’hui qu’il y a quelques années. Je ne dis pas que tout est merveilleux ou magnifique, mais des efforts importants ont été réalisés par les pouvoirs publics au cours des trois dernières années.
Dans ces conditions, il me semble nécessaire de laisser l’OFII poursuivre son travail, plutôt que de créer un fonds nouveau.
Mme Esther Benbassa. Cela suppose un budget !
M. le président. L’amendement n° II-574 rectifié bis, présenté par Mme Taillé-Polian, M. Durain et Mmes G. Jourda et de la Gontrie, n’est pas soutenu.
Nous allons procéder au vote des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration », figurant à l’état B.
Je n’ai été saisi d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.
Je mets aux voix ces crédits.
(Les crédits ne sont pas adoptés.)
M. le président. J’appelle en discussion l’article 77 quater, qui est rattaché pour son examen aux crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».
Immigration, asile et intégration
Article 77 quater (nouveau)
I. – Le troisième alinéa de l’article L. 626-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :
« L’Office français de l’immigration et de l’intégration est chargé de constater et de fixer le montant de cette contribution. À cet effet, il peut avoir accès aux traitements automatisés des titres de séjour des étrangers dans les conditions définies par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.
« L’État est ordonnateur de la contribution forfaitaire. À ce titre, il liquide et émet le titre de perception. »
II. – L’article L. 8253-1 du code du travail est ainsi modifié :
1° À la fin du deuxième alinéa, les mots : « de liquider cette contribution » sont remplacés par les mots : « fixer le montant de cette contribution pour le compte de l’État selon des modalités définies par convention » ;
2° Le dernier alinéa est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :
« L’État est ordonnateur de la contribution spéciale. À ce titre, il liquide et émet le titre de perception.
« Le comptable public compétent assure le recouvrement de cette contribution comme en matière de créances étrangères à l’impôt et aux domaines. »
III. – Les I et II entrent en vigueur le 1er janvier 2018.
M. le président. Je mets aux voix l’article 77 quater.
(L’article 77 quater n’est pas adopté.)
Sécurités
Compte d’affectation spéciale : Contrôle de la circulation et du stationnement routiers
M. le président. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Sécurités » et du compte d’affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers ».
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Philippe Dominati, rapporteur spécial de la commission des finances, pour les programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale ». Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les récents événements, marqués par d’importants dérapages en matière de maintien de l’ordre, démontrent encore une fois l’importance de la mission « Sécurités ».
Malgré tout, cette année encore, le budget n’est pas à la hauteur des enjeux. Le projet de loi de finances prévoit une augmentation des crédits de cette mission de 1,62 %. La principale caractéristique de ce budget est la création de 2 378 ETP, qui devrait constituer la plus forte hausse sur une annuité de toutes celles qui sont prévues sur l’ensemble du quinquennat.
Cette augmentation des effectifs n’est malheureusement pas suivie d’une augmentation équivalente des dépenses de fonctionnement et d’investissement, ce qui entraîne, une fois de plus, une dégradation préoccupante du ratio des dépenses de personnel sur l’ensemble des crédits.
Ce ratio sera de 89,39 % pour la police nationale et de 84,39 % pour la gendarmerie nationale, soit une moyenne de 87,36 % pour les deux forces. Voilà une dizaine d’années, les dépenses de personnel représentaient 80 % des crédits, pour 20 % de crédits de fonctionnement et d’investissement. Depuis, les sommes affectées aux dépenses de personnel ont crû de 34,53 %, tandis que les autres ont diminué de 6,53 %.
Les revalorisations générales, notamment l’application des protocoles d’accord signés en mai 2016, ont entraîné 200 millions d’euros de dépenses supplémentaires en 2018 et la hausse devrait être de 92 millions d’euros en 2019, selon l’estimation de la Cour des comptes.
Les comparaisons internationales démontrent qu’avec un gendarme ou un policier pour 280 habitants, notre pays n’est pas en situation de sous-effectif. Nos forces de l’ordre disposent de 151 000 policiers et de 96 000 gendarmes, pour assurer la sécurité de nos concitoyens. Il y a un policier ou gendarme pour 273 habitants en Allemagne, un pour 427 en Angleterre, un pour 220 en Italie et un pour 292 en Espagne. Parmi nos voisins, seule l’Italie possède plus de policiers et de gendarmes par million d’habitants que nous. Encore ce chiffre ne tient-il pas compte des polices municipales, ni des 7 000 militaires déployés dans le cadre de l’opération « Sentinelle ».
Avec des dépenses de personnel qui représentent plus de 87 % des crédits de la mission, les crédits de fonctionnement sont donc insuffisants et n’augmentent que de 0,88 %. Les crédits d’investissement, quant à eux, baissent de 13,37 % !
Comme l’a montré l’enquête de la Cour des comptes sur l’équipement des forces de l’ordre, réalisée à la demande de la commission des finances du Sénat, des efforts ont pourtant été réalisés pour faire face au terrorisme et à la crise migratoire. Ainsi, dans des délais relativement courts, votre rapporteur a pu constater que pour les primo-intervenants sur une scène d’attentat, chaque brigade anticriminalité dispose désormais d’une arme lourde et d’une protection assortie.
Toutefois, toujours selon ce rapport, de nombreux points noirs demeurent. La Cour des comptes dénonce ainsi le manque de formation : en 2017, seuls 51 % des policiers et gendarmes ont effectué leurs trois séances de tir par an.
Par ailleurs, la Cour a mis fin à une polémique entre le Sénat et le Gouvernement sur l’état du parc automobile. Il est regrettable que la multiplication des plans n’ait pas enrayé le vieillissement de ce parc. Sur ce point, le contraste entre les chiffres avancés et la réalité est flagrant : en 2017, sur 3 000 véhicules annoncés, seuls 1 500 sont arrivés sur le terrain. Depuis 2010, le nombre de véhicules achetés ne permet pas de garantir le maintien à niveau de la flotte.
Dans la police nationale, un véhicule doit être remplacé après 170 000 kilomètres ou huit ans. En 2019, 14 000 véhicules sur 30 000 auront bientôt atteint ce seuil. Dans la gendarmerie, où le critère de réforme se situe actuellement à 7,4 années, tout le monde ne peut qu’être inquiet, car cet outil de travail est essentiel pour la couverture d’immenses zones géographiques.
L’état du parc immobilier est aussi très préoccupant. Dans la gendarmerie, l’état des logements influe sur le moral. La commission d’enquête dont mon collègue François Grosdidier était le rapporteur a évalué l’effort d’investissement nécessaire à un niveau de 300 à 400 millions d’euros. Dans la police, où 536 bâtiments nécessitent une réhabilitation lourde, le délabrement est tel qu’il faudrait des crédits d’investissement à hauteur de 650 millions d’euros. Or, le niveau de ces crédits est respectivement de 100 millions d’euros et de 165 millions d’euros.
Certaines réorganisations ont mis à mal les dispositifs opérationnels. En particulier, la directive européenne de 2003 sur le temps de travail, applicable à la gendarmerie nationale depuis le 1er septembre 2016, implique la création de 4 000 ETP. Or il n’est prévu de créer que 2 500 ETP sur le quinquennat.
Pour la police nationale, les protocoles de mai 2016, jugés sévèrement par la Cour des comptes, conduisent à l’application aux forces opérationnelles de la vacation forte. Cette disposition améliore le moral des agents, qui peuvent disposer d’un week-end sur deux, au lieu d’un sur six. Mais son application sur 11 % des effectifs, malgré l’injection de 433 ETP supplémentaires dans les services concernés, a été difficile.
Le directeur général de la Police nationale a dû décréter un moratoire, dans l’attente d’un rapport de l’Inspection générale de l’administration et de l’Inspection générale des finances qui est prévu pour mars 2019. La généralisation progressive semble remise en cause dans ce cadre budgétaire. Il faudrait, à terme, envisager 4 160 ETP de plus pour un coût financier d’environ 205 millions d’euros annuels.
Je comprends, monsieur le secrétaire d’État, vos préoccupations financières pour tenir ces engagements et j’espère que vous apporterez prochainement au Sénat des réponses à ces interrogations.
Le fait que la préfecture de police de Paris ne puisse pas appliquer la vacation forte constitue un paradoxe révélateur des difficultés induites par ce régime. Il est effectivement surprenant que, dans la région capitale, où les conditions de travail sont particulièrement difficiles, ce régime ne puisse pas être mis en œuvre. Sur le territoire de la préfecture de police, une expérimentation a été menée à Boissy-Saint-Léger et a conduit à son abandon.
Monsieur le secrétaire d’État, les sénateurs sont préoccupés par le stock d’heures supplémentaires, qui a crû de 18 % en trois ans pour atteindre 21,7 millions d’heures. Ce problème ne concerne pas les gendarmes, qui sont sous statut militaire et disposent d’un logement de fonction. C’est, en revanche, une véritable épée de Damoclès sur la capacité opérationnelle de la police nationale, car ces congés sont pris avant le départ à la retraite, ce qui peut priver le service d’un fonctionnaire pendant une année entière, sans que celui-ci soit remplacé.
M. le président. Il faut conclure, monsieur le rapporteur spécial.
M. Philippe Dominati, rapporteur spécial. Les tâches indues demeurent constantes. Il en va, ainsi, de la garde de vingt-quatre préfectures ou de celle du palais de Justice de Paris qui exige 450 postes. Ces tâches mobilisent 5 % des effectifs.
Au vu de ces éléments, la commission des finances propose, contrairement à d’autres missions régaliennes de l’État, un rejet des crédits de la mission « Sécurités ».
M. le président. Mes chers collègues, j’invite chacun d’entre vous à respecter son temps de parole. Ainsi parviendrons-nous peut-être à achever l’examen des crédits de cette mission avant minuit et demi.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur spécial de la commission des finances, pour le programme « Sécurité et éducation routières ». Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’objectif fixé pour la politique de sécurité routière est clair : réduire au maximum le nombre de morts et de blessés, donc d’accidents sur les routes françaises.
Ce faisant, cette politique diminue le coût de l’insécurité routière. Si la valeur d’une vie brisée est inestimable, le coût matériel des accidents de la route – évalué par l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière, l’ONISR, à 39,7 milliards d’euros – est très élevé. Comment évaluer la politique de sécurité routière à l’aune de ses résultats ?
Si l’on est loin de l’objectif, fixé par l’Union européenne, de passer sous la barre des 2 000 morts en 2020, les années 2017 et 2018 laissent enfin entrevoir une éclaircie.
En 2017, après trois années consécutives de hausse - une première depuis quarante-cinq ans –, le nombre de tués sur les routes repart enfin à la baisse. Ce sont 3 600 tués qui ont été dénombrés sur les routes de France métropolitaine et des départements d’outre-mer, soit 55 décès de moins par rapport à 2016.
Toutefois cette embellie demeure fragile et doit être relativisée. En effet, le nombre d’accidents et de blessés hospitalisés continue d’augmenter. En outre, la France se trouve toujours en quatorzième position, c’est-à-dire dans le « ventre mou » du classement des pays de l’Union européenne.
Quand on considère la distance parcourue sur les réseaux routiers, plusieurs de nos voisins – l’Allemagne, le Royaume-Uni ou la Suisse – affichent de meilleurs résultats. La France peut donc mieux faire.
Les crédits du programme 207, « Sécurité et éducation routières » de la mission « Sécurités », qui ne représentent que 0,2 % du montant de la mission, augmentent de nouveau légèrement – de 3,9 % par rapport à 2018 –, pour s’établir à 41,4 millions d’euros.
Le point saillant de ce programme est le permis de conduire, dont les coûts d’organisation représentent plus de la moitié des crédits. La réforme de cet examen, engagée en 2014, s’essouffle : les indicateurs de performance stagnent, tandis que l’opération « permis à un euro par jour », qui m’apparaît, comme l’an dernier, trop budgétée, connaît un succès très relatif.
Cet été, le Gouvernement a confié une mission à deux de nos collègues députés, visant à relancer la réforme du permis de conduire, tandis que l’examen du projet de loi d’orientation des mobilités, dit « LOM », qui vient d’être déposé au Sénat, doit aussi permettre de lui donner un nouvel élan.
Monsieur le secrétaire d’État, quelles pistes envisagez-vous pour aider les jeunes à obtenir leur permis, souvent indispensable pour « décrocher » un premier emploi ?
S’agissant du compte d’affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers », le « CAS Radars », l’estimation, en projet de loi de finances, du produit total des amendes de la police de la circulation et du stationnement n’a jamais été aussi élevée : elle atteint 1 867 millions d’euros.
J’avoue que cette estimation, il y a encore quelques semaines, me semblait quelque peu frileuse. Le montant du produit réalisé, l’an dernier, c’est-à-dire en 2017, s’est révélé en effet nettement supérieur aux prévisions de la loi de finances initiale de 2017.
Cependant, au cours de ces trois dernières semaines de mobilisation des « gilets jaunes », de nombreux radars ont été vandalisés et sont désormais hors service – selon les éléments qui nous ont été donnés, plus de 800 radars automatiques, soit 20 % du parc. L’impact sur les recettes de l’État pourrait être important.
S’agissant des dépenses, j’observe que les décisions prises à l’issue du comité interministériel réuni le 9 janvier 2018 s’inscrivent dans la droite ligne de la politique des deux précédents gouvernements.
Si je reste très mesuré – c’est un euphémisme – quant aux effets de l’abaissement de la vitesse autorisée à 80 kilomètres par heure, j’aurais préféré, comme beaucoup de mes collègues, notamment ceux du groupe de travail sur la sécurité routière, que ces décisions soient prises en concertation avec les collectivités et les élus locaux et davantage ciblées sur les routes les plus accidentogènes. Je salue cependant certaines des mesures du comité interministériel, qui rejoignent les recommandations émises par notre collègue Vincent Delahaye dans son rapport de contrôle budgétaire de 2017.
Par ailleurs, je constate que le plan de déploiement de ces nouveaux équipements prend un sérieux retard. L’objectif des 4 700 radars et des 200 itinéraires sécurisés, qui devait être atteint au 31 décembre 2018, est pratiquement reporté d’une année.
Ce décalage, qui serait en partie lié à une phase d’homologation des nouveaux dispositifs plus longue que prévu, notamment ce que l’on appelle les radars tourelles, me fait m’interroger sur la nécessité d’augmenter encore les crédits du programme 751, même si, à ce jour, je comprends bien que cette augmentation puisse être justifiée par une évolution de la composition du parc privilégiant des radars plus intelligents, donc plus onéreux.
En outre, cette hausse de crédits pourrait d’ailleurs être absorbée par les frais de remise en état des radars détériorés. Monsieur le secrétaire d’État, pourriez-vous nous dire à combien pourraient s’élever les frais de remise en état de ces appareils, compte tenu du bilan connu à ce jour et que je viens de citer ?
S’agissant des collectivités locales, je note que les crédits du programme 754 diminuent de nouveau d’environ 7 % en 2019. Cette baisse est certes justifiée par l’entrée en vigueur de la décentralisation du stationnement payant. En effet, depuis le 1er janvier, les communes et les intercommunalités ont la faculté de fixer le montant du forfait post-stationnement et à en recueillir le produit. Ce n’est, en revanche, pas le cas des départements, auxquels incombe l’entretien de quelque 370 000 kilomètres de voirie.
Au cours de l’examen de la première partie, le Sénat a adopté un amendement, présenté par le rapporteur général, visant à créer un prélèvement sur le produit des amendes forfaitaires hors radars et amendes forfaitaires majorées au bénéfice des départements. Je présenterai donc un amendement de crédits pour permettre de financer ce prélèvement, au détriment du programme 755 « Désendettement de l’État ».
Je suis en effet convaincu que la politique de sécurité routière, pour être efficace, doit être comprise par nos concitoyens. Même si la part des recettes issues du contrôle automatisé et fléchées vers le désendettement de l’État est inférieur à 9 %, le manque de lisibilité du compte d’affectation spéciale et son architecture tarabiscotée, enchevêtrant les flux des différentes catégories d’amendes, ne contribuent pas à rendre la politique de sécurité routière plus transparente et plus acceptable dans la répartition des produits collectés.
Je préconise donc, monsieur le secrétaire d’État, d’étudier une refonte complète de l’architecture de ce compte d’affectation spéciale, avec un souci de simplification.
En conclusion, la commission des finances propose donc d’adopter les crédits de la mission dans sa partie « Sécurité et éducation routières » – 0,2 % du total –, sans modification, ainsi que ceux du compte d’affectation spéciale, ainsi modifiés.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Jean Pierre Vogel, rapporteur spécial de la commission des finances, pour le programme « Sécurité civile ». Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en 2019, les crédits du programme « Sécurité civile » connaissent une baisse de 393,97 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 6,86 millions d’euros en crédits de paiement par rapport à la loi de finances initiale pour 2018, soit une hausse de 1,29 % en crédits de paiement et une baisse de 46,15 % en autorisations d’engagement.
Cette baisse de crédits s’explique par la passation, en 2018, d’un marché de remplacement de la flotte de Tracker par des avions-multirôles. Si l’on neutralise l’impact de l’acquisition des avions dans le projet de loi de finances pour 2018, le budget du programme « Sécurité civile » est stable en autorisations d’engagement – une hausse de 1,64 % – et baisse de 4,51 % en crédits de paiement.
Les crédits du programme « Sécurité civile » pour 2019 sont inférieurs à la programmation triennale de près de 10 millions d’euros en crédits de paiement. Cette différence s’explique principalement par des économies réalisées à l’occasion de la passation du marché de renouvellement des Tracker.
Je tiens à évoquer la situation des services départementaux d’incendie et de secours, les SDIS, qui me semble préoccupante. Leur importance et pourtant capital : ils ont réalisé en 2017 près de 4,65 millions d’interventions, soit une croissance de 2 % par rapport à l’année précédente.
Leurs budgets sont en légère hausse – de 2,4 % en valeur brute. Toutefois, leurs dépenses d’investissement ont connu une diminution importante de près de 20 % entre 2008 et 2017. Cette baisse apparaît d’autant plus préoccupante que le soutien de l’État aux investissements structurants des SDIS s’est récemment affaibli.
Cette dotation de soutien aux SDIS, dont le financement s’élevait à 25 millions d’euros en 2017, n’est que de 10 millions d’euros en 2019, comme ce fut le cas d’ailleurs en 2018.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur pour avis de la commission des lois, pour le programme « Sécurité civile ». Exactement !
M. Jean Pierre Vogel, rapporteur spécial. Cette faible dotation est d’autant plus incompréhensible que les crédits prévus par le projet de loi de finances sont inférieurs à la programmation pluriannuelle.
Cette dotation sera très majoritairement consacrée au financement du projet de système d’information unifié des SDIS et de la sécurité civile, le SGA-SGO, projet considéré comme stratégique par le ministère de l’intérieur. De l’avis général, son montant est toutefois très insuffisant. Il me paraît indispensable que cette dotation soit réévaluée dans les années à venir.
Outre un problème de financement, les SDIS risquent de devoir faire face à une transformation récente du droit européen de nature à remettre en cause le modèle français de secours. En effet, à la suite d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 21 février 2018 sur un contentieux opposant un sapeur-pompier volontaire belge à la commune de Nivelles à propos de la rémunération de son service de garde, la directive européenne de 2003 relative au temps de travail pourrait s’appliquer aux sapeurs-pompiers volontaires français.
Cette directive contient notamment deux dispositions contraignantes : la durée maximale de travail hebdomadaire de 48 heures ; le repos journalier de 11 heures consécutives.
La Cour de justice de l’Union européenne a ainsi considéré que les sapeurs-pompiers volontaires doivent être considérés comme « travailleurs » au sens de la directive ; que les périodes de garde sont toujours considérées comme du temps de travail ; que les périodes d’astreinte ne peuvent être exclues du temps de travail que dès lors que les contraintes ne sont pas excessives et ne peuvent être assimilées à celles qui découlent d’un travail.
En tout état de cause, le développement et la pérennité du modèle français de distribution des secours, qui reposent de façon significative sur les sapeurs-pompiers volontaires, constituent un enjeu majeur pour la sécurité civile. De fait, quelque 79 % des sapeurs-pompiers français sont des volontaires, et leur proportion peut aller jusqu’à 90 % dans les départements les moins peuplés.
L’application de la directive aux sapeurs-pompiers volontaires français entraînerait un accroissement de moitié du coût des services d’incendie et de secours, soit 2,5 milliards d’euros, ce qui serait de nature à remettre en cause le modèle français de secours.
La préservation du statut de sapeur-pompier volontaire appelle une initiative forte de la part du Gouvernement français vis-à-vis de la Commission européenne. C’est là l’un des principaux points d’interrogation, monsieur le secrétaire d’État, sur lequel nous souhaiterions vous entendre.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur pour avis. Très bien !
M. Jean Pierre Vogel, rapporteur spécial. Le budget 2018 est marqué par la poursuite du déploiement du système d’alerte et d’information des populations, dont les choix stratégiques, fortement contestables, ne sont toujours pas remis en cause.
Je vous avais alerté, par le biais de mon rapport d’information, sur le fait que ce projet concentrait près de 80 % des crédits prévus au volet « sirènes », alors même que son impact apparaît bien plus faible que celui de la téléphonie mobile, qui ne bénéficiait pourtant que de 3 % des crédits consommés ou prévus pour ce projet.
Après un an de fonctionnement, et à la suite des recommandations formulées dans mon rapport, l’application smartphone, dont j’avais relevé les insuffisances, a fait l’objet d’une évaluation par l’Inspection générale de l’administration et a finalement été abandonnée le 29 mai 2018, sans qu’aucun projet de remplacement soit prévu. Le volet « téléphonie mobile » aura ainsi coûté 1,6 million d’euros sans faire preuve de la moindre utilité.
Il me semble nécessaire de procéder à une réorientation stratégique plus large de ce projet avant que l’affectation des crédits de la phase 2, qui commence en 2020, ne soit effectuée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Philippe Paul, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour le programme « Gendarmerie nationale ». Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en ouverture de mon propos, je souhaite en tout premier lieu rendre hommage à l’action des gendarmes, qui, dans un contexte souvent difficile, ont accompli en 2018 leurs missions avec une grande conscience professionnelle.
En attestent les succès obtenus dans la lutte contre la délinquance du quotidien, avec la baisse des cambriolages, mais aussi dans la prévention du terrorisme, avec une montée en puissance du renseignement opérationnel, désormais étroitement associé au renseignement territorial.
La gendarmerie a également su affronter des crises de grande ampleur, montrant qu’elle était en mesure de fournir au ministère de l’intérieur, en étroite coordination avec les autres forces de sécurité, mais aussi avec les élus locaux, une réponse adéquate aux défis, souvent difficiles, auxquels elle est confrontée.
L’évacuation maîtrisée de Notre-Dame-des-Landes au mois d’avril dernier témoigne de sa compétence et de sa capacité d’adaptation, tout comme son intervention aux Antilles après le passage de l’ouragan Irma à l’automne 2017.
Je souhaite aussi mettre en évidence le rôle important des membres de la réserve opérationnelle, en particulier lorsqu’ils apportent une aide précieuse aux collectivités locales pour le bon déroulement de certains événements. C’est pourquoi le fait que la régulation budgétaire de 2018 ait conduit à une réduction de 900 emplois de réservistes jusqu’en septembre dernier a constitué un handicap très sérieux pour le bon accomplissement des missions de la gendarmerie.
Il est d’autant plus nécessaire de souligner le travail accompli que, comme l’ont montré les travaux de la commission d’enquête sur l’état des forces de sécurité intérieure, les conditions d’exercice du métier sont difficiles, du fait de relations souvent tendues avec certains publics, de tâches administratives de plus en plus lourdes et d’une procédure judiciaire devenue trop complexe.
Il serait imprudent de croire que la gendarmerie est protégée contre les crises par son statut militaire. Il était donc important et nécessaire que le budget pour 2019 soit à la hauteur.
À nos yeux, ce n’est malheureusement pas le cas. En effet, nous ne relevons pas d’amélioration réelle des moyens de fonctionnement : seulement 2 800 véhicules légers à acquérir – si, toutefois, les crédits ne sont pas gelés –, alors que les besoins sont criants dans les brigades. Nous ne constatons pas non plus de nouvel investissement dans les véhicules lourds et aériens.
Enfin, le plan de rénovation de l’immobilier présenté est très insuffisant par rapport aux besoins réels : ce n’est pas assez pour éloigner le risque d’une crise de grande ampleur au sein de l’institution.
Aussi, en cohérence avec l’ensemble de ces observations, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a émis un avis défavorable sur les crédits du programme 152 pour 2019.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Yannick Vaugrenard, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour le programme « Gendarmerie nationale ». Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux tout d’abord constater que nos forces de sécurité sont une fois de plus soumises à rude épreuve depuis quelques semaines. Elles doivent quotidiennement affronter des agressions de la part de personnes ou de groupes extrémistes organisés.
Les travaux de la commission d’enquête sur l’état des forces de sécurité intérieure l’ont démontré : la situation est grave, et il est indispensable que la Nation consente un effort important pour éviter une crise profonde, aussi bien au sein de la police nationale qu’au sein de notre gendarmerie. Dans ce contexte, je réaffirme mon soutien et ma reconnaissance aux services que nos gendarmes rendent chaque jour à la Nation, avec courage, sang-froid et abnégation.
Or, à l’issue de l’analyse des crédits de la gendarmerie pour 2019, il me faut malheureusement constater que « le compte n’y est pas ».
S’agissant des moyens de fonctionnement courant et des véhicules, les crédits prévus stagnent et ne sont pas à la hauteur des enjeux.
S’agissant de l’immobilier, c’est un plan non pas de 100 millions d’euros, mais de 300 millions d’euros par an qui serait nécessaire pour rattraper le retard accumulé et permettre aux gendarmes et à leurs familles de retrouver des conditions de vie décentes.
En outre, la stratégie d’ensemble fait défaut. Si l’on souhaite préserver les capacités opérationnelles de la gendarmerie, il faut aujourd’hui élaborer un plan global de remise à niveau en mettant clairement en regard les missions et les moyens correspondants, sur une base pluriannuelle.
Dès lors, monsieur le secrétaire d’État, n’est-il pas temps d’envisager une nouvelle loi de programmation pluriannuelle des forces de sécurité, en parallèle en quelque sorte à la loi de programmation militaire ?
Au-delà des crédits, il faut aussi retrouver le sens de la mission, qui consiste avant tout pour les gendarmes en une présence sur le terrain auprès de nos concitoyens, conformément d’ailleurs à l’ambition de la police de sécurité du quotidien.
Alors que la directive européenne sur le temps de travail a fait perdre l’équivalent de 4 000 emplois à la gendarmerie, il est impératif de mettre réellement fin aux tâches indues pour redonner des marges de manœuvre et atteindre cet objectif de retour de proximité.
Enfin, nous avons noté que le ministère de l’intérieur s’est engagé dans la création de directions générales des achats et du numérique. Celles-ci absorberont certains services préexistants de la police et de la gendarmerie. Il est important d’opérer des mutualisations. Faisons cependant attention à préserver ce qui fonctionne bien : je pense notamment aux innovations remarquables accomplies au sein de la gendarmerie nationale dans le domaine du numérique.
Globalement, les crédits proposés ne sont pas à la hauteur des exigences désormais imposées aux forces de sécurité et ils ne sont pas à la hauteur nécessaire pour répondre aux malaises constatés. C’est pourquoi nous voterons contre les crédits du programme « Gendarmerie nationale ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Henri Leroy, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, pour les programmes « Police nationale », « Gendarmerie nationale » et « Sécurité et éducation routières ». Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la commission des lois partage le constat dressé par notre collègue rapporteur spécial de la commission des finances : en dépit d’une augmentation des crédits alloués à la sécurité, la trajectoire financière du projet de loi de finances pour 2019 demeure déséquilibrée et insuffisante au regard de la situation particulièrement dégradée des forces de sécurité.
Cette année encore, le Gouvernement a fait le choix de mettre l’accent sur le renforcement des effectifs. En 2019, ce seront 1 735 emplois qui seront créés dans la police et 643 dans la gendarmerie.
Ces créations suffiront-elles à améliorer la présence des forces sur le terrain, à permettre le déploiement de la police de sécurité du quotidien, et, plus largement, à faire face aux défis sécuritaires auxquels la France est confrontée ? Je ne le crois pas ! Je suis même persuadé du contraire. L’augmentation des effectifs que vous envisagez de 10 000 policiers et gendarmes en cinq ans est à la fois optique et inefficiente.
Optique, car elle parviendra à peine à compenser la baisse de capacité opérationnelle suscitée par l’application de la directive européenne de 2003 sur le temps de travail, qui nécessite de mobiliser, selon les informations qui m’ont été communiquées, plus de 8 000 équivalents temps plein dans les deux forces.
Inefficiente, car il est probable que cette hausse des effectifs n’exercera aucun effet de levier si elle n’est pas accompagnée de réformes structurelles d’ampleur. Comment, en effet, espérer améliorer la lutte contre la délinquance dans les territoires les plus difficiles alors même que la police peine à y maintenir ses agents les plus expérimentés ?
Comment renforcer la présence de nos forces de l’ordre sur le terrain alors qu’elles sont absorbées par des tâches administratives et procédurales nombreuses, complexes et fastidieuses ?
Aucune augmentation d’effectifs ne portera ses fruits si elle n’est accompagnée d’une amélioration des conditions de travail des policiers et des gendarmes, qui se sont profondément dégradées au cours des dernières années et qui pèsent sur leur efficacité comme sur leur moral.
Or, à cet égard, le budget présenté par le Gouvernement n’est à la hauteur ni des annonces ni des besoins. En effet, la forte augmentation des dépenses de personnel se fait, cette année encore, au détriment des crédits de fonctionnement et d’investissement, dont la part ne cesse de se réduire dans le budget global.
Je déplore tout particulièrement la baisse des crédits d’investissement, qui constituent, ne nous en cachons pas, la variable d’ajustement de ce budget. Les efforts que vous annoncez, monsieur le secrétaire d’État, ne se traduisent pas dans les chiffres.
Vous réduisez les dépenses de formation, alors même que le nombre de recrues n’a jamais été aussi important.
Vous prévoyez l’acquisition de 3 000 véhicules pour la police, mais 8 000 sont maintenus en service, alors qu’ils remplissent les critères de réforme.
Vous programmez 105 millions d’euros pour la remise à niveau des casernes de gendarmerie, alors même que sa direction évalue ses besoins à 300 millions d’euros par an.
Ce que revendiquent à l’unanimité les forces de sécurité, ce n’est pas le renforcement des effectifs, mais plutôt l’amélioration de leurs conditions matérielles de travail. À quoi bon, en effet, augmenter les effectifs si nos policiers et nos gendarmes manquent de moyens, d’équipements et de munitions ? Force est de constater que vous avez choisi la stratégie inverse.
Aussi la commission des lois a-t-elle émis un avis défavorable à l’adoption des crédits de la mission « Sécurités » prévus par le projet de loi de finances pour 2019. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Troendlé, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, pour le programme « Sécurité civile ». Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je m’associe en tout point au constat et aux questionnements de notre excellent collègue Jean Pierre Vogel.
Le budget de la sécurité civile pour 2019 ouvre dangereusement la voie à une sécurité civile à deux vitesses avec, d’un côté, des crédits importants alloués, à juste titre, aux moyens de la sécurité civile d’État, et, de l’autre, une sécurité civile territoriale laissée en marge.
S’agissant de la sécurité civile d’État, les crédits sont mis au service de priorités identifiées les années précédentes et que nous partageons : le renouvellement, la rénovation et le maintien en condition opérationnelle de la flotte aérienne ; le renforcement des capacités de déminage ; le développement de différents systèmes de communication.
S’agissant de la sécurité civile territoriale, il est vrai que les services départementaux d’incendie et de secours, les SDIS, sont principalement financés par les collectivités territoriales, départements en tête. Pour autant, la loi de finances devrait prévoir les adaptations fiscales et les concours ciblés nécessaires à leurs investissements, qui sont en baisse depuis plusieurs années.
L’explication de cette baisse est simple, et nous la connaissons tous : la contraction des moyens budgétaires des départements se conjugue à une augmentation des dépenses de fonctionnement des SDIS, en lien direct avec l’augmentation de leur activité, notamment en matière de secours à personne.
Sur le plan budgétaire, il est inadmissible que les économies réalisées par l’État avec la réforme de la prestation de fidélisation et de reconnaissance versée aux sapeurs-pompiers volontaires soient détournées cette année encore, alors qu’il avait été décidé de les sanctuariser pour financer des investissements des SDIS.
Fixé à 25 millions d’euros dans la loi de finances pour 2017, le montant de la dotation de soutien aux investissements structurants des SDIS a été réduit à 10 millions d’euros dans la loi de finances pour 2018. Il en sera malheureusement de même en 2019. Mes chers collègues, il s’agit d’une véritable perte sèche pour la sécurité civile des territoires.
Sur le plan fiscal, je souhaite vivement que l’Assemblée nationale conserve la mesure prévoyant le remboursement aux SDIS d’une partie de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, la TICPE, versée sur le gazole, que le Sénat a adoptée à l’unanimité sur ma proposition.
Enfin, il importe que le Gouvernement publie rapidement le décret nécessaire à la mise en œuvre effective de la gratuité des péages autoroutiers pour les véhicules de secours en intervention, prévue il y a bientôt un an par la loi de finances pour 2018.
M. Loïc Hervé. C’est urgent !
Mme Catherine Troendlé, rapporteur pour avis. Pour ces raisons, la commission des lois a été conduite à donner un avis défavorable à l’adoption des crédits du programme.
Elles me conduisent aussi à vous poser une question, monsieur le secrétaire d’État : quelles mesures allez-vous enfin mettre en œuvre pour soutenir nos services départementaux d’incendie et de secours ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque unité de discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de vingt minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Loïc Hervé.
M. Loïc Hervé. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, l’examen de la mission « Sécurités » intervient cette année dans le cadre d’une actualité brûlante.
Une fois encore, nos forces de sécurité intérieure, en particulier CRS et gendarmes mobiles, sont en première ligne pour protéger nos concitoyens. En première ligne aussi pour protéger nos institutions – le Premier ministre l’a dit tout à l’heure dans cet hémicycle –, notamment contre des individus qui ont fait preuve d’une violence inouïe lors des dernières semaines.
Notre groupe rend hommage à leur sang-froid, à leur courage et à leur engagement. Nous adressons aussi nos vœux de prompt rétablissement aux fonctionnaires de police et aux militaires de la gendarmerie qui ont été blessés, parfois gravement, lors des dernières manifestations.
L’examen des crédits de la mission « Sécurités » est l’occasion d’évoquer la situation dramatique dans laquelle nos forces doivent maintenir l’ordre.
Le contexte actuel est particulièrement révélateur. Depuis 2015, la pression sur leurs épaules n’a cessé de croître, notamment avec le contexte terroriste et l’état d’urgence qui l’accompagnait. Aujourd’hui, plus que jamais, on en a l’illustration. Nos forces de l’ordre, dans cette ambiance insurrectionnelle, se trouvent démunies et à bout de force. Et les chiffres le prouvent : uniquement à Paris, vingt-trois de ses membres ont été blessés au cours de la journée du 1er décembre.
Ainsi, des efforts doivent être faits pour le budget de la mission « Sécurités ». Si les crédits des programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale » augmentent, les problèmes connus par les forces de sécurité intérieure ne sont pas pour autant résolus. En effet, la hausse des dépenses correspond très largement à celle du personnel, accentuant ainsi le ratio dépenses de personnel sur l’ensemble des crédits, en le portant à 89,39 % pour la police nationale et à 84,39 % pour la gendarmerie nationale.
Or ces augmentations de personnel depuis 2013 ne sont pas la seule priorité. Lorsque l’on se compare à nos voisins européens, on se rend compte que la France ne souffre pas d’une sous-dotation en effectifs. Ces effectifs sont d’ailleurs encore trop mobilisés sur des tâches indues, telles que la garde des bâtiments préfectoraux, l’assistance aux opérations funéraires, etc. Ces dernières mobilisent 6 000 équivalents temps plein travaillé, soit 4,1 % du total des missions de la gendarmerie et 9 % de la police ! Il convient de poursuivre la lutte contre celles-ci.
Si des avancées significatives ont pu être réalisées, de grands chantiers restent à conduire. La priorité est de redonner aux forces de l’ordre des moyens matériels décents pour les accompagner dans leurs actions. Cela passe tout d’abord par le devoir de réinvestir dans le patrimoine immobilier des deux corps. En effet, pour la gendarmerie nationale, les crédits prévus sur les années 2018-2020 seraient inférieurs d’environ 450 millions d’euros aux besoins identifiés, contre 650 millions d’euros pour la police nationale.
Cette priorité passe aussi par la nécessité d’accroître les dépenses de fonctionnement et d’équipement. Si des avancées ont pu être constatées, elles restent très largement insuffisantes. Plusieurs points noirs ont d’ailleurs été dégagés par le rapporteur spécial : la formation continue et les crédits d’équipements, notamment ceux de l’accès aux munitions.
Le parc automobile, vieillissant et inadapté aux missions des forces de l’ordre, est un très bon reflet de la situation dans laquelle la gendarmerie nationale et la police nationale se trouvent. La Cour des comptes a d’ailleurs déterminé que cela constituait l’une des principales préoccupations relatives à l’équipement des forces de sécurité intérieure.
Par surcroît, une bombe à retardement voit sa puissance grossir dans la police nationale : c’est celle des heures récupérables. À la fin de 2017, le stock des heures supplémentaires à apurer s’élevait à 21,764 millions, pour un montant évalué à 271 millions d’euros en 2018.
Le rachat ne pouvant être effectué que pour les CRS, il s’agit, pour reprendre les mots du directeur général de la police nationale, d’une véritable « épée de Damoclès opérationnelle ». En effet, elles ont vocation à être récupérées avant le départ à la retraite sous forme de congés et ne mènent donc pas au remplacement de ces fonctionnaires durant cette période. Ainsi, un trou opérationnel est à prévoir. Je vous demande donc, monsieur le secrétaire d’État, si un rachat de ces heures ne pourrait pas être envisagé pendant que la situation est encore soutenable.
C’est pour ces raisons que le groupe Union Centriste ne votera pas le budget de la mission « Sécurités ». (M. Michel Canevet applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled.
M. Dany Wattebled. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, au regard des besoins des forces de sécurité qui sont indispensables – renforcement de la lutte contre le terrorisme, mise en place de la police de sécurité du quotidien –, le budget de la mission « Sécurités » pour 2019 est un budget en trompe-l’œil, augmentant seulement de 1,67 %, soit un peu plus de 300 millions d’euros par rapport à 2018.
Comme en 2018, l’accent est mis sur l’augmentation des effectifs, avec la création de plus de 2 300 emplois dans la police et la gendarmerie.
Toutefois, ce nécessaire renforcement des effectifs, s’il n’est pas accompagné d’un important redressement des crédits d’équipements et des moyens de fonctionnement des forces de l’ordre, ainsi que de réformes structurelles adéquates, ne sera pas en mesure de provoquer un véritable effet de levier pour renforcer sur le terrain la présence des forces de sécurité.
Cette hausse apparaît également très insuffisante au vu des violences urbaines récurrentes auxquelles les forces de l’ordre sont confrontées et eu égard aux agressions dont elles font l’objet. Je veux parler de l’émergence d’un phénomène nouveau que l’on désigne par l’expression « Black Blocs », ou encore des faits qui se sont déroulés en marge des manifestations des « gilets jaunes ».
Ces hausses d’effectifs semblent, en effet, servir de prétexte pour dissimuler un manque de vision politique et une pénurie organisée, car, sur la totalité de la mission, les dépenses d’investissement diminuent de près de 47 %. Dès lors, pourquoi augmenter les effectifs des forces de l’ordre si les moyens et les équipements ne suivent pas ?
En outre, monsieur le secrétaire d’État, je souhaite attirer votre attention sur les grands oubliés de votre ministère, à savoir les sapeurs-pompiers, qui, en intervention, sont victimes d’agressions dont le nombre augmente de manière intolérable.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur pour avis. Absolument !
M. Dany Wattebled. Ces agressions ont augmenté de 18 % entre 2015 et 2016. Et les sapeurs-pompiers voient leurs marges budgétaires se réduire dangereusement.
Je voudrais évoquer la gratuité des autoroutes pour les véhicules d’intérêt général prioritaires en intervention, notamment ceux des sapeurs-pompiers, de la police et de la gendarmerie. L’année dernière, cette gratuité avait été décidée. Mais rien n’a changé aujourd’hui, faute de décret d’application. C’est tout simplement inadmissible ! Cela l’est d’autant plus que ce budget laisse en marge la sécurité civile territoriale au moment où les départements et les intercommunalités se heurtent à de graves difficultés financières.
Bien que les services départementaux d’incendie et de secours soient financés principalement par les collectivités territoriales, le projet de loi de finances pour 2019 ne prévoit pas les adaptations fiscales et les concours ciblés nécessaires à l’amélioration de leurs investissements, comme l’a souligné notre collègue Catherine Troendlé, rapporteur pour avis pour le programme « Sécurité civile ».
Je veux rendre hommage à cette tribune aux hommes et aux femmes qui, tous les jours, souvent au péril de leur vie, assurent notre sécurité. Je les remercie ici de leur engagement au service des citoyens. Je souhaite également saluer les sapeurs-pompiers dont les interventions de secours à la personne ont considérablement augmenté, de 40 % au cours de ces dix dernières années !
En raison de l’affaiblissement du maillage territorial du système de santé, les sapeurs-pompiers sont devenus aujourd’hui un dernier recours, dans certains quartiers urbains, mais également et surtout dans nos zones rurales de plus en plus touchées par la désertification médicale.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de budget n’apporte ni à la police ni à la gendarmerie nationale les moyens, matériels et humains à la hauteur de leurs missions et de leur niveau de sollicitation. Il ne prend pas non plus la pleine mesure de la dégradation du contexte sécuritaire dans notre pays.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Indépendants – République et Territoires ne votera pas les crédits de la mission « Sécurités » du projet de loi de finances pour 2019. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Arnaud de Belenet.
M. Arnaud de Belenet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais à mon tour saluer avec sobriété le professionnalisme, le dévouement et l’humilité de nos forces de sécurité, mais aussi de secours, avec une pensée particulière envers ceux qui ont été blessés par certains de nos concitoyens – concitoyens certes, mais bien peu républicains – venus en découdre avec une violence inouïe et singulière.
À l’évidence, le débat budgétaire n’est pas qu’une joute technique réservée à ses seuls pratiquants. C’est l’affaire de tous. Il doit sans doute redevenir un outil d’instruction populaire et de controverse politique. Or nous vivons encore dans un monde où l’information budgétaire est une lutte politique permanente. Et l’on est parfois bien en peine d’identifier sur ces lignes budgétaires filandreuses, car difficilement praticables, le contenu politique qui s’y est déposé, et cela malgré l’amélioration remarquée de la maquette de performance sur le budget et les objectifs du ministère de l’intérieur.
Il importe de remonter la trace de quelques marqueurs politiques un tant soit peu consistants. J’en viens donc à quelques observations fondamentales sur la mission « Sécurités ».
La progression des crédits de la mission et des effectifs, avec – cela a été souligné – 2 500 recrutements prévus pour l’exercice 2019, s’effectue au bénéfice de la force de frappe opérationnelle des policiers et gendarmes, conformément au plan quinquennal de recrutement.
En parallèle, le Gouvernement s’affaire à recentrer les forces de l’ordre dans leur office. Notre doctrine d’action, c’est prioritairement le terrain, le lien quotidien avec la population. Les tâches indues doivent être éliminées ; elles le seront. La procédure pénale sera révisée. La numérisation et la rationalisation des activités de police et de gendarmerie seront accrues. Le chemin est donc tout tracé pour assouplir le formalisme procédural qui frappe partiellement d’inertie nos services de sécurité. À ces gains de disponibilité attendus s’additionneront les moyens alloués à la police de sécurité du quotidien et à l’expérimentation des brigades territoriales de contact.
Un effort particulier doit être également salué. Il concerne l’amélioration des conditions matérielles de travail de nos agents. On peut considérer l’ampleur de la tâche ; on peut aussi considérer l’effort. Ainsi, 137 millions d’euros seront affectés à l’acquisition de 5 800 véhicules neufs sur 60 000. C’est l’investissement le plus important depuis huit ans.
Les commissariats de police et les casernes de gendarmerie bénéficieront de la poursuite du plan triennal 2018-2022 s’agissant du parc immobilier domanial des forces de sécurité. Sur le terrain des rémunérations également, l’institution respectera les engagements pris envers les agents qui la servent. Ainsi, la mise en œuvre du protocole de valorisation des corps, des carrières et des métiers sera poursuivie en 2019, à hauteur de près de 61 millions d’euros.
Je souhaite évoquer le matériel à disposition de nos forces de l’ordre, auquel sont assurément liés le moral des troupes et l’attractivité de leur métier, comme le soulignent avec justesse les conclusions de la commission d’enquête sénatoriale relative au malaise dans les forces de sécurité intérieure.
Voilà pourquoi, outre les véhicules, il y aura 14 000 caméras supplémentaires pour équiper nos policiers. Et, au cours du premier trimestre de 2019, ce sont 50 000 tablettes et smartphones Néopol et 67 000 équipements Néogend, ainsi que le dispositif Nex-Sys pour nos services d’incendie et de secours et de sécurité civile auront été déployés.
Voilà donc un arsenal budgétaire sous l’effet duquel la hausse des effectifs s’adjoindra à celle des équipements. C’est un budget qui prend acte du processus endogène de restructuration du risque terroriste, en s’abstenant toutefois de lui opposer les actes de délinquance quotidienne, un budget qui inscrit donc dans la durée les efforts passés et les efforts récents, accentués.
Telle est l’articulation des faits qui nous conduit à renouveler notre confiance au ministre de l’intérieur et à voter les crédits de la mission « Sécurités ».
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cela fait maintenant de nombreuses années que les membres du groupe CRCE dénoncent les conditions de travail déplorables de nos forces de sécurité intérieure.
Je le rappelais voilà peu en tant que membre de la commission d’enquête sénatoriale sur le sujet : le décalage est grand entre les priorités nettes des gouvernements successifs en matière de sécurité publique, qui ont donné lieu à de nombreuses lois, globalement répressives, et les moyens concrètement alloués à nos services de police et de gendarmerie.
Conformément aux annonces du Gouvernement, le présent projet de loi de finances s’inscrit dans la tendance d’augmentation des effectifs constatée depuis 2013, avec le financement de 2 378 équivalents temps plein en 2019 pour les programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale ». Cette hausse est bien évidemment positive. Mais elle vient – hélas ! – nourrir un déséquilibre important entre dépenses de personnels et ensemble des crédits.
Comme le relève le rapporteur spécial de la commission des finances sur cette mission, cette évolution positive du schéma d’emplois intervient alors même que les comparaisons internationales ne témoignent d’aucun sous-dimensionnement des forces de sécurité intérieure de notre pays, et surtout alors même que, en parallèle, le parc automobile est marqué par une augmentation continue de l’âge moyen des véhicules et une dégradation de leur état.
En outre, le parc immobilier des forces de sécurité intérieure devrait constituer une préoccupation majeure pour le Gouvernement. C’est également ce que relevait voilà peu l’enquête sénatoriale que je citais.
Toutefois, au-delà des données quantitatives et des questions de fonctionnement et d’investissement, il apparaît urgent de réfléchir enfin à la doctrine d’emploi que nous souhaitons pour nos forces de sécurité intérieure, notamment en vue de renouer le lien entre forces de l’ordre et population. Nous ne cessons de le répéter, mais nous sommes convaincus qu’il s’agit là de la seule issue possible pour améliorer cette relation et pour que l’État assure son autorité en toute légitimité.
La gestion de la crise actuelle lors des manifestations des « gilets jaunes » est pour nous révélatrice de l’état de désœuvrement dans lequel sont plongés nos agents de police, obéissant à des ordres qui semblent parfois contestables…
Tout en condamnant sévèrement – je l’ai également fait cet après-midi, ainsi qu’à de nombreuses autres reprises – les violences et les dégradations, nombre de ces agents estiment que la meilleure manière de mettre fin aux violences dans les manifestations est d’accéder aux revendications légitimes des manifestants, que d’ailleurs beaucoup d’entre eux partagent, habités qu’ils sont par la même colère sociale, se sentant eux aussi laissés-pour-compte.
Aussi, un syndicat de policiers déclarait hier : « Nous, salariés du ministère de l’intérieur, sommes impactés par la baisse du pouvoir d’achat, à travers le gel du point d’indice, pour les fonctionnaires, et l’absence de coup de pouce pour le SMIC, pour les contractuels, par l’injustice fiscale, et plus largement par la politique de modération salariale que nous subissons toutes et tous depuis plus de vingt ans. […] Pour nous, le Gouvernement doit entendre et répondre positivement aux revendications des salariés, retraités, privés d’emploi, étudiants. C’est la seule solution pour retrouver la paix sociale. »
Nous partageons pleinement cette analyse. Rappelons d’ailleurs que le rôle des forces de l’ordre n’est sûrement pas d’être le dernier rempart d’un pouvoir politique bloqué, sourd aux revendications populaires ; c’est bien d’assurer la sécurité des personnes et des biens.
Je finirai mon propos sur les crédits alloués à la sécurité civile de notre pays. La situation est plus que préoccupante en la matière. Les augmentations de crédit sont ciblées sur les lacunes révélées les années précédentes, soit la flotte aérienne et le renforcement de la capacité de déminage. Mais alors que les départements et les intercommunalités connaissent de graves difficultés financières, la sécurité civile territoriale continue à être sous-dotée par rapport à la sécurité civile de l’État. Cela n’est pas acceptable, à plus forte raison compte tenu de la situation de crise politique pour la gestion de laquelle eux aussi sont fortement, voire trop fortement, sollicités.
Pour toutes ces raisons, nous voterons contre ce budget, qui ne prend en compte aucune nouvelle doctrine de sécurité pour notre pays à l’heure où l’urgence est à l’écoute des policiers qui sont sur le terrain et des habitants qui souffrent de l’insécurité. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Arnell.
M. Guillaume Arnell. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, après les deux exercices exceptionnels de 2016 et 2017 pour le ministère de l’intérieur, où la priorité opérationnelle a été donnée à la lutte contre le terrorisme, les crédits consacrés à la mission « Sécurités » en 2019, comme en 2018, traduisent la volonté du Gouvernement de réorienter les efforts vers la sécurité et la paix publique des Français au quotidien.
Toutefois, la menace terroriste n’a pas disparu : elle a évolué d’une forme exogène vers une forme endogène, comme l’a constaté François Molins. Nos services de renseignements et forces de l’ordre, au-delà des renforts budgétaires et humains, vont bénéficier dans les années à venir d’un cadre légal plus favorable pour lutter contre le terrorisme.
Monsieur le secrétaire d’État, nous soutenons votre volonté d’accompagner le changement de perception d’insécurité de nos concitoyens, que les attentats ont profondément altérée. Il faut absolument empêcher la pérennisation d’un sentiment de méfiance généralisée et rétablir la concorde.
C’est la philosophie de la « police de sécurité du quotidien », qui est actuellement expérimentée. C’est aussi le sens de l’amendement de notre collègue Nathalie Delattre, qui vise à rassurer les Français dans leurs activités de loisir.
Si l’on s’attarde sur les conditions matérielles d’exercice des femmes et des hommes qui concourent bravement à la sécurité de notre pays, nos rapporteurs ont relayé leurs craintes, en matière d’équipement et surtout d’organisation du temps de travail, après la décision de la Cour de justice de l’Union européenne, qui invalide le système d’astreintes.
Sur le premier point, l’équipement, nous nous interrogeons sur les difficultés liées à la passation des commandes. Celle-ci permet-elle une réactivité suffisante selon la priorité opérationnelle du moment ? Les rapporteurs ont posé la question de la flotte vieillissante des véhicules, mais on pourrait y ajouter celle de la généralisation des tenues ignifugées.
Enfin, une évaluation de l’utilité des nouveaux outils technologiques est nécessaire, alors que les actions récursoires en cas de casse ou de perte exposent financièrement les agents, qu’il s’agisse de la mise à disposition de téléphones portables équipés de logiciels de consultation de fichiers ou aux caméras mobiles.
Je m’interroge sur l’angle d’approche de nos rapporteurs quant aux conséquences de la jurisprudence européenne. Ne s’agit-il pas d’un défi managérial de réorganisation du temps de travail, plutôt que d’une lacune budgétaire ?
D’autres réformes attendent le ministère de l’intérieur : des transformations internes, avec, dans le mouvement Action publique 2022, la conduite d’une réflexion sur l’équilibre des moyens entre l’administration centrale, qui peut paraître hypertrophiée, et les services déconcentrés sur tout le territoire, en métropole comme outre-mer. La réduction des tâches indues doit être recherchée par le dialogue interministériel, afin de permettre des redéploiements utiles d’effectifs et de rapprocher les agents des missions qui ont fait naître leur vocation.
J’avais constaté l’importance du dispositif d’escorte nécessaire au centre de rétention administrative de Vincennes. Dans un ministère particulièrement exposé à la brutalité des rapports humains et à la mort, le renforcement de l’accompagnement psychologique paraît nécessaire ; il ne doit pas reposer seulement sur des entreprises associatives, comme celle du domaine de Courbat, qui accueille les forces de l’ordre victimes de burn-out.
L’évolution des attentes de la société concernant la lutte contre les violences sexuelles et familiales devrait faire l’objet d’une réflexion et d’adaptation des pratiques, en concertation avec le ministère de la justice.
Un autre chantier majeur est celui de l’évolution du continuum de sécurité associant les forces de sécurité nationales, locales et privées. Parallèlement à l’augmentation des effectifs de police municipale, soit 21 500 personnes en 2016, les dernières évolutions législatives prises dans le contexte terroriste ont organisé la montée en puissance des activités privées de sécurité.
En particulier, les lois de 2017 ont marqué un changement de paradigme, avec, comme le formule le Conseil national des activités privées de sécurité, le CNAPS, la « consécration de la place de la sécurité privée comme un acteur à part entière de la sécurité globale de la Nation ». Entre 2012 et 2017, le Conseil a ainsi délivré plus de 363 000 cartes professionnelles d’une durée de validité de cinq ans.
Certes, cette évolution crée de la richesse et des emplois : les entreprises de la prévention et de la sécurité représentent aujourd’hui 7,1 milliards d’euros de chiffre d’affaires et près de 165 000 salariés, soit approximativement la somme des crédits « dépenses de personnel » de la gendarmerie et le nombre d’agents de la police nationale…
Prenons garde à ne pas sous-estimer la portée de ces changements, en particulier l’extension du port d’arme à certains agents privés. Le risque existe de voir augmenter le nombre d’armes en circulation sur notre territoire, sans un contrôle rigoureux des modalités de leur conservation au domicile des agents.
De la même manière, le recours aveugle à des agents contractuels à des fonctions support pourrait mettre en danger les effectifs des commissariats et gendarmerie, en offrant un accès privilégié à leurs coordonnées et à leur vie familiale.
Monsieur le secrétaire d’État, la plupart des membres du groupe du RDSE voteront donc les crédits de la mission « Sécurités », avec la confiance dans votre capacité de relever ces défis et avec pour soutien ces mots de Georges Clemenceau : « Un homme de gouvernement qui doit agir a d’autres soucis que l’homme d’opposition, dont la parole n’engage que lui et dont les théories ne s’inquiètent pas du possible. » (M. Jean-Marc Gabouty applaudit.)
M. le président. La parole est à M. François Grosdidier.
M. François Grosdidier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 19 novembre dernier, j’étais à être Haybes, dans les Ardennes, aux obsèques de Maggy Biskupski, présidente de l’Association des policiers en colère.
Elle était le trente-troisième membre de la police à mettre fin à ses jours en 2018, de même qu’il y a eu trente et un gendarmes. En m’embrassant, sa maman m’a dit : « Ma fille demandait si peu ». Je lui ai répondu : « Oui, si peu et si juste : des conditions matérielles minimales, un peu de considération et de respect, du soutien moral et juridique que doit tout employeur à ses employés. »
Il faut écouter les policiers qui souffrent au lieu d’envoyer l’Inspection générale de la police nationale aux policiers qui expriment cette souffrance. Place Beauvau, on met depuis trop longtemps la poussière sous le tapis ; vous devez le savoir, monsieur le secrétaire d’État. C’est bien de cultiver le secret – c’est même indispensable à la Direction générale de la sécurité intérieure, la DGSI. C’est moins bien dissimuler la réalité, au risque de se mentir à soi-même et parfois aux autres.
Au sein de la commission d’enquête sur l’état des forces de sécurité intérieure, nous n’avons rien dissimulé de la réalité, ni même de nos responsabilités antérieures : RGPP et pression par les chiffres pour la droite ; faiblesse pénale et sous-investissement pour la gauche. Et puis, il y a eu la vague terroriste, la vague migratoire, l’Euro, les manifestations contre la loi Travail… Le problème réside non pas dans les responsabilités antérieures, mais dans la situation actuelle.
Certaines solutions appellent non pas des moyens financiers, mais de la volonté politique, d’autres attitudes morales, des déblocages idéologiques, des révolutions culturelles. La première est certainement celle du management dans la police nationale ; le rapport dit beaucoup sur ce point. Je parle de révolutions culturelles, de déblocages idéologiques et de volonté politique pour apporter enfin une réponse pénale adaptée.
Policiers et gendarmes courent de plus en plus de risques pour pas grand-chose ou pour rien, et cela les mine. Ils sont dévorés aussi par la lourdeur et la complexité de la procédure pénale, qui mangent les deux tiers de leur temps.
En cinq ans, vous créerez péniblement 7 500 postes de policiers et 2 500 postes de gendarmes, en grande partie gommés, on l’a dit, par la vacation forte ou la directive européenne sur le temps de travail. Vous en gagnerez des dizaines de milliers en allégeant drastiquement la procédure pénale. Mais là, ce n’est pas Bercy qui commande ; c’est la place Vendôme. Le projet de loi sur la justice, c’est seulement un cinquième de ce qui était attendu, soit une timide numérisation. L’oralisation était exclue ; on l’a réintroduite au Sénat par amendement ; l’Assemblée nationale l’a pour l’instant maintenue. J’espère que cela tiendra.
Nicolas Hulot disait que le Gouvernement se mentait à lui-même et donc aussi aux autres. Ce budget est en trompe-l’œil ; nos rapporteurs l’ont parfaitement démontré. Ce budget ne résorbera pas le stock des 22 millions d’heures supplémentaires impayées, qui vont continuer à augmenter. Ce budget ne répond pas au déficit de formation. Ce budget ne résorbe pas les dizaines de millions d’euros d’arriérés de loyers dus aux collectivités, qui logent les gendarmes tellement mieux que l’État, lequel les montre pourtant du doigt.
Nous avons vu comment l’État loge ces gendarmes, par exemple à Satory, dans des appartements indignes, insalubres, sans double vitrage, avec des baignoires sabots des années cinquante et des installations électriques non conformes, aussi dangereuses que ces voitures qui ne passeraient pas le contrôle technique si elles n’étaient pas sérigraphiées.
Vous vous apprêtez à déployer samedi prochain les blindés de la gendarmerie. Ils ont quarante-cinq ans ! Quand j’étais gamin, je jouais avec un VBRG Solido ; c’est dire s’ils ne sont pas jeunes ! (Sourires.)
M. Loïc Hervé. En effet ! (Nouveaux sourires.)
M. François Bonhomme. Ce n’est pas gentil !
M. François Grosdidier. Les hélicoptères vieillissent aussi. Et un aéronef qui tombe en panne, c’est très dangereux ! Les équipements les plus modernes manquent sérieusement ; nous en avons parlé mardi au sujet des forces mobiles. La violence dont elles sont victimes et le courage dont elles font preuve nous obligent. Je pourrais encore évoquer les manteaux qui manquent aux jeunes gendarmes pour affronter l’hiver ou les munitions qui font défaut simplement pour faire les tirs réglementaires.
Votre budget n’y répond pas. Les crédits de paiement augmentent ? Oui, mais moins que l’inflation ! Le parc automobile va continuer à vieillir. Le parc immobilier va continuer à se dégrader. L’équipement indispensable va continuer à manquer. Le stock d’heures supplémentaires va continuer à augmenter.
Certes, en un an ou deux, vous ne pouvez pas rattraper une décennie, voire deux de retards et de manquements. Mais vous les aggraverez en 2019 ; au mieux, vous les stabiliserez.
Il vous faut prendre dès 2019 un rythme qui permette d’atteindre le niveau minimum nécessaire aux missions que la Nation confère à ses forces de sécurité. Pour leur ouvrir cette perspective, pour leur redonner le moral, pour sécuriser ses moyens, il faut une loi de programmation pour la sécurité intérieure, à l’instar de la loi de programmation militaire. Même si le montant des investissements est sans commune mesure, ils sont aussi indispensables à la sécurité des Français et – je le dis cette semaine avec une gravité particulière – à la protection non pas du pouvoir, mais de la République, dont elles sont le seul rempart !
Or vous ne fournissez pas à nos forces les moyens nécessaires et vous ne le ferez pas en 2019. Nous ne ferons pas semblant d’y croire, et nous voterons donc contre ce budget en trompe-l’œil. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la difficulté de l’exercice tient au fait que, plus on avance dans la soirée, plus on est en quelque sorte condamné à redire les mêmes choses. Le point qui m’apparaît tout à fait significatif ce soir est la grande convergence des interventions.
Bien sûr, la hausse des effectifs se poursuit par rapport à l’année dernière, puisqu’il y aura 2 360 emplois de plus, dont 1 735 policiers et 632 gendarmes. Le Président de la République a annoncé pendant la campagne électorale 10 000 effectifs de policiers et de gendarmes de plus pendant le quinquennat.
Je le rappelle, pendant le quinquennat précédent, 9 000 emplois avaient été créés. Mais, pour être tout à fait juste, cher monsieur Grosdidier, vous qui évoquiez la dernière décennie, il ne faut jamais oublier ce qui s’est passé de 2007 à 2012.
M. François Grosdidier. Vous, vous avez sous-investi !
M. Jean-Pierre Sueur. Je pense aux deux dernières décennies. Personne ne m’empêchera de rappeler que, de 2007 à 2012, il y a eu 13 720 postes de moins, dont 6 930 postes de policiers et 6 730 postes de gendarmes.
M. François Grosdidier. Mais les effectifs avaient augmenté de 2002 à 2007 !
M. Jean-Pierre Sueur. Je ne remonterai pas aux couches archéologiques, mon cher collègue.
M. François Grosdidier. Et on a supprimé des postes sous Jospin à cause de la RTT !
M. Jean-Pierre Sueur. Notre groupe s’est associé à la commission des lois, qui s’est prononcée contre ces crédits. Certes, le fait que le nombre d’emplois augmente est positif. Mais je souhaite formuler trois remarques.
Premièrement, je crains que l’annonce des 10 000 postes dans le quinquennat ne soit compromise. En effet, dans le projet annuel de performances, le PAP – vous le savez, on crée toujours de nouveaux acronymes –, il n’y a que 832 postes, dont 824 pour la police et 8 pour la gendarmerie, si l’on tient compte des reports de l’année précédente. Par conséquent, il faudra en effet, comme cela a déjà été souligné, un important effort l’année prochaine et les autres années si l’on veut atteindre les 10 000 postes promis.
Deuxièmement, je souhaite évoquer les charges indues. Certes, c’est toujours un refrain ; cela doit faire quelques dizaines d’années que l’on en parle. Il s’agit en effet de profiter des créations de postes pour avoir davantage d’effectifs opérationnels.
Malheureusement, il y a un point sur lequel j’ai le sentiment – peut-être me démentirez-vous, et j’en serai heureux, monsieur le secrétaire d’État – que les choses n’avancent pas comme cela avait été prévu pour la question des transfèrements judiciaires.
Vous le savez, il y a plusieurs centaines de transfèrements judiciaires tous les mois, qui mobilisent d’importants effectifs de police. Un accord a été conclu avec le ministère de la justice – mais nous n’ignorons pas que ce dernier a aussi des problèmes de personnels et de moyens –, pour que la tâche soit effectuée par des personnels de ce ministère. Or il a été conclu un accord en vertu duquel ce processus serait achevé en 2019. Je ne vois pas les effets concrets de cette reprise de charge. Mais peut-être allez-vous me répondre, monsieur le secrétaire d’État.
Troisièmement, ainsi que M. Leroy l’a rappelé, le problème ce sont les investissements, les locaux, les véhicules le matériel et les crédits d’investissement de la police. La masse salariale augmente et prend une place toujours plus importante dans le budget.
Toutefois, la réalité est que les crédits d’investissement de la police diminuent de 11,7 % en autorisations d’engagement et de 18,6 % en crédits de programme. Mes collègues ont déjà souligné l’ancienneté des véhicules, avec une moyenne de six ans et quatre mois d’ancienneté pour la police et de sept ans et quatre mois pour la gendarmerie. On ne peut à l’évidence pas continuer comme cela.
À l’instar de mes collègues, j’affirme notre total soutien et notre totale solidarité à l’égard des policiers et des gendarmes, qui sont soumis à dure épreuve. Ce n’est pas la violence qui règle les questions, et celle-ci est condamnable. Nous sommes dans une démocratie où on peut parler, discuter et s’affronter sans que cela passe par cette violence. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme.
M. François Bonhomme. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avec une augmentation des crédits de la mission « Sécurités » de 3,63 % en autorisations d’engagement et de 1,84 % en crédits de paiement, le projet de loi de finances pour 2019 présente, tout du moins en apparence, les signes du redressement du budget des forces de sécurité intérieure.
Néanmoins, en dépit de cette progression des crédits, le budget de la mission « Sécurités » apporte-t-il une réponse suffisante aux difficultés rencontrées par nos forces de sécurité intérieure, si fortement sollicitées et auxquelles chacun se doit, ces jours-ci particulièrement, de rendre un hommage appuyé ?
J’aborderai plus spécifiquement le programme 152 « Gendarmerie nationale » et le programme 176 « Police nationale ».
Si le budget des forces de l’ordre semble bénéficier d’une certaine consolidation, il n’en demeure pas moins qu’il présente des déséquilibres. Oui, ces dernières années le budget de la mission a connu une augmentation qu’on ne saurait méconnaître. Rappelons que les crédits des programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale » ont augmenté de 18,6 % en autorisations d’engagement et de 17,1 % en CP entre 2010 et 2018.
Pour autant, ce budget manque d’ambition au regard de la situation dégradée et de la grave insuffisance de l’équipement de nos forces de sécurité intérieure. Il manque également d’ambition au regard des difficultés rencontrées par les forces de sécurité intérieure. Enfin, il manque d’ambition au regard du contexte sécuritaire actuel, qui, comme chacun le sait, se révèle particulièrement tendu – je n’y reviendrai pas ce soir.
Concernant la situation dégradée de l’équipement de nos forces de sécurité intérieure, l’état du parc automobile est pour le moins préoccupant. C’est une situation marquée par la dégradation de l’état des véhicules ainsi que par l’augmentation continue de leur âge moyen.
C’est notamment le cas dans la police, où l’âge moyen des véhicules légers est passé, de 2012 à 2018, de trois ans et huit mois à six ans et quatre mois. Je rappelle à ce titre qu’un rapport de la Cour des comptes relatif aux équipements de police et de gendarmerie en appelait récemment à la « nécessaire remise à plat de la gestion du parc automobile ».
J’en viens à l’état des parcs immobiliers de la police et de la gendarmerie nationale. Monsieur le secrétaire d’État, en moyenne, les logements des familles de gendarmes n’ont pas été rénovés depuis quarante-cinq ans : quarante-cinq ans ! Vous le savez, mais c’est une illustration pénible du déficit d’investissement de l’État en matière immobilière.
Si la programmation immobilière 2018-2020 annoncée en janvier dernier prévoit le lancement de soixante-seize opérations immobilières nouvelles pour les trois années à venir, je regrette vivement que ces annonces ne se traduisent par aucun effort significatif sur le plan budgétaire.
En 2019, les dépenses de fonctionnement et d’investissement sont identiques à celles de 2007 dans la police. Pour la gendarmerie ces dernières ont même été réduites de plus de 8 % ! Cette évolution est préoccupante, car la capacité opérationnelle des forces de sécurité intérieure repose, outre sur le nombre de personnels actifs, sur l’aptitude de l’État à équiper et entretenir ses forces.
Enfin, je soulignerai les difficultés rencontrées par les forces de sécurité intérieure en m’attachant plus spécifiquement à la question de la formation.
En 2019, les crédits alloués au financement de la formation des forces de sécurité intérieure s’élèveront à 19 millions d’euros dans la police nationale et à 13 millions d’euros dans la gendarmerie nationale. Par rapport à 2018, ils sont en baisse de 15 % pour la police et stagnent pour la gendarmerie. Ils ont diminué, depuis 2017, de 23 % pour la police nationale et de 1,7 % pour la gendarmerie.
Eu égard au contexte sécuritaire dégradé et aux défis auxquels les forces de sécurité intérieure sont confrontées, la formation continue, jugée aujourd’hui largement insuffisante par l’ensemble des professionnels de la police et de la gendarmerie, devrait constituer une priorité budgétaire.
Je rappelle, à ce titre, que dans son rapport publié en juin 2018 la commission d’enquête sénatoriale sur l’état des forces de sécurité intérieure, citée à plusieurs reprises ce soir, relevait que, en 2017, moins des deux tiers des agents actifs de la police nationale avaient, par exemple, effectué leurs séances réglementaires de tir.
Voilà pourquoi les crédits de cette mission « Sécurités » nous paraissent insuffisants au regard des enjeux qui nous occupent. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet.
M. Jean-Luc Fichet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au sein de la mission « Sécurités », mon intervention portera sur les crédits accordés à la sécurité civile qui regroupe l’ensemble des politiques du ministère de l’intérieur consacrées à la protection des populations et à la gestion de crises.
On peut tout d’abord se satisfaire de la légère augmentation de 1,2 % des crédits de paiement alloués à ce programme budgétaire, puisqu’ils passent à 538,7 millions d’euros, contre 532,27 millions d’euros pour 2018. Je regrette néanmoins qu’ils aient été diminués de 1,7 million d’euros par l’Assemblée nationale en première lecture.
La forte baisse des autorisations d’engagement est liée à l’acquisition l’an dernier par l’État de six appareils « multirôles » – bombardiers d’eau, transport de personnes et de fret, évacuation sanitaire –, qui avait nécessité l’ouverture de crédits considérables, à savoir environ 400 millions d’euros.
Les dépenses de personnel s’élèvent, quant à elles, à 183 millions d’euros en crédits de paiement, soit une baisse de 1,6 % par rapport à l’année précédente.
On le sait, le budget de la sécurité civile affecte traditionnellement peu les services départementaux d’incendie et de secours, les SDIS, qui sont financés en quasi-totalité par les collectivités territoriales, pour un montant de près de 5 milliards d’euros.
Toutefois, dans un contexte marqué à la fois par la hausse budgétaire et par l’augmentation constante du nombre d’interventions, on ne peut que déplorer la baisse de 20 millions d’euros en deux ans du soutien à l’investissement des SDIS apporté par l’État, alors que ce dernier avait promis de pérenniser son engagement financier à leurs côtés.
À la suite de la réforme de la prestation de fidélisation et de reconnaissance intervenue en 2016, les fonds dégagés devaient être en partie réaffectés aux investissements des SDIS. Or, après avoir chuté de 60 % en 2018, pour atteindre 10 millions d’euros, la dotation de soutien aux investissements structurants des services d’incendie et de secours subit une nouvelle baisse drastique de 10 millions d’euros.
De surcroît, 70 % de ces crédits étant destinés au seul projet NexSIS, ou système d’information et de commandement unifié des services d’incendie et de secours et de la sécurité civile, seuls 3 millions d’euros seront au final destinés au financement des projets locaux retenus en 2017. Ce n’est pas acceptable !
Au-delà de ces chiffres, nos débats sur ce programme budgétaire sont marqués par la menace que fait planer la directive européenne de 2003 sur le temps de travail, à la suite de l’arrêt Matzak, rendu le 21 février dernier par la Cour de justice de l’Union européenne, qui considère le volontariat comme du temps de travail.
Selon la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, une application de cette directive européenne aux sapeurs-pompiers volontaires conduirait la France à se priver des pompiers volontaires exerçant une activité professionnelle à titre principal, soit environ 60 % de leurs effectifs.
Les 120 000 pompiers volontaires devraient être remplacés par 60 000 pompiers professionnels, pour un montant de 2,5 milliards d’euros, soit 50 % du budget actuel des services d’incendie et de secours. C’est d’autant plus préoccupant que les sapeurs-pompiers volontaires composent l’essentiel des effectifs des SDIS, en particulier dans les zones rurales.
Dans mon département du Finistère, il y a 600 pompiers professionnels pour 2 200 pompiers volontaires qui s’engagent en dehors de leurs heures de travail et qui, pour ce faire, acceptent de suivre une formation contraignante. Nous devons à tout prix préserver notre modèle français de sécurité civile, qui est internationalement reconnu et qui repose sur l’action commune et complémentaire des pompiers professionnels et volontaires.
C’est en ce sens que notre groupe avait soutenu l’amendement qui avait été déposé par Mme Catherine Troendlé en première lecture du PLFSS pour 2019 et adopté par le Sénat.
Cet amendement visait à instaurer une exonération de charges patronales d’un montant de 3 000 euros pour toute embauche d’un employé sapeur-pompier volontaire, dans la limite de 15 000 euros par an et par structure. Cette disposition a malheureusement été supprimée en nouvelle lecture à l’Assemblée nationale, à la suite d’un amendement du Gouvernement.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur pour avis. Exactement !
M. Jean-Luc Fichet. Enfin, j’insisterai en dernier lieu sur la nécessité d’améliorer les conditions de travail et la protection de l’ensemble des sapeurs-pompiers, surtout lorsque l’on sait que les agressions à leur encontre ont été multipliées par deux et demi en dix ans.
C’est en ce sens que le groupe socialiste et républicain du Sénat, autour de son président Patrick Kanner, a déposé le 30 octobre dernier une proposition de loi relative au renforcement de la sécurité des sapeurs-pompiers. Elle vise à permettre l’anonymat pour les sapeurs-pompiers qui portent plainte afin d’éviter qu’ils ne se trouvent exposés à des risques de représailles de la part des personnes mises en cause.
Cette proposition s’inspire du droit en vigueur qui s’applique au bénéfice des agents de la police ou de la gendarmerie nationale, des douanes ou encore des services fiscaux.
Mes chers collègues, pour toutes ces raisons, et dans un contexte où les sapeurs-pompiers font face à une demande croissante de secours et de protection de la population, les crédits dévolus à la sécurité civile dans nos territoires nous paraissent largement insuffisants.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur pour avis. Tout à fait !
M. Jean-Luc Fichet. Notre groupe votera donc contre ce projet de budget. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Marc Laménie. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer le travail de nos collègues au sein de notre institution, ainsi que celui du personnel du Sénat. J’associe à mes propos ma collègue Nicole Duranton, qui m’a confié son temps de parole sur cette mission « Sécurités » qui me tient particulièrement à cœur et sur laquelle j’interviens modestement depuis 2007.
Chaque année, j’insiste toujours sur les moyens humains. Face à une situation économique et sociale particulièrement compliquée, liée à la crise de nos valeurs, nous nous devons d’exprimer notre respect et notre reconnaissance à l’ensemble de nos forces de sécurité : police nationale, gendarmerie nationale, sapeurs-pompiers. Nos gendarmes et nos policiers doivent faire face à des engagements de plus en plus difficiles et dangereux.
Je pense également à nos militaires, même s’ils ne dépendent pas de cette mission, ainsi que, plus largement, au personnel des collectivités territoriales, aux personnels de la santé, au personnel de l’administration des douanes, au sein du ministère de l’économie et des finances, sans oublier les personnels de l’institution judiciaire.
Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019, les crédits de paiement s’élèvent à 19,5 milliards d’euros, en hausse de 1,62 %. Ils se répartissent comme suit : police nationale, 10,7 milliards d’euros ; gendarmerie nationale, 8,8 milliards d’euros. Nous notons avec satisfaction la création pour 2019 de 2 378 ETP pour les deux programmes.
Les effectifs prévus pour 2019, soit 151 680 policiers et 96 374 gendarmes, sont de plus en plus sollicités. C’est encore plus le cas ces dernières semaines à Paris, en province et outre-mer, comme l’ont rappelé cet après-midi nos collègues lors du débat organisé avec M. le Premier ministre. Je citerai le président du Sénat, Gérard Larcher, qui a appelé à préserver l’unité de la Nation.
Nos forces de sécurité se trouvent de plus en plus confrontées à des problématiques à caractère social, alors que leurs missions prioritaires consistent en la sécurité des personnes et des biens, ce qui a été souligné par bon nombre de nos collègues, sans oublier la lutte contre le terrorisme et l’insécurité routière.
Dans le département que je représente, les Ardennes, je puis mesurer le dévouement de nos forces de sécurité, sans oublier nos sapeurs-pompiers.
Je pense en particulier aux jeunes sapeurs-pompiers qui participent activement aux cérémonies patriotiques dans le cadre du devoir de mémoire. Nous avons tous pu apprécier leur implication dans nos départements respectifs dans le cade de la Mission du centenaire de la Première Guerre mondiale. Je citerai également les journées nationales de mémoire de la police nationale, de la gendarmerie nationale et des sapeurs-pompiers, car il arrive malheureusement que ces personnels perdent la vie dans l’exercice de leurs missions.
Cependant, la situation reste très difficile : personnel épuisé, postes non pourvus dans certaines brigades, véhicules en mauvais état, parc immobilier dégradé. Il est nécessaire de redonner confiance à l’ensemble des personnels.
Concernant les recrutements, il est indispensable de susciter des vocations, notamment chez les jeunes. Je fais ici référence à la Journée défense et citoyenneté, la JDC. Qu’en sera-t-il exactement, monsieur le secrétaire d’État ? Je souhaite également vous interroger sur le devenir de la réserve ; j’en témoigne ici modestement en tant que membre de la réserve citoyenne de la gendarmerie.
En tout état de cause, compte tenu des différentes incertitudes que nous avons pu mesurer, mon groupe ne votera pas la mission « Sécurités ». (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur. Monsieur le président, madame et messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, les crédits de la mission « Sécurités » représentent 13,6 milliards d’euros, soit près de 80 % des crédits du ministère de l’intérieur.
Pour 2019, la sécurité intérieure bénéficie, comme en 2018, d’un budget sincère, solide et réaliste. En effet, la sécurité est pour le Gouvernement, comme elle l’est pour nos concitoyens, une priorité absolue.
Les événements d’une extrême gravité que notre pays a récemment traversés le montrent encore une fois. Fortement sollicitées par la lutte contre le terrorisme, la lutte contre la délinquance, la lutte contre l’immigration irrégulière tout au long de ces derniers mois, nos forces ont aussi été très fortement mobilisées ces dernières semaines, comme vous l’avez rappelé, sur le terrain de l’ordre public. Je veux donc de nouveau et à mon tour leur rendre solennellement hommage.
Les événements récents soulignent, si cela était nécessaire, toute l’importance des crédits qui sont discutés aujourd’hui. L’importance des enjeux, le Gouvernement en a pleinement conscience. C’est bien pourquoi les moyens de la police et de la gendarmerie seront en 2019 de nouveau en hausse très significative, de 33 milliards d’euros, soit une progression de 2,6 %.
Si l’on prend un peu de recul, par rapport à 2015, dans les deux forces, on constate que les crédits sont globalement en hausse de près de 12 %. Cela représente plus de 1,4 milliard d’euros de crédits supplémentaires. Le message est donc clair : non seulement nous consolidons les efforts passés, mais nous les accentuons. Non seulement les mesures qui étaient hier exceptionnelles et limitées dans le temps – je veux parler des différents plans de remise à niveau du budget des forces de sécurité – sont pérennisées et inscrites dans la durée, mais le Gouvernement a encore accentué cet effort.
L’effort budgétaire en faveur de la sécurité est donc confirmé, ce qui traduit bien – il faut en avoir conscience – une orientation très forte de ce quinquennat.
Avec ces moyens, les engagements pris – ceux du Président de la République, lors de la campagne, ceux du Gouvernement, devant le Parlement, mais aussi vis-à-vis des femmes et des hommes qui œuvrent chaque jour à la sécurité de tous – seront tenus.
Le budget pour 2019 de la sécurité intérieure est donc dépourvu de toute surprise. Il est en tout point conforme aux annonces faites et aux engagements pris en matière d’effectifs, d’immobilier, de moyens de fonctionnement des forces ou encore de politique indemnitaire, sociale et salariale.
Concernant les effectifs, nous bénéficierons de l’affectation dans les unités opérationnelles de tous les personnels recrutés en 2018 au titre du plan de 10 000 recrutements ; ils étaient, je vous le rappelle, au nombre de 2 000. Mais nous bénéficierons aussi du recrutement des 2 500 emplois supplémentaires prévus en 2019 et du concours des réservistes de la garde nationale. En 2019, le budget pourra nous permettre de consacrer jusqu’à 130 millions d’euros dans les deux forces à la réserve de la garde nationale, qui concerne désormais un vivier de 37 000 volontaires.
Après la suppression entre 2007 et 2012 de 12 519 emplois de policiers et de gendarmes, nous avons inversé la tendance avec ce plan de recrutement, pour permettre le renforcement de l’effectif des forces de sécurité sur le terrain. Ce n’est qu’à la fin de l’année 2019 que nous aurons reconstitué le vivier du corps d’encadrement et d’application, le CEA, dans la police nationale, tel qu’il était en 2007.
J’entends parfois dire que le budget d’équipement et de fonctionnement n’a pas été conçu pour aller de pair avec ce renforcement humain. Je veux, mesdames, messieurs les sénateurs, vous rassurer : il n’en est rien. Ce n’est pas la méthode de ce gouvernement et ce n’est pas la manière dont ce plan de recrutement a été conçu.
J’en veux pour preuve le fait qu’il y a, dans ces crédits, deux mesures bien identifiées représentant le « sac à dos des recrutements », c’est-à-dire 26 millions d’euros de crédits dans les deux forces. Les policiers et les gendarmes que nous recrutons sont donc bel et bien, mesdames, messieurs les sénateurs, armés, équipés et installés : les forces disposent des budgets nécessaires pour cela.
Concernant les questions d’immobilier et d’équipement, les travaux de la commission d’enquête sénatoriale sur l’état des forces de sécurité intérieure l’ont montré : l’effort doit aussi porter sur le budget d’équipement, d’investissement et de fonctionnement des forces de sécurité. C’est précisément ce que nous avons entrepris en 2018, comme en 2019.
Concernant l’immobilier, des orientations claires ont été données pour la programmation immobilière jusqu’en 2020. En effet, il faut agir résolument, comme vous l’avez souligné, sur la situation des commissariats de police et des casernes de gendarmerie, qui sont parfois très dégradées, faute d’entretien régulier et suffisant par le passé. C’est un axe très important de notre politique : il faut améliorer les conditions de travail des policiers, en intervenant sur la qualité de leurs lieux de travail.
Comme cela a été annoncé, le budget de l’immobilier de la police nationale est donc maintenu à un niveau historiquement élevé, tout comme dans la gendarmerie : 196 millions d’euros seront accordés à la police, soit 5,4 % de plus qu’en 2017, et 105 millions d’euros à la gendarmerie, soit une hausse de 9 % par rapport à 2017.
Cette priorité donnée à l’entretien, à la rénovation et à des constructions neuves quand elles sont nécessaires n’exclut pas de mettre en place des projets ambitieux. Je veux ici rappeler les opérations immobilières qui concernent la DGSI, dont a parlé François Grosdidier : 20 millions d’euros seront consacrés à des travaux programmés d’aménagement dans une commune dont je tairai le nom, puisque tout cela est mis sous le tapis.
L’objectif est de lancer en 2019 les premières études concernant le futur site unique pour la DGSI, plus que jamais d’actualité. Il s’agit clairement du projet immobilier le plus important du ministère pour les années qui viennent et en faveur duquel 450 millions d’euros de crédits sont budgétés dans la trajectoire financière du ministère d’ici à 2022.
En matière d’équipement, le niveau atteint par le budget pour 2019 permettra de donner corps à une police et à une gendarmerie aux ambitions renouvelées, respectées et tirant parti des progrès de la technologie. Il est donc prévu de commander 5 800 véhicules neufs dans les deux forces en 2019, pour un budget total de 137 millions d’euros.
Ce faisant, nous réaliserons l’investissement le plus important depuis huit ans, avec plus de 1 600 véhicules de plus que la moyenne de ces dernières années. C’est ainsi que nous pourrons véritablement améliorer l’état du parc, faire baisser l’âge moyen des véhicules, qui dépasse aujourd’hui, comme certains d’entre vous l’ont rappelé, sept ans, et organiser la montée en gamme du parc automobile.
Pour ce qui concerne l’équipement, le budget pour 2019 atteindra 143 millions d’euros. Sont bien évidemment concernés, aussi bien dans la police que dans la gendarmerie, des équipements technologiques : tablettes et smartphones. À la fin du premier trimestre de 2019, 50 000 tablettes et smartphones « NEOPOL » dans la police et 67 000 équipements « NEOGEND » dans la gendarmerie auront été déployés. Ce sont autant d’équipements qui moderniseront l’activité de nos policiers et de nos gendarmes.
Par ailleurs, 10 000 équipements supplémentaires seront acquis dans la police en 2019, comme en 2020, pour un investissement de 5,4 millions d’euros. De la même manière, je souhaite que la diffusion des caméras-piétons se poursuive activement en 2019.
Enfin, nous lancerons en 2019 deux programmes importants qui méritent d’être soulignés. Tout d’abord, un plan d’investissement en matière d’équipement technologique pour le renseignement, dont bénéficiera la DGSI en accompagnement de la montée en puissance d’un autre grand service, à savoir la DGSE.
Par ailleurs, 22,5 millions d’euros seront débloqués pour entrer dans la phase opérationnelle du réseau radio du futur. Des efforts importants en termes d’équipement sont donc consentis dans les deux forces.
En complément de ces projets de modernisation, l’année 2019 marquera la conduite des premières expérimentations de la procédure pénale numérique dans le ressort des TGI d’Amiens et de Blois.
Ce programme porté conjointement avec le ministère de la justice est complémentaire de la simplification de la procédure pénale en cours, qui nous conduira à rétablir un certain nombre de mesures prévues dans le dispositif initial, mais supprimées par le Sénat. Il s’agit de mesures visant à alléger la tâche des policiers et des gendarmes, ce que nous souhaitons tous ardemment.
Vous avez été nombreux à aborder les tâches indues, c’est bien notre priorité. La procédure pénale en fait partie – je le souligne et j’y insiste –, mais il y en a d’autres. En réponse à la question de Jean-Pierre Sueur, je confirme que le plan concernant les extractions, et non les transfèrements,…
M. Jean-Pierre Sueur. Au temps pour moi !
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. … sera mis en œuvre. L’objectif est bien d’y parvenir en 2019.
De la même façon, de nombreux allégements de tâches indues sont prévus, je pense notamment aux gardes statiques. Comptez sur nous pour agir de manière déterminée.
J’en viens maintenant aux moyens de la sécurité civile, qui augmentent de 1,5 %, pour s’établir à 486 millions d’euros. L’objectif, dans ce domaine, c’est que le budget de la sécurité civile permette de maintenir et de renforcer les termes du contrat opérationnel avec la Nation.
L’an passé, vous vous en souvenez, nous avions engagé l’acquisition de six avions multirôles DASH, pour un budget de 380 millions d’euros. L’ensemble du marché a aujourd’hui été lancé et les premières dépenses réalisées. Le premier DASH sera livré dans le courant du premier semestre 2019 et pourra être engagé dès la saison de feux de l’an prochain. Les cinq autres avions seront livrés chaque année jusqu’en 2022.
L’année 2019 sera consacrée à la poursuite de la modernisation des moyens nationaux, avec 4,8 millions d’euros de crédits supplémentaires, au profit, d’une part, du service du déminage, et, d’autre part, des formations militaires de la sécurité civile.
Enfin, nous engagerons en 2019 la phase opérationnelle du chantier du système unifié de gestion des appels d’urgences NexSIS, en mobilisant pour cela 10 millions d’euros en provenance de la dotation de soutien à l’investissement des SDIS, dont l’existence est confortée.
Ce projet est emblématique de la transformation que nous souhaitons impulser au ministère. C’est un projet de mutualisation, gage d’économies pour les SDIS et leurs financeurs. C’est aussi un projet de modernisation, qui assurera l’interopérabilité des systèmes d’information des services de secours avec ceux des SAMU et de la sécurité publique.
L’État prendra donc toute sa part dans cet investissement stratégique, en créant en 2019 une « agence du numérique de la sécurité civile », qui lancera les premiers développements applicatifs et procédera à l’acquisition des infrastructures nécessaires à la conduite du projet.
Pour répondre à une question qui m’a été posée, je confirme, en ce qui concerne la directive relative au temps de travail et la jurisprudence de la Cour européenne, que le Gouvernement a engagé plusieurs chantiers sur des terrains divers et variés, dont celui d’exploiter les dérogations offertes par cette directive. Le cas échéant, nous envisageons de demander la modification du texte européen.
Quoi qu’il en soit, notre volonté reste intacte, comme nous l’avons exprimé plusieurs fois devant vous. Je souligne également que nos partenaires européens ne nous reprochent rien pour l’instant. Par ailleurs, le Gouvernement est en train d’examiner le pourcentage de sapeurs-pompiers volontaires concernés par ce texte ; nous sommes en train d’affiner les chiffres.
Comptez sur nous, mesdames, messieurs les sénateurs, pour exploiter tous les champs des possibles pour contourner cette jurisprudence, afin qu’elle ne remette pas en cause le modèle des sapeurs-pompiers volontaires tel qu’il existe dans notre pays.
Je conclurai mon propos en évoquant les moyens des politiques de sécurité routière. L’importance humaine de cette politique est grande, à la hauteur de la fragilité des résultats obtenus, année après année. Voilà pourquoi il est important, en ce domaine également, de disposer d’un budget à la hauteur des enjeux.
À cet égard, le PLF pour 2019 permettra d’assurer le financement des mesures décidées lors du comité interministériel de sécurité routière du 9 janvier dernier, mesures qui visent à nous permettre de faire passer la mortalité routière sous les 2 000 morts par an.
Nous augmenterons de 32 millions d’euros le plafond des crédits du compte d’affectation spéciale utilisé pour financer les structures et dispositifs de sécurité routière, et nous assurerons à hauteur de 36 millions d’euros le financement des mesures d’accompagnement, décidées par le Premier ministre, à la diminution de la vitesse autorisée sur le réseau national secondaire.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, ce que je retiens du budget de la mission « Sécurités ». C’est en tout point un bon budget, et même un très bon budget, matérialisant combien la sécurité compte, pour la seconde année consécutive, parmi les priorités du Gouvernement.
Nombre d’entre vous connaissent les politiques de sécurité, à force de travail parlementaire, de rapports et d’analyses. Vous saurez donc mesurer combien l’effort est grand et combien il est également important que le niveau de crédits atteint en 2019 soit une base pérenne et consolidée, sur laquelle nous appuyer pour mettre en œuvre les politiques de sécurité.
Je dirai quelques mots rapides en réponse à certaines de vos préoccupations. Je pense notamment à ce qui a été dit sur les agressions de pompiers. Je rappelle qu’il existe dans tous les départements des protocoles. Nous veillons à leur application avec les services de police et les services de gendarmerie afin que ces derniers puissent accompagner les sapeurs-pompiers lorsque ceux-ci interviennent sur des terrains difficiles. Nous veillerons également à mettre en œuvre l’expérimentation des caméras-piétons, qui est un dispositif très attendu par la profession.
Mme Éliane Assassi a semblé dire que nous n’avons pas de doctrine. Mais un budget, c’est aussi une doctrine ! Ce gouvernement a élaboré un certain nombre de doctrines, j’en ai été le premier témoin dans mes fonctions précédentes en matière de lutte antiterroriste avant d’entrer au Gouvernement. C’est aussi vrai en matière de police de sécurité du quotidien.
Oui, notre objectif est bien de rapprocher la police et la population. C’est ce que nous faisons au quotidien. Par rapport à ce qui s’est fait dans le passé, nous laissons beaucoup plus d’initiative aux échelons territoriaux, pour construire ce partenariat entre nos forces de sécurité et l’ensemble des acteurs de la sécurité sur le territoire. M. Guillaume Arnell a d’ailleurs parfaitement rappelé les différentes doctrines et je ne reviendrai pas sur le continuum de sécurité.
Je ne peux donc laisser dire qu’il n’y a pas de doctrine derrière la volonté du Gouvernement de faire augmenter nos budgets.
Monsieur François Grosdidier, je vous confirme que le suicide est bien l’une de nos préoccupations. Un plan d’action et de suivi des suicides a été mis en place dans la police nationale et dans la gendarmerie. Croyez bien que nous sommes très attentifs à cette question. Toutefois, je ne souhaite pas qu’il soit dit à cette tribune que l’Inspection générale de la police nationale, l’IGPN, est mêlée à cela.
L’IGPN a une mission très claire, celle de veiller au respect de la déontologie au sein de la police nationale, et les policiers le savent. Il est vrai que ceux-ci sont soumis dans l’exercice de leur mission à une contrainte forte et que, dans ce contexte, il se peut que l’IGPN intervienne.
Toutefois, encore une fois, je ne souhaite pas qu’un lien ou un raccourci soit fait entre les suicides dans la police nationale et le fait que l’IGPN diligente un certain nombre de missions. Je puis vous assurer, quoi qu’il en soit, que la prévention du suicide dans la police nationale et dans la gendarmerie est bien l’une de nos priorités.
Pour ce qui concerne la formation, un point évoqué par plusieurs d’entre vous, l’investissement dans ce domaine est stable ; je ne sais pas d’où sortent les chiffres que certains ont cités à cette tribune ! Ainsi, pour la police nationale, le plan de formation sera stable en 2019 par rapport à 2018.
M. François Grosdidier. Il était insuffisant en 2018 !
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. S’agissant des tâches indues, je me permets de revenir sur le sujet de la procédure pénale. Nous avions un projet ambitieux et audacieux, qui a été quelque peu détricoté. Il faudra le retricoter, si j’ose dire, à l’Assemblée nationale.
La procédure pénale est importante pour les policiers. Vous accordez beaucoup d’attention, et je vous en remercie, au travail et aux tâches indues des policiers nationaux. Mais lorsque Christophe Castaner et moi-même leur rendons visite dans les commissariats, ce que nous faisons très souvent, ils insistent à chaque fois sur le sujet de la procédure pénale.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur pour avis. Et le décret sur les péages, monsieur le secrétaire d’État ?
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Je crains que ce décret, qui est à l’étude, ne soit entaché de quelques points d’illégalité, mais je ne voulais pas en parler pour ne pas vous vexer, madame la sénatrice. (Sourires.) Nous continuons cependant à creuser cette piste.
sécurités
M. le président. Nous allons procéder à l’examen des crédits de la mission « Sécurités », figurant à l’état B.
ÉTAT B
(En euros) |
||
Mission |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
Sécurités |
20 928 188 764 |
20 101 277 245 |
Police nationale |
10 940 556 548 |
10 725 611 962 |
Dont titre 2 |
9 589 631 109 |
9 589 631 109 |
Gendarmerie nationale |
9 487 074 981 |
8 796 856 543 |
Dont titre 2 |
7 474 870 819 |
7 474 870 819 |
Sécurité et éducation routières |
42 781 626 |
41 686 024 |
Sécurité civile |
457 775 609 |
537 122 716 |
Dont titre 2 |
183 317 063 |
183 317 063 |
M. le président. L’amendement n° II-761 rectifié bis, présenté par Mme N. Delattre, M. Artano, Mme M. Carrère, MM. Collin, Gold et Guérini, Mme Jouve et MM. Menonville et Requier, n’est pas soutenu.
Nous allons procéder au vote des crédits de la mission « Sécurités », figurant à l’état B.
Je n’ai été saisi d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.
Je mets aux voix ces crédits.
(Les crédits ne sont pas adoptés.)
compte d’affectation spéciale : contrôle de la circulation et du stationnement routiers
M. le président. Nous allons procéder à l’examen des crédits du compte d’affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers », figurant à l’état D.
ÉTAT D
(En euros) |
||
Mission |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
Contrôle de la circulation et du stationnement routiers |
1 296 651 553 |
1 296 651 553 |
Structures et dispositifs de sécurité routière |
339 950 000 |
339 950 000 |
Contrôle et modernisation de la politique de la circulation et du stationnement routiers |
26 200 000 |
26 200 000 |
Contribution à l’équipement des collectivités territoriales pour l’amélioration des transports en commun, de la sécurité et de la circulation routières |
478 065 823 |
478 065 823 |
Désendettement de l’État |
452 435 730 |
452 435 730 |
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Ces amendements visent tous à prélever des crédits sur l’action n° 01 du programme 755, « Désendettement de l’État ».
L’amendement n° II-612 rectifié ter, en particulier, tend à vider cette action de l’ensemble de ses crédits. Il deviendra donc automatiquement sans objet en cas d’adoption de l’amendement n° II-971 de la commission des finances.
En revanche, l’amendement n° II-610 rectifié ter, qui tend à prélever 50 millions d’euros sur l’action n° 01, ne deviendra pas sans objet en cas d’adoption de l’amendement n° II-971.
L’amendement n° II-971, présenté par M. Gabouty, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
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|
+ |
- |
+ |
- |
Structures et dispositifs de sécurité routière |
|
|
|
|
Contrôle et modernisation de la politique de la circulation et du stationnement routiers |
|
|
|
|
Contribution à l’équipement des collectivités territoriales pour l’amélioration des transports en commun, de la sécurité et de la circulation routières |
|
|
|
|
Désendettement de l’État |
45 000 000 |
|
45 000 000 |
|
TOTAL |
|
45 000 000 |
|
45 000 000 |
SOLDE |
- 45 000 000 |
- 45 000 000 |
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur spécial. Cet amendement tend à tirer les conséquences de l’adoption par le Sénat, lors de l’examen de la première partie du projet de loi de finances, d’un amendement, présenté par M. le rapporteur général de la commission des finances, visant à insérer un article additionnel après l’article 31 du projet de loi de finances.
Le programme 754, « Contribution à l’équipement des collectivités territoriales pour l’amélioration des transports en commun, de la sécurité et de la circulation routières » du compte d’affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers » voit ses crédits diminuer d’environ 7 % dans le projet de loi de finances pour 2019.
Cette baisse est justifiée par la dépénalisation et la décentralisation du stationnement payant, entrées en vigueur le 1er janvier 2018, qui permettent désormais aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale, les EPCI, de fixer le montant du forfait de post-stationnement, le FPS, et d’en recueillir le produit.
Or les départements, auxquels incombe l’entretien d’un réseau routier de plus de 370 000 kilomètres, ne bénéficient pas directement de cette réforme.
Afin de renforcer les moyens affectés aux collectivités territoriales pour entretenir leur réseau routier, et ainsi contribuer à la lutte contre l’insécurité routière, le Sénat a adopté, en première partie du projet de loi de finances, un amendement visant à créer un prélèvement sur recettes au profit des départements.
Ce prélèvement, d’un montant de 45 millions d’euros, serait opéré sur la fraction du produit des amendes forfaitaires, qui ne sont pas issues du contrôle automatisé, et de l’ensemble des amendes forfaitaires majorées de la police et de la circulation, versée chaque année au budget général. L’amendement susvisé permet de porter le montant de ce produit, qui est actuellement de 45 millions d’euros, à 90 millions d’euros.
Le présent amendement a pour objet de financer le doublement de ce produit par la baisse des crédits affectés au programme 755, « Désendettement de l’État ».
M. le président. L’amendement n° II-612 rectifié ter, présenté par M. Raison, Mme Vullien, MM. Bas, Milon et Perrin, Mme Estrosi Sassone, MM. Dallier, Longuet, Husson, Vaspart, Cornu, Rapin, Pointereau et Darnaud, Mme Micouleau, M. Brisson, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Louault et Maurey, Mme Deromedi, MM. Sido et Longeot, Mme Morhet-Richaud, M. Pellevat, Mme Garriaud-Maylam, MM. Chaize et Reichardt, Mmes Procaccia, Di Folco, Puissat et Gruny, M. Kern, Mme M. Mercier, M. Joyandet, Mmes Deseyne et Lassarade, MM. Charon et D. Laurent, Mmes Goy-Chavent et Canayer, MM. Courtial, Revet et Piednoir, Mmes A.M. Bertrand, Imbert, Chain-Larché et Chauvin, MM. Morisset et Regnard, Mme Sollogoub, MM. Lefèvre, Vogel, Bonhomme, Dufaut, Chatillon, Détraigne, Savary, Moga, Luche et Chevrollier, Mme Férat, MM. Gremillet, Pierre, Mizzon et Huré, Mmes Bories et de Cidrac, MM. Genest et Priou, Mme C. Fournier, MM. B. Fournier et de Nicolaÿ, Mme Duranton, M. Mayet et Mmes Malet et Lanfranchi Dorgal, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
|
+ |
- |
+ |
- |
Structures et dispositifs de sécurité routière |
|
|
|
|
Contrôle et modernisation de la politique de la circulation et du stationnement routiers |
|
|
|
|
Contribution à l’équipement des collectivités territoriales pour l’amélioration des transports en commun, de la sécurité et de la circulation routières |
452 435 730 |
|
452 435 730 |
|
Désendettement de l’État |
|
452 435 730 |
|
452 435 730 |
TOTAL |
452 435 730 |
452 435 730 |
452 435 730 |
452 435 730 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à M. François Bonhomme.
M. François Bonhomme. Le présent amendement tend à s’inscrire dans le prolongement de la présentation du rapport sénatorial du 18 avril 2018 intitulé Sécurité routière : mieux cibler pour plus d’efficacité.
Déplorant la méthode précipitée retenue par le Gouvernement et le manque de concertation préalable à sa décision de limiter à 80 kilomètres à l’heure la vitesse maximale autorisée, le groupe de travail à l’origine de ce rapport recommandait d’appliquer la réduction de vitesse de manière décentralisée afin de l’adapter aux réalités des territoires, c’est-à-dire sur les tronçons de route accidentogènes. Il proposait une mesure affinée, concertée, responsabilisant les acteurs et, surtout, empreinte d’une acceptabilité sociale. Malheureusement, cette recommandation du Sénat n’a toutefois pas été retenue par le Gouvernement.
Si les effets de la réduction de la vitesse ne sont aujourd’hui pas encore scientifiquement exploitables, le niveau d’acceptabilité de la mesure reste, lui, très insatisfaisant : une majorité de Français y voit toujours un prétexte de l’exécutif, et parfois une occasion sournoise, pour financer le désendettement de l’État.
Afin de lever ces soupçons et surtout de diminuer le nombre de morts sur les routes, les auteurs de l’amendement proposent donc de consacrer les recettes des « amendes radars » à l’amélioration du réseau routier et de ses zones les plus accidentogènes. Cela permettra de favoriser les politiques de prévention, conformément aux souhaits exprimés tant par le Gouvernement que par les usagers de la route et les associations de prévention de la sécurité routière.
L’amendement vise donc à transférer les crédits de l’action n° 01 du programme « Désendettement de l’État » vers l’action n° 01 du programme « Contribution à l’équipement des collectivités territoriales pour l’amélioration des transports en commun, de la sécurité et de la circulation routières ».
M. le président. L’amendement n° II-610 rectifié ter, présenté par M. Raison, Mme Vullien, MM. Bas et Milon, Mme Estrosi Sassone, MM. Perrin, Vaspart, Husson, Dallier, Longuet, Pointereau, Darnaud et Maurey, Mme Duranton, MM. Mayet, Cornu et Rapin, Mme Micouleau, M. Brisson, Mme Bonfanti-Dossat, M. Louault, Mmes Garriaud-Maylam et Morhet-Richaud, MM. Longeot et Sido, Mme Deromedi, MM. Pellevat, Chaize et Reichardt, Mmes Procaccia, Di Folco, Puissat et Gruny, M. Kern, Mme M. Mercier, M. Joyandet, Mmes Deseyne et Lassarade, M. Charon, Mmes Goy-Chavent et Canayer, MM. Courtial et Revet, Mme A.M. Bertrand, M. Piednoir, Mmes Imbert, Chain-Larché et Chauvin, MM. Morisset et Regnard, Mme Sollogoub, MM. Lefèvre, Vogel, Bonhomme, Dufaut, Chatillon, Détraigne, Savary, Moga, Luche et Chevrollier, Mme Férat, MM. Gremillet et Priou, Mme C. Fournier, MM. B. Fournier, de Nicolaÿ, Mizzon, Pierre et Huré, Mmes Bories et de Cidrac, M. Genest et Mmes Malet et Lanfranchi Dorgal, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
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Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
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+ |
- |
+ |
- |
Structures et dispositifs de sécurité routière |
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Contrôle et modernisation de la politique de la circulation et du stationnement routiers |
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Contribution à l’équipement des collectivités territoriales pour l’amélioration des transports en commun, de la sécurité et de la circulation routières |
50 000 000 |
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50 000 000 |
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Désendettement de l’État |
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50 000 000 |
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50 000 000 |
TOTAL |
50 000 000 |
50 000 000 |
50 000 000 |
50 000 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à M. François Bonhomme.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur spécial. L’amendement n° 612 rectifié ter vise à supprimer complètement ce qui est fléché en direction du budget de l’État, c’est-à-dire à transférer la totalité des 452 millions d’euros consacrés au programme « Désendettement de l’État » vers le programme « Contribution à l’équipement des collectivités territoriales pour l’amélioration des transports en commun, de la sécurité et de la circulation routières ».
Je puis comprendre l’intention des auteurs de l’amendement, mais ils ont mis la barre relativement haute ! Sans vouloir critiquer celui d’entre eux qui a fait un excellent travail dans le cadre du groupe de travail sur la sécurité routière, je pense que cette proposition n’est pas raisonnable.
De toute façon, cet amendement n’est pas compatible avec celui de la commission, lequel procède d’une application obligatoire de ce que nous avons voté en première partie. Il sera donc sans objet en cas d’adoption de l’amendement n° II-971.
L’avis de la commission sur l’amendement n° 612 rectifié ter est donc défavorable.
L’amendement de repli n° II-610 rectifié ter vise à transférer 50 millions d’euros vers le programme « Contribution à l’équipement des collectivités territoriales pour l’amélioration des transports en commun, de la sécurité et de la circulation routières ». Il est pratiquement satisfait, puisque 45 millions d’euros sont prélevés au profit d’une collectivité locale particulière, le département, lequel ne bénéficie pas de la dépénalisation et de la décentralisation du stationnement payant.
J’en demande donc le retrait ; à défaut, l’avis serait défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Le Gouvernement, par la voix du secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics, a émis un avis défavorable sur l’amendement n° II-971, visant à créer un prélèvement sur recettes destiné à l’entretien de la voirie départementale.
La création d’un tel prélèvement n’est pas justifiée, dès lors que d’autres dispositifs existent. Je rappelle ainsi qu’une compensation des charges d’entretien a déjà été assurée lors du transfert de la voirie au département.
Il existe par ailleurs, depuis le 1er janvier 2016, le principe de l’éligibilité au Fonds de compensation pour la TVA, le FCTVA, pour les charges d’entretien de la voirie.
De plus, le financement des dépenses liées à la circulation routière peut s’effectuer, pour partie, grâce au produit des amendes de police relatives à la circulation routière reversées aux collectivités, soit 478 millions d’euros en 2019.
Parmi les autres dispositifs de soutien aux départements, il y a enfin la dotation de soutien à l’investissement des départements, instituée par ce projet de loi de finances et dotée de 296 millions d’euros, à laquelle les projets de voirie sont éligibles.
L’avis du Gouvernement est donc défavorable sur l’amendement n° II-971.
S’agissant de l’amendement n° II-612 rectifié ter, les règles de répartition des amendes issues de la police de la circulation sont fixées par l’article 49 de la loi de finances initiale pour 2006. Ces dispositions étant relatives à des recettes de l’État, leur modification ne peut donc intervenir que par la voie d’amendements déposés en première partie de la loi de finances.
En outre, les règles de répartition du produit des amendes de police obéissent à un équilibre soigneusement pesé entre divers objectifs. Depuis 2006, aucun gouvernement n’a cru bon de devoir modifier cet équilibre, ce qui signifie qu’il est bien adapté. L’actuel gouvernement ne souhaitant pas plus que les précédents modifier cet équilibre, l’avis est défavorable.
Sur la limitation de la vitesse à 80 kilomètres à l’heure, je veux rappeler que ce dispositif est en cours d’expérimentation. Comme cela avait été annoncé au moment de la présentation de cette mesure, le passage de 90 à 80 kilomètres à l’heure a un impact en termes d’accidentabilité.
Notre objectif, je le répète, est d’étudier avec beaucoup d’objectivité et de précision l’impact sur l’accidentabilité de la mesure de réduction de la vitesse maximale autorisée sur le réseau national secondaire, en vue de la clause de rendez- vous fixée au 1er juillet 2020.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur les amendements nos II-612 rectifié ter et II- 610 rectifié ter.
M. le président. En conséquence, l’amendement n° II-612 rectifié ter n’a plus d’objet.
Monsieur Bonhomme, l’amendement n° II-610 rectifié ter est-il maintenu ?
M. François Bonhomme. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° II-610 rectifié ter est retiré.
Nous allons procéder au vote des crédits du compte d’affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers », figurant à l’état D.
Je n’ai été saisi d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.
Je mets aux voix ces crédits, modifiés.
(Les crédits sont adoptés.)
M. le président. J’appelle en discussion les amendements tendant à insérer un article additionnel qui sont rattachés pour leur examen au compte d’affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers ».
Article additionnel après l’article 84 bis
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° II-613 rectifié ter, présenté par M. Raison, Mme Vullien, MM. Bas, Perrin, Milon, Husson, Pointereau, Longuet et Rapin, Mme Estrosi Sassone, MM. Darnaud et Dallier, Mme Micouleau, MM. Vaspart et Cornu, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Brisson, Louault et Maurey, Mme Deromedi, MM. Sido et Longeot, Mmes Morhet-Richaud et Garriaud-Maylam, MM. Pellevat, Chaize et Reichardt, Mmes Procaccia, Di Folco, Puissat et Gruny, M. Kern, Mme M. Mercier, M. Joyandet, Mmes Deseyne et Lassarade, MM. Charon et D. Laurent, Mmes Goy-Chavent et Canayer, MM. Courtial, Revet et Piednoir, Mmes A.M. Bertrand, Imbert, Chain-Larché et Chauvin, MM. Morisset et Regnard, Mme Sollogoub, MM. Lefèvre, Vogel, Bonhomme, Dufaut, Chatillon, Détraigne, Savary, Moga, Luche et Chevrollier, Mme Férat, MM. Gremillet, Pierre, Huré et Mizzon, Mmes de Cidrac, Bories et Malet, MM. Genest et Priou, Mme C. Fournier, MM. B. Fournier et de Nicolaÿ, Mme Duranton, M. Mayet et Mme Lanfranchi Dorgal, est ainsi libellé :
A. Après l’article 84 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – L’article 49 de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006 est ainsi modifié :
1° La seconde phrase du quinzième alinéa est supprimée ;
2° Les seizième et dix-neuvième alinéas sont supprimés ;
3° La première phrase du dix-septième alinéa est supprimée.
II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I ci-dessus est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
B. En conséquence, faire précéder cet article d’une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :
Contrôle de la circulation et du stationnement routiers
La parole est à M. François Bonhomme.
M. le président. L’amendement n° II-611 rectifié ter, présenté par M. Raison, Mme Vullien, MM. Bas, Milon et Perrin, Mmes Estrosi Sassone et Micouleau, MM. Dallier, Pointereau, Rapin, Husson, Longuet, Vaspart, Cornu et Brisson, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Louault et Maurey, Mme Deromedi, M. Sido, Mme Garriaud-Maylam, M. Longeot, Mme Morhet-Richaud, MM. Pellevat, Chaize et Reichardt, Mmes Procaccia, Puissat, Di Folco et Gruny, M. Kern, Mme M. Mercier, M. Joyandet, Mmes Deseyne et Lassarade, MM. Charon et D. Laurent, Mmes Goy-Chavent et Canayer, MM. Courtial, Revet et Piednoir, Mmes A.M. Bertrand, Imbert et Chain-Larché, M. Morisset, Mme Chauvin, M. Regnard, Mme Sollogoub, MM. Lefèvre, Vogel, Bonhomme, Dufaut, Chatillon, Détraigne, Savary, Moga, Luche et Chevrollier, Mme Férat, MM. Mizzon, Gremillet, Pierre et Huré, Mme Bories, MM. Genest, Priou et Darnaud, Mme C. Fournier, MM. B. Fournier et de Nicolaÿ, Mmes Duranton et Malet, M. Mayet et Mmes de Cidrac et Lanfranchi Dorgal, est ainsi libellé :
A. Après l’article 84 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Après la troisième phrase du dix-neuvième alinéa de l’article 49 de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Pour 2019, le montant de cette perte de recettes est calculé de sorte que le montant des versements au budget général soit égal à celui prévu par la loi de finances initiale pour 2017. »
II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
B. En conséquence, faire précéder cet article d’une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :
Contrôle de la circulation et du stationnement routiers
La parole est à M. François Bonhomme.
M. François Bonhomme. Il est également défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur spécial. Ces deux amendements sont en réalité satisfaits par l’amendement précédemment adopté.
L’avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Monsieur Bonhomme, les amendements nos II-613 rectifié ter et II-611 rectifié ter sont-ils maintenus ?
M. François Bonhomme. Non, je les retire, monsieur le président.
M. le président. Les amendements nos II-613 rectifié ter et II-611 rectifié ter sont retirés.
Mes chers collègues, nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Sécurités » et du compte d’affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers ».
5
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, vendredi 7 décembre 2018, à neuf heures trente, quatorze heures trente et le soir :
Suite du projet de loi de finances pour 2019, adopté par l’Assemblée nationale (n° 146, 2018-2019) ;
- Relations avec les collectivités territoriales (+ articles 79 à 81 ter) (suite) ;
- Compte spécial : Avances aux collectivités territoriales ;
- Discussion des missions et des articles rattachés reportés ;
- Discussion des articles de la seconde partie non rattachés aux crédits.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le vendredi 7 décembre 2018, à zéro heure trente.)
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD