Sommaire
Présidence de M. Vincent Delahaye
Secrétaires :
MM. Joël Guerriau, Michel Raison.
2. Modification de l’ordre du jour
3. Accord de coopération entre l’Union européenne et l’Afghanistan. – Adoption en procédure d’examen simplifié d’un projet de loi dans le texte de la commission
4. Élection des membres du Parlement européen. – Adoption définitive en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Richard Yung, rapporteur de la commission des affaires étrangères
Clôture de la discussion générale.
Adoption définitive de l’article unique du projet de loi dans le texte de la commission.
5. Délai d’intervention du juge des libertés et de la détention en rétention administrative à Mayotte. – Discussion en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur de la commission des lois
Suspension et reprise de la séance
6. Mise au point au sujet d’un vote
7. Délai d’intervention du juge des libertés et de la détention en rétention administrative à Mayotte. – Suite de la discussion en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
8. Questions d’actualité au Gouvernement
M. Dominique de Legge ; M. Édouard Philippe, Premier ministre ; M. Dominique de Legge.
rétablissement de l’ordre républicain
M. Olivier Cadic ; M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur.
M. Bernard Buis ; M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics.
profanation du mémorial d’ilan halimi
M. Olivier Léonhardt ; M. Édouard Philippe, Premier ministre.
augmentations du tarif de l’électricité
Mme Cécile Cukierman ; M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire ; Mme Cécile Cukierman.
recrudescence des actes antisémites
M. Yves Daudigny ; M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur.
décrets d’application (utilisation des caméras mobiles)
M. Jean-Pierre Decool ; M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur.
financement du logement social
M. Philippe Dallier ; M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement ; M. Philippe Dallier.
Mme Jocelyne Guidez ; Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé.
M. Arnaud de Belenet ; M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics.
retrait des troupes américaines de syrie
M. Rémi Féraud ; Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’État auprès de la ministre des armées ; M. Rémi Féraud.
M. Cédric Perrin ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement ; M. Cédric Perrin.
Mme Anne Chain-Larché ; M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics ; Mme Anne Chain-Larché.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Hélène Conway-Mouret
9. Délai d’intervention du juge des libertés et de la détention en rétention administrative à Mayotte. – Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission.
Discussion générale (suite) :
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur de la commission des lois
Clôture de la discussion générale.
Articles additionnels avant l’article 1er
Amendement n° 8 de M. Jean Louis Masson. – Non soutenu.
Amendement n° 21 de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Amendement n° 22 de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Amendements nos 11, 9 et 10 de M. Jean Louis Masson. – Non soutenus.
Adoption de l’article.
Articles additionnels après l’article 1er
Amendement n° 3 de M. Roger Karoutchi. – Retrait.
Amendement n° 15 de M. Jean Louis Masson. – Non soutenu.
Amendement n° 16 de M. Jean Louis Masson. – Non soutenu.
Adoption de l’article.
Amendements nos 17 et 18 de M. Jean Louis Masson. – Non soutenus.
Adoption de l’article.
Intitulé de la proposition de loi
Amendement n° 7 de M. Jean Louis Masson. – Non soutenu.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur
Adoption définitive de la proposition de loi dans le texte de la commission.
10. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Vincent Delahaye
vice-président
Secrétaires :
M. Joël Guerriau,
M. Michel Raison.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Modification de l’ordre du jour
M. le président. Par lettre en date du 13 février 2019, M. Hervé Marseille, président du groupe Union Centriste, a demandé l’interversion de l’ordre d’examen des deux propositions de loi inscrites à l’ordre du jour de l’espace réservé à son groupe du jeudi 21 février 2019.
Acte est donné de cette demande.
3
Accord de coopération entre l’Union européenne et l’Afghanistan
Adoption en procédure d’examen simplifié d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen d’un projet de loi tendant à autoriser la ratification ou l’approbation de conventions internationales.
Pour ce projet de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure d’examen simplifié.
projet de loi autorisant la ratification de l’accord de coopération en matière de partenariat et de développement entre l’union européenne et ses états membres, d’une part, et la république islamique d’afghanistan, d’autre part
Article unique
Est autorisée la ratification de l’accord de coopération en matière de partenariat et de développement entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et la République islamique d’Afghanistan, d’autre part, signé à Munich le 18 février 2017, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur le projet de loi autorisant la ratification de l’accord de coopération en matière de partenariat et de développement entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et la République islamique d’Afghanistan, d’autre part (projet n° 158, texte de la commission n° 296, rapport n° 295).
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.
(Le projet de loi est adopté.)
4
Élection des membres du Parlement européen
Adoption définitive en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de la décision (UE, EURATOM) 2018/994 du Conseil du 13 juillet 2018 modifiant l’acte portant élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct (projet n° 227, texte de la commission n° 298, rapport n° 297).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les élections européennes sont un moment clé de la vie démocratique européenne. Pourtant, comme vous le savez et comme vous avez pu en faire l’expérience dans vos territoires, le niveau de participation des citoyens de l’Union européenne a connu une érosion systématique à chacune de ces élections,…
M. François Bonhomme. Eh oui ! Faut-il s’en étonner ?
M. François Bonhomme. Et ce n’est pas fini !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Inverser cette tendance lors des élections européennes qui se tiendront entre le 23 mai et le 26 mai prochain dans les États membres, et le 26 mai en France, est un enjeu démocratique majeur. C’est aussi un enjeu politique essentiel au regard du fonctionnement même du Parlement européen. En effet, sur quelle majorité au Parlement européen le prochain président de la Commission européenne pourra-t-il par exemple s’appuyer ?
C’est à chaque citoyen européen d’en décider et je sais que, légitimement, les opinions sont partagées dans cet hémicycle, mais je gage que nous nous réunirons au moins sur un point : personne ne peut se satisfaire de ce que nous avons trop souvent connu dans le passé, une campagne politique peu mobilisatrice et au fond bien plus nationale qu’européenne, une participation faible et une forme de cogestion entre les principaux groupes politiques du Parlement européen qui n’a peut-être pas été très stimulante pour les électeurs.
Vous le savez, le Président de la République a souhaité redynamiser le projet européen. Cela passe par un renforcement de la légitimité, de la représentativité – sujet souvent débattu ces dernières semaines – et de la visibilité du Parlement européen. C’est dans cet esprit que la loi française du 7 juillet 1977 relative à l’élection des représentants au Parlement européen a été modifiée au mois de juin 2018, notamment afin de rétablir une circonscription électorale unique.
C’est également dans cet esprit que les États membres ont entrepris, un an avant les élections européennes, de finaliser les négociations sur la modification de l’acte électoral de 1976, qui avait été lancée en 2015 par le Parlement européen. L’objectif de cette réforme était de rendre le processus électoral plus transparent pour les citoyens, mais aussi plus « européen », en renforçant les principes communs qui régissent les élections au Parlement européen.
En effet, comment expliquer à nos concitoyens que les élections européennes obéissent à des règles aussi différentes d’un État membre à l’autre ?
Dans son rapport d’initiative législative adopté le 11 novembre 2015, le Parlement européen a formulé des propositions ambitieuses pour renforcer les principes communs pour les élections européennes. Cela n’allait pas de soi, si l’on considère la grande diversité de traditions électorales au sein des États membres, tout comme la forte sensibilité de ces questions. De fait, les négociations au Conseil ont été difficiles et plusieurs propositions du Parlement européen particulièrement parlantes ont été rejetées, telles que l’instauration d’une date commune pour la tenue du scrutin ou la mise en place de mesures visant à permettre à l’ensemble des citoyens européens résidant à l’étranger de participer aux élections européennes.
Les négociations au Conseil ont toutefois repris, après que les débats sur l’avenir de l’Union ont mis en lumière l’urgence de donner un nouvel élan démocratique à l’Union européenne. Elles ont permis d’aboutir à un accord entre le Conseil et le Parlement européen au mois de juin dernier. La décision modifiant l’acte électoral de 1976 a été adoptée par le Conseil des ministres le 13 juillet dernier, à Bruxelles.
Il revient à présent aux États membres d’approuver cette décision selon leurs procédures constitutionnelles respectives.
Cette réforme de l’acte électoral prévoit des modifications qui visent à renforcer les principes communs régissant l’élection au suffrage universel direct des membres du Parlement européen. Je précise, puisque c’est aussi une actualité européenne particulièrement brûlante, que même un Brexit sans accord serait sans incidence sur ces dispositions communes à tous les États membres.
Je regrouperai les modifications apportées par l’acte électoral, de façon à distinguer d’abord ce qui concerne les députés européens eux-mêmes, ensuite ce qui touche à la préparation et aux modalités du vote, enfin ce qui relève d’un meilleur contrôle.
S’agissant des députés européens eux-mêmes, l’article 1er de l’acte électoral est remplacé par un nouveau texte, qui précise que les membres du Parlement européen sont élus « représentants des citoyens de l’Union ». Cette modification, qui reprend les termes du traité de Lisbonne et s’inspire des parlements nationaux, vise à souligner la légitimité des membres du Parlement européen, qui représentent les citoyens de l’ensemble de l’Union européenne et non les citoyens du seul État membre dans lequel ils sont élus.
Les États membres sont encouragés, dans un nouvel article 3 ter, à prendre des mesures pour que l’affiliation des candidats à un parti politique européen puisse apparaître sur les bulletins de vote, ce qui est d’ores et déjà possible en droit français, même si cette disposition n’a pas de caractère obligatoire. Là encore, il s’agit d’aider le citoyen à faire le lien entre son vote et l’action européenne de ses députés au Parlement européen.
L’article 3 de l’acte électoral est également modifié, afin de rendre obligatoire la mise en place d’un seuil électoral dans les circonscriptions de plus de 35 sièges, compris entre 2 % et 5 % des suffrages exprimés – ce sujet a fait l’objet de discussions au sein de votre commission. Comme vous le savez, ce seuil permet de favoriser l’émergence de groupes politiques d’une taille significative et de faciliter ainsi le processus législatif au Parlement européen.
Cette obligation doit intervenir pour les élections au Parlement européen de 2024, si la décision entre en vigueur avant les élections du mois de mai 2019. Je rappelle cependant qu’en France la loi du 7 juillet 1977 fixe d’ores et déjà le seuil électoral à 5 % des suffrages exprimés.
L’acte électoral révisé précise les dispositions à retenir pour la préparation et les modalités mêmes du vote. Il permet d’abord de mieux harmoniser le calendrier du dépôt des candidatures dans les États membres en prévoyant, dans un nouvel article 3 bis, une date limite pour le dépôt des candidatures, pour autant que la législation de l’État membre en prévoie une, au plus tard trois semaines avant le début de la période électorale. Cette disposition est donc cohérente avec ce que nous faisons en France, puisque la loi du 7 juillet 1977 fixe la date limite pour le dépôt des candidatures au quatrième vendredi précédant le jour du scrutin.
Les États membres sont également encouragés à prévoir le vote par correspondance, le vote électronique ou le vote par internet aux élections européennes, ainsi que le prévoit l’article 4 bis, et à mettre en place des mesures destinées à permettre à leurs citoyens résidant dans un pays tiers de participer à ces élections, comme le précise l’article 9 ter. En France, la loi du 7 juillet 1977 permet déjà aux citoyens français résidant à l’étranger de voter, lors des élections européennes, par procuration ou dans des bureaux de vote installés dans le réseau diplomatique et consulaire.
Enfin, la décision qui vous est présentée prévoit, à l’article 9, que les sanctions contre le double vote seront renforcées, afin de s’assurer que les citoyens européens ne puissent pas voter dans plusieurs États membres à la fois. Les États membres devront par ailleurs, aux termes de l’article 9 ter, désigner une autorité chargée des échanges sur les données relatives aux électeurs et aux candidats, afin de faciliter l’échange d’informations entre les États membres. En France, le décret du 28 février 1979 charge l’Institut national de la statistique et des études économiques et le ministère de l’intérieur de transmettre aux autres États membres les informations relatives respectivement aux électeurs et aux candidats. La France prévoit par ailleurs, en cas de vote multiple, des peines qui peuvent aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement et une amende de 15 000 euros.
Je formulerai un regret, celui que le Parlement européen n’ait pas donné suite à la proposition qu’il avait initialement exprimée dans son avis du mois de novembre 2015, proposant la création d’une « circonscription électorale commune » dans laquelle les candidats auraient été élus sur la base de listes transnationales de chaque famille politique. La France avait défendu cette idée, qui aurait pu être mise en œuvre pour un nombre limité de sièges et qui aurait contribué à une approche plus européenne de ces élections, ce qui est indispensable de notre point de vue. Le Conseil européen a dû faire le constat que cette idée ne pouvait être mise en œuvre dès 2019. Il a néanmoins souhaité que les travaux se poursuivent dans la perspective des élections européennes de 2024. La France reste mobilisée et continuera à défendre cette idée.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les grandes lignes de la révision de l’acte électoral. Elle représente au total une avancée européenne et une harmonisation progressive par le haut, qui entrera en vigueur lorsque l’ensemble des États membres l’auront autorisée. Je souligne que, compte tenu des normes dont nous disposons en droit français, l’approbation de la décision du Conseil n’appelle pas de modification des règles applicables aux prochaines élections européennes dans notre droit interne.
La France, comme l’ensemble des États membres, est fermement attachée à ce que cette décision puisse entrer en vigueur avant les prochaines élections européennes. C’est pourquoi je vous demande d’autoriser l’approbation de la décision du Conseil du 13 juillet 2018. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Union Centriste, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Richard Yung, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes amenés à nous prononcer par un vote sur la décision du Conseil du 13 juillet 2018 modifiant l’acte portant élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct. Dans le monde difficile qui est le nôtre, l’Union européenne reste la seule voie possible si nous souhaitons conserver notre présence et notre capacité d’influence, à l’heure du retour des États-puissances et de l’affaiblissement de l’ordre international multilatéral.
Pour avancer, le projet européen a plus que jamais besoin d’un nouvel élan, d’un nouveau souffle, et la légitimité démocratique de l’Union européenne en est le préalable. Pour asseoir la légitimité des députés européens, il faut d’abord apporter une réponse à la lente érosion du taux de participation aux élections européennes, qu’a évoquée Mme la ministre.
À cet égard, la loi du 25 juin dernier a réinstauré une circonscription électorale unique en France – comme c’est le cas dans la quasi-totalité des États membres – et supprimé les huit circonscriptions régionales, dont on connaissait assez mal les limites et pour lesquelles il était assez difficile de nommer les députés élus. La décision du Conseil soumise à notre approbation poursuit cet effort d’harmonisation. Mme la ministre en a rappelé les principales dispositions : instauration d’un seuil d’éligibilité minimal commun à toutes les grandes circonscriptions, mise en place d’une date limite commune pour le dépôt des candidatures, plusieurs possibilités ouvertes aux États membres comme la faculté d’autoriser le vote en ligne, sous réserve d’assurer la confidentialité du scrutin.
En tant que sénateur représentant les Français établis hors de France, je regrette que le scrutin par internet ne soit ni prévu ni envisagé pour nos compatriotes résidant dans un État tiers de l’Union européenne, et ce pour des raisons de cybersécurité. Lorsque l’on habite le Panama, il n’est pas évident de participer aux élections européennes.
M. Roger Karoutchi. Oui !
M. Richard Yung, rapporteur. J’évoque le Panama, mais le monde est vaste ! (Sourires.)
Vu de France, ce texte peut donc paraître modeste, puisque les dispositions obligatoires qu’il contient sont déjà intégrées dans notre droit interne et n’emporteront aucune conséquence juridique nouvelle. Cependant, tel n’est pas le cas pour l’ensemble de nos voisins européens !
Les modalités de scrutin étaient visiblement trop disparates entre les États membres pour permettre une véritable harmonisation dès les élections du mois de mai prochain. En effet, le poids des traditions électorales étant encore très présent, il était inenvisageable de prévoir une date unique de scrutin, ce qui aurait pourtant un sens politique fort, car certains pays comme l’Irlande ou les Pays-Bas sont habitués à voter en semaine – le Royaume-Uni vote le mardi, c’est une règle sacrée –, alors que nous votons pour notre part le dimanche. Par ailleurs, une vingtaine d’États membres pratiquent le vote préférentiel, ce qui semble exclu en France et en Allemagne où le scrutin de liste bloquée est institué depuis très longtemps.
La méthode retenue pour l’harmonisation des scrutins est donc celle, bien connue, des « petits pas » – Jean Monnet ! (Sourires) –, c’est-à-dire celle qui a prévalu pour la construction de l’Union européenne. Avec cette décision, les États membres franchissent un pas supplémentaire. Les négociations ne sont pas terminées pour autant ; elles seront relancées au cours de la prochaine législature en prévision des élections de 2024. Il faut espérer que la prochaine révision de l’acte électoral sera alors plus ambitieuse.
À titre personnel – car la commission ne s’est pas prononcée sur ce point –, j’espère qu’un consensus se dégagera sur des sujets importants, tels que la parité ou l’instauration des listes transnationales, qu’a mentionnée Mme la ministre. L’idée des listes transnationales figurait pourtant dans le rapport d’initiative législative adopté par le Parlement européen au mois de novembre 2015, avant d’être finalement retirée de la décision définitive du Conseil, faute d’accord. J’y suis pour ma part favorable : je pense que cela resserrerait le lien entre les citoyens et les institutions européennes et favoriserait le renforcement de la citoyenneté européenne.
Cette initiative est soutenue par certains États membres, l’Irlande, l’Espagne ou encore l’Allemagne – à cet égard, je vous renvoie à la déclaration de Meseberg du mois de juin dernier. L’opposition est surtout venue du groupe de Visegrad, qui regroupe entre autres la Hongrie, la Pologne et la République tchèque. J’exprime à ce titre une position personnelle, dans la mesure où le Sénat s’est prononcé contre cette initiative par une résolution en date du 16 avril 2016. Il n’en reste pas moins qu’il faut faire progresser les idées.
En conclusion, à l’heure où le populisme fait une percée aussi importante qu’inquiétante partout en Europe, tant au sein des parlements nationaux qu’au sein des exécutifs, il est de notre responsabilité d’apporter des solutions solides et fortes au lien qui s’est distendu entre les peuples européens et leurs représentants. La question des modalités électorales y participe.
À cette fin, tous les pas vers une Europe plus souveraine, plus forte et plus juste sont les bienvenus. Je vous invite donc, mes chers collègues, à voter ce texte à la portée certes très limitée, mais qui est soutenu par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Exception d’irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par M. Masson, d’une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi autorisant l’approbation de la décision (UE, EURATOM) 2018/994 du Conseil du 13 juillet 2018 modifiant l’acte portant élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct, annexé à la décision 76/787/CECA, CEE, Euratom du Conseil du 20 septembre 1976 (n° 298, 2018-2019).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la motion.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, l’enjeu de ce projet de loi est très important, puisqu’il s’agit de la représentation de la France au sein du Parlement européen. Dans ces conditions, il est particulièrement regrettable que le Sénat ait initialement décidé de retenir la procédure d’examen simplifié pour ce texte. De ce fait, il ne devait y avoir ni amendement ni même explication de vote. La seule possibilité consistait à présenter une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, solution pour laquelle j’ai opté. Cette façon d’agir, malgré les protestations que j’avais pu adresser à la commission des affaires étrangères, au président du Sénat et à différentes autres autorités de notre assemblée, caractérise un incontestable manque de transparence démocratique.
Je remercie donc tout particulièrement Mme Assassi, présidente du groupe CRCE, d’avoir refusé cette procédure pour le moins accélérée – seuls les présidents de groupes peuvent en effet le faire –, ce qui nous permet d’avoir aujourd’hui un débat.
Le choix initial du Sénat est d’autant plus regrettable que la ratification de la décision du Conseil du 13 juillet 2018 est indissociable d’une autre décision de la même instance en date du 28 juillet 2018, laquelle répartit les sièges de députés entre les États membres, que l’on prend soin de ne pas même évoquer dans les débats parlementaires, puisque le Parlement ne sera même pas consulté. Or le vice de constitutionnalité de l’une rejaillit sur l’autre.
L’article 14 du traité de Lisbonne prévoit que chaque État doit avoir un nombre de députés européens « dégressivement proportionnel à sa population ». Comme l’indiquait la décision du Conseil du 28 juin 2013, qui a arrêté la répartition des sièges pour l’actuelle mandature, « chaque député du Parlement européen d’un État membre plus peuplé doit donc représenter davantage de citoyens que chaque député d’un État membre moins peuplé ».
Or la répartition actuelle des sièges montre une violation flagrante de cette disposition, puisqu’un député européen allemand représente actuellement 852 000 habitants contre 883 000 habitants pour un député européen français, alors même que l’Allemagne est plus peuplée que la France. Notre Constitution prévoit l’obligation de respecter les traités et cette violation du traité de Lisbonne vicie toute la procédure.
En 2018, lorsqu’il a fait ses propositions au Conseil des ministres pour la nouvelle répartition des sièges, qui sera mise en œuvre au mois de mai prochain, le Parlement européen a lui-même reconnu que « la répartition actuelle des sièges ne respecte pas le principe de proportionnalité dégressive ». En d’autres termes, même le Parlement européen reconnaît cette violation du traité de Lisbonne !
Sur ce fondement, la décision prise le 28 juin 2018 par le Conseil a prévu que, si le Royaume-Uni quittait l’Union européenne, la France aurait cinq sièges supplémentaires. Le passage de 74 à 79 sièges respecterait alors l’obligation de proportionnalité dégressive.
Toutefois, la même décision du 28 juin 2018 a prévu que, si le Royaume-Uni était toujours membre de l’Union européenne au moment des élections, l’ancienne répartition des sièges continuerait à s’appliquer jusqu’au départ effectif du Royaume-Uni. Dans ces conditions, si le Royaume-Uni partait dans six mois, dans un an ou dans dix ans, on serait dans une situation évidente de violation du traité de Lisbonne.
Madame le ministre, je vous ai interrogée sur cette problématique par une question écrite n° 7142 au mois de novembre 2018. Vous m’avez répondu, « si le Royaume-Uni renonçait à sa demande de retrait, la décision du Conseil du 28 juin 2018 deviendrait caduque ». Madame le ministre, c’est de l’enfumage total et un mensonge à un double titre. (Marques de désapprobation. – Mme la ministre proteste.)
M. Roger Karoutchi. Oh !
M. Jean Louis Masson. Oui, c’est faux !
Tout d’abord, rien n’indique dans la décision du Conseil du 28 juin 2018 que celle-ci deviendrait caduque en cas d’abandon du Brexit. Par ailleurs, les négociations avec le Royaume-Uni peuvent s’éterniser et durer pendant un an, deux ans ou plus : pendant toute cette période, nous continuerions à être dans une situation de violation du traité de Lisbonne.
Pour toutes ces raisons et compte tenu des principes constitutionnels français, il me semble que les décisions du Conseil relatives aux élections européennes s’inscrivent dans une logique de violation du traité de Lisbonne et, indirectement, de notre Constitution. C’est pourquoi elles doivent être repoussées tant que la répartition des sièges entre les États membres n’a pas été définie dans un respect total, et non partiel, des termes du traité de Lisbonne.
Je profite de cette intervention pour évoquer le fameux article 14 du traité de Lisbonne, qui pose un certain nombre de problèmes d’un point de vue démocratique : manifestement, la façon de concevoir la représentation dégressivement proportionnelle devient complètement abusive. Cet article prévoit explicitement que chaque État doit être représenté « de façon dégressivement proportionnelle » par rapport à sa population. En application de cette disposition, pour la législature 2014-2019 du Parlement européen, c’est une décision du Conseil du 28 juin 2013 qui a fixé le nombre des députés attribués à chaque État membre. Or force est de constater que cette répartition a été surtout dégressive et fort peu proportionnelle. En effet, on constate une véritable discrimination à l’égard des grands États, puisque Malte, qui a obtenu six députés européens, se trouve nettement plus favorisée que la France, l’écart de représentativité étant d’un rapport de 1 à 12,7.
Ainsi que l’indique un arrêt du 30 juin 2009 de la Cour constitutionnelle fédérale d’Allemagne, dite Cour de Karlsruhe, le principe démocratique d’égalité entre les citoyens – un homme-une voix – n’est à l’évidence pas respecté au sein du Parlement européen. De ce fait et en l’absence de correctif, il n’est manifestement pas pertinent de continuer à transférer des compétences nationales très importantes au profit d’une Union européenne qui, selon la Cour de Karlsruhe, n’a absolument aucune légitimité démocratique.
Le tableau de la répartition des sièges pour la prochaine législature révèle un certain nombre d’anomalies. Ainsi, un député européen de Malte représente environ 60 000 habitants contre près de 900 000 habitants pour un député européen français. L’écart est énorme !
Dans ces conditions, on ne voit donc pas pourquoi le Conseil constitutionnel pose des problèmes et empêche la Lozère ou tel département d’avoir plus d’un seul sénateur, pour prévenir tout écart de plus de 20 %, alors que l’on admet par ailleurs un écart de 1 à 12, ce qui représente un écart de 1 100 % ! C’est complètement fou.
Il est donc absolument impératif de résoudre cette problématique : l’article 14 du traité de Lisbonne n’est pas acceptable. Ce qui est plus inacceptable encore, c’est que l’on ne respecte pas cet article et que l’on fasse pire que ce qu’il prévoit !
M. Richard Yung, rapporteur. L’avis que j’émettrai ne sera pas celui de la commission, cette motion venant tout juste de nous être soumise. Je m’en étonne un peu d’ailleurs, alors que cela fait tout de même cinq ou six mois que nous discutons de ce texte. Chacun a disposé du temps nécessaire pour y réfléchir et formuler des propositions. Cela étant dit, ce n’est pas le fond du problème.
À titre personnel, j’émettrai un avis défavorable sur cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, et ce pour deux raisons.
D’abord, la répartition du nombre de députés, monsieur Masson, fait l’objet d’un autre texte, qui est d’application immédiate. Nous perdons donc notre temps à discuter de ce sujet !
Ensuite, le Conseil constitutionnel français – et non pas la Cour de Karlsruhe, monsieur Masson, je ne prends pas mes exemples en Allemagne – a validé le texte dont nous discutons présentement, à l’exception d’un petit membre de phrase qui n’avait rien à voir avec lui. Je considère donc qu’il est entièrement constitutionnel.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Il est savoureux d’entendre M. le sénateur Masson nous lire le traité de Lisbonne ! Il est aussi savoureux de l’entendre s’intéresser au Conseil constitutionnel.
Il est en revanche inacceptable d’entendre que le Gouvernement pratiquerait l’enfumage et le mensonge. Je tenais à réagir à ces propos qui, de mon point de vue, sont totalement inappropriés. Il est vrai qu’une partie de la classe politique, très à droite, s’est habituée depuis quelque temps à l’enfumage et au mensonge, mais le Gouvernement n’a nullement été contaminé.
J’ajoute que les explications données par M. le sénateur Masson sont malheureusement incomplètes. Certes, la proportionnalité dégressive est le principe qui régit la répartition du nombre de députés européens au Parlement européen, mais ce principe est assorti d’un seuil et d’un plafond, chaque État membre comptant six députés au minimum, quatre-vingt-seize au maximum. Ce principe est donc respecté en l’état et il le sera dans l’avenir.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Je trouve moi aussi savoureuse l’argumentation de M. Masson, qui a souvent parlé, lors de l’instauration de la circonscription nationale unique, des « députés européens qui représentent la France » quand ils représentent les citoyens européens vivant en France.
Je trouve également assez savoureux, et d’ailleurs assez positif, qu’il se préoccupe aujourd’hui du poids démographique des différents députés européens. C’est une évolution par rapport à ce que vous disiez au mois de juillet dernier, monsieur Masson. Vous considériez alors que les députés européens représentent les différents États membres. Ils représentent, et c’est dans le texte, les citoyens qui vivent dans chaque pays de l’Union européenne.
La proportionnalité mérite d’être prise en compte, car elle n’est pas encore correctement intégrée dans les traités, mais la démocratisation de l’Union européenne est en route…
M. François Bonhomme. Ce n’est pas flagrant !
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion n’est pas adoptée.)
Discussion générale (suite)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Claude Requier. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre droit électoral, que nous avons récemment complété par la loi du 25 juin 2018 relative à l’élection des représentants au Parlement européen, laquelle a rétabli une circonscription unique, converge vers la décision du Conseil du 13 juillet 2018 modifiant l’acte électoral européen de 1976.
Qu’il s’agisse du seuil minimal obligatoire pour l’attribution des sièges, du délai limite pour le dépôt des candidatures et de la « politisation » du bulletin de vote ou encore du régime de sanction du double vote, la France est dans les clous. Ce texte ne présentant pas de difficultés particulières, il aurait pu emprunter le cheminement discret de la procédure simplifiée.
Aussi, sans entrer davantage dans le détail, le RDSE, qui s’enorgueillit de porter le projet européen dans son appellation même et qui a compté en son sein Maurice Faure, signataire du traité de Rome, approuvera le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui.
L’objectif général d’une uniformisation des procédures électorales va dans le bon sens, celui d’une meilleure représentativité des députés européens. Néanmoins, dans le contexte d’une participation aux élections européennes en baisse depuis les tout premiers scrutins, nous pensons aussi que ce texte ne sera pas suffisant pour restaurer le lien entre les citoyens et leurs élus européens.
C’est une difficulté que mon groupe avait déjà soulignée l’année dernière. En effet, nous avions alors soutenu le rétablissement de la circonscription unique, tout en rappelant la nécessité d’entreprendre un important travail de pédagogie sur le rôle croissant du Parlement européen au sein des institutions européennes.
Nous avions déposé des amendements visant notamment à sensibiliser les jeunes Français au projet européen. Je rappelle en effet que les trois quarts d’entre eux ne se sont pas rendus aux urnes lors des derniers scrutins. Et je ne suis pas certain que la présence d’un drapeau européen dans chaque classe suffise véritablement à encourager l’esprit de citoyenneté européenne…
Mme Cécile Cukierman. Certes ! (Sourires.)
M. Jean-Claude Requier. Quant à la proposition de listes transnationales dans le cadre d’une circonscription unique à l’échelle européenne, que le Président de la République soutient, mais qui est pour le moment repoussée, elle suscite chez moi les mêmes inquiétudes que chez certains de mes collègues. Il nous faut, en effet, trouver un système qui garantisse bien le pluralisme et la représentativité de tous les États membres. Je pense en particulier aux plus petits d’entre eux. Nous savons que le groupe de Visegrad, qui regroupe quatre pays d’Europe centrale – la Hongrie, la Pologne, la République tchèque et la Slovaquie – s’est farouchement prononcé contre l’année dernière dans une déclaration commune. C’est cependant un travail de réflexion que nous devrions poursuivre d’ici les élections de 2024.
En attendant, au-delà du processus électoral, c’est sur l’idée même d’Europe que nous devons travailler. Le Président de la République l’avait rappelé en 2017, lors de son fameux discours de la Sorbonne, en invitant à « rendre l’Europe à elle-même et à la rendre aux citoyens européens ».
Quand des crises et des défis se dressent face à l’Europe, il faut voir celle-ci comme un rempart, et non comme un bouc émissaire. Dans le monde ouvert d’aujourd’hui, on sait très bien que c’est l’union qui fait la force. N’oublions pas que seule une réponse collective a permis de gérer la crise de la dette et de traiter la crise migratoire.
L’Europe est non pas la raison des problèmes, mais bien la solution aux grands défis. Le repli sur soi que certains prônent serait suicidaire. Il n’y a qu’à voir nos amis britanniques qui doutaient hier de l’Europe et qui doutent aujourd’hui de la sortie de l’Europe.
On ne peut pas nier, bien sûr, que les institutions européennes connaissent une véritable crise de légitimité. À cet égard, je ne pense pas, compte tenu de la crise que traversent nos propres institutions dans le contexte du mouvement des « gilets jaunes », qu’il soit opportun d’organiser un référendum national le 26 mai prochain, jour des élections européennes. Le RDSE est opposé aux mélanges des genres, ce qui ne fera que diluer les enjeux européens.
Mes chers collègues, pour terminer, je reprendrai les mots de l’ancien président de la Grèce, Constantin Caramanlis, profondément européen : « Aveuglés par les différences de surface, ils n’ont pas su voir l’unité de la profondeur ».
À l’approche de la campagne européenne, nous devons en effet en revenir aux fondamentaux de l’Union européenne, rappeler que la plupart des États membres partagent un socle de valeurs démocratiques et inciter les dirigeants à fixer rapidement un nouveau cap ambitieux et novateur à notre cher et vieux continent. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Union Centriste.)
M. Richard Yung, rapporteur. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, madame le ministre, je profiterai de cette intervention pour faire remarquer à notre rapporteur qu’il ferait bien de lire le règlement du Sénat, lequel permet le dépôt d’une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité comme je viens de le faire.
Le rapporteur a le droit d’être un européiste, un fédéraliste, de promouvoir des élections globales et non plus nationales,…
M. Richard Yung, rapporteur. Oui, et c’est tout à mon honneur !
M. Jean Louis Masson. … mais il n’a pas à mettre en cause le dépôt d’une motion dans des conditions tout à fait conformes au règlement du Sénat, même si elle ne lui fait pas plaisir.
Cette mise au point étant faite, j’indique que je n’ai pas du tout changé de point de vue, contrairement à ce que certains ont pu dire, depuis l’examen du texte sur le Brexit. J’ai toujours pensé la même chose. Je suis partisan d’une Europe des nations, car l’Europe à tendance fédéraliste que certains veulent mettre en place, c’est l’Europe de la chienlit !
Chacun ici a le droit d’avoir ses opinions. La majorité au Sénat, qui représente théoriquement les Français, n’est pas à l’image du résultat des élections au suffrage universel direct de 2017. Chacun doit respecter l’autre. Je ne vois pas pourquoi, en tant que partisan d’une Europe des nations, je me ferais agresser par les partisans d’une Europe fédéraliste ! Je représente une fraction de la population française digne d’intérêt, qu’on la qualifie de « populiste » ou de « machin chouette »…
Ces termes utilisés de manière péjorative sont d’ailleurs tout à fait discriminatoires de la part de gens qui se veulent des chantres de la démocratie. Quand on est démocrate, on commence par respecter les autres, notamment ceux qui ne partagent pas le même point de vue.
Même si, dans cette enceinte, je suis tout seul à penser ce que je pense, ce n’est pas nécessairement le cas à l’échelon national, comme on le verra lors des prochaines élections européennes !
Cela étant dit, le texte qui nous est soumis prévoit une évolution vers un système ayant pour effet de marginaliser ceux qui ne sont pas partisans d’une Europe fédéraliste. Tout ce qui est fait, y compris la fixation d’un seuil minimum de 3 % pour la représentation…
M. le président. Il faut conclure, cher collègue !
M. Jean Louis Masson. Les non-inscrits n’ont pas beaucoup de temps de parole, mais j’aurai bien l’occasion de revenir vous dire ce que je pense !
M. François Bonhomme. On n’en doute pas !
M. Richard Yung, rapporteur. Mais vous avez eu treize minutes pour parler !
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.
M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui approuve une décision du Conseil européen modifiant l’acte de 1976 portant élection des députés. Le plus simple, c’est ce qui est écrit dans ce texte ; le plus important, c’est ce qui n’y figure pas.
Le plus simple, ce sont les objectifs louables de l’Union européenne : rendre le processus électoral plus transparent pour les citoyens, consolider les principes communs régissant les élections dans chacun des États afin d’en souligner le caractère européen et, in fine, renforcer la légitimité, la représentativité du Parlement européen.
Vous le savez, Mme la ministre et notre rapporteur l’ont indiqué, notre droit électoral national intègre déjà en quasi-totalité les évolutions prévues par le Conseil européen. Nous ne pouvons qu’approuver ces mesures ou, plutôt, ces garanties.
Vous nous demandez en effet, madame la ministre, d’approuver la convergence, l’harmonisation du mode électoral avec nos vingt-sept ou vingt-six partenaires, suivant que l’on se place ou non après le 29 mars. Cette harmonisation étant nécessaire, pertinente, il n’y a nul suspense sur ce que sera le vote du groupe Union Centriste.
Toutefois, mes chers collègues, le plus important est ailleurs, chacun de nous ayant bien sûr la liberté, comme M. Masson, de s’exprimer.
Le plus important sera bien sûr la participation aux prochaines élections européennes, mais aussi la légitimité des parlements – les parlements nationaux et le Parlement européen – et l’articulation entre leurs rôles, cette question étant moins souvent évoquée.
La participation est le talon d’Achille de l’élection européenne : comment favoriser la participation de nos concitoyens le 26 mai et, plus largement, celle de l’ensemble de nos concitoyens européens ?
Cette question nous conduit à nous interroger sur le rôle de l’Union européenne, sur ce qu’on en comprend, sur la perception que nous avons des effets de ses politiques centrales sur notre vie quotidienne, en bref sur ce qu’est une pédagogie de l’Europe, sur les ambitions que l’Europe peut porter, sur le réalisme de ses propositions et peut-être également, ce qui est plus délicat dans notre société, sur une vision de long terme tant l’Europe se construit dans un temps long.
Comment finalement surmonter, chers collègues, le paradoxe d’une Europe qui doute d’elle-même, alors qu’elle a franchi de nombreuses étapes ? Je rappelle qu’elle a créé un marché unique, une monnaie unique, défini une charte des droits fondamentaux, développé l’espace Schengen, qu’elle s’est ouverte à des pays qui, pour les uns, ont pu y trouver la démocratie et, pour les autres, les conditions de l’indépendance et de la liberté, après l’effondrement du bloc soviétique. L’Europe a encore tant de chantiers devant elle, que ce soit dans le domaine social, économique, de la défense, des migrations, de la lutte contre le terrorisme ou dans le secteur agricole – objet, en début de matinée, d’une réunion commune à la commission des affaires européennes et à la commission des affaires économiques – et plus généralement dans le domaine des relations internationales.
Cette question nous confronte aussi, chers collègues, à la crise démocratique, à la crise de légitimité que traduisent nombre de prises de parole dans nos départements, dans le cadre du grand débat national. C’est une manière peut-être de vous dire, ou de nous dire, que tout est dans tout : à la fois la difficulté que nous avons à faire de la pédagogie sur les élections européennes, les débats, les contestations sur les éléments de la légitimité nationale et sur la manière dont, aujourd’hui, on structure celle-ci, la façon dont on concilie démocratie participative et démocratie représentative, sujet cher au président du Sénat, nous le savons.
La pédagogie sur l’Europe, pour reprendre la formule de M. Yung il y a quelques instants, ne devra pas s’arrêter le 26 mai, date des élections. C’est un exercice qui doit bien sûr s’inscrire dans la durée, car c’est la seule voie possible pour ceux qui souhaitent plus que jamais construire l’Union européenne.
Pour terminer, j’aborderai rapidement la question du rôle des parlements nationaux et du Parlement européen, sujet peu évoqué.
D’abord, je pense que nos parlements, et en particulier le Sénat, devraient reprendre ce que l’on avait appelé à l’époque le « paquet Tusk » – c’était avant le Brexit. Une discussion avait été engagée avec le Premier ministre britannique sur une revalorisation du rôle des parlements nationaux dans le processus de construction européenne. Ce sujet demeure d’actualité.
Ensuite, je pense à la question du sort des propositions de résolutions européennes, que vous viendrez évoquer devant la commission des affaires européennes dans quelques jours, madame la ministre. C’est un sujet auquel nous sommes attentifs.
Peut-être pourrons-nous également réfléchir à ces questions lors de l’éventuelle révision constitutionnelle ? L’article 88-6 en particulier soulève une question assez intéressante, dont nous parlerons, afin de faciliter le recours du Sénat ou du Parlement devant la Cour de justice de l’Union européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « L’Europe, c’est l’espoir. Choisissez votre Europe » : tel était le slogan de la campagne pour les premières élections européennes au suffrage universel direct en 1979. C’était il y a quarante ans et, depuis, le Parlement européen n’a cessé de jouer un rôle de plus en plus important dans l’équilibre institutionnel de l’Union européenne, suggérant une progression irrésistible de la démocratie européenne.
Pourtant, dans le même temps, la participation aux élections a connu une érosion progressive et systématique, pour atteindre des taux très faibles en 2009 et en 2014, respectivement 40,6 % et 42,4 %. La désaffection croissante des citoyens européens pour ces échéances électorales a atténué la portée de ces progrès démocratiques.
En conséquence, le Parlement européen est en quête constante de légitimité et de reconnaissance. Alors qu’il est l’un des plus transparents dans ses décisions, le sentiment d’opacité est total, parce que les débats qui s’y déroulent échappent trop souvent aux populations.
Il convient donc, à l’occasion de ces élections européennes, et sur la base des règles électorales en vigueur, de s’interroger sur ce désintérêt des citoyens. Trop souvent, nos concitoyens considèrent l’Europe comme illisible, obscure, éloignée, loin de leurs préoccupations du quotidien.
Dans cent jours à peine, les Européens iront voter dans un contexte différent des scrutins précédents. Les questions d’immigration, du Brexit et de cybersécurité changent fortement le rapport des citoyens à l’Union européenne.
Ces élections européennes doivent donc être, plus que jamais, une occasion de répondre à leurs attentes, qui sont fortes et nombreuses : les citoyens veulent une Europe qui les protège, une Europe sociale et solidaire, une Europe qui s’occupe des grands enjeux internationaux.
Ces élections doivent être un moment fort de nos démocraties européennes, un moment clé pour l’avenir de l’Europe et pour ses citoyens, un moment qui doit mobiliser élus, citoyens, médias. Elles doivent être une occasion de répondre aux attentes des citoyens et de démontrer toute la légitimité du Parlement européen.
Elles doivent être aussi l’occasion de dénoncer, comme vous le faites chaque jour, madame la ministre, les fake news qui envahissent les réseaux sociaux pour décrédibiliser l’Union européenne.
Si l’harmonisation de la procédure d’élection des députés peut être une réponse, elle ne saurait à l’évidence être suffisante pour faire face au déficit démocratique de l’Union. Il s’agit néanmoins d’un chantier utile pour renforcer l’unité du corps électoral européen.
Ainsi, après trois ans de négociations, les États membres et le Parlement européen sont parvenus à se mettre d’accord sur quelques critères énoncés dans la décision du 13 juillet 2018, sur laquelle nous nous prononçons aujourd’hui. Cette avancée est pour le moins modeste : les critères retenus changent assez peu la situation existante et sont, pour certains, non contraignants. Cela illustre aussi toute la difficulté de ces négociations, qui requièrent beaucoup de patience et de constance dans l’effort.
Mais cette décision, même modeste, montre aussi, et avant tout, une volonté d’avancer et de faire du Parlement européen le cœur de la démocratie européenne. Elle va dans le même sens que le rétablissement de la circonscription unique. Il s’agit de renforcer la lisibilité de ces élections et de permettre un véritable débat national.
Cette harmonisation de la procédure électorale dans les États membres, cette modernisation destinée à la fois à rendre cette procédure plus européenne, à renforcer la visibilité du Parlement européen et à renouer le lien entre l’électeur et le député européen, doit être saluée.
Mes chers collègues, madame la ministre, il nous revient de faire des élections européennes ce grand moment de vie démocratique dont l’Union a besoin, et de faire du Parlement européen le cœur battant d’un projet européen porté par les peuples.
Permettez-moi, pour conclure, de rendre hommage à celle qui fut la première présidente du Parlement européen, incarnation du courage et de la dignité, Européenne convaincue et dont l’image vient d’être honteusement vandalisée : Simone Veil.
M. Jean-Claude Requier. C’est vrai !
Mme Colette Mélot. Elle déclarait : « Se fixant de grandes ambitions, l’Europe pourra faire entendre sa voix et défendre des valeurs fortes : la paix, la défense des droits de l’homme, davantage de solidarité entre les riches et les pauvres. L’Europe, c’est le grand dessein du XXIe siècle. »
Soyons à la hauteur des paroles de Simone Veil et ne ratons pas le rendez-vous du 26 mai prochain ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui autorise l’approbation de la décision du Conseil de l’Union européenne modifiant l’acte électoral de 1976, lequel définit les grands principes d’organisation des élections européennes dans chaque État membre.
Disons-le d’emblée, l’impact de ces modifications techniques sur notre droit électoral et sur l’organisation des prochaines élections européennes dans notre pays sera pour ainsi dire nul.
Toutes les prescriptions formulées dans ce texte, qu’elles portent sur le seuil minimal pour l’attribution des sièges, sur les échanges d’informations avec les autres États membres, sur le délai de dépôt des candidatures ou sur les mesures à prendre contre la pratique du double vote, ont d’ores et déjà trouvé leur traduction dans le droit national. Quant aux autres dispositions, elles demeurent optionnelles et, à l’exception notable du recours au vote électronique pour les Français de l’étranger, elles sont déjà appliquées.
Dans ces conditions, le groupe Les Républicains ne voit pas de raison fondamentale de faire obstacle à ce projet de loi, qu’il votera donc.
Mais davantage que le contenu de ces propositions, ce sont les objectifs qui leur sont assignés qui retiennent l’attention. Selon l’exposé des motifs du projet de loi, c’est animés de la volonté de « redynamiser le projet européen » et de lutter contre « l’érosion progressive et systématique » de la participation aux élections européennes que les États membres ont entrepris l’élaboration de ce texte suggéré par le Parlement européen.
Au vu du contexte européen actuel, pour le moins tumultueux, de l’ampleur des défis auxquels l’Europe doit répondre, mais aussi de la désaffection croissante des citoyens pour le scrutin européen, ces objectifs apparaissent particulièrement pertinents. Il est toutefois très difficile d’imaginer, même avec la meilleure volonté du monde, que ces propositions permettront d’atteindre ces objectifs.
De manière plus pragmatique, il convient sans doute de se contenter avec ce texte de viser une finalité plus modeste, à savoir le renforcement des « principes communs qui régissent les élections au Parlement européen, afin d’en souligner le caractère européen ».
Il est en effet normal que les modalités d’organisation des élections européennes reflètent dans une certaine mesure le fait qu’il s’agit d’un scrutin à dimension continentale. À cet égard, je tiens à souligner le profond paradoxe qu’il y aurait à soutenir cette logique tout en accolant à ces élections la tenue d’un référendum. Dans une telle hypothèse, les enjeux européens ne pourraient que s’effacer derrière des enjeux nationaux de sortie de crise, ce qui serait une bien curieuse façon de souligner le caractère européen de la journée du 26 mai.
Pour autant, je n’estime pas que le renforcement des principes communs qui régissent les élections européennes doive nécessairement aller jusqu’à l’instauration de l’éventuelle « procédure uniforme dans tous les États membres » qui est mentionnée dans le traité.
Ériger cette notion en totem, comme le font certains, me semble à la fois vain et contre-productif. L’essentiel pour susciter l’adhésion des citoyens au projet européen ne réside absolument pas dans la standardisation de toutes les procédures électorales ou des jours de vote.
Et si des règles communes à tous les États membres sont évidemment essentielles, elles ne doivent pas conduire à ignorer les traditions, les particularités et les sensibilités nationales, auxquelles les citoyens se révèlent parfois très attachés.
Dans le domaine électoral comme dans les autres, l’Union européenne doit avant tout trouver la bonne distance et laisser aux démocraties nationales d’indispensables espaces de respiration. Évitons ce réflexe pavlovien qui consiste en matière européenne à confondre harmonisation et uniformisation.
Et si cela est vrai en termes de procédures, cela l’est évidemment encore plus en termes politiques. Je fais ici référence à l’une des propositions phares du Président de la République dans son discours de la Sorbonne, à savoir l’élection d’une partie des députés européens sur des listes transnationales.
Malgré le revers considérable subi au Parlement européen lors des discussions sur l’affectation des sièges bientôt laissés vacants par le Royaume-Uni, le Gouvernement laisse entendre dans l’exposé des motifs du projet de loi que ce projet serait la suite logique, voire « naturelle », du processus d’harmonisation des procédures électorales.
Je souhaite réaffirmer notre opposition à de telles listes, car elles reposent sur une illusion, celle qu’il existerait un peuple européen. En outre, imaginer, comme Guy Verhofstadt l’a soutenu l’année dernière, que des listes transnationales pourraient et même devraient contribuer à le faire advenir relève tout simplement de la billevesée ou de la pensée totémique.
Si les différents peuples qui composent l’Union européenne se sentent à l’évidence liés par une profonde communauté de destin – c’est d’ailleurs le sens même de la construction européenne–, ils ont avant tout pour cadre de référence la communauté nationale ou l’État-nation.
Qu’on le veuille ou non, c’est au sein de cet espace public national que doivent s’organiser la vie et le débat politiques. Il demeure le creuset de la légitimité et de l’exercice de la démocratie, et ce ne sont pas les grandes envolées lyriques aux accents fédéralistes sur la « souveraineté européenne » qui changeront quoi que ce soit à cet état de fait. C’est une réalité tenace que l’on ne veut pas voir.
À la différence d’une capacité d’action accrue des parlements nationaux dans le débat et le processus législatifs européens, par exemple via l’instauration d’un droit d’initiative, voire d’un droit de veto, les listes transnationales ne seront en aucun cas capables de rapprocher l’Europe des citoyens et d’apporter une réponse au déficit démocratique de l’Union européenne. Il y a là une chimère aux couleurs européennes.
Bien au contraire, de telles listes ne feraient que favoriser l’élection de députés européens « hors sol », et je dirais même « hors peuple », sans aucune prise avec les réalités du terrain ni aucun ancrage territorial, en d’autres termes, sans aucun lien avec les électeurs.
Mais peut-être s’agit-il là, après tout, du véritable projet recherché par le Gouvernement, puisque c’est exactement la voie qu’il a suivie au niveau national en imposant le recours à une circonscription unique. On attend avec impatience l’afflux électoral qu’on nous a promis le 26 mai prochain.
Il faut certes convenir que les huit circonscriptions interrégionales, trop étendues et ne correspondant à aucune réalité administrative, économique ou historique, étaient complètement vides de sens. Il faut aussi admettre que les députés européens élus dans ces conditions souffrent nécessairement d’un déficit démocratique et d’un déficit d’identification lié notamment à leur absence d’assise territoriale.
Toutefois, la conclusion logique qui s’imposait face à ce constat aurait dû être l’introduction de davantage de proximité, par exemple en redécoupant les circonscriptions pour les faire coïncider avec des délimitations territoriales et électorales cohérentes. On a finalement choisi de mettre en œuvre une politique de Gribouille, consistant, pour ne pas se mouiller, à se jeter à l’eau, en passant de circonscriptions interrégionales à une circonscription nationale, ce qui pose un problème d’identification.
On aurait pu aussi, dans l’idéal, élire nos députés européens au scrutin majoritaire dans 74, et bientôt 79 circonscriptions électorales. Certes, on nous oppose comme argument que l’acte électoral de 1976 impose un scrutin de type proportionnel – n’est-ce pas finalement le défaut originel de l’élection au Parlement européen ?
Ce serait pourtant, de loin, la meilleure solution si l’on considère que tout élu se doit d’être « à portée d’engueulade » de ses électeurs.
Au lieu de cela, le Gouvernement et sa majorité ont pris une direction diamétralement opposée. Nous voici donc revenus à la circonscription nationale, qui souffrira nécessairement des mêmes maux, en pire, que les circonscriptions interrégionales.
J’entends déjà les déplorations vertueuses, le soir du scrutin, où l’on s’interrogera doctement sur le niveau de participation.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, l’argument selon lequel cette réforme permettrait de réduire l’abstention n’est que pure fantaisie.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. François Bonhomme. Par ailleurs, en prétendant donner plus de visibilité à la campagne européenne, on ne fera finalement que renforcer le poids des états-majors et des organisations politiques dans ces élections, et l’on placera par conséquent les candidats sous leur contrôle, plutôt que sous celui des électeurs.
M. le président. Votre temps de parole est écoulé, mon cher collègue.
M. François Bonhomme. Pour resserrer le lien aujourd’hui distendu entre l’Europe et les Européens, il s’agira avant tout d’élaborer, de confronter puis de mettre en œuvre des projets politiques clairs et en prise avec les besoins et les aspirations profondes des électeurs. On peut toujours espérer ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si notre groupe n’avait pas demandé ce débat, la convention qui nous occupe ce matin aurait été adoptée par la procédure simplifiée dans l’indifférence générale.
Pourquoi un débat, me direz-vous, puisque la ratification de cette convention ne changera rien ? Elle réactualise celle de 1976, le Conseil européen l’a déjà adoptée et nous l’avons déjà transposée dans le droit français l’année dernière, en rétablissant notamment la circonscription unique nationale.
Rien de neuf sous le soleil, donc, mais c’est bien tout le problème !
Dans trois mois, nous allons voter pour une élection européenne qui pourrait avoir de très graves conséquences sur l’avenir des peuples et des nations. Et que fait-on pour que les citoyens de notre pays soient saisis sérieusement des enjeux de cette élection ? Absolument rien ! J’entends dire qu’il faut faire ceci ou cela, mais nous sommes à trois mois de l’élection.
Pourtant, ce n’est pas l’envie de débattre des Français qui fait défaut. J’entends parler d’indifférence, mais regardez ce qui se passe dans le grand débat national. Au demeurant, le débat de 2005 avait déjà montré l’intérêt des citoyens pour la question européenne.
Pourtant, ce ne sont pas les signaux d’alerte qui manquent sur la très grave crise de confiance démocratique qui existe, non pas entre les citoyens et l’Europe, mais entre les citoyens de toute l’Europe et les politiques libérales obstinément poursuivies par les principaux gouvernements européens. Ces signaux ne cessent de se multiplier, à commencer par la chute régulière de la participation à l’élection européenne.
L’Europe va au chaos, et tout continue comme avant. La question démocratique est au cœur de la crise politique que traverse notre pays, et au cœur de la crise politique que traverse toute l’Union européenne.
Depuis des années, les grandes décisions sont prises en tenant à l’écart les peuples, contre l’intérêt du plus grand nombre, au seul service des grands intérêts financiers. Les résultats politiques de ce très grave déficit démocratique sont catastrophiques, mais où en parle-t-on sérieusement ?
La France vient de rappeler son ambassadeur en Italie. C’est grave !
Le maire de Gdansk est assassiné dans un pays où le gouvernement attise la haine, s’attaque aux droits des femmes et à l’indépendance de la justice. C’est grave !
La démocratie est foulée aux pieds en Hongrie, où Viktor Orban vient de lancer sa campagne avec un discours qui réveille les échos des pires heures de l’Europe. C’est grave !
Les Britanniques ont quitté l’Europe et, à quelques semaines du Brexit, personne ne sait où l’on va. C’est grave !
L’émissaire européen de Donald Trump, Steve Bannon, a ouvert trois bureaux officiels à Bruxelles, Rome et Budapest pour coordonner la campagne des extrêmes droites européennes. C’est grave !
Mais où parle-t-on de cela sérieusement ? Les Français sont-ils saisis de ce débat ?
Dans notre pays, les mobilisations sociales et le grand débat national mettent en exergue sur tout le territoire le besoin de services publics. Tout le monde le remarque. Mais, à Bruxelles, pas moins de quatre paquets de déréglementation sont de nouveau en débat, sans que ni les Français ni le Parlement national en soient saisis sérieusement – la question n’est d’ailleurs pas posée dans les débats publics qui ont lieu en ce moment. Et pendant ce temps, on privatise ADP, Engie, les barrages hydrauliques, et l’industrie européenne est soumise à de folles logiques concurrentielles.
Oui, je le dis, il est fou de continuer comme cela, de ne pas débattre plus sérieusement de ces enjeux, de ne pas remettre au plus vite la souveraineté des décisions européennes entre les mains des citoyens, de ne pas saisir plus souvent et autrement le Parlement national de ces décisions qui engagent notre avenir.
En vérité, tout est fait une nouvelle fois pour brader le débat des élections européennes, pour l’expédier en quelques semaines sans permettre aux Français d’y intervenir réellement et consciemment, pour le caricaturer en le réduisant à un choix entre libéralisme et extrême droite, alors même que c’est ce choix tronqué qui conduit l’Europe au chaos.
En France, la loi votée en juin dernier en application de cette convention comporte un seuil de 5 % qui déformera la représentation proportionnelle nationale, de même qu’une organisation scandaleuse des temps de parole pour la campagne des élections européennes. Le pluralisme est honteusement bafoué dans cette loi, et il conduira à des temps de parole sans aucun rapport avec la réalité des opinions parmi les citoyens de notre pays. Le déni démocratique continuera ainsi comme avant, comme si de rien n’était.
Voilà pourquoi nous avons demandé ce débat, pour tirer une nouvelle fois la sonnette d’alarme, avant qu’il ne soit trop tard.
Stoppez le déni démocratique, organisez autrement l’élection européenne, en permettant un débat réellement populaire, dans lequel l’option d’une Europe sociale, démocratique et écologiste retrouve le droit de cité et le temps de parole auquel elle a plus que jamais droit.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Pierre Laurent. Il faut se réveiller, mes chers collègues. Il y a péril en la demeure. La souffrance sociale et démocratique des peuples européens nous prépare des heures sombres si rien ne change rapidement. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce texte n’est pas une révolution. D’ailleurs, le Gouvernement avait initialement proposé une approbation par voie simplifiée. Toutefois, grâce au groupe CRCE, nous pouvons débattre de ce sujet, et c’est heureux, parce qu’il ne faut jamais escamoter le débat européen, et c’est bien le risque indirect que fait peser aujourd’hui la concentration de notre attention sur le grand débat national.
Il ne faut pas non plus réduire le débat européen à des oppositions de façade entre des pseudo-populistes et des pseudo-progressistes, mais entrer véritablement dans le fond des sujets pour voir quels sont les enjeux majeurs de la construction européenne et savoir si les principaux acteurs doivent en être les États membres ou les citoyens.
Ce texte constitue l’aboutissement d’un travail lancé par la commission des affaires constitutionnelles du Parlement européen, à partir d’une proposition de Danuta Hübner et de Joe Leinen sur une évolution du mode d’élection du Parlement européen.
Le débat européen a tendance à escamoter le rôle du Parlement européen. Or il faut aussi connaître le rôle de ce Parlement et le travail qu’accomplissent nos parlementaires, toutes forces politiques confondues, pour faire évoluer, au service des citoyens, les règles européennes.
Il est dommage que, quelques mois avant les élections européennes, plutôt que de se pencher sur le travail accompli au Parlement européen, on recommence à débattre de ce que les États ne font pas.
Le Parlement européen reste en effet l’outil majeur de la démocratisation de l’Europe, même si une implication plus importante des parlements nationaux serait utile pour faire converger un certain nombre de politiques qui, sans relever de la compétence communautaire, permettraient de faire mieux fonctionner l’Union européenne.
Le fait que les critères démocratiques de Copenhague, au cours des dix dernières années, depuis la crise financière, se soient progressivement estompés au profit des critères de rigueur de Maastricht a profondément abîmé l’idée européenne, et c’est bien le risque majeur que nous affrontons aujourd’hui avant ces élections.
Que dire de cette proposition, sur le fond ?
Nous regrettons tout d’abord ce qui apparaît comme un recul du Gouvernement sur les Spitzenkandidaten, qui avaient été choisis en 2014 par les partis européens au moment des élections européennes en vue d’engager un débat sur le choix du président de la Commission européenne. Il semblerait que les gouvernements, mais aussi les partis européens, ne croient plus en cette procédure, qui était pourtant essentielle pour faire émerger un débat au niveau européen.
Nous saluons en revanche l’affirmation selon laquelle les parlementaires européens sont des représentants des citoyens de l’Union, et non des représentants des États dont ils sont issus.
Malheureusement, aucune évolution n’a pu intervenir sur les listes transnationales, mais je voudrais, sur ce point, rappeler la résolution du Sénat de 2016, qui proposait de créer une circonscription commune pour les citoyens de l’Union résidant dans un pays tiers, afin d’assurer à ceux-ci, de manière systématique et égale, le droit à une représentation au Parlement européen. Si la liste transnationale globale n’est pas possible, tentons au moins, pour 2024, selon les termes de cette résolution européenne du Sénat, de la constituer pour les Européens vivant hors de l’Union européenne.
Je regrette également le seuil nécessaire pour être représenté au Parlement européen. Pour avoir travaillé sur ces textes en 2015 et 2016, j’avais été surpris de voir que ce taux avait été instauré à la demande de l’Allemagne. Nos voisins pensaient à l’époque que, en instaurant un seuil minimum de représentation au Parlement européen, ils pourraient constitutionnellement en fixer un également pour leurs élections législatives et que cela suffirait à se prémunir contre la progression de l’AfD. Ce fut une erreur majeure, qui montre à quel point nous n’avons probablement pas encore pris la mesure de la crise politique qui peut survenir en Europe.
Enfin, en tant que représentant des Français de l’étranger, je salue le fait que cette décision incite l’ensemble des États membres à mettre en place des procédures permettant de représenter leurs citoyens qui vivent hors de leurs frontières. Toutefois, si les Européens peuvent voter là où ils vivent dans l’Union européenne, il serait logique que, lorsqu’ils vivent hors de l’Union, ils puissent voter ensemble pour une représentation spécifique.
Je voudrais aussi, madame la ministre, vous poser une question sur les manières de lutter contre les doubles votes. Nous avons l’expérience des dernières élections, il existe des échanges d’informations, mais il ne faudrait pas que des citoyens soient rayés des listes électorales consulaires, et donc privés de vote, au motif qu’ils se sont inscrits pour une élection municipale il y a dix ans dans leur pays de résidence. Nous avons connu de tels cas il y a cinq ans, et il est absolument indispensable de mettre en place un droit de recours pour que la lutte contre les doubles votes ne se traduise pas par l’impossibilité pour certains de voter.
Pour conclure, le groupe socialiste et républicain soutiendra l’approbation de cette décision. Elle constitue une petite avancée, même si le texte qui nous permettra de transformer cette communauté de destin qu’est l’Union européenne en une réelle communauté de desseins, contrôlés et orientés par l’ensemble des citoyens, est encore loin. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’initiative de nos collègues du groupe CRCE me semble parfaitement fondée : il est judicieux de débattre en séance plénière de ce sujet, et c’est aussi l’occasion de montrer que la réforme du règlement du Sénat, adoptée à une large majorité, permet d’assurer une bonne respiration entre, d’un côté, la législation en commission s’il existe un consensus entre les groupes et, de l’autre, le débat en séance publique si l’un des groupes le souhaite. Le système fonctionne bien.
Nous devons en réalité, à travers ce texte, confirmer le cadre commun européen qui s’applique pour l’élection des membres du Parlement européen.
Il est important de souligner que ces principes communs expriment la situation actuelle de l’Union européenne, c’est-à-dire celle d’une construction unifiée partielle.
Nous restons en effet des États souverains. Notre souveraineté est mise en commun par des décisions qui nous engagent majoritairement, mais seulement lorsque nous y avons consenti par traité – je vous renvoie, par exemple, mes chers collègues, au vieux sujet de l’unanimité en matière fiscale.
Le cadre qui fixe les conditions de l’élection du Parlement européen est donc contenu dans un succédané de traité, à savoir un accord entre les chefs d’État et de gouvernement, qui requiert l’unanimité des États membres.
Tout à l’heure, M. Masson a soulevé la question de la différenciation démographique de la représentation. Il convient de se souvenir que nous n’avons qu’une assemblée européenne, et non pas deux, comme aux États-Unis. Les députés au Parlement européen représentent donc à la fois leur entité nationale et des citoyens considérés individuellement.
Si nous avions une représentation purement démographique, les petits États disparaîtraient quasiment du Parlement européen. Ce ne serait même plus une construction fédérale, mais une construction totalement unitaire.
La prise en compte de la démographie se traduit par un système à étages : la proportionnalité démographique s’applique entre États de taille comparable, mais il est également nécessaire que des députés représentent de façon significative Malte, le Luxembourg ou Chypre, qui n’auraient qu’un seul député sur le seul critère du nombre d’habitants.
Dans ces principes communs figure également la proportionnelle. Je fais observer à M. Bonhomme, qui a exprimé des critiques à l’égard de ce mode de scrutin, que la famille politique au nom de laquelle il s’est exprimé n’a, dans mon souvenir, au cours des quarante dernières années, jamais demandé la fin de la proportionnelle pour les élections européennes. Je crois aussi devoir lui rappeler que cette même famille politique a été politiquement majoritaire au sein des institutions européennes environ les trois quarts du temps au cours des quarante dernières années… (Sourires.)
Le Parlement européen est donc nécessairement une instance qui comprend une grande diversité d’opinions politiques et dans lequel il faut construire des majorités et des coalitions, ce qui n’est pas dans notre tradition française. Mieux vaut en avoir conscience.
Au demeurant, l’observation faite par nos collègues communistes est juste : dans la marge des principes communs fixés par le traité, la France a choisi systématiquement la moindre interprétation de la proportionnelle, en retenant le seuil le plus élevé de 5 %, conformément à l’expression de notre préférence majoritaire.
La France – cette idée semble également fortement soutenue par le peuple français – souhaite disposer de majorités claires et de choix politiques clivés. Nous sommes tenus d’appliquer la proportionnelle, mais nous l’appliquons au niveau minimum, en retenant le seuil le plus élevé et, bien entendu, en évitant la possibilité de choix individuel des élus.
Lorsque nous avons adopté le nouveau système, au printemps dernier, les familles politiques représentées dans cet hémicycle étaient toujours unanimes dans leur refus du vote préférentiel. Il existe donc un certain consensus entre nous pour dire que ce sont les partis qui, par cohérence, au niveau national, doivent appliquer la proportionnelle minimale et choisir les candidats.
Enfin, ce texte prévoit la possibilité de mentionner l’affiliation d’une liste à une fédération de partis européens. C’est utile pour le choix des électeurs dont les partis de préférence appartiennent à une fédération – PPE, PSE, Alliance des libéraux… Dans le même temps, nous respectons la liberté des électeurs, dont certains peuvent choisir de soutenir des partis qui n’ont pas, aujourd’hui, de rattachement européen et qui auront l’entière liberté de participer ou non à la construction d’une coalition majoritaire.
Le débat que nous avons conclu au mois de juin nous permet de nous inscrire dans un respect complet des principes européens. Nous n’avons donc aucune adaptation à prévoir. Il faudra juste régler, dans quelques semaines, la question du nombre de sièges dont disposera la France.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Alain Richard. Nous devrions passer de 74 à 79 sièges après la nouvelle répartition des anciens sièges britanniques, mais il est préférable, bien sûr, d’attendre la fin du feuilleton du Brexit.
Il nous faudra d’ailleurs en débattre dans cette élection européenne, car le drame qui se joue à Londres aujourd’hui et les difficultés auxquelles devra faire face le Royaume-Uni font figure d’ultime rappel de l’utilité de la construction européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Mme Colette Mélot et M. Jean-Yves Leconte applaudissent également.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l’article unique.
projet de loi autorisant l’approbation de la décision (ue, euratom) 2018/994 du conseil du 13 juillet 2018 modifiant l’acte portant élection des membres du parlement européen au suffrage universel direct, annexé à la décision 76/787/ceca, cee, euratom du conseil du 20 septembre 1976
Article unique
Est autorisée l’approbation de la décision (UE, Euratom) 2018/994 du Conseil du 13 juillet 2018 modifiant l’acte portant élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct, annexé à la décision 76/787/CECA, CEE, Euratom du Conseil du 20 septembre 1976, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Avant de mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.
M. Jean Louis Masson. Je ne vous surprendrai pas, mes chers collègues, en vous indiquant que je voterai contre ce texte, mais je tiens à réaffirmer mon opposition aux modalités d’organisation de ce scrutin.
J’ai entendu les remarques très pertinentes de notre collègue Alain Richard, mais il me semble normal qu’un État très petit ait moins de députés qu’un État très grand. Nul besoin, me semble-t-il, de prévoir des compensations au-delà du raisonnable.
En France, on considère qu’un écart démographique de 20 % est acceptable, mais dans le cas du Parlement européen, l’écart est de 1 100 % ! Ce n’est pas un peu plus, c’est infiniment plus ! On ne peut plus parler alors de proportionnelle dégressive, il ne reste plus que la dégressivité !
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix l’article unique.
Je vous rappelle que le vote sur l’article unique vaudra vote sur l’ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté définitivement.)
5
Délai d’intervention du juge des libertés et de la détention en rétention administrative à Mayotte
Discussion en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative au délai d’intervention du juge des libertés et de la détention en rétention administrative à Mayotte (proposition n° 277, texte de la commission n° 291, rapport n° 290).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs, répondre à la situation migratoire à Mayotte est un impératif.
C’est un impératif pour tous les Mahorais, qui connaissent mieux que tous les réalités d’une pression migratoire intense.
C’est un impératif pour tous ceux qui tentent de rejoindre la France à Mayotte, que nous devons peut-être éloigner, mais envers qui nous avons un devoir de dignité.
C’est un impératif, enfin, pour la République qui ne peut pas abandonner un de ses territoires, qui ne peut pas laisser courir le risque d’une sécurité menacée et de services publics embourbés.
La réalité de la situation à Mayotte, c’est d’abord un chiffre : plus de 16 000 étrangers en situation irrégulière et que nous éloignons chaque année. Mayotte, c’est 260 000 personnes. Nous éloignons donc tous les ans l’équivalent de plus de 6 % de la population de Mayotte.
À l’inverse, on peut imaginer ce que représenteraient une machine grippée et des services qui ne pourraient plus suivre. Nous ne pourrions plus procéder à ces éloignements et la population mahoraise augmenterait chaque année en conséquence. Ce serait faire le lit de la misère, des tensions et de l’insécurité.
Je le sais d’autant plus que nous avons été confrontés à cette situation pendant plusieurs mois en 2018, du fait de la suspension des réadmissions par les Comores de mars à novembre. Nous avons repris les éloignements depuis le mois de décembre à un rythme très soutenu, à raison de plus de 2 000 éloignements par mois.
Cette situation, c’est celle que provoquerait l’application stricte de la loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie. Il y a donc urgence à légiférer. Il fallait agir vite, vous l’avez compris. Le Gouvernement et le Parlement ont donc travaillé pour agir en ce sens.
Monsieur le président de la commission des lois, cher Philippe Bas, vous avez permis que ce texte soit examiné dans les meilleures conditions et permis un dialogue constructif avec tous les groupes et le Gouvernement.
Monsieur le rapporteur, cher Thani Mohamed Soilihi, vous vous êtes emparé de ce texte en amont, vous avez mené vos auditions en même temps que celles de la rapporteure à l’Assemblée nationale. Vous lui avez soumis un amendement qui est le fruit de votre travail et qui a été adopté par les députés. Vous permettez, en travaillant ainsi, qu’une réponse dans les temps, et adaptée pour Mayotte, soit ici proposée. Je voulais aussi vous en remercier.
Je voulais enfin, plus largement, vous remercier pour le travail accompli afin de permettre l’examen de ce texte, pour répondre à l’urgence à laquelle font face les Mahorais.
Durant la navette parlementaire du projet de la loi pour une immigration maîtrisée, le régime dérogatoire pour Mayotte en termes de saisine du juge des libertés et de la détention avait été supprimé. C’était pourtant bel et bien une erreur qui s’était glissée dans le texte, car ce choix ne correspondait à la volonté ni de l’Assemblée nationale ni du Sénat.
Le texte que nous examinons propose le rétablissement à Mayotte du délai de cinq jours pour la première saisine du juge des libertés et de la détention.
C’est, j’en suis convaincu, une mesure nécessaire pour maintenir un bon cadre juridique, solide et efficace, afin de permettre l’éloignement des étrangers en situation irrégulière qui tentent de s’établir à Mayotte.
En métropole, le juge des libertés et de la détention est saisi par principe pour la première fois, dans un délai de quarante-huit heures après le placement en rétention. C’est un délai suffisamment bref pour garantir les droits de chacun, mais un délai suffisamment long, aussi, pour permettre de procéder à toutes les vérifications utiles et de prendre les mesures nécessaires. Ce délai de quarante-huit heures est à la fois juste, efficace et adapté pour la métropole.
À Mayotte, les choses sont différentes.
Mayotte est un archipel de l’océan Indien. Il se trouve non loin des côtes d’îles voisines, notamment de l’île comorienne d’Anjouan, et l’afflux de migrants, principalement venus des Comores, y est à la fois intense et constant. Mayotte, c’est donc une pression migratoire massive et permanente. Un chiffre pour l’illustrer : on estime que 48 % de la population présente à Mayotte est étrangère, et la moitié serait en situation irrégulière.
Si nous appliquions le délai de quarante-huit heures, les conséquences seraient immédiates et probablement dévastatrices pour tous les services mahorais. Pour vous en convaincre, on peut imaginer simplement les conséquences d’un tel scénario.
En réduisant de cinq jours à deux jours le délai de saisine, les juridictions devraient absorber dans un temps beaucoup plus contraint un nombre toujours aussi important de saisines. Pour suivre, il faudrait donc augmenter considérablement le nombre de personnels administratifs dans les juridictions et parmi les forces de l’ordre. L’impossibilité de traiter les demandes dans les délais conduirait immanquablement à mettre fin à la détention des intéressés.
Le nombre d’escortes entre le centre de rétention administrative à Petite-Terre et le tribunal de grande instance, à Grande-Terre, c’est-à-dire sur une île différente, exploserait. Il faudrait donc une mobilisation permanente des forces de l’ordre pour escorter les retenus et une mobilisation permanente des personnels de préfecture chargés d’assurer le lien avec le greffe du juge des libertés et de la détention. Cela se ferait au détriment d’autres missions, au premier rang desquelles la lutte contre l’immigration clandestine.
Ce n’est pas tout. Les conséquences sur le fonctionnement global de la justice à Mayotte, et donc sur la sécurité des Mahorais, seraient immédiates.
Les personnels des juridictions et les juges des libertés et de la détention, les JLD, submergés par les demandes à traiter en quarante-huit heures, et déjà très fortement sollicités, ne pourraient plus se consacrer à d’autres missions.
Je pourrais continuer, évoquer les conséquences sur les autres services publics, sur l’accès à la santé, aux ressources. Je pourrais aussi évoquer le signal très néfaste qui serait envoyé.
Pour dire les choses en quelques mots, conserver cette mesure, c’est créer nous-mêmes l’embolie de la justice et de la sécurité à Mayotte.
Alors, soyons pragmatiques et donnons à nos services publics les moyens d’accomplir leurs missions dans des conditions adaptées aux réalités locales.
Le délai de cinq jours que nous examinons, lui, est parfaitement adapté à la réalité de la situation à Mayotte. Il est proportionné et ne réduit pas les libertés fondamentales des étrangers, qui peuvent toujours saisir le juge des libertés et de la détention et faire valoir leurs droits. Il ne réduit pas leurs droits en rétention et ne touche pas non plus la faculté du juge de procéder au contrôle de la mesure de placement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la situation sécuritaire et migratoire à Mayotte est entre vos mains. Le 1er mars, en l’absence de vote dans les délais, le scénario catastrophe que j’ai dessiné pourrait devenir réalité. Nous pourrions rompre un équilibre en noyant sous les dossiers des services qui travaillent pourtant déjà d’arrache-pied et accomplissent, je le sais, un travail remarquable.
Je sais que personne sur ces travées ne le souhaite et je peux vous garantir qu’il en est de même au Gouvernement. Cette proposition de loi permet de garantir à Mayotte un dispositif adapté ; saisissons donc cette occasion ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, nous sommes appelés à examiner la proposition de loi relative au délai d’intervention du juge des libertés et de la détention en rétention administrative à Mayotte, adoptée par l’Assemblée nationale le 29 janvier 2019, après engagement de la procédure accélérée.
L’objet de ce texte est technique et très circonscrit. Je n’y reviendrai pas longuement, car M. le secrétaire d’État nous l’a déjà exposé : il porte sur le régime procédural de la rétention administrative à Mayotte, et il vise à corriger une erreur de coordination commise par l’Assemblée nationale lors de l’examen, en nouvelle lecture, du projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie.
Cette erreur doit être corrigée rapidement, avant le 1er mars, faute de quoi il y aura des conséquences néfastes pour l’efficacité des services en charge, à Mayotte, de l’éloignement des étrangers en situation irrégulière, auxquels je veux ici rendre hommage.
À Mayotte, le JLD dispose en effet d’un délai maximal de cinq jours pour contrôler une mesure de placement en rétention, sur l’initiative du retenu, ou pour autoriser sa prolongation, à la demande du préfet, par dérogation au délai de quarante-huit heures applicable sur le reste du territoire.
La proposition de loi qui vous est soumise vise donc simplement à conserver l’état du droit actuel à Mayotte, en y maintenant le délai dérogatoire un peu plus long dont dispose le JLD pour intervenir.
Ce délai spécifique à Mayotte existe dans notre droit depuis 2017, et peut-être n’est-il pas inutile de rafraîchir les mémoires sur son origine. C’est sous le précédent gouvernement socialiste qu’il a été introduit, grâce à deux de nos collègues députés mahorais, à l’époque dans la majorité, soutenus par le rapporteur Victorin Lurel, et avec l’avis favorable de la ministre des outre-mer, Ericka Bareigts.
De portée limitée, cette adaptation législative est parfaitement conforme à la Constitution, puisqu’elle permet de tenir compte des « caractéristiques et contraintes particulières » de Mayotte, comme le prévoit l’article 73 de notre texte fondamental.
Vous connaissez en effet tous le contexte particulièrement difficile dans lequel s’inscrit la lutte contre l’immigration clandestine à Mayotte. L’île subit depuis des années une pression migratoire exceptionnelle. La mission d’information menée en 2012 par MM. Jean-Pierre Sueur, Christian Cointat et Félix Desplan sur la mise en place de la départementalisation en faisait déjà le constat.
Cette pression migratoire tient d’abord à l’attractivité économique propre du territoire – comme beaucoup de collectivités d’outre-mer, Mayotte a un niveau de vie moyen plus élevé que ses voisins –, mais il faut aussi prendre en compte le contexte géopolitique particulier et les liens historiques existant entre les îles de l’archipel des Comores.
Les chiffres sont éloquents : selon les premiers résultats du recensement de la population de 2017, près de 48 % de la population de Mayotte est de nationalité étrangère, ce qui constitue de loin la part la plus élevée de tous les départements français. On estime, en outre, qu’au moins la moitié des étrangers non natifs de Mayotte se trouvent en situation irrégulière. Ainsi, alors que l’île compte 256 000 habitants, le nombre d’étrangers en situation irrégulière oscillerait entre 60 000 et 75 000 individus.
Les migrants, pour la quasi-totalité Comoriens venant des autres îles de l’archipel, effectuent leur voyage vers Mayotte grâce à des barques de fortune, les kwassa-kwassa, dans des conditions déplorables d’hygiène et de sécurité.
Cet afflux constant de personnes en situation irrégulière contribue à désorganiser les services publics mahorais. Ai-je besoin de rappeler la situation de la maternité de Mamoudzou, qui doit accueillir près de 10 000 nouveau-nés chaque année ?
Mayotte connaît ainsi une densité de population exceptionnelle, une urbanisation incontrôlée, la prolifération de l’habitat insalubre, et le développement de véritables filières d’immigration et de travail clandestins, aux dépens du développement socio-économique de l’île.
Enfin, avec environ 20 000 reconduites à la frontière effectuées depuis Mayotte chaque année, ce qui représente près de la moitié des reconduites effectuées depuis l’ensemble du territoire national, et, en moyenne, 50 éloignements par jour, juridictions, associations, forces de police et services préfectoraux sont très fortement sollicités.
Le maintien d’une disposition dérogatoire de portée limitée et purement procédurale à Mayotte répond ainsi à d’impérieuses nécessités opérationnelles.
Dans un contexte de relations difficiles avec les autorités de l’Union des Comores, vers laquelle est reconduite la quasi-totalité des retenus en situation irrégulière, les éloignements doivent souvent être interrompus ou déplanifiés pendant quelques heures, voire plusieurs jours, incidents que le délai dérogatoire de cinq jours permet aujourd’hui d’absorber.
La configuration géographique particulière de l’archipel de Mayotte doit également être prise en compte. Il n’est pas possible de multiplier les escortes entre le centre de rétention administrative de Pamandzi, situé à Petite-Terre, et le tribunal de grande instance, situé, lui, à Grande-Terre, sans détourner les forces de police de leurs missions.
Enfin, ce texte ne modifie pas les garanties matérielles ou juridiques offertes aux étrangers retenus. Le centre de rétention administrative de Pamandzi, qui a ouvert en septembre 2015, leur offre des conditions sanitaires, de sécurité et d’accompagnement pleinement satisfaisantes, bien supérieures, même, à celles constatées habituellement sur l’île, comme le reconnaissent d’ailleurs, dans leurs récentes observations, les délégués du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
L’adoption de ce texte technique est donc nécessaire – j’espère que nous le voterons tout à l’heure, mes chers collègues –, mais, en matière de lutte contre l’immigration irrégulière, ce sont surtout des moyens et des mesures concrètes que les Mahorais attendent aujourd’hui.
Je me félicite de ce que l’État ait récemment consenti des efforts importants dans la lutte contre l’immigration irrégulière dans notre département : des moyens techniques, tels que radars et vedettes, ont été débloqués pour l’interception des embarcations clandestines ; des renforts humains ont été déployés pour lutter contre les filières d’immigration clandestine et s’attaquer aux ressorts économiques et financiers du phénomène.
Sur place, nous constatons que ces efforts commencent enfin à payer. Pour preuve, avec près de 2 400 éloignements réalisés au mois de décembre 2018, les forces de police ont retrouvé des niveaux d’efficacité inconnus depuis 2016. Il faut donc évidemment saluer ces avancées et le changement dans l’ampleur des moyens consacrés à ce problème.
Cependant, je tiens aussi à insister sur le fait qu’il ne s’agit, pour l’essentiel, que d’un rattrapage, sur la base d’une situation extrêmement dégradée, qui a longtemps donné aux Mahorais le sentiment d’être abandonnés par l’État.
Ces efforts méritent donc d’être non seulement poursuivis, mais amplifiés dans toutes leurs dimensions : les équipements et les renforts d’effectifs ne sont souvent pas assez nombreux, et ils restent encore sous-dimensionnés par rapport aux objectifs ambitieux affichés.
Des moyens supplémentaires devraient être alloués à la lutte contre l’habitat et le travail illégaux, qui alimentent de véritables filières.
Je n’oublie évidemment pas que la recherche d’une solution durable au problème passe aussi par la poursuite de la coopération diplomatique avec l’Union des Comores, pour favoriser le développement économique de toute la région et mieux dissuader ainsi les candidats au départ.
Je souhaiterais aussi que les dispositions adaptant les conditions d’acquisition de la nationalité française à la situation migratoire particulière de Mayotte, introduites par le Sénat sur mon initiative dans la loi du 10 septembre 2018, soient accompagnées sur place de plus larges campagnes d’information.
Je veux saluer, pour conclure, l’attitude constructive et pleinement respectueuse du rôle du Sénat qui a présidé aux échanges que j’ai eus avec le Gouvernement et avec mon homologue rapporteure de l’Assemblée nationale, Ramlati Ali.
Nous avons ainsi, de notre commune initiative, modifié le texte initial par un amendement, adopté à l’Assemblée nationale, pour permettre au Parlement de disposer d’une information plus exhaustive sur les chiffres de l’immigration dans les outre-mer et à Mayotte, en particulier. Il s’agissait d’une demande récurrente, que je portais depuis de nombreuses années, et qui avait reçu l’appui du rapporteur, notre collègue François-Noël Buffet, lors de la discussion du projet de loi Immigration, asile, intégration.
Je me réjouis de la qualité des discussions en commission sur ce texte. Je le sais, il en sera de même aujourd’hui en séance publique.
Je souhaite enfin remercier M. Philippe Bas, président de la commission, de la confiance qu’il m’a témoignée pour conduire ce rapport. Il l’a fait, j’en suis convaincu, dans l’intérêt supérieur de la population mahoraise.
Au bénéfice de ces observations, votre commission des lois recommande au Sénat une adoption conforme de ce texte utile et urgent. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et certaines travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. Une motion tendant à opposer la question préalable a été déposée par M. Jean-Louis Masson.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. La commission n’ayant pas pu examiner cette motion, je vous demande donc de permettre qu’elle se réunisse très brièvement à la faveur d’une suspension de séance de quelques minutes.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quinze, est reprise à douze heures vingt.)
M. le président. La séance est reprise.
6
Mise au point au sujet d’un vote
M. le président. La parole est à Mme Gisèle Jourda.
Mme Gisèle Jourda. Monsieur le président, je souhaiterais être inscrite comme n’ayant pas pris part au vote lors du scrutin public n° 55 sur l’ensemble du projet de loi organique relatif au renforcement de l’organisation des juridictions.
M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
7
Délai d’intervention du juge des libertés et de la détention en rétention administrative à Mayotte
Suite de la discussion en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. Nous reprenons la discussion, en procédure accélérée, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative au délai d’intervention du juge des libertés et de la détention en rétention administrative à Mayotte.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par M. Masson, d’une motion n° 24.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi relative au délai d’intervention du juge des libertés et de la détention en rétention administrative à Mayotte (n° 291, 2018-2019).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la motion.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, si j’ai déposé cette motion, c’est en fait pour deux raisons.
La première est une raison de forme. Le Sénat avait voté un texte. L’Assemblée nationale, considérant que ce texte ne convenait pas, qu’il n’était pas pertinent, a voté, je ne dirai pas n’importe quoi, mais de manière totalement inconsidérée. Elle s’est rendu compte que ce qu’elle avait voté n’était pas bon. La logique aurait voulu que l’Assemblée nationale, reconnaissant son erreur, reprenne le texte du Sénat, ce qui n’est pas le cas.
Cela étant, en cohérence, il conviendrait que le Sénat ne change pas son avis sur un texte qu’il a voté voilà quatre ou cinq mois, et sur lequel il était en désaccord avec l’Assemblée nationale. Je ne vois pas pourquoi il en irait différemment.
Pourtant, pour diverses raisons, dont certaines sont tout à fait légitimes et compréhensibles, le Sénat s’aligne sur la nouvelle version proposée par l’Assemblée nationale. Nous avions notre propre logique ; il n’y a pas de raison d’en changer, quelles qu’en soient les conséquences. Je le répète, car on ne le dit pas assez, c’est l’Assemblée nationale qui a fait une erreur, donc nous n’avons pas à nous déjuger.
La seconde raison tient à la fois à la forme et au fond. J’en ai déjà parlé en commission ou en séance, sous forme d’un rappel au règlement. Il s’agit de l’application, que je trouve excessive, de l’article 45 de la Constitution. En effet, aux termes de cet article et de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui en a découlé, il n’est pas permis de présenter des amendements sans rapport avec le texte en discussion.
Soyons clairs : je ne remets pas en cause la position du Conseil constitutionnel ni son interprétation de l’article 45. À la limite, je dirai qu’il a tout à fait raison de considérer que, si un amendement n’a aucun rapport avec le texte, il faut le rejeter.
Quand je soulève ce problème, on me renvoie toujours au Conseil constitutionnel, alors que, je le répète, je ne le mets absolument pas en cause. Ce que je critique, c’est l’interprétation de l’existence d’un lien avec le texte en discussion qui est retenue en l’espèce. La proposition de loi que nous examinons vise à rectifier une erreur concernant Mayotte dans la loi que nous avons votée voilà trois ou quatre mois. Selon moi, tout amendement qui concerne le même sujet, c’est-à-dire qui a pour objet de redimensionner des articles de ladite loi, concernant Mayotte et concernant l’immigration, n’a pas à être déclaré irrecevable au titre de l’article 45. Je ne vois pas pourquoi on décide tout d’un coup qu’un amendement qui concerne la même loi que celle qui est visée par la proposition de loi que nous examinons, qui concerne le même sujet, à savoir l’immigration, qui concerne le même département d’outre-mer, c’est-à-dire Mayotte, n’a rien à voir avec le texte à l’ordre du jour. C’est là qu’est le problème, et non pas au niveau de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, que j’admets parfaitement. Le problème, c’est l’interprétation de l’existence d’une connexité avec le texte que retient la commission des lois pour rejeter des amendements qui ne plaisent pas.
Malheureusement, on me renvoie toujours au Conseil constitutionnel en guise de réponse, mais, je le répète, je suis d’accord avec lui. Ce qui me gêne, c’est que l’on s’en serve pour évincer des amendements.
Comme je suis non inscrit, je suis souvent très seul quand j’interviens dans cette enceinte pour défendre mes idées, mais je puis vous dire qu’en commission des lois plusieurs membres de divers groupes politiques ont soulevé le problème. Je ne suis pas le seul. Aussi, il serait bon que l’on définisse ce que l’on entend par connexité d’un amendement avec le texte en cours d’examen.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. L’avis, évidemment, est défavorable.
À écouter M. Masson, je me demande si nous parlons bien du même texte. Effectivement, une erreur a été commise au niveau de l’Assemblée nationale. Je l’ai dit, et tout le monde est d’accord sur ce constat. Pour corriger cette erreur, une proposition de loi a été préparée et adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale. C’est pour la voter à notre tour que nous sommes là aujourd’hui.
Il ne s’agit absolument pas pour le Sénat de revenir sur notre position, qui reste la même. Je le répète, c’est par erreur que l’Assemblée nationale a annulé une disposition que nous avions votée sur le délai de rétention.
Monsieur Masson, vous en profitez pour revenir sur l’irrecevabilité qui a été prononcée à l’encontre de plusieurs amendements en commission au titre de l’article 45 de la Constitution. Ce n’est pas moi qui ai inventé cet article, mais il faut bien que nous respections ce texte et la jurisprudence de la Cour de cassation qui va avec.
Si nous ne sommes pas d’accord avec cette lecture de la Cour de cassation, profitons de la réforme constitutionnelle à venir pour imposer la lecture de l’article 45 que nous souhaitons.
Je rappelle aussi au souvenir de notre assemblée qu’un groupe de réflexion, sous l’autorité de nos éminents collègues Roger Karoutchi et Alain Richard, a été désigné en 2015, précisément pour réfléchir sur un certain nombre de nos pratiques. La recommandation 35, notamment, évoquait la nécessité de « renforcer le contrôle des irrecevabilités de nature constitutionnelle en vue d’un meilleur contrôle des cavaliers législatifs et d’un meilleur respect de la règle de l’entonnoir ». C’est à partir de ces recommandations que nous avons vu changer un peu nos pratiques. En tout état de cause, nous ne sommes pas ici pour parler de l’irrecevabilité qui a été opposée à ces amendements. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 24, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.
(La motion n’est pas adoptée.)
Discussion générale (suite)
M. Jean Louis Masson. Ça tombe bien, parce que je vais pouvoir répondre au rapporteur.
C’est un véritable dialogue de sourds ! J’ai bien dit que je ne mettais pas en cause la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Je remarque au passage que notre rapporteur a parlé de la Cour de cassation, je n’ai pas bien compris à quelle décision il faisait allusion.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. C’était un lapsus !
M. Jean Louis Masson. En tout cas, je n’ai pas du tout mis en cause une décision ou une jurisprudence du Conseil constitutionnel, et je ne dis pas qu’il faut changer l’article 45 de la Constitution. Ce que je dis, c’est que, quand on examine le rapport qui existe ou non entre un amendement et un texte en discussion, on ne devrait pas utiliser cette notion de manière totalement abusive. C’est ça qui me choque profondément, d’autant que, lorsque nos amendements sont ainsi repoussés, on ne dispose d’aucun recours, ce qui n’est tout de même pas normal pour le bon déroulement du débat démocratique.
Je voudrais ajouter un point qui mérite à mon sens d’être souligné. Parmi les collègues qui ont rejeté ma question préalable, certains avaient indiqué en commission des lois que ce n’était pas normal de rejeter abusivement plusieurs de leurs amendements en vertu de l’article 45 de la Constitution, si bien que je ne comprends pas la position qu’ils adoptent aujourd’hui. On ne peut pas dire en commission que les choses ne se passent pas correctement et avoir une attitude inverse en séance publique, en votant contre la motion que j’ai déposée. Les groupes politiques ayant manifestement décidé qu’il fallait rejeter cette motion, une forme d’enthousiasme saisit tout le monde, ce qui donne l’impression que tout va bien !
Je le répète, la procédure législative pose un véritable problème. Étant non inscrit, je n’ai pas la possibilité de recueillir les soixante signatures qui me permettraient de saisir le Conseil constitutionnel. Or, pour l’instant, il n’existe aucune jurisprudence du Conseil sur ce sujet. C’est pourquoi il serait intéressant que le président du Sénat ou un groupe politique le saisisse afin de clarifier les choses et de savoir si une décision de rejet d’un amendement au titre de l’article 45 est abusive ou légitime.
M. le président. La parole est à Mme Lana Tetuanui. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. Guillaume Arnell applaudit également.)
Mme Lana Tetuanui. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, bonjour !
Après les îles de la Polynésie et l’océan Pacifique hier après-midi, nous sommes réunis ce matin pour évoquer une autre île, Mayotte, et un autre océan, l’océan Indien. Cette semaine, l’ordre du jour de la Haute Assemblée nous fait voyager !
Plus sérieusement, seulement six mois après sa promulgation, le Parlement doit se pencher sur la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie. Cela a été rappelé par notre rapporteur : au cours de la navette parlementaire sur ce texte, une erreur de coordination a été commise par l’Assemblée nationale lors de l’examen en nouvelle lecture. Une erreur légistique aux conséquences très concrètes pour le 101e département français !
Sans action du législateur avant le 1er mars prochain, c’est-à-dire dans à peine quinze jours, le délai maximal d’intervention du juge des libertés et de la détention pour contrôler les mesures de placement en rétention administrative et autoriser leur prolongation repasserait de cinq jours à deux jours. Autrement dit, la dérogation applicable à Mayotte pour l’intervention du JLD en matière de droit des étrangers disparaîtrait au profit d’un retour au délai de droit commun, qui est fixé à deux jours.
Cette dérogation, dont bénéficie Mayotte et que la proposition de loi que nous examinons nous propose de rétablir, n’est pas le fruit du hasard. Cela a été rappelé, la situation de Mayotte est tout à fait exceptionnelle. Selon l’INSEE, près de 40 % de la population résidant sur cette île est étrangère, dont la majorité est en situation irrégulière et est originaire des Comores. Cette immigration clandestine massive pèse très lourdement sur ce département, notamment sur le fonctionnement de nombreux services publics, au premier rang desquels la santé et l’éducation.
À situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle ! Il est parfaitement normal que Mayotte dispose d’une législation dérogatoire en matière de droit des étrangers et de droit d’asile.
Si la dernière loi Asile et immigration a introduit de nouvelles dispositions dérogatoires pour Mayotte, s’agissant notamment de l’acquisition de la nationalité française, d’autres dispositions particulières existaient auparavant. C’est précisément l’une d’elles que vise la proposition de loi que nous examinons. Compte tenu de la pression migratoire hors norme à Mayotte, le législateur a porté, en 2017, à cinq jours la durée initiale de la rétention administrative. Cela nous paraît parfaitement justifié.
Nous saluons l’esprit constructif dans lequel ont œuvré nos rapporteurs de l’Assemblée nationale et du Sénat. Je salue particulièrement le travail de notre collègue Thani Mohamed Soilihi, qui a veillé à ce que l’examen de cette proposition de loi se déroule de manière efficace, en s’associant très en amont à la réflexion de son homologue de l’Assemblée nationale.
Sans surprise, le groupe Union Centriste apportera son soutien à ce texte, qui est indispensable pour garantir une lutte efficace contre l’immigration clandestine à Mayotte. Que cet épisode nous rappelle, mes chers collègues, l’importance de conserver une vigilance de chaque instant dans notre travail de législateur, y compris en nouvelle lecture, de manière à éviter les malfaçons législatives comme celle que nous corrigeons aujourd’hui ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled.
M. Dany Wattebled. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons la proposition de loi relative au délai d’intervention du juge des libertés et de la détention en rétention administrative à Mayotte. Il s’agit d’un texte court qui vise essentiellement à corriger un défaut de coordination intervenu durant la navette parlementaire, à l’issue de laquelle la loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie a été adoptée.
Jusqu’alors, le délai de saisine du juge des libertés et de la détention ouvert aux étrangers placés en rétention administrative à Mayotte était de cinq jours, contre deux jours sur le reste du territoire national. L’objectif du texte que nous examinons aujourd’hui vise à rétablir ce délai de cinq jours.
Au-delà de l’aspect technique de cette mesure, je crois que nous pouvons saisir l’opportunité de ces débats pour faire un point au sein de notre assemblée, qui est la chambre des territoires, sur la situation particulière de Mayotte.
En 2009, les Mahorais ont fait le choix de la départementalisation, mais, au fond, ils ont surtout exprimé par ce vote leur volonté de voir la promesse républicaine se renforcer sur leur territoire.
Depuis ce moment, la démographie de Mayotte a connu une dynamique très importante, puisque la population est passée en dix ans de 180 000 habitants à plus de 250 000, ce qui en fait le département français le plus densément peuplé, hors Île-de-France. Nous savons aussi que la situation démographique de Mayotte se caractérise par la proportion d’étrangers qui y vivent. Aujourd’hui, près d’un habitant sur deux n’est pas français et, sur ces quelque 120 000 étrangers, près de la moitié se trouve en situation irrégulière.
C’est bien cette situation démographique singulière qui met aujourd’hui en danger le pacte républicain sur notre territoire. Ne nous y trompons pas : tant que le flux de migrants clandestins sera aussi important, cette promesse républicaine ne pourra pas matériellement être tenue. Une réponse efficace à cette situation constitue un prérequis indispensable à la cohésion sociale de l’île. C’est pourquoi le groupe Les Indépendants tient à doter Mayotte de dispositifs spécifiques pour faire face à cette situation inédite. Nous soutiendrons donc cette proposition de loi, qui vise à porter à cinq jours le délai de saisine du juge des libertés et de la détention ouvert aux étrangers placés en rétention administrative. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires. – Mme Catherine Di Folco et M. le rapporteur applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme.
M. François Bonhomme. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce texte nous donne l’occasion de confirmer notre position sur un sujet qui est loin d’être seulement technique
Je rappelle que, pour tenir compte de la pression migratoire exceptionnelle s’exerçant sur ce département, le délai de saisine du JLD était fixé, jusqu’à la loi Asile et immigration de 2018, à cinq jours à Mayotte par dérogation au délai applicable sur le reste du territoire français. En 2015, l’INSEE nous indiquait que la population de Mayotte s’élevait à plus de 250 000 habitants, dont 41 % d’étrangers, parmi lesquels la moitié, soit 52 000 personnes, était en situation irrégulière. Près de 20 000 reconduites à la frontière sont effectuées chaque année à Mayotte, soit la moitié du total national.
J’ajoute que, lors de la discussion de la loi de 2018, le Sénat, par la voix de son rapporteur François-Noël Buffet, avait regretté que le Gouvernement n’ait pas démontré l’utilité de l’allongement de la durée maximale de rétention à quatre-vingt-dix jours. Nous avions alors regretté une mesure d’affichage, qui ne s’attaquait pas à la cause profonde des taux dérisoires d’éloignement, même s’il faut noter la mauvaise volonté des pays tiers pour accueillir leurs ressortissants et leur délivrer des laissez-passer consulaires. Tout cela est extrêmement coûteux humainement et financièrement, notamment en raison des nouvelles places à créer et des aménagements à réaliser dans des centres totalement inadaptés à de longs séjours.
Nous avions également profondément simplifié le séquençage de la rétention administrative, en réduisant le nombre de possibilités d’intervention du JLD dans la procédure : la première fois au cinquième jour, et non au deuxième jour comme le voulait le Gouvernement, afin de donner le temps à l’administration de constituer des dossiers solides, et une seconde fois au quarante-cinquième jour. Le Sénat avait ainsi porté le délai d’intervention du JLD à cinq jours sur l’ensemble du territoire, alignant en l’espèce le droit national sur le droit mahorais et supprimant par conséquent la dérogation prévue pour Mayotte.
En définitive, l’Assemblée nationale a rétabli le délai de quarante-huit heures pour la métropole, en omettant de rétablir la dérogation applicable à Mayotte qui avait été supprimée, ce qui pose de réelles difficultés aux JLD pour intervenir et permettre la prolongation de la rétention si nécessaire. Cela nous amène aujourd’hui à corriger cette incohérence au regard de la situation mahoraise.
Notre position est limpide et l’a toujours été. Elle répond à quatre objectifs précis : la clarté en matière d’immigration régulière et d’asile ; l’exigence en matière d’intégration ; la fermeté contre l’immigration irrégulière ; l’humanité et la responsabilité en ce qui concerne les mineurs étrangers. C’est pourquoi nous défendons depuis des années un certain nombre de mesures : la définition, par le Parlement, d’objectifs chiffrés concernant l’entrée et le séjour des étrangers en France pour mieux maîtriser et organiser les flux migratoires ; la modification de l’aide médicale de l’État en aide médicale d’urgence réservée aux étrangers en situation irrégulière ; l’information systématique des caisses de sécurité sociale concernant les mesures d’éloignement prononcées par les préfectures afin d’interrompre automatiquement le versement des aides sociales aux étrangers en situation irrégulière. Nous défendons également le renforcement des conditions à remplir pour être admis au regroupement familial et la réévaluation régulière des métiers dits sous tension qui nécessitent l’apport de travailleurs étrangers. Enfin, nous souhaitons développer la lutte contre la présence indue des déboutés du droit d’asile dans les centres d’accueil pour demandeurs d’asile.
Monsieur le secrétaire d’État, j’imagine que vous ne découvrez pas notre position, qui a toujours été claire. Or la réalité reste la même et elle aurait plutôt tendance à s’aggraver… Il y a quelques mois, la Cour des comptes a publié un rapport sur la situation financière du département de Mayotte, qui présentait notamment des projections démographiques : l’île devrait compter 500 000 habitants dans vingt-cinq ans. C’est vous dire combien les problèmes que j’ai évoqués seront encore plus graves et difficiles à maîtriser si nous ne prenons pas les bonnes décisions dès aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, une erreur de coordination intervenue lors de l’examen de la loi Asile et immigration a harmonisé sur l’ensemble du territoire le délai de saisine de deux jours du juge des libertés et de la détention pour les personnes placées en centre de rétention administrative. Pour une fois, l’impair allait dans le bon sens, puisqu’il mettait fin au délai spécifique inique de cinq jours jusque-là en vigueur à Mayotte.
L’objet de la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui vise justement à réinstaurer cette rupture d’uniformité du droit sur le sol français, en réintroduisant ce délai de cinq jours à Mayotte. Mes chers collègues, ce texte n’a qu’un seul objectif, celui d’éloigner de leur juge les personnes enfermées et de les priver d’un contrôle judiciaire, ce qui aboutit à violer l’article 66 de la Constitution…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. C’est exagéré !
Mme Esther Benbassa. … que je souhaite rappeler ici : « Nul ne peut être arbitrairement détenu ».
Le motif de la pression migratoire est l’argument principal utilisé pour justifier cette différence de traitement et de droit dans le département de Mayotte. Certes, elle est très importante, nous le reconnaissons. Toutefois, c’est au nom de l’ordre public que le rôle du JLD est entravé. Ce recours ne devrait pourtant pas être une option, mais bien une obligation constitutionnelle et un droit effectif.
De mes dernières visites dans des centres de rétention administrative en Île-de-France, notamment à celui du Mesnil-Amelot il y a quinze jours, je retiens le constat de conditions matérielles indignes, de l’existence de mutineries et de mutilations et d’une gestion administrative très autoritaire qui laisse les personnes retenues sous-alimentées et sans suivi médical digne de ce nom. Dès lors, et du fait de la pression migratoire qui est celle de Mayotte, je n’ose imaginer les conditions de rétention dans lesquelles se trouvent les étrangers qui atteignent le sol mahorais. Ce département représente à lui seul 43 % des placements en rétention en France. Parmi eux, plus de 4 000 enfants sont chaque année enfermés et expulsés dans des conditions qui ne permettent même pas aux agents de vérifier leur véritable pays d’origine et leur identité réelle. Le placement systématique des personnes arrivant dans les centres de rétention et la soustraction à leurs droits légitimes constituent une préoccupation partagée tant par Adeline Hazan que par la CNCDH.
Nous le savons, le maillage rudimentaire des services publics et la pauvreté des infrastructures dans ce département constituent un frein à l’accueil des personnes étrangères. Bien plus grave encore, les populations immigrées de Mayotte ont une très faible connaissance de leurs droits : la Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Adeline Hazan, a rapporté que la possibilité d’effectuer une demande d’asile ne leur était même pas notifiée par les agents mahorais. Comment justifier le rallongement inscrit dans cette proposition de loi, alors que les conditions de détention à Mayotte sont inhumaines et dégradantes ?
Les principes de la République ont été suffisamment mis à mal par la suppression du droit du sol à Mayotte – des personnes se retrouvent étrangères dans leur pays natal ! – pour ne pas avoir à créer une spécificité supplémentaire dans cette île. Nous demandons donc à ce que la politique migratoire en outre-mer soit respectueuse des droits de l’homme et ne déroge pas aux règles élémentaires qui devraient bénéficier à tout être humain, à savoir des garanties procédurales contre les mesures privatives de liberté afin de limiter les éventuels agissements arbitraires d’une administration qui se croit parfois surpuissante pour décider du sort et de l’avenir des personnes migrantes.
Rappelons également que les alternatives à la rétention existent et qu’elles sont prévues par le CESEDA et par la directive Retour du 16 décembre 2008.
Mes chers collègues, ne laissons pas Mayotte seule et isolée face à la gestion d’un flux migratoire si important ! L’État doit renforcer les moyens et mobiliser du personnel de justice dans ce territoire au lieu d’instaurer un droit à géométrie variable. Ce choix n’est pas digne de notre République et je m’y oppose avec force, ainsi que le groupe CRCE. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – M. Jean-Yves Leconte applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis juin 2017, aucun Français n’ignore ce qu’est un kwassa-kwassa, mais je n’aurai pas la cruauté de rappeler la phrase du Président de la République…
Ce débat, je le trouve indigne. Nous ne pouvons pas considérer qu’une loi est une erreur ! Sa rédaction résulte de la volonté du législateur, et, si nous estimons qu’il faut changer certaines choses, nous devrions débattre, monsieur le rapporteur, de tout ce qu’il conviendrait de changer dans cette loi, qui a été votée il y a seulement six mois.
Les kwassa-kwassa, ce sont 10 000 morts en vingt ans !
Mayotte fait face à une situation particulièrement terrible en raison de sa situation géographique, de son histoire et de ses liens avec les Comores – la faiblesse de la coopération avec ce pays, notamment sur le plan sanitaire, explique d’ailleurs que ses habitants soient tellement tentés d’aller à Mayotte. Il faut évidemment comprendre cette situation, mais il est indigne d’entendre, dans cet hémicycle, des paroles d’archevêque ! Comment comprendre que certaines des personnes qui sont en situation régulière à Mayotte n’aient même pas le droit de se rendre dans l’Hexagone ?
Alors, oui, la situation migratoire terrible, la pression, l’embolie vont être déplorées, mais on préfère laisser les Mahorais s’occuper des étrangers, même ceux en situation régulière, plutôt que d’autoriser ceux-ci à venir dans l’Hexagone. Monsieur le rapporteur, vous n’avez pas évoqué ce problème.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Parce que ce n’est pas le sujet !
Mme Catherine Di Folco. Eh oui !
M. Jean-Yves Leconte. Pourtant, vous aviez déposé des amendements concernant cette situation lors de l’examen de la loi Collomb. L’usage abusif de l’article 45 ne vous permettra pas de vous prononcer cette fois-ci sur ce sujet…
Nous ne pourrons pas résoudre ce problème avec le niveau d’hypocrisie qui existe aujourd’hui dans cet hémicycle. Ce n’est pas possible ! Nous avons des devoirs en termes de dignité et de respect du droit.
Pourquoi est-ce que passer de deux à cinq jours est si fondamental ? Vous avez dit vous-même, monsieur le rapporteur, que ces trois jours représentent deux JLD en plus. Est-ce un effort si impossible à accomplir pour la République ?
En fait, si ce délai de cinq jours a été décidé, c’est parce qu’on veut renvoyer les gens avant qu’ils ne soient présentés devant le JLD ! Finalement, on ne fait que participer à un carrousel permanent, où les kwassa-kwassa amènent des gens qui, avant même d’être présentés devant un JLD, repartent. Pendant ce temps, la dignité n’est pas respectée et des gens meurent !
C’est bien pour pouvoir éloigner les gens avant leur présentation devant un JLD que vous voulez fixer le délai à cinq jours ! Mais le nombre de personnes à présenter au JLD devrait de toute façon être le même, car, mathématiquement, c’est juste trois jours de « stock » – je suis vraiment désolé d’utiliser ce type d’expression.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Personne ne vous y oblige !
M. Jean-Yves Leconte. En réalité, si vous le faites, c’est parce que vous savez qu’en cinq jours on expulse davantage et sans que le JLD puisse procéder à une quelconque vérification ! C’est bien pour cela qu’une telle décision est prise, ainsi que pour augmenter – là encore, je suis désolé d’utiliser cette expression – la vitesse du carrousel, carrousel qui entraîne les morts dont je parlais auparavant. Cette mesure ne résout donc rien !
De la même manière, nous ne pouvons pas en rester à la situation actuelle en ce qui concerne le droit des personnes en situation régulière à se rendre dans l’Hexagone.
Ce débat ressemble à celui que nous avons eu l’année dernière sur la question de la nationalité à Mayotte. Certains ont fait croire aux gens qu’en France il y avait un droit du sol. Ce n’est pas exact ! Il existe en fait un double droit du sol avec la possibilité, à partir de treize ans et quand on est né en France et qu’on y réside, d’acquérir la nationalité. Ce n’est pas la même chose !
En faisant croire cela, on fragilise d’autres situations. En tant que sénateur des Français de l’étranger, je vois les difficultés que rencontrent nombre de personnes qui sont nées en Algérie dans les années 1950 et 1960 pour prouver leur nationalité.
Monsieur le rapporteur, dans quarante ans, les habitants de votre territoire se souviendront de votre proposition et vous maudiront quand il faudra qu’ils présentent comme preuve les titres de séjour de leurs ancêtres s’ils veulent obtenir un certificat de nationalité française !
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. J’assume !
M. Jean-Yves Leconte. Vous assumez, mais je peux vous dire, pour constater les difficultés d’un certain nombre de personnes nées dans les territoires qui étaient alors des colonies françaises, combien tout cela est difficile. Il faut parfois qu’ils remontent jusqu’à Napoléon III pour défendre leur droit à la nationalité française ! Pourtant, on a fait croire que la France appliquait le droit du sol.
Il n’est pas acceptable que des dérogations aussi énormes au droit et des inégalités aussi importantes existent aujourd’hui – je dis bien « aujourd’hui », et non pas du temps des colonies ! – sur le territoire de la République.
Nous sommes convaincus que la situation dramatique de Mayotte ne pourra pas être résolue avec de fausses mesures, comme celle qui nous est proposée, qui ne respecte pas la dignité humaine. La proposition qui nous est soumise est tout simplement hypocrite et nous nous y opposons !
En outre, nous regrettons l’usage abusif de l’article 45, car il conduit à éviter des débats sur des sujets qui ont été traités par la même loi que celle que vous voulez corriger.
Fidèles à la loi Cazeneuve de 2016 et combattants d’une République égale pour tous, nous voterons contre cette proposition de loi ! (Mme Esther Benbassa applaudit.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
8
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat, sur le site internet du Sénat et sur Facebook.
Au nom du bureau du Sénat, j’invite chacun à veiller à la courtoisie, au respect des uns et des autres et au respect du temps de parole.
actes antisémites
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Dominique de Legge. Cette semaine, des violences à l’encontre des juifs et la promotion de la barbarie nazie ont marqué l’actualité, provoquant la condamnation et l’indignation de tous. Ces actes succèdent à des profanations d’édifices catholiques – sept ont été recensées la première semaine de février.
Tout se passe comme si, à la crise sociale, à la crise territoriale, s’ajoutait une crise encore plus grave. Plus grave, parce que c’est celle du cœur, qui touche à l’essence même de notre humanité, à l’intimité de chacun de nous, à notre histoire personnelle et collective. La République, parce qu’elle est laïque, se doit de garantir à tous la liberté de croire ou de ne pas croire.
L’heure est grave, monsieur le Premier ministre. Que resterait-il d’une société où tout ce qui relève de la pensée et de la spiritualité ne serait pas garanti ? Quelles dispositions comptez-vous prendre pour que chaque citoyen puisse aspirer à une spiritualité apaisée et que la France reste le pays de la liberté, des Lumières et ne devienne pas celui de la barbarie et de l’obscurantisme ? Ne pensez-vous pas que le moment est venu de nommer les fauteurs de troubles ? (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur la multiplication des actes antisémites, sur la multiplication des actes de profanation de lieux de culte catholiques ou juifs, sur le climat nauséabond qui se développe dans notre pays. Vous me posez cette question avec beaucoup de gravité, marquant votre indignation et soulignant que vous ne pouvez pas vous contenter de cette indignation. Vous me dites souhaiter qu’en réponse à ces actes des politiques publiques et des réactions effectives puissent intervenir. Je voudrais vous assurer que nous sommes, de ce point de vue, parfaitement sur la même ligne.
Oui, nous constatons depuis quelques semaines – malheureusement, ces actes ne datent pas d’il y a quelques semaines ; ils ne se sont jamais complètement arrêtés dans notre pays – une multiplication des actes antisémites, inacceptables, répugnants, qui prennent des formes extrêmement variées : des menaces contre les personnes, des tags, des atteintes contre les symboles. Vous avez vu, comme moi, et je sais que nous aurons l’occasion au cours de cette séance de questions d’évoquer ce sujet, l’atteinte faite à la mémoire d’Ilan Halimi à Sainte-Geneviève-des-Bois.
Face à cette multiplication d’actes antisémites ou anticatholiques visant des églises et des cimetières, vous faites bien de rappeler que la République respecte le sacré. En France, dans notre République, nous avons le droit de croire ou de ne pas croire et, lorsque nous croyons, nous devons être respectés parce que nous croyons.
Toujours en France et toujours sous la République, on a respecté les églises, les cimetières, les lieux de culte. Il est impératif de rappeler qu’il doit toujours en être ainsi. Cela ne suffit pas de le dire, j’en ai parfaitement conscience, mais vous savez comme moi que le jour où nous ne le dirions plus, alors, tout serait perdu ! Nous devons donc rappeler la norme, qui est que, en France, on respecte les lieux sacrés, symboles de la République, les lieux de culte, les lieux où reposent les morts. C’est un impératif qui s’impose à tous et qu’il convient systématiquement de rappeler.
Cela ne suffit pas, vous avez raison ; il faut aller plus loin. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement – ces sujets s’inscrivent, au fond, dans un continuum d’actions – souhaite agir dans plusieurs domaines.
En matière de formation d’abord, car nous devons faire en sorte que ces actes antisémites ou anticultuels, si j’ose dire, scandaleux soient mieux décelés et retranscrits par les forces de l’ordre afin qu’ils puissent faire l’objet d’instructions plus complètes par les services de la justice et de sanctions, à mon sens, plus sévères prononcées par la magistrature. Ces efforts de formation, nous les avons engagés auprès des forces de police et de gendarmerie, comme auprès des magistrats : ils sont indispensables.
En matière d’éducation ensuite, car c’est un combat, ancien, permanent, qu’il faut livrer contre l’ignorance et l’obscurantisme – l’obscurantisme est un terme encore faible, parce qu’il est presque bienveillant… Nous devons livrer ce combat à l’école, partout, et nous savons qu’il est difficile.
Je me souviens, monsieur le président, que l’expression « hussards noirs » désignait autant la couleur dont étaient revêtus les instituteurs que la logique de combat qui les inspirait : le combat contre l’obscurantisme. Il faut que nous retrouvions, d’une certaine façon, cette logique et que nous livrions absolument partout et en tous lieux ce combat contre l’obscurantisme, contre la haine, contre les préjugés, contre la bêtise la plus crasse, contre la méchanceté la plus vive.
Éducation, formation, dénonciation et sanctions – des sanctions sévères, car les faits sont inacceptables – sont donc indispensables.
Il nous faut aussi transformer notre droit. Nous aurons l’occasion, au cours de l’année 2019, de soumettre à l’Assemblée nationale et au Sénat des dispositions législatives qui permettront de le faire évoluer. Je pense notamment à la possibilité d’engager la responsabilité de ceux qui gèrent les réseaux sociaux. Aujourd’hui, ils s’abritent derrière le fait qu’ils sont des hébergeurs et non des éditeurs, ce qui les dédouanerait de toute responsabilité à l’égard de ce qui se dit sur leurs réseaux. Ce discours est inacceptable ! Il nous faut donc changer le droit. Pour faire évoluer le droit communautaire, nous avons engagé une discussion avec nos partenaires européens. Déterminés à modifier le droit national sans attendre, nous saisirons le Parlement au cours de l’année 2019.
Enfin, nous devons nommer tous les auteurs de ces actes, qui trouvent leurs racines dans un vieil antisémitisme français – cet antisémitisme n’a jamais été, je le dis, car ce serait trop simple, l’apanage d’une famille politique ; il s’est déployé dans de très nombreuses familles politiques, a imprégné de très nombreux aspects de la société française, parfois très vivement, parfois très discrètement – ou qui sont liés à un antisémitisme résurgent qui se nourrit du conflit israélo-palestinien ou d’une radicalisation ou d’un radicalisme islamiste.
Tous ces éléments, toutes ces constituantes de l’antisémitisme qui se développent dans notre pays doivent être combattus et nommés, avec une indéfectible détermination. Je voudrais assurer le Sénat, que je sais attaché à cette cause, de l’indéfectible détermination de l’ensemble des membres du Gouvernement sur ce sujet. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, pour la réplique.
M. Dominique de Legge. Merci, monsieur le Premier ministre, de cette réponse, mais je crois, et vous l’avez souligné, qu’il faut avoir le courage de nommer les auteurs.
Les auteurs, on les connaît, c’est l’extrême gauche antisioniste, c’est l’islam radical qui veut imposer la charia (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.), c’est le nazisme et c’est l’extrême droite, qui regrette cette période de la France.
Alors, permettez-moi de vous inviter très respectueusement à méditer cette belle phrase d’Albert Camus : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.)
rétablissement de l’ordre républicain
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Olivier Cadic. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur.
Au nom du groupe Union Centriste, j’exprime notre plus vive indignation contre les récentes profanations et les inscriptions antisémites qui ont notamment visé des personnalités emblématiques, telles que Simone Veil ou Ilan Halimi. Révulsés et affligés, nous affichons notre solidarité à l’égard de la communauté juive et nous condamnons avec force les insupportables profanations de tous les lieux de culte qui se multiplient dans les églises, synagogues et mosquées. Cela doit cesser !
Sans faire d’amalgame, il n’échappe à personne que le mouvement des « gilets jaunes » est aussi générateur d’appels à la haine. Chaque samedi, ces défilés entretiennent en France un climat nauséabond fait de populisme et d’antiparlementarisme. (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.) Pourtant, il ne s’agit plus que d’une poignée de Français, dont une partie d’extrémistes, et qui ne représentent qu’eux-mêmes ! Dans une démocratie, les représentants doivent être élus, dois-je le rappeler ici ?
Vous recevez comme moi, chers collègues, des courriers insensés qui nous appellent, entre autres choses, à la destitution du Président Macron. Au diable l’État de droit et le résultat des élections ! Peu importent aussi les conséquences économiques et les salariés mis au chômage technique !
Vous n’êtes pas sans savoir, monsieur le ministre, que les commerçants expriment de plus en plus fort leur ras-le-bol, quand ils ne descendent pas, eux aussi, dans la rue, comme à Toulouse. Cette exaspération gagne désormais les élus municipaux, qui sollicitent le Gouvernement auquel ils demandent une indemnisation pour les villes touchées par les dégradations à l’issue des manifestations.
L’agitation de rue doit cesser ! S’ils veulent manifester, très bien, mais selon les règles républicaines : pas n’importe où, pas n’importe comment ! Le mandat d’Emmanuel Macron s’achèvera dans 166 semaines. Au train où vont les choses, peut-on imaginer qu’il y aura un acte LCXVI des « gilets jaunes » ?
Monsieur le ministre, ma question est simple : quand comptez-vous faire rétablir l’ordre républicain ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur Cadic, vous avez raison de souligner que le mouvement dit « des gilets jaunes » a pris une tournure désormais réduite à des manifestations de voie publique. Ces manifestations se déroulent tous les samedis après-midi et, dans bon nombre de villes, elles dégénèrent, parfois au début, parfois à la fin. Quand je dis qu’elles « dégénèrent », c’est un euphémisme : quelques centaines d’individus s’en prennent à nos institutions, aux mairies, aux préfectures, aux forces de l’ordre, aux parlementaires, de manière extrêmement violente et agressive, ce qui nous conduit à déployer des dispositifs policiers partout en France pour chaque manifestation.
Convenez que ce mouvement est totalement inédit. Nous n’avons pas connu cela depuis plusieurs dizaines d’années, avec des manifestations jamais déclarées, infiltrées, vous avez raison de le souligner, par les milieux de l’ultra-gauche, parfois par les milieux de l’ultra-droite, avec des « gilets jaunes » radicalisés et qui, quand ils manifestent sur la voie publique et font dégénérer ces manifestations, ne représentent plus maintenant qu’eux-mêmes.
J’étais encore hier soir à Dijon pour saluer le courage et l’abnégation des fonctionnaires de police et des militaires de la gendarmerie nationale qui font face à ce mouvement. Tous les samedis, nous déployons, avec Christophe Castaner, des effectifs de voie publique qui encadrent ces manifestations et interviennent chaque fois qu’elles dégénèrent, procédant à des interpellations pour mettre un terme aux exactions. Depuis le 17 novembre dernier, nous avons, au total, interpellé 8 400 personnes sur lesquelles 7 500 ont été mises en garde à vue et 1 800 ont été condamnées.
Comptez bien sur notre détermination pour poursuivre cette action sur la voie publique et ces investigations judiciaires ultérieures qui permettent de confondre de nombreux casseurs plusieurs jours, voire plusieurs semaines après les actes. Soyez assuré que nous sommes totalement déterminés à mettre un terme à ces exactions. Sachez-le, nous attendons beaucoup des dispositions législatives que nous souhaitons voir adoptées et qui nous permettront d’écarter les casseurs des manifestations. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
prélèvement à la source
M. le président. La parole est à M. Bernard Buis, pour le groupe La République En Marche. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. Bernard Buis. Ma question s’adresse à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics.
Comme l’avait annoncé le Premier ministre en septembre dernier, l’impôt sur le revenu est prélevé à la source depuis le 1er janvier 2019.
Réforme longtemps annoncée, demandée et attendue par les contribuables mais jamais mise en œuvre, le prélèvement à la source est aujourd’hui soutenu par les trois quarts des Françaises et des Français.
Vous avez fait, monsieur le secrétaire d’État, le pari de l’intelligence collective.
Le pari que les Français comprendraient les avantages pour leur quotidien et la gestion de leur budget d’un paiement en temps réel de l’impôt sur leurs revenus.
Le pari que les entreprises françaises s’organiseraient en temps et en heure pour que ce prélèvement soit effectif et bien compris sur les fiches de paye de leurs salariés, mentionnant, par exemple, à titre d’information sur les dernières fiches de paye 2018 quel serait le salaire versé après le prélèvement à la source.
Le pari que les cinq millions de foyers bénéficiant d’un crédit d’impôt pour service à la personne ou pour frais de garde d’enfant percevraient ce crédit d’impôt sous forme d’avance de 60 % versée dès le 15 janvier et correspondant au crédit ou à la réduction d’impôt de l’année précédente, avant le versement de la totalité à l’été 2019.
Enfin, le pari que votre ministère et les fonctionnaires de votre administration déploieraient, pendant plusieurs mois et le temps nécessaire, des moyens de communication, d’information et d’accompagnement à la hauteur de cet enjeu.
Ce succès montre la préparation de la réforme. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.) Avant l’été dernier, un sondage montrait que les deux tiers des Français payant l’impôt sur le revenu se sentaient bien informés. Ce succès montre aussi que les Cassandre en tout genre, prompts à souhaiter l’échec du Gouvernement plutôt que la réussite collective, se sont trompés. On a parlé au Sénat d’usine à gaz.
M. Philippe Dallier. C’est une usine à gaz !
M. Bernard Buis. Une proposition de loi pour retarder encore la réforme a même été déposée.
M. le président. Votre question !
M. Bernard Buis. Alors, monsieur le secrétaire d’État, si la mise en œuvre du prélèvement à la source est d’ores et déjà un succès, ce succès, nous le devons à la fois aux entreprises et collecteurs. (Marques d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains.) Il faut maintenant transformer définitivement l’essai. Pouvez-vous nous expliquer les mesures qui sont prises pour assurer, durant cette année 2019, l’accompagnement des entreprises ? Quels sont les moyens (Nouvelles marques d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains.)…
M. le président. Terminez !
M. Bernard Buis. … mis en œuvre dans votre administration pour répondre aux questions que les contribuables ne manqueront pas de se poser et de vous poser avant qu’un rythme de croisière ne soit trouvé en 2020 ? (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics. Monsieur le sénateur Buis, vous avez raison, le prélèvement à la source est une bonne réforme…
MM. Rachid Temal et Jean-Marc Todeschini. Merci Hollande !
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. … et sa mise en œuvre est réussie. Les chiffres sont éloquents : plusieurs dizaines de millions de titres de revenus ont été traités. Il n’y a eu aucun bug systémique et l’ensemble des contribuables paient désormais un impôt contemporain, ce qui est l’objectif principal. En effet, 7 millions de contribuables français voient leurs revenus varier de plus ou moins 30 % chaque année. Dans le système ancien, ils étaient obligés de payer un impôt dont le montant ne correspondait plus au niveau réel de leurs revenus. Aujourd’hui, le montant de l’impôt payé chaque mois sera juste et plus soutenable, car il s’adaptera aux revenus des contribuables et des foyers fiscaux.
Nous avons mené cette réforme pour les contribuables et avec les agents des finances publiques, dont 40 000 ont été formés pour la mise en œuvre du prélèvement à la source. Nous avons souhaité qu’ils soient en mesure d’apporter des réponses aux particuliers, comme aux entreprises, soit dans les perceptions, soit via internet, soit avec la mise en place d’une plateforme téléphonique comportant quatorze centres d’appels et réunissant environ 1 000 agents des finances publiques.
Nous avons aussi travaillé, tout au long de l’année 2018, avec les sociétés éditrices de bulletins de paye pour faire en sorte que la mise en œuvre soit techniquement réussie. Nous avons souhaité que, dans l’immense majorité des cas, elle se limite pour les entreprises à une opération de maintenance des logiciels de déclarations sociales nominatives. Nous nous sommes attachés à leur éviter un investissement nouveau de manière à diminuer aussi fortement que possible le coût de la réforme chaque fois que nous le pouvions.
Tout au long de l’année qui vient, nos équipes vont rester mobilisées pour répondre aux contribuables et travailler pour faire en sorte de rendre les crédits d’impôt contemporains. Nous allons évidemment, comme nous nous y étions engagés devant le Sénat…
M. le président. Il faut conclure !
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. … à l’occasion de l’examen du projet de loi pour un État au service d’une société de confiance, faire preuve de la plus grande bienveillance à l’égard les entreprises, de manière à ne pas sanctionner celles qui sont de bonne foi. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – M. Jean-Marc Gabouty applaudit également.)
profanation du mémorial d’ilan halimi
M. le président. La parole est à M. Olivier Léonhardt, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. Olivier Léonhardt. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Lundi 11 février, les arbres plantés à Sainte-Geneviève-des-Bois à la mémoire d’Ilan Halimi ont été coupés, profanés. J’étais maire de cette commune en 2006 quand Ilan a été retrouvé agonisant, le long de cette voie ferrée, après vingt-quatre jours de terribles tortures.
Enlevé, frappé, brûlé, torturé, Ilan est mort simplement parce qu’il était juif. Personne ne pouvait plus ignorer qu’on pouvait de nouveau s’en prendre à un juif en France en pensant s’en prendre à une famille, à une communauté privilégiée, qui n’aurait aucun mal à payer une forte somme d’argent pour obtenir sa libération.
L’assassinat d’Ilan avait malheureusement un caractère annonciateur. Car, il faut le dire, depuis ce 13 février 2006, mourir en France parce qu’on est juif n’est malheureusement plus si exceptionnel que cela. Il faut le dire aussi, les condamnations de principe ne sont plus suffisantes, les cérémonies commémoratives et les minutes de silence ne peuvent plus être les seules réponses à l’intolérable.
Alors, je sais que vous allez me dire, à raison, que beaucoup de choses sont initiées pour lutter contre le racisme et l’antisémitisme. J’étais d’ailleurs avec vous, monsieur le Premier ministre, à Matignon, mardi, pour la remise du prix Ilan Halimi à des jeunes engagés contre ce fléau.
Je sais que vous allez me dire, à raison, que des actions sont engagées pour la formation des personnels, des enseignants, des policiers, des magistrats.
Je sais que vous allez me dire, à raison, qu’il faut adapter la loi pour agir plus sévèrement face aux messages haineux sur les réseaux sociaux.
Mais, monsieur le Premier ministre, ne pensez-vous pas que l’enjeu de la fraternité dans notre pays mérite une action encore plus résolue, des actions encore plus rapides et encore plus fortes ?
Nous savons le rôle de l’éducation pour répondre à ce défi et nous savons aussi qu’aujourd’hui, en 2019, des projets pédagogiques, associatifs ou institutionnels auprès de la jeunesse ne sont pas menés, faute de moyens. Ne pensez-vous pas que la gravité de la situation impose que notre pays consacre plus que 6 millions d’euros par an à la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT, qui dispose des seuls crédits…
M. le président. Il faut conclure !
M. Olivier Léonhardt. … dédiés strictement à cet enjeu vital pour l’avenir de notre République ? (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le sénateur, lundi dernier, les arbres plantés à la mémoire d’Ilan Halimi à Sainte-Geneviève-des-Bois ont été profanés, coupés, ce qui a donné lieu à une immense émotion partout en France, une émotion sans doute encore plus forte chez tous ceux qui étaient présents au moment du drame – vous en étiez puisque, comme vous l’avez dit, vous étiez maire au moment des faits.
Je veux commencer par dire que je comprends parfaitement l’émotion que vous éprouvez depuis lundi et que vous avez exprimée dans votre question.
Mardi – la date avait été fixée depuis longtemps –, il nous appartenait de remettre, pour la première fois, le prix Ilan Halimi. Nous reprenions en cela une initiative lancée par le conseil général de l’Essonne et portée par son président, Jérôme Guedj, pour récompenser des projets pédagogiques organisés dans les collèges ou lycées destinés à faire comprendre la réalité de l’antisémitisme et à offrir un certain nombre d’instruments pour lutter contre ce fléau.
J’ai eu l’occasion de le dire – vous vous en souvenez peut-être – face à tous ces coups terribles que nous prenons, face à tous ces actes antisémites, face non pas au découragement mais à la menace de lassitude qui gagne parfois, ces initiatives qui mobilisent les jeunes et portées, ici, par une scène nationale, là, par un collège ou par une association, sont aussi des messages d’espoir.
Je crois que nous pourrons nous retrouver sur le fait que les quatre projets qui ont reçu un prix, projets retenus parmi la centaine de ceux qui avaient été réceptionnés, étaient absolument remarquables.
Oui, il faut former ! Oui, il faut éduquer ! Oui, il faut dénoncer ! Oui, il ne faut jamais renoncer ! Mais c’est un combat long, je le sais.
Les phrases que je prononce ont été dites avant moi, peut-être avec plus de talent mais pas avec moins de détermination, par des Premiers ministres qui se sont pleinement engagés dans la lutte contre l’antisémitisme.
Monsieur le sénateur, ce combat est un art d’exécution, c’est aussi un art de détermination. Il doit être mené de façon systématique. J’ai insisté sur le soutien que nous devons apporter à ceux qui proposent l’éducation dans nos écoles, collèges et lycées. Nous avons ainsi apporté un soutien matériel aux équipes de laïcité qui viennent épauler les personnes qui constatent de tels actes. Des personnes qui, malgré leur bonne foi et leur détermination, ne savent pas toujours y répondre. Nous devons continuer de les aider et les accompagner.
Est-ce suffisant ? Cela ne sera sans doute jamais suffisant pour mener ce combat difficile qui m’apparaît malheureusement éternel.
Monsieur le sénateur, si vous avez des pistes – vous en avez tracé quelques-unes – pour nous donner de nouveaux instruments dans ce combat, alors, je suis tout à fait prêt à en discuter avec vous, car nous avons besoin de l’engagement et de l’intelligence de chacun pour gagner ce combat. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
augmentations du tarif de l’électricité
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologique.
Mme Cécile Cukierman. En décembre dernier, le ministre de la transition écologique nous disait qu’il y aurait plus qu’un « gel » des tarifs de l’électricité, que le Gouvernement travaillait sur des mesures qui permettraient de ne pas avoir de hausse. Il nous disait même : « Dans un mois, les tarifs de l’énergie vont baisser, je peux le garantir aux Français, de 2 % à 3 %. »
Aujourd’hui, c’est une hausse de 6 % des tarifs qui est annoncée, la hausse pouvant même être plus importante pour le mois de juin. Après la mobilité, vous allez créer de nouvelles fractures territoriales et vous prenez le risque de faire basculer dans la précarité énergétique de nouveaux ménages, alors qu’ils sont déjà près de 6 millions dans notre pays !
Vous demandez encore une fois à nos concitoyens de payer plus. Vous leur demandez de payer, alors que ces hausses successives ne sont que le reflet de l’échec de la libéralisation du marché de l’électricité.
Vous leur demandez de se résoudre à accepter une répercussion sur leurs factures de plus de 100 euros par an, alors que toutes les demandes de revalorisation du SMIC, de véritable négociation sur les salaires sont balayées d’un revers de main en ce moment même.
Hausse des prix du carburant, hausse des prix alimentaires, hausse des prix de l’énergie, gaz et électricité : c’est une véritable politique assumée de paupérisation de nos concitoyens que vous menez actuellement.
Monsieur le ministre, quelles dispositions pérennes allez-vous prendre pour endiguer ce phénomène continu d’augmentation artificielle du prix de l’électricité ? Quand accepterez-vous de baisser les taxes sur ce bien de première nécessité ? CTA, TFCE, TVA, CSPE : autant de taxes qui pèsent pour près d’un tiers dans la facture des ménages de notre pays ! Vous l’avez fait pour ADP et pour les data centers dans le cadre de la préparation du Brexit, pourquoi ne pas le faire, une bonne fois pour toutes, au profit de nos concitoyens ? (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain. – MM. Laurent Duplomb et Jackie Pierre applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.
M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la sénatrice Cukierman, vous avez évoqué trois types d’énergie et leurs tarifs.
Concernant les carburants, vous savez qu’ils avaient connu une forte hausse de prix au mois d’octobre, liée à l’augmentation des prix du pétrole sur le marché mondial.
M. Philippe Dallier. Et ça va revenir !
M. Bruno Sido. Contraints !
M. François de Rugy, ministre d’État. … alors que, par ailleurs, un mouvement de protestation important s’était levé à l’occasion de cette hausse. Je crois toutefois, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous pourrions tomber d’accord pour reconnaître que les revendications de ce mouvement allaient bien au-delà de cette question. D’ailleurs, les prix des carburants ont entre-temps baissé de nouveau, en conséquence de la baisse des prix du pétrole sur le marché mondial.
Nous avons pris d’autres mesures, mais nous avons tenu notre engagement sur ce point : stopper la trajectoire de la taxe carbone et du rattrapage entre le diesel et l’essence – rattrapage motivé par des considérations de santé publique –, ainsi que la hausse de la taxation du gazole non routier. Cet engagement a été pris à la fin de l’année 2018 ; même si les prix du pétrole ont baissé entre-temps, il a été tenu.
M. Albéric de Montgolfier. Grâce au Sénat !
M. François de Rugy, ministre d’État. Vous avez également évoqué, madame la sénatrice, les tarifs du gaz. Pour ma part, j’avais annoncé que ces tarifs baisseraient au 1er janvier 2019. Cette baisse a bien eu lieu, à hauteur de 2 % au 1er janvier 2019, pour ce qui concerne les tarifs régulés.
Enfin, vous avez mentionné les tarifs de l’électricité. Vous savez sans doute que le mode de calcul des tarifs régulés est fixé par la loi. Nous appliquons la législation, qui dispose que les tarifs doivent recouper les coûts de production. Ceux-ci ont augmenté ; les tarifs augmentent donc. Si nous ne procédions pas à une telle augmentation cette année, alors, vous le savez très bien, cela serait répercuté encore plus fort l’année prochaine.
Nous avons pris un engagement : pas de hausse des tarifs de l’électricité pendant l’hiver. Nous tenons cet engagement pour que cette hausse ne s’applique pas pendant les périodes où nos compatriotes se chauffent. (M. François Patriat applaudit.)
M. Pierre Laurent. Vous répondez à côté !
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour la réplique.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le ministre d’État, je vous interrogeais sur la suppression de taxes ; vous me répondez sur les prix de l’électricité. Vous me dites augmenter les prix l’été plutôt que l’hiver, mais je crois qu’au mois de novembre prochain l’hiver sera quand même rude, et l’augmentation de cet été sera répercutée sur les factures de nos concitoyens l’hiver prochain. Vous ne réglez pas la question du pouvoir d’achat dans notre pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)
recrudescence des actes antisémites
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Yves Daudigny. À mon tour, monsieur le Premier ministre, d’insister sur ce sujet grave !
Rues de Paris noircies d’expressions antisémites, croix gammées sur les portraits de Simone Veil, « Juden » badigeonné sur la devanture d’un restaurant, arbres plantés en hommage à Ilan Halimi, ce jeune homme enlevé, séquestré et torturé à mort parce qu’il était juif, sciés : l’hydre toujours renaît !
Ces actes, d’une singulière lâcheté, révèlent un antisémitisme qui ne s’estompe pas, qui reste, qui mute ; un antisémitisme qui porte atteinte à la communauté nationale, qui percute nos valeurs républicaines, qui questionne notre devoir de mémoire ; un antisémitisme désinhibé par internet et les réseaux sociaux, sur lesquels prospèrent les mythes complotistes, des slogans tout droit sortis des poubelles de l’histoire, une insondable passion pour la haine.
Les actes et les menaces antisémites ont crû de 74 % l’an dernier. Ils traduisent une réalité vécue et ressentie tous les jours par de nombreux Français qui subissent des injures, des violences, en raison de leur kippa ou de leur patronyme, que ce soit dans la rue, dans les transports, sur internet, à l’école ou devant leur lieu de culte.
Nous ne pouvons accepter que nos compatriotes de religion ou de culture juives ne puissent vivre en sécurité simplement du fait de ce qu’ils sont. À ceux qui se croient imperméables, rappelons les mots de Frantz Fanon : « Quand vous entendez dire du mal des juifs, dressez l’oreille, on parle de vous. »
Monsieur le Premier ministre, quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre pour lutter contre cet antisémitisme qui sème la honte et l’horreur dans la République, au pays des droits de l’homme ?
Cette lutte nécessite l’engagement de toutes et de tous, et nous serons aux côtés de toutes celles et de tous ceux qui s’y engageront. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur, le Premier ministre a expliqué le contexte du plan de lutte contre l’antisémitisme et, de manière générale, contre le racisme que nous mettons en œuvre sur la période 2018-2020. Ce plan comporte toute une série de mesures ; permettez-moi d’en développer une plus précisément.
Vous avez cité les propos haineux qu’on trouve sur les réseaux sociaux. Je veux dire ici que nous y sommes extrêmement attentifs ; c’est une politique forte que nous menons. Nous avons mis en place une plateforme, PHAROS, qui nous permet de les détecter et de demander aux fournisseurs d’accès à internet de procéder à des retraits. Nous procédons également à de longues investigations judiciaires qui nous permettent de confondre leurs auteurs ; de ce fait, de nombreuses condamnations ont été prononcées.
Le Premier ministre citait précédemment une expérimentation très intéressante menée à Marseille, qui permet de former des enquêteurs et des magistrats afin de pouvoir mieux caractériser cette circonstance aggravante et odieuse qu’est le caractère antisémite d’une infraction.
Nous poursuivons la mise en œuvre de l’ensemble de ces mesures, soit toute une panoplie d’actions menées avec beaucoup de détermination. Certaines de ces mesures touchent aussi au champ éducatif ; bien évidemment, nous allons les poursuivre.
Je voudrais aussi vous rassurer quant au travail que mène le ministère de l’intérieur en liaison très étroite avec l’ensemble des cultes, y compris le culte catholique.
Depuis 2015, nous avons des relations étroites avec les responsables des cultes et, notamment, ceux des lieux de culte, de manière à pouvoir sécuriser physiquement les cérémonies, les lieux de manifestation et les fêtes les plus importants. Nous menons là encore cette action de manière extrêmement résolue et déterminée ; l’ensemble des fonctionnaires de police et de gendarmerie y sont sensibilisés dans ce pays, comme le rappelait à l’instant le Premier ministre.
Enfin, comme vous le savez, nous engageons une politique d’aide à l’investissement en faveur de tous les dispositifs de sécurisation mis en place pour tous les cultes, y compris le culte juif et le culte catholique. Nous avons, au travers du Fonds interministériel de prévention de la délinquance,…
M. le président. Il faut conclure !
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. … une politique très active de soutien à la sécurisation de ces lieux qu’il convient de protéger à tout prix. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)
décrets d’application (utilisation des caméras mobiles)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. Jean-Pierre Decool. À titre liminaire, je tiens à préciser qu’il n’y a ni provocation ni perfidie dans ma question. Un simple coup de téléphone informel aurait peut-être suffi. Si je la pose officiellement, c’est parce qu’elle est, me semble-t-il, révélatrice d’un malaise.
À tort ou à raison, la psychologie collective française veut condamner la classe politique, réduite à son impuissance.
Emmanuel Macron a lancé des pistes de réflexion sur les réformes constitutionnelles. Je veux rebondir sur l’une d’entre elles : l’amélioration de la qualité de la loi. La nécessité de simplifier la procédure parlementaire et d’accélérer le temps législatif a en effet été évoquée.
Le temps démocratique est légitimement long, mais parfois trop long à l’heure du numérique. Certes, nous sommes réticents lorsqu’il s’agit de toucher à nos droits parlementaires. Néanmoins, à l’instar d’autres pays, le Sénat a déjà expérimenté des procédures d’adoption simplifiées.
Tancés pour notre lenteur, permettez-nous, monsieur le ministre, à notre tour, de vous tancer sur la vôtre, celle de l’exécutif.
Le Sénat a examiné et adopté, le 13 juin 2018, une proposition de loi relative à l’harmonisation de l’utilisation des caméras mobiles par les autorités de sécurité publique. Cette loi a été adoptée définitivement, le 30 juillet dernier, par l’Assemblée nationale. La procédure a donc été rondement menée.
Des décrets d’application sont prévus, après avis de la CNIL et du Conseil d’État. Nous sommes le 14 février 2019 ! Déjà sept mois d’attente, et les caméras sont toujours sagement rangées dans les tiroirs !
Monsieur le ministre, par votre action, ce dispositif des caméras-piétons a démontré son efficacité. À l’heure où les violences s’inscrivent désormais dans le rituel du samedi, pourriez-vous réfléchir également à accélérer le temps réglementaire ? Je ne mets pas en cause la qualité du travail fourni par vos services, mais je veux dénoncer ce décalage, incompris par l’opinion publique, entre la décision politique et sa concrétisation. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur, vous évoquez un décalage, une incompréhension. Je vais essayer de la lever, le plus simplement possible.
Vous avez raison de souligner que ces caméras-piétons sont un outil précieux pour les policiers et les gendarmes ; nous souhaitons qu’elles le soient pour les policiers municipaux. Une loi a effectivement généralisé ce dispositif à l’ensemble du territoire national après deux ans d’une expérimentation qui a porté ses fruits et s’est avérée extrêmement positive.
En effet, d’abord, ces caméras permettent de réduire les tensions lorsque des policiers municipaux interviennent. Ensuite, elles leur permettent de réunir des preuves judiciaires quand ils sont agressés. Enfin, comme vous le savez très bien, elles sont très utiles pour la formation des policiers municipaux.
M. François Grosdidier. On le sait depuis dix ans !
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. La loi en question a généralisé ce dispositif ; un décret d’application est en cours de préparation.
M. François Grosdidier. Ça fait six mois !
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Il a reçu des avis de la CNIL et du Conseil national d’évaluation des normes ; le Conseil d’État en est saisi depuis janvier 2019. Ce texte est donc à l’étude.
Je rappelle que ce dispositif est extrêmement contraignant. Comme vous le savez, quand les policiers rentrent au service, ils ne peuvent pas visionner eux-mêmes les images, mais doivent les stocker dans des conditions de sécurité optimales.
M. Simon Sutour. C’est Courteline !
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Dès lors, si ces dispositions réglementaires méritent d’être étudiées avant d’être adoptées, c’est d’abord pour protéger ces fonctionnaires de police municipale, tout comme nous protégeons les fonctionnaires de la police et de la gendarmerie nationales dans l’utilisation de ce dispositif.
Je peux en tout cas vous assurer qu’il n’y a aucune volonté du Gouvernement de ne pas mettre en œuvre ces dispositions. Bien au contraire, puisque nous travaillons main dans la main avec les polices municipales dans le cadre de la police de sécurité du quotidien et du continuum de sécurité que nous souhaitons.
À l’évidence, y compris dans le cadre de patrouilles communes, il est tout à fait indispensable, pour nous aussi, que les fonctionnaires de police municipale soient dotés de ces caméras-piétons. Tout sera donc mis en œuvre pour que ce décret soit publié le plus rapidement possible.
financement du logement social
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Dallier. Ma question s’adresse à M. le ministre chargé de la ville et du logement.
Les chiffres de la construction pour 2018 étaient connus ; ils sont mauvais, en baisse de 7 %. Le nombre de logements sociaux financés en 2018 vient tout juste d’être annoncé ; les chiffres ne sont pas mauvais, monsieur le ministre, ils sont très mauvais ! On relève une baisse de 20 % en deux ans en Île-de-France, une évolution en retrait de 20 % par rapport à l’objectif fixé pour 2018. Bien évidemment, tout le monde s’inquiète pour 2019, car il n’y a aucune chance que la situation s’améliore.
Cela pénalise évidemment les Français qui attendent un logement social, mais cela pénalisera aussi les communes, auxquelles, au titre de l’article 55 de la loi SRU, on assigne des objectifs de construction de logements sociaux.
M. Roger Karoutchi. Absolument !
M. Philippe Dallier. En 2015, le CGEDD, organisme d’État, avait déjà tiré la sonnette d’alarme en nous prévenant que les deux tiers des communes risquaient d’être carencées en 2019, parce que les objectifs assignés étaient trop importants. Si l’on y ajoute la crise du logement social, que vous avez créée par vos choix politiques, vous allez mettre beaucoup de communes dans une très grande difficulté !
Alors, monsieur le ministre, quelles instructions le Gouvernement entend-il donner aux préfets de région, qui président les comités régionaux de l’habitat, pour que cette difficulté soit prise en compte au moment où sera jugée la bonne volonté des maires pour la construction de logement social ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. le ministre chargé de la ville et du logement.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Monsieur le sénateur, vous évoquez les chiffres de la construction dans le domaine du logement social, qui viennent de nous parvenir.
À l’échelle du territoire national, en 2018, la construction d’environ 109 000 logements a été lancée, contre 113 000 l’année précédente. Le référentiel que vous donnez pour l’Île-de-France est celui de 2016, qui était une année exceptionnelle (Marques de satisfaction et exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et républicain.), comme vous le savez.
En Île-de-France, la baisse de 3 % par rapport à l’année précédente porte le niveau de construction à peu près au même niveau qu’en 2015. Voilà la réalité des chiffres dont nous disposons !
Monsieur le sénateur, nous nous connaissons trop pour que je vienne devant vous faire de l’angélisme et prétendre que les chiffres sont bons. Aujourd’hui, nous n’avons absolument pas suffisamment de logements sociaux. Alors, que faire face à ce problème ? Au moins deux démarches doivent être entreprises à très court terme.
La première consiste à faire en sorte de lever les incertitudes et les inquiétudes qui perdurent aujourd’hui au sein du mouvement des logements sociaux. C’est notamment toute la démarche de la clause de revoyure que nous avons engagée et à laquelle vous participez. Il s’agit de pouvoir trouver des solutions, notamment à l’égard des inquiétudes bien connues qui s’expriment pour l’année 2020.
La seconde consiste à mettre en œuvre la réforme que nous avons portée dans le cadre de la loi ÉLAN. Cela est absolument nécessaire ; j’en veux pour preuve un seul élément. Beaucoup de voix, y compris sur ces travées, ont porté l’idée d’un certain nombre de regroupements. Au moment où je vous parle, 340 structures de logement social sont concernées par de tels regroupements. À peu près 230 d’entre elles ont entamé ces procédures ; les deux tiers ont déjà bien progressé dans leur projet. Il faut continuer d’aller dans cette direction avec détermination.
Enfin, vous évoquez les carences d’application de la loi SRU. Vous connaissez très bien le système : vous savez qu’une appréciation des carences et de l’atteinte des objectifs triennaux est effectivement accomplie par les préfets. J’ai pris bonne note de votre recommandation à ce sujet, monsieur le sénateur.
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier, pour la réplique.
M. Philippe Dallier. Monsieur le ministre, au moins sur le constat, nous devrions pouvoir tomber d’accord : il y a urgence pour le logement social ! Ici, au Sénat, des Républicains au parti communiste, à l’automne 2017 comme à l’automne 2018, tout le monde vous a dit que vos décisions allaient précipiter le secteur dans une crise.
Mme Sylvie Robert. Absolument !
M. Philippe Dallier. Nous y sommes ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) Alors, il serait fort de café que les communes auxquelles la loi assigne des objectifs de construction paient les pots cassés de la politique que vous avez décidé de conduire. Regardez la réalité en face et prenez les bonnes décisions ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe socialiste et républicain.)
épidémie de grippe
M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme Jocelyne Guidez. Madame la ministre des solidarités et de la santé, l’épidémie de grippe touche de plein fouet notre pays ; elle est à son niveau maximum. Depuis le mois de janvier, nous dénombrons, hélas, près de 1 100 décès !
Nos services d’urgence ne désemplissent pas. Les complications respiratoires, ainsi que l’embouteillage classique des salles d’attente, expliquent en partie ce phénomène.
Dans le département de l’Essonne, à l’hôpital d’Arpajon, un médecin réanimateur expliquait à France 3 que la priorité était donnée aux urgences virales. Il indiquait que huit lits supplémentaires avaient été ouverts cette année. Surtout, des interventions programmées et des prises en charge de chimiothérapies ont dû être décalées.
C’est donc un sujet de santé publique sérieux, qui n’est pas à prendre à la légère. Ce sujet concerne l’ensemble des Français. Parmi la population, les personnes âgées de plus de soixante-cinq ans et les enfants sont les plus touchés, car ils sont les plus fragiles.
Selon l’Agence nationale de santé publique, les résultats préliminaires disponibles en semaine 5 indiquent une efficacité vaccinale chez l’ensemble des personnes à risque de 59 % contre le virus A-H1N1 et de 19 % contre le virus A-H3N2. Dans le même temps, toujours selon le bulletin d’information de l’ANSP, la couverture vaccinale en France métropolitaine a progressé de 1,6 % par rapport à l’année dernière pour l’ensemble des sujets à risque.
Par conséquent, madame la ministre, plusieurs questions se posent.
D’abord, pouvez-vous nous confirmer ce bilan ?
Ensuite, même s’il est encore tôt pour tirer des conclusions, qu’en est-il vraiment de l’efficacité du vaccin ? Faudrait-il envisager, comme certains le proposent, une obligation vaccinale pour les publics fragiles et les professionnels exposés ?
Enfin, ne conviendrait-il pas de renforcer les campagnes de vaccination et de sensibilisation contre la transmission du virus ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, je vous remercie d’intervenir sur ce sujet de santé publique qui préoccupe nos concitoyens.
Le virus de la grippe circule chaque hiver en métropole ; il est responsable de très nombreux décès. Ce virus a des conséquences potentiellement graves, surtout pour les sujets fragiles, les personnes âgées et celles qui ont déjà des pathologies chroniques ; cela peut évidemment entraîner le décès de ces patients.
Cette année, comme chaque année, lors du pic épidémique, les urgences sont saturées. Nous sommes donc très attentifs.
Nous renforçons les campagnes d’information afin de favoriser la couverture vaccinale chez les personnes à risque, à savoir les personnes âgées de plus de soixante-cinq ans, les personnes diabétiques, les personnes obèses et les femmes enceintes.
Nous avons également le souhait d’augmenter la couverture vaccinale des professionnels soignants ; cette couverture est insuffisante dans nos établissements de santé et nos établissements médico-sociaux.
À cette fin, j’ai pris deux mesures particulières cette année.
D’une part, j’ai élargi la possibilité de vaccination dans les pharmacies, en autorisant notamment les primo-vaccinations, ce qui n’était pas le cas auparavant, dans quatre régions françaises. Cela a abouti à 700 000 vaccinations en pharmacie. Cette mesure sera étendue à l’ensemble de la France dès l’année prochaine, en application d’une mesure adoptée au sein de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019.
D’autre part, j’ai demandé à tous les ordres des professionnels de santé qu’ils signent une charte d’engagement pour favoriser la vaccination des professionnels soignants.
Grâce à ces deux mesures, qui démarrent seulement, nous avons déjà augmenté la couverture vaccinale de 1,6 %. Certes, l’efficacité du vaccin n’est, cette année, pas toujours optimale. Cependant, même quand tel est le cas, il permet de réduire les conséquences de la maladie et la circulation du virus.
En semaine 6, en médecine ambulatoire, ce vaccin a aujourd’hui une efficacité de 74 % sur l’une des souches et de 21 % sur la deuxième en circulation. Nous disposerons de chiffres consolidés d’ici à la fin de l’épidémie, dans quelques semaines. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
fonction publique
M. le président. La parole est à M. Arnaud de Belenet, pour le groupe La République En Marche. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. Arnaud de Belenet. Ma question s’adresse à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics.
Voilà déjà près de quatre-vingts ans, le statut des fonctionnaires était créé. Dans le respect de ses valeurs et ses principes, me semble-t-il, vous présentiez hier soir une transformation de la fonction publique aux partenaires sociaux.
Nous savons une telle transformation nécessaire, parce que le secteur public, au même titre que le secteur privé, est confronté à des mutations majeures : la montée en puissance du digital, notamment de l’intelligence artificielle, mais aussi, dans ce contexte, les exigences nouvelles des usagers pour un meilleur service public.
Elle est nécessaire aussi, parce que la fonction publique fait face à un enjeu d’attractivité en raison des attentes des jeunes générations et du manque de mobilité, non seulement entre les trois fonctions publiques, mais aussi avec le secteur privé.
Elle est nécessaire, enfin, parce que la fonction publique mérite l’allégement de contraintes qui entraînent de la précarité, voire de l’instabilité, qui limitent le redéploiement des services publics, particulièrement en milieu rural, ou l’accès à ses métiers par l’apprentissage ou encore par les professionnels titulaires de diplômes d’État, tels les professionnels de santé.
Depuis quarante ans, il est demandé aux agents publics de s’adapter, mais on ne leur en donne pas les moyens. Je pense notamment à la formation. Des métiers sont interrogés, remis en cause. Les agents doivent pouvoir bénéficier d’une deuxième carrière, voire d’une troisième, et ne pas être laissés sur le bord de la route.
Alors, je comprends que vous proposez, notamment, plus d’autonomie pour les cadres, la reconnaissance du mérite, tant pour les fonctionnaires que pour les contractuels, davantage de mobilité, ainsi que l’égalité de traitement et de carrière entre les hommes et les femmes.
Il n’est pas envisageable de maintenir un statu quo. Quelques syndicats ont pourtant exprimé des réserves.
Alors, monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous indiquer la place que vous comptez donner, dans les semaines à venir, aux syndicats, aux associations représentatives des collectivités, au débat parlementaire, en particulier au Sénat, et bien évidemment aux agents publics ? (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – M. Loïc Hervé applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics. Monsieur le sénateur, comme vous l’avez dit, j’ai présenté hier aux partenaires sociaux une réforme du statut de la fonction publique. Il s’agit, tout en restant fidèle à ses principes et à ses valeurs, de répondre à la nécessité impérieuse de transformer ce statut, d’apporter des souplesses pour permettre à l’administration d’être plus efficace, mais aussi de donner des droits nouveaux tant aux agents titulaires qu’aux agents contractuels.
Nous allons travailler, comme nous l’avons fait depuis un an, avec les organisations syndicales et les employeurs publics, pour mettre en place un dialogue social à la fois plus simplifié, recentré sur l’essentiel et protecteur, pour créer de nouveaux leviers managériaux en matière de diversification des recrutements et d’amélioration des conditions d’emploi des agents contractuels, mais aussi pour mieux tenir compte de l’engagement et du mérite.
Nous allons aussi travailler, à l’évidence, sur la question de la formation et des mobilités. C’est sur ce point que vous avez particulièrement insisté, en soulignant combien les employeurs publics doivent être exemplaires en la matière ; nous ne le sommes pas aujourd’hui.
M. Rachid Temal. C’est le démembrement !
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Nous devons permettre à des agents dont le métier est remis en cause par des évolutions technologiques, par des restructurations, par des réorganisations ou par des révisions de politiques publiques de connaître une deuxième ou une troisième carrière. Cela nécessite d’améliorer le système de formation initiale, mais aussi continue des agents.
C’est l’occasion pour moi de saluer le travail que vous avez mené avec le député Jacques Savatier sur le système de formation continue des agents de la fonction publique territoriale. Vous avez remis, mardi dernier, un rapport à M. le Premier ministre sur ce sujet. Ce rapport utile et précieux, parce qu’il explore différents scénarios, est né d’une concertation et de rencontres nombreuses sur le territoire ; il nous permettra de nourrir les travaux en la matière.
Vous me demandez quelle place est donnée dans le processus de concertation aux organisations syndicales, aux employeurs et aux parlementaires, ainsi qu’à l’ensemble des agents du service public. Il s’agit d’une place forte : nous avons ouvert une concertation avec les instances représentatives, et j’attends des organisations syndicales des propositions de représentation.
M. Rachid Temal. Elles n’en veulent pas !
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Concernant les parlementaires, votre rapport est l’illustration des enrichissements que le débat parlementaire nous permettra d’apporter à ce texte pour construire une fonction publique moderne, rénovée, protectrice des agents et au service des usagers. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Loïc Hervé applaudit également.)
M. Jean-Marc Todeschini. Dites plutôt que vous cassez la fonction publique !
retrait des troupes américaines de syrie
M. le président. La parole est à M. Rémi Féraud, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Rémi Féraud. Dans la guerre contre Daech, ce sont les Kurdes qui ont neutralisé plus de 30 000 djihadistes et chassé cette organisation terroriste de tous les territoires qu’elle occupait. Ils ont, pour ce faire, sacrifié des milliers de combattants et se sont révélés être des alliés remarquables. Alors, comment accepter qu’à l’heure de la victoire militaire les Kurdes soient abandonnés par la coalition internationale ?
Après le retrait annoncé de l’armée américaine, une fois privés de défense aérienne et d’armes lourdes, les Kurdes, mais aussi leurs alliés arabes et chrétiens, se retrouveront seuls face à une prévisible agression du Président turc et de ses supplétifs islamistes. Nous ne pouvons pas l’accepter ! L’invasion du canton d’Afrine, il y a tout juste un an, a déjà entraîné des crimes, des destructions et des déplacements de la population kurde qui s’apparentent à un véritable nettoyage ethnique.
Face à une situation très inquiétante, il est indispensable que la France et l’Europe s’engagent aujourd’hui avec force. Des voix s’élèvent pour appeler à une initiative européenne soutenant la création par l’ONU d’une zone de protection dans le nord de la Syrie. Cette zone de protection dissuaderait toute invasion de l’armée turque, ainsi que le retour des troupes du régime syrien. Elle empêcherait l’expansion de l’influence russe et iranienne. Enfin, elle favoriserait une meilleure protection des minorités dans les négociations sur l’avenir de la Syrie.
La France a là une occasion historique de sauver l’honneur de la coalition contre Daech en se mobilisant réellement avec ses alliés européens. Pouvons-nous compter sur le Président de la République et sur le Gouvernement pour agir en ce sens ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – M. François Bargeton et Mme Françoise Laborde applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès de la ministre des armées.
Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’État auprès de la ministre des armées. Monsieur le sénateur, comme vous l’avez rappelé, nous sommes à la veille d’une étape décisive au Levant.
L’engagement militaire de la communauté internationale dans la région vise à défaire Daech et à permettre aux forces irakiennes de contenir sa résurgence. L’opération Chammal, en formant les forces irakiennes et en appuyant les Kurdes syriens et leurs partenaires, permet d’achever la reconquête de l’ultime bastion de Daech. Cependant, je le dis aujourd’hui, les terroristes s’accrochent aux quelques enclaves qu’il leur reste ou se dissimulent au milieu des populations civiles.
Nos alliés américains ont annoncé leur retrait. Néanmoins, à la suite de discussions, ils ont conditionné ce retrait à la défaite du califat territorial. Il est également essentiel que ce désengagement de Syrie ne soit pas précipité, et ce pour deux raisons : nous entrons dans une phase difficile de vérification de terrain, d’une part, et la situation humanitaire s’aggrave et nous préoccupe, d’autre part.
Nous poursuivons donc nos discussions avec les Américains, au sein de la coalition, pour donner des garanties aux Kurdes de Syrie, contrer les ambitions iraniennes et éviter la dispersion des combattants étrangers.
Bien sûr, nous continuerons d’apporter notre soutien aux efforts menés en faveur de la stabilité de la région. Nous ne pouvons abandonner les forces arabes et kurdes, qui ont combattu vaillamment. Une solution négociée sera nécessaire ; elle devra préserver leur sécurité, mais aussi répondre aux préoccupations de sécurité légitimes de la Turquie.
Dans ce contexte, dont vous conviendrez qu’il est très complexe, nous restons naturellement attachés à ce qu’une solution politique puisse être apportée globalement à la crise syrienne et nous poursuivrons les échanges avec nos partenaires.
M. le président. La parole est à M. Rémi Féraud, pour la réplique.
M. Rémi Féraud. J’entends l’intention, mais je crois qu’il faudra, à un moment, passer de l’intention aux actes ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
débat national
M. le président. La parole est à M. Cédric Perrin, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Cédric Perrin. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Emmanuel Macron a décidé d’organiser le grand débat. Concertation, discussion, négociation, ouverture, écoute sont les mots que le chef de l’État martèle, à juste titre, dans ses échanges avec les maires et les Français depuis quelques semaines. Il les place haut ! Il en fait l’alpha et l’oméga de sa nouvelle méthode de gouvernance, et il a sans doute raison. Qu’importe que sa conversion au dialogue soit tardive. Elle seule permettra de sortir de la crise, car on ne peut pas réformer la société par voie d’autorité.
Cette nouvelle méthode aurait-elle échappé à votre gouvernement, monsieur le Premier ministre ? Une réforme de la justice contre l’ensemble des professionnels du droit – magistrats, avocats, greffiers –, sans écouter les propositions du Sénat, qui vous a pourtant tendu la main en organisant une table ronde sur le sujet ; un projet de loi Santé contre les professionnels du secteur, qui dénoncent tous un texte élaboré sans concertation et dont l’essentiel des propositions sera formalisé par ordonnances ; annonce d’une réduction des dessertes de TGV – je ne crois pas avoir entendu les Français formuler une telle demande, pas même dans les grands débats – ; une carte pénitentiaire imposée aux élus locaux, sans dialogue ni concertation ; des ordonnances pour réformer la politique des déchets… Dois-je rappeler, ici, le travail colossal des parlementaires sur ce sujet, comme sur d’autres sujets que je viens d’évoquer ? Pourquoi les mettre à distance ?
Monsieur le Premier ministre, comme vous pouvez le constater, les exemples ne manquent pas. Ils sont nombreux. Je suis pourtant convaincu que la voie de l’apaisement est celle que vous recherchez. Alors, qu’attendez-vous pour mettre en œuvre dans votre politique la seule méthode qui vaille, celle de la concertation ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre chargé des relations avec le Parlement.
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Je vous remercie de cette question, monsieur le sénateur Perrin, et du ton que vous avez employé. Au moment où se tient le grand débat, nous avons besoin, les uns et les autres, de pouvoir débattre sereinement. C’est ce que vous faites.
Vous interpellez le Gouvernement sur la tenue de ce grand débat, dont – nous partageons évidemment ce sentiment – vous soulignez l’utilité, mais aussi sur sa traduction législative et la manière dont nous pourrions travailler avec le Parlement.
Vous citez un certain nombre de textes sur lesquels il peut y avoir des désaccords. Dois-je vous rappeler, aussi, que nous avons trouvé des accords, y compris avec le Sénat, sur d’autres ? Je pense, par exemple, à la loi Ferroviaire.
Nous devons assumer – c’est le jeu démocratique – le fait que nous pouvons acter des désaccords sur certains textes, parfois en ayant trouvé des voies de convergence partielle, et que, sur d’autres, nous pouvons aboutir à des accords, avec le Sénat et l’Assemblée nationale, au travers des navettes ou des commissions mixtes paritaires.
Le grand débat est en cours. Le Président de la République et le Premier ministre ont annoncé un certain nombre d’étapes qui, nécessairement, auront leur traduction législative. La discussion aura alors lieu au Parlement. Nous comptons bien que celui-ci puisse se saisir de ces questions, car, comme vous l’avez dit, si le débat avec les Français est nécessaire, la démocratie représentative doit aussi être renforcée dans son rôle d’interface entre les citoyens et le Gouvernement.
Nous entendons donc travailler avec le Parlement – Sénat et Assemblée nationale – pour trouver des voies de convergence. Mais, je vous l’avoue, il se trouvera aussi des configurations dans lesquelles ce ne sera pas possible. C’est aussi sain en démocratie ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
Mme Élisabeth Lamure. Et la réponse ?
M. le président. La parole est à M. Cédric Perrin, pour la réplique.
M. Cédric Perrin. Pour dialoguer, il faut être deux ! Si le décalage entre les annonces qui sont en train d’être faites par le Président de la République et les actes se confirme, le remède pourrait être pire que le mal ! Sans doute la déception sera-t-elle, alors, à la hauteur des espoirs suscités par ces annonces. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
situation d’arjowiggins
M. le président. La parole est à Mme Anne Chain-Larché, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Anne Chain-Larché. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre. Elle porte sur l’avenir que vous avez le pouvoir de réserver aux 240 salariés de l’entreprise Arjowiggins Security, dont la liquidation judiciaire a été brutalement annoncée à la mi-janvier, avec, à la clé, des familles bouleversées et des vies sans lendemain.
Ce sont 250 millions d’euros d’argent public qui ont été distribués par Bpifrance à des fonds voyous, qui se sont comportés comme des charognards.
L’entreprise Arjowiggins est le cœur battant de tout un territoire en Seine-et-Marne, le nôtre ! Elle dispose d’un savoir-faire exceptionnel pour fabriquer le papier sécurisé français pour nos passeports, cartes d’identité, cartes grises, permis de conduire. Aujourd’hui, la seule en France !
À ce jour, nous en sommes réduits à mendier auprès de la ministre du travail pour obtenir un PSE digne pour les salariés.
Je suis sénatrice de Seine-et-Marne, et je veux faire part à la Haute Assemblée de mon indignation face à votre mutisme.
J’ai écrit au Président de la République pour l’alerter sur l’extrême urgence à intervenir. Pas de réponse !
Je vous ai adressé une copie de ce courrier, ainsi qu’à Bruno Le Maire. Pas de réponse !
Hier, Christian Jacob vous a posé une question. Pas de réaction, ou si peu ! (M. le Premier ministre le conteste.)
Que faut-il faire pour attirer votre attention ?
Il serait inconcevable que la France ne fabrique pas elle-même son papier sécurisé pour ses documents officiels. C’est en France qu’il faut le faire, et pas ailleurs !
Mme Nathalie Goulet. Voilà !
Mme Anne Chain-Larché. Qui d’autre qu’Arjowiggins pour le faire ? C’est une question, non seulement d’ambition, de stratégie, mais aussi de sécurité nationale.
Qu’attendez-vous, monsieur le Premier ministre, pour mobiliser un financement en vue d’aider ces salariés remarquables, investis et responsables, à créer une société coopérative et participative ? Qu’attendez-vous pour vous déplacer sur le terrain ? Les salariés se désespèrent d’obtenir votre aide concrète, et nous aussi ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics. Madame la sénatrice, vous appelez l’attention du Gouvernement sur la situation de la société Arjowiggins Security de Jouy-sur-Morin, qui a été placée, comme l’ensemble des sociétés du groupe Arjowiggins, en liquidation judiciaire le 30 janvier dernier. Vous l’avez rappelé, Arjowiggins Security, ancienne filiale du groupe papetier Sequana, emploie 265 salariés, dont environ 220 sur le site de production que vous évoquez.
En avril 2018, l’entreprise avait été cédée par Sequana au groupe Blue Motion Technologies, détenu par le fonds germano-suisse Parter Capital Group. Dans ce cadre, le repreneur s’était engagé devant le tribunal à limiter les suppressions d’emplois et à soutenir cette société dans ses efforts de modernisation et de recherche de nouveaux marchés. Il s’était également engagé à subvenir au financement des opérations par le biais de divers instruments bancaires, notamment l’obtention de garanties d’un montant de 7 millions d’euros.
Quelques mois à peine après la reprise, le groupe BMT n’avait proposé aucun plan industriel crédible et a toujours refusé d’octroyer le moindre euro pour remédier à une situation financière très dégradée. Malgré les nombreux efforts de l’État – vous les avez rappelés –, y compris sur le plan financier, et l’attitude constructive des salariés, qu’il faut saluer, car ils se sont montrés systématiquement ouverts pour améliorer la compétitivité du site, la déclaration de liquidation judiciaire confirme l’échec du groupe BMT et l’irresponsabilité des dirigeants du fonds Parter.
Vous avez souligné, madame la sénatrice, combien la production de cette usine était importante, notamment pour la production de papier sécurisé.
M. le Premier ministre a eu l’occasion de répondre, hier, au président Christian Jacob, qui posait une question sur le même sujet – vous l’avez aussi rappelé. M. le Premier ministre a mentionné un engagement total de l’État pour trouver des solutions, mais il a aussi souligné devant l’Assemblée nationale, comme je me permets de le faire devant le Sénat, le caractère extrêmement dégradé de la situation.
Vous connaissez ce site, madame la sénatrice, et sa situation financière. Nous pouvons ensemble dénoncer l’irresponsabilité de tel ou tel acteur économique privé ne tenant pas les engagements qu’il a pris et les risques qu’un tel comportement fait peser sur ce secteur. Il faut regarder cette réalité en face et travailler de concert.
La question posée, hier, par le président Jacob augurait d’une vraie capacité des élus à se rassembler, avec le Gouvernement, pour chercher ensemble toutes les solutions possibles. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – MM. Jean-Marc Gabouty et Jacques Mézard applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Anne Chain-Larché, pour la réplique.
Mme Anne Chain-Larché. Assez de faire du vent ! Aujourd’hui, pour votre majorité, la question n’est pas de savoir si l’on doit cocher les cases « parent 1 » et « parent 2 » à la place de « père » et « mère » ; c’est de sauver des emplois, qui assureront une indépendance à la France ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, je vous remercie.
Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de Mme Hélène Conway-Mouret.)
PRÉSIDENCE DE Mme Hélène Conway-Mouret
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
9
Délai d’intervention du juge des libertés et de la détention en rétention administrative à Mayotte
Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission.
Mme la présidente. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative au délai d’intervention du juge des libertés et de la détention en rétention administrative à Mayotte.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Guillaume Arnell.
M. Guillaume Arnell. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui tend à rétablir à cinq jours le délai de saisine du juge des libertés et de la détention dans le département de Mayotte. Cette dérogation au droit commun avait effectivement été supprimée par erreur dans la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie. Les auteurs de la proposition de loi nous proposent de corriger cette erreur matérielle.
Il est utile de préciser l’urgence à adopter ce texte. Sans cela, le délai de droit commun de deux jours s’appliquerait à Mayotte dès le 1er mars prochain. Toutefois, nous ne pouvons adopter cette proposition de loi au seul motif qu’elle vient corriger une erreur sans examiner au préalable la pertinence du dispositif qu’elle entend rétablir.
Pour mémoire, le délai de cinq jours avait été introduit à l’article 31 de la loi du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, à la suite de l’adoption de deux amendements identiques des députés de Mayotte MM. Boinali Said et Ibrahim Aboubacar.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Très juste !
M. Guillaume Arnell. Nos deux collègues parlementaires avaient indiqué, dans l’exposé sommaire, que leur amendement avait pour objet de garantir, dans le contexte migratoire particulier qui y prévaut, la mise en œuvre effective à Mayotte des principes des réformes contentieuses de la loi du 7 mars 2016.
Ayant lu avec attention le rapport de notre collègue Thani Mohamed Soilihi, il en ressort effectivement et très nettement que la pression migratoire sur son territoire est extrêmement forte – affolante, même. Ainsi, 48 % de la population de Mayotte est de nationalité étrangère, soit 120 000 personnes pour une population d’environ 256 000 habitants en 2017. Les estimations du nombre d’étrangers en situation irrégulière oscillent entre 60 000 et 75 000 personnes, chiffres très probablement sous-estimés.
Nous pouvons aisément imaginer le grand nombre de dossiers que le territoire doit traiter. Les représentants de la préfecture, lors de leur audition, ont ainsi fait part de leurs craintes quant aux conséquences difficilement surmontables d’une réduction du délai à deux jours. Le délai dérogatoire de cinq jours fait donc largement consensus, tant pour le Gouvernement que pour la majorité des groupes parlementaires. Aussi, le groupe du RDSE votera à l’unanimité en faveur de cette proposition de loi.
Je veux néanmoins rappeler, à toutes fins utiles, que, lors de l’examen de la loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie par la Haute Assemblée en juin 2018, je regrettais que bien des points n’aient pas été soulevés ou, du moins, approfondis. Ainsi, ce texte ne présentait pas ou peu de solutions sur différents points : la lutte contre la traite d’êtres humains ; la difficile question des mineurs, même accompagnés ; la nécessaire réflexion sur le codéveloppement partout où les États vacillent et où il y a de la détresse économique ; l’impérieuse nécessité, enfin, de confier un rôle plus important aux élus locaux dans la procédure des régularisations administratives.
À titre d’illustration sur ce dernier point, j’avais suggéré la création d’un office des migrations à Saint-Martin, pour mieux coordonner délivrance des titres de séjours et délivrance des titres de travail.
Bien que ces points n’entrent pas dans la discussion sur ce texte, je veux néanmoins inviter le Gouvernement – à travers vous, monsieur le secrétaire d’État – à se saisir ultérieurement de ces sujets importants.
Pour l’heure, au vu des délais contraints, le groupe du RDSE suivra les auteurs de la proposition de loi, afin que celle-ci soit adoptée avant le 1er mars 2019, raison pour laquelle nous n’avons pas non plus proposé d’amendements.
Mayotte, au regard de la pression migratoire exceptionnelle qui s’exerce sur son territoire, mérite que lui soit appliquée une législation différenciée. Mais, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cela ne réglera pas ce problème, beaucoup plus profond et dont il faudra bien, un jour, se saisir. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les arguments et données présentés par le secrétaire d’État et le rapporteur Thani Mohamed Soilihi ce matin nous semblent emporter la conviction quant à l’opportunité de cette proposition de loi et de sa concentration sur son seul objet. Certains de nos collègues ont effectivement été tentés d’élargir le débat, mais il vaut mieux que nous restions prudents et respections scrupuleusement les principes de la procédure parlementaire. Nous allons donc soutenir cette démarche.
Je voudrais néanmoins formuler deux observations.
Premièrement, nous sommes ici face à un cas d’application de dispositions spécifiques en matière d’accueil et de contrôle des étrangers sur un territoire – en l’occurrence un département – d’outre-mer et nous avons eu l’occasion, voilà peu, d’obtenir du Conseil constitutionnel, saisi sur un texte de loi, une confirmation dans ce domaine. Selon ce dernier, il est parfaitement conforme au principe d’égalité et à l’ensemble des règles de protection des libertés d’appliquer des dispositions spécifiques à un territoire ou à un département ultramarin dont les particularités le justifient, à condition, bien entendu, de rester en ligne avec les principes directeurs de notre droit.
Deuxièmement, M. le secrétaire d’État a été ce matin tout à fait convaincant dans sa présentation des faits. La facilité, dans un tel débat, serait de s’en tenir à du « y a qu’à » – passez-moi l’expression – et de dire : « Compte tenu de l’encombrement, compte tenu du nombre de dossiers, alors rajoutez des moyens ! ». Or, on le voit bien, du fait de la rigidité de nos systèmes d’organisation, du fait des garanties qu’il faut prendre pour renforcer les services avec des personnels qualifiés, dans un certain nombre de situations qui engagent l’application du droit sur des questions qui ne sont pas mineures, on est bien obligé de trouver des dispositifs d’adaptation, sans simplement se réfugier derrière l’augmentation indéfinie des moyens. C’est aussi cela, la gestion publique, cette capacité pragmatique d’adaptation.
Au sein de cette assemblée, je crois que nous pouvons le comprendre et l’approuver. C’est la raison pour laquelle notre groupe votera évidemment cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. À ce stade du débat, dans lequel chacun a pu s’exprimer, j’aimerais revenir sur ce qui a été dit. J’ai entendu des propos inexacts, désobligeants, voire outranciers.
Dans le registre de l’inexactitude, chère collègue Esther Benbassa, vous avez parlé de la suppression du droit du sol à Mayotte. Le droit du sol n’est pas supprimé à Mayotte ! Que vous continuiez à ne pas être d’accord avec les dispositions qui ont été votées et qu’Alain Richard vient de rappeler, nonobstant les décisions du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel, c’est votre droit le plus absolu, mais je ne peux pas vous laisser dire que le droit du sol a été supprimé à Mayotte !
Mme Esther Benbassa. Il y a une dérogation !
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Cher collègue Jean-Yves Leconte, vous avez parlé de proposition de loi hypocrite. Alors, permettez-moi tout simplement de vous lire ceci : « Cet amendement ne revient en aucun cas sur les avancées récentes. Il organise les audiences, prenant en compte la situation très particulière de Mayotte, en conservant une égalité sur la durée totale de rétention, qui reste de quarante-cinq jours au maximum. L’article revient au droit existant avant l’entrée en vigueur de la loi du 7 mars. C’est justifié par les contraintes pratiques que subit le juge des libertés et de la détention et par le nombre très élevé de contentieux. » Ces propos sont ceux d’Ericka Bareigts, alors ministre des outre-mer, qui défendait cet amendement déposé, je le rappelle, par des députés socialistes. De quel côté est l’hypocrisie ?
Enfin, et c’est toujours à vous que je m’adresse, cher collègue, vous me dites que l’on me maudira pour cette proposition. Vous rendez-vous parfois compte des propos que vous tenez ? En ce jour de la Saint-Valentin, on pourrait continuer à parler et à débattre librement de ces textes sans s’envoyer de tels mots. C’est ce à quoi je vous invite. (Sourires et applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Républicains.)
Mme Esther Benbassa. On fait de la politique ! On n’est pas des amoureux !
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi relative au délai d’intervention du juge des libertés et de la détention en rétention administrative à mayotte
Articles additionnels avant l’article 1er
Mme la présidente. L’amendement n° 8 n’est pas soutenu.
L’amendement n° 21, présenté par M. Leconte et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le III bis de l’article L. 551-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers est ainsi rédigé :
« III bis. – L’étranger mineur ne peut être placé en rétention en application des I et II du présent article. »
La parole est à M. Xavier Iacovelli.
M. Xavier Iacovelli. Cet amendement a pour objet d’interdire en toute hypothèse le placement en rétention d’un mineur, qu’il s’agisse d’un mineur accompagné ou d’un mineur isolé, l’intérêt supérieur de l’enfant ne devant souffrir aucune exception. Cette interdiction est d’autant plus urgente que, à Mayotte, ce sont près de 4 000 mineurs qui sont retenus chaque année en centre de rétention administrative.
En vertu de cette proposition de loi, ces enfants pourraient désormais être retenus sans pouvoir saisir le juge des libertés et de la détention avant le sixième jour et, ce faisant, faire l’objet d’un éloignement sans que le juge ait été saisi et ait pu statuer sur la légalité et la régularité de leur rétention.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Cet amendement vise à interdire, en toute hypothèse, le placement en rétention des mineurs. Ce sujet est beaucoup trop sérieux pour que nous l’abordions ainsi au détour d’une proposition de loi technique sur Mayotte.
En tout état de cause, un amendement identique a déjà été rejeté par la commission des lois, puis par le Sénat, lors de l’examen de la loi Immigration, asile, intégration. La position du rapporteur à l’époque, notre collègue François-Noël Buffet, avait été de limiter, mais non pas d’interdire, la rétention des mineurs. Par cohérence, je vous propose de réserver le même sort à cet amendement et de le rejeter. L’avis est donc défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur. L’avis du Gouvernement est défavorable.
Outre le fait que cet amendement est dépourvu de tout lien avec le texte, je rappelle que le placement en rétention des mineurs ne contrevient absolument pas à nos obligations internationales et européennes : il est très encadré, très limité et n’intervient que dans des conditions très précises. Je rappelle également qu’il faut que la famille du mineur étranger – puisque les mineurs sont toujours placés en rétention avec leur famille – ait fait obstacle à son éloignement une première fois. En outre, la durée du placement en rétention est la plus brève possible : la durée moyenne de placement des mineurs – et donc des familles – est d’un peu plus d’un jour à peine.
Il me semble donc que les conditions actuelles de placement sont suffisamment encadrées.
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Je suis contre la détention des enfants. Je soutiens donc l’amendement de mon collègue Jean-Yves Leconte.
En réponse à M. le rapporteur, je veux dire qu’il y a eu une dérogation au droit du sol à Mayotte. Ne jouons pas avec les mots !
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Il n’a donc pas été supprimé !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Nous ne nous faisons pas d’illusion sur le sort de cet amendement. Simplement, je souhaite que vous ayez raison, monsieur le secrétaire d’État, dans la description que vous faites de la manière dont se déroulent la rétention et l’éloignement des enfants à Mayotte.
Je me souviens que, lors des auditions auxquelles nous avions procédé pour préparer l’examen de la loi Collomb, les représentants de la préfecture de Mayotte nous avaient dit eux-mêmes qu’ils allaient un peu au-delà de ce qui était prévu par les textes. Pour peu qu’il lui ressemble, il arrive ainsi qu’on décide que telle personne est le parent de tel mineur, faisant de celui-ci un mineur accompagné, contrairement à la réalité.
À cet instant, dans cet hémicycle, c’est le moment de vous dire que nous ne pouvons pas jouer avec cela, qu’il est absolument indispensable que, à Mayotte, un mineur non accompagné reste un mineur non accompagné, qu’il soit traité comme tel et qu’on ne lui assigne pas un parent un peu plus âgé pour peu qu’il lui ressemble.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Je ne sais pas ce qui s’est dit lors de ces auditions, mais je peux vous confirmer que les règles sont strictement appliquées, que nous y veillons, que les fonctionnaires de la préfecture y veillent, à Mayotte comme sur le reste du territoire national.
La rétention est une chose suffisamment sérieuse pour que nous appliquions le droit, tout le droit et rien que le droit.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 21.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 1er
(Non modifié)
Les 18° et 19° de l’article L. 832-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile sont ainsi rétablis :
« 18° À la deuxième phrase du premier alinéa du III de l’article L. 512-1, au I de l’article L. 551-1, à la première phrase du premier alinéa de l’article L. 552-1, à l’article L. 552-3, au premier alinéa de l’article L. 552-7 et à la dernière phrase du premier alinéa de l’article L. 555-1, les mots : “quarante-huit heures” sont remplacés par les mots : “cinq jours” ;
« 19° Au premier alinéa et à la seconde phrase du troisième alinéa de l’article L. 552-7, le mot : “vingt-huit” est remplacé par le mot : “vingt-cinq”. »
Mme la présidente. La parole est à M. Abdallah Hassani, sur l’article.
M. Abdallah Hassani. L’objet de cette proposition de loi est de réparer un défaut de coordination dans la rédaction d’un texte à l’Assemblée nationale. Je ne reviendrai pas sur la nécessité de rétablir à Mayotte un délai de rétention administrative de cinq jours pour les étrangers en situation irrégulière, le rapporteur Thani Mohamed Soilihi et bien d’autres collègues l’ont parfaitement explicité. Je voudrais simplement ajouter que cette correction ne saurait devenir le prétexte à une surenchère démagogique, d’un bord ou d’un autre.
La situation à Mayotte, vous l’avez compris, chers collègues, est très difficile. L’île est petite – 374 kilomètres carrés seulement – et très peuplée : 900 habitants par kilomètre carré. En outre, 48 % de la population est étrangère, dont la moitié en situation irrégulière. La très grande majorité vient de l’État voisin, qui revendique ouvertement la souveraineté sur Mayotte.
Les Mahorais ont sans cesse à cœur la volonté d’être reconnus comme Français à part entière – cela remonte à loin – et la crainte de ne pouvoir vivre décemment et éduquer leurs enfants correctement, compte tenu de l’insuffisance énorme des infrastructures, de la pauvreté et de l’insécurité qui règne. Aussi, toute disposition relative aux étrangers doit être étudiée avec la plus extrême attention, dans le respect de la population mahoraise, qui vit au quotidien des difficultés dont on ne mesure pas l’ampleur dans l’Hexagone, sauf peut-être quand les troubles sociaux paralysent l’île plusieurs mois.
Pour autant, ce n’est pas que les Mahorais ne sont pas respectueux des droits de tout être humain : leurs traditions d’accueil tout au long de leur histoire peuvent en témoigner. Mais comment faire face aux milliers d’arrivées chaque année, alors que 84 % de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté, que les enfants vont par rotation à l’école et que les bidonvilles s’étalent sur des collines inconstructibles ?
Abordons donc les amendements qui nous sont proposés – et dont plusieurs ont été déclarés irrecevables – avec la plus grande prudence. D’ailleurs, une mesure qui semble séduisante peut engendrer de redoutables effets pervers. Pas de précipitation donc, même si cette proposition de loi de simple coordination légistique n’est sans doute pas le véhicule le plus approprié pour tenter de répondre à l’ensemble des inquiétudes et des attentes des Mahorais.
Mme la présidente. L’amendement n° 22, présenté par M. Leconte et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le rapporteur, il n’existe pas en France de droit du sol : il existe un double droit du sol ou un droit du sol accompagné de conditions de séjour sur le territoire français, la nationalité pouvant être demandée à partir de treize ans. Il est important de le préciser, parce que, à force de parler d’exception au droit du sol, on pourrait penser qu’il existe un droit du sol en France et que notre droit de la nationalité est le même que celui qui est en vigueur aux États-Unis. Or ce n’est pas le cas ! Il n’y a pas d’exception au droit du sol pour la simple raison qu’il n’existe pas de droit du sol, et ces conditions seront encore différentes à Mayotte !
Même si nous avons déposé cet amendement, nous ne nions pas, bien entendu, que le département de Mayotte fait face à une situation dramatique, avec une pression migratoire qu’aucun autre département français ne connaît. Les élus des outre-mer et de métropole ont été nombreux à lancer des appels à ce sujet. Pourtant, nous n’avons jamais trouvé les solutions permettant de traiter ces enjeux particuliers à Mayotte. Ce diagnostic, je crois que tout le monde le partage ici.
Une action diplomatique auprès des Comores, la lutte contre l’immigration irrégulière et contre les passeurs, une politique économique et sociale globale, qui incorpore aussi la situation comorienne : voilà la solution durable à cette situation ! En revanche, il est absolument impossible d’imaginer que c’est un recul des droits et des libertés fondamentales qui serait une réponse adaptée : on ne peut prétendre cela ni dans l’Hexagone ni à Mayotte.
Il faut, de manière répétée, faire le constat lucide que les politiques qui consistent à renier les droits et les libertés fondamentales sont inefficaces. Je n’exprime pas là mon seul point de vue ou le seul point de vue de certains ici : des Mahorais – des avocats, des associations – constatent sur le terrain que la pente dangereuse sur laquelle le territoire de Mayotte s’engage avec la France n’est pas une solution.
Depuis des années, on multiplie les législations dérogatoires, et vous en avez rappelé certaines, monsieur le rapporteur. Je vous rappelle aussi que, alors que nous appartenions à la même majorité, vous avez voté avec nous la loi Cazeneuve, qui a établi le principe d’une situation égale pour tous.
Ce n’est pas en allongeant les délais de saisine du juge des libertés et de la détention que nous résoudrons le problème, bien au contraire. Parce qu’en « expédiant » rapidement l’étranger en situation régulière avant cinq jours – c’est ce qui va se passer –, on va accélérer le carrousel des expulsions et retours, enrichissant encore plus les passeurs, ce qui fera peser encore plus de risques et de menaces sur la vie des gens. C’est la raison pour laquelle, considérant que cette proposition de loi n’est pas bonne, nous proposons la suppression de cette disposition majeure qui n’apporte rien à personne.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Cher collègue, je vous ai rappelé, avec d’autres intervenants, les chiffres qui témoignent de la pression migratoire exceptionnelle qui pèse sur l’île et les graves conséquences économiques et sociales de celle-ci.
Le délai dérogatoire pour l’intervention du juge des libertés et de la détention à Mayotte se fonde sur l’article 73 de la Constitution. Il est justement destiné à tenir compte des caractéristiques et contraintes particulières.
Je vous rappelle encore une fois, cher collègue, que cette disposition dont vous demandez la suppression a été introduite en 2017 sous un gouvernement socialiste par des collègues députés mahorais socialistes – et donc de la même sensibilité que la vôtre –, disposition soutenue par le rapporteur Victorin Lurel et adoptée avec un avis favorable de la ministre d’alors, Ericka Bareigts.
La pression migratoire exceptionnelle n’a pas évolué ces deux dernières années à Mayotte. Aussi, je comprends assez mal ceux qui veulent aujourd’hui remettre en cause une adaptation utile, alors que leurs propres collègues en sont à l’origine.
J’ai peut-être changé de bord, mais je suis constant dans mes positions : je demande le maintien de cette disposition.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Je ne reviens pas sur ce que vient de dire le rapporteur au sujet du rétablissement du délai de cinq jours. Je rappelle simplement que le délai pour saisir le juge d’une OQTF est de quarante-huit heures, délai suspensif qui continue à s’appliquer à l’intérieur de ce délai de cinq jours dont nous souhaitons le rétablissement. Je rappelle également que les individus qui sont placés en rétention bénéficient d’un accompagnement d’une association que nous finançons en grande partie, Solidarité Mayotte, laquelle, je crois, fait très bien son travail.
L’avis est donc défavorable.
Mme la présidente. Les amendements nos 11, 9 et 10 ne sont pas soutenus.
M. Loïc Hervé. M. Masson n’est pas là, c’est dommage ! (Sourires sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Articles additionnels après l’article 1er
Mme la présidente. L’amendement n° 3, présenté par M. Karoutchi, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le livre V du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est complété par un titre ainsi rédigé :
« Titre …
« Dispositions applicables à Mayotte
« Art. L. … – Par dérogation au présent livre, à Mayotte, les mesures d’éloignement peuvent être prises uniquement sur la base de troubles à l’ordre public, sans application des notions de : “menace pour l’ordre public”, “menace grave pour l’ordre public”, “menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l’encontre d’un intérêt fondamental de la société”, “nécessité impérieuse pour la sûreté de l’État ou la sécurité publique” ou de “comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes”. »
La parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Loïc Hervé. Il est là ! (Sourires.)
M. Roger Karoutchi. Ce n’est pas la peine de faire des commentaires désagréables sur ceux qui ne sont pas là ; cela peut arriver à tout le monde, y compris à vous !
Cet amendement est un rescapé. J’en avais déposé cinq, issus d’ailleurs des réflexions de notre ami Mansour Kamardine, mais quatre d’entre eux ont été déclarés irrecevables. Je me vois donc complètement désarmé par l’article 45… J’en parlerai avec le président Bas et avec le président Larcher. J’accepte tout à fait l’article 45, mais, l’Assemblée nationale et le Sénat n’en ayant pas la même interprétation, il est assez embêtant qu’on ne puisse aborder dans cet hémicycle des sujets qui sont parfois débattus par les députés. Une harmonisation serait peut-être souhaitable, même si, naturellement, chaque assemblée est libre.
L’objet de cet amendement est extrêmement simple : il tend à ce que des mesures d’éloignement puissent être prises uniquement sur la base de troubles à l’ordre public, sans application des notions de menace pour l’ordre public ou menace sur la sécurité publique, difficiles à caractériser. De fait, ces deux dernières notions donnent l’impression qu’il faut avoir fait des choses absolument abominables pour que des mesures d’éloignement soient prises. Ce n’est pas le cas avec la notion de troubles à l’ordre public, évidemment beaucoup plus facile à caractériser.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Cet amendement vise à modifier la notion d’ordre public applicable à Mayotte pour suspendre les garanties dont bénéficient certains étrangers.
Un tel débat de fond, qui est pertinent, mériterait d’avoir lieu à l’occasion de l’examen d’un texte de loi spécifique, et non au détour de cette proposition de loi technique destinée à corriger une erreur de coordination.
Adopter cet amendement, c’est prendre le risque de manquer la date butoir du 1er mars et de relancer la navette. Je rappelle que, faute d’un vote de ce texte dans les mêmes termes que l’Assemblée nationale, nous risquons de mettre dans de sérieuses difficultés les services de l’État à Mayotte.
Sur le fond, la rédaction du présent amendement pose aussi de nombreux problèmes. Elle semble même aller à l’inverse de la volonté de son auteur. En effet, l’amendement vise des troubles à l’ordre public dans des cas où, actuellement, une simple menace suffit. Tel qu’il est rédigé, je crains qu’il ne complique la tâche de l’administration chargée des éloignements.
Cet amendement traite d’un sujet parfaitement légitime, mais les circonstances m’incitent à vous demander, cher collègue, de bien vouloir le retirer ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Monsieur le sénateur, je tiens à vous assurer que le Gouvernement est très attentif aux questions d’ordre public en matière de lutte contre l’immigration irrégulière à Mayotte. La menace à l’ordre public doit être suffisamment grave pour fonder la décision de l’autorité administrative.
La sauvegarde de l’ordre public doit être conciliée avec d’autres considérations qui résultent de normes constitutionnelles et conventionnelles, notamment le droit à une vie familiale normale ou la protection contre les traitements inhumains et dégradants. La loi essaie d’avoir un traitement équilibré de cette question, comme nous nous y employons sur le terrain.
Toute modification, comme la simple référence aux troubles à l’ordre public, pourrait méconnaître certains de nos engagements internationaux ou être inconstitutionnelle et donner lieu à une censure du juge administratif, y compris du Conseil d’État. Je rappelle que le contrôle, dans ce contentieux, est un contrôle normal.
De plus, nous disposons déjà d’une politique extrêmement offensive concernant les OQTF, qui sont mises en œuvre pour des troubles à l’ordre public suffisamment graves, y compris de la part d’étrangers qui sont détenteurs d’un titre. Le retrait est également possible, puisque nous le pratiquons tout à fait régulièrement – je tiens aussi à vous rassurer à cet égard.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Je déplore moi aussi que nous n’ayons pu déclarer recevables davantage d’amendements.
Monsieur Karoutchi, je sais à quel point vous êtes investi, avec notre collègue Alain Richard, en faveur de la bonne régulation de nos travaux. Comme secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, vous avez naturellement été sensible, et vous l’êtes encore, à la nécessité que la loi garde sa cohésion et ne soit pas déformée par la dispersion des articles qui la rendent parfois obèse en abordant de multiples sujets. Au fond, nous avons intérêt à veiller à ce que les amendements aient un lien suffisant avec le texte en discussion.
Vous avez mentionné une approche différente de l’Assemblée nationale et du Sénat. Pour la loi ÉLAN, après décision du Conseil constitutionnel, vingt articles ont été annulés pour être des cavaliers, dix-huit issus de l’Assemblée nationale et deux du Sénat. Nous sommes donc plus respectueux de la règle. Reste que je suis d’accord avec vous.
Nous avons eu hier après-midi un débat provoqué par des rappels au règlement sur l’interprétation de l’article 45 de la Constitution et sur le recours qui pourrait être possible pour les auteurs d’un amendement ayant été déclaré irrecevable – aujourd’hui, aucun recours n’est prévu. Il serait intéressant de réfléchir aux voies et moyens qui permettraient de faire trancher, par l’autorité compétente, c’est-à-dire le Conseil constitutionnel, des différends susceptibles de surgir sur l’interprétation que nous donnons dans les commissions permanentes, et pas seulement au sein de la commission des lois, de l’article 45 de la Constitution, en croyant juste respecter la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui est plus sévère qu’autrefois.
J’en viens à l’amendement « rescapé » que vous avez présenté. Il pose, selon moi, un problème de fond qu’il faut traiter, et la réponse qu’il y apporte va dans la bonne direction. Vous avez mentionné notre collègue député Mansour Kamardine, avec qui j’ai également été en relation ces derniers jours. Il a raison : une meilleure prise en compte des menaces ou des troubles à l’ordre public est nécessaire pour faciliter l’éloignement d’étrangers en situation irrégulière.
Cela étant, nous considérons que le texte de votre amendement n’est pas suffisamment abouti ; nous aimerions pouvoir en discuter davantage. En outre, nous avons un impératif prioritaire : la proposition de loi doit être promulguée avant le 1er mars pour éviter que ne soient réduit le délai de rétention et mises en péril un certain nombre de mesures d’éloignement. C’est la raison pour laquelle, après avoir émis un jugement positif sur le fond de cet amendement, je préférerais vraiment que vous le retiriez, pour éviter qu’il ne fasse l’objet d’un vote contre.
Mme la présidente. Monsieur Karoutchi, l’amendement n° 3 est-il maintenu ?
M. Roger Karoutchi. J’en reparlerai avec Alain Richard lors de la nouvelle réflexion qui va s’engager sur le règlement du Sénat.
Au demeurant, l’interprétation des articles est bien compliquée. Par exemple, dès que vous demandez 10 centimes, la commission des finances met en avant l’article 40, mais elle laisse passer systématiquement toutes les demandes de rapport au Gouvernement. Or il suffirait que j’invoque le coût du rapport pour le Gouvernement qui va devoir le produire pour que l’amendement visé tombe sous le coup de l’article 40. Dans ces conditions, même des demandes de rapport ne pourraient plus passer. Sur ce sujet, je le redis, une réflexion s’impose.
M. le président de la commission des lois envisage un recours devant le Conseil constitutionnel. Je ne suis pas sûr que cela accélère le travail parlementaire si on le fait pour le moindre amendement. S’il faut suspendre les travaux le temps du recours, le travail parlementaire risque d’être un peu long… Donc, je n’y crois guère.
Sur le fond, j’ai bien entendu l’argumentation du président de la commission, du rapporteur et du secrétaire d’État, selon laquelle le texte doit entrer en vigueur le 1er mars. Par conséquent, je retire mon amendement, même si je suis sûr, monsieur le président Bas, qu’il aurait presque pu obtenir la majorité. Toutefois, je ne veux pas mettre en difficulté le Gouvernement avec un vote non conforme sur la proposition de loi, qui devrait ensuite retourner à l’Assemblée nationale. Ah, monsieur le secrétaire d’État, si vous aviez pu obtenir la même chose de la part de l’Assemblée nationale sur le texte de loi anticasseurs ! (M. Loïc Hervé applaudit.)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Très bien dit !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Je vous remercie, monsieur Karoutchi.
Je ne souhaite nullement que l’on interrompe le débat législatif en attendant l’appréciation de la recevabilité d’un amendement par le Conseil constitutionnel. Toutefois, quand la loi est adoptée et que des amendements ont, à tort, été déclarés irrecevables, nos collègues concernés devraient pouvoir en faire l’observation de manière que nous ayons une nouvelle grille de lecture de la recevabilité. C’est simplement une piste parmi d’autres, mais il y a suffisamment de collègues qui se plaignent de l’application de cette règle en matière d’irrecevabilité pour que nous en débattions.
Mme la présidente. L’amendement n° 15 n’est pas soutenu.
Article 1er bis
(Non modifié)
L’article L. 111-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :
1° Le k est complété par les mots : « , le nombre des mesures de placement en rétention et la durée globale moyenne de ces dernières » ;
2° Avant le dernier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Les données quantitatives énumérées au présent article font l’objet d’une présentation distincte pour la France métropolitaine et pour chacune des collectivités d’outre-mer. »
Mme la présidente. L’amendement n° 16 n’est pas soutenu.
Je mets aux voix l’article 1er bis.
(L’article 1er bis est adopté.)
Article 2
(Non modifié)
La présente loi entre en vigueur le 1er mars 2019.
Mme la présidente. Les amendements nos 17 et 18 ne sont pas soutenus.
Je mets aux voix l’article 2.
(L’article 2 est adopté.)
Intitulé de la proposition de loi
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. le rapporteur.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Je tiens à remercier l’ensemble de nos collègues qui ont pris part à la discussion de cette proposition de loi, y compris ceux avec lesquels nous n’avons pas été d’accord. Je remercie également M. le secrétaire d’État, ainsi que M. le président de la commission.
La situation de Mayotte, il faut la vivre. Nous avons beaucoup parlé d’éloignement, parce qu’il était question de corriger une erreur concernant la législation en la matière. En revanche, nous avons peu évoqué les étrangers, dont il ne faut pas croire que leur maintien à Mayotte soit quelque chose de positif, tant s’en faut. Nous n’avons pas parlé des bangas, ces taudis, souvent à flanc de colline, sans eau ni électricité, dans lesquels vivent ces étrangers dans des conditions indignes. Il y a un an, lors de la précédente saison des pluies, une mère et ses quatre enfants, à la suite d’un glissement de terrain, ont trouvé la mort. Voilà aussi les conditions qui sont réservées aux étrangers en situation irrégulière à Mayotte !
J’invite ceux de nos collègues qui s’expriment sur Mayotte depuis l’Hexagone – je les remercie de s’intéresser à ce territoire – à y venir. C’est la démarche qu’ont faite certains députés à la suite de la loi Asile et immigration. Une fois sur place, nous pourrons en rediscuter. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche, du groupe socialiste et républicain, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Je regrette bien entendu l’issue de cette discussion, qui ne sera pas une surprise.
Monsieur le rapporteur, même si je comprends l’urgence que vous invoquez afin que la loi soit votée avant le 1er mars, je souligne que, en pratiquant l’article 45 de manière un peu rapide, vous prenez vous-même le risque que soixante parlementaires considèrent qu’il faut vérifier la manière dont la procédure d’adoption de cette proposition de loi a été suivie, auquel cas son entrée en vigueur sera retardée.
Sur le fond, puisque vous avez considéré qu’il y avait une erreur dans la loi Collomb et qu’il fallait revenir sur ce point, il aurait peut-être été judicieux de convaincre aussi le Gouvernement que des étrangers en situation régulière ne soient pas cantonnés à Mayotte. Cela pose un vrai problème, vous le savez, puisque nous avons combattu ensemble lors de l’examen de la loi Collomb sur ce sujet. Si on fait une loi spécifique sur Mayotte pour corriger certaines dispositions votées voilà quelques mois, on aurait pu penser aussi à cela. Je regrette qu’il n’en ait pas été ainsi.
Quoi qu’il en soit, si vous déposez une proposition de loi sur ce sujet précis, vous pouvez compter sur le soutien du groupe socialiste, car il n’est pas logique, j’y insiste, que l’Hexagone cantonne des étrangers en situation régulière exclusivement à Mayotte, pour faire pleurer ensuite sur les conditions difficiles qu’ils rencontrent. Il faudrait que l’ensemble de l’Hexagone soit solidaire, ce qui n’est pas le cas.
Nous sommes bien conscients de la difficulté, mais c’est une erreur de penser que c’est en multipliant les différences qu’on améliore la situation. L’égalité républicaine est un principe !
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est définitivement adoptée.)
10
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 19 février 2019 :
À quinze heures : explications de vote des groupes sur le projet de loi organique portant modification du statut d’autonomie de la Polynésie française (procédure accélérée) (texte de la commission n° 294, 2018-2019) et sur le projet de loi portant diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française (procédure accélérée) (texte de la commission n° 293, 2018-2019).
De seize heures à seize heures trente : scrutin public solennel, en salle des Conférences, sur le projet de loi organique portant modification du statut d’autonomie de la Polynésie française (procédure accélérée) (texte de la commission n° 294, 2018-2019).
À seize heures trente :
Proclamation du résultat du scrutin public solennel sur le projet de loi organique portant modification du statut d’autonomie de la Polynésie française (procédure accélérée) (texte de la commission n° 294, 2018-2019) ;
Vote sur le projet de loi portant diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française (procédure accélérée) (texte de la commission n° 2093, 2018-2019).
À seize heures quarante-cinq : questions d’actualité au Gouvernement.
À dix-sept heures quarante-cinq : débat sur les relations entre l’État et les sociétés autoroutières.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-sept heures cinq.)
Direction des comptes rendus
ÉTIENNE BOULENGER