compte rendu intégral

Présidence de M. Vincent Delahaye

vice-président

Secrétaires :

Mme Agnès Canayer,

M. Victorin Lurel.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

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Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

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Dossier législatif : proposition de loi visant à faciliter le désenclavement des territoires
Discussion générale (suite)

Désenclavement des territoires

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, de la proposition de loi visant à faciliter le désenclavement des territoires, présentée par MM. Jacques Mézard, Jean-Claude Requier et Yvon Collin et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 234, texte de la commission n° 309, rapport n° 308).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Yves Roux, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à faciliter le désenclavement des territoires
Article 1er

M. Jean-Yves Roux, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi visant à faciliter le désenclavement des territoires que nous avons l’honneur de vous présenter aujourd’hui s’inscrit au cœur des missions institutionnelles du Sénat.

Le sujet du désenclavement n’est en rien nouveau, mais il revêt aujourd’hui une acuité toute particulière. Les grands débats qui se déroulent en ce moment dans toute la France l’ont remis à l’ordre du jour de manière plus aiguë encore, parfois plus douloureuse, dans ces territoires et départements enclavés, contournés, dont les habitants éprouvent un très fort sentiment d’abandon. Malheureusement, nous constatons que ce mouvement est appelé à s’accélérer. La révolte de nos concitoyens contre la suppression annoncée de dessertes de villes moyennes par la SNCF est là pour nous le rappeler. Plus que jamais, nous avons besoin d’un cadre et d’un socle national qui garantissent le développement équilibré de nos territoires, maintenant et pour le futur.

C’est la raison pour laquelle nous avons saisi cette occasion, avant même la discussion du projet de loi d’orientation des mobilités, d’inscrire dans la loi un objectif national de désenclavement. Pour le groupe du RDSE, il s’agit d’adresser dès à présent un signal fort sur un sujet qui mérite de ne pas être dilué au milieu d’autres propositions. Il s’agit également d’affirmer l’objectif d’un désenclavement profondément rénové, multimodal et adapté, prenant en compte la réalité d’une France polycentrée, dont les territoires ont vocation à assurer, dans la perspective d’un enjeu environnemental majeur, leur propre trajectoire de développement durable.

Il y a près de vingt-cinq ans, le paragraphe 1 de l’article 17 de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire prévoyait que, « en 2015, aucune partie du territoire français métropolitain continental ne [serait] située à plus de 50 kilomètres ou de 45 minutes d’automobile soit d’une autoroute ou d’une route expresse à 2x2 voies en continuité sur le réseau national, soit d’une gare desservie par le réseau ferré à grande vitesse ». La loi du 25 juin 1999 a, quant à elle, fait disparaître cet objectif, sans pour autant résoudre les problèmes ni constater de progrès.

En 2008, la sénatrice socialiste Jacqueline Alquier et le sénateur centriste Claude Biwer, dans un rapport intitulé « Pour une politique de désenclavement durable des territoires », avaient déjà posé le constat que « ce critère de 45 minutes/50 kilomètres constitue un minimum qui doit être atteint partout ». Ils identifiaient déjà précisément des types de territoires enclavés : certaines zones alpines, certaines zones pyrénéennes et une partie du massif du Morvan ; des espaces à dominante rurale peu densément peuplés, éventuellement structurés par des villes moyennes, telles certaines zones du Massif central ou du Limousin ; enfin, des bassins de vie centrés sur des villes, telles que Nevers ou Auch, dans le Gers.

Madame la ministre, nous connaissons les lieux à désenclaver, pour lesquels la solidarité nationale doit s’exercer. Nous connaissons aussi votre souhait de privilégier les transports du quotidien. Les citoyens et les élus qui les représentent ont désormais besoin de garanties claires inscrites dans la loi. C’est ce que nous demandons aujourd’hui.

J’en viens au texte même.

Notre proposition de loi vise à améliorer l’accès aux infrastructures routières, ferroviaires et aériennes dans les territoires identifiés comme prioritaires.

La route constitue à cet égard le moyen universel de déplacement dans ces territoires. J’ai grand plaisir à prendre les transports en commun en venant à Paris, mais force est de constater que certains modèles ne sont pas exportables. Selon un récent rapport de l’INSEE, l’emploi du véhicule automobile prédomine dans nos départements, quelle que soit la distance à parcourir. Chez moi, dans les Alpes-de-Haute-Provence, en 2009, 82 % des personnes utilisaient leur voiture et 3,2 % les transports en commun. Pour me rendre à Paris, je dois faire une heure et demie de voiture au minimum pour accéder à un train, deux heures pour prendre l’avion. C’est cela, la réalité de l’enclavement ! J’en donnerai une autre illustration bien concrète : depuis presque trente ans, les élus des Alpes-de-Haute-Provence bataillent pour que leur ville préfecture – excusez du peu ! – soit reliée à l’autoroute… Depuis 1987, l’autoroute Grenoble-Sisteron figurait au schéma directeur routier national. Le projet de barreau autoroutier A585, qui devait relier Digne-les-Bains à l’autoroute A51, a été abandonné en 2012. Depuis plus de cinq ans, des travaux de désenclavement de Digne-Les-Bains sont prévus, mais ils ne seront pas terminés, tant s’en faut, au terme du contrat de plan État-région, en 2020. Tout l’est du département, à commencer par sa préfecture, n’en finit plus d’espérer l’achèvement de toutes les sections de travaux.

Pourtant, depuis plus de trente ans, des élus tentent de mettre en place des politiques de renforcement de l’attractivité de leur territoire, des politiques touristiques, sans bénéficier de moyen de communication rapide avec l’extérieur. Cela revient, ni plus ni moins, à nager à contre-courant. C’est aussi cela la réalité de l’enclavement et de l’isolement de nos territoires ! Nous avons besoin d’actes concrets.

L’article 1er du texte s’appuie sur la proposition de loi de 2017 de notre collègue Alain Bertrand et prévoit, à des fins d’impulsion, un délai plus court que celui de la loi Pasqua. Nous maintenons le critère de distance et de temps –50 kilomètres ou 45 minutes de voiture –, mais nous intégrons les bassins d’emploi, en prévoyant que ce critère de distance et de temps concernera aussi les unités urbaines comptant de 1 500 à 5 000 emplois. La commission a par ailleurs intégré, sur proposition de Ronan Dantec, l’accès à une ligne à grande vitesse dans l’objectif de désenclavement. Nous proposerons, par voie d’amendement, sur l’initiative notamment de mon collègue Jean-Pierre Corbisez, de préciser ces distances en intégrant la notion de distance parcourue par rapport à la ville préfecture, lieu de référence commun à toute la ruralité.

L’article 2 prévoit d’inscrire dans la loi un principe d’adaptation s’imposant à l’État, en vue de prendre en compte des projets plus adaptés aux réalités topographiques, économiques et financières. En 2014, dans son rapport sur l’hyper-ruralité, Alain Bertrand avait déjà fait le constat que l’uniformité avait entraîné l’élaboration de projets surdimensionnés, au coût pharaonique, qui n’ont pu voir le jour.

Concernant le volet du transport aérien, la proposition de loi pose également clairement l’objectif d’améliorer le fonctionnement des lignes d’aménagement du territoire et infrarégionales. Je rappelle ici que le désenclavement aérien est censé être assuré par une couverture aérienne minimale. Les entreprises de transport concernées sont soumises à des obligations de service public et perçoivent des subventions à ce titre. Mais, concrètement, ces entreprises affectent du matériel ancien à ces lignes et ne parviennent pas à respecter leurs obligations. Il convenait donc à la fois de mieux contrôler le respect de ces obligations et de mieux sécuriser les financements.

L’article 3 vise à permettre aux départements et aux établissements publics de coopération intercommunale, les EPCI, de s’engager financièrement, sans empiéter sur les compétences régionales.

L’article 4 impose aux entreprises soumises à des obligations de service public de remettre un bilan d’activité tous les six mois.

L’article 5, remanié par la commission, prévoit, à l’instar de l’article 2, d’adapter l’abaissement de la limitation de vitesse à 80 kilomètres par heure, avec pragmatisme et responsabilité. Nous avons déjà eu quelques débats sur ce sujet dans notre hémicycle. Force est de constater que le dossier n’est pas clos et que des aménagements sont possibles. La commission a ainsi proposé que le préfet et le président du conseil départemental puissent déroger à cet objectif national uniforme de 80 kilomètres par heure, par arrêté motivé et après avis de la commission départementale de la sécurité routière.

Dans le même esprit, l’article 6 prévoit que le Gouvernement avance la publication d’une évaluation sérieuse de la mesure, pour l’heure prévue l’année prochaine.

Mes chers collègues, cette proposition de loi répond à une urgence démocratique. Son adoption constituera la garantie concrète que l’État est bien aux côtés des territoires ruraux, qu’il prend l’engagement de soutenir en totalité la colonne vertébrale française, c’est-à-dire tous les territoires. Elle se fonde sur une conception rénovée et moderne de l’aménagement de la France métropolitaine. Avec la création de l’Agence nationale de la cohésion des territoires, la proposition de loi de notre collègue Éric Gold visant à lutter contre la désertification bancaire dans les territoires ruraux et la présente proposition de loi visant à faciliter le désenclavement des territoires, nous signifions que nous croyons en une France polycentrée, capable d’assurer son propre développement pour être ainsi pleinement associée au destin républicain.

Nous sommes convaincus que les enjeux liés au réchauffement climatique plaident en faveur de déplacements plus courts, plus sobres, et que nos propositions donneront corps à cette exigence.

De la même manière, nous sommes convaincus qu’il convient d’accompagner le désir des Français de s’établir hors des très grandes villes afin de pouvoir bénéficier d’un cadre et d’un rythme de vie différents, avec des formes d’économie sociale et solidaire qui restent à inventer et à conforter.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !

M. Jean-Yves Roux. Je conclus, monsieur le président.

C’est cette France polycentrée que nous défendons ici. Nous nous attacherons bien entendu à ce que le financement correspondant à cette ambition soit bien prévu, notamment au titre des prochains contrats de plan État-région.

M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, lors de la séance de questions d’actualité au Gouvernement du 12 février, a déclaré, en parlant de la ruralité, que « le vrai sujet est celui de la démographie, et nous devons tout faire pour que les familles se réinstallent dans les territoires ruraux ». Je réponds : chiche ! Désenclavons nos territoires ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Pierre Corbisez, rapporteur de la commission de laménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons cet après-midi et que vient de nous présenter Jean-Yves Roux vise à faciliter le désenclavement des territoires.

Sur cette question, l’actualité parle d’elle-même. Nombre de ceux qui, depuis trois mois, manifestent dans la rue et sur les ronds-points, expriment un sentiment d’abandon face aux difficultés économiques et sociales qu’ils rencontrent, face à la disparition des services publics, mais aussi, et c’est un sujet dont il avait été peu question dans le débat public jusqu’alors, face à l’absence de solutions de mobilité.

Comment ne pas rappeler que la colère qui s’exprime aujourd’hui s’est cristallisée, au départ, sur l’augmentation de la fiscalité sur les carburants, pénalisant ceux qui utilisent en premier lieu leur véhicule pour se déplacer, c’est-à-dire, majoritairement, ceux qui n’ont pas accès à une offre de transports publics pour leurs trajets du quotidien.

Le manque de solutions de transport, c’est ce que vivent tous les jours ceux qui habitent dans des territoires enclavés. Il résulte d’une offre de mobilité insuffisante, notamment en matière de transports collectifs, mais aussi d’un manque d’infrastructures de transport adaptées, soit parce que ces infrastructures sont trop lointaines, soit parce qu’elles ne sont pas aménagées pour permettre une circulation rapide.

Pour répondre à cette difficulté, la proposition de loi prévoit trois axes d’action principaux.

Le premier volet porte sur les infrastructures de transport.

La proposition de loi vise à faire du désenclavement des territoires l’un des piliers de la programmation de ces infrastructures, c’est-à-dire un véritable critère d’analyse. Dans cette perspective, elle prévoit que, d’ici à la fin de l’année 2025, aucune partie du territoire français métropolitain ne devra être située à une distance trop importante d’un centre urbain ou économique ou d’une voie de circulation rapide. En commission, nous avons ajouté un critère de distance à une gare desservie par une ligne à grande vitesse.

Il est en effet indispensable que l’objectif de désenclavement du territoire soit intégré dans la politique d’aménagement du territoire, c’est-à-dire dans les documents de planification de l’État et des collectivités, en particulier dans les contrats de plan État-région, comme étant un objectif prioritaire, comme l’a souligné en commission notre collègue Michel Vaspart.

Il n’est nul besoin de rappeler que, par le passé, les choix en matière d’investissements ont porté prioritairement sur la réalisation de grandes infrastructures de transport, certes nécessaires, mais onéreuses, au détriment de l’entretien et de l’aménagement des réseaux existants, qu’il s’agisse du réseau routier ou du réseau ferroviaire.

Vous nous direz sûrement, madame la ministre, que le gouvernement auquel vous appartenez a décidé d’infléchir cette tendance – vous l’avez d’ailleurs rappelé hier lors des questions d’actualité au Gouvernement, en répondant à M. Éric Gold – et que le projet de loi d’orientation des mobilités que nous examinerons le mois prochain au Sénat apportera des réponses à la problématique du sous-investissement dans les infrastructures de transports du quotidien.

Certes, nous ne pouvons pas nier qu’un changement d’approche, en matière de financement des infrastructures, est intervenu. Pour autant, il nous paraît nécessaire d’inscrire des objectifs de désenclavement dans le marbre de la loi, d’en faire un critère de sélection, sinon ils passeront toujours au second plan dans les politiques d’investissements et risqueront même de servir de variable d’ajustement, dans un contexte où plane une grande incertitude sur le financement pérenne des infrastructures.

La proposition de loi prévoit, par ailleurs, que l’État devra veiller à adapter les infrastructures et leurs aménagements aux territoires et à leurs caractéristiques. Il s’agit, en cela, de faciliter la construction d’infrastructures routières moins lourdes, et donc moins coûteuses, dans les zones enclavées.

Il n’est bien évidemment pas question de construire des autoroutes ou des routes à 2x2 voies sur tout le territoire. Le désenclavement peut passer par l’aménagement d’une route existante afin de permettre une circulation plus rapide et de répondre à la demande des habitants du territoire concerné.

Le deuxième volet de la proposition de loi concerne le désenclavement des territoires par la voie aérienne.

Aujourd’hui, dans de nombreux territoires, en l’absence de TGV ou d’autoroute, seule une liaison aérienne permet une connexion rapide avec les grands centres urbains, Paris et les grandes métropoles. Lorsque l’équilibre économique d’une desserte n’est pas assuré, la puissance publique peut organiser des liaisons aériennes soumises à des obligations de service public et verser, avec les collectivités et les chambres consulaires, des subventions d’équilibre aux compagnies exploitant ces lignes. De telles liaisons sont essentielles au désenclavement des territoires et sont souvent indispensables au maintien et au développement des activités économiques. Or, depuis la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, qui a revu la répartition des compétences entre les collectivités territoriales, seuls l’État et les régions sont compétents pour organiser ces liaisons. Les autres collectivités territoriales, notamment les départements, ne peuvent le faire que par délégation des régions, s’agissant des liaisons intrarégionales, ou de l’État, s’agissant des liaisons interrégionales.

Pourtant, l’État s’est désengagé ces dernières années du financement de nombreuses liaisons d’aménagement du territoire. Certes, le Gouvernement a mis fin à cette tendance au travers du budget pour 2019, en consacrant 4 millions d’euros supplémentaires au financement de ces lignes, mais cela ne permettra de financer, au mieux, qu’une ou deux dessertes de plus.

Quant aux régions, elles ne sont pas le seul échelon pertinent pour appréhender la problématique du désenclavement et y répondre. C’est pourquoi j’aurais souhaité déposer un amendement visant à donner aux départements et aux EPCI la compétence pour organiser eux-mêmes des liaisons d’aménagement du territoire, sans avoir à en demander l’autorisation ou la délégation à la région ou à l’État, mais un tel amendement aurait été déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution.

Je profite de votre présence aujourd’hui, madame la ministre, pour vous dire qu’il s’agit là d’un véritable sujet d’inquiétude pour les territoires enclavés, qui mérite d’être mieux pris en compte, d’autant que la réglementation européenne vous autorise à porter à 100 % les subventions d’équilibre pour ces liaisons. Pour l’instant, ce taux est de 50 %, mais je suis persuadé qu’une petite augmentation inciterait les départements et les EPCI à participer au financement de ces liaisons.

La proposition de loi prévoit que l’État devra s’assurer que les compagnies aériennes qui exploitent ces liaisons aériennes maintiennent des dessertes effectives et régulières. Ceux d’entre nous qui empruntent régulièrement ces liaisons ont pu constater, ces dernières années, une dégradation du service rendu par la filiale d’une grande compagnie aérienne française, avec des retards de vols fréquents et très importants ou des annulations.

Cette situation suscite des interrogations quant à la manière dont l’État contrôle l’exercice de ces délégations de service public. La proposition de loi vise d’ailleurs à renforcer ce contrôle, en prévoyant que les compagnies aériennes devront transmettre aux autorités publiques des informations sur le fonctionnement des lignes de manière plus fréquente et plus transparente.

Enfin, le troisième et dernier volet de la proposition de loi concerne la limitation de vitesse à 80 kilomètres par heure.

Certes, madame la ministre, cette question ne relève pas, en tant que telle, de la problématique du désenclavement des territoires. Cependant, il est légitime qu’elle soit abordée dans ce texte, car elle a contribué au sentiment d’abandon des citoyens vivant dans les territoires ruraux que j’évoquais en introduction.

La réduction de la vitesse à 80 kilomètres par heure a été décidée sans concertation et sans prendre en considération la réalité de nombreux territoires où la voiture est un moyen de déplacement incontournable. Cette décision a été le second facteur déclenchant du mécontentement national.

Pourtant, le Gouvernement aurait pu procéder différemment. Avant l’entrée en vigueur de la mesure, de nombreux départements ont demandé que cette décision soit décentralisée, afin qu’elle puisse être adaptée aux spécificités de chaque territoire. Le groupe de travail sur ce sujet créé au Sénat, composé de Michèle Vullien, Michel Raison et Jean-Luc Fichet, avait lui aussi recommandé une telle décentralisation de la décision. On sait ce qu’il est advenu de cette proposition…

Lors de l’ouverture du grand débat national, le 15 janvier, le Président de la République lui-même a indiqué être ouvert à des aménagements. Tel est le sens de l’amendement que nous avons adopté en commission à l’article 5. Il vise à donner aux présidents de département et aux préfets la possibilité de relever ou de moduler les limitations de vitesse sur les voies dont ils sont gestionnaires, après avis de la commission départementale de la sécurité routière. J’espère, madame la ministre, que vous soutiendrez notre proposition, même si ce sujet ne relève pas de votre ministère.

Vous l’aurez compris, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons cet après-midi répond à un impératif économique et social pour de nombreux territoires. Il constitue aussi une réponse, parmi d’autres, aux demandes fortes de nombreux élus locaux et de leur population. J’espère que vous serez nombreux, mes chers collègues, à le soutenir. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la question du désenclavement, soulevée par cette proposition de loi, est au cœur de mes préoccupations depuis plus d’un an et demi.

Effectivement – les Assises nationales de la mobilité ont permis d’en faire le constat –, trop de territoires et de citoyens se sentent laissés à l’écart, oubliés des politiques publiques.

Ce constat tient notamment au fait que la politique des transports a contribué, au cours des dernières années, aux fractures sociales et territoriales. C’est le constat de l’existence d’une France à deux vitesses : pendant que l’on construit des lignes à grande vitesse pour les métropoles, les trajets s’allongent sur les lignes classiques, insuffisamment entretenues, le réseau routier se dégrade et les projets de désenclavement se font attendre. En outre, une large partie de notre territoire est abandonnée au « tout-voiture ».

Je considère donc moi aussi qu’il est nécessaire de répondre au sentiment d’abandon d’une partie de nos territoires et de nos concitoyens. Je porte en outre la volonté de proposer des solutions de mobilité à tous. C’est bien le cœur du projet de loi d’orientation des mobilités que nous discuterons très prochainement.

En complément de l’approche de la proposition de loi, centrée sur les infrastructures, il me semble nécessaire de prendre en compte les services offerts. De même, au-delà des objectifs de développement des infrastructures, il ne faut pas perdre de vue l’enjeu lié à l’état des réseaux. Cet enjeu est essentiel, car il est bien qu’il y ait une gare, mais si le temps de parcours s’allonge, si le train est en retard parce que la ligne est insuffisamment entretenue, le sentiment d’abandon se renforce.

C’est la raison pour laquelle la priorité des priorités, dans la programmation des infrastructures que nous discuterons très bientôt, c’est l’entretien et la régénération. Les crédits dédiés augmenteront de 31 % sur la décennie 2018-2027 et de 25 % pour ce seul quinquennat.

L’accessibilité des territoires est la condition nécessaire au maintien des emplois. La connexion aux centres économiques est elle aussi un enjeu important à cet égard, j’en ai bien conscience.

C’est la raison pour laquelle j’ai annoncé un plan de désenclavement routier. Dans de nombreux territoires, l’accessibilité d’une ville, son attractivité pour les entreprises, les services de santé, les commerces va dépendre de la qualité et de la performance d’une route. Partout à travers le pays, de nombreux territoires attendent une amélioration de la qualité des routes, nécessaire à leur désenclavement, et constatent la lenteur des travaux.

Même si ces routes supportent des trafics modérés, le Gouvernement considère qu’elles sont essentielles pour l’aménagement du territoire. Il est devenu nécessaire et urgent d’agir. L’État prévoit donc de promouvoir des opérations sur une vingtaine d’itinéraires de désenclavement routier au sein des contrats de plan État-région, pour un montant de 1 milliard d’euros sur dix ans.

Ces opérations permettront d’améliorer les déplacements du quotidien, et donc la qualité de vie des habitants des territoires concernés. Ce sont des aménagements concrets tels que des déviations courtes, des contournements d’agglomération, des créneaux de dépassement, des rectifications de virages ou des aménagements de carrefours. Il s’agit non pas de couvrir notre territoire de routes à 2x2 voies, mais de réaliser des aménagements adaptés aux besoins, permettant de fiabiliser les temps de parcours, d’améliorer la sécurité routière et le cadre de vie des habitants.

Cette démarche s’inscrit dans une politique globale de cohésion des territoires reposant sur l’ensemble des modes de transport : modernisation du réseau ferroviaire, sur les lignes structurantes comme de desserte fine, liaisons aériennes d’aménagement du territoire…

Vous le voyez, je considère tout comme vous que le désenclavement de territoires oubliés pendant trop longtemps est un enjeu majeur.

Je partage la philosophie de l’article 2 de cette proposition de loi, car on a trop longtemps promis des voies à caractéristiques autoroutières avant de se rendre compte que la réalisation de ces projets pose des problèmes, notamment environnementaux, qui augmentent considérablement les coûts.

Nos concitoyens attendent des réponses concrètes. Il est temps de faire des promesses réalistes, que l’on soit en mesure de tenir. Cela passe notamment par le fait d’arrêter de promettre des routes à 2x2 voies et des autoroutes partout !

Cet article n’est pas normatif, mais je tiens à saluer la position des sénateurs, qui préfèrent un aménagement adapté et crédible au « tout-2x2 voies ».

Concernant l’article 3, la loi confère déjà implicitement aux départements et aux communes, ainsi qu’à toute personne publique intéressée, le droit de participer au financement des liaisons aériennes d’aménagement du territoire et des exploitants d’aéroports, sous réserve du respect de certaines règles. Une note méthodologique est d’ailleurs en cours de préparation entre le ministère de la cohésion des territoires et le ministère des transports afin de clarifier le droit existant sur ces questions de compétences et de financement.

L’article 4 traite plus particulièrement des liaisons d’aménagement du territoire. Ce sujet aurait pu l’être traité à l’article 1er, tant je suis convaincue que ces liaisons sont essentielles pour nos territoires. C’est bien d’ailleurs pour cette raison que j’ai souhaité les relancer en triplant le budget qui leur est consacré.

Je suis bien consciente que, aujourd’hui, la qualité de service n’est pas satisfaisante. Je suis tout aussi agacée que vous par le niveau de qualité de service sur ces liaisons ces dernières années. Cette situation est d’autant plus contrariante que de l’argent public est mobilisé. De fait, depuis 2017, HOP !, pour l’appeler par son nom, est confrontée à des difficultés d’exploitation récurrentes sur l’ensemble de son réseau. Il est bien sûr primordial de redresser la qualité de service ; je suis fortement mobilisée sur ce sujet.

J’avais demandé en juin 2018 un plan d’action à HOP !, qui a permis des améliorations notables. Le nombre d’annulations sur le périmètre des liaisons radiales exploitées par HOP ! sous délégation de service public est ainsi passé de quarante-huit en septembre 2017 à quinze en septembre 2018. Je suis toutefois consciente que la situation n’est pas homogène sur les différentes liaisons.

Vous le savez, HOP ! vient d’être réintégrée sous le nom Air France-KLM, ce qui réaffirme son appartenance au groupe. Je sais que le nouveau directeur général d’Air France-KLM est pleinement conscient de la nécessité d’améliorer la qualité de service sur les liaisons d’aménagement du territoire.

Par ailleurs, je vous rappelle que les modalités de suivi de l’exploitation subventionnée s’inscrivent dans le cadre contractuel conclu avec la collectivité ou la personne publique intéressée. Elles reposent sur une vérification du respect des obligations de service public et des équilibres économiques de la ligne. Des pénalités financières ou des amendes administratives peuvent être appliquées pour tout manquement aux obligations de service public.

Au demeurant, ces liaisons sont remises en concurrence régulièrement. On peut espérer qu’un nouvel opérateur ou que le même opérateur, sous sa nouvelle direction, pourra améliorer la situation.

Enfin, cette proposition de loi aborde le sujet de l’abaissement de la limitation de vitesse à 80 kilomètres par heure. Je suis bien consciente que cette mesure a pu être mal vécue, d’autant qu’elle a pu être considérée comme peu équitable entre les territoires.