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Prise en charge des cancers pédiatriques
Adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en première lecture de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à renforcer la prise en charge des cancers pédiatriques par la recherche, le soutien aux aidants familiaux, la formation des professionnels et le droit à l’oubli (proposition n° 167, texte de la commission n° 307, rapport n° 306).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi visant à renforcer la prise en charge des cancers pédiatriques par la recherche, le soutien aux aidants familiaux, la formation des professionnels et le droit à l’oubli.
Cette proposition de loi a été adoptée à la fin du mois de novembre à l’Assemblée nationale, et je me réjouis que la Haute Assemblée se saisisse désormais de ce texte. J’en suis d’autant plus heureux que j’ai eu à suivre ce texte comme député ; c’est donc avec une sincère émotion que je suis présent aujourd’hui pour représenter le Gouvernement.
Il est impossible de ne pas ressentir une certaine émotion lorsque l’on évoque les cancers pédiatriques. Nous avons tous en mémoire ces visages d’enfants et la douleur inaltérable de leur famille. Le sentiment d’injustice est inhérent à la maladie, qui frappe aveuglément et brutalement.
L’autre sentiment qui émerge lorsque l’on parle de ce sujet est celui de l’urgence : l’urgence de traiter, d’en sortir ; mais aussi l’urgence de développer de nouveaux traitements ; l’urgence de pouvoir accéder à un médicament ou à un essai clinique ; l’urgence de trouver pour guérir. Cette urgence a été bien comprise par Mme la rapporteur et par l’ensemble des sénateurs de la commission des affaires sociales, qui ont pris la responsabilité d’adopter à l’identique le texte de l’Assemblée nationale et de permettre ainsi une adoption conforme. Je les en remercie.
Le texte pourra entrer en vigueur rapidement. C’est tout ce que l’on doit collectivement aux enfants et à leurs familles.
Néanmoins, j’ai entendu vos remarques et vos critiques sur le texte adopté par l’Assemblée nationale. Je souhaiterais prendre le temps de répondre à quelques-unes des réserves que vous avez pu exprimer.
L’article 1er bis concerne la présence de parlementaires au sein du conseil d’administration de l’Institut national du cancer, l’INCa. Comme Agnès Buzyn avait eu l’occasion de leur dire lors de l’examen de l’amendement concerné à l’Assemblée nationale, cela part d’une bonne idée. Des parlementaires siègent dans toutes les agences sanitaires. C’est une bonne chose qu’il en soit de même à l’INCa.
En revanche, un contingent de quatre parlementaires, tel qu’il est envisagé, aurait été excessif à nos yeux, avec le risque de déséquilibrer la composition du conseil d’administration de l’INCa. Aussi, il a été proposé de le limiter à deux parlementaires.
Vous avez également émis des réserves sur la nouvelle rédaction de l’article 2, réserves que je peux entendre.
Les travaux de la rapporteur à l’Assemblée nationale avaient indiqué que l’interprétation des dispositions du code de la santé publique par les comités de protection des personnes se révélait parfois être un frein.
Nous avons entendu son souci de traduire les préoccupations des familles qui craignent que des enfants ne puissent participer à des essais cliniques. Aussi, nous avons souhaité qu’il apparaisse clairement à l’article L. 1121-7 du code de la santé publique que des recherches pédiatriques peuvent être réalisées.
Cette nouvelle rédaction affirme ainsi la possibilité de faire des recherches pédiatriques tout en garantissant un haut niveau éthique et de sécurité à ces recherches.
Sur la question de l’allocation journalière de présence parentale, l’AJPP, nous essayons de trouver des solutions. Je suis convaincu que cette proposition de loi permettra de procéder à une avancée significative pour les enfants malades et leurs familles.
Mais vous avez raison : cela ne nous empêchera pas de nous interroger sur l’articulation entre les différentes prestations existantes.
Je pense ici à l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé, l’AEEH, et à la prestation de compensation du handicap, la PCH enfant – certes, ce n’est pas une vraie PCH enfant à ce stade –, qui ont vocation à aider les parents ayant besoin soit de réduire ou d’interrompre leur activité professionnelle, soit de faire appel à une tierce personne, soit d’engager des frais pour s’occuper de leur enfant malade, avec une gamme d’aides plus large que l’AJPP, qui est concentrée sur la seule compensation de l’interruption d’activité.
Le débat reste ouvert, notamment avec les départements sur la PCH. Vous le savez peut-être, un groupe de travail consacré à ce sujet a été mis en place à la suite de la conférence nationale du handicap. Il nous faudra trouver ensemble une solution satisfaisante et lisible pour nos concitoyens.
Madame la rapporteur, je vous remercie des propos que vous avez tenus en commission. Je salue votre souhait de respecter le processus conventionnel et votre décision de ne pas modifier l’article 5, sur le droit à l’oubli.
Vous le savez, Agnès Buzyn s’est personnellement battue lorsqu’elle dirigeait l’INCa pour ce droit à l’oubli, sans lequel les anciens malades continuent à porter le fardeau de la maladie alors qu’ils essayent de concrétiser un projet de vie. (Mme Françoise Gatel acquiesce.)
Des travaux sont déjà engagés et évoquent la possibilité de déplacer la borne d’âge. Ils doivent – et vont – se poursuivre.
Notre détermination collective ne peut pas être mise en doute. Mais, en responsabilité, nous avons réaffirmé notre attachement à une convention à laquelle la ministre des solidarités et de la santé a personnellement, vous le savez, contribué.
La démarche fondée sur le consensus scientifique, qui est à la base de la convention AERAS – s’assurer et emprunter avec un risque aggravé de santé –, a permis des avancées importantes en faveur des malades et des anciens malades, quel que soit leur âge.
Il nous semble impératif de respecter le processus propre à la convention AERAS, qui continue de faire ses preuves, pour le plus grand bénéfice des patients.
Mesdames, messieurs les sénateurs, madame la rapporteur, au nom du Gouvernement, je vous remercie de permettre aujourd’hui l’adoption définitive du texte. Je crois profondément que le travail qui a été engagé continuera à porter ses fruits. Nous serons collectivement vigilants pour faire en sorte que le combat continue. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Mme Jocelyne Guidez, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, vendredi dernier était célébrée la journée internationale du cancer de l’enfant. Le samedi suivant, le Sénat a accueilli le colloque de l’association Imagine for Margo, consacré à la recherche en oncologie pédiatrique.
Les groupes d’études des deux assemblées sont mobilisés de longue date sur ce sujet. Notre collègue Catherine Deroche nous a efficacement sensibilisés à cet enjeu, si bien que nous sommes nombreux à avoir soutenu à la fin du mois de janvier la demande d’un collectif associatif de déclarer la lutte contre les cancers pédiatriques grande cause nationale.
Le Parlement est donc pleinement engagé. Nous comptons désormais sur l’action du Gouvernement et des industriels.
Le texte qui nous est transmis par l’Assemblée nationale a le mérite de proposer une stratégie globale dans notre politique de lutte contre les cancers de l’enfant, de la relance de la recherche en oncologie pédiatrique à l’accompagnement social des parents, en passant par la prise en charge de la douleur et le droit à l’oubli des jeunes traités pour un cancer dans leur adolescence.
Notre commission a salué cette démarche, tout en regrettant les imperfections de la proposition de loi.
Les ambitions du texte ont en effet été revues fortement à la baisse par le Gouvernement. Les avancées effectives sont essentiellement au nombre de deux.
La première consiste en la prise en compte de la recherche sur les cancers de l’enfant dans la stratégie portée par l’INCa, dont l’horizon temporel et les appels à projets subséquents ont été allongés, afin de tenir compte du temps long que nécessite l’inclusion des patients mineurs dans les essais cliniques.
La seconde réside dans l’assouplissement des conditions du bénéfice du congé de présence parentale et de l’allocation journalière afférente. Ce sont des progrès dont l’ensemble des parties prenantes se félicitent.
En revanche, notre commission a déploré plusieurs occasions manquées. Elle reste d’ailleurs déterminée à faire avancer les choses sur ces sujets à l’occasion de l’examen d’autres textes.
Tout d’abord, l’article 2 avait le mérite de poser la question essentielle de l’accès des mineurs, en particulier des adolescents, aux essais cliniques de phase précoce.
On sait que les industriels sont encore peu enclins à étudier la pertinence de thérapies innovantes chez les adolescents, en mettant en avant le principe d’interdiction générale d’inclusion des mineurs dans des essais cliniques si ceux-ci peuvent être menés avec une efficacité comparable chez les adultes.
Ils font également valoir la dérogation du règlement pédiatrique européen de 2006, qui les dispense de plan d’investigation pédiatrique lorsque l’indication n’existe que chez l’adulte. Or les nouvelles thérapies ont la particularité de cibler des voies d’activation de tumeurs qui se retrouvent chez l’adulte comme chez l’enfant.
La rédaction proposée par le Gouvernement et retenue par l’Assemblée nationale ne change en réalité pas l’état du droit en vigueur. Remplacer « ne peuvent que si » par « peuvent seulement si » a un effet purement lexical. La tournure est positive, mais le droit ne change pas, même si on peut y voir une volonté d’affichage.
Sur le droit à l’oubli, l’Assemblée nationale a respecté le processus conventionnel qui préside à la convention AERAS. Nous nous en félicitons.
Toutefois, le délai prévu n’est contraignant que pour l’ouverture d’une négociation. En ne fixant pas de délai pour la conclusion de cette négociation, le texte n’astreint pas les partenaires à une obligation de résultat.
Nous pouvons comprendre une certaine prudence sur le sujet épineux de l’accès à l’assurance des personnes présentant un risque aggravé de santé. Nous resterons néanmoins particulièrement vigilants quant au déroulement de cette négociation.
Par ailleurs, l’article 1er bis est problématique. Nous gravons dans le marbre la présence au conseil d’administration de l’INCa de parlementaires.
Notre commission est réservée sur l’opportunité de cette disposition, qui alimente un mélange des genres, en plaçant des parlementaires potentiellement en situation de juge et partie : d’un côté, ils participeront à une instance décisionnelle avec d’importants pouvoirs d’agrément et d’attribution de financements, et seront donc organiquement liés à la gestion de l’INCa ; de l’autre, ils contrôleront l’activité de l’institut, le Parlement devant, à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances, se prononcer sur son niveau de financement. Il nous appartiendra à l’avenir de mettre un terme à ce type de confusion.
Sur le thème de la prise en charge de la douleur, la loi n’est sans doute pas le vecteur le plus opérationnel ; à notre sens, un nouveau rapport l’est encore moins.
La prise en charge de la douleur est d’ores et déjà une priorité du développement professionnel continu des professionnels de santé. Là encore, les leviers d’actions sont entre les mains du Gouvernement et des industriels.
D’une part, il appartient aux industriels de renforcer leurs efforts dans le développement d’antidouleurs adaptés, dans leur posologie et leur forme galénique, à l’enfant. Aujourd’hui, entre le paracétamol et la morphine, les alternatives font cruellement défaut.
D’autre part, le Gouvernement doit donner aux centres de cancérologie pédiatrique les moyens de développer en interne une véritable coordination de la prise en charge de la douleur, afin de prévenir ou d’alléger sa chronicité et d’assurer la continuité de la prise en charge avec la médecine de ville.
Les soins de support, en particulier l’accompagnement psychologique, doivent trouver toute leur place dans le parcours de soins des jeunes patients. Nous appelons à une prise en charge intégrale par l’assurance maladie du suivi de long terme des personnes traitées pour un cancer dans leur enfance ou adolescence.
Il s’agit non seulement de mieux gérer les conséquences des traitements sur la qualité de vie des jeunes adultes, mais également de garantir un suivi psychologique sur la durée. Les séquelles potentielles à l’âge adulte peuvent en effet se révéler lourdes et méritent d’être mieux anticipées : insuffisance cardiaque ou rénale, complications thyroïdiennes, mais aussi, bien souvent, troubles psychologiques.
Vous l’aurez compris, le texte n’est pas parfait et aurait pu faire l’objet d’améliorations. Chaque petit pas est précieux dans l’amélioration de la prise en charge des enfants et adolescents traités pour un cancer et de la situation de leurs parents.
Les avancées proposées par ce texte doivent se matérialiser le plus rapidement possible, dans l’intérêt de la recherche en oncologie pédiatrique, sujet qui, je le sais, tient particulièrement à cœur à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
La commission a donc adopté sans modification la proposition de loi, et invite le Sénat à l’adopter définitivement dans les meilleurs délais. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteur, mes chers collègues, le groupe socialiste et républicain votera la proposition de loi visant à renforcer la prise en charge des cancers pédiatriques par la recherche, le soutien aux aidants familiaux, la formation des professionnels et le droit à l’oubli, malgré des reculs sérieux par rapport au texte initialement déposé à l’Assemblée nationale ; nous voulons répondre aux attentes des associations de parents, qui souhaitent une adoption rapide.
À ce propos, je souhaite formuler une observation. Ce n’est pas la première fois que nous sommes confrontés à une alternative un peu compliquée : voter conforme ou faire prendre du retard. Ce n’est pas une bonne alternative dans le cadre du travail parlementaire. Je sais bien que, en ce moment, il est de bon ton de critiquer le bicamérisme, et particulièrement le Sénat, mais notre Haute Assemblée a vocation à apporter davantage à l’élaboration législative qu’un vote conforme aux propositions de loi de l’Assemblée nationale.
M. Antoine Lefèvre. C’est bien vrai !
Mme Laurence Rossignol. Nous regrettons en effet que la proposition de loi ait été en grande partie vidée de sa substance par des modifications apportées à l’Assemblée nationale par la majorité présidentielle, très probablement à la demande du Gouvernement.
M. Antoine Lefèvre. Sûrement !
Mme Laurence Rossignol. Il est donc indispensable de poursuivre le travail engagé pour améliorer l’accompagnement des familles, renforcer le droit à l’oubli et faire progresser les conditions de la recherche.
En particulier, nous ne sommes pas totalement convaincus par l’article 2, qui nous semble être essentiellement un article d’affichage. Il n’améliore pas le droit en vigueur des essais cliniques sur les mineurs, alors même que l’ouverture des essais cliniques constitue un enjeu important pour permettre une véritable adaptation des traitements aux enfants et aux adolescents. Les enfants et les adolescents doivent être considérés non pas comme des adultes miniatures, mais comme des patients à part entière, nécessitant une prise en charge spécifique. C’est pour cela que les essais cliniques sont cruciaux, et l’article 2 ne répond pas à ces enjeux.
Nous aurions souhaité que cette proposition de loi soit plus ambitieuse, en matière de recherche bien sûr, mais également vis-à-vis des jeunes malades, puis des jeunes guéris, qui peuvent enfin retrouver une vie normale, sereine, en prenant peu à peu de la distance par rapport à la maladie. Il aurait fallu faire preuve de davantage de volontarisme vis-à-vis du droit à l’oubli, afin qu’il soit étendu aux jeunes âgés de dix-huit à vingt et un ans au bout de cinq ans de rémission.
Le Gouvernement en a décidé autrement. Je le regrette d’autant plus qu’il s’agissait d’une promesse de campagne du Président de la République, qui déclarait : « Nous renforcerons le droit à l’oubli pour les personnes ayant été malades. Au moment de souscrire un emprunt ou un contrat d’assurance, les malades de cancers et de l’hépatite C n’auront plus à le mentionner dès cinq ans après leur rémission, contre dix ans aujourd’hui. Nous l’étendrons aussi à de nouvelles maladies. » C’était au mois de mars 2017.
Deux ans plus tard, nous devons nous contenter pour l’instant d’une situation de compromis a minima, par le biais d’une négociation au sein de la convention nationale relative à l’accès au crédit des personnes présentant un risque aggravé de santé. Certes, les négociations sont utiles ; nous les apprécions beaucoup. Mais, dans cette maison, nous préférons, lorsqu’il s’agit des droits de la personne, la loi à la négociation.
Nous nous réjouissons en revanche de la prise en compte de la durée totale de l’allocation journalière de présence parentale dans le calcul de l’ancienneté. Il s’agit là d’une avancée importante pour les aidants familiaux. S’occuper de son enfant malade ne doit pas être un frein dans l’avancée de sa carrière, même si je sais que, dans des moments pareils, la notion de carrière semble bien souvent dérisoire pour les parents.
M. Antoine Lefèvre. Eh oui !
Mme Laurence Rossignol. C’est une question de justice, puisque c’est limiter autant que faire se peut une détérioration des revenus du travail et des pensions de retraite. Cependant, de nombreuses progressions sont attendues pour que le rôle d’accompagnant soit facilité. Par exemple, aujourd’hui encore, pour celles et ceux qui habitent loin des centres de soins, la problématique de l’hébergement peut entraîner des frais importants pour les familles.
La question ne doit pas être considérée comme réglée. Aujourd’hui, un petit pas est fait. Il est nécessaire d’aller plus loin. Nous souhaitons que le Gouvernement se saisisse plus fermement du sujet, afin que de véritables progrès soient effectifs, que nous fassions à l’avenir non plus de petites avancées, mais de grands pas dans la prise en charge des cancers pédiatriques. Le prochain plan Cancer doit prendre en compte les grands besoins de la recherche en cancérologie pédiatrique et, plus largement, les besoins de la recherche sur les maladies pédiatriques rares, notamment parce qu’il n’a pas été possible de favoriser la recherche via l’article 2. Je pense que ce plan Cancer ne devra pas décevoir.
Ces observations formulées, comme je l’ai indiqué d’emblée, nous voterons la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. Je constate que, jusqu’à présent, les différents intervenants n’ont pas utilisé la totalité de leur temps de parole, ce qui est rare dans cette assemblée…
La parole est à Mme Véronique Guillotin. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Marc Laménie applaudit également.)
Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les chiffres sont connus, mais il est parfois bon de les rappeler, voire de les marteler, notamment sur un sujet aussi sensible que celui du cancer de l’enfant : 500 enfants meurent encore chaque année du cancer. C’est la deuxième cause de mortalité chez les moins de quinze ans. Pourtant, les cancers pédiatriques souffrent d’un déficit d’investissement dans la recherche et d’un accompagnement largement perfectible.
Certes, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui n’a pas vocation à changer la face du monde. Mais elle offre néanmoins des avancées que je salue sans retenue.
D’abord, la définition d’une stratégie décennale de lutte contre le cancer permettra notamment de fixer un seuil minimal d’investissements publics destinés à la recherche pédiatrique. Cette stratégie, mise en œuvre et évaluée à mi-parcours par l’INCa, nous est aujourd’hui indispensable et justifierait presque à elle seule le vote de cette proposition de loi.
On sait que les trois plans Cancer successifs ont permis des avancées majeures. Chez l’enfant, le taux de guérison est passé de 50 % à 80 % depuis 2003. Nous ne pouvons que nous en réjouir. L’investissement public paie.
Depuis le projet de loi de finances pour 2019, un budget propre de 5 millions d’euros a été attribué à la recherche oncopédiatrique. Les associations espéraient 20 millions d’euros. Cette ambition peut paraître insuffisante. Mais, face au cancer d’un enfant, rien ne peut sembler à la hauteur.
Néanmoins, cette avancée, couplée à celle de l’article 1er, permettra certainement d’améliorer la situation ; nous l’espérons. Elle pourrait notamment attirer de nouveaux chercheurs, qui craignaient jusqu’ici de passer plus de temps à chercher des financements que de nouveaux traitements.
Parmi les autres avancées figure la volonté d’améliorer l’accompagnement des malades et de leurs familles. Le cancer d’un enfant est toujours vécu comme une injustice – c’est une injustice ! –, comme un séisme au sein d’une famille entière. Améliorer l’accompagnement de l’enfant malade par ses parents est pour moi la moindre des choses que l’on puisse faire.
L’article 3 permet ainsi d’adapter le congé et les allocations de présence familiale à la pathologie, à son évolution et à sa durée, comme l’ont souligné avec d’autres mots les auteurs de cette proposition de loi.
Le réexamen de cette durée permettra notamment à la famille de rester auprès de l’enfant tout au long de la maladie et de faire face à une éventuelle rechute, que l’on sait malheureusement possible.
Les articles 5 et 5 bis s’intéressent à une autre problématique tout aussi primordiale : le droit à l’oubli. La rédaction issue de l’Assemblée nationale invite les partenaires à engager une négociation, afin d’étendre à l’ensemble des pathologies cancéreuses, quel que soit l’âge, le droit à l’oubli cinq ans après la fin du traitement, pour retrouver l’accès au crédit et à l’assurance. Nous dépassons ici les frontières de l’oncologie pédiatrique, et c’est une bonne chose. Il s’agit d’une véritable bouffée d’oxygène pour ceux qui, après avoir subi un cancer, restent pénalisés dans leur quotidien et se confrontent à un vrai parcours du combattant à chaque nouveau projet de vie. Espérons que l’invitation à la négociation se concrétise dans les faits.
Autre sujet d’importance : l’assouplissement des règles permettant à un enfant de prendre part à un essai clinique est une mesure essentielle pour faire avancer la recherche, notamment dans le domaine des traitements, pour les rendre plus performants, mais, surtout, moins toxiques.
La préservation d’un haut niveau de sécurité et d’éthique ne doit pas en ce domaine freiner la recherche. Faciliter les conditions d’accès des enfants aux essais cliniques est plus que souhaitable.
Comme l’a expliqué Mme la rapporteur, deux freins subsistent pour faire progresser la recherche : d’une part, les restrictions permettant à un mineur de participer à un projet de recherche ; d’autre part, l’étroitesse des populations concernées – c’est heureux ! – pour chaque pathologie.
En effet, ce sont environ 2 500 jeunes qui sont concernés chaque année. Ce faible volume explique la frilosité des industriels, qui peinent à investir dans la recherche de traitements adaptés. Or la soixantaine de cancers pédiatriques recensés, qui se rapprochent davantage des maladies rares que des cancers de l’adulte, exige des stratégies thérapeutiques ciblées.
Nous ne pouvons pas nous satisfaire des conditions de traitement actuelles, dont l’adaptation de traitements destinés aux adultes peut entraîner – je l’ai déjà souligné – de lourdes conséquences sur la santé à long terme.
La rédaction retenue par les députés pour cet article 2 ne change en rien l’état du droit en vigueur ; on peut le regretter. Elle démontre une ambition, une voie à suivre. Nous espérons qu’elle portera ses fruits dans un avenir proche. L’investissement financier de l’État, à hauteur de 5 millions d’euros, est un premier acte concret. Il faudra certainement s’interroger de nouveau sur les règles qui régissent aujourd’hui l’accès des mineurs aux essais cliniques.
Le Gouvernement a proposé un amendement, devenu article 2 bis, qui vise à étendre de cinq ans à huit ans la durée des appels à projets de l’INCa, afin de tenir compte du temps plus long de l’inclusion dans la recherche clinique chez l’enfant. Sur ce point, je fais confiance à la ministre, ou plutôt à la spécialiste, et je soutiens cette proposition.
Des doutes subsistent néanmoins sur les articles 1er bis et 4 bis. Comme d’autres, je ne suis pas certaine que la place des parlementaires soit au conseil d’administration de l’INCa. Nous avons bien d’autres moyens de contrôle de ses objectifs.
Le groupe du RDSE n’est généralement pas favorable aux demandes de rapport. Toutefois, la prise en charge de la douleur doit faire partie des priorités de ce gouvernement. Cela fait maintenant trop longtemps que le sujet revient sur la table sans que sa prise en charge soit encore optimale, ni chez l’enfant ni chez l’adulte. Et de grandes disparités territoriales persistent.
En effet, la question de la formation des professionnels sur la prise en charge de la douleur ne relève pas du domaine de la loi. Je formule donc le souhait qu’un tel rapport, s’ajoutant aux nombreux autres constats de carence dans le domaine de la douleur et des soins palliatifs, débouche enfin sur des mesures efficaces.
Le groupe du RDSE, malgré ces quelques réserves, soutient l’esprit général du texte. Désireux d’en voir les dispositions rapidement mises en œuvre, ses membres voteront en faveur de son adoption conforme. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe La République En Marche, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à remercier l’auteur de cette proposition de loi, Mme la députée Nathalie Elimas, de son initiative, ainsi que Mme la rapporteur Jocelyne Guidez.
En France, 2 500 cancers sont diagnostiqués chaque année chez des enfants et des adolescents. Selon le Centre international de recherche sur le cancer, la fréquence de ces cancers a augmenté de 13 % entre les années 1980 et les années 2000.
Qu’il s’agisse de la leucémie, cancer le plus fréquent chez l’enfant, du cancer du système nerveux central, des lymphomes ou d’autres formes, ces cancers restent la première cause de décès par maladie chez les enfants. Pourtant, la médecine a fait des progrès importants dans le traitement des cancers. À l’époque où la majorité d’entre nous étaient encore enfants, seulement une personne malade sur cinq en guérissait. Actuellement, après trois plans Cancer successifs, quatre enfants sur cinq en guérissent, mais, malheureusement, 500 enfants meurent encore chaque année à la suite d’un cancer.
Les cancers pédiatriques, très différents des cancers de l’adulte, ne disposent que rarement de traitements spécifiques. Le plus souvent, ils sont traités en adaptant des doses de chimiothérapie pour l’adulte, selon le poids et l’âge du jeune patient.
Aussi, le développement de la recherche en oncologie pédiatrique, principale mesure proposée par ce texte, est primordial pour favoriser la guérison, mettre en place de nouvelles thérapies et limiter le risque de rechutes et de séquelles laissé par les traitements.
Le déploiement d’une stratégie nationale de coordination de la recherche est une première étape importante pour en améliorer l’efficacité, avec une augmentation des crédits consacrés à la recherche dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
En ce qui concerne le développement des essais cliniques, la réécriture de l’article 2 par l’Assemblée nationale procède d’une simple reformulation du dispositif actuel, mais devrait permettre aux enfants, lorsque c’est pertinent, de recevoir des traitements innovants afin d’éviter toute perte de chance.
L’article 2 bis tend à allonger la durée limite des appels à projet lancés par l’INCa à huit ans au lieu de cinq ans, ce qui est pertinent.
Une autre disposition très importante de cette proposition de loi est l’adaptation du plafonnement de l’allocation journalière de présence parentale à la durée réelle de la maladie. Cela contribuera à améliorer le quotidien des familles et l’accompagnement de leur enfant.
L’article 4 vise à renforcer les formations pour la prise en charge de la douleur.
Nous sommes également favorables à l’extension, prévue à l’article 5, du droit à l’oubli aux jeunes chez lesquels un cancer a été diagnostiqué avant l’âge de vingt et un ans, au lieu de dix-neuf ans aujourd’hui, et cela dès cinq ans après la rémission au lieu de dix ans. Cette mesure représente une avancée supplémentaire vers l’égalité, limite la double peine et offre la possibilité aux anciens malades d’envisager l’avenir après leur maladie. Mais, à cet âge, attendre cinq ans après la guérison pour en bénéficier, c’est encore trop long. Nous espérons que le délai du droit à l’oubli pourra être raccourci.
Le meilleur des traitements reste la prévention. Les enfants sont plus vulnérables aux facteurs de risque liés à l’environnement. Au-delà de l’amélioration des traitements, qui est capitale, quelle politique de prévention mettre en place pour limiter les facteurs de risques ?
Nous savons que 5 % à 10 % des cancers de l’enfant sont d’origine génétique. Ces chiffres laissent une grande incertitude quant à l’origine de 90 % des cancers. Les chercheurs ont établi que la fenêtre d’exposition au risque est plus importante au cours de la vie fœtale et dans la petite enfance. Cela est dû à une vulnérabilité dans la mutation des gènes, à un métabolisme hépatique limité, ou à une absorption élevée du toxique associée à une forte prolifération cellulaire au cours de ces périodes critiques du développement.
En conséquence, le déploiement d’une politique de prévention nous paraît utile afin de lutter efficacement contre les cancers, en identifiant, si possible, les facteurs de risque pour mieux prévenir l’exposition des populations les plus vulnérables et ainsi limiter le déclenchement des cancers.
Notre groupe a proposé en commission un amendement d’appel visant à inscrire la prise en compte des facteurs de risque liés au mode de vie et à l’environnement au sein des missions attribuées à l’INCa.
Monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de loi a pour objectif de réunir les conditions d’une politique ambitieuse de prise en charge globale, sociale et médicale, d’oncologie pédiatrique dans les huit ans à venir. Nous savons que celle-ci doit être votée conforme pour une application rapide. Vous avez notre soutien. (Applaudissements.)