Sommaire
Présidence de Mme Valérie Létard
Secrétaires :
M. Daniel Dubois, Mme Annie Guillemot.
2. Candidatures à des commissions
3. Candidatures à une mission d’information
4. Engagement associatif. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
M. Gabriel Attal, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse
M. Antoine Karam, rapporteur de la commission de la culture
M. Gabriel Attal, secrétaire d’État
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 14 de Mme Céline Brulin. – Rejet.
Adoption de l’article.
Articles additionnels après l’article 1er
Amendement n° 21 de M. Jean-Pierre Grand. – Retrait.
Amendement n° 23 de M. Jean-Pierre Grand. – Rejet.
Amendement n° 26 rectifié bis de Mme Mireille Jouve. – Rejet.
Articles 1er bis A (nouveau) et 1er bis – Adoption.
Articles additionnels après l’article 1er bis
Amendement n° 15 rectifié de Mme Céline Brulin. – Rejet.
Amendement n° 20 rectifié de M. Jean-Pierre Grand. – Rejet.
Amendement n° 28 rectifié bis de Mme Françoise Laborde. – Retrait.
Amendement n° 10 rectifié de M. Michel Savin. – Retrait.
Amendement n° 13 rectifié de M. Michel Savin. – Retrait.
Amendement n° 22 de M. Jean-Pierre Grand. – Adoption.
Amendement n° 7 rectifié quinquies de Mme Colette Mélot. – Devenu sans objet.
Amendement n° 32 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Adoption de l’article.
Amendement n° 17 de Mme Céline Brulin. – Rejet.
Amendement n° 1 rectifié de M. Roger Karoutchi. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Adoption de l’article.
Articles additionnels après l’article 5
Amendement n° 4 rectifié de M. Dominique Théophile. – Retrait.
Amendement n° 29 rectifié de Mme Françoise Laborde. – Rejet.
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
5. Protection des activités agricoles et des cultures marines en zone littorale. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation
M. Daniel Gremillet, rapporteur de la commission des affaires économiques
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 2 de M. Laurent Duplomb. – Retrait.
Adoption de l’article.
Adoption de l’article.
Article additionnel après l’article 2
Amendement n° 1 de M. Henri Cabanel. – Retrait.
Article 3 (suppression maintenue)
Article 4 (suppression maintenue)
Amendement n° 3 de M. Henri Cabanel. – Rejet par scrutin public n° 59.
Amendement n° 4 du Gouvernement. – Adoption de l’amendement rédigeant l’article.
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
6. Sécurité des sapeurs-pompiers. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Texte élaboré par la commission
M. Loïc Hervé, rapporteur de la commission des lois
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission.
7. Lutte contre toutes les violences éducatives ordinaires. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
Mme Laurence Rossignol, auteure de la proposition de loi
Mme Marie-Pierre de la Gontrie, rapporteure de la commission des lois
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé
PRÉSIDENCE DE M. Thani Mohamed Soilihi
M. Philippe Bas, président de la commission des lois
Clôture de la discussion générale.
Articles additionnels avant l’article unique
Amendement n° 2 rectifié bis de Mme Céline Boulay-Espéronnier. – Retrait.
Amendement n° 3 rectifié bis de Mme Céline Boulay-Espéronnier. – Rejet.
Adoption de l’article unique de la proposition de loi dans le texte de la commission.
Nomination de membres de commissions
Nomination des membres d’une mission commune d’information
compte rendu intégral
Présidence de Mme Valérie Létard
vice-présidente
Secrétaires :
M. Daniel Dubois,
Mme Annie Guillemot.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Candidatures à des commissions
Mme la présidente. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de deux commissions ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
3
Candidatures à une mission d’information
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la nomination des vingt-sept membres de la mission d’information sur le thème : « Gratuité des transports collectifs : fausse bonne idée ou révolution écologique et sociale des mobilités ? », créée sur l’initiative du groupe communiste républicain citoyen et écologiste en application du droit de tirage prévu par l’article 6 bis du règlement.
En application de l’article 8, alinéas 3 à 11, et de l’article 110 de notre règlement, la liste des candidats établie par les groupes a été publiée. Elle sera ratifiée si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure.
4
Engagement associatif
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe La République En Marche, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, en faveur de l’engagement associatif (proposition n° 486 [2017-2018], texte de la commission n° 335, rapport n° 334).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Gabriel Attal, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la présidente, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis de la tenue de ce débat dans votre hémicycle. L’inscription à l’ordre du jour, au sein d’une niche parlementaire, de la discussion de cette proposition de loi est un signe fort de l’attachement des sénateurs au développement de la vie associative.
L’examen de cette proposition de loi intervient après l’adoption, à l’unanimité, de la proposition de résolution relative à l’engagement associatif et à sa reconnaissance, déposée par le groupe Modem à l’Assemblée nationale, le texte qui nous réunit aujourd’hui ayant également été adopté à l’unanimité par les députés.
J’ai déjà eu l’occasion de le dire devant le Parlement, les associations sont un trésor pour notre démocratie. Dans les territoires, elles font vivre chaque jour des projets et des actions d’intérêt général ; elles participent d’une économie plus humaine ; elles contribuent à l’éducation informelle des enfants de la République ; elles favorisent l’accès à la culture pour tous, l’accès aux soins, l’accès au droit ; elles font vivre la démocratie au quotidien… Elles agissent jour après jour, majoritairement de façon bénévole, de façon désintéressée, sans intérêt capitalistique, au bénéfice de la collectivité. Je tiens donc, avant tout, à les remercier de leur action et à leur rendre hommage.
Néanmoins, le tissu associatif se trouve à un moment charnière : de nombreuses transformations sont en cours, les méthodes de travail changent, les habitudes des acteurs se modifient, les profils des bénévoles et les modes d’action varient, la société évolue dans son rapport à l’engagement et ses attentes envers le secteur privé.
Je me réjouis que cette proposition de loi contienne plusieurs dispositions importantes pour répondre à ces défis.
Tout d’abord, elle vise à encourager la prise de responsabilités associatives en tenant compte des contraintes, notamment financières, qui pèsent sur les dirigeants associatifs bénévoles, et à simplifier la vie des associations : c’est l’objet des articles 1er et 5.
Ensuite, elle tend à inciter les jeunes à s’engager dans le monde associatif : c’est l’objet de l’article 2.
Enfin, elle a pour objet de garantir aux jeunes Algériens la possibilité d’effectuer leur service civique, disposition qui avait été fragilisée par une omission dans la loi Égalité et citoyenneté : c’est l’objet de l’article 3.
Les articles 4 et 5 soulèvent des problématiques complexes, dont nous aurons à débattre.
En premier lieu, il est nécessaire d’encourager l’engagement associatif, en particulier les parcours bénévoles. Les associations occupent une place essentielle dans la vie collective de notre pays et le fonctionnement de notre modèle de société. Quelques chiffres suffiront à illustrer ce fait : la France compte 1,3 million d’associations, le monde associatif 21 millions d’adhérents et 12,9 % d’associations employeuses, ce qui représente 1,83 million d’emplois, soit 9,8 % des emplois du secteur privé. Il s’agit là d’emplois à très forte utilité sociale et, de surcroît, non délocalisables, ce qui renforce leur intérêt.
Le monde associatif est donc un acteur social et économique de premier plan. Je tiens à saluer tout particulièrement l’engagement des bénévoles qui le font vivre au quotidien, aux côtés des adhérents et des dirigeants associatifs, sans compter leur temps et, bien souvent, en prenant sur leur vie personnelle, voire professionnelle. Ces bénévoles participent au fonctionnement et à l’animation des associations, sans contrepartie, si ce n’est la satisfaction de travailler pour l’intérêt général. Ils sont 13 millions en France à donner de leur temps, de leur énergie, pour renforcer le lien social entre les Français, tisser des solidarités entre les territoires et faire vivre les idées, le sport, la culture ou tout simplement leur village.
La fonction de dirigeant bénévole exige un véritable engagement personnel et une disponibilité importante. Elle nécessite également des compétences dans les domaines du droit et/ou de la comptabilité. Enfin, être dirigeant bénévole, c’est souvent engager sa responsabilité personnelle. En effet, en l’état actuel du droit, la responsabilité financière du dirigeant bénévole d’une association est susceptible d’être engagée s’il a commis des fautes de gestion. Il peut être appelé à supporter personnellement des dettes, y compris en cas de simple négligence, alors même que son patrimoine est bien distinct de celui de l’association, qu’il exerce cette fonction sans aucune contrepartie financière et que l’association a un but d’intérêt général.
Sur l’ensemble de ces questions, les jurisprudences sont contradictoires. Cette insécurité juridique est une source de préoccupation majeure dans le milieu associatif, car elle est un frein au renouvellement des instances dirigeantes des associations, alors même que le nombre de bénévoles est en hausse constante dans notre pays.
C’est pourquoi le Gouvernement accueille favorablement la modification législative proposée à l’article 1er de cette proposition de loi. Cet article atténue la responsabilité financière du dirigeant associatif bénévole en cas de faute de gestion, en étendant l’exception de négligence prévue à l’article L. 615-2 du code de commerce aux dirigeants d’associations et en atténuant les condamnations des dirigeants bénévoles au titre de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif. En un mot, l’article 1er vise à une meilleure prise en compte du statut du bénévole associatif dans les procédures de liquidation judiciaire.
Je me félicite de voir discutée cet après-midi la disposition figurant à l’article 1er bis A, introduit par voie d’amendement. En effet, j’avais inscrit cette mesure dans le plan de développement de la vie associative présenté à la fin du mois de novembre. Elle simplifiera la vie des associations en élargissant aux associations de moins de 20 salariés le champ du dispositif « impact emploi », qui permet déjà aux associations de moins de 10 salariés de transférer aux Urssaf un certain nombre de formalités administratives.
L’article 1er bis, tout aussi important, a trait à la possibilité de récupérer les fonds des comptes bancaires associatifs inactifs qui, au bout de trente ans, passent dans le budget général de l’État. Il s’agit là d’un serpent de mer, qui revient régulièrement dans les débats consacrés au financement de la vie associative ; c’est aussi un sujet que j’ai abordé en présentant la feuille de route pour le développement de la vie associative. Une autre proposition de loi, déposée à l’Assemblée nationale par la députée Sarah El Haïry, traite d’ailleurs de cette question.
L’an passé, 1,9 milliard d’euros issus de comptes bancaires inactifs ont été versés au budget général. Une part de ce montant est liée aux associations : il nous faut pouvoir l’identifier et l’évaluer. Comme M. le rapporteur, je souhaite que ces montants servent au développement de la vie associative : que les fonds issus du monde associatif reviennent au monde associatif n’est que justice. Le rapport prévu doit porter non pas sur l’opportunité d’allouer ces fonds au développement de la vie associative – ce point ne fait pas débat –, mais plutôt sur les modalités de leur affectation, qui permettra d’augmenter les moyens consacrés à la formation des bénévoles, ainsi que de mieux accompagner les transitions des modèles associatifs. Il serait donc judicieux de recentrer le rapport sur ce sujet, qui nécessite un travail d’ensemble.
Si l’article 5 répond à l’objectif, que nous partageons tous, de simplifier la vie des associations, je crains que la création d’un rescrit unique délivré aux associations souhaitant s’assurer de leur caractère d’intérêt général ne puisse intervenir en ces termes, au regard des conséquences lourdes que cela emporterait.
Cette procédure ouvrirait un droit au bénéfice de certains avantages, notamment au régime fiscal du mécénat. L’examen de la gestion et du caractère lucratif de l’activité suppose également des compétences fiscales, au regard de la taxe sur la valeur ajoutée, de l’impôt sur les sociétés, de la contribution économique territoriale, voire de la taxe sur les salaires et des impôts locaux directs. Seule l’administration fiscale dispose d’une compétence exclusive pour fixer les bases d’imposition. Dès lors, il lui appartient de définir les caractères de non-lucrativité et d’intérêt général, et d’en contrôler la bonne application ; cette compétence ne peut être confiée au représentant de l’État dans le département.
En outre, la création de cette procédure emporterait de lourdes conséquences pour l’organisation territoriale de l’État : seule l’administration fiscale est soumise à des règles de confidentialité inhérentes aux opérations de contrôle, de recouvrement ou de contentieux des impôts, auxquelles l’ensemble des agents appelés à connaître de cette nouvelle procédure de rescrit seraient mécaniquement soumis.
Dès lors, si je souscris pleinement à l’objectif de simplification de la vie des associations – le Gouvernement est tout entier mobilisé en ce sens et, conformément à la feuille de route pour le développement de la vie associative, des travaux ont été engagés à ce titre –, je ne peux accepter cette disposition en l’état.
Afin d’encourager les jeunes à s’engager dans le monde associatif, l’article 2 de cette proposition de loi prévoit d’inscrire la sensibilisation à la vie associative dans le cadre de l’enseignement moral et civique. Il complète ainsi utilement les dispositions de l’article L. 312-5 du code de l’éducation, dont le dernier alinéa prévoit que les collégiens et les lycéens sont incités à participer à un projet citoyen au sein d’une association d’intérêt général.
Cet article rejoint les préconisations émises par le Haut Conseil à la vie associative dans son rapport « Favoriser l’engagement des jeunes à l’école », publié en novembre 2017. Ce document rappelait la nécessité de favoriser et de valoriser l’engagement associatif le plus tôt possible.
Le Gouvernement accueille très favorablement cette proposition. C’est d’ailleurs un choix fort que le Président de la République et le Premier ministre ont opéré en rapprochant au sein d’un seul ministère les politiques d’éducation formelle et informelle pour et avec la jeunesse de notre pays, mais aussi les politiques de vie associative, laquelle constitue une école de citoyenneté.
Ce rapprochement illustre la cohérence d’un portefeuille ministériel construit autour de deux idées-forces : la confiance et l’émancipation. Le but de toute éducation réussie, c’est l’émancipation de l’individu. Cela passe par une confiance en soi et en la société. Cela commence à l’école, mais se construit également en dehors, à côté et au-delà de l’école, notamment au travers de la vie associative.
Les associations sont au cœur d’une société de la confiance, de l’engagement et de l’entraide qui constitue le fondement du projet du Président de la République. La disposition de nos concitoyens à s’engager illustre en actes cette confiance dans la capacité des collectifs, des individus rassemblés à surmonter les difficultés, à mener à bien leurs projets et, chacun à son niveau, à transformer la société. Les associations sont plus que des instruments puissants au service de projets collectifs ; ce sont des écoles de citoyenneté.
L’article 3 vise à garantir aux jeunes Algériens la possibilité d’effectuer leur service civique, disposition fragilisée par une omission dans la loi Égalité et citoyenneté. Cela revient à remédier à un oubli dans une rédaction législative et à renforcer le droit des jeunes à s’engager, ce à quoi nous sommes bien évidemment tous favorables.
J’en viens aux dispositions relatives aux stages en milieu associatif.
Depuis la loi du 10 juillet 2014, le nombre de stages n’a cessé d’augmenter, tandis que la protection des stagiaires a été sensiblement renforcée. Le seuil du nombre de stagiaires par organisme d’accueil a fait ses preuves : il permet d’augmenter les chances de réaliser un stage de qualité. L’obligation de gratification se déclenche à partir de 308 heures de stage, soit l’équivalent de deux mois à temps plein.
La suppression du seuil pour une certaine catégorie de stages, d’une durée inférieure à deux mois et donc non gratifiés, pourrait ouvrir la porte à des abus, allant à l’encontre des principes que nous avons en partage. En effet, les associations pourraient avoir tendance à proposer davantage de stages d’une durée inférieure ou égale à deux mois, ce qui ne concorderait pas avec notre volonté de proposer des périodes de formation utiles aux jeunes en vue de leur insertion. L’encadrement de stagiaires plus nombreux en pâtirait mécaniquement, et la valeur pédagogique du stage diminuerait en conséquence. De surcroît, le risque de substitution à de véritables emplois serait important. Pour ces motifs, le Gouvernement est défavorable à ces dispositions.
Les associations constituent le cœur battant de notre démocratie. Je remercie sincèrement le groupe La République En Marche d’avoir inscrit cette proposition de loi à l’ordre du jour du Sénat. Le Gouvernement accueille très favorablement ce texte, qui s’inscrit pleinement dans la stratégie que nous déployons avec le mouvement associatif, via la feuille de route partagée que j’ai présentée le 29 novembre dernier. Celle-ci a vocation à être enrichie par des initiatives parlementaires comme celle qui nous réunit aujourd’hui, ainsi que par un certain nombre de missions et de rapports et par le grand débat national en cours qui, comme l’a déclaré lui-même le Président de la République, pourra déboucher sur l’élaboration de mesures nouvelles.
D’ores et déjà, cette proposition de loi apporte des réponses concrètes supplémentaires pour relever les défis qui s’imposent au monde associatif. Notre programme de travail pour 2019 permettra de prolonger et d’amplifier ce mouvement.
Si le secteur associatif doit, comme tout autre secteur, en permanence évoluer et se transformer, l’État doit jouer son rôle d’accompagnateur et d’appui. C’est aussi notre devoir en tant qu’élus de la Nation, et c’est ce que nous permet une fois de plus, cette après-midi, le texte dont nous allons débattre ensemble. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Mme Colette Mélot applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Antoine Karam, rapporteur de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le monde associatif fait la richesse de la France. Les associations incarnent ce lien social dont notre pays a tant besoin et, à rebours des discours pessimistes, l’engagement des Français ne faiblit pas.
Le monde associatif, ce sont 1,3 million d’associations actives, 13 millions de bénévoles et 1,8 million de salariés, même s’il convient de relever que 85 % des associations reposent sur le seul bénévolat. La part des Français qui donnent du temps pour les autres, en dehors de leurs proches, est passée de 36 % à 39 % entre 2010 et 2016. Il est de notre responsabilité de les appuyer, de les soutenir et de les accompagner, surtout dans ce contexte difficile.
Mes chers collègues, vous savez les difficultés que rencontrent les associations. Elles sont de deux ordres : elles tiennent, d’une part, à leur financement, même si l’allégement de cotisations sociales pour les employeurs devrait apporter un souffle supplémentaire aux associations employeuses, et, d’autre part, aux craintes liées à la ressource bénévole.
Toutes les enquêtes le montrent : le bénévolat est le premier motif d’inquiétude des dirigeants d’association. Il est encore plus difficile de trouver des bénévoles prêts à exercer des responsabilités. Outre les sacrifices qu’elles impliquent, sur les plans tant familial que professionnel, ces fonctions exigent des compétences variées et mettent en jeu la responsabilité de ceux qui les exercent.
C’est pourquoi cette proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale le 17 mai dernier, vise à encourager la prise de responsabilités au sein des associations en tenant compte des contraintes qui leur sont propres, ainsi qu’à favoriser l’engagement associatif des jeunes.
Certes, ce texte peut sembler modeste, mais il comporte néanmoins des dispositions bienvenues, qui répondent à certains défis auxquels les associations doivent faire face, comme le renouvellement de leurs dirigeants ou la complexité des démarches administratives. La commission de la culture, de l’éducation et de la communication, qui m’a fait l’honneur de me désigner rapporteur, l’a adopté à l’unanimité.
M. Roger Karoutchi. Elle a bien fait !
M. Antoine Karam, rapporteur. Elle n’a pas manqué de l’enrichir, toujours dans la perspective de lever les contraintes qui pèsent sur les associations et de faciliter l’engagement bénévole.
L’article 1er vise à atténuer la responsabilité des dirigeants d’association en cas de faute de gestion ayant conduit à la liquidation de l’association. Administrer une association exige des compétences, notamment en matière de droit et de gestion, d’autant que les actes faits au nom de l’association engagent la responsabilité du dirigeant. L’article L. 651-2 du code de commerce prévoit la possibilité de sanctionner financièrement le dirigeant d’une personne morale de droit privé en liquidation judiciaire si celui-ci a commis une ou plusieurs fautes de gestion ayant entraîné une insuffisance d’actif.
Afin de réduire le caractère infamant des procédures collectives et de ne pas décourager l’entrepreneuriat, la loi du 9 décembre 2016, dite loi Sapin II, dispose que la simple négligence ne peut aboutir à engager la responsabilité du dirigeant, en précisant qu’il s’agit là d’une faute dans « la gestion de la société ». Les dirigeants d’association étant exclus du bénéfice de cette « exception de négligence », le I de l’article 1er étend donc à l’ensemble des personnes morales de droit privé l’exclusion de la responsabilité en cas de simple négligence. De plus, son II complète l’article L. 651-2 du code de commerce en précisant que, pour la mise en œuvre de cette procédure, il est tenu compte de la qualité de bénévole du dirigeant.
Dans un souci de simplification des tâches administratives des dirigeants d’association, l’article 1er bis A relève à 19 le seuil d’effectif salarié permettant à une association de bénéficier de l’offre de service « impact emploi » des Urssaf. Ce dispositif est une offre de service payante permettant une prise en charge globale des formalités de gestion d’un salarié d’une association. Il s’agit donc d’élargir le champ d’éligibilité à ce dispositif aux associations employant moins de 20 salariés.
L’article 1er bis vise à demander la remise au Parlement d’un rapport sur l’opportunité de verser les dépôts et avoirs des comptes inactifs des associations sur un compte d’affectation spéciale au bénéfice du Fonds pour le développement de la vie associative.
Afin d’encourager le plus tôt possible l’engagement citoyen, l’article 2 prévoit d’étendre à la vie associative la sensibilisation au service civique réalisée dans le cadre de l’enseignement moral et civique dès le CM2. En effet, les valeurs liées à l’engagement citoyen et au bénévolat sont complémentaires des valeurs de la République, déjà inculquées aux enfants dans le cadre de cet enseignement.
L’article 2 prévoit également l’édition et la diffusion, par le ministère de l’éducation nationale, d’un livret destiné à la communauté éducative. Grâce à ce document, il sera possible de se familiariser avec le milieu associatif et de mieux connaître les liens pouvant être créés entre associations et établissements scolaires.
L’article 3 répare un oubli du législateur pour ce qui concerne les conditions d’accès au service civique. Celles-ci ont été progressivement étendues aux étrangers de seize ans et plus en situation régulière, ainsi qu’aux réfugiés reconnus comme tels. Seulement, l’article L. 120-4 du code du service national ne vise que les titres de séjour délivrés en application du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le Ceséda. Or le séjour des ressortissants algériens en France est régi presque intégralement par un accord bilatéral : l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968. L’article 3 ouvre donc l’accès au service civique aux Algériens séjournant de manière régulière sur le territoire français.
L’article 4 résulte de l’adoption d’un amendement en commission au Sénat, contre l’avis du rapporteur. Il exempte les associations de la limitation du nombre de stagiaires qu’elles peuvent accueillir en leur sein, lorsqu’il s’agit de stages d’une durée supérieure à deux mois.
L’article L. 124-8 du code de l’éducation limite le nombre de stagiaires pouvant être accueillis simultanément au sein d’un organisme, quelle que soit la durée du stage, afin d’éviter les abus liés à un recours excessif aux stages. Ainsi, le nombre de stagiaires ne peut excéder 3 dans les organismes d’accueil dont l’effectif est inférieur à 20, et 15 % de l’effectif arrondis à l’entier supérieur pour les organismes d’accueil dont l’effectif est supérieur ou égal à 20.
Aux termes des explications données en commission, cet article aurait pour objet d’exempter les associations relevant de la loi de 1901 de la limitation du nombre de stagiaires au sein de leur structure, sous réserve qu’il s’agisse de stages d’une durée inférieure à deux mois. La limitation légale actuelle continuera donc de s’appliquer pour les stages d’une durée supérieure à deux mois. Toutefois, ce dispositif aboutit à l’inverse du but visé, en ne prenant en compte que les stages d’une durée inférieure ou égale à deux mois pour le calcul de la limite.
Mes chers collègues, si la commission a bien perçu l’objet de cet article, je souhaite tout de même attirer votre attention sur les risques liés à la multiplication des stages de moins de deux mois, qui – je vous le rappelle – ne font pas l’objet d’une gratification. Tout d’abord, la limitation numérique du nombre de stagiaires permet aujourd’hui d’éviter un recours abusif aux stages, et donc une substitution des stages courts à l’emploi. De plus, cette mesure pourrait réduire, par un effet d’éviction, l’offre de stages longs et rémunérés, tandis que la tension qui s’exercera probablement sur la ressource de tuteurs au sein des associations met en question la dimension réellement formatrice de ces stages.
Enfin, l’article 5, adopté par notre commission, organise une procédure de saisine du préfet par les associations afin d’obtenir la reconnaissance du caractère d’intérêt général, qui relève aujourd’hui de la seule administration fiscale. Ce dispositif permettra à toute association de saisir le préfet du département dans lequel elle a son siège afin qu’il se prononce sur son caractère d’intérêt général. Lorsque celui-ci sera reconnu par le préfet, il s’imposera à toutes les administrations, y compris l’administration fiscale.
Vous le voyez, mes chers collègues, ce texte vise à encourager l’engagement associatif par des mesures concrètes et bienvenues dans le contexte actuel. C’est avec la volonté profonde d’aider les associations et les bénévoles que je vous propose de l’adopter. (M. François Patriat et Mme Annick Billon applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Mélot. (Mme Sylvie Goy-Chavent et M. Loïc Hervé applaudissent.)
Mme Colette Mélot. « Ne demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous. Demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays. » Cette célèbre formule de John Fitzgerald Kennedy, trente-cinquième président des États-Unis, donne le « la » à la discussion de cette proposition de loi en faveur de l’engagement associatif.
Les élus du groupe Les Indépendants – République et Territoires saluent cette initiative, comme toutes celles, passées ou à venir, contribuant à faire de la France une terre de fraternité, une Nation qui retrouve l’envie d’agir dans le sens de l’intérêt général.
« Nous avons autant besoin de raisons de vivre que de quoi vivre », disait l’abbé Pierre. N’en déplaise aux esprits chagrins, la France n’est pas morcelée en 67 millions de solitudes. Le besoin d’engagement que nous constatons chaque jour en est la preuve vivante.
Nous fêterons cette année le 118e anniversaire de la loi du 1er juillet 1901 sur la liberté d’association, et il me semble important de rendre hommage à son plus fervent défenseur, Pierre Waldeck-Rousseau. (M. le secrétaire d’État opine.) Celui qui, en 1883, considérait déjà l’association comme « le régulateur, l’agent d’équilibre des forces sociales », insistait aussi sur le rôle de l’État, dont la vocation est de provoquer ce qu’il appelait « le grandissement de la personnalité humaine ».
Notre tissu associatif, animé par plus de 13 millions de bénévoles, reste le meilleur remède contre les maux du siècle que sont la dilution du lien social ou la montée des égoïsmes et du communautarisme. Ni l’économie ni la puissance publique ne peuvent faire société sans le concours de ces millions de Français qui exercent directement leur responsabilité de citoyen au travers de leur engagement. La vie associative est l’école de la démocratie, de la plus petite à la plus grande commune.
Monsieur le secrétaire d’État, 1,3 million d’associations, en phase avec la réalité quotidienne vécue par nos concitoyens, répondent aux signaux que la société nous adresse. Nous le savons, l’État ne peut pas tout faire, mais au moins peut-il s’attacher à reconnaître, à valoriser et à encourager le dévouement d’une grande partie de la société civile.
Le quotidien de ces volontaires n’est pas toujours simple. Les passeurs de solidarité que sont les dirigeants associatifs sont souvent confrontés à une grande solitude dans la gestion de leur association. Ils manquent trop souvent d’accompagnement, de connaissances économiques et financières, et les situations d’insécurité juridique sont réelles et nombreuses.
Aussi le premier article de la proposition de loi vise-t-il à gommer une grande injustice faite aux associations : depuis la loi Sapin II, les dirigeants d’entreprises bénéficient d’une exception de négligence en cas de faute de gestion conduisant à une insuffisance d’actif, tandis que la responsabilité des dirigeants d’associations peut être pleinement engagée, même en cas de simple négligence. L’extension de la protection dont bénéficient les dirigeants d’entreprises aux dirigeants d’associations contribuera, nous l’espérons, à rendre plus attractif l’exercice de responsabilités à titre bénévole.
Au-delà de ce dispositif, que nous jugeons nécessaire et juste, l’éveil au monde associatif dès le plus jeune âge permettra de susciter de nouvelles vocations, de canaliser l’énergie, ô combien inépuisable, de la jeunesse, en permettant à chacun de trouver sa place et de faire société. À cet effet, nous proposerons un amendement visant à étendre la sensibilisation au bénévolat à l’ensemble des élèves, de l’école élémentaire au lycée. Nous pouvons cependant aller encore plus loin et faire de l’école le lieu privilégié d’apprentissage de la citoyenneté en encourageant la création d’associations au sein des écoles, des collèges et des lycées. Pour cela, il me semble que le meilleur levier d’action serait de valoriser l’engagement des élèves sur leur bulletin scolaire, en étendant, dans la mesure du possible, l’application du dispositif inscrit dans la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté à l’ensemble du cursus scolaire.
L’engagement ne s’enseigne pas, c’est avant tout une pratique, une hygiène de vie à adopter et une excellente voie d’apprentissage. Ne dit-on pas : dire, c’est oublier ; enseigner, c’est se souvenir ; impliquer, c’est apprendre ?
Chers collègues, notre groupe soutient cette proposition de loi qui va dans le bon sens, mais nous devons aller plus loin. Nous aurons ainsi l’occasion de revenir sur la question de l’engagement associatif en milieu scolaire lors de l’examen du projet de loi pour une école de la confiance. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires. –MM. Marc Laménie et François Patriat applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Savin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Michel Savin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, notre Nation est riche de son dynamisme associatif : en 2018, 1,3 million d’associations et 13 millions de bénévoles ont animé ce tissu extrêmement dense sur tous nos territoires.
Cependant, cela ne doit pas cacher les nombreuses difficultés que connaissent les associations : difficultés à fidéliser les bénévoles, malgré leur nombre croissant ; difficultés à recruter et à renouveler leurs dirigeants ; difficultés financières, avec un certain recul du soutien des collectivités territoriales dû à la baisse des dotations de l’État, à la suppression non préparée et non concertée des emplois aidés, qui a directement affecté le secteur associatif, et à la suppression de la réserve parlementaire, qui permettait d’apporter un appui très apprécié des associations.
Sur le plan financier encore, je tiens à rappeler que le dispositif du mécénat a été élargi lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2019, sur l’initiative du Sénat, avec l’introduction d’une franchise de 10 000 euros pour toutes les entreprises, ce qui permet aux associations de bénéficier de nouvelles ressources, provenant notamment des TPE et des PME.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui a toutefois le mérite d’exister et comporte quelques dispositions attendues : l’atténuation de la responsabilité pour faute de gestion des dirigeants bénévoles d’association ; la sensibilisation des jeunes à la vie associative dès l’école ; l’abondement du Fonds pour le développement de la vie associative, le FDVA, par les dépôts et avoirs inactifs des comptes d’associations ; enfin, les mesures concernant les stagiaires et le caractère d’intérêt général des associations adoptées en commission sur l’initiative de nos collègues Karoutchi et Grand.
Je ne peux cependant que regretter le manque d’ambition certain de cette proposition de loi, alors que de nombreuses avancées restent à faire, par exemple la mise en œuvre d’un formulaire unique et simplifié de demande de subvention ou la reconnaissance réelle du bénévolat.
Par ailleurs, je m’étonne que les propositions riches et nombreuses que contient le rapport remis au Premier ministre intitulé « Pour une politique de vie associative ambitieuse et le développement d’une société de l’engagement » n’aient pas été davantage exploitées. Là encore, il faudrait enfin passer des paroles aux actes.
C’est dans cet esprit que je présente, avec de nombreux collègues, de nouveaux dispositifs propres, me semble-t-il, à soutenir les responsables bénévoles de nos associations. Sachant que les élus ou les responsables syndicaux bénéficient de jours de congé rémunérés supplémentaires au titre, notamment, de leur formation, il me paraîtrait normal et souhaitable que les dirigeants associatifs bénévoles qui occupent des postes à responsabilité tels que président, trésorier ou secrétaire puissent également disposer de trois jours de congé annuels rémunérés pour se former en vue d’exercer leurs fonctions dans les meilleures conditions.
Je tiens à évoquer un dernier point qui me semble important : le dynamisme du milieu associatif sportif dans notre pays.
La France accueillera de nombreux évènements d’envergure internationale dans les prochaines années : la coupe du monde féminine de football dans quelques semaines, les championnats d’Europe d’athlétisme en 2020, la coupe du monde de rugby en 2023 ou les jeux Olympiques et Paralympiques en 2024. Tous ces événements ne pourraient se dérouler sans l’implication des bénévoles et du monde associatif. Ce sont ainsi plus de 70 000 volontaires bénévoles qui seront mobilisés pour les jeux de 2024.
Je souhaite rappeler que le comité d’organisation des jeux Olympiques et Paralympiques doit élaborer, d’ici au 1er janvier 2022, une charte du volontariat olympique et paralympique exposant les droits, devoirs, garanties, conditions de recours, catégories de missions confiées et conditions d’exercice qui s’appliqueront aux volontaires bénévoles de Paris 2024. Cette charte devrait être un modèle pour les autres manifestations internationales comme pour le bénévolat et l’engagement associatif quotidien.
J’ai proposé, dans un premier temps, un amendement visant à ouvrir la mobilisation du crédit formation dans le compte d’engagement citoyen pour les bénévoles du mouvement sportif, qui a malheureusement été déclaré irrecevable au titre de l’article 40. J’espère que le Gouvernement, monsieur le secrétaire d’État, reprendra cette mesure dans les plus brefs délais.
Je forme le vœu que les améliorations proposées en séance soient adoptées et que, malgré son manque flagrant d’ambition, cette proposition de loi soit une première étape pour que soit enfin reconnu à sa juste valeur l’engagement associatif et bénévole. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Michel Canevet applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme Céline Brulin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la vie associative est fondamentale pour nos territoires : 1,3 million d’organisations participent activement au renforcement du lien social et à la cohésion de la France, et nombre de missions essentielles à notre vie en commun sont assurées grâce à l’engagement de 15 millions de bénévoles. Il y a là, assurément, de quoi légiférer, d’autant que ce sujet n’occupe pas toujours la place qu’il mérite.
La proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui apporte des améliorations, que nous saluons.
Par exemple, étendre le principe de l’exception de négligence à toute personne morale, alors qu’il n’est applicable à l’heure actuelle qu’aux dirigeants d’entreprises, nous semble tout à fait positif. Cela remédie à la situation incongrue dont sont aujourd’hui victimes les dirigeants d’associations, qui peuvent se voir contraints d’engager leurs propres ressources pour combler l’insuffisance d’actif de l’association. Il nous semble cependant nécessaire de préciser cette disposition, pour exclure de son bénéfice les dirigeants de fondation, lesquelles ne sont en effet pas gérées de la même façon que les petites associations de quartier : elles sont « professionnalisées », et nous devons en tenir compte.
Nous sommes également favorables à ce que l’on s’oriente vers la redistribution des fonds disponibles sur les comptes bancaires associatifs inactifs, en l’occurrence via l’élaboration d’un rapport, puisqu’il semble que nous ne puissions aller plus loin à ce stade. Des sommes très importantes pourraient ainsi être récupérées pour répondre aux besoins de financement des associations. Ce ne serait que justice, dans la mesure où ces sommes proviennent précisément du monde associatif. Toutefois, il faudra veiller à ce que les fonds ainsi récupérés profitent réellement aux associations, en particulier à celles qui en ont le plus besoin. Vous pouvez compter sur notre vigilance à cet égard !
L’expérience de la suppression de la réserve parlementaire, dont les fonds ne sont pas totalement redistribués aux associations et aux collectivités qui en bénéficiaient auparavant, suscite en effet un certain scepticisme quant à la manière dont le Gouvernement pourrait, à terme, répartir le produit des comptes inactifs des associations.
Mme Sophie Primas. C’est vrai !
Mme Céline Brulin. De même, cette nouvelle source potentielle de financement ne doit pas conduire à un désengagement supplémentaire de l’État de la vie associative, après celui qui a été entériné par la dernière loi de finances.
Nous saluons l’intention d’intégrer le champ de la vie associative dans l’enseignement moral et civique, comme le prévoit l’article 2. Il faut cependant être attentif au fait que, au cours des six derniers mois, les programmes d’enseignement moral et civique ont déjà été enrichis de nouveaux contenus par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel et la loi contre la manipulation de l’information. Or cet enseignement ne bénéficie que d’une demi-heure par semaine : veillons donc à ne pas trop « charger la barque », d’autant qu’il est déjà bien souvent remplacé par des cours d’histoire-géographie.
Nous accueillons favorablement l’ouverture du service civique aux ressortissants algériens. Cette mesure aurait logiquement dû s’appliquer à des jeunes d’autres nationalités, comme nous le proposions, mais notre amendement a malheureusement été jugé irrecevable, pour des raisons qui m’échappent quelque peu…
Ce texte contient donc de bonnes choses ; il ne répond cependant pas aux principaux besoins du monde associatif. Celui-ci ne peut pas fonctionner sans bénévoles. À la crise des vocations engendrée par une idéologie individualiste s’ajoute la précarisation croissante des salariés, en particulier des jeunes. Comment consacrer du temps à une association lorsque l’on est contraint de cumuler emploi et études, lorsque l’on doit multiplier les heures supplémentaires pour atteindre un revenu décent ou lorsque l’on est informé de son emploi du temps la veille pour le lendemain ?
Le secteur associatif ne peut pas non plus fonctionner sans financements. À cet égard, les récentes réformes n’ont fait que renforcer les difficultés des associations. Je pense à la baisse des dotations aux collectivités territoriales ou, bien évidemment, à la suppression de l’ISF, qui, en plus d’avoir privé les politiques publiques de plusieurs milliards d’euros, a eu pour effet de réduire considérablement les dons aux associations. De même, la baisse de pouvoir d’achat subie par la plupart de nos concitoyens ne leur permet plus de consacrer une partie de leur budget aux causes qui leur tiennent à cœur. En un an, les dons, qui représentent un quart des ressources des associations, ont chuté de 20 %.
Que dire, enfin, de la faiblesse des crédits budgétaires affectés au programme « Jeunesse et vie associative » et, surtout, de la suppression des contrats aidés, alors même que le secteur associatif est souvent contraint de pallier les conséquences des politiques libérales aggravant les inégalités et fragilisant les services publics ?
M. Jean-François Husson. Ça manquait !
Mme Céline Brulin. Des missions élargies à des domaines de plus en plus nombreux, du social au sportif en passant par la santé ou le périscolaire, et des moyens de plus en plus faibles : tel est le premier paradoxe dont pâtit la vie associative.
Dans ce contexte, bien que cette proposition de loi nous semble pécher par manque d’ambition, notre groupe votera en faveur de son adoption, car elle comporte tout de même quelques avancées favorables au monde associatif et à toutes celles et tous ceux qui s’y engagent au quotidien. Nous ne manquerons jamais une occasion de les soutenir et de les accompagner. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Mme Mireille Jouve applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner.
M. Patrick Kanner. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous voulons d’abord saluer cette proposition de loi, qui a été améliorée au cours de la navette parlementaire. Je tiens à associer à mon propos Jacques-Bernard Magner, qui aurait dû participer à ce débat mais se trouve aujourd’hui souffrant. Je lui souhaite un bon rétablissement.
Comme ancien ministre de la vie associative et de l’éducation populaire, je ne peux qu’adhérer à la volonté d’amplifier l’engagement dans notre pays affichée au travers des interventions régulières de M. le secrétaire d’État. Malheureusement, dans cette volonté affichée, je vois surtout de l’affichage ! Je ne doute pas de la sincérité de l’auteur de cette proposition de loi ou de celles et ceux qui ont apporté des améliorations au texte. Mon interrogation porte sur l’action du Gouvernement, qui, s’il soutient cette initiative en faveur de l’engagement associatif, ne brille pas, habituellement, par sa détermination sur le sujet.
C’est pourtant bien de la détermination et une volonté féroce qu’il faut pour promouvoir un modèle français de l’engagement. Rappelons que 16 millions de bénévoles font vivre cette démocratie au quotidien : c’est une richesse exceptionnelle, irremplaçable pour notre pays. Ce sont ces Français qui nous obligent, nous, responsables politiques, d’être à leur hauteur pour que tout soit fait en faveur de la promotion de ce don de soi que représente l’engagement associatif.
Lors du précédent quinquennat, de nombreux chantiers ont été ouverts sur ce thème structurant de la vie des territoires : définition légale de la subvention, choc de simplification avec la dématérialisation des démarches, mise en place du congé d’engagement au travers de la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté, déploiement du compte engagement citoyen, création du crédit d’impôt sur la taxe sur les salaires, charte des engagements réciproques, reconnaissance de l’engagement dans le parcours universitaire, élargissement du champ du service civique… Toutes mesures peut-être peu médiatiques, mais ô combien importantes pour les bénévoles sur le terrain.
À ce stade, ce que nous retenons de votre action, monsieur le secrétaire d’État, c’est une plus grande précarité pour les acteurs associatifs. Avec la suppression de plus de 250 000 contrats aidés en deux ans, vous portez un coup terrible au monde associatif, vous lui assénez une sanction jamais vue auparavant.
M. Martial Bourquin. Absolument !
M. Patrick Kanner. Combien de structures sont aujourd’hui en péril, parce qu’elles ne peuvent plus embaucher ? Combien de personnes sont privées d’une réinsertion sociale par le biais d’un emploi dans une association ?
Monsieur le secrétaire d’État, je déjeunais tout à l’heure avec une délégation du centre social de l’Arbrisseau, situé dans le quartier prioritaire de la politique de la ville de Lille-Sud. Ces responsables associatifs m’ont indiqué qu’ils bénéficiaient de dix emplois aidés en 2017, de deux en 2019, et qu’ils n’en auraient plus aucun en 2020.
M. Martial Bourquin. C’est scandaleux !
M. Patrick Kanner. Voilà le résultat de votre politique ! Comme d’autres orateurs avant moi, je n’oublie pas non plus les 60 millions d’euros de feu la réserve parlementaire, qui venaient soutenir le mouvement associatif.
Mme Sylvie Goy-Chavent. C’est vrai.
M. Martial Bourquin. Absolument !
M. Patrick Kanner. J’ai bien compris qu’il fallait une République exemplaire ; nous avons vu ce que cela a donné récemment !
Le secteur associatif, les réseaux de l’éducation populaire, les clubs sportifs doivent être soutenus pour irriguer l’ensemble des territoires, en renfort du service public, notamment de l’école, et apporter, par leur présence, un cadre et des repères aux enfants et aux adolescents. Mes chers collègues, c’est dès le plus jeune âge que l’incitation à l’engagement citoyen doit être une priorité. La République a besoin de contenu et de réalité. Il faut dire plus clairement quelle République nous voulons, ce que nous entendons par le mot « égalité », et cela doit se traduire concrètement, en amenant de nouvelles générations à s’impliquer dans le secteur associatif.
Au moment de l’élection de François Hollande à la présidence de la République, on comptait une vingtaine de milliers de volontaires du service civique, une politique publique mise en œuvre par les gouvernements précédents. François Hollande s’était engagé à ce que l’effectif de ces volontaires atteigne les 100 000 avant la fin de son quinquennat ; nous avons finalement franchi la barre des 125 000 volontaires en 2017. Ces 125 000 jeunes ont réalisé des missions de service civique dans plus de 10 000 structures.
À ce stade, monsieur le secrétaire d’État, je souhaite exprimer nos interrogations à propos du service national universel, le SNU.
Je crains que la valse-hésitation du Gouvernement à ce sujet, après la consultation lancée cet automne, ne porte préjudice à l’édifice patiemment construit du service civique. Ce n’est pas l’immobilisme que je prône, bien au contraire.
M. Alain Richard. Personne n’imagine cela, voyons ! (Sourires sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. François Patriat. Vous prônez le retour en arrière, c’est différent.
M. Patrick Kanner. J’aimerais pouvoir soutenir votre proposition de créer un service national universel. L’idée d’un parcours de citoyenneté a d’ailleurs été patiemment mûrie entre 2012 et 2017. Cependant, l’absence d’horizon clair nous fait craindre que les 3 000 jeunes concernés par l’expérimentation que vous avez lancée ne soient que les cobayes d’un gouvernement qui tente de mettre en œuvre une promesse de campagne finalement irréalisable et déjà profondément dénaturée.
Nous nous tenons aux côtés des organisations de jeunesse pour rappeler que s’engager, c’est faire un choix. Le flou concernant le caractère obligatoire du SNU n’est pas acceptable, quand l’engagement puise son sens dans la liberté de choisir.
Que le futur financement d’un SNU à grande échelle soit balayé d’un revers de main nous conduit à nous interroger sur le sérieux de ces annonces. La question de l’encadrement reste également posée, quand on sait que l’éducation nationale manque d’enseignants et que les armées sont sur-sollicitées, notamment du fait de l’opération Sentinelle ou des OPEX.
La phase d’expérimentation que vous souhaitez, monsieur le secrétaire d’État, ne doit pas se transformer en phase d’approximation. Si le Gouvernement persévère dans son erreur, nous assisterons à la mise à bas d’un modèle érigé autour de l’incitation des jeunes à s’engager dans une aventure pour le moins positive, celle de l’intérêt général.
Dans ce contexte, relancer la vie et l’engagement associatifs devient une vraie gageure, et il n’est pas certain que la proposition de loi qui nous est présentée aujourd’hui permette de réussir cet exploit. Son rapporteur le dit d’ailleurs lui-même : ce texte n’a qu’une ambition très limitée. Peut-être constitue-t-il une sorte de compensation au désengagement financier que j’ai évoqué ? Il traite essentiellement de deux sujets : la responsabilité financière des dirigeants bénévoles d’associations, susceptible d’être engagée, et la sensibilisation à l’engagement et à la vie associative dans le cadre de l’enseignement moral et civique dispensé au collège et au lycée. Il a été enrichi à l’Assemblée nationale, et c’est tant mieux, d’un nouvel article qui prévoit que le Gouvernement remette un rapport sur l’opportunité d’affecter les dépôts et avoirs des comptes inactifs des associations au Fonds de développement de la vie associative, sur le modèle de ce que dispose la loi Eckert de 2014 relative aux comptes bancaires inactifs et aux contrats d’assurance-vie en déshérence. Ce point est important, car le Haut Conseil à la vie associative estime que 100 millions d’euros seraient ainsi potentiellement mobilisables via ce fonds pour financer le secteur associatif. Sur proposition de Jacques-Bernard Magner, cette disposition avait été introduite dans la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté, en 2017, mais le Conseil constitutionnel avait malheureusement jugé qu’il s’agissait là d’un cavalier législatif.
Ce rapport sera important, certes, mais les suites législatives concrètes qui pourront lui être données le seront plus encore.
L’article 1er de cette proposition de loi modifie un article du code de commerce afin d’alléger la responsabilité fiscale des dirigeants d’associations. Cela mettra fin à un vide juridique et à des errements jurisprudentiels, les tribunaux excusant ou non, selon les cas, la négligence du fait de l’objet non lucratif d’une structure et/ou de la qualité de bénévoles de ses dirigeants. Il convient de remarquer qu’aucune étude d’impact n’a été menée sur ce sujet pour établir la nécessité de légiférer. Ainsi, nous ne connaissons pas le nombre des condamnations effectives de dirigeants associatifs bénévoles au titre de l’engagement de leur responsabilité financière.
L’article 2 modifie un article du code de l’éducation en vue de permettre de sensibiliser les collégiens et les lycéens à l’engagement associatif. On ne peut naturellement s’opposer à cette initiative, qui va dans le bon sens, ni à l’amendement adopté à l’Assemblée nationale qui a élargi cette sensibilisation aux élèves de CM2. Il faudra toutefois que les moyens humains et les horaires soient adaptés pour que cette mesure puisse devenir effective.
L’article 3, quant à lui, a été introduit lors du débat en séance publique à l’Assemblée nationale. Il s’agit de permettre aux Algériens résidant légalement en France d’avoir accès au service civique et ainsi de combler un vide juridique lié à une omission dans la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté.
Notre France est riche de l’engagement de 16 millions de bénévoles dans près de 1,3 million d’associations. C’est un atout considérable que nous devons préserver et conforter ; c’est un atout pour notre République ; c’est un atout pour notre modèle social. C’est pourquoi les sénateurs du groupe socialiste et républicain voteront en faveur de l’adoption de ce texte, même si celui-ci est loin d’apporter les réponses aux nombreuses questions qui se posent aujourd’hui. Votre responsabilité personnelle, monsieur le secrétaire d’État, en votre qualité de membre du Gouvernement, est engagée pour aller plus loin ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Loïc Hervé applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Mireille Jouve.
Mme Mireille Jouve. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, le tissu associatif français compte parmi les plus denses au monde. Il est un outil précieux pour l’organisation de la société et le maintien de sa cohésion, et l’un des meilleurs garants de l’animation de tous nos territoires. Présent dans les secteurs éducatif, culturel, sportif, social, médico-social, le monde associatif est niché au cœur du quotidien de nos compatriotes.
Les responsables politiques, souvent issus des rangs associatifs, ne méconnaissent pas cet ancrage et ses vertus. Ils savent combien ces structures contribuent à l’équilibre de nos territoires en œuvrant largement à leur attractivité ; ils savent pouvoir compter sur la capacité novatrice de celles et ceux dont l’intelligence collective permet d’apporter des réponses innovantes aux besoins et aux enjeux de notre société.
Il est donc indispensable que les responsables politiques veillent à ne pas déstabiliser outre mesure ce vivier. Pourtant, les obstacles se multiplient.
Tout d’abord, en matière de ressources humaines, la réduction très significative du nombre d’emplois aidés a privé le secteur associatif de l’équivalent de 1,6 milliard d’euros de subventions indirectes. La baisse des dotations allouées aux collectivités territoriales conduit aussi celles-ci à revoir largement le niveau de leur subventionnement des associations, même si elles en demeurent des partenaires incontournables.
La suppression, en 2017, de la dotation d’action parlementaire, a également privé le tissu associatif d’une manne financière importante, perte que les sommes allouées au Fonds pour le développement de la vie associative ne viennent compenser que très partiellement.
Enfin, plusieurs réformes fiscales, comme la transformation de l’ISF en IFI, accompagnée d’une chute de 66 % du nombre des redevables, ont des conséquences notables sur le niveau des dons.
La conjoncture difficile dans laquelle évolue aujourd’hui le monde associatif doit donc retenir toute notre attention. Au regard de son utilité sociale et économique, cela apparaît même crucial.
Depuis plusieurs décennies, le secteur associatif a souvent pu être perçu par le politique comme une simple variable d’ajustement en matière de politique de l’emploi. Amortisseur social en temps de crise, il est délaissé au profit du secteur marchand quand « reviennent les beaux jours ».
Le monde associatif s’est pourtant développé jusqu’à atteindre une réelle maturité et revêt désormais une dimension tout à fait stratégique. Dans un grand nombre de domaines essentiels, les pouvoirs publics auraient-ils toujours les moyens de se substituer à lui s’il venait à faire défaut ?
L’État doit donc prendre en compte cette nouvelle dimension du secteur associatif. Il doit notamment apprendre à intégrer les emplois d’utilité sociale issus du milieu associatif dans une perspective de long terme qui soit réellement stabilisée.
Le texte qui est soumis ce jour à l’examen de notre assemblée est de portée modeste. Il apporte toutefois des éléments de réponse à des problématiques désormais bien identifiées.
C’est notamment le cas en ce qui concerne les difficultés rencontrées pour le renouvellement des dirigeants associatifs bénévoles. Aujourd’hui, plus d’un quart des présidents d’association sont en poste depuis au moins dix ans.
Le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen souhaite également qu’une réponse soit très prochainement apportée à la question de la disponibilité des fonds demeurant sur les comptes inactifs des associations.
Afin d’enrichir ce texte, dont le contenu pourrait apparaître modeste, notre groupe formulera des propositions par voie d’amendements. Celles-ci visent à renforcer la reconnaissance de l’engagement bénévole et à clarifier la situation des associations cultuelles au regard du principe de laïcité.
Au moment où l’on fait volontiers le constat d’une société fracturée et d’un pays en crise, nous n’oublions pas que nos associations constituent, par leur capacité d’anticipation, un précieux « thermomètre social », au plus près du terrain. Elles savent être à l’écoute de leur environnement et entretenir des rapports étroits et constructifs avec les élus locaux.
Les maires témoignent d’ailleurs volontiers de la convergence de leurs attentes et des réponses apportées par le tissu associatif local, souvent adaptées, en effet, aux principales fragilités d’un territoire. Il y a une véritable réalité structurante du secteur associatif.
Vie associative et vie territoriale vont ainsi de pair : gardons cela à l’esprit au moment où l’on s’interroge sur ce qui participe de la cohésion nationale dans notre pays. Le groupe du RDSE s’associe pleinement aux propositions contenues dans ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. François Patriat applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Kern. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Claude Kern. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, je salue l’initiative de mon ami député Sylvain Waserman d’avoir déposé cette proposition de loi, qui nous permet d’examiner des mesures concrètes au bénéfice du monde associatif, largement malmené et, par voie de conséquence, touché par une réelle carence d’engagement.
Les associations jouent un rôle important dans la société. Elles sont des vecteurs de lien social, gages de cohésion territoriale et sociétale. Elles pallient aussi parfois les manquements de l’État, en jouant un rôle de service public.
Nous le savons, le fonctionnement des associations repose largement sur le bénévolat : celui-ci en est la véritable matière première, si j’ose dire, ainsi que le gage de la pérennité des associations.
L’un des maillons essentiels de ce fonctionnement est le dirigeant bénévole, qui, outre sa disponibilité sans faille, doit disposer de compétences solides en matières fiscale et juridique, eu égard notamment aux responsabilités dont il est titulaire. Il était donc primordial de remédier à l’insécurité juridique actuelle, délétère, et d’offrir au dirigeant bénévole un cadre stable en atténuant sa responsabilité financière en cas de faute de gestion due à de simples négligences.
De même, il est nécessaire d’insister pour que la qualité de bénévole du dirigeant et l’insuffisance des moyens dont il a pu disposer pour prémunir l’association contre des risques financiers soient plus largement prises en compte par les magistrats au titre de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif – même si, bien évidemment, les magistrats restent souverains dans leur décision.
Plus largement, cette proposition de loi vise à promouvoir l’engagement associatif auprès des plus jeunes, en complétant l’article L. 312-15 du code de l’éducation pour prévoir que l’enseignement moral et civique les sensibilise également à la vie associative et au service civique. Il s’agit de développer ainsi la fibre de l’engagement citoyen. C’est bien d’éveil qu’il est question ici : il faut que nos jeunes aient une réelle connaissance de ce type d’organisations et soient fortement sensibilisés à la possibilité de s’engager pour une cause ou de faire vivre une passion, voire de pallier des carences de l’État.
À ce titre, cette proposition de loi, dont l’objet est de faciliter et d’encourager l’exercice de fonctions associatives, doit évidemment être largement soutenue.
Toutefois, de nombreuses questions restent en suspens, en termes de viabilité, d’efficacité et de pérennisation de la vie associative.
De fait, les engagements positifs que la proposition de loi vise à mettre en œuvre se heurtent à la fatalité de l’existant : recul des contrats aidés, diminution des moyens publics, complexité et tracasseries administratives, valorisation timorée de l’engagement associatif. Autant de facteurs qui nuisent fortement à l’engagement associatif et grèvent l’action même des associations. Celles-ci, en effet, ont été déstabilisées autant par le volume des contrats aidés supprimés que par la brutalité de ces suppressions, opérées sans réelle concertation.
Ajoutons à cela la diminution des crédits alloués au développement de la vie associative. Les associations souffrent nécessairement encore de la suppression de la réserve parlementaire, d’autant que le volet « fonctionnement-innovation » du FDVA, censé la remplacer, ne dispose que de la moitié de ses moyens : 25 millions d’euros, alors que 45 millions d’euros environ de la réserve parlementaire étaient consacrés aux associations.
Mme Sylvie Goy-Chavent. C’est vrai !
M. Claude Kern. Les associations sont essentielles à notre cohésion nationale, mais force est de constater que, si on leur demande beaucoup, on leur donne peu. Les ajustements du CITS qui ont pu être opérés pour relativiser la portée de la diminution du nombre des contrats aidés n’ont qu’un effet limité, dans la mesure où ils ne concernent pas l’ensemble des associations.
Or il faut répondre aux besoins spécifiques de toutes les associations : celles qui emploient plusieurs dizaines, voire centaines, de salariés, mais aussi les plus petites, qui jouent souvent un rôle décisif dans la vie économique et sociale au niveau local.
Lors de l’examen de la mission « Sport et vie associative » du projet de loi de finances pour 2019, j’ai largement souligné l’absence de signal positif de la part du Gouvernement en direction du milieu associatif, qui aura perdu finalement 1,6 milliard d’euros de subventions indirectes à la suite de la réforme des contrats aidés, sans qu’aucune initiative soit prise pour introduire un soutien direct aux emplois associatifs, eu égard à leur utilité sociale. Depuis lors, le Gouvernement s’est récemment engagé via un programme de 15 millions d’euros. Enfin une bonne nouvelle… c’est heureux !
Dans ce contexte, je salue tout naturellement l’introduction, par la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale, de l’article 1er bis : le rapport prévu devra étudier l’opportunité d’abonder le FDVA par le truchement des comptes d’associations inactifs ou en déshérence. Je précise d’ailleurs que la commission de la culture du Sénat avait adopté un amendement en ce sens lors de l’examen du projet de budget pour 2019.
De même, je salue le dispositif fiscal réformé du mécénat introduit par la loi de finances pour 2019, qui permet aux PME et TPE de s’engager financièrement de façon plus vigoureuse en faveur du secteur associatif.
Au-delà de cet aspect financier, il est d’une impérieuse nécessité de développer une reconnaissance de l’engagement associatif allant plus loin que ce qui est aujourd’hui possible, mais très largement méconnu. Je pense notamment à une meilleure intégration de l’engagement associatif dans les parcours professionnels, à une plus grande valorisation des dispositions de la loi relative à l’égalité et la citoyenneté, au congé d’engagement bénévole, au compte d’engagement citoyen, etc.
Enfin, il faudrait aller plus loin également en matière de simplification.
Vous l’aurez compris, madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, chers collègues, le groupe Union Centriste, au nom duquel je m’exprime, votera cette proposition de loi, cela même si nous sommes convaincus que son périmètre aurait pu être beaucoup plus large. Nous espérons qu’un sort favorable sera réservé à certains amendements porteurs de mesures encore plus fortes et innovantes ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Théophile. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. Dominique Théophile. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons cet après-midi la proposition de loi visant à favoriser l’engagement associatif, déposée par le député Sylvain Waserman et dont le groupe La République En Marche a demandé l’inscription à l’ordre du jour du Sénat, au sein de sa niche parlementaire.
Ce texte a fait l’objet d’une adhésion consensuelle à l’Assemblée nationale ; il recevra, je l’espère, un accueil similaire de notre assemblée.
En effet, cette proposition de loi tend à prendre en compte les difficultés vécues par le monde associatif, qui est indispensable à notre tissu social. Si les solutions proposées ne traitent pas l’ensemble des problématiques rencontrées par les associations, elles sont néanmoins susceptibles d’améliorer concrètement leur situation.
Je pense en particulier à la sécurisation de la fonction de dirigeant bénévole, qui encouragera cette prise de fonction et l’engagement associatif. En élargissant aux dirigeants bénévoles d’association le champ d’application de l’exception pour négligence, jusqu’ici limité aux dirigeants de société, cette proposition de loi mettra fin à une situation d’insécurité juridique qui n’était pas justifiée.
En effet, la loi du 9 décembre 2016, dite loi Sapin II, disposait que la simple négligence ne pouvait engager la responsabilité des dirigeants d’entreprise, sans préciser si cette exception s’appliquait ou non aux dirigeants d’association. La proposition de loi ouvre très clairement à ces derniers le bénéfice de cette exception.
Ce texte répond ainsi à une problématique réelle, puisque le rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale chargée d’étudier les difficultés des associations a souligné que le renouvellement des dirigeants associatifs bénévoles était aujourd’hui l’une des grandes difficultés identifiées par les associations. Or cette difficulté est en partie liée au possible engagement de la responsabilité financière des dirigeants bénévoles, même en cas de simple négligence.
Par ailleurs, cette proposition de loi vise à promouvoir la sensibilisation à la vie associative à l’école, au collège et au lycée. L’éveil des élèves au rôle des associations et aux possibilités d’engagement citoyen qu’elles offrent nous paraît un objectif pertinent, et son inscription dans le code de l’éducation une mesure judicieuse. Prenant acte du rôle central des enseignants dans cette démarche de sensibilisation, la proposition de loi prévoit en outre l’élaboration d’un livret destiné à la communauté éducative, afin de l’informer sur les liens possibles entre milieu associatif et établissements scolaires.
L’article 5 de la proposition de loi permet aux associations de saisir le préfet afin qu’il se prononce sur leur caractère d’intérêt général. Cette reconnaissance ne peut procéder, pour l’heure, que de l’administration fiscale, qui suit, selon le Haut Conseil de la vie associative, une interprétation très stricte. Cette mesure devrait permettre une évaluation du caractère d’intérêt général plus proche du terrain.
Ces mesures ciblées s’inscrivent tout à fait dans la lignée du plan d’action du Gouvernement pour le développement du monde associatif, que vous avez présenté, monsieur le secrétaire d’État, le 29 novembre dernier. Le groupe La République En Marche partage pleinement l’objectif de promouvoir le développement du monde associatif.
En France, il existe 1,3 million d’associations, qui emploient 1,8 million de personnes, soit près de 10 % des emplois du secteur privé, et bénéficient de l’appui de 13 millions de bénévoles.
La liberté d’association, principe fondamental reconnu par les lois de la République, doté d’une valeur constitutionnelle, nous paraît être au cœur de la culture politique française. La loi de 1901 en dessine les principaux contours et pose le principe que les associations ont pour objet le bien commun, non la recherche du profit. Des associations telles que Les Restos du Cœur, fondée en 1985, ou Emmaüs, créée en 1954, sont connues de tous : elles illustrent l’esprit de cette loi et l’utilité sociale majeure des associations. Leur gestion désintéressée et la place qu’y tient le bénévolat sont des spécificités qui témoignent de la valeur de leur contribution à la recherche de l’intérêt général.
Les associations sont un vecteur essentiel de l’engagement citoyen et un moyen d’action à la portée de tous au sein de la société civile. Bien souvent, elles jouent un rôle de cohésion ou d’assistance sociale, de médiation ou de production culturelle, ou encore de veille pour la protection de l’environnement. Ces missions primordiales doivent pouvoir se déployer le plus librement possible.
Pour toutes ces raisons, notre groupe, unanime, votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – M. Claude Kern applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Sylvie Goy-Chavent applaudit également.)
M. Roger Karoutchi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je croyais, en 2017, qu’un vent de liberté allait souffler, que ça allait enfin respirer ! Or je constate, monsieur le secrétaire d’État, que, finalement, la technostructure reprend le pouvoir…
Puisque Michel Savin a déjà tout dit, et excellemment, je me bornerai à parler de mon pauvre article 4, dont vous ne voulez pas, monsieur le secrétaire d’État, on se demande bien pourquoi… (Sourires.)
M. André Gattolin. Il ne lui revient pas !
M. Roger Karoutchi. Vous croyez que c’est l’explication ? Pourtant, ici ou là, j’ai vu que j’étais tout à fait compatible avec tout !
Des associations, il y en a beaucoup. Nombre d’entre nous en ont soutenu grâce à la défunte réserve parlementaire. Beaucoup de nos collectivités territoriales n’ont plus les moyens de le faire, parce que leurs capacités financières sont de plus en plus faibles.
M. Alain Dufaut. Eh oui !
Mme Sylvie Goy-Chavent. Elles n’ont plus de réserve parlementaire non plus…
M. Roger Karoutchi. C’est pourquoi de nombreuses associations jouent beaucoup sur les stages. Je propose donc qu’on autorise plus largement le recours aux stages dans les associations, en levant le plafond de 15 % de stagiaires.
Je prendrai un exemple parlant pour les Franciliens, dont vous êtes, monsieur le secrétaire d’État, vous qui avez battu un de mes amis. (Rires) Mais tant pis, c’est la vie politique… et on verra ce qu’il en sera en 2022 !
Nous connaissons, en Île-de-France, une explosion du tourisme, et c’est tant mieux, parce que tout le monde en profite : c’est un bénéfice en termes financiers, politiques et d’image considérable. L’objectif est d’augmenter encore la fréquentation touristique à Paris et en Île-de-France. Seulement, du côté du Gouvernement, il n’y a plus, depuis longtemps, de moyens financiers disponibles pour le tourisme. Ce sont les régions et les autres collectivités territoriales qui interviennent. En Île-de-France, le comité régional du tourisme veut charger des stagiaires, les volontaires du tourisme, d’accompagner, de guider et d’orienter les touristes l’été, mais on nous oppose que ces stages d’une durée d’un mois se substitueront à des créations d’emplois. Franchement, comment imaginer que le comité régional du tourisme, qui n’a pas tant de moyens que cela, va créer des emplois pour un ou deux mois d’été ? Si l’on interdit le recours aux stages, les touristes ne seront pas accompagnés et ils devront se débrouiller tout seuls !
Monsieur le secrétaire d’État, laissez un peu de liberté, un peu de marge d’action aux associations qui bougent, qui font vivre ce pays,…
Mme Sylvie Goy-Chavent. Il a raison !
M. Roger Karoutchi. … quitte à prévoir, dans les décrets d’application, que les stages ne seront pas renouvelables, afin qu’on ne puisse pas les substituer à des emplois. Mais ne vous opposez pas a priori au recours aux stages, en vous alignant sur la position de Bercy ! Des stages longs peuvent concurrencer l’emploi, mais pas des stages d’un mois l’été !
Monsieur le secrétaire d’État, laissez donc vivre nos associations : je suis sûr qu’un homme jeune, dynamique, volontaire et libéral comme vous en est capable ! (Rires et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet.
M. Jean-Raymond Hugonet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, dernier orateur dans la discussion générale, je me rassurerai avec l’adage selon lequel la pédagogie est affaire de répétition… (Sourires.)
La présente proposition de loi a pour mérite de placer au cœur de nos débats la question, cruciale, du rôle et de l’avenir de nos associations. Reconnaissons-le, c’est une bonne chose.
On comprend aisément aussi que cette proposition de loi vise à envoyer un signal, certes modeste, mais un signal tout de même, aux associations, qui ont dû faire face aux effets collatéraux de la politique du Gouvernement.
Je veux principalement parler, bien sûr, des 120 000 contrats aidés supprimés en un an et de la brutalité avec laquelle ces suppressions ont été opérées.
Je pense aussi à la suppression de la réserve parlementaire. Est-il besoin de rappeler que la loi de finances pour 2018 a affecté, à titre de compensation, 25 millions d’euros au Fonds pour le développement de la vie associative, quand la réserve parlementaire consacrait 45 millions d’euros aux associations ? Le compte n’y est évidemment pas !
M. Michel Savin. Eh non !
M. Jean-Raymond Hugonet. Même si cette proposition de loi représente un signe positif, elle constitue en vérité une réponse bien mince aux réelles difficultés rencontrées par le monde associatif.
Le constat est là : le bénévolat est en crise. Au-delà des chiffres, c’est une réalité dont chacun doit mesurer la gravité.
Sans le soutien de l’État et des collectivités territoriales, le secteur non lucratif, à qui de plus en plus de missions de service public sont confiées, ne peut agir de manière efficace. À l’heure où les finances publiques sont dans un état désastreux, le bénévolat est un levier d’action indispensable, avec pas moins de 13 millions de personnes qui donnent de leur temps en France.
Vous l’avez souligné, monsieur le secrétaire d’État, les associations sont un véritable trésor pour notre pays. Elles jouent un rôle irremplaçable au service de la cohésion sociale. Elles permettent de partager, souvent de manière intergénérationnelle, des valeurs communes, comme le respect, la solidarité et le don de soi. Elles sont aussi le vecteur essentiel de l’éducation populaire.
Par ailleurs, la fonction de dirigeant bénévole, si elle exige un engagement personnel et une disponibilité importante, nécessite aussi des compétences dans les domaines du droit et de la comptabilité. Elle engage fréquemment la responsabilité financière de celui qui l’exerce. La présente proposition de loi vise à atténuer cette responsabilité en cas de faute de gestion. C’est plutôt une bonne chose : cette insécurité juridique est source de préoccupation dans le milieu associatif, car elle freine le renouvellement des instances dirigeantes des associations.
La sensibilisation des collégiens et des lycéens à la vie associative à travers les programmes scolaires, par l’intégration d’un module consacré à la vie associative au sein de l’enseignement moral et civique, est également une bonne idée.
Globalement, tout ce qui favorisera l’amélioration de la formation des bénévoles ira dans le bon sens – ce n’est pas notre collègue Michel Savin qui dira le contraire.
Mais restons lucides : les associations sont aujourd’hui extrêmement fragilisées. Elles attendent maintenant une véritable stratégie de soutien pour faire évoluer leur modèle économique. Les tracasseries administratives, financières et fiscales, dont nous sommes devenus les champions du monde toutes catégories, restent des freins insupportables pour la vie associative !
Plusieurs travaux ont pourtant récemment démontré qu’être bénévole a des effets positifs sur le bien-être. Les bénévoles présentent, en effet, un surcroît d’enthousiasme, de confiance et d’optimisme, à l’heure où le pessimisme est de mise dans la population. Quel que soit leur âge, tous le disent : s’engager rend heureux, heureux de s’accomplir, de se sentir utile, de faire progresser la société.
Tout ce qui pourra redonner du souffle au bénévolat sera donc bienvenu, d’autant que la population des personnes engagées est vieillissante. Inciter les générations montantes à s’engager à leur tour, c’est préparer notre avenir ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Gabriel Attal, secrétaire d’État. Les différentes interventions ont montré que, tous, nous souhaitons renforcer la vie associative dans notre pays. Nous avons des positions et des propositions différentes, mais nous avons cette ambition en partage.
Je constate aussi qu’un vrai consensus politique se dessine autour de cette proposition de loi. Certains considèrent qu’elle est a minima, qu’elle ne va pas assez loin, mais chacun reconnaît que c’est une pierre supplémentaire apportée à l’édifice du soutien au bénévolat et à la vie associative dans notre pays, et qu’il faut donc l’adopter.
À écouter certains orateurs, j’ai parfois eu l’impression que, avant 2017, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes pour le milieu associatif, que les associations n’avaient alors ni besoins ni difficultés,…
M. Martial Bourquin. Non, mais ça allait mieux !
M. Philippe Dallier. Sortons des caricatures !
M. Martial Bourquin. La situation ne pourrait pas être pire qu’aujourd’hui !
M. Gabriel Attal, secrétaire d’État. Évidemment, des décisions ont été prises qui ont pu avoir une incidence sur la vie associative – je ne le conteste pas et j’ai d’ailleurs eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises –, mais on ne saurait prétendre que rien n’a été fait pour les associations depuis deux ans, que tout a été négatif pour elles, notamment en matière financière et d’emploi.
On a cité la suppression de l’ISF et les conséquences qu’elle aurait eues sur le niveau des dons. Ces conséquences restent à mesurer. On en saura plus à la fin du mois, s’agissant notamment d’un éventuel report sur la déduction des dons de l’impôt sur le revenu. Évidemment, je souhaite que la diminution des dons soit la plus faible possible.
Je m’étonne que personne n’ait rappelé que la transformation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, en baisse de charges profite aussi directement, et en net, aux associations, qui, au contraire des entreprises, n’étaient pas éligibles au CICE. Cela représente 1,4 milliard d’euros de trésorerie rendu aux associations qui emploient des salariés. Il faudrait remonter assez loin pour trouver un soutien financier de cette ampleur apporté en un temps si court. Cela mérite, je pense, d’être salué. En tout cas, ce montant est nettement supérieur à la baisse anticipée ou attendue du niveau des dons du fait de la suppression de l’ISF. S’y ajoutera, cette année, le crédit d’impôt sur la taxe sur les salaires, pour un montant de 500 millions d’euros : au total, les associations bénéficieront donc de 1,9 milliard d’euros.
S’agissant du remplacement de l’apport de la réserve parlementaire par l’intervention du Fonds de développement de la vie associative, je ne vais pas nier ce qui a été souligné par un certain nombre d’orateurs : alors que 45 millions d’euros de la réserve parlementaire étaient fléchés vers les associations, le FDVA est doté de 25 millions d’euros. Quand cette décision a été prise, j’étais député, et j’avais moi-même réclamé plus d’argent pour les associations…
M. Michel Savin. Ah !
M. Gabriel Attal, secrétaire d’État. C’est un combat qui se poursuit, et je reste optimiste – c’est ma nature – quant à la possibilité d’un progrès.
Il faut tout de même considérer qu’il y a eu recentrage. La réserve parlementaire soutenait tout type d’associations, y compris de grosses associations employant des salariés qui, aujourd’hui, bénéficient de la baisse des cotisations salariales. Le Fonds de développement de la vie associative, lui, est polarisé sur les petites associations de bénévoles dans les territoires. À ce titre, la comparaison entre les moyens du FDVA et l’apport de la réserve parlementaire a ses limites, puisque le champ des bénéficiaires n’est pas le même.
Même si ce n’est pas l’objet de cette proposition de loi, je suis parfaitement ouvert à l’engagement d’une réflexion sur l’évolution de la procédure d’attribution des fonds du FDVA. Nous avons d’ailleurs commencé à en discuter lors du débat budgétaire. Je sais qu’il y a une demande très forte des parlementaires d’être associés aux commissions d’attribution. Je suis favorable à ce que l’on explore cette possibilité. De même, dans le cadre du grand débat national, émerge l’idée d’instaurer des jurys citoyens pour l’attribution des crédits du FDVA. D’ailleurs, un certain nombre de sénateurs et de députés avaient mis en place de tels jurys pour l’attribution de leur réserve parlementaire, et je crois que cela fonctionnait assez bien. On peut tout à fait imaginer d’aller dans cette direction.
En ce qui concerne l’emploi, je ne nie absolument pas l’incidence de la transformation des emplois aidés en parcours emploi compétence, ou PEC, pour le secteur associatif. Je rappellerai simplement que les emplois aidés ne représentaient que 8 % de l’emploi associatif. Il n’est donc pas vrai de dire que tout le secteur associatif reposait sur les emplois aidés, même si dans certains domaines, comme la culture et le sport, la part de ces emplois était particulièrement élevée.
La vraie question est la suivante : dès lors que les emplois aidés ont été transformés en PEC pour offrir un accompagnement et une insertion renforcés aux bénéficiaires, comment expliquer que les associations aient recouru si faiblement à ce dispositif, alors même qu’elles bénéficiaient des emplois aidés ? Cela fait partie des sujets dont nous parlons avec le mouvement associatif en ce moment et qui sont abordés dans le cadre du grand débat national. Cette situation tient-elle au niveau de subventionnement, aux formalités d’accompagnement et d’insertion ? Évidemment, on peut faire évoluer le dispositif et, dans le cadre du grand débat national, on peut tout à fait imaginer mettre en place des mesures nouvelles pour soutenir l’emploi associatif. On ne reviendra pas aux emplois aidés, parce qu’un choix politique a été fait pour renforcer l’insertion des bénéficiaires, mais tout dispositif susceptible de permettre de soutenir l’emploi associatif sera étudié de près.
C’est dans cet esprit que j’ai annoncé la création de 4 000 postes au titre du Fonds de coopération de la jeunesse et de l’éducation populaire, le Fonjep, subventionnés à hauteur de 7 000 euros par an pendant trois ans. L’objectif est de soutenir les petites associations de bénévoles qui se rapprochent et créent un groupement d’employeurs pour grandir, aller chercher des financements et diversifier leur modèle.
Je rejoins totalement les propos du sénateur Kern sur la valorisation de l’engagement et du bénévolat. C’est là un très important chantier. J’ai annoncé, lors de la présentation de la feuille de route pour le développement de la vie associative, des certifications gratuites pour tous les bénévoles de notre pays. Elles permettront de certifier des compétences acquises à l’occasion d’un engagement, dans une perspective d’insertion professionnelle. C’est un véritable enjeu pour les bénévoles et au regard de l’attractivité du bénévolat pour les jeunes.
Quand on s’engage dans le bénévolat, on le fait pour les autres, pour l’intérêt général, mais aussi pour soi, pour développer des compétences, qui doivent pouvoir être valorisées dans une logique d’insertion.
Je suis tout à fait d’accord avec M. Savin, il faut avancer sur la question du formulaire unique. Ce point fait d’ailleurs partie des sujets sur lesquels nous sommes en train de travailler avec le mouvement associatif.
Toutefois, ce n’est pas facile, car l’idéal serait de parvenir à mettre en place une procédure unique pour les demandes de fonds auprès de l’État et des collectivités locales. On est en train de regarder comment le compte Asso peut devenir un bouquet de services numériques unique pour les associations afin de faciliter les demandes de subventions, car c’est aujourd’hui très compliqué, comme vous l’avez dit, surtout quand on est bénévole. Il faut donc avancer sur ce sujet.
Enfin, pour terminer, la question du service national universel, puisque M. Kanner est intervenu sur ce sujet, a suscité hier un véritable débat en commission. À cet égard, je rappelle que l’un des objets du service national universel est de lever les freins à l’engagement, pour faire en sorte que davantage de jeunes s’engagent, notamment via le service civique. Il ne faut pas opposer les deux dispositifs : l’un va avec l’autre !
Je suis frappé de le constater, les jeunes que j’ai rencontrés dans le cadre du service civique, qui sont parfois arrivés là par la force des choses – ils étaient polydécrocheurs et étaient un peu en perte de repères –, ont eu une révélation en découvrant qu’ils étaient utiles, qu’ils avaient quelque chose à apporter en s’engageant. Rien auparavant dans leur parcours ne leur avait permis de mesurer à quel point ils étaient utiles et pouvaient s’engager. C’est là aussi l’un des objets du service national, et c’est ce à quoi nous allons arriver. (MM. Didier Rambaud et André Gattolin applaudissent.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous rappelle que nos débats s’inscrivent dans le cadre de deux niches parlementaires de quatre heures chacune. J’invite donc chacun d’entre vous à être concis, afin que le Sénat ait le temps d’examiner et de voter le texte suivant, qui lui aussi est important.
proposition de loi en faveur de l’engagement associatif
Article 1er
Le premier alinéa de l’article L. 651-2 du code de commerce est ainsi modifié :
1° À la dernière phrase, le mot : « société » est remplacé par les mots : « personne morale » ;
2° Est ajoutée une phrase ainsi rédigée : « Lorsque la liquidation judiciaire concerne une association régie par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association ou, le cas échéant, par le code civil applicable dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle et non assujettie à l’impôt sur les sociétés dans les conditions prévues au 1 bis de l’article 206 du code général des impôts, le tribunal apprécie l’existence d’une faute de gestion au regard de la qualité de bénévole du dirigeant. »
Mme la présidente. L’amendement n° 14, présenté par Mme Brulin, M. Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
1° À la dernière phrase, après le mot : « société », sont insérés les mots : « ou de l’association régie par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association » ;
La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. Tout le monde a salué la vertu de l’article 1er, qui est de répondre à l’incongruité selon laquelle un chef d’entreprise est aujourd’hui mieux protégé qu’un responsable bénévole en matière de négligence. Mais, pour répondre à cet enjeu, il conviendrait d’abord de développer la formation.
En effet, les chefs d’entreprise – je pense en particulier aux plus petites entreprises – commettent parfois des erreurs de bonne foi dans la gestion, qui seraient évitables si leur formation était meilleure.
C’est peut-être en ce sens qu’il faudrait davantage agir, plutôt que d’étendre toujours plus le droit à l’erreur, d’autant que, dans le contexte actuel, nos concitoyens considèrent, me semble-t-il, que nous ne leur pardonnons aucune erreur. Veillons donc à ne pas accroître les fractures existantes, qui sont déjà inquiétantes.
Nous l’avons dit dans notre propos liminaire, nous sommes favorables à l’idée d’étendre ce concept, de manière à protéger les responsables associatifs, car c’est là une très bonne chose. Toutefois, prenons garde, car l’extension du concept à l’ensemble des personnes morales inclut, de fait, les fondations. Or, sans jeter l’opprobre sur qui que ce soit, on a vu que certaines d’entre de ces dernières ont commis des erreurs qui ne relevaient pas de la bonne foi ni du caractère bénévole de leurs responsables.
De plus, on constate que de grands groupes et de grandes banques créent des fondations, dont l’objet est de dorer ou de redorer leur image en épousant des combats populaires, mais qui peuvent parfois aussi servir à pratiquer une forme de défiscalisation.
C’est pourquoi nous souhaitons que les choses soient encadrées, afin de mieux protéger les responsables associatifs, sans exonérer tous les autres de leurs responsabilités.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Antoine Karam, rapporteur. Cet amendement tend à restreindre le bénéfice de l’exception de négligence, parmi les personnes morales de droit privé, aux seules sociétés et associations.
Je rappelle que l’article L. 651-2 du code de commerce permet d’engager la responsabilité financière, en cas de faute de gestion ayant conduit à une liquidation, du dirigeant de toute personne morale de droit privé. L’« exception de négligence », introduite par la loi Sapin II, ne concerne aujourd’hui que les dirigeants de société, ce qui n’est ni juste ni logique.
Pour ces raisons, mon cher collègue, je vous invite à retirer cet amendement ; à défaut, l’avis de la commission serait défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gabriel Attal, secrétaire d’État. Le texte de la commission nous semble aller déjà dans le sens de cet amendement, qui, par ailleurs, tend à corriger le texte adopté par l’Assemblée nationale, et non pas celui de la commission du Sénat. La rédaction de cet amendement pose donc une difficulté légistique. Mais, au-delà, je le répète, les objectifs sont atteints par le texte adopté en commission.
J’émets donc le même avis que la commission, pour les mêmes raisons.
Mme la présidente. Madame Brulin, l’amendement n° 14 est-il maintenu ?
Mme Céline Brulin. Oui, je le maintiens, madame la présidente.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Articles additionnels après l’article 1er
Mme la présidente. L’amendement n° 21, présenté par M. Grand, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Avant le dernier alinéa de l’article 121-3 du code pénal, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsqu’un délit concerne une association régie par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association ou, le cas échéant, par le code civil applicable dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, le tribunal apprécie les faits au regard de la qualité de bénévole du dirigeant. »
La parole est à M. Jean-Pierre Grand.
M. Jean-Pierre Grand. J’aurais voulu dire un mot sur l’amendement précédent, mais ce n’est pas grave. On gagne ainsi du temps… Je transmettrai mon intervention à M. le secrétaire d’État.
Les auteurs de la proposition de loi se fondent sur un rapport de 2014, qui étudiait les difficultés du monde associatif, au premier rang desquelles le renouvellement des dirigeants associatifs bénévoles. Ils précisent que le dirigeant bénévole d’une association engage sa responsabilité s’il a commis une ou plusieurs fautes de gestion.
Il convient de ne pas oublier que les responsabilités pénales du dirigeant bénévole sont aussi très importantes et contribuent à des difficultés de recrutement.
Sur le modèle des dispositions prévues à l’article 1er, il est proposé de prévoir qu’en matière de responsabilité pénale le tribunal apprécie aussi les faits au regard de la qualité de bénévole du dirigeant. Il ne s’agit pas de décharger un président d’association s’il commet un crime ou un délit, mais il n’est pas rare que ce dernier mette tout en œuvre pour assurer la sécurité. Or le risque zéro n’existe pas.
Dans le sud de la France, monsieur le secrétaire d’État, il est malheureusement courant de voir des clubs taurins sanctionnés à la suite d’accidents, des accidents qu’ils ne peuvent anticiper dans la mesure où les touristes ne respectent pas les mesures de sécurité.
Mme Marie-Thérèse Bruguière. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Grand. N’est-ce pas, madame Bruguière ?… Vous avez souvent défendu ce point.
Afin que nos traditions puissent perdurer, il convient de sécuriser la position des dirigeants bénévoles.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Antoine Karam, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement, qui vise à prendre en compte la qualité de bénévole du dirigeant associatif en matière de responsabilité pénale en cas de délit.
Autant le caractère bénévole de son exercice peut justifier de tempérer la responsabilité financière du dirigeant d’exercice en cas de mauvaise gestion, autant on ne peut imaginer qu’elle soit à sa décharge s’il commet un délit.
Pour ces raisons, je vous invite à retirer votre amendement ; à défaut, l’avis de la commission serait défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Monsieur Grand, l’amendement n° 21 est-il maintenu ?
M. Jean-Pierre Grand. J’aime les courses automobiles. Or, quand des événements graves se produisent, les organisateurs sont infiniment moins ennuyés que les responsables de courses bénévoles dans nos villages.
Cela dit, je retire mon amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 21 est retiré.
L’amendement n° 23, présenté par M. Grand, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 40 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Par dérogation, pour l’indemnisation des dommages-intérêts, l’interdiction mentionnée au premier alinéa ne s’applique pas aux associations régies par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association ou, le cas échéant, par le code civil applicable dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle. »
La parole est à M. Jean-Pierre Grand.
M. Jean-Pierre Grand. Il est défendu, madame la présidente !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Antoine Karam, rapporteur. Cet amendement a pour objet de permettre aux associations d’ouvrir une souscription pour régler les dommages et intérêts auxquels elles ont été condamnées par une décision de justice. En effet, l’article 40 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse l’interdit, tout comme elle interdit le fait d’en faire la publicité.
Je comprends l’idée généreuse qui a motivé l’auteur de cet amendement. Toutefois, cela pourrait nous conduire à revenir sur des décisions de justice, en venant en aide à des associations condamnées pour des actes délictueux, qui peuvent être graves.
Pour ces raisons, mon cher collègue, je vous demande de retirer votre amendement ; à défaut, l’avis de la commission serait défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gabriel Attal, secrétaire d’État. Je comprends parfaitement votre intention, monsieur Grand, qui est de permettre une solidarité en faveur des responsables associatifs qui seraient « embêtés » à cause d’erreurs mineures.
Toutefois, l’adoption de cet amendement serait de nature à ouvrir la solidarité pour des actes plus délictueux que ceux qui sont envisagés par votre exposé sommaire, ce qui équivaudrait à revenir sur la décision de justice ou, en tout cas, à en atténuer les effets. On a vu, au cours de ces dernières semaines, à quel point ces sujets-là peuvent être compliqués, avec la mise en ligne de certaines cagnottes… Or tel n’est pas du tout votre objectif.
En conséquence, le Gouvernement émet un avis défavorable.
Mme la présidente. Monsieur Grand, l’amendement n° 23 est-il maintenu ?
M. Jean-Pierre Grand. Monsieur le secrétaire d’État, il ne s’agit naturellement pas de faire un amalgame avec la scandaleuse cagnotte organisée pour défendre quelqu’un qui avait agressé des policiers ! Cet amendement a tout simplement pour objet de prévoir une mesure de sécurité.
Vous le savez, la vie associative est fragile. Des citoyens se sont retrouvés en grande difficulté, parce qu’ils étaient condamnés à des dommages et intérêts. Il n’est pas question ici de financer une responsabilité pénale, une amende pénale, une condamnation pénale ; il s’agit d’une responsabilité.
Aussi, je ne retirerai pas mon amendement, parce que cette disposition est très attendue par la vie associative. Ce sont les gens simples qui organisent les fêtes votives ! Ces gens simples, il faut les défendre, les soutenir et anticiper les problèmes qui pourraient être les leurs.
Mme la présidente. L’amendement n° 26 rectifié bis, présenté par Mmes Jouve et Laborde, M. Artano, Mme M. Carrère, MM. Castelli, Collin et Corbisez, Mme Costes et MM. Guérini, Labbé, Menonville, Requier, Roux et Vall, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au 1° de l’article L. 3142-54-1 du code du travail, après les mots : « fonctions de direction », sont insérés les mots : « , de responsable d’activités ayant reçu une mission écrite de la part du président ou du responsable élu de l’association ».
La parole est à Mme Mireille Jouve.
Mme Mireille Jouve. Cet amendement, qui a été présenté ce matin en commission, mais dont la rédaction a été précisée depuis lors, vise à étendre le congé engagement, aujourd’hui limité aux dirigeants et encadrants, aux bénévoles responsables d’activités au sein d’une association.
Tous les responsables d’activités ayant reçu une mission écrite de la part du président ou du responsable élu de l’association pourraient ainsi solliciter un congé de six jours maximum par an, non indemnisés, avec la possibilité de le fractionner.
De nombreux bénévoles ont du mal à concilier leur engagement associatif avec leur activité professionnelle. C’est un frein à la prise de responsabilité de certains d’entre eux, qui, pourtant, aspirent à s’impliquer davantage dans les instances associatives.
Aujourd’hui, la liste des bénéficiaires de ce congé ouvert par la loi Égalité et citoyenneté apparaît trop restreinte pour favoriser réellement l’engagement associatif des bénévoles non dirigeants. Telle est la raison d’être de cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Antoine Karam, rapporteur. Cet amendement vise à étendre aux responsables d’activités le bénéfice du congé engagement créé par la loi Égalité et citoyenneté du 27 janvier 2017.
Le congé engagement est déjà ouvert aux bénévoles exerçant des fonctions de direction ou d’encadrement dans une association, sous certaines conditions.
Je m’interroge sur la notion de « responsable d’activités », une notion sans définition objective, qui risque d’ouvrir le bénéfice du congé engagement à n’importe quel bénévole. J’ai noté que vous aviez rectifié votre amendement, pour indiquer que ces personnes ont reçu « une mission écrite de la part du président ou du responsable élu de l’association ». Mais, dans ce cas, la notion d’encadrant, qui est déjà prévue à l’article L. 3142-54-1 du code du travail, me semble suffire.
La commission demande donc le retrait de cet amendement, faute de quoi elle émettrait un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gabriel Attal, secrétaire d’État. Ce débat a déjà eu lieu dans le cadre de la loi Égalité et citoyenneté. La notion de responsable d’activités avait alors été rejetée, car elle ne recouvre aucune définition consensuelle ou juridique, alors que celle d’encadrement est beaucoup plus objective.
Je comprends parfaitement votre intention de donner aujourd’hui davantage de temps aux salariés en activité pour soutenir les associations. Des dispositifs très positifs comme le mécénat de compétences sont de plus en plus mobilisés par les entreprises. D’ailleurs, le Gouvernement souhaite vraiment les soutenir et les accompagner. Peut-être faudra-t-il prendre d’autres mesures ? Des associations soutiennent la possibilité de faire des dons de RTT, la réduction du temps de travail, à des responsables associatifs pour leur permettre de s’engager.
On peut étudier toutes ces propositions, mais, en l’occurrence, la définition juridique n’est pas suffisamment stable pour que l’on puisse avancer dans la direction que vous proposez.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour explication de vote.
M. Jean-Marc Gabouty. J’apporterai simplement une précision. Si l’on réserve cette possibilité à ceux qui exercent des fonctions de direction, on vise ceux qui ont une fonction plutôt administrative.
Or, dans certaines associations, les spécialistes ayant parfois de véritables compétences en termes d’encadrement, que ce soit dans le domaine du sport ou d’autres domaines, ne sont pas forcément présidents et n’exercent pas nécessairement des fonctions de direction. En limitant la portée de ce texte, je ne suis donc pas certain que l’on aille, d’un point de vue qualitatif, dans la bonne direction. On nous reproche parfois de faire du réglementaire, mais rien n’empêche de préciser par voie réglementaire, et non législative, la définition exacte de la notion prévue dans l’amendement.
Mme Françoise Laborde. Tout à fait !
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 26 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 1er bis A (nouveau)
À la première phrase du premier alinéa de l’article L. 133-5-1 du code de la sécurité sociale, le mot : « dix » est remplacé par le mot « vingt ».
M. Jean-Pierre Grand. Je renonce à ma prise de parole sur cet article, madame la présidente !
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er bis A.
(L’article 1er bis A est adopté.)
Article 1er bis
Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur l’opportunité d’affecter les dépôts et avoirs des comptes inactifs des associations sur un compte d’affectation spéciale au bénéfice du fonds pour le développement de la vie associative. – (Adopté.)
Articles additionnels après l’article 1er bis
Mme la présidente. L’amendement n° 15 rectifié, présenté par Mme Brulin, M. Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 1er bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 3121-49 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les salariés exerçant des responsabilités au sein d’une association bénéficient à leur demande d’un aménagement d’horaires individualisés de façon à leur permettre d’honorer leurs obligations associatives. »
La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. Je vais répondre à votre suggestion d’être brève, madame la présidente.
Cet amendement vise à assouplir les règles s’appliquant aux dirigeants associatifs pour exercer leurs responsabilités. Avec la loi Égalité et citoyenneté, un pas en avant avait été franchi, en accordant six jours de congé aux responsables associatifs, mesure que nous saluons. Mais, dans la vraie vie, les bénévoles n’ont pas forcément besoin d’une journée complète pour assurer deux heures de permanence.
C’est pourquoi nous proposons des horaires aménagés souples pour leur permettre de se libérer quelques heures, sans avoir à consacrer une journée entière de leurs congés à une initiative qui peut se révéler beaucoup plus modeste en termes de temps.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Antoine Karam, rapporteur. Cet amendement a pour objet que les salariés exerçant des responsabilités au sein d’une association bénéficient d’un aménagement d’horaires individualisés en vue d’honorer leurs obligations associatives.
Je le rappelle, il existe déjà de multiples dispositifs permettant aux salariés d’exercer une activité bénévole, comme le congé engagement dont nous venons de discuter. La mesure proposée est de nature à créer une contrainte majeure pour les entreprises et les administrations, car elle ne tient absolument pas compte des nécessités d’un service pour fonctionner. Cela pourrait même aboutir à réduire l’employabilité des personnes ayant un engagement associatif bénévole.
Pour toutes ces raisons, je vous demande de bien vouloir retirer cet amendement ; à défaut, l’avis de la commission serait défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gabriel Attal, secrétaire d’État. Là encore, je comprends le souhait de faire en sorte que les bénévoles actifs salariés dans des entreprises ou travaillant dans des administrations puissent s’engager – tel est d’ailleurs l’objet des congés d’engagement, que l’on souhaite rendre plus visibles.
Les deux petites heures que vous évoquez peuvent peut-être faire l’objet d’une discussion avec l’employeur, plutôt que d’ouvrir le droit pour tout salarié à choisir ses horaires de travail, ce qui créerait une contrainte importante pour les entreprises, mesure que nous ne pouvons évidemment pas soutenir.
En conséquence, l’avis du Gouvernement est défavorable.
Mme la présidente. Madame Brulin, l’amendement n° 15 rectifié est-il maintenu ?
Mme Céline Brulin. Oui, je le maintiens, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 8 rectifié, présenté par M. Savin, Mme Lavarde, M. Kennel, Mmes Gruny et Imbert, MM. Détraigne, Sido, Cardoux, Regnard, Henno, Daubresse et Laugier, Mmes Garriaud-Maylam, Billon et Deromedi, MM. Morisset, Vogel, L. Hervé, Rapin, Kern, Dallier, de Nicolaÿ, Charon et Laménie, Mme Ramond, MM. Luche, Vaspart, Le Nay et Paccaud, Mme M. Mercier, M. A. Marc, Mme Noël, M. Brisson, Mmes Bonfanti-Dossat et Kauffmann et MM. Buffet, Pierre, Cuypers, B. Fournier, D. Laurent et Perrin, est ainsi libellé :
Après l’article 1er bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code du travail est ainsi modifié :
1° L’article L. 3142-58-1 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Ce maintien est de droit pour la mise en œuvre, dans la limite de trois jours ouvrables, du droit à congé du salarié mentionné au 1° de l’article L. 3142-54-1. » ;
2° Le 1° de l’article L. 3142-59 est complété par les mots : « , dont trois jours pendant lesquels le salarié a droit au maintien total par l’employeur de sa rémunération pour la mise en œuvre du droit à congé du salarié mentionné au 1° de l’article L. 3142-54-1 ».
La parole est à M. Michel Savin.
M. Michel Savin. Aujourd’hui, il existe pour le milieu syndical un congé de formation pouvant aller jusqu’à douze jours par an dans le but d’exercer des responsabilités syndicales avec rémunération maintenue. Un système similaire existe pour les élus.
Parallèlement, il y a, comme cela a été rappelé, un congé de responsable d’association bénévole, dont l’objet est de permettre aux dirigeants statutaires et aux responsables encadrant d’autres bénévoles d’une association d’intérêt général déclarée depuis moins de trois ans de bénéficier de six jours par an non rémunérés, sauf si c’est prévu par les conventions collectives.
L’amendement que je propose vise la rémunération par l’employeur des congés pris par les salariés exerçant des activités bénévoles dans la limite de trois jours, comme cela se fait dans le milieu syndical, notamment s’ils souhaitent bénéficier d’une formation.
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez parlé précédemment de disponibilité, de compétence, de responsabilité personnelle, mais ont aussi été évoquées les fautes de gestion qui peuvent se produire dans les associations. On voit donc bien la nécessité de formation.
Il faut passer de la parole aux actes ! L’adoption de cet amendement permettra au moins aux membres des associations et aux bénévoles de pouvoir se former dans de bonnes conditions.
Mme la présidente. Le sous-amendement n° 33, présenté par Mme Laborde, est ainsi libellé :
Amendement n° 8
1° Alinéa 4
Remplacer les mots :
de trois jours ouvrables
par les mots :
d’un jour ouvrable
2° Alinéa 5
Remplacer les mots :
dont trois jours pendant lesquels
par les mots :
dont un jour pendant lequel
La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Comme cela a été dit ce matin en commission, les dispositions de cet amendement partent d’un bon sentiment. Les membres du RDSE ont voté en leur faveur, et nous le ferons de nouveau.
J’ai toutefois senti que cela était un peu compliqué et que cette proposition pouvait être considérée comme un amendement d’appel. Aussi, nous avons décidé de proposer un sous-amendement visant à ramener le nombre de jours de congés rémunérés pour un responsable d’association bénévole de trois, prévus par l’amendement de notre collègue Savin, à un jour seulement.
S’il nous semble nécessaire d’ouvrir la rémunération de ce congé, notamment pour favoriser la formation et l’engagement des bénévoles, il n’en reste pas moins que certaines entreprises ne pourront peut-être pas supporter ce coût.
On en a parlé ce matin en commission ; je ne rouvrirai pas le débat. Toutefois, il s’agit aussi d’un sous-amendement d’appel : la mission commune d’information sur les abus sexuels envers les mineurs formulera des préconisations pour demander que les bénévoles soient formés. On ne peut pas demander tout et ne pas prévoir les moyens.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Antoine Karam, rapporteur. Cet amendement a pour objet que l’employeur rémunère, dans la limite de trois jours par an, les périodes de congé prises au titre du congé engagement, créé par la loi Égalité et citoyenneté. Mais le sous-amendement vise à passer de trois jours à un jour.
Ce congé, d’une durée maximale de six jours par an, est ouvert aux bénévoles exerçant des fonctions de direction ou d’encadrement dans une association et n’est pas rémunéré. Je rappelle que, au cours des débats sur la loi Égalité et citoyenneté, la majorité sénatoriale, dont je ne suis pas membre, à la différence de mon excellent collègue, avait rejeté cette idée.
En effet, la rémunération de ce congé représenterait une lourde charge pour les employeurs. Elle pose en outre un problème de principe : si le bénévolat est rémunéré, ce n’est plus du bénévolat !
Si la commission a émis ce matin un avis favorable sur cet amendement, à titre personnel, j’y suis défavorable. Ma position personnelle est la même concernant le sous-amendement, que la commission n’a pu examiner.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gabriel Attal, secrétaire d’État. Je le répète, ce débat avait eu lieu à l’occasion du projet de loi Égalité et citoyenneté, qui a créé ce congé d’engagement associatif. À l’époque, la question s’était posée de savoir s’il fallait rémunérer ce congé ou pas. Dans le cadre de la discussion entre les deux chambres, les sénateurs avaient considéré, à juste titre, me semble-t-il – c’est en tout cas mon avis –, qu’il ne fallait pas rémunérer ce congé au motif que cela constituerait une charge supplémentaire pour l’entreprise, qui doit déjà compenser l’absence de son salarié, et que la nature même du bénévolat est d’être bénévole, désintéressée, non rémunérée.
Aujourd’hui, une entreprise ou une branche peut tout à fait décider de rémunérer ce congé d’engagement. Il s’agit alors du mécénat de compétences : cela se développe et c’est très positif. Mais je ne suis pas favorable à l’idée d’inscrire dans la loi que ce congé est rémunéré, pour les deux raisons que j’ai évoquées.
En conséquence, l’avis du Gouvernement est défavorable sur l’amendement n° 8 rectifié comme sur le sous-amendement n° 33.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Savin, pour explication de vote.
M. Michel Savin. Pour ma part, j’invite mes collègues à voter cet amendement.
Ce texte va être de nouveau examiné par l’Assemblée nationale. Aussi, cela permettra peut-être au Gouvernement et à l’Assemblée nationale de retravailler cet amendement, quitte à le modifier et à l’encadrer. Si nous le rejetons d’emblée, il n’y aura pas de discussion à l’Assemblée nationale. Donnez-nous cette ouverture ! Libre à vous de le retravailler avec les députés de la majorité.
C’est pourquoi j’invite mes collègues à le voter pour permettre au Gouvernement, dans le cadre de la navette, de définir un cadre acceptable pour les deux assemblées.
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Lafon, pour explication de vote.
M. Laurent Lafon. Nous partageons bien entendu l’idée sous-tendue par cet amendement, à savoir accompagner l’engagement associatif, notamment concernant le volet formation, qui est, on le sait, essentiel.
Néanmoins, le rapporteur et le ministre l’ont dit, il est en l’état quelque peu difficile de voter une mesure dont on ne connaît ni le coût ni l’impact sur les entreprises, d’autant que nous nous sommes déjà prononcés sur cette mesure il y a peu de temps : l’avis du Sénat était alors assez clair.
À titre personnel, je ne voterai pas cet amendement, même si, bien entendu, je comprends les motivations de notre collègue Savin. D’un côté, les derniers arguments qu’il a avancés prouvent qu’il est tout à fait convaincu par son amendement ; de l’autre, le dépôt du sous-amendement montre l’embarras que suscite cette question : un jour ou trois jours, ce n’est pas la même chose. Proposer un jour, c’est reconnaître que trois jours, c’est trop.
Mes chers collègues, la sagesse veut que l’on n’adopte pas cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en tant que cosignataire, je soutiendrai l’amendement de Michel Savin. On parle tout de même aujourd’hui d’une crise du bénévolat, même si l’on a cité le nombre de bénévoles et si nous connaissons l’engagement de toutes les personnes de bonne volonté.
Certaines associations comptent des bénévoles et des salariés ; je pense aux associations d’aide à domicile en milieu rural pour le maintien de nos aînés à domicile. On parle de la formation des bénévoles.
Cet amendement vise à défendre en parallèle le bénévolat et l’engagement des bénévoles. Le bénévolat concerne tout type d’associations, les associations patriotiques et de mémoire, mais aussi les associations sportives, culturelles, sociales dans beaucoup de domaines. Je citerai aussi les amicales des sapeurs-pompiers, auxquels nous sommes très attachés. Or le recrutement des sapeurs-pompiers dans le monde rural notamment n’est pas simple. Former de jeunes sapeurs-pompiers constitue un engagement particulièrement important.
Monsieur le secrétaire d’État, il y a moins d’un mois, vous êtes venu dans le département des Ardennes pour évoquer le service national universel. Il s’agit, là aussi, d’un engagement en direction des jeunes qu’il convient de soutenir.
Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.
Mme Annick Billon. Pour ma part, j’ai cosigné l’amendement présenté par Michel Savin. Je suis certes très attachée au bénévolat, mais il faut tenir compte de ce que de nombreuses associations sont de très grande taille et remplissent des missions de service public.
Cette mesure mériterait d’être votée, quitte à être améliorée par la suite. Tout d’abord, trois jours de formation, cela ne me semble pas nécessairement excessif. Ensuite, je comprends bien qu’un dispositif qui alourdit les charges des entreprises est difficile à accepter, mais il faudrait imaginer un autre mode de financement dans la mesure où, comme je viens de le dire, nombre d’associations exercent aujourd’hui des missions de service public.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, pour explication de vote.
M. Jean-Marie Mizzon. Les auteurs du présent amendement sont manifestement pleins de bonnes intentions et nous donnent envie de le voter. Cela me rappelle une citation d’un dessinateur belge, qui, à propos du bénévolat, écrivait : « Si on payait mieux les bénévoles, cela donnerait peut-être envie à plus de gens de travailler gratuitement ! » (Rires.)
Il faudrait tout d’abord évaluer le dispositif. Au demeurant, ce qui fait la grandeur et la noblesse de l’engagement associatif, c’est précisément le désintéressement de celui qui s’investit. En changeant de régime, on risque de changer la nature même du bénévolat.
C’est pourquoi je ne voterai pas cet amendement, quand bien même j’en avais un peu envie ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Je formulerai deux remarques.
Premièrement, nous discutons d’une loi sur l’engagement associatif. Or, d’après ce que nous comprenons des débats, monsieur le secrétaire d’État, il faudrait favoriser cet engagement dans la vie associative sans rien toucher du dispositif, ce qui est une conception quand même particulière des choses. Dans ce cas, je me demande à quoi sert la loi !
Deuxièmement, nous nous sommes trop habitués à la procédure accélérée et avons oublié les vertus de la navette, procédure législative pourtant essentielle ; c’est par votre faute, monsieur le secrétaire d’État, vous qui représentez ici le Gouvernement. La navette parlementaire, qui a de bonnes raisons d’exister, permettra justement à l’Assemblée nationale de travailler sur le diagnostic.
Nous voterons l’amendement de M. Savin et, pour une fois, l’Assemblée nationale fera un travail de fond, dont nous lui saurons gré.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Gabriel Attal, secrétaire d’État. Je tiens simplement à recadrer les choses. Il n’y a absolument aucune opposition de notre part au dispositif du congé d’engagement associatif créé en 2016 par la loi Égalité et citoyenneté, dont j’ai déjà dit à quel point il s’agissait d’un dispositif positif.
Simplement, pour le Gouvernement, si le recours au dispositif est insuffisant, ce n’est pas une question de rémunération, mais d’abord de lisibilité : nombre d’employeurs et de salariés bénévoles ne sont même pas au courant de l’existence de ce congé. Il y a donc un réel enjeu à le faire connaître.
Pour moi, la question de la rémunération n’est pas centrale. Je le rappelle encore une fois, une branche ou une entreprise qui le souhaite peut décider de rémunérer le congé d’engagement dans le cadre du dialogue social. Cette possibilité existe déjà.
Avec cet amendement, on contraint les entreprises à rémunérer les salariés qui prennent un congé d’engagement. Je comprends que le groupe communiste défende cette position, mais ce n’est pas la mienne. M. Karoutchi a loué tout à l’heure mon libéralisme…
M. Roger Karoutchi. De manière modérée ! (Sourires.)
M. Gabriel Attal, secrétaire d’État. Effectivement, je ne veux pas alourdir les charges des entreprises, et je ne pense pas que Les Républicains soient sur cette ligne non plus.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 1er bis.
L’amendement n° 20 rectifié, présenté par M. Grand, est ainsi libellé :
Après l’article 1er bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le deuxième alinéa de l’article L. 5425-8 du code du travail, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Par dérogation à l’interdiction mentionnée au deuxième alinéa du présent article, lorsque le précédent employeur était une association, le demandeur d’emploi peut y accomplir une activité bénévole à titre accessoire après l’expiration d’un délai de carence de six mois. »
La parole est à M. Jean-Pierre Grand.
M. Jean-Pierre Grand. Parmi les cinquante-neuf propositions du rapport Pour une politique de vie associative ambitieuse et le développement d’une société de l’engagement, remis au Gouvernement en juin 2018, il est préconisé de réaffirmer la compatibilité entre la situation des bénévoles et celle des demandeurs d’emploi auprès de Pôle emploi.
Aujourd’hui, le code du travail permet à tout demandeur d’emploi d’exercer une activité bénévole, sauf auprès d’un précédent employeur. En outre, cette activité ne peut se substituer à un emploi salarié et doit rester compatible avec l’obligation de recherche d’emploi.
Confrontées à la diminution du nombre des contrats aidés, certaines associations ont probablement été amenées à licencier des salariés. Or la spécificité du monde associatif fait que l’engagement dépasse le statut de la personne, qui, même licenciée, aura toujours à cœur d’œuvrer pour la cause défendue par l’association. Dans les faits, un ancien salarié n’a pas le droit de participer à la distribution de tracts pour l’association qui l’employait, ne serait-ce que durant deux heures.
Dès lors, il est proposé d’autoriser un demandeur d’emploi, de manière dérogatoire, à accomplir une activité bénévole à titre accessoire au sein d’une association ayant été préalablement son employeur, et ce, après un délai de carence de six mois. Cette activité bénévole limitée devra évidemment rester compatible, le cas échéant, avec une recherche d’emploi active.
Monsieur le rapporteur, vous l’aurez remarqué, et cela vous prouvera que je ne suis pas naïf, j’ai modifié le dispositif de l’amendement que j’avais présenté en commission, en y ajoutant un délai de carence de six mois.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Antoine Karam, rapporteur. Cet amendement vise à permettre à un demandeur d’emploi d’accomplir une activité bénévole au sein d’une association ayant été préalablement son employeur.
Aujourd’hui, le code du travail, s’il permet à tout demandeur d’emploi d’exercer une activité bénévole, l’interdit expressément auprès du précédent employeur, afin d’éviter un effet de substitution à l’emploi ou de rémunération par l’assurance chômage.
L’auteur de l’amendement a tenu à préciser que cette activité devait s’accomplir à titre accessoire et faire suite à l’expiration d’un délai de carence de six mois. Il ne me semble pas prudent de revenir sur cette disposition : cela reviendrait à courir un énorme risque de fraude et de travail dissimulé.
C’est pourquoi la commission émet un avis défavorable sur l’amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L’amendement n° 9 rectifié bis, présenté par M. Savin, Mme Lavarde, M. Kennel, Mmes Gruny, Lassarade, Goy-Chavent et Imbert, MM. Détraigne, Sido et Cardoux, Mme Gatel, M. Piednoir, Mme Chauvin, M. Decool, Mmes Lherbier et Puissat, MM. Regnard, Henno, Daubresse et Laugier, Mmes Garriaud-Maylam, Billon et Deromedi, MM. Morisset, Vogel, L. Hervé, Rapin, Kern, Dallier, de Nicolaÿ, Charon et Laménie, Mme Ramond, MM. Luche, Vaspart, Le Nay et Paccaud, Mme M. Mercier, M. A. Marc, Mme Noël, M. Brisson, Mmes Bonfanti-Dossat et Kauffmann et MM. Buffet, Pierre, Cuypers, B. Fournier, D. Laurent et Perrin, est ainsi libellé :
Après l’article 1er bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Après le 20° du II de la section V du chapitre premier du titre premier de la première partie du livre premier du code général des impôts, est insérée une division ainsi rédigée :
« …° Crédit d’impôt accordé au titre de certaines activités bénévoles exercées par les salariés
« Art. 200…. – I. – Lorsqu’ils exercent le droit à congé du salarié mentionné au 1° de l’article L. 3142-54-1 du code du travail, les contribuables domiciliés en France au sens de l’article 4 B peuvent bénéficier d’un crédit d’impôt sur le revenu.
« II. – Le montant du crédit d’impôt mentionné au I est égal à la rémunération perçue par le salarié, à proportion du nombre de jours de congés pris et dans la limite de trois jours.
« III. – Le crédit d’impôt s’applique pour le calcul de l’impôt dû au titre de l’année au cours de laquelle est exercé le droit à congé du salarié mentionné au I, après imputation des réductions d’impôt, des crédits d’impôt et des prélèvements ou retenues non libératoires prévus au présent chapitre.
« IV. – Un décret en Conseil d’État détermine les modalités d’application du présent article. »
II. – Les dispositions du I ne s’appliquent qu’aux sommes venant en déduction de l’impôt dû.
III. – La perte de recettes résultant pour l’État des I et II est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Michel Savin.
M. Michel Savin. Cet amendement a pour objet de permettre aux salariés ayant recours à un congé de responsable d’association bénévole de bénéficier d’un crédit d’impôt sur le revenu des personnes physiques, dans la limite d’un montant égal à la rémunération perçue pendant les trois jours de formation. C’est en quelque sorte l’équivalent de mon précédent amendement, mais sous la forme d’un crédit d’impôt.
Les modalités du dispositif pourraient être retravaillées par le Gouvernement et l’Assemblée nationale au cours de la navette.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Antoine Karam, rapporteur. Cet amendement tend à créer un crédit d’impôt sur le revenu au profit des salariés ayant recours au congé d’engagement associatif. Tout comme le précédent, il tend à me poser un problème de principe, car, si le temps consacré au bénévolat ouvre droit à une rémunération, alors cela n’est plus du bénévolat ! Ce n’est plus un acte gratuit et désintéressé, mais une activité rémunérée.
En outre, dans le contexte actuel, je ne suis pas convaincu de l’intérêt de créer une nouvelle niche sociale. De plus, le dispositif proposé aboutirait à une rémunération différenciée selon les bénéficiaires, cette dernière étant liée à leur rémunération principale.
Pour l’ensemble de ces raisons, je vous demande, mon cher collègue, de bien vouloir retirer votre amendement, faute de quoi la commission émettrait un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gabriel Attal, secrétaire d’État. Même avis : Le Gouvernement demande le retrait de cet amendement, faute de quoi il émettrait un avis défavorable.
Mme la présidente. Monsieur Savin, l’amendement n° 9 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Michel Savin. Oui, je le maintiens, madame la présidente.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 1er bis.
L’amendement n° 28 rectifié bis, présenté par Mmes Laborde et Jouve, M. Artano, Mme M. Carrère, MM. Castelli et Collin, Mme Costes, M. Guérini, Mme Guillotin et MM. Labbé, Menonville, Requier, Roux et Vall, est ainsi libellé :
Après l’article 1er bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Au treizième alinéa de l’article 200 du code général des impôts, après le mot : « bénévole », sont insérés les mots : « sans les plafonnements de montants et de revenus prévus au premier alinéa du présent article ».
II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Cet amendement est quelque peu différent de celui qui vient d’être adopté. Il vise à déplafonner la réduction d’impôt sur le revenu accordée aux bénévoles d’associations pour les frais qu’ils engagent dans le cadre de leur activité bénévole.
Si j’ai bien compris ce qu’a expliqué ce matin en commission M. le rapporteur, mon amendement serait satisfait. Cela étant, je souhaiterais rappeler que le dispositif de réduction d’impôt que nous proposons ne présente d’intérêt que pour les bénévoles imposables à l’impôt sur le revenu, ce qui ne représente que 43 % des foyers en France.
Compte tenu de la diminution des financements accordés aux associations, avec notamment la suppression de la dotation d’action parlementaire et la réduction du nombre des emplois aidés, il serait souhaitable, monsieur le secrétaire d’État, que l’on réfléchisse – il s’agit d’un amendement d’appel – à la manière d’alléger les dépenses des bénévoles qui ne paient pas d’impôt sur le revenu, alors qu’ils supportent des dépenses pour le compte de leur association.
Autrement dit, il ne faut pas que les seules personnes « aisées » puissent s’impliquer activement dans la vie associative. Tout le monde a le droit de s’engager dans le monde associatif.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Antoine Karam, rapporteur. Cet amendement a pour objet de supprimer le plafond, fixé aujourd’hui à 20 % du revenu imposable, applicable à la réduction d’impôt sur le revenu au titre des frais engagés dans le cadre d’une activité bénévole. Ces frais donnent droit à une réduction d’impôt de 66 % pour les associations d’intérêt général et de 75 % pour les associations de bienfaisance.
Ma chère collègue, vous omettez de mentionner que l’article 200 du code général des impôts permet de reporter l’excédent, c’est-à-dire la part des frais dépassant le plafond que je viens d’évoquer, sur les cinq années suivantes. Dans ce cadre, qui me paraît satisfaisant, votre amendement me semble globalement satisfait.
C’est pourquoi je vous demanderai de bien vouloir le retirer. À défaut, j’y serais défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gabriel Attal, secrétaire d’État. Madame la sénatrice, comme l’a rappelé M. le rapporteur, la réduction d’impôt que vous appelez de vos vœux existe déjà : elle s’élève à 66 % pour les associations d’intérêt général et à 75 % pour les associations venant en aide aux personnes en difficulté. Il existe effectivement un plafond, fixé à 20 %, mais l’excédent peut être reporté sur les cinq années suivantes. Pour moi, l’amendement est donc déjà satisfait.
Par ailleurs, certains bénévoles ne paient pas d’impôts : ils ne bénéficieraient donc pas du dispositif proposé.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour explication de vote.
M. Jérôme Bascher. Je ne comprends pas pourquoi l’amendement n’a pas été déclaré irrecevable par la commission des finances, alors qu’il ne respecte pas les dispositions de la loi organique relative aux lois de finances.
Mme la présidente. Madame Laborde, l’amendement n° 28 rectifié bis est-il maintenu ?
Mme Françoise Laborde. Non, dans la mesure où il s’agit d’un amendement d’appel, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 28 rectifié bis est retiré.
L’amendement n° 10 rectifié, présenté par M. Savin, Mmes Lavarde, Lassarade et Goy-Chavent, MM. Sido et Piednoir, Mme Chauvin, MM. Chasseing, Decool et Pointereau, Mme Puissat, MM. Regnard, Henno, Daubresse et Laugier, Mmes Garriaud-Maylam, Billon et Deromedi, MM. Morisset, Vogel, L. Hervé, Rapin, Kern, Dallier, de Nicolaÿ, Charon et Laménie, Mme Ramond, MM. Luche, Vaspart, Le Nay et Paccaud, Mme M. Mercier, M. A. Marc, Mme Noël, M. Brisson, Mmes Bonfanti-Dossat et Kauffmann et MM. Buffet, Pierre, Cuypers, B. Fournier, D. Laurent et Perrin, est ainsi libellé :
Après l’article 1er bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport d’évaluation de la mise en œuvre des différents types de congés existants à destination des bénévoles associatifs, leur adéquation aux besoins des associations, ainsi que les éventuels freins à leur mise en œuvre.
La parole est à M. Michel Savin.
M. Michel Savin. Cet amendement a pour objet de demander au Gouvernement un rapport d’évaluation de la mise en œuvre des différents types de congés destinés aux bénévoles associatifs.
En effet, de nombreux dispositifs ont été mis en place ces dernières années, notamment sous la forme de congés spécifiques, pour permettre aux Français de s’engager et de se libérer a minima de leurs contraintes professionnelles. Il serait nécessaire qu’une évaluation soit réalisée sur leur usage et leur mise en œuvre, ainsi que sur leur adéquation aux besoins des associations.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Antoine Karam, rapporteur. Cet amendement a pour objet de demander au Gouvernement un rapport sur les congés à destination des bénévoles associatifs.
Je rappelle que la position constante de notre assemblée est de supprimer les demandes de rapport, parce que ces documents sont rarement suivis d’effets et parce que rien n’oblige le Gouvernement à les remettre.
M. Roger Karoutchi. Ils ne sont même jamais présentés au Parlement !
M. Antoine Karam, rapporteur. Néanmoins, la commission a émis un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gabriel Attal, secrétaire d’État. Un rapport a déjà été remis sur le même sujet en 2014. Il s’appuyait sur un sondage IFOP réalisé auprès des engagés.
Par ailleurs, la priorité n’est pas tant de connaître les attentes des actifs engagés aujourd’hui – on les connaît, ils souhaitent pouvoir s’engager davantage – que de faire en sorte qu’ils aient davantage recours aux congés existants. En effet, le taux de non-recours à ces congés est élevé aujourd’hui. Nous sommes en train de travailler sur cette question et une mission parlementaire sera prochainement mise en place.
Enfin, j’ai moi aussi grandi avec l’idée que les sénateurs n’étaient pas favorables aux demandes de rapports… C’est évidemment le Sénat qui décide, mais je suis surpris par un tel amendement.
Le Gouvernement donc émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. À titre personnel, je ne suis pas enthousiasmée par les demandes de rapports au Gouvernement, car j’estime que nous pouvons nous prendre en charge nous-mêmes et élaborer ces rapports, ici, au Parlement. À tout le moins, nous pouvons solliciter la Cour des comptes– nous ne le faisons pas assez –, qui est capable de répondre opportunément et rapidement sur de tels sujets.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Savin, pour explication de vote.
M. Michel Savin. Compte tenu de vos derniers propos, madame la présidente de la commission, je vous solliciterai pour que la commission de la culture se saisisse de ce travail.
En conséquence, je retire mon amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 10 rectifié est retiré.
L’amendement n° 13 rectifié, présenté par M. Savin, Mmes Lassarade et Goy-Chavent, M. Dufaut, Mme Gatel, M. Piednoir, Mme Chauvin, MM. Chasseing, Decool et Pointereau, Mme Puissat, MM. Regnard, Henno, Daubresse et Laugier, Mmes Garriaud-Maylam, Billon et Deromedi, MM. Morisset, Vogel, L. Hervé, Rapin, Kern, Dallier, de Nicolaÿ, Charon et Laménie, Mme Ramond, MM. Luche, Vaspart, Le Nay et Paccaud, Mme M. Mercier, M. A. Marc, Mme Noël, M. Brisson, Mmes Bonfanti-Dossat et Kauffmann et MM. Buffet, Pierre, Cuypers, B. Fournier, D. Laurent et Perrin, est ainsi libellé :
Après l’article 1er bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport d’évaluation nationale sur la situation de l’emploi associatif.
La parole est à M. Michel Savin.
M. Michel Savin. Pour les raisons que je viens d’évoquer, je retire également cet amendement.
Mme la présidente. L’amendement n° 13 rectifié est retiré.
Article 2
Le code de l’éducation est ainsi modifié :
1° L’article L. 312-15 est ainsi modifié :
a) Au cinquième alinéa, après le mot : « lycée », sont insérés les mots : « à la vie associative et » ;
b) Après le même cinquième alinéa, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« Une sensibilisation à la vie associative est également faite auprès des élèves de cours moyen deuxième année.
« Un livret destiné à la communauté éducative pour se familiariser avec le milieu associatif et les liens qui peuvent être créés entre associations et établissements scolaires est édité par le ministère chargé de l’éducation nationale. » ;
2° (nouveau). – À l’article L. 371-1, la référence : « loi n° 2018-698 du 3 août 2018 relative à l’encadrement de l’utilisation du téléphone portable dans les établissements d’enseignement scolaire » est remplacée par la référence : « loi n° … du … en faveur de l’engagement associatif » ;
3° (nouveau). – Au premier alinéa de l’article L. 373-1, les références : « les articles L. 312-12, L. 312-15, » sont remplacés par les références : « l’article L. 312-12, l’article L. 312-15 dans sa rédaction résultant de loi n° … du … en faveur de l’engagement associatif, les articles » ;
4° (nouveau). – Au premier alinéa de l’article L. 374-1, la référence : « L. 312-15 » est remplacée par la référence : « l’article L. 312-15 dans sa rédaction résultant de loi n° … du … en faveur de l’engagement associatif, l’article ».
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 22, présenté par M. Grand, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Jean-Pierre Grand.
M. Jean-Pierre Grand. L’article 2 a pour objet d’inciter la jeunesse à entrer dans le mouvement associatif, notamment par une sensibilisation des élèves du collège et du lycée dans le cadre de l’enseignement moral et civique.
Modifié en commission à l’Assemblée nationale, il prévoit également une sensibilisation des élèves de CM2, afin de tenir compte du découpage de la scolarité en cycles et de permettre d’enrichir la liaison entre le CM2 et la sixième.
Sans méconnaître l’importance de cette sensibilisation, l’école primaire doit d’abord se concentrer sur les savoirs fondamentaux. Il est donc proposé de supprimer cet ajout, qui relève d’ailleurs davantage du domaine réglementaire. La suppression de cette disposition n’interdit nullement les enseignants d’effectuer une telle sensibilisation selon des modalités d’application laissées à leur libre appréciation, sur la base du livret prévu par l’article.
Mme la présidente. L’amendement n° 7 rectifié quinquies, présenté par Mme Mélot, MM. A. Marc, Lagourgue, Chasseing, Decool et Capus, Mme Vullien et MM. Le Nay, Bonnecarrère, Longeot, Henno, Malhuret, Guerriau et Moga, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Remplacer les mots :
cours moyen deuxième année
par les mots :
l’école élémentaire
La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Cet amendement vise au contraire à étendre la sensibilisation au monde associatif à l’ensemble des élèves de l’école primaire, dans le cadre des enseignements d’éducation morale et civique dispensés dès la classe de CP.
Il ne faut pas être trop restrictif et faire en sorte que cette sensibilisation soit dispensée le plus tôt possible et s’adresse au plus grand nombre. Il ne faut pas la limiter et autoriser tous les enseignants qui le souhaitent à l’inclure dans leur projet.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Antoine Karam, rapporteur. L’amendement n° 22 a pour objet de supprimer le dispositif prévoyant une sensibilisation des élèves de CM2 à la vie associative. Une telle disposition relève davantage du domaine réglementaire ; en outre, l’école primaire doit avant tout être le lieu des apprentissages fondamentaux.
La commission a donc émis un avis favorable.
L’amendement n° 7 rectifié quinquies vise quant à lui à étendre la sensibilisation à la vie associative à l’ensemble des classes de l’école primaire. Si je comprends l’intention de ses auteurs, je suis assez réservé sur le sujet. Tout d’abord, je ne suis pas très à l’aise avec l’idée de multiplier les injonctions envers l’école. Ensuite, l’intérêt de sensibiliser des élèves de CP ou de CE2 à la vie associative ne m’apparaît pas évident, compte tenu de leur jeune âge.
Cet amendement étant incompatible avec l’amendement n° 22, la commission y est défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. En conséquence, l’amendement n° 7 rectifié quinquies n’a plus d’objet.
L’amendement n° 32, présenté par M. Karam, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéas 7 à 9
Remplacer ces alinéas par quatorze alinéas ainsi rédigés :
2° L’article L. 371-1 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, la référence : « L. 312-15, » est supprimée ;
b) Le début du second alinéa est ainsi rédigé :
« L’article L. 332-5 est applicable…(le reste sans changement) » ;
c) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« L’article L. 312-15 est applicable dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … en faveur de l’engagement associatif. » ;
3° L’article L. 373-1 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, la référence : « L. 312-15, » est supprimée ;
b) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« L’article L. 312-15 est applicable dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … en faveur de l’engagement associatif. » ;
4° L’article L. 374-1 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, la référence : « L. 312-15, » est supprimée ;
b) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« L’article L. 312-15 est applicable dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … en faveur de l’engagement associatif. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Antoine Karam, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 2, modifié.
(L’article 2 est adopté.)
Article 3
L’article L. 120-4 du code du service national est ainsi modifié :
1° (nouveau). – Après le 3°, il est inséré un 4° ainsi rédigé :
« 4° L’étranger âgé de seize ans révolus qui séjourne en France sous couvert d’un certificat de résidence algérien portant la mention “ étudiant ” prévu au titre III du protocole à l’accord du 27 décembre 1968 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire relatif à la circulation, à l’emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles ou qui séjourne depuis plus d’un an sous couvert de l’un des titres de séjour prévus aux 1 à 6 de l’article 6, aux b à g de l’article 7 ainsi qu’à l’article 7 bis de l’accord précité ou d’un certificat de résidence algérien prévu au titre IV du protocole à l’accord précité. » ;
2° (nouveau). – À l’avant-dernier alinéa, les références : « 1° et 2° » sont remplacées par les références : « 1°, 2° et 4° ».
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol, sur l’article.
Mme Laurence Rossignol. Plusieurs collègues et moi-même avions déposé un amendement à l’article 3, qui correspondait à l’article 3 bis du texte transmis par l’Assemblée nationale.
Initialement, cet article 3 bis visait à réparer un oubli de la loi Égalité et citoyenneté concernant les jeunes Algériens. De notre côté, nous proposions de réparer ce qui constitue à notre sens un second oubli, en prévoyant un accès au service civique pour les jeunes pris en charge ou ayant été pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, l’ASE.
Or la commission des finances a refusé que notre amendement soit examiné en séance, en vertu de l’article 40 de la Constitution. Je voudrais formuler une remarque à ce sujet : ce n’est pas la première fois que des parlementaires un peu expérimentés, tel que je le suis, qui ont en tête les limites induites par l’article 40 de la Constitution, sont confrontés à une interprétation extrêmement raide de la commission des finances, qui rend le débat parlementaire difficile.
J’en tiens pour preuve le fait que le Sénat n’applique pas l’article 40 de la Constitution de la même manière qu’à l’Assemblée nationale : ainsi, à l’Assemblée nationale, l’article 3 bis n’a pas subi le couperet de la commission des finances, alors qu’il élargissait l’accès au service civique aux jeunes Algériens.
Il serait positif que la commission des finances du Sénat ait une appréciation plus souple de l’article 40 d’autant que, en l’espèce, je suis très admirative de sa capacité à évaluer le coût supplémentaire que représente pour l’État l’accès des mineurs non accompagnés pris en charge par l’ASE au service civique, et à comparer ce coût avec les recettes supplémentaires qu’engendrerait pour les départements la prise en charge de certains mineurs non accompagnés, jusqu’alors totalement à leur charge, par le service civique. C’est très fort de la part de la commission des finances d’arriver à faire l’équilibre entre les deux ! Personnellement, je n’ai pas su le faire.
Au moment où l’exécutif nomme un secrétaire d’État chargé de la protection de l’enfance, au moment où tout le monde se penche sur la question des sorties sèches de l’ASE et cherche des solutions, j’en appelle au Gouvernement pour qu’il reprenne notre amendement lors de la prochaine lecture à l’Assemblée nationale, puisque, par nature, il n’est lui-même pas soumis à l’article 40 de la Constitution.
Il est important d’ouvrir l’accès au service civique à ces jeunes pris en charge ou ayant été pris en charge par l’ASE dans l’année suivant leur sortie, en attendant qu’ils puissent obtenir les papiers qui leur permettront d’entrer dans le cadre défini par l’article L. 120-4 du code du service national.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 3.
(L’article 3 est adopté.)
Article 4 (nouveau)
L’article L. 124-8 du code de l’éducation est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque l’organisme d’accueil est une association soumise aux dispositions de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association, seuls sont pris en compte, pour le calcul de la limite fixée au premier alinéa, les stages d’une durée inférieure ou égale à deux mois en application de l’article L. 124-6. »
Mme la présidente. L’amendement n° 17, présenté par Mme Brulin, M. Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. Nous entendons très bien les arguments qui ont été brillamment exposés par notre collègue Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. Je vous remercie ! (Sourires.)
Mme Céline Brulin. C’est une réalité : l’encadrement des stages a profondément modifié les pratiques en matière de recrutement, faisant craindre des difficultés majeures pour les futurs stagiaires à la recherche de structures d’accueil.
Cependant, il nous semble nécessaire de rappeler ici quelle était la nature desdites pratiques : certaines structures ne recrutaient plus depuis des années et fonctionnaient grâce à l’apport régulier et continu de stagiaires très peu rémunérés.
Cette situation emportait à nos yeux trois conséquences : premièrement, elle maintenait dans la précarité un nombre important de jeunes ; deuxièmement, elle alimentait l’idée que l’insertion dans le monde de l’emploi ne pouvait se faire qu’en passant au préalable par la case précarité ; troisièmement, elle détournait la nature même du stage et son application pratique. D’ailleurs, la suppression des emplois aidés ne fera que renforcer ces travers.
L’article introduit dans le texte par la commission de la culture du Sénat se veut très circonscrit dans son champ d’application, sauf qu’à y regarder de plus près, ce périmètre restreint ne l’est pas tant que cela ! En effet, il nie la diversité même des associations.
En outre, il pose trois questions : tout d’abord, le recours accru aux stagiaires au sein des petites associations pose la problématique de l’engagement militant ; ensuite, on peut s’interroger sur la pertinence d’un tel assouplissement pour l’ensemble des associations ; enfin, cet assouplissement laisse la porte ouverte à d’éventuelles futures dérogations.
Voilà pourquoi nous souhaitons supprimer l’article 4.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Antoine Karam, rapporteur. Cet amendement vise à supprimer l’article 4, dont le dispositif a été introduit dans le texte à la suite de l’adoption d’un amendement de notre collègue Roger Karoutchi en commission.
Si je conserve des réserves sur le bien-fondé de cet article, qui risque d’entraîner une multiplication des stages courts non gratifiés, au détriment des stages plus longs et de l’emploi, ainsi que sur la visée formatrice des stages, je reste solidaire de la position adoptée en commission.
C’est pourquoi je suis défavorable à cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gabriel Attal, secrétaire d’État. Nous sommes tous d’accord pour dire que l’objet et le sens même d’un stage est de permettre aux jeunes d’acquérir des connaissances et des compétences, et non de répondre aux besoins d’une structure en matière de main-d’œuvre. Pour cela, il existe d’autres dispositifs comme l’emploi ou le service civique, par exemple.
On a prévu un meilleur encadrement des stages, afin justement d’en garantir la qualité, de permettre aux jeunes de vivre une expérience et de les aider à apprendre des choses. Le Gouvernement souhaite en rester à l’équilibre qui a été trouvé.
Je comprends que des problèmes puissent subsister. C’est le cas du tourisme volontaire en Île-de-France dont vous parliez précédemment, monsieur Karoutchi. Pour ma part, je pense que le service national universel et les missions d’intérêt général que pourront proposer les collectivités locales sur une période de quinze jours permettront de répondre au besoin spécifique que vous évoquiez, celui de ses jeunes qui viennent conseiller et orienter des touristes. Je pense qu’il est inutile de revoir les modalités d’encadrement des stages pour cette raison particulière.
Par ailleurs, je travaille beaucoup avec le mouvement associatif : à aucun moment, il ne m’a fait part d’une telle demande.
Je suis donc favorable à cet amendement de suppression de l’article.
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Je comprends bien les arguments de notre collègue du groupe CRCE.
Cela étant, qu’est-ce qui concurrence réellement les créations d’emploi ? Les stages très courts ou les stages longs ? Qu’est-ce qui nuit à l’emploi en réalité ? Les stages de six mois et plus proposés par les entreprises ou les associations, alors qu’ils pourraient assez logiquement être transformés en emplois, ou les « stages d’été », autrement dit les stages courts, d’une durée d’un mois ? La réalité n’est pas forcément telle que vous la décrivez dans les propos structurés que vous tenez, monsieur le secrétaire d’État.
Pour moi, il est évident qu’il faut favoriser les stages courts, afin que nos étudiants et nos jeunes puissent être bien encadrés et formés, sans pour autant que leurs stages entrent en compétition avec de vrais emplois.
Vous ne créerez pas d’emplois de volontaire du tourisme à l’année ! Un volontaire du tourisme peut travailler au mois de juillet, mais que voulez-vous qu’il fasse au mois de décembre ? Ce que je dis me semble tellement évident et simple que je ne comprends même pas pourquoi le Gouvernement ne s’empresse pas de me dire qu’il s’agit d’un excellent article et d’y être favorable ! (Sourires.)
Mme la présidente. L’amendement n° 1 rectifié, présenté par MM. Karoutchi, Allizard, Bascher et Bazin, Mme A.M. Bertrand, M. Bizet, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Bonne, Bouchet, J.-M. Boyer et Calvet, Mme Chain-Larché, MM. Charon, Chatillon, Cuypers, Dallier, Daubresse et de Legge, Mmes Deromedi, Di Folco et Dumas, M. Duplomb, Mme Duranton, MM. Genest, Ginesta, Guené, Hugonet, Laménie, D. Laurent et Lefèvre, Mmes M. Mercier et Micouleau, MM. Morisset, Panunzi, Piednoir et Pierre, Mme Puissat, MM. Regnard, Savin et Sido, Mme Thomas, MM. Vaspart, Vial et Vogel, Mme Imbert et MM. Buffet et Houpert, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer les mots :
inférieure ou égale
par le mot :
supérieure
La parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. Il s’agit d’un amendement tendant à rectifier une erreur matérielle.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Antoine Karam, rapporteur. Le présent amendement vise à corriger la contradiction entre l’objet initial de l’article 4 et le dispositif originel de notre collègue Roger Karoutchi.
La commission émet donc un avis favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gabriel Attal, secrétaire d’État. Par cohérence avec sa position sur l’article, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 4, modifié.
(L’article 4 est adopté.)
Article 5 (nouveau)
I. – Après l’article 6 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association, il est inséré un article 6 bis ainsi rédigé :
« Art. 6 bis. – Toute association régulièrement déclarée peut saisir le représentant de l’État dans le département où elle a son siège social afin qu’il se prononce, après avoir sollicité l’avis des services de l’État concernés et des représentants d’associations ayant le même objet social, sur le caractère d’intérêt général de l’association.
« Lorsque le représentant de l’État dans le département a admis le caractère d’intérêt général de l’association, cette qualité lui est reconnue, pour une durée fixée par décret, au regard de l’ensemble des lois et règlements applicables aux associations régulièrement déclarées.
« Un décret en Conseil d’État détermine les conditions d’application du présent article. »
II. – Après l’article 79-IV du code civil local applicable aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, il est inséré un article 79-V ainsi rédigé :
« Art. 79-V. – Toute association inscrite peut saisir le représentant de l’État dans le département où elle a son siège social, afin qu’il se prononce, après avoir sollicité l’avis des services de l’État concernés et des représentants d’associations ayant le même objet social, sur le caractère d’intérêt général de l’association.
« Lorsque le représentant de l’État dans le département a admis le caractère d’intérêt général de l’association, cette qualité lui est reconnue, pour une durée fixée par décret, au regard de l’ensemble des lois et règlements applicables aux associations régulièrement déclarées.
« Un décret en Conseil d’État détermine les conditions d’application du présent article. »
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Grand, sur l’article.
M. Jean-Pierre Grand. Je tiens à remercier la commission d’avoir introduit cet article 5 sur mon initiative. J’y suis très sensible. Cet article permettra de dégager une vision unique et partagée de l’intérêt général.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 5.
(L’article 5 est adopté.)
Articles additionnels après l’article 5
Mme la présidente. L’amendement n° 4 rectifié, présenté par M. Théophile, est ainsi libellé :
Après l’article 5
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Le 5° du I de l’article 42 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État est complété par les mots : « , ou d’associations reconnues d’utilité publique, ou d’associations exerçant une mission d’intérêt général ».
II. – Le sixième alinéa du I de l’article 61-1 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale est complété par les mots : « , ou d’associations reconnues d’utilité publique, ou d’associations exerçant une mission d’intérêt général ».
III. – Le septième alinéa du I de l’article 49 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière est complété par les mots : « , ou d’associations reconnues d’utilité publique, ou d’associations exerçant une mission d’intérêt général ».
La parole est à M. Dominique Théophile.
M. Dominique Théophile. Cet amendement a pour objet de mettre à disposition des fonctionnaires, au profit d’associations exerçant une mission d’intérêt général ou reconnues d’utilité publique.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Antoine Karam, rapporteur. Cet amendement tend à permettre la mise à disposition de fonctionnaires au profit d’associations reconnues d’utilité publique ou exerçant une mission d’intérêt général.
Il convient, au préalable, de souligner qu’il s’agit de deux régimes très différents. La reconnaissance d’utilité publique est conférée, de manière très limitative, à des associations de taille importante, dont une partie est déjà susceptible d’être éligible à la mise à disposition de fonctionnaires au titre des organismes remplissant une mission de service public. Le caractère d’intérêt général relève, lui, de l’administration fiscale.
La mise à disposition dans les règles actuelles risquerait surtout de se traduire par une charge très importante pour les associations. En effet, ces dernières se trouveraient dans l’obligation de rembourser une rémunération complète du fonctionnaire mis à disposition.
Je crois savoir que le Gouvernement réfléchit à un dispositif analogue, mais plus avantageux pour les associations, dans le cadre du renforcement du mécénat de compétences. M. le secrétaire d’État y fera certainement référence dans son intervention sur l’amendement.
Pour ces raisons, j’invite M. Théophile à bien vouloir retirer son amendement. Sans cela, l’avis de la commission serait défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gabriel Attal, secrétaire d’État. Je tiens à remercier le sénateur Théophile d’avoir soulevé cette question : créer davantage de ponts entre les administrations publiques et le secteur associatif constitue, effectivement, un vrai sujet.
Néanmoins, le dispositif proposé ne me semble pas tout à fait tenable sur le plan juridique et, cela a été dit, nous travaillons sur un autre dispositif, consistant à ouvrir le mécénat de compétences aux administrations publiques.
Aujourd’hui, ce mécénat de compétences, qui s’est développé dans le secteur privé, est impossible dans l’administration, alors même que nous disposons d’agents publics ayant beaucoup à apporter aux associations et désireux de le faire sur leur temps de travail, au même titre que les salariés d’une entreprise privée.
C’est donc sur ce dispositif que nous travaillons, et je demanderai à M. Théophile de bien vouloir retirer son amendement, en se fiant à nous pour progresser vers l’objectif qu’il vise. À défaut, l’avis du Gouvernement serait défavorable.
Mme la présidente. Monsieur Théophile, l’amendement n° 4 rectifié est-il maintenu ?
M. Dominique Théophile. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 4 rectifié est retiré.
L’amendement n° 29 rectifié, présenté par Mmes Laborde et Jouve, M. Artano, Mme M. Carrère, MM. Castelli et Collin, Mmes Costes et N. Delattre et MM. Guérini, Menonville, Requier, Roux et Vall, est ainsi libellé :
Après l’article 5
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 4 de la loi du 2 janvier 1907 concernant l’exercice public des cultes est abrogé.
La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Cet amendement vise à supprimer l’article 4 de la loi du 2 janvier 1907 concernant l’exercice public des cultes et, ainsi, à unifier sous le régime des associations cultuelles de la loi de 1905 toutes les associations en charge de l’exercice public d’un culte ou de la gestion d’un lieu de culte, de quelque confession que ce soit.
Aujourd’hui, de nombreuses associations à caractère religieux sont constituées sous la forme associative régie par la loi de 1901. Or ce statut se caractérise par des obligations comptables minimales. Ainsi, en pratique, la loi ne prévoit d’obligations comptables que pour les associations régies par la loi de 1901 dépassant certains seuils ou réalisant certaines activités.
Au demeurant, il est rappelé que cet article 4 n’a été voté que pour la seule Église catholique, et à titre de dispositions par défaut. J’estime que, aujourd’hui, les associations à caractère religieux ne devraient pas pouvoir bénéficier du statut régi par la loi de 1901, imposant moins de transparence financière que celui que régit la loi de 1905.
Toute association cultuelle devrait transmettre ses comptes annuels à la préfecture et se soumettre au contrôle financier du ministère des finances ou de l’inspection générale des finances prévu par la loi de 1905.
Cet amendement vise donc à supprimer l’article 4 de la loi du 2 janvier 1907, qui entretient la confusion des statuts.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Antoine Karam, rapporteur. Cet amendement tend à abroger l’article 4 de la loi du 2 janvier 1907 afin de supprimer la possibilité pour une association cultuelle d’exister sous le régime de la loi du 1er juillet 1901.
Je rappelle avoir proposé à la commission de prononcer l’irrecevabilité de cet amendement au titre de l’article 45 de la Constitution. Mais la commission a souhaité avoir ce débat, qui, de mon point de vue, n’a pas lieu de se tenir ici.
La loi du 2 janvier 1907 concernant l’exercice public des cultes a permis à ce dernier de s’organiser sous un régime associatif, celui des associations régies par la loi de 1905 ou celui des associations régies par la loi de 1901, et par la voie de réunions cultuelles publiques organisées sur initiatives individuelles, en vertu de la loi du 30 juin 1881 sur la liberté de réunion.
Aujourd’hui, le régime de la loi de 1901 concerne de nombreuses associations cultuelles de toutes les religions. Faire obligation aux associations cultuelles de n’exister que sous le régime de la loi de 1905 amènerait deux difficultés : d’une part, cela remettrait en cause un équilibre fragile pour un bénéfice limité ; d’autre part, cela porterait préjudice aux principes constitutionnels et conventionnels de liberté de culte et de liberté d’association.
Depuis 1971, le Conseil constitutionnel veille à ce que les associations puissent se constituer librement, ayant consacré à cet égard un principe fondamental reconnu par les lois de la République. À moins qu’elle n’intervienne dans un cadre de services publics ou dans une activité agréée ou réglementée, il me paraît difficilement compatible avec ce principe de contraindre une association dans ses statuts ou dans sa forme juridique.
Je suis donc personnellement défavorable à cet amendement, mais telle n’est pas la position retenue par la commission, qui a émis un avis favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gabriel Attal, secrétaire d’État. Dans la lignée de l’avis personnel du rapporteur, qui diffère donc de celui de la commission, je pense qu’il ne faut toucher à l’équilibre trouvé au travers des lois de 1901, de 1905 et de 1907 qu’avec une main plus que tremblante. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)
M. Rachid Temal. Emmanuel Macron ne suit guère ce principe !
M. Gabriel Attal, secrétaire d’État. Il n’est pas question de le faire, ainsi, à l’occasion de l’examen d’une proposition de loi, a fortiori à la fin de ce processus, au travers d’un amendement dont je ne suis pas sûr que l’on mesure tous les impacts.
L’avis du Gouvernement est donc défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Savin, pour explication de vote.
M. Michel Savin. Lors de la discussion de ce matin en commission, il y a eu un petit flottement au moment d’examiner cet amendement, notamment pour savoir s’il fallait le présenter ou non en séance.
Le groupe Les Républicains ne le votera pas.
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour explication de vote.
Mme Françoise Laborde. J’ai bien senti ce flottement, ce matin, qui m’a permis d’obtenir un avis favorable sur cet amendement – c’était merveilleux, mais je me doutais que cela ne durerait pas !
En revanche, je me souviendrai des propos que vient de tenir M. le secrétaire d’État. Celui-ci nous explique qu’il ne faut toucher à cet équilibre que d’une main tremblante ; au moment de la révision de la loi de 1905, je reviendrai, bien sûr, avec mes amendements et ma main, je puis l’assurer, ne sera pas tremblante ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
En tout cas, je maintiens mon amendement, madame la présidente
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 29 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission modifié, l’ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures dix, est reprise à dix-sept heures quinze.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
5
Protection des activités agricoles et des cultures marines en zone littorale
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe La République En Marche, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, pour la protection des activités agricoles et des cultures marines en zone littorale (proposition n° 169, texte de la commission n° 328, rapport n° 327).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, dans le temps qui vous est imparti, vous allez examiner en première lecture une proposition de loi votée à l’unanimité à l’Assemblée nationale. C’est assez rare pour être souligné, et je voudrais féliciter le député Jimmy Pahun, d’ailleurs présent dans les tribunes du Sénat, d’avoir présenté ce texte très important, ainsi que M. Philippe Le Gal, le président du Comité national de la conchyliculture.
Le Gouvernement souhaite que cette proposition de loi soit votée dans le temps restant pour cette niche, à savoir dans l’heure et demie à venir. Aussi, je serai très bref. Il est, je crois, dans l’intérêt de tous que nous allions à l’essentiel et que ce texte indispensable soit adopté. D’ailleurs, si les députés à l’Assemblée nationale l’ont voté à l’unanimité, c’est bien qu’il porte des mesures importantes.
De quoi s’agit-il ? Tout simplement de reconnaître le poids de la filière conchylicole dans nos territoires, la réalité de la pression foncière qui s’exerce sur l’espace français, particulièrement dans les zones littorales, et d’entériner le constat, clair, qui a été dressé, celui d’une régression de la surface agricole utile.
Telles sont les raisons pour lesquelles le Gouvernement soutient cette proposition de loi, visant à permettre aux sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, les Safer, de préempter tout bien ayant connu une activité de culture marine dans les vingt ans précédant son aliénation. Cette modification nous semble essentielle.
D’une façon générale, l’exécutif accorde de l’intérêt à la question du foncier, et j’aurai l’honneur, dans les prochaines semaines, de présenter un projet de loi portant sur ce sujet.
Pour l’heure, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je vous invite à débattre dans les meilleures conditions et à voter la proposition de loi qui vous est présentée. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. André Reichardt. Effectivement, ce fut court !
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Daniel Gremillet, rapporteur de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais également raccourcir mon propos et ne pas utiliser les dix minutes de temps de parole qui me sont accordées. (Marques d’approbation sur les travées du groupe Les Républicains.)
La proposition de loi que nous nous apprêtons à examiner est le fruit d’un travail mené par Jimmy Pahun, député du Morbihan, en association avec les producteurs de coquillages, représentés par leur président, Philippe Le Gal ; tous deux sont d’ailleurs présents dans nos tribunes. Je tiens à saluer ce travail, qui a abouti, après quelques aménagements, à une adoption de ce texte par l’Assemblée nationale à l’unanimité, lors de la séance du 29 novembre dernier.
Les conchyliculteurs, comme les agriculteurs des zones littorales, nous ont alertés sur la pression foncière dont ils sont victimes. Dans les communes littorales, le prix de vente d’un bâtiment à usage agricole à un non-professionnel peut être jusqu’à dix fois supérieur au prix de vente à un professionnel. Pour des exploitants arrivant à la retraite, dont les conditions de travail ont souvent été dénoncées ici, le fruit de cette vente, c’est la rétribution du travail de toute une vie !
Toutefois, chacune des cessions à un non-professionnel est irréversible. Chacune d’entre elles fait disparaître une activité agricole de nos espaces littoraux, alors que ces activités sont nécessaires à leur survie. Elles font vivre économiquement et culturellement nos communes littorales, tout au long de l’année, tout en étant favorables à l’environnement. Il est donc essentiel de préserver ces activités agricoles. Des dispositions législatives et réglementaires ont déjà été prises à cette fin, mais certaines sont contournées.
La présente proposition de loi entend limiter le contournement très spécifique du droit de préemption des Safer dans ces communes littorales.
Depuis 2014, les Safer peuvent préempter les biens, situés principalement dans les zones agricoles ou naturelles, ayant fait l’objet de l’exercice d’une activité agricole dans les cinq années précédant leur vente. Les Safer de Bretagne, auxquelles je rends hommage, ont constaté que des propriétaires attendaient cinq ans sans affecter le bâtiment à des activités agricoles ou des cultures marines, afin d’échapper à ce droit de préemption.
La proposition de loi tend à les dissuader de procéder à ce genre de détournements, en augmentant le délai de non-affectation du bâtiment permettant d’échapper au droit de préemption des Safer de cinq à vingt ans.
Une garantie importante est apportée aux propriétaires par l’encadrement du mécanisme de révision du prix des Safer, uniquement possible si le changement de destination a été réalisé de manière illégale.
Sous l’autorité de sa présidente, Sophie Primas, la commission des affaires économiques a considéré, à l’unanimité, que le mécanisme proposé était équilibré. C’est pourquoi elle n’y a apporté aucune modification.
En revanche, lors de ses débats, elle a constaté que la proposition de loi ne concernait pas les bâtiments salicoles, pourtant soumis à la même pression foncière que les autres.
Pourquoi ? Simplement parce que les activités salicoles ne répondent pas aux critères définissant une activité agricole dans le code rural et de la pêche maritime.
La commission a donc souhaité que la saliculture réalisée dans les marais salants de l’Atlantique ou de la Méditerranée soit officiellement reconnue comme une activité agricole à part entière. L’extension du droit de préemption des Safer prévue par la proposition de loi leur sera donc, comme autres dispositions, applicable.
Cette modification unique de la proposition de loi ne retarde en rien le processus. Si les quatre premiers articles étaient adoptés en l’état, les députés n’auraient plus qu’à discuter du sujet consensuel de la reconnaissance de la saliculture comme activité agricole, reconnaissance à laquelle le Gouvernement s’est déclaré favorable.
Ainsi, avant l’été, grâce à la mobilisation du rapporteur Jimmy Pahun et à celle du ministre – que je tiens à remercier –, le texte pourrait être adopté définitivement, en ayant traité deux problèmes importants pour les espaces agricoles de nos communes littorales.
Nous aurons alors démontré que le Parlement peut élaborer la loi rapidement, en cherchant un consensus profitable à nos citoyens et, surtout, en trouvant une rédaction qui n’oublie personne au bord de la route… ou plutôt de la mer ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Cartron.
Mme Françoise Cartron. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la loi d’orientation agricole, adoptée voilà près de soixante ans maintenant, a créé les Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, les fameuses Safer, qui jouent un rôle majeur dans l’aménagement du territoire.
Chargées de missions d’intérêt général, celles-ci ont connu au fil du temps de fortes évolutions, face à l’essor du développement durable dans l’agriculture et à une urbanisation galopante. Elles participent désormais à la protection de l’environnement, des paysages, des ressources naturelles telles que l’eau. Elles accompagnent les collectivités territoriales dans leurs projets fonciers.
C’est en soutien à cette logique visant à adapter continument l’outil aux nouveaux enjeux que nous avons choisi, avec mes collègues du groupe La République En Marche, d’inscrire ce texte dans notre espace réservé.
Mme Françoise Cartron. Présentée par plusieurs députés membres du groupe du Mouvement démocrate et apparentés le 17 octobre dernier, puis adoptée à l’Assemblée nationale en séance publique le 29 novembre, dans le cadre de la « niche » du groupe Modem, cette proposition de loi porte une idée-force : moderniser le droit de préemption des Safer, afin de le rendre à même d’empêcher les changements de destination des chantiers conchylicoles ou les ventes de biens immobiliers affectés à une activité agricole dans les communes littorales.
Comme l’a justement rappelé M. Jimmy Pahun, auteur et rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, aujourd’hui présent en tribune – je salue son travail –, la pollution littorale, les modifications d’occupation, ainsi que les pressions démographiques, touristiques et foncières qui en résultent endommagent ces territoires. Aussi le législateur doit jouer son rôle.
Ce texte pour la protection des activités agricoles et des cultures marines en zone littorale, adopté, comme M. le ministre l’a souligné, à l’unanimité de nos collègues députés, propose un dispositif simple, compréhensible, afin d’apporter une réponse concrète à une problématique reconnue.
Il porte sur un objet bien identifié – nous en reparlerons. Enfin, il est le fruit d’un long travail parlementaire de réflexion, conduit avec divers acteurs engagés dans la préservation de l’agriculture littorale, notamment avec les conchyliculteurs. J’ai, pour ma part, longuement échangé voilà deux semaines avec le Président de la Fédération nationale des Safer.
Bref, il s’agit là d’un modèle du genre, et nous tenions à le souligner. Depuis quelques années déjà, nous partageons toutes et tous un même constat : les activités agricoles en zone littorale, la conchyliculture en particulier, voient leur pérennité menacée.
Les pressions évoquées précédemment, particulièrement fortes dans les territoires côtiers, conduisent à la transformation de nombreux bâtiments à usage agricole en habitations résidentielles, en restaurants ou encore en résidences secondaires. Le taux d’artificialisation des communes littorales est 2,5 fois plus élevé que le taux observé sur le reste du territoire.
De même, au cours des quarante dernières années, le taux de disparition des terres agricoles a été, dans ces zones, deux fois plus élevé que la moyenne du territoire métropolitain.
Afin de les sauvegarder, un outil technique a été retenu dans cette proposition de loi : le renforcement du droit de préemption des Safer.
Rappelons son fonctionnement. Les sociétés qui acquièrent des biens agricoles – terrains ou bâtiments – les rétrocèdent aux personnes capables d’en assurer la gestion, la mise en valeur ou la préservation, donc, le plus souvent, à des exploitants agricoles.
En 2016, les Safer ont ainsi revendu 34 400 hectares afin de permettre l’installation d’agriculteurs, dont 6 500 hectares pour la Safer Aquitaine Atlantique.
Toutefois, les Safer ne peuvent aujourd’hui préempter des bâtiments ayant eu un usage agricole, seulement si cette activité agricole a été exercée au cours des cinq années précédant l’aliénation.
Concrètement, afin d’éviter de voir leur bien faire l’objet d’une préemption par les Safer, les propriétaires de bâtiments agricoles peuvent attendre cinq ans avant de le mettre en vente, souvent au profit d’un non-professionnel. Ce délai est jugé trop peu dissuasif – nous partageons cette position –, et il encourage la spéculation foncière.
Les trois premiers articles du texte visent, par conséquent, un même objectif : permettre l’exercice du droit de préemption des Safer sur des bâtiments ayant perdu leur usage agricole voilà plus de cinq ans. Mais la proposition de loi se veut équilibrée, tant dans la solution technique proposée que dans l’objectif retenu.
Tout d’abord, si le champ de préemption des Safer est quelque peu élargi, les autres modalités du droit de préemption restent, elles, inchangées. Son efficacité réside avant tout dans son effet dissuasif sur les deux parties : les particuliers, d’un côté, qui ne seront plus tentés d’acheter un bâtiment agricole, et les propriétaires, de l’autre.
Les Safer ne pourront ensuite préempter que les bâtiments qui auront été utilisés pour certaines activités agricoles au cours des vingt années précédant l’aliénation. Ce délai de vingt ans permet de limiter la spéculation foncière, tout en respectant le droit de chacun à la libre disposition de ses biens.
Par ailleurs, l’objectif est de parvenir au plus juste équilibre possible entre la préservation des activités littorales, la nécessaire valorisation du travail des agriculteurs, l’établissement des plus jeunes et le développement du tourisme. La conchyliculture et les cultures marines assurent effectivement, d’une part, le maintien d’une activité économique durable toute l’année, hors période touristique, et, d’autre part, l’entretien de la faune et la flore de nos régions côtières.
Par ailleurs, et c’est l’objet d’une précision importante dans ce texte, la conchyliculture ne peut se développer n’importe où en bord de mer. Elle nécessite, par exemple, une certaine qualité microbiologique des zones de production. Il est donc nécessaire de conserver, autant que possible, l’activité conchylicole dans les chantiers existants.
Étant élue de la région Aquitaine, plus spécifiquement de la Gironde, j’ai à cœur de défendre ce texte, qui, comme l’a indiqué M. le ministre, est très attendu. Mon groupe le votera.
Néanmoins, puisqu’il y a urgence, puisqu’il faut avancer rapidement, je souhaiterais que le vote au Sénat soit conforme à celui de l’Assemblée nationale. Cela nous permettrait de gagner du temps, et ce d’autant que des députés se sont déjà saisis du sujet de la saliculture, qui fait l’objet d’un amendement, et sont en train de préparer un texte de loi sur la question, en y associant bien sûr la problématique des pêcheurs professionnels.
Il eût été beaucoup plus sage d’attendre cette proposition de loi à l’Assemblée nationale et de garder intact le présent texte, afin de raccourcir au maximum les délais. N’ouvrons pas la voie à des échanges qui repousseraient d’autant une décision attendue depuis déjà trop longtemps ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Prunaud.
Mme Christine Prunaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, à l’origine, la présente proposition de loi couplait les activités agricoles du littoral et de la montagne.
L’Assemblée nationale a largement adopté ce texte en ôtant la partie montagne. L’argument avancé est que la loi du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne, la loi Montagne, révisée en 2016, prend déjà en compte cette question en des termes identiques et apporte des solutions de même nature. Il reste donc dans la proposition de loi les activités agricoles et marines en zone littorale, d’où ma prise de parole devant vous aujourd’hui. Je suis élue en Bretagne, dans une zone où la question du littoral est importante.
Le constat est unanimement partagé : le foncier et l’immobilier agricoles participent pleinement à la pérennité de notre agriculture et du modèle familial que nous voulons préserver. Ce foncier fait l’objet d’une spéculation féroce, en particulier dans les zones littorales. Cela nuit au maintien de l’activité agricole et accélère l’artificialisation des sols.
Comme l’a souligné ma collègue Françoise Cartron, le taux d’artificialisation des communes littorales est de plus en plus élevé par rapport au reste du territoire. De même, au cours de ces quarante dernières années, la disparition des terres agricoles a été deux fois plus élevée que la moyenne métropolitaine.
Or l’agriculture occupe près de la moitié de la surface des communes littorales métropolitaines. Elle gère des espaces ouverts qui contribuent à la diversité des milieux naturels et à l’attrait des paysages. Mais, là aussi, notre vigilance s’impose. Dans mon département, les Côtes-d’Armor, la fréquence des algues vertes est, certes, moins visible, mais c’est parce que celles-ci sont ramassées plus souvent. Les dégâts écologiques persistent.
Cette attention aux milieux naturels permet le maintien d’une population permanente sur des territoires marqués par une forte fréquentation saisonnière.
C’est pourquoi la présente proposition de loi, qui a pour ambition de défendre l’économie agricole contre une économie résidentielle ou de tourisme, est bienvenue. Il faut éviter que ces bâtiments conchylicoles et les zones de marais salants ne se transforment en résidences secondaires « les pieds dans l’eau ». En effet, aujourd’hui, comme cela est souligné dans le rapport, le prix de vente d’un bâtiment à usage agricole à un privé peut être jusqu’à dix fois supérieur au prix de vente à un professionnel.
En l’absence de dispositifs juridiques et financiers de régulation, nous assistons à la disparition progressive du littoral naturel ou agricole. Les prix d’achat des terrains à bâtir plus élevés écartent les usages agricoles.
Il est nécessaire de porter le droit de préemption des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, les Safer, à vingt ans, contre cinq ans actuellement, pour éviter que les bâtiments ayant eu un usage agricole ne soient transformés en maisons d’habitation particulières. Seule la constitution de réserves foncières permettra de préserver ces espaces, alors même que la question de la transmission et de l’installation des entreprises est devenue un enjeu fort pour la filière conchylicole.
Des situations similaires ont pu être observées en zone de montagne, ces espaces étant soumis à des pressions touristiques et foncières de forte intensité. C’est pourquoi je regrette que l’extension de ce mécanisme à la montagne n’ait pas été retenue.
Toutefois, avec mes collègues du groupe CRCE, je voterai pour cette proposition de loi, qui constitue une avancée dans la lutte contre l’artificialisation des sols. Elle apporte un premier élément de réponse sans rouvrir, pour les connaisseurs, le fameux débat sur les dents creuses. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Henri Cabanel. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui traite d’un sujet éminemment important en agriculture : le foncier. En effet, on ne peut pas préserver l’agriculture sans préserver le foncier !
D’ailleurs, les récents travaux de la mission parlementaire d’information sur le foncier agricole font état de la nécessité de travailler sur le sujet. Monsieur le ministre, nous attendons avec impatience le dépôt et l’inscription à l’ordre du jour du projet de loi annoncé. Peut-être pourrez-vous nous en informer.
Un long travail mené entre l’auteur de ce texte, le député Jimmy Pahun, que je salue, et la filière conchylicole a montré l’urgence d’intervenir sur le sujet. Cette unanimité témoigne d’enjeux primordiaux : la préservation des bâtiments agricoles et l’installation des jeunes sont deux d’entre eux. En effet, beaucoup de territoires littoraux connaissent une situation tendue à cause de la spéculation sur le foncier qui y est constatée.
Cette proposition de loi vise à la fois à résoudre l’augmentation du prix du foncier pour favoriser l’installation et à empêcher le détournement de destination.
En cet instant, mes chers collègues, je veux appeler votre attention sur les sentiments contradictoires que nourrissent les professionnels face à nos travaux. Ils constatent une importante augmentation de déclarations d’intention d’aliéner depuis la communication sur cette initiative législative.
Ce que nous voulons prévenir, à savoir la transformation de nombreux bâtiments agricoles en résidences secondaires ou en restaurants, est momentanément accéléré par ceux qui veulent éviter les effets que nous visons en légiférant. Or, si le texte de l’Assemblée nationale n’est pas voté conforme, il devra y repartir, et un temps précieux sera perdu.
En commission, la volonté du rapporteur a été d’introduire un article pour pouvoir faire reconnaître l’exploitation du sel des marais salants comme une activité agricole. De même, un amendement du Gouvernement a été déposé hier soir, certainement avec l’accord du rapporteur.
Sur le fond, je comprends tout l’intérêt d’une telle disposition ; nous l’avons d’ailleurs votée en commission. Mais est-ce urgent à ce point ? Nous devrons prendre nos responsabilités. Le Sénat aura l’occasion de revoter cette disposition utile dès l’examen du projet de loi sur le foncier agricole.
Ce danger m’a été particulièrement souligné par les nombreux contacts que j’ai eus depuis notre réunion de commission. Je pense d’abord au président du comité régional de conchyliculture de Méditerranée, l’Héraultais Patrice Lafont, ainsi qu’au Comité national de la conchyliculture. Ils comprennent ce nouvel article, mais ils craignent, si le texte n’est pas conforme, que des situations irréversibles ne se créent.
C’est pour cela que j’ai déposé, au nom du groupe socialiste, un amendement de suppression du nouvel article, afin de voter le texte conforme et de répondre ainsi au souhait des professionnels. Car qui connaît mieux qu’eux la réalité des situations sur les territoires ? À l’heure du grand débat, pour écouter les citoyens, nous ferions le contraire ?
Pour autant, je peux comprendre les augmentations de déclaration d’aliéner, car les agriculteurs ont besoin d’un complément à leurs modiques retraites. Je tiens une nouvelle fois à insister sur les montants dérisoires et scandaleux des retraites que perçoivent les paysans. De ce point de vue, leur souhait de vendre le plus cher possible leurs bâtiments pour s’assurer de quoi vivre dignement est compréhensible.
L’objectif d’un agriculteur est de transmettre son outil, car le dur labeur de toute une vie mérite mieux qu’une cessation d’activité. Monsieur le ministre, il faudra donc être vigilant, pour que la future réforme des retraites permette à tous les agriculteurs de bénéficier d’une pension leur garantissant de vivre dignement après avoir arrêté leur activité.
Ce texte s’inscrit parfaitement dans la préservation des bâtiments d’exploitations de cultures marines. Il permettra de freiner l’artificialisation, qui grignote au fur et à mesure l’agriculture.
Dans mon département, l’Hérault, ce sont 25 % des surfaces agricoles utiles qui ont disparu durant les trente dernières années. Vient s’ajouter à cela, dans les communes littorales, la « cabanisation », qui sévit aussi et qui capte les terres agricoles. Les maires de ces communes littorales ont beaucoup de mal à faire respecter leur droit de police. Comment constater les infractions sans pouvoir entrer dans les propriétés ?
Par exemple, Mme la maire de Bouzigues, au bord du bassin de Thau, a refusé un permis de construire à un propriétaire qui a tout de même réalisé des travaux pour transformer un mas en restaurant. Depuis lors, une procédure est ouverte ; elle coûte de l’argent à la commune et risque d’être très longue. Pendant ce temps, le restaurant continue de fonctionner…
De nombreux maires m’ont dit que les travaux effectués pour les changements de destination se faisaient souvent les week-ends. Mes chers collègues, vous imaginez bien la difficulté pour s’opposer aux contrevenants !
Ce texte vient donc à la fois en appui aux élus et aux professionnels pour combler les manquements actuels. Il fait remonter à vingt ans, au lieu de cinq ans, la période prise en compte avant l’aliénation pendant laquelle si une activité agricole a été exercée, la Safer peut préempter. Il permet également à celle-ci de demander une révision du prix à la baisse en cas de changement illégal de destination lors de la période considérée, afin de ramener celui-ci à un niveau raisonnable correspondant à l’activité qu’il s’agit de préserver.
Pour autant, rien dans ce texte n’est prévu en cas de succession. Nous aurons l’occasion de l’évoquer pendant la discussion.
Je voudrais aborder une nouvelle fois dans cet hémicycle le financement des Safer. Car qui dit préemption dit budget. Les Safer sont là pour installer et conforter les exploitations. Or la plupart d’entre elles n’ont que très peu de stock. Il est indispensable qu’elles aient les moyens nécessaires pour constituer un stock convenable et, donc, pour réussir l’implantation de nouvelles générations. C’est leur mission première.
La Fédération nationale des Safer, que nous avons auditionnée, nous a assurés que des conventions étaient passées avec les établissements publics fonciers et les collectivités territoriales, communes, départements et régions. L’objectif est d’assurer un financement.
Toutefois, je ne crois pas que ce soit le rôle des collectivités de financer. Certaines ont déjà du mal à assumer le financement de leurs compétences, dans un contexte de baisse de dotations. Il est indispensable qu’elles soient associées. Mais il faudrait pour cela, par exemple, leur donner un peu plus de représentation dans les conseils d’administration des Safer. À ce sujet, je vous recommande la lecture de l’excellent rapport de nos collègues François Pillet, René Vandierendonck, Yvon Collin et Philippe Dallier, Les outils fonciers des collectivités locales : comment renforcer des dispositifs encore trop méconnus ?, publié en 2013.
En revanche, les établissements publics fonciers, les EPF, ont pour compétence le « recyclage foncier », c’est-à-dire l’achat, le portage, la gestion de l’ensemble des études utiles à cette maîtrise foncière. Ils ont une capacité de financement hors pair, notamment grâce aux ressources liées à la taxe d’équipement, qui peut aller jusqu’à vingt euros par habitant et par an. Actuellement, la moyenne est de six euros. Et les EPF ont bien sûr évidemment la capacité d’emprunt, qui en fait un outil bien armé. Je vous le rappelle, une fois les biens acquis pour les collectivités, et après une période de portage foncier, ils revendent aux collectivités. Cela leur apporte des ressources supplémentaires non négligeables.
Pour pouvoir donner de l’autonomie aux Safer et leur permettre de faire perdurer une activité agricole, de préserver ainsi une activité économique et de l’emploi et de penser une stratégie d’aménagement de territoire, pourquoi ne pas flécher une partie de la taxe d’équipement vers les Safer ? Cela leur permettrait d’assurer leur mission en toute sécurité.
Aujourd’hui, certaines font entre 60 % et 70 % de leur chiffre d’affaires grâce à l’acquisition et à la revente de biens très importants, qui, pour la plupart, ne sont pas dédiés à des agriculteurs, car les prix sont prohibitifs.
Ce n’est pas la première fois que je formule cette proposition. Je ne doute pas que nous en discuterons lors de l’examen du futur projet de loi sur le foncier. Nous aurons à résoudre la question du droit de préemption pour les sociétés lors de la vente d’une partie des parts.
Comme chaque année, le Salon de l’agriculture a connu un grand succès, à la fois par le nombre de visiteurs, mais aussi par le nombre de collectivités et d’élus présents. Le monde politique a l’habitude de s’y montrer et d’y montrer ses bonnes intentions. Il est temps, après la communication, de faire preuve d’actes plus concrets.
En votant ce texte conforme, nous nous engageons à préserver nos espaces littoraux, à la fois idylliques et fragiles, et à maintenir une activité économique des cultures marines. Les professionnels s’efforcent de les protéger en produisant des huîtres et des moules, qui, cette année encore, ont été pour beaucoup récompensées au concours général de l’agriculture.
Cette proposition de loi est essentielle pour eux, pour préserver non seulement leur outil de travail, mais aussi leur avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Françoise Cartron applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je salue mon cher collègue du Morbihan Jimmy Pahun, le député auteur de cette proposition de loi, ainsi que Philippe Le Gal, qui préside à la fois le comité régional conchylicole de Bretagne sud et le Comité national de la conchyliculture, le CNC.
Je commencerai par la conclusion : quel impact nous aurions si nous étions capables de voter conforme ce texte après les débats que nous allons nécessairement mener ici.
Les activités littorales agricoles et de cultures marines sont une richesse – tout le monde en convient – qu’il nous faut absolument préserver. Elles contribuent à animer les territoires. Elles valorisent nos terroirs et sont un facteur clé du tourisme et du rayonnement de nos régions. Il s’agit d’un à la fois d’un patrimoine et d’un enjeu crucial pour l’économie et l’alimentation locales.
Or ces activités sont menacées. La pression foncière sur le littoral est un facteur important de ce déclin. À titre d’exemple, depuis 2001, le comité régional conchylicole de Bretagne sud a perdu 20 % de ses concessions. De même, sur toute la France, dans le domaine agricole, seuls 200 agriculteurs parviennent chaque année à s’installer sur une commune littorale. Il y a donc urgence face à ces phénomènes. Les bâtiments conchylicoles construits sur le littoral, notamment dans la bande des 100 mètres, sont très convoités et se transforment trop souvent en habitat résidentiel secondaire. Un prix de vente qui est parfois jusqu’à dix fois supérieur pousse malheureusement nombre de propriétaires à vendre à un non-professionnel. Et je voudrais, moi aussi, faire le lien avec le niveau des retraites.
Ce sont donc des exploitations qui sont perdues, des porteurs de projet qui ne peuvent pas s’installer, alors que la moyenne d’âge des conchyliculteurs est de quarante-huit ans. On voit tout l’enjeu de la préservation par la transmission des outils existants.
Le foncier agricole, comme celui qui est dédié aux cultures marines, n’est pas un bien comme les autres. Il a un rôle crucial et stratégique pour l’intérêt général qui justifie une intervention publique et une régulation légitime du droit de propriété. À ce titre, le droit de préemption des Safer est essentiel et nécessaire. Il a à la fois un effet dissuasif sur certaines ventes et permet de casser des transactions pour maintenir la destination agricole ou conchylicole du foncier.
Cependant, on a pu l’observer sur les territoires, il peut être contourné par les propriétaires. En effet, il faut qu’une activité agricole ait été exercée dans les cinq ans précédant la vente pour que la Safer puisse agir. Cela ouvre la porte à une spéculation qui consiste à attendre cinq ans après la cessation d’activité pour réaliser la vente. À Saint-Philibert, très jolie commune du Morbihan, cela a permis à un ostréiculteur de vendre son chantier 1,5 million d’euros à un particulier, plutôt que 100 000 euros à un autre professionnel. Et les exemples de ce type sont nombreux, sur tous les territoires littoraux.
Je remercie donc vivement et officiellement mon collègue morbihannais Jimmy Pahun de son initiative, qui vient renforcer le rôle de la Safer pour éviter de tels contournements. Son travail de fond a permis de produire un texte consensuel, qui – M. le ministre l’a souligné – a été voté à l’unanimité à l’Assemblée nationale. L’extension à vingt ans du délai pris en compte pour la préemption qui est proposée sera très certainement dissuasive pour éviter la spéculation. Cet outil pourra également préserver les activités agricoles sur les communes littorales.
Aussi, encore une fois, je regrette vivement que nous ne puissions pas voter un texte conforme à celui de l’Assemblée nationale. Mais, en bon utopiste que je suis, et cela définitivement, je ne désespère pas encore ! (Sourires.)
Il y a en effet urgence à agir pour nos territoires. La Fédération nationale des Safer nous a alertés sur une forte augmentation des déclarations d’intention d’aliéné reçues. Le comité régional conchylicole de Bretagne sud parle d’une dizaine de dossiers en attente pour le seul Morbihan. Les propriétaires accélèrent donc les transactions, afin de pouvoir échapper à cette extension du droit de préemption.
La question de la saliculture est, certes, importante, mais elle pourrait attendre le prochain texte, d’autant plus qu’une loi financière devrait arriver prochainement au Parlement. C’est en tout cas ce qu’a annoncé le Président de la République le 23 février dernier. J’espère sincèrement que cette annonce sera suivie d’effets.
Enfin, je souhaite évoquer une fois encore la question de l’origine des huîtres. (Sourires.)
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Ah !
M. Joël Labbé. La durabilité de l’ostréiculture, c’est aussi celle de la production, qui est depuis quelques années fortement affectée par des mortalités très inquiétantes. Des ostréiculteurs observent une concomitance entre les fortes mortalités d’huîtres et l’arrivée des huîtres d’écloserie et des huîtres triploïdes. Des études scientifiques semblent aller dans leur sens.
C’est dans l’espoir d’un vote conforme que je n’ai pas déposé d’amendement visant à imposer l’étiquetage des huîtres, mais j’y reviendrai dès que possible.
Je sais que la profession est divisée sur le sujet. J’invite ses responsables à en débattre en interne en vue d’un prochain texte, qui ne saurait tarder, je crois. Pour moi, la transparence quant à l’origine des produits est un minimum.
Mes chers collègues, au nom du groupe du RDSE, je voterai, vous l’avez compris, cette proposition de loi. Et je n’ai pas encore de regret, car nous allons peut-être parvenir à voter ce texte conforme ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canevet. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Michel Canevet. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la France est un grand pays maritime, notamment par la longueur, la beauté et la qualité de notre littoral, mais aussi par l’étendue des zones économiques maritimes, qui la place au deuxième rang mondial en la matière.
Le groupe Union Centriste est particulièrement attaché à l’affirmation et à la valorisation du littoral et de la vocation maritime de notre pays. D’une part, la mer représente l’essentiel des surfaces de notre globe. D’autre part, cela constitue un potentiel de développement économique absolument considérable. Il convient donc effectivement de pouvoir l’utiliser.
Parmi les activités à valoriser figurent la pêche ou l’exploitation des ressources naturelles, mais également les activités conchylicoles : huîtres, moules, coques, ormeaux, palourdes… Autant d’activités importantes sur notre littoral.
Le groupe Union Centriste salue l’initiative du député du Morbihan Jimmy Pahun, qui a dressé, en lien avec les professionnels, le constat d’une perte significative de sites dédiés à l’ostréiculture ou à la conchyliculture en général.
Selon le Comité national de la conchyliculture – je salue son président, présent dans les tribunes –, environ la moitié des sites ostréicoles avaient pu disparaître en vingt ans, c’est-à-dire entre la fin du siècle dernier et aujourd’hui. C’est donc un enjeu particulièrement important. Nous avons évidemment tous la volonté de préserver le littoral de notre pays.
Il importe aussi de développer un certain nombre d’activités économiques. Vous l’imaginez bien, ces potentiels de production sont donc absolument essentiels pour le développement d’une telle activité, qui est d’ailleurs en diminution dans notre pays. Au siècle dernier, on produisait beaucoup plus de 100 000 tonnes d’huîtres et de moules dans notre pays, contre 70 000 à 80 000 tonnes aujourd’hui. Alors même que les consommateurs sont demandeurs de produits, leur demande n’est pas satisfaite par la production sur nos territoires.
Il est important qu’une telle activité puisse perdurer. Par la présente proposition de loi, Jimmy Pahun et l’ensemble de la profession adressent un message fort : nous croyons en l’avenir de cette production ; la France peut développer cette activité, créer des emplois et améliorer notre balance commerciale, qui est positive s’agissant des huîtres, mais très largement négative s’agissant de la production mytilicole.
Nous importons beaucoup plus de moules que nous sommes capables d’en produire. Examinez les statistiques de FranceAgriMer : vous constaterez que nous disposons là de potentiels de développement considérables !
Je ne reviendrai ni sur ce qui a été dit par les orateurs précédents ni sur l’exposé des motifs de cet excellent texte. Notre groupe veut avant tout sensibiliser l’hémicycle et, à travers lui, l’ensemble de nos concitoyens sur l’importance d’une telle activité : importance économique – je l’ai indiqué –, mais également importance environnementale.
Les produits conchylicoles sont parfaitement naturels : inutile de donner à manger aux huîtres et aux moules, qui se nourrissent toutes seules dans la mer avec le plancton ! Les professionnels sont, en quelque sorte, des « sentinelles » de la qualité de l’eau en bordure du littoral. En effet, vous l’imaginez, pour faire des productions de qualité, il leur faut une eau de qualité ! Leur présence conduit donc à accentuer les efforts pour obtenir une eau la plus pure possible. Cette considération devrait également nous inciter à être sensibles à l’intérêt du maintien et du développement d’une telle activité pour notre pays.
Il y a évidemment les sites de production dans les rias en mer ou dans les étangs. Mais il y a aussi une nécessité de pouvoir disposer de sites à proximité de l’eau, tout simplement pour éviter de dépenses supplémentaires liées à des sites infralittoraux.
Il importe donc d’avoir des sites de bonne qualité au bord du littoral. Tout d’abord, ils sont souvent absolument superbes : je pourrais évoquer la ria d’Étel – Jimmy Pahun la connaît bien –, qui comporte un grand nombre de sites ostréicoles de très grande qualité, ou l’étang de Thau, que notre collègue Henri Cabanel nous a fait visiter lorsque nous nous sommes rendus sur place avec la délégation sénatoriale aux entreprises. Ensuite, ces sites ont évidemment une valeur marchande considérable.
Que peuvent les professionnels face à des offres financières souvent alléchantes pour la transformation des sites ? Au groupe Union Centriste, nous disons très clairement que ces sites ne doivent pas subir de changement de destination, car ce serait dramatique pour l’avenir de la profession. Il faut que des jeunes puissent s’installer, afin que nous ayons, demain, encore plus d’ostréiculteurs.
Notre groupe souhaite une adoption la plus rapide possible de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.
M. Jean-Pierre Decool. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’agriculture, qui est fondamentale pour notre souveraineté alimentaire, pèse économiquement : elle représente 4 % du PIB français, avec l’agroalimentaire. Elle est aussi primordiale dans l’aménagement des territoires, s’étendant sur plus de la moitié du territoire français.
C’est également un secteur qui évolue vite. Ainsi, quelque 79 % des agriculteurs sont aujourd’hui connectés à internet et les notions de biodiversité, de préservation des écosystèmes, de stockage de carbone ou d’énergies renouvelables ne leur sont plus étrangères.
Nous le savons, les défis auxquels doivent faire face les agriculteurs sont nombreux. Parmi eux, la question foncière est essentielle. Le départ en retraite de nombreux agriculteurs, la concentration des terres, l’urbanisation à marche forcée, le difficile renouvellement des générations sont autant de constats auxquels nous devons prêter la plus grande attention. Si rien n’est fait, plus d’un tiers des exploitations agricoles aura disparu dans cinq ans.
Dans ma région, très urbanisée, l’agriculture couvre 67 % du territoire. Pourtant, le nombre d’exploitations ne cesse de diminuer : projets d’urbanisation, zones d’activités, routes, industries et grandes surfaces engloutissent irréversiblement des milliers d’hectares de champs et de pâturages. Le prix du foncier et le coût des transmissions des exploitations agricoles sont élevés.
Ce sujet doit nous interpeller, et une politique forte doit être mise en place sur le foncier agricole. C’est un actif stratégique pour l’exploitant agricole et pour l’agriculture française. Il faut le protéger, tout en assurant une fluidité nécessaire à toute activité économique.
Actuellement, et depuis le début des années quatre-vingt-dix, divers outils ont été mis en place, avec, au final, une protection des terres agricoles en mitage. Malheureusement, les intérêts de court terme prévalent trop souvent. L’enjeu est de taille : assurer la sécurité alimentaire des générations futures.
Chaque fois que nous diminuons nos espaces agricoles, nous aggravons notre dépendance alimentaire. L’Union européenne importe déjà l’équivalent de 20 % de sa surface agricole.
Même si le fonctionnement des Safer est parfois critiquable, leur rôle reste essentiel dans la préservation du foncier agricole. Dans les Hauts-de-France, où la pratique du fermage est courante, les terres sont rares et chères. Les ventes se réduisent comme peau de chagrin, et les candidats à l’installation ne trouvent pas toujours de terres à reprendre.
Le droit de préemption est un outil parmi d’autres. Il a le mérite de préserver les terres agricoles. Il doit être utilisé en complément d’autres formes de partenariat innovantes, par exemple lorsque la Safer a signé une convention avec le conseil régional des Hauts-de-France pour faciliter l’installation de jeunes agriculteurs.
Les cultures marines sont loin d’être épargnées par cette pression foncière, exploitations conchylicoles, mais aussi mytilicoles. Dans les Hauts-de-France, quinze entreprises productrices de moules se déploient sur cinquante-cinq hectares.
Le bord de mer est de plus en plus convoité, et la pression foncière est grandissante. Le renforcement de la place des cultures marines dans les territoires est un enjeu socio-économique majeur pour un grand nombre de nos départements littoraux. Il s’agit de secteurs artisanaux dont le poids économique est essentiel à l’échelle locale.
Très ancrées dans leurs territoires, ces activités jouent aussi un rôle important en matière d’aménagement du territoire et de protection de l’environnement.
Nous le savons tous, ces activités sont fragiles, soumises à de nombreux aléas et encadrées par une réglementation exigeante, à la hauteur de leurs enjeux sanitaires et environnementaux. Il est essentiel de les protéger.
La profession n’est pas restée inerte face à ces évolutions. Elle a tenté de développer des outils non contraignants pour parvenir à contenir la pression au changement de destination, notamment pour les bâtiments dévolus aux cultures marines.
Les démarches des acteurs de la filière ont besoin d’être soutenues, notamment sur le plan législatif. Le dispositif introduit par la proposition de loi permet aux Safer d’exercer leur droit de préemption lorsque les bâtiments ont eu un usage agricole au cours des vingt années précédant leur vente, contre cinq actuellement.
Le délai apparaît suffisamment dissuasif pour réduire les contournements mis en œuvre aujourd’hui afin d’échapper au droit de préemption des Safer.
La proposition de loi a deux mérites : d’une part, elle renforce la protection du littoral ; d’autre part, elle stabilise et protège les activités agricoles et les cultures marines en zone littorale en étendant les pouvoirs de préemption des Safer.
Les sénateurs du groupe Les Indépendants – République et Territoires soutiendront donc cette proposition de loi qui entend renforcer les moyens d’action des Safer. Plus généralement, il sera primordial de se pencher sur l’efficience de celles-ci dans leurs missions de développer les outils de soutien à l’installation et le renouvellement des générations pour préserver notre agriculture, notamment en leur facilitant l’accès au foncier.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Vaspart. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Michel Vaspart. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, à mon tour – et en trois minutes, au lieu des cinq qui me sont accordées ! (Sourires.) –, je viens dire tout mon soutien à cette proposition de loi de notre collègue député breton Jimmy Pahun, qui a fait l’objet d’une large concertation, d’abord avec la profession conchylicole, et aussi avec les élus locaux qui subissent ces importantes pressions foncières et touristiques. Ce texte, adopté dans une belle unanimité à l’Assemblée nationale, est utile pour l’économie conchylicole et l’agriculture des départements littoraux.
On le sait, la conchyliculture française est un secteur économique majeur, mais en déclin. La production a diminué de 40 % entre 1995 et 2015. Ces difficultés sont d’abord liées à des épizooties, mais aussi à une pression foncière, c’est-à-dire à la hausse des prix du foncier en zone littorale, qui freine l’installation des jeunes conchyliculteurs.
La régression de la surface agricole utilisée, la SAU, est très forte sur le littoral. Dans mon département, les exploitations dans la zone littorale couvraient 62 300 hectares ; en 2010, elles ne couvraient plus que 47 300 hectares, selon les chiffres fournis par la Safer Bretagne. Cela représente une perte de SAU de 24 %.
Beaucoup d’exploitations sont ainsi détournées de leur fonction agricole à des fins d’habitation ou de tourisme, notamment de restauration, souvent en toute illégalité puisque la loi Littoral comporte déjà de nombreuses limitations concernant les changements d’affectation.
À l’usage, il est apparu manifeste que la durée de cinq ans au cours de laquelle une activité conchylicole ou agricole doit avoir été exercée n’était pas dissuasive pour lutter contre les détournements illégaux en zone littorale. Et ce sont dans ces zones qu’il est proposé, avec ce texte, d’étendre le droit de préemption des Safer, acteur incontournable de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers, à vingt ans, en vue d’empêcher les changements de destination des chantiers conchylicoles ou les ventes de biens immobiliers affectés à une activité agricole ou pastorale dans les communes littorales.
La solution est équilibrée et emporte l’adhésion. Le président du groupe d’études « Mer et littoral » que j’ai l’honneur d’être ne peut que se satisfaire de ce dispositif équilibré.
Le littoral est fragile et il faut le préserver. Je le redis avec force tant le sujet est sensible et facilement tourné en caricature.
Vous l’aurez compris, je suis favorable à une adoption par un vote conforme, comme le propose notre excellent rapporteur, car ce texte issu de l’Assemblée nationale va dans le sens de la protection de notre littoral.
Notre rapporteur a introduit un article additionnel étendant l’application de ce dispositif à la saliculture. Je pense que c’est une bonne idée que de l’intégrer d’ores et déjà, plutôt que de représenter sur le même sujet une autre proposition de loi. C’est une simplification législative : il suffit, pour que les choses aillent vite, que l’Assemblée nationale vote très rapidement conforme cet ajout.
J’ai donc le plaisir de vous annoncer que le groupe Les Républicains est favorable à ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Christine Prunaud applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Rapin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Rapin. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les discussions autour de ce texte sont importantes. Bien trop souvent, lorsque nous abordons la question de l’avenir de nos littoraux, c’est sous un angle touristique, au détriment, malheureusement, des identités agricoles et maritimes. Ici, il ne s’agit en aucun cas d’assouplir la loi Littoral de 1986, mais bel et bien de conserver, de préserver le littoral français et ses activités agricoles et maritimes, filières à part entière de notre économie.
Depuis plusieurs années, un sujet récurrent alimente nos différents débats, celui de la pression foncière en zone littorale. En effet, les communes littorales sont prisées par les touristes, plus peuplées : en toute logique, les prix du foncier grimpent donc, l’occupation des sols gagne du terrain et, en parallèle, les surfaces dédiées à l’agriculture et à la conchyliculture ne cessent de diminuer.
L’Association nationale des élus du littoral, l’ANEL, que je préside, défend une position claire : la préservation de l’agriculture littorale, le maintien et le développement des cultures marines. Les membres de l’association sont, tout comme moi, inquiets de l’urbanisation des zones littorales, de plus en plus convoitées pour de multiples activités. C’est pourquoi nous travaillons main dans la main avec le Conservatoire du littoral pour préserver cette richesse.
En ce sens, la proposition de loi de Jimmy Pahun, député du Morbihan, que nous examinons aujourd’hui doit retenir toute notre attention. Je salue d’autant plus la méthode utilisée pour sa rédaction, celle de la concertation avec les professionnels, en particulier sur l’initiative de M. le rapporteur.
Il est primordial d’éviter tout changement de destination, en zone de loisirs ou en projets immobiliers par exemple. Ces zones de cultures représentent en effet une identité patrimoniale forte, mais également un savoir-faire particulier, une valeur ajoutée, un pan de notre économie nationale, et garantissent des emplois sur place, non délocalisables.
Les exploitants qui cessent leur activité sont parfois tentés de vendre leurs biens à des particuliers, bien plus offrants. Par conséquent, il est important de valoriser leur travail et leur labeur, tout en permettant aux jeunes professionnels souhaitant s’installer et perpétuer un savoir-faire spécifique de trouver des zones exploitables à des prix raisonnables. Les dispositifs actuels ne permettent pas toujours cela et, pour cette raison, la proposition de loi que nous examinons prévoit d’aller plus loin.
Le rôle des Safer est ici capital : acquérir et rétrocéder des biens à des exploitants qui s’engagent à maintenir un usage agricole est essentiel.
La proposition de loi ainsi modifiée après la première lecture à l’Assemblée nationale renforce leurs pouvoirs afin d’éviter tout contournement, et donc tout changement de destination. La confiance donnée à ces sociétés doit bien évidemment être associée à une forme de bon sens, lequel, nous ne le répéterons jamais assez, doit régir les règles de préservation de notre littoral – n’est-ce pas, monsieur Vaspart ?
L’un des défis les plus essentiels sera de trouver des prix « justes » qui permettront aux revendeurs de valoriser leur activité et aux acheteurs d’y démarrer la leur.
Les élus locaux, tout comme les professionnels du secteur, devront également tenir une place prépondérante dans les débats sur la pérennisation de ces activités.
Je tiens enfin à saluer le travail de mon collègue et rapporteur Daniel Gremillet, et son initiative de ne pas exclure les bâtiments salicoles de ce dispositif. J’avais d’ailleurs, dans le même esprit, cosigné la proposition de loi de Bruno Retailleau tendant à reconnaître la saliculture comme activité agricole.
J’en suis conscient, cette proposition de loi ne permettra pas de mettre un terme à la spéculation foncière sur nos littoraux. Toutefois, la baisse des exploitations conchylicoles doit nous interpeller et il s’agit ici d’une première étape encourageante. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Agnès Canayer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Agnès Canayer. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, de nouveau, nous débattons de l’équilibre subtil à trouver entre la préservation de notre patrimoine littoral naturel et le maintien de l’activité économique, agricole ou marine, essentielle pour la vitalité de nos territoires.
L’attractivité du littoral et la pression foncière qui pèsent sur nos côtes obligent à trouver les outils juridiques permettant d’assurer l’équilibre recherché. À cette fin, la proposition de loi présentée par le député Jimmy Pahun, que je salue, va dans le bon sens.
La loi Littoral a posé un cadre strict, mais nécessaire à la protection des espaces littoraux. Les travaux du groupe d’études « Mer et littoral » du Sénat, sous l’égide de notre collègue Michel Vaspart, ont permis d’assouplir certaines de ses dispositions, afin de mieux combiner activités agricoles et préservation du littoral.
La loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, ou loi ÉLAN, avait repris ces dispositions pour éviter de prendre sur les terres agricoles pour accueillir de nouveaux habitants. Elle a également prévu la possibilité d’autoriser la construction, en zone littorale, des installations nécessaires aux activités agricoles ou marines, y compris dans les espaces proches du rivage, et notamment aux activités conchylicoles.
La proposition de loi dont nous débattons ajoute des outils supplémentaires pour maintenir ces activités agricoles de bord de mer.
Utilisé à bon escient, le droit de préemption de la Safer permet le maintien de ces activités, et surtout l’accompagnement du projet des agriculteurs. Encadré, il doit être la base d’un dialogue efficace entre les propriétaires, les Safer, et les élus locaux impliqués dans la gestion des sols de leur commune.
Toutefois, trop limité, ce droit de préemption de la Safer ne peut jouer ce rôle de protecteur des activités agricoles et conchylicoles, notamment dans les zones littorales où la pression foncière est forte.
En Seine-Maritime, en particulier dans la commune de Veules-les-Roses, le parc ostréicole participe à la vitalité du territoire et à la préservation de notre littoral.
M. Charles Revet. Très bien !
Mme Agnès Canayer. Le développement et l’avenir économique de la filière conchylicole et ostréicole et le maintien de la pêche ne pourront se faire que dans le cadre d’un environnement préservé.
Le développement agroalimentaire, ainsi que la pression immobilière ou nautique sur le littoral, et leur impact sur la qualité des eaux, doivent faire l’objet d’une particulière vigilance des élus comme des professionnels si nous voulons maintenir la production de fruits de mer de qualité, appréciés par de nombreux amateurs, sur les côtes de nos départements littoraux.
Cette proposition de loi est donc une belle occasion pour les communes littorales, qui désirent maintenir les sièges d’exploitations sur leur territoire et préserver une agriculture familiale et conchylicole, qui s’intègre harmonieusement au littoral.
Elle permet d’ajouter des outils supplémentaires concernant toutes les activités économiques du littoral, y compris la saliculture, pour répondre à cet impératif. Veillons toutefois à ne pas fragiliser le corpus juridique par un émiettement de lois et l’édiction successive de normes qui peuvent être des facteurs d’instabilité juridique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous rappelle que nous devons impérativement suspendre l’examen de ce texte au terme du délai de quatre heures réservé à l’espace du groupe La République En Marche, c’est-à-dire à dix-huit heures quarante.
Nous n’aurons donc ni répit ni marge de manœuvre, puisqu’il convient de respecter le principe d’équilibre du temps de parole entre les groupes. Je vous demande donc à tous d’être très concis.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi pour la protection foncière des activités agricoles et des cultures marines en zone littorale
Article 1er
(Non modifié)
Le titre IV du livre Ier du code rural et de la pêche maritime est ainsi modifié :
1° Après le premier alinéa de l’article L. 142-5-1, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsqu’une société d’aménagement foncier et d’établissement rural met en vente un terrain ou un bâtiment dont le dernier usage agricole était un usage conchylicole, elle le cède en priorité à un candidat s’engageant à poursuivre une activité conchylicole pour une durée minimale de dix ans. » ;
1° bis Au dernier alinéa du même article L. 142-5-1, le mot : « deuxième » est remplacé par le mot : « troisième » ;
2° Après le deuxième alinéa de l’article L. 143-1, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Dans les communes ou parties de communes mentionnées à l’article L. 321-2 du code de l’environnement, le droit de préemption mentionné au premier alinéa du présent article peut également être exercé en cas d’aliénation à titre onéreux des bâtiments situés dans les zones ou espaces mentionnés au même premier alinéa qui ont été utilisés pour l’exploitation de cultures marines exigeant la proximité immédiate de l’eau, telle que définie à l’article L. 121-17 du code de l’urbanisme, au cours des vingt années qui ont précédé l’aliénation, pour affecter ces bâtiments à l’exploitation de cultures marines. L’article L. 143-10 du présent code n’est pas applicable lorsque les bâtiments concernés ont fait l’objet d’un changement de destination, sauf si ce changement de destination a été effectué au cours des vingt années qui ont précédé l’aliénation et en violation des règles d’urbanisme applicables. »
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Grand, sur l’article.
M. Jean-Pierre Grand. Cette initiative parlementaire répond à une attente forte des professionnels de la conchyliculture, nombreux dans mon département de l’Hérault au bord de l’étang de Thau ; je vous invite d’ailleurs, monsieur le ministre, ainsi que mes collègues, à venir y déguster des produits d’exception.
En effet, les fortes pressions démographiques et foncières en zone littoral mettent en péril les activités agricoles et conchylicoles, qui sont particulièrement menacées par la transformation de bâtiments agricoles en habitations résidentielles.
Toutefois, cette proposition de loi de protection ne concerne que la problématique du foncier, alors même que les professionnels rencontrent d’autres difficultés liées aux crises sanitaires et climatiques. Fort judicieusement, notre rapporteur en a donc modifié l’intitulé.
Si ce texte ne pourra pas tout résoudre – je pense notamment à l’absence de droit de préemption sur les successions familiales, sur laquelle je tiens à insister –, il constitue une avancée qu’il convient de soutenir et de saluer.
Mme la présidente. L’amendement n° 2, présenté par MM. Duplomb et Bascher, Mme Berthet, M. Brisson, Mme Bonfanti-Dossat, M. J.M. Boyer, Mme Bruguière, MM. Cardoux et Chaize, Mmes Chauvin, Deromedi, Di Folco et Estrosi Sassone, MM. Grand et Laménie, Mme Lamure, MM. Lefèvre, Meurant et Mouiller, Mme Noël et MM. Paccaud, Priou, Savary, Sido, Vogel, Revet, Charon et Regnard, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Après les mots :
activité conchylicole
insérer les mots :
ou, à défaut, à un candidat s’engageant à l’exploitation de cultures marines
La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone.
Mme Dominique Estrosi Sassone. Cet amendement que j’ai l’honneur de présenter tient à cœur à notre collègue, Laurent Duplomb, ainsi qu’à l’ensemble des cosignataires.
La proposition de loi vise la protection des activités agricoles et des cultures marines en zone littorale. Or le texte prévoit une réaffectation en priorité à la conchyliculture ou aux activités agricoles, et pas aux cultures marines. Cet amendement a pour objet que, à défaut de conchyliculteurs, les bâtiments anciennement conchylicoles, préemptés par une Safer, reviennent en priorité à des exploitants de cultures marines.
En effet, il semble pertinent de conserver au maximum l’affectation des exploitations de cultures marines et d’éviter un changement de destination totale d’une activité, par exemple qu’un espace d’ostréiculture devienne un commerce de bouche, si un repreneur conchylicole n’existe pas. Cela permettrait aussi d’encourager le développement des fermes aquacoles. (M. Philippe Bas applaudit.)
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Cet amendement est très intéressant, et je laisserai le soin à M. le ministre d’y répondre. Au sein du conseil d’administration des Safer, siègent en effet des commissaires du Gouvernement, dont l’un en particulier représente le ministère de l’agriculture.
La commission demande le retrait de cet amendement, faute de quoi elle émettrait un avis défavorable. Cela dit, la réponse du ministre nous permettra d’y voir plus clair.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Didier Guillaume, ministre. Je veux vraiment rassurer M. Duplomb, avec lequel nous avons échangé sur ce sujet.
Cet amendement a beaucoup de sens. Les autres types d’aquaculture, soumis également à des difficultés d’accès à l’espace, pourraient bénéficier d’un second rang de priorité lorsqu’un bâtiment conchylicole est rétrocédé par une Safer.
En l’état du texte, dès lors qu’aucun repreneur pour un usage conchylicole n’aurait été identifié, je ne vois pas ce qui empêcherait une Safer de rétrocéder des bâtiments pour un autre usage de cultures marines. Nous pouvons faire confiance aux Safer pour que ces bâtiments trouvent l’usage le plus adapté au contexte.
J’ajoute que les commissaires du Gouvernement portent une grande attention aux opérations de rétrocession, lesquelles sont par ailleurs fortement encadrées. En application de cette tutelle, je demanderai aux commissaires du Gouvernement de prendre leurs responsabilités.
Pour ces raisons, mon avis est le même que celui du rapporteur : je sollicite le retrait de cet amendement.
Mme la présidente. Madame Estrosi Sassone, l’amendement n° 2 est-il maintenu ?
Mme Dominique Estrosi Sassone. Il était important pour Laurent Duplomb que vous réagissiez directement, monsieur le ministre, sur cet amendement. Je vous remercie donc de votre réponse et d’avoir pris vos responsabilités à l’égard des commissaires du Gouvernement, afin que ceux-ci puissent exercer jusqu’au bout leur mission.
Bien évidemment, je retire l’amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 2 est retiré.
Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2
(Non modifié)
Après le troisième alinéa de l’article L. 143-1 du code rural et de la pêche maritime, tel qu’il résulte de l’article 1er de la présente loi, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Dans les communes ou parties de communes mentionnées à l’article L. 321-2 du code de l’environnement, le droit de préemption mentionné au premier alinéa du présent article peut également être exercé en cas d’aliénation à titre onéreux de bâtiments situés dans les zones ou espaces mentionnés au même premier alinéa qui ont été utilisés pour l’exercice d’une activité agricole au cours des vingt années qui ont précédé l’aliénation, pour rendre à ces bâtiments un usage agricole. L’article L. 143-10 du présent code n’est pas applicable lorsque les bâtiments concernés ont fait l’objet d’un changement de destination, sauf si ce changement de destination a été effectué au cours des vingt années qui ont précédé l’aliénation et en violation des règles d’urbanisme applicables. »
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Panunzi, sur l’article.
M. Jean-Jacques Panunzi. Monsieur le ministre, le foncier agricole est un enjeu d’envergure pour la France.
Je crois savoir qu’une mission d’information parlementaire commune est actuellement à l’œuvre et qu’un rapport, suivi d’un projet de loi, devrait prochainement nous être proposé. Ce sera l’occasion de renforcer les missions des Safer de façon plus globale. Les problématiques de la proposition de loi en cours d’examen concernent surtout les cultures marines. Il existe, hélas, d’autres difficultés.
Je pense notamment à un problème qu’en Corse nous avons essayé de régler par voie d’expérimentation : celui des démembrements de propriété. Pour faire simple, on peut vendre le lundi la nue-propriété d’un bien agricole, et le mardi l’usufruit, pour échapper à la préemption de la Safer qui ne dispose d’aucun droit dans ce cas et ne reçoit même pas notification de ces cessions.
La Corse dispose de 1 000 kilomètres de linéaire côtier où l’agriculture de plaine est soumise à de fortes pressions foncières. Le retard d’élaboration des documents d’urbanisme, aggravé par les contraintes supplémentaires imposées par le plan d’aménagement et de développement durable de la Corse, le Padduc, participe à une accentuation de ces mécanismes.
Si la Safer est un outil de régulation de première importance, certaines cessions non notifiables et non préemptables, comme la vente en démembrements ou par montage entre sociétés, échappent à sa vigilance avec les risques que l’on connaît, notamment la suppression d’exploitations agricoles économiquement viables par substitution d’un projet non agricole.
Inutile de vous rappeler, monsieur le ministre, que sans foncier, il n’y point d’agriculture, ni de développement rural…
Il existe une solution qui consisterait à caler le périmètre du droit de préemption de la Safer sur celui du fermier qui, lui, peut préempter – je cite le code rural – « en cas de vente portant sur la nue-propriété ou l’usufruit à moins que l’acquéreur ne soit, selon le cas, nu-propriétaire du bien vendu en usufruit ou usufruitier du bien vendu en nue-propriété ».
Cette piste de réflexion que je suggère au Gouvernement, et que je ne manquerai pas de proposer par voie d’amendement lorsque sera soumise au Parlement la loi sur le foncier agricole, a été évoquée par le Président de la République au Salon de l’agriculture. Les territoires ruraux et le monde agricole en ont besoin !
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 2.
(L’article 2 est adopté.)
Article additionnel après l’article 2
Mme la présidente. L’amendement n° 1, présenté par M. Cabanel, Mme Artigalas, M. M. Bourquin, Mme Conconne, MM. Courteau, Daunis et Duran, Mme Guillemot, MM. Iacovelli, Montaugé, Tissot et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après la première phrase du I de l’article L. 141-1-1 du code rural et de la pêche maritime, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Elles sont également informées par le notaire des successions ouvertes sur ces biens ou droits lorsqu’ils sont situés dans les communes ou parties de communes mentionnées à l’article L. 321-2 du code de l’environnement. »
La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Cet amendement d’appel tend à soulever le problème de la transparence en cas de succession.
Actuellement, en cas de succession, la législation ne prévoit aucune obligation d’information des Safer sur les opérations en cours. Si, dans la pratique, il apparaît que les notaires transmettent parfois cette information aux Safer, aucune base légale ne les y oblige.
Nous avons bien conscience que nous ne pouvons pas ouvrir un droit de préemption à la Safer en cas de succession, car ce serait une atteinte à la vie privée et une remise en cause de notre droit des successions, mais il nous apparaît important que les Safer soient systématiquement informées des successions ouvertes pour pouvoir mener un travail de suivi et de recensement important.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Ce sujet devant être traité dans une future loi foncière, la commission souhaite le retrait de l’amendement ; à défaut, son avis serait défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Didier Guillaume, ministre. M. Cabanel le sait, nous allons présenter une loi foncière qui reprendra des dispositions prévues dans la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt de 2014, dont j’avais eu l’honneur d’être le rapporteur au sein de la Haute Assemblée.
Sur les sujets du foncier et de la transmission, il nous reste encore beaucoup de points à examiner à l’Assemblée nationale.
Monsieur Panunzi, je souhaite que l’on parle à l’occasion de l’examen de la loi foncière des dossiers corses et ultramarins, non pas comme on le fait à chaque fois en ajoutant trois lignes dans le dernier article du texte, mais en prenant complètement en compte le problème, car il est très important. J’en ai d’ailleurs récemment parlé avec des responsables agricoles corses.
Je le redis, il nous faut compléter ce que nous avons prévu dans la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt en termes de transmission et de possibilité d’acquérir du foncier. J’ai beaucoup échangé avec votre collègue député Dominique Potier, qui est un inspirateur de la proposition prévue dans l’amendement, et nous travaillerons ensemble pour élaborer notre futur texte sur le sujet.
Le Gouvernement demande donc le retrait de cet amendement, faute de quoi il émettrait un avis défavorable.
Mme la présidente. Monsieur Cabanel, l’amendement n° 1 est-il maintenu ?
M. Henri Cabanel. Non, madame la présidente, je le retire.
Mme la présidente. L’amendement n° 1 est retiré.
Article 3
(Suppression maintenue)
Article 3 bis
(Non modifié)
Le chapitre III du titre IV du livre Ier du code rural et de la pêche maritime est ainsi modifié :
1° Au troisième alinéa de l’article L. 143-1-1, les mots : « au deuxième alinéa » sont remplacés par les mots : « aux deuxième, troisième et quatrième alinéas » ;
2° Au premier alinéa de l’article L. 143-16, les mots : « cinquième et sixième » sont remplacés par les mots : « septième et huitième ». – (Adopté.)
Article 4
(Suppression maintenue)
Article 5 (nouveau)
I. – Après la deuxième phrase du premier alinéa de l’article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Il en est de même des activités de production de sel issu de l’exploitation des marais salants. »
II. – La perte de recettes résultant pour l’État de la reconnaissance comme activité agricole des activités de production de sel issu de l’exploitation de marais salants telle que prévue au I du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
Mme la présidente. L’amendement n° 3, présenté par MM. Cabanel, Montaugé, Kanner et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Je l’ai dit dans la discussion générale, nous souhaitons que le texte de l’Assemblée nationale soit voté conforme, afin que nous puissions gagner du temps. En effet, si nous comprenons la volonté du rapporteur d’inclure les marais salants dans le dispositif mis en place, nous pensons qu’une telle disposition pourrait être intégrée dans la future loi sur le foncier.
Je le répète, un grand nombre d’intentions d’aliéner sont déposées, et celles-ci risquent de devenir irréversibles si nous ne votons pas ce texte conforme.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Il serait dommage de ne pas traiter de l’ensemble des cultures marines présentes sur le littoral.
Je demande donc le retrait de l’amendement ; à défaut, l’avis de la commission serait défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Didier Guillaume, ministre. Je regrette que ces articles aient été introduits dans cette proposition de loi, qui aurait pu être votée totalement conforme ; M. Pahun aurait alors pu offrir l’apéritif ! (Sourires.)
En même temps, la commission et le rapporteur sont tout à fait en droit de vouloir ajouter des dispositions. Le texte sur la saliculture est très attendu, et les députés Sandrine Josso, Stéphane Buchou et Yannick Haury ont commencé à travailler sur le sujet, à l’instar de M. Retailleau au Sénat.
Ce qui compte pour que les choses avancent, c’est que les trois premiers articles soient conformes. Cela servira de base pour discuter de la saliculture et permettre la suite du débat.
Je demande donc à M. Cabanel de bien vouloir retirer son amendement, car, in fine, il serait dommage que ce texte ne puisse suivre son cours à l’Assemblée nationale.
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Cartron, pour explication de vote.
Mme Françoise Cartron. Cela a été dit, nous avons souvent vu arriver ici des propositions de loi très attendues, qui, à force d’ajouts – chacun voulait aborder un sujet supplémentaire –, ont traîné durant des mois. Je citerai ainsi le cas du texte qui concernait l’immeuble Le Signal, à Soulac-sur-Mer : ce problème perdure parce que nous n’avons pas su voter conforme.
Selon moi, conformité égale efficacité. Pour cette raison, mon groupe votera cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Cette proposition de loi est le fruit d’un travail de concertation mené avec les présidents de l’ensemble des fédérations et le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, que je tiens à remercier.
Je rappelle que, en raison de l’existence d’une niche, ce texte pourrait être examiné à l’Assemblée nationale le 9 mai. Et si M. le ministre souhaite qu’il soit discuté plus tôt, je crois que c’est possible.
M. Daniel Gremillet, rapporteur. C’est en tout cas une possibilité.
Nous ne pouvons pas renvoyer ce sujet aux calendes grecques, car nous sommes dans un pas de temps très court. Je me suis battu pour que les premiers articles soient votés conformes afin que l’on n’y revienne plus. L’Assemblée nationale pourrait faire de même, par la suite, sur la saliculture. Nous aurons ainsi traité de l’ensemble du littoral.
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé, pour explication de vote.
M. Joël Labbé. Les amendements précédents ayant été retirés, nous étions en bonne voie pour voter le texte conforme. Encore une fois, je regrette profondément que nous ne nous montrions pas capables de le faire !
Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel, pour explication de vote.
M. Henri Cabanel. Monsieur le ministre, vous ne m’avez pas répondu sur le calendrier de la loi relative au foncier.
Si ce calendrier nous avait permis de traiter directement ce sujet, le présent texte serait entièrement entré dans le cadre de cette future loi foncière, ce qui nous aurait évité de perdre du temps.
J’entends ce que dit le rapporteur, mais en ouvrant cette perspective, on prend le risque que s’instaure un nouveau débat à l’Assemblée nationale, et que soit prévu un article supplémentaire. À ce moment-là, on perdra énormément de temps, bien davantage que ce qui vient d’être annoncé.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 3.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste et républicain.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 59 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 341 |
Pour l’adoption | 146 |
Contre | 195 |
Le Sénat n’a pas adopté.
L’amendement n° 4, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
À la deuxième phrase du premier alinéa de l’article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime, après les mots : « cultures marines », sont insérés les mots : « et d’exploitation de marais salants ».
La parole est à M. le ministre.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Favorable.
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Henri Cabanel, pour explication de vote.
M. Henri Cabanel. Après ce qui s’est passé, nous sommes tout à fait d’accord pour voter cette proposition de loi. Nous espérons que l’Assemblée nationale votera conforme le texte du Sénat, pour permettre aux conchyliculteurs de préserver leur masse conchylicole et l’avenir de cette filière.
Mme la présidente. La parole est à Mme Muriel Jourda, pour explication de vote.
Mme Muriel Jourda. Je voterai cette proposition de loi qui a été proposée par mon collègue député morbihannais. J’espère que nous n’aurons pas à l’appliquer souvent et que les élus locaux seront assez fermes sur la mise en œuvre des règles d’urbanisme qui permettent déjà de remédier à ce type de difficultés.
Je profite de la présence de Philippe Le Gal, le président du Comité national de la conchyliculture, et de la vôtre, monsieur le ministre, pour espérer que s’instaure un débat sur la valorisation du fonds ostréicole, comme c’est le cas dans d’autres pays, car elle permet également de répondre aux problèmes évoqués.
Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Priou, pour explication de vote.
M. Christophe Priou. Je souhaite simplement relever la prise en compte des activités salicoles, qui me semble importante.
Je suis de la région de Guérande : nous nous étions battus il y a quelques années pour préserver les marais salants, notamment après la catastrophe de l’Erika. Nous avions modifié la fiscalité pour permettre une meilleure rémunération notamment des jeunes paludiers. Depuis des années, les collectivités locales favorisent la formation et l’installation des jeunes.
Ce texte et l’amendement du Gouvernement vont donc dans un très bon sens.
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé, pour explication de vote.
M. Joël Labbé. Après les propos que j’ai tenus, je veux dire, au nom du groupe du RDSE, que nous voterons également ce texte, pour qu’il puisse continuer son chemin législatif, puisque tant le Gouvernement que nos collègues de l’Assemblée nationale se sont engagés à le faire avancer rapidement.
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi dont la commission a ainsi rédigé l’intitulé : « Proposition de loi pour la protection foncière des activités agricoles et des cultures marines en zone littorale ».
(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements.)
Mme la présidente. Je constate que le texte a été adopté à l’unanimité des présents.
6
Sécurité des sapeurs-pompiers
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe socialiste et républicain, les explications de vote et le vote sur la proposition de loi relative au renforcement de la sécurité des sapeurs-pompiers, présentée par M. Patrick Kanner et les membres du groupe socialiste et républicain (proposition n° 91, texte de la commission n° 352, rapport n° 351).
La conférence des présidents a décidé que ce texte serait discuté selon la procédure de législation en commission prévue au chapitre VII bis du règlement du Sénat.
Au cours de cette procédure, le droit d’amendement des sénateurs et du Gouvernement s’exerce en commission, la séance plénière étant réservée aux explications de vote et au vote sur l’ensemble du texte adopté par la commission.
La commission des lois, saisie au fond, s’est réunie le 21 février 2019 pour l’examen de l’article unique et l’établissement du texte. Le rapport a été publié le même jour.
proposition de loi relative au renforcement de la sécurité des sapeurs-pompiers
Article unique
À la première phrase du premier alinéa de l’article 706-58 du code de procédure pénale, après le mot : « emprisonnement », sont insérés les mots : « ou portant sur une infraction commise sur un sapeur-pompier ».
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble du texte adopté par la commission, je vais donner la parole, conformément à l’article 47 quinquies de notre règlement, au rapporteur de la commission, pour sept minutes, puis au Gouvernement, enfin à un représentant par groupe, pour cinq minutes.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Loïc Hervé, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, c’est la seconde fois en quelques semaines que le Sénat examine une proposition de loi en lien avec la sécurité civile.
La dernière était la proposition de loi, prise sur l’initiative de notre collègue Catherine Troendlé, relative à la représentation des personnels administratifs et techniques au sein des conseils d’administration des services départementaux d’incendie et de secours, les SDIS. J’en étais déjà le rapporteur.
Cela démontre, s’il le fallait, l’attachement profond de notre assemblée à ces sujets centraux. Je pense que, sur toutes les travées de cet hémicycle, nous avons à cœur d’améliorer les conditions de travail des sapeurs-pompiers chaque fois que c’est possible.
À cet égard, la proposition de loi déposée par notre collègue Patrick Kanner s’inscrit exactement dans cette perspective. Je veux donc le remercier d’avoir porté notre regard sur le problème particulièrement préoccupant de la sécurité des sapeurs-pompiers.
En tant que chambre des territoires, nous ne pouvons pas ignorer l’augmentation intolérable des agressions dont ils sont victimes, qu’ils soient fonctionnaires territoriaux au sein de nos SDIS ou sous statut militaire à Paris ou Marseille.
Depuis 2008, le nombre d’agressions déclarées a plus que triplé, ce qui est parfaitement inadmissible. Ces agressions mettent non seulement en danger nos sapeurs-pompiers, mais elles mettent également en péril l’attractivité de toute une profession.
Face à ce constat, la proposition de loi initiale de Patrick Kanner visait à faciliter le dépôt de plainte des sapeurs-pompiers agressés. Pour cela, elle tendait à rendre ce dépôt anonyme afin de prémunir le sapeur-pompier victime d’éventuelles représailles de la part son agresseur.
Certes, l’idée de renforcer la protection des sapeurs-pompiers était bonne, mais le dispositif choisi pour le faire portait une atteinte trop importante aux droits de la défense, tels qu’ils sont conjointement garantis par notre Constitution et la Convention européenne des droits de l’homme.
Les auditions que j’ai conduites et auxquelles Patrick Kanner a participé nous l’ont confirmé. Des raisons identiques avaient d’ailleurs conduit le Sénat à ne pas adopter un dispositif relativement similaire lors de l’examen du projet de loi « Justice », il y a à peine quelques semaines.
Dans ce contexte, la commission des lois a fait preuve de sagesse et de pragmatisme. Ne pouvant adopter un texte qu’elle savait par trop attentatoire aux libertés fondamentales, elle n’a pas retenu la proposition de loi dans son écriture initiale. Mais ne pouvant rester indifférente au problème capital que cette proposition de loi soulevait, elle a également souhaité y apporter une réponse.
Cette réponse comporte deux aspects.
Le premier est législatif. Avec l’accord de Patrick Kanner, la commission des lois a substitué un nouveau dispositif à celui qui était initialement prévu par sa proposition de loi. Il tend à faciliter l’anonymat non plus des victimes, mais des témoins d’agressions de sapeurs-pompiers.
Cet anonymat est actuellement prévu par le code de procédure pénale pour les témoins de crimes ou de délits punis de plus de trois ans de prison. Le texte que nous examinons permettrait le recours à cette procédure pour toute infraction, dès lors qu’elle est commise sur un sapeur-pompier. Elle viserait ainsi l’ensemble des agressions dont ils sont victimes, même les plus mineures, comme l’outrage.
Le second aspect de la réponse fournie par la commission des lois est prospectif. Afin de compléter les effets de la présente proposition de loi, elle a acté la mise en œuvre d’une mission d’information en son sein. Je tiens à remercier le président Philippe Bas d’avoir accédé à cette demande. Elle permettra d’analyser tous les aspects du problème complexe soulevé par la sécurité des sapeurs-pompiers, de faire le point sur l’efficacité des dispositifs existants et de proposer des solutions efficaces pour endiguer ces agressions insupportables. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, j’aimerais avant toute chose saluer l’esprit de ce texte, comme j’ai déjà eu l’occasion de le faire devant la commission des lois.
Les sapeurs-pompiers, volontaires, professionnels ou militaires sont des femmes et des hommes aguerris, investis, passionnés. Ils sont prêts à prendre tous les risques pour les autres, pour intervenir dans les drames, face au feu ou face aux accidents de la vie.
Ce début d’année nous l’a encore tristement rappelé : depuis le 1er janvier, quatre sapeurs-pompiers sont morts en intervention, et il y a deux semaines deux sapeurs-pompiers ont été grièvement blessés en combattant le feu à Aulnay-sous-Bois. Ce terrible accident intervenait d’ailleurs au moment même où votre commission se réunissait pour examiner ce texte. Ces drames nous rappellent durement le caractère exceptionnel de l’engagement des sapeurs-pompiers et nous imposent, évidemment, de défendre ces derniers en toutes circonstances.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui part d’un constat réel et préoccupant. Dans certains quartiers comme lors de leurs interventions du quotidien, les sapeurs-pompiers sont parfois pris pour cible. Ils sont victimes d’insultes, quelquefois d’attaques. Ils peuvent être gênés alors qu’ils tentent d’intervenir.
Dans de telles circonstances, les conditions d’intervention des sapeurs-pompiers sont difficiles, et l’exercice de leur mission rendu périlleux. Surtout, ces agressions sont inacceptables vis-à-vis de ceux dont la seule mission est de sauver et de protéger.
Je voudrais toutefois que nous refusions ensemble de céder à la facilité qui consisterait à blâmer exclusivement les habitants de tel ou tel quartier ou des contextes de violences urbaines. Cela se produit, bien sûr, et il ne s’agit pas de le nier. Mais beaucoup des atteintes et des agressions qui visent les sapeurs-pompiers ont lieu en raison d’une détresse sociale ou psychologique qui n’est pas l’apanage des quartiers dits sensibles. Les violences et les agressions sur les sapeurs-pompiers se déroulent parfois même en marge d’accidents de la route.
J’aimerais donc commencer cette intervention par un message de fermeté, dont je sais qu’il est partagé sur toutes les travées de cet hémicycle : quel que soit le contexte, quel que soit le lieu, toute agression contre les sapeurs-pompiers est inadmissible, inqualifiable. Leurs auteurs devront être trouvés, poursuivis et punis.
Mme Catherine Troendlé. Absolument !
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Nos sapeurs-pompiers doivent être parfaitement protégés.
Parmi les protections nécessaires, je suis d’accord avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, il nous faut trouver les moyens de prévenir les représailles dont les sapeurs-pompiers pourraient être victimes après une intervention. L’engagement des sapeurs-pompiers ne s’arrête pas à la fin de l’intervention : ils doivent savoir que nous nous engageons à les protéger et les défendre avant, pendant et après leurs interventions.
M. Charles Revet. Tout à fait !
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Cependant, et c’est un regret, je ne suis pas en mesure aujourd’hui de soutenir devant vous cette proposition de loi, dont je crains qu’elle ne parvienne pas réellement à atteindre ses objectifs. Nous avons déjà eu l’occasion d’en débattre en commission.
Le rapporteur l’a rappelé, une première version de cette proposition de loi avait été déposée par le président Kanner, que je salue. Elle aurait ouvert la voie à un dépôt de plainte anonymisé pour les sapeurs-pompiers victimes d’agressions en raison de leur fonction. Nous en avons discuté ensemble en commission et nous avons partagé le constat que le texte, tel qu’il était présenté, pouvait porter atteinte assez durement aux droits de la défense et qu’il présentait un risque important d’inconstitutionnalité.
Aussi, vous avez décidé de modifier la proposition de loi en commission et par un amendement que vous avez adopté, le texte que nous examinons prévoit désormais d’étendre la procédure de témoignage anonyme prévue à l’article 706-58 du code de procédure pénale à toutes les procédures portant sur une infraction commise sur un sapeur-pompier.
Cette nouvelle rédaction du texte ne paraît toujours pas satisfaisante.
Tout d’abord, ce nouvel amendement ne protège pas spécifiquement les sapeurs-pompiers victimes d’agressions. Il permettrait à tout témoin dans une procédure impliquant une agression sur un sapeur-pompier de témoigner sous X, quelle que soit la gravité de l’infraction commise.
Je viens de le rappeler, je partage évidemment la préoccupation de chacun de protéger les témoins, mais cet impératif doit être concilié avec l’atteinte portée aux droits de la défense.
Aujourd’hui, le législateur a décidé d’un seuil de peine de prison encourue au-dessus duquel un témoignage sous X est possible.
Ce seuil portait à l’origine sur les peines supérieures à cinq ans d’emprisonnement, il a été baissé en 2002 aux peines supérieures à trois ans. L’étendre à toutes les infractions, sans aucune exception en dessous de ce seuil, tel que la proposition de loi le prévoit, porterait – je le crois – atteinte au principe de proportionnalité et à l’équilibre fondamental entre la protection des témoins et les droits de la défense. Permettez-moi donc de douter de la constitutionnalité de la proposition de loi en l’état.
Ensuite, le droit actuel ne connaît aucune dérogation spécifique aux règles de témoignage sous X. C’est la vocation même du droit pénal d’être universel, de fixer des règles pour tous sans risquer de créer des exceptions au gré des événements ou des situations. Je crois qu’il serait difficile, en l’état actuel des choses, de justifier une exception centrée sur les sapeurs-pompiers, aboutissant à ce que, pour des infractions de même gravité, les témoins dans les affaires les concernant bénéficient d’une protection supérieure aux témoins dans d’autres affaires.
Je ne suis donc pas certain que cette proposition de loi parvienne à atteindre son objectif et à renforcer plus encore la protection des sapeurs-pompiers.
Comme vous le savez, le droit pénal prévoit déjà des protections supplémentaires qui touchent, elles, directement les sapeurs-pompiers.
Je pense notamment à des peines encourues plus lourdes lorsque la victime est sapeur-pompier dans les cas de meurtre, d’actes de torture et de barbarie, de violences ayant entraîné une incapacité plus ou moins longue, de violences commises avec usage ou menace d’une arme ou d’embuscade. Je note que ces crimes et ces délits sont tous répréhensibles d’une peine supérieure à trois ans d’emprisonnement lorsque la victime est sapeur-pompier, et donc qu’en l’état actuel du droit les témoins peuvent d’ores et déjà témoigner sous X dans toutes ces procédures.
Mesdames, messieurs les sénateurs, encore une fois, je comprends bien votre préoccupation de protéger nos sapeurs-pompiers : croyez bien que, avec tout le Gouvernement, je la partage totalement.
Je veux rappeler les nombreuses initiatives qui ont déjà été lancées pour nous assurer qu’aucune agression contre les sapeurs-pompiers ne puisse rester impunie.
Nous devons, et je crois que c’est la bonne solution, renforcer et continuer à mettre en place les dispositions existantes. Il faut, par exemple, permettre un accueil privilégié, systématiquement, des sapeurs-pompiers qui viennent déposer plainte dans les commissariats ou dans les brigades de gendarmerie.
Le Gouvernement a déjà pris des mesures pour agir en ce sens, et c’est ainsi qu’aux termes d’une circulaire du 13 mars 2018, des mesures doivent être mises en place pour inciter et faciliter le dépôt de plaintes des sapeurs-pompiers victimes d’agressions. La circulaire demandait ainsi, notamment, le dépôt de plaintes sur rendez-vous ; le dépôt de plainte dans les centres de secours ; la domiciliation du sapeur-pompier victime à la direction du service d’incendie et de secours pour éviter les représailles ; la protection fonctionnelle ; ou encore, et nous y sommes très vigilants avec la garde des sceaux, un suivi attentif de la réponse pénale en lien étroit avec les parquets.
Nous tenons à ce que ces mesures soient mises en place, et un télégramme ministériel a encore récemment rappelé l’impératif de suivi de ces objectifs.
Je tiens également à rappeler qu’à l’heure actuelle, des protocoles interservices départementaux sont mis en place pour que ces mesures deviennent réalité. Ils permettent une meilleure coopération opérationnelle entre les forces de sécurité intérieure de chaque département : policiers, gendarmes et sapeurs-pompiers.
Je pense par exemple à des échanges d’information accrus, lesquels ont régulièrement lieu – ces protocoles existent dans tous les départements français –, à des appels préventifs en cas de problème connu ou encore à la mise en place de points de regroupement avant une intervention des sapeurs-pompiers dans un secteur sensible – l’intervention se fait alors avec des policiers ou des gendarmes. Ces conventions montrent leurs effets et nous rappelons régulièrement aux préfets la nécessité de veiller à leur bonne mise en place.
J’avais rappelé devant votre commission que nous avions dans le département du Nord, cher monsieur Kanner, une convention particulièrement opérationnelle, qui donnait pleinement satisfaction à l’ensemble des acteurs.
Enfin, et ce point est très important, nous devons pouvoir compter sur l’intransigeance des parquets devant les attaques inacceptables dont sont victimes les sapeurs-pompiers. Là encore, je sais que c’est le cas, et rien que ces dernières semaines, des peines d’emprisonnement fermes ont été prononcées à l’encontre de personnes ayant agressé des sapeurs-pompiers.
Ainsi, un individu victime d’un accident de la route à Dunkerque et son frère venu le secourir, qui s’en étaient tous deux pris aux pompiers, ont été condamnés à une peine de prison ferme. De même, deux frères de la petite couronne en région parisienne s’en étaient pris violemment aux sapeurs-pompiers, car ils estimaient que ces derniers mettaient trop de temps à libérer leur père coincé dans un ascenseur : ils ont également été condamnés à des peines de prison ferme. Ces affaires se sont produites ces dernières semaines.
Soyez donc certains, mesdames, messieurs les sénateurs, que le Gouvernement est pleinement conscient et impliqué pour assurer la meilleure protection possible aux sapeurs-pompiers.
Cependant, et je le regrette encore une fois, je ne crois pas que cette proposition de loi puisse apporter une protection supplémentaire – j’insiste sur ce terme – à nos sapeurs-pompiers aujourd’hui. Je crains qu’elle ne réponde pas au principe de proportionnalité, qu’elle ne soit pas constitutionnelle et qu’elle n’ait pas d’effet supplémentaire utile par rapport aux protections accrues dont bénéficient d’ores et déjà les sapeurs-pompiers dans le droit pénal et que j’ai rappelées.
Mme Françoise Férat. Rien que ça !
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Je souhaite que nous continuions à travailler ensemble pour améliorer, toujours davantage, la protection et les conditions d’engagement des sapeurs-pompiers. Mais je ne puis aujourd’hui qu’émettre un avis défavorable à la proposition de loi que nous examinons.
Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud de Belenet.
M. Arnaud de Belenet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, cher Loïc Hervé, mes chers collègues, face à la montée des violences à l’égard de nos sapeurs-pompiers, nous sommes appelés à voter la proposition de loi, déposée par Patrick Kanner, relative au renforcement de la sécurité de ces derniers.
Cela a été dit, les chiffres sont inquiétants. Le taux d’agression des sapeurs-pompiers est important et ne cesse d’augmenter chaque année. Ces agressions sont parfois le fait même des personnes secourues et de leurs proches.
La proposition de loi initiale visait à faciliter le dépôt de plainte des sapeurs-pompiers victimes d’agression. Elle permettait à tout sapeur-pompier professionnel ou volontaire et tout militaire de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris et du bataillon de Marseille, victime dans l’exercice de ses fonctions ou du fait de ses fonctions d’une atteinte volontaire à l’intégrité de sa personne, de violence, de menace, d’injure, de diffamation ou d’outrage de déposer plainte anonymement grâce à un numéro d’immatriculation administrative. Elle s’inspirait en cela des dispositions récemment introduites dans le code de procédure pénale, visant à garantir l’anonymat des enquêteurs de la police.
Cependant, le rapporteur a, semble-t-il à juste raison, soulevé deux difficultés : la procédure prévue ne semble pas apporter une parfaite garantie de l’anonymat des sapeurs-pompiers, et, au surplus, l’anonymat ne semble pas une garantie de sécurité absolue pour les sapeurs-pompiers victimes.
En effet, ainsi que l’explicitait Loïc Hervé dans son rapport, l’identification du sapeur-pompier victime ne nécessite pas forcément que l’agresseur connaisse son identité exacte. Ce dernier peut avoir mémorisé son apparence physique et connaître le centre d’incendie et de secours dont il dépend, d’autant que les sapeurs-pompiers sont amenés à résider au sein même des casernes, ou à proximité immédiate.
Dès lors, dans le cadre d’un accord entre l’auteur de la proposition de loi et le rapporteur, notre commission a proposé un nouveau dispositif en faveur de la sécurité des sapeurs-pompiers.
Je me réjouis de cette décision qui facilite l’anonymat, non plus des victimes, mais des témoins d’agressions de sapeurs-pompiers, afin de tendre au même objectif sans porter atteinte au droit de la défense.
Enfin, nous ne pouvons qu’être favorables à la création d’une mission d’information afin d’apporter une réponse complète à l’insécurité des sapeurs-pompiers, mais aussi d’évaluer l’application et l’efficacité des dispositions déjà existantes.
Le groupe La République En Marche salue l’esprit d’initiative et de dialogue visant à protéger nos sapeurs-pompiers qui sous-tend ce texte. Il a très majoritairement souhaité approuver cette proposition de loi, même si quelques interrogations, qui rejoignent les propos tenus à l’instant par M. le secrétaire d’État, nous animent.
Il nous semble nécessaire que le Sénat adresse aux sapeurs-pompiers un signal de solidarité, d’encouragement et de volontarisme quant à leur sécurité, en parallèle et en complément des mesures adoptées par le Gouvernement.
Les interrogations qui nous animent sont au nombre de deux.
Premièrement, vous avez évoqué, monsieur le secrétaire d’État, le seuil de 3 ans auquel nous dérogerions avec ce texte qui pose la question du principe de proportionnalité édicté par le Conseil constitutionnel. Ce principe vise à trouver un équilibre entre les atteintes portées aux droits et libertés et les objectifs recherchés.
Deuxièmement, le régime dérogatoire que nous créerions fragmenterait, de fait, le code de procédure pénale en sous-catégories. Cela soulève la question du respect du principe d’universalité.
Malgré ces interrogations, il nous semble absolument essentiel d’apporter un soutien aux sapeurs-pompiers. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat. (Mme Christine Lanfranchi Dorgal applaudit.)
M. Pierre-Yves Collombat. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme vous le savez, cette proposition de loi entend apporter des éléments de réponse à une dérive devenue très préoccupante : les agressions des sapeurs-pompiers dans l’exercice de leurs missions, qu’il s’agisse d’opérations classiques de secours en cas d’incendie ou de secours aux personnes. Je ne parle pas des interventions nécessitées par les comportements exaltés ou agressifs d’individus psychologiquement fragiles, alcoolisés ou sous l’emprise de la drogue, opérations relevant normalement des forces de l’ordre, souvent aux abonnés absents…
De plus en plus, le seul service public qui demeure, c’est celui assuré par les pompiers. Il s’agit probablement d’une simple coïncidence si les principaux financeurs en sont les collectivités territoriales…
Les faits sont en forte progression quantitative et sont de moins en moins localisés dans des secteurs réputés difficiles. Outre qu’ils témoignent d’une désintégration sociale qui, en d’autres temps, aurait été tenue pour dramatique, ces comportements sont d’autant plus préoccupants qu’ils ne renvoient à aucune rationalité, même évanescente ou dévoyée, comme le sentiment d’exclusion sociale, la vengeance personnelle, la révolte contre l’autorité, et j’en passe.
On comprend quel traumatisme cela représente pour des serviteurs dévoués exclusivement au secours de leurs concitoyens, à leur sécurité et à leur santé, pour des volontaires qui constituent 84 % des effectifs, pour des hommes et des femmes qui vivent au cœur même de la population.
Si, face à cette situation, la réponse judiciaire paraît adaptée – les plaintes sont très généralement suivies de peines sévères –, il n’en demeure pas moins que toutes les conditions permettant aux pompiers de porter plainte en toute sécurité pour eux et leur entourage, ne sont pas totalement remplies. Reste souvent, dans toute la mesure du possible, à les mettre à l’abri des pressions et des représailles des mis en cause et de ceux qui se solidarisent avec eux.
Initialement, la proposition de loi apportait à cela un élément de réponse, en étendant aux sapeurs-pompiers victimes d’agressions ou de menaces le droit à l’anonymisation des actes de procédure, droit reconnu aux agents de la police, de la gendarmerie, des douanes et des services fiscaux.
Notre rapporteur a fait le choix d’une voie différente pour arriver au même résultat, en complétant l’article 706-58 du code de procédure pénale, afin d’étendre aux infractions commises sur un sapeur-pompier le dispositif qui existe déjà pour les procédures portant sur un crime ou sur un délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement, à savoir la possibilité, en cas de besoin, d’autoriser les témoins à s’exprimer sans que leur identité apparaisse dans le dossier de la procédure.
Ce choix a le mérite de l’élégance rédactionnelle, de la simplicité et de la sécurité juridique. Certes, le résultat n’est peut-être pas identique à ce qu’instaurait la proposition de loi dans sa rédaction initiale, mais c’est mieux que rien.
Néanmoins, si j’ai bien compris, ce n’est pas la position du Gouvernement, qui critique l’orientation de la commission des lois et du Sénat sans rien proposer.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Eh oui, c’est vrai !
M. Pierre-Yves Collombat. En ce qui le concerne, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste n’est pas dans cette attitude ; il pense qu’il y a quelque chose à faire, autre que l’élaboration de simples circulaires. C’est pour cela qu’il se ralliera à ce texte, d’autant que, si j’ai bien compris, l’auteur de celui-ci est d’accord.
M. Loïc Hervé, rapporteur. Absolument !
M. Pierre-Yves Collombat. Nous voterons donc unanimement pour la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain, du groupe Les Républicains et au banc des commissions.)
M. Loïc Hervé, rapporteur. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Patrick Kanner. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en tant qu’ancien président du plus gros SDIS de France lorsque je présidais le conseil général du Nord, j’ai tenu, avec le groupe socialiste et républicain, à mettre à l’ordre du jour du Sénat la question de la sécurité des sapeurs-pompiers de notre pays.
Je souhaite d’ailleurs saluer au passage l’importante délégation de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, présente dans notre tribune, ainsi que le président de cette fédération, Grégory Allione ; elle mérite notre attention. (Applaudissements.)
Au travers tant de l’exercice de la fonction susvisée que de mes échanges réguliers avec les instances représentatives des sapeurs-pompiers, j’ai perçu le lent délitement des conditions d’intervention de ces derniers, qu’ils soient territoriaux ou nationaux, selon leur statut.
Combattre le feu, mission traditionnelle des sapeurs-pompiers, représente aujourd’hui moins de 10 % de leurs sorties. La plupart d’entre elles, aux alentours de 84 %, sont concentrées sur le secours aux personnes. Ainsi, les sapeurs-pompiers sont en première ligne pour intervenir face aux multiples fractures sociales de notre société.
Autrefois limitées géographiquement, les agressions contre eux ont tendance à se répandre et à se manifester sous différentes formes ; M. le secrétaire d’État Nunez a raison de dire que ce n’est pas l’apanage des quartiers prioritaires de la politique de la ville, l’ancien ministre de la ville que je suis sait de quoi il parle… L’actualité grenobloise nous montre malheureusement encore les agressions que subit le corps des sapeurs-pompiers.
Les guets-apens constituent le type d’attaque le plus médiatisé, mais les sapeurs-pompiers doivent de plus en plus faire face, alors qu’ils ne s’y attendent pas, à des explosions de violences individualisées, provoquées par des personnes fragiles psychologiquement, alcoolisées ou sous l’emprise de stupéfiant. Le plus souvent, les agresseurs sont les personnes secourues ou leur entourage.
On a constaté trois fois plus d’agressions en dix ans ; le nombre d’agressions déclarées par les sapeurs-pompiers en intervention a grimpé de 23 % en 2017, après une croissance de 17,6 % en 2016, selon les derniers chiffres publiés par l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales du ministère de l’intérieur.
La rédaction initiale de la proposition de loi partait de ce constat pour arriver à une réponse concrète. Environ un tiers de ces agressions ne donnent pas lieu à dépôt de plainte ; les raisons de cette sous-déclaration se trouvent en partie dans le risque de représailles à l’égard des personnes mises en cause. Les sapeurs-pompiers demandent de longue date que soit ouverte la possibilité pour l’administration de faire écran entre l’auteur des faits et son agent ; cela permettrait ainsi que l’identité de l’agent n’apparaisse pas en tant que telle.
Conscients que ce texte soulève des questions juridiques importantes et complexes, portant sur des principes constitutionnels et des garanties fondamentales du droit de la défense, qui pourraient s’affronter ou paraître contradictoires, mes collègues du groupe socialiste et républicain et moi-même avons cherché à encadrer fortement le dispositif dans sa rédaction initiale.
Malgré ces garanties, j’ai entendu les réserves exprimées par le ministère de l’intérieur et celui de la justice, et nous avons légitimement pu craindre que ces interrogations n’empêchent cette proposition de loi de prospérer au cours de la navette parlementaire, ce que nous ne souhaitions pas.
Dans ce contexte, votre proposition, monsieur le rapporteur, cher Loïc Hervé, de remplacer le dispositif qui vous était soumis par une extension du régime de protection des témoins, en offrant la possibilité à un témoin de garder l’anonymat pour toute infraction dès lors qu’elle serait commise sur un sapeur-pompier, est louable, juste, pragmatique. Si elle ne répond pas directement à l’objectif initial de protection des sapeurs-pompiers et de leur famille, elle permet de poser un premier jalon vers une meilleure prise en compte des risques encourus par les sapeurs-pompiers dans l’exercice de leurs missions.
Le vote unanime de la commission est un très bon signal envoyé à nos protecteurs.
Je regrette néanmoins, monsieur le secrétaire d’État, que le Gouvernement ne se soit pas joint à cette belle unanimité. Nous avons fait un pas vers vous, mais il y a eu peu de pas de vous vers nous. Si vous avez raison de préciser, comme à l’instant, que de nombreux outils existent et que la réponse judiciaire à ces actes est ferme, vous ne pouvez nier que le changement d’échelle évoqué précédemment doit nous amener à adapter les dispositifs. Je crains donc que cet immobilisme ne satisfasse personne…
Le Sénat, lui, dans sa sagesse, ne souhaite pas rester immobile. Je me félicite par conséquent que sa commission des lois ait accepté de créer une mission d’information relative à la sécurité des sapeurs-pompiers. Après l’expérimentation, pour une durée de trois ans, de l’utilisation, par les sapeurs-pompiers, de caméras individuelles, la Haute Assemblée est une nouvelle fois en pointe sur ces questions. Cette mission d’information permettra de se pencher sérieusement sur l’ensemble des thématiques que je viens d’aborder et de trouver des solutions, tant législatives que réglementaires, aux problématiques nouvelles qui se posent.
En conclusion, je me tourne une nouvelle fois vers vous, monsieur le secrétaire d’État, pour vous inviter à travailler de plus en plus étroitement avec le Sénat, dans le cadre de cette mission d’information. Ensemble, je l’espère, nous saurons trouver des solutions qui permettront d’assurer une meilleure protection à nos protecteurs. La première étape est bien entendu un vote positif du groupe socialiste et républicain en faveur de cette proposition de loi amendée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Delattre.
Mme Nathalie Delattre. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, troisième force nationale chargée de la sécurité des Français, les sapeurs-pompiers éprouvent des difficultés que nous pensions tout simplement inconcevables.
Alors qu’ils ont contracté un engagement, celui de sauver, au péril de leur vie, et non de réprimer – contrairement à d’autres forces –, ils font face à une augmentation des agressions à leur encontre, ce qui crée dans leurs rangs un fort sentiment de désarroi. À cet égard, à leur égard, nous sommes dans l’obligation de ne pas décevoir leurs attentes hautement légitimes de renforcement de leur sécurité. Il est urgent que la Haute Assemblée, chambre des territoires, chambre de la proximité, élabore les solutions législatives adéquates pour enrayer efficacement ce phénomène. Nous devons aussi approfondir cette réflexion, car tout ne relève pas du niveau législatif, mais une réponse publique, globale, coordonnée et efficiente doit être apportée rapidement.
Je remercie l’auteur et le rapporteur de ce texte des solutions qui ont pu être élaborées par la commission des lois du Sénat, dans le cadre de la procédure de législation en commission, le 21 février dernier, afin de répondre à cette insécurité inacceptable.
Le compromis qui en résulte ne permettra pas de répondre à l’ensemble des préoccupations sécuritaires des sapeurs-pompiers, mais il pose néanmoins, de manière pragmatique, un premier jalon visant à faciliter les poursuites pénales en cas d’agression de sapeurs-pompiers.
Les chiffres communiqués par la dernière étude de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales sont alarmants. Le nombre d’agressions à l’encontre de nos sapeurs-pompiers explose véritablement, avec une hausse de 213 % depuis une dizaine d’années. (M. Charles Revet approuve.)
En région Nouvelle-Aquitaine, l’année 2017 a été celle d’un triste bilan, comptabilisant le plus grand nombre d’agressions déclarées. L’État s’est immédiatement mobilisé autour d’un état-major de sécurité spécialement consacré aux agressions contre les sapeurs-pompiers en mission, afin de mieux prévenir celles-ci et de favoriser le dépôt de plaintes. Le département de la Gironde a également mis en place un groupe de travail aux fins de mieux sécuriser les interventions des sapeurs-pompiers.
Je tiens d’ailleurs à saluer ce travail exemplaire de l’ensemble des acteurs à l’échelon local qui a permis d’établir un protocole départemental dès juillet 2015 visant une meilleure coordination entre les forces de l’ordre et les pompiers, puis l’inclusion, dès janvier 2018, du parquet dans la démarche.
Si cette proposition de loi constitue une modeste pierre apportée au renforcement de la sécurité des sapeurs-pompiers, il faut néanmoins souligner qu’elle va dans le bon sens, en rendant possible l’anonymat des témoins d’agression de pompiers, en facilitant les témoignages et donc les poursuites judiciaires. Évidemment, pour qu’il soit suffisamment dissuasif, ce dispositif doit être corrélé à un faisceau d’autres mesures, raison pour laquelle j’appelle de mes vœux la création d’une mission d’information sur le sujet au sein de la commission des lois du Sénat. Les sapeurs-pompiers doivent savoir que la Haute Assemblée prend en considération leur situation, qui se dégrade.
Du point de vue structurel, déjà bien identifié dans le rapport de nos collègues Pierre-Yves Collombat et Catherine Troendlé, la coordination entre le SDIS, le SAMU et les forces de police ou de gendarmerie à l’échelle des territoires doit être renforcée. Par ailleurs, en matière de secours à la personne, les pompiers interviennent en théorie seulement en appui ou par défaut ; or ce n’est plus ce qui se passe en réalité. En 1998, les missions de secours d’urgence aux personnes représentaient 54 % des interventions des sapeurs-pompiers ; elles constituent aujourd’hui 84 % de ces interventions. Il est donc nécessaire que l’on redéfinisse les responsabilités et le financement, tant des moyens matériels que de la formation, des sapeurs-pompiers.
Le groupe du RDSE souhaite témoigner aux sapeurs-pompiers toute sa gratitude pour leur engagement et leur bravoure dans leurs missions quotidiennes. Déterminé à sécuriser les conditions de leurs interventions et à lutter contre les agressions commises à leur encontre, il soutiendra pleinement la présente proposition de loi et la création d’une mission d’information pour étudier les conditions d’exercice des missions de nos sapeurs-pompiers. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Marc.
M. Alain Marc. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, qu’on les appelle « pompiers », « soldats du feu » ou « sapeurs-pompiers », qu’ils soient bénévoles ou professionnels, ces femmes et ces hommes sont au service des populations, pour leur venir en aide dans des situations très diverses – incendie domestique, accident de la route, secours d’urgence aux personnes. Oui, les sapeurs-pompiers ont fait le choix de se mettre au service des citoyens, parfois au péril de leur propre vie.
C’est pourquoi l’agression, physique ou verbale, de sapeurs-pompiers constitue un acte inacceptable. Or de tels faits ne cessent de se multiplier ; les médias nous rapportent régulièrement que nos pompiers sont agressés, « caillassés » et quelquefois pris à partie par des personnes violentes. Ces agressions ont augmenté de 213 % au cours des dix dernières années. L’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales indique en outre que ces chiffres ne constituent qu’une tendance et peuvent sous-évaluer le phénomène, car ils sont fondés sur les déclarations non obligatoires des sapeurs-pompiers concernés.
Aussi, il paraît utile d’inciter les sapeurs-pompiers et les services départementaux d’incendie et de secours à porter systématiquement plainte. Afin de créer les conditions adéquates pour qu’ils puissent le faire, il semble également important de protéger ces personnes, ainsi que leur famille.
S’inspirant du droit en vigueur qui s’applique aux agents de la police et de la gendarmerie nationales, des douanes et des services fiscaux, la proposition de loi prévoyait qu’un sapeur-pompier qui dépose plainte serait autorisé à être identifié, dans tous les actes de procédure des instances civiles ou pénales engagés ou nécessaires à la défense de ses droits, non pas par ses nom et prénom, mais par un numéro d’immatriculation administrative. Il est ressorti des travaux en commission que ce dispositif portait toutefois une atteinte importante aux droits de la défense.
À ce sujet, monsieur le secrétaire d’État, nous souhaitons savoir où en est le décret sur les caméras-piétons que le Gouvernement devrait publier bientôt.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Oui, bonne question !
M. Alain Marc. Je vous demande cela pour mon collègue Decool, qui est à l’origine de la proposition de loi relative à ce sujet, texte que vous aviez soutenu, mais dont le Gouvernement, en ne prenant pas les décrets, empêche, hélas, la mise en application.
En accord avec l’auteur de la présente proposition de loi et sur l’initiative du rapporteur, la commission a substitué à ce mécanisme un nouveau dispositif facilitant l’anonymat, non plus des victimes, mais des témoins d’agressions de sapeurs-pompiers. Cet anonymat est actuellement prévu par le code de procédure pénale pour les témoins de crimes ou de délits punis de plus de trois ans de prison. La modification apportée en commission permettra le recours à cette procédure pour toute infraction, dès lors qu’elle est commise sur un sapeur-pompier.
Par ailleurs, afin d’être en mesure d’examiner l’ensemble des moyens permettant d’apporter une réponse la plus efficace et la plus complète possible à l’insécurité grandissante des sapeurs-pompiers, la commission a souhaité que soit créée une mission d’information.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en tant qu’élus de la République, nous avons un devoir envers les sapeurs-pompiers qui font vivre au quotidien les mots « mobilisation », « engagement », « courage », « dévouement ». Ayons à l’esprit qu’ils effectuent une intervention toutes les sept secondes en moyenne ! Ne pas prendre en compte leur situation, qui ne cesse de se dégrader, ne serait pas à la hauteur de nos responsabilités.
L’ensemble du groupe Les Indépendants – République et Territoires s’associe donc pleinement et sans réserve à une telle évolution législative, et votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe socialiste et républicain et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Troendlé. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Troendlé. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes très chers collègues, cette proposition de loi fait écho aux violences grandissantes et inacceptables qu’ont eu à subir les sapeurs-pompiers au cours des dernières années. Les violences multifactorielles et multiformes deviennent de plus en plus fréquentes et fortes, se déclinant au quotidien. Oui, il faut trouver des moyens efficaces pour lutter contre ce fléau.
Le contexte est particulièrement préoccupant, puisque les agressions de sapeurs-pompiers ont triplé en dix ans, avec une augmentation record de 23 % entre 2016 et 2017, d’après les chiffres de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales. En outre, il faut se rendre à l’évidence, un tiers des agressions dont sont victimes les sapeurs-pompiers ne donnent pas lieu à dépôt de plainte, par crainte, sans doute, de représailles pour eux et leurs familles.
Je salue le travail du rapporteur, M. Loïc Hervé, et de la commission des lois, qui ont su modifier le texte initial de M. Patrick Kanner – je le remercie de cette initiative –, pour répondre aux difficultés constitutionnelles et conventionnelles qu’il entraînait et le transformer en un texte répondant, en partie, aux difficultés du terrain.
Faciliter l’anonymat des témoins d’agressions de sapeurs-pompiers est un premier pas. Le deuxième a été l’annonce, par le président de la commission des lois, le jeudi 21 février dernier, de la création d’une mission d’information visant à « examiner l’ensemble des moyens permettant d’apporter une réponse complète et efficace à l’insécurité inacceptable dans laquelle se trouvent les femmes et les hommes qui se dévouent quotidiennement au profit de nos concitoyens ».
M. Charles Revet. C’est important !
Mme Catherine Troendlé. En attendant, des initiatives pleines de bon sens, fondées sur des propositions faites dès 2018 par la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France – j’en profite pour saluer également les représentants de cette fédération, dont le président Allione, présents en tribune –, se mettent en place sur le terrain, pour répondre aux risques d’agressions.
Je souhaite ainsi vous présenter, mes chers collègues, à titre d’exemples, deux mesures opérationnelles mises en œuvre dans le Morbihan.
La première porte sur l’expérimentation du port de caméras mobiles, en application de la proposition de loi, promulguée le 3 août dernier, de notre collègue le sénateur Jean-Pierre Decool, relative à l’harmonisation des caméras mobiles par les autorités de sécurité publique. Il s’agira non seulement d’un élément préventif, mais encore d’une source de preuves, en cas de besoin. Ces caméras ne seront déclenchées qu’en cas de difficultés, et après annonce.
Seconde mesure, le SDIS du Morbihan prévoit la mise en place, pour ses agents, d’une formation spécifique destinée à apprendre comment réagir, en cas de comportement agressif, pour éviter l’escalade. De plus, les sapeurs-pompiers apprennent les gestes pour maîtriser une personne menaçante, en cas de besoin.
Par ailleurs, je suis convaincue que l’interopérabilité et une relation de confiance totale établie entre les sapeurs-pompiers, les gendarmeries et les commissariats peuvent constituer une réponse préventive à un déplacement dans le cadre d’une mission qui s’avérerait dangereuse.
En outre, monsieur le secrétaire d’État, ne pensez-vous pas que nous devrions reparler des centres départementaux d’appel d’urgence communs ?
MM. Pierre-Yves Collombat et Philippe Bas, président de la commission des lois. Oui !
Mme Catherine Troendlé. Toutes ces mesures, qui s’appliquent de façon inégale sur notre territoire, méritent une analyse fine, que les travaux de la mission d’information annoncée par M. Philippe Bas mettront en évidence.
Par conséquent, le groupe Les Républicains votera pour cette proposition de loi réécrite, afin d’envoyer un signal fort en direction des sapeurs-pompiers et de leur dire : « Nous ne vous oublierons pas ! » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, sur des travées du groupe socialiste et républicain, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. Loïc Hervé, rapporteur. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cigolotti.
M. Olivier Cigolotti. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, au-delà de la mission traditionnelle qui consiste à combattre le feu, nos sapeurs-pompiers effectuent essentiellement, pour plus de 80 % de leurs interventions, des missions de secours d’urgence aux personnes faisant d’eux des acteurs de premier plan face aux fractures sanitaires et sociales.
Alors que la difficulté de leurs missions n’est plus à démontrer, ces femmes et ces hommes subissent de plus en plus d’incivilités et d’agressions, qui les exposent à une insécurité clairement inacceptable.
Pourtant, qu’ils soient volontaires ou professionnels, leur courage et leur dévouement sont exemplaires, et ils n’ont pas choisi de s’engager au service de nos concitoyens pour être pris pour cibles, menacés ou agressés lors d’interventions.
En effet, les guets-apens, les violences de la part de personnes instables psychologiquement, sous l’emprise de stupéfiants, ou encore alcoolisées, et potentiellement dangereuses, se multiplient, tant dans les quartiers sensibles que dans les zones rurales. Le nombre d’agressions sur les sapeurs-pompiers a considérablement augmenté au cours des dix dernières années, cela a été indiqué, avec 1 914 agressions supplémentaires en 2017 par rapport à 2008, soit une hausse de plus de 200 %.
Je tiens donc à remercier mon collègue Patrick Kanner et le groupe socialiste et républicain de porter à notre attention cette proposition de loi visant à renforcer la sécurité des sapeurs-pompiers. Son examen nous permet d’insister, une fois encore, sur le besoin de réponses concrètes face à ce constat de violence croissante.
Pour répondre à ce fait, le dispositif initial du texte prévoyait de rendre possible le dépôt de plainte anonyme des sapeurs-pompiers victimes, afin de les prémunir de représailles éventuelles de leurs agresseurs. Cette procédure d’anonymisation n’existe actuellement ni dans le droit positif français ni dans aucune circonstance. De sérieux doutes sur la constitutionnalité et la conventionalité de cette mesure ont été largement confirmés lors des travaux et auditions menés par le rapporteur, notre excellent collègue Loïc Hervé, que je salue.
Force est de constater que le principe de l’anonymat porte atteinte aux droits de la défense. Il fait obstacle au respect du droit dont dispose l’accusé afin d’obtenir des détails concernant la nature et les causes des faits qui lui sont reprochés. De plus, l’accusé ne pourrait pas avancer d’arguments ou de motivations en lien avec le plaignant. Dans ces circonstances, le principe d’égalité des armes entre l’accusation et la défense serait alors mis à mal.
Nous le constatons, le texte initial n’est juridiquement pas tenable. Après un travail de qualité du rapporteur et de nos collègues de la commission des lois, une proposition de substitution a pu être formulée et adoptée, tendant au même objectif : faciliter le dépôt de plainte des sapeurs-pompiers agressés. L’anonymat concernera non les victimes, mais les témoins d’agressions de sapeurs-pompiers. Cette mesure, issue d’une procédure existante, assortie de toutes les garanties nécessaires, permettra ainsi de respecter les droits de la défense et de garantir le cadre d’un procès équitable.
Cette proposition de loi représente, pour le groupe Union Centriste, un premier pas en faveur de la sécurité de nos sapeurs-pompiers.
Pour compléter cette réponse efficacement, il nous faut évaluer les mesures existantes, les expérimentations, et réfléchir collégialement pour aller plus loin en ce sens. Je pense, par exemple, à la nécessité de réformer la gestion des appels d’urgence. L’option consistant à faire du 112 l’unique numéro d’urgence, en s’appuyant sur les synergies de proximité et les expériences départementales réussies, serait une avancée majeure pour mieux piloter la mission de secours d’urgence aux personnes.
M. Loïc Hervé, rapporteur. Comme en Haute-Savoie !
M. Olivier Cigolotti. Oui, comme en Haute-Savoie, monsieur le rapporteur.
En effet, si l’alerte est bien gérée, les sapeurs-pompiers savent à quel type d’intervention ils auront affaire, et peuvent s’y préparer. S’ils ont, dès le départ, connaissance d’une intervention auprès d’une personne déséquilibrée, ils pourront être accompagnés par les forces de police ou de gendarmerie et éventuellement par un médecin.
C’est pourquoi, pour clore mon propos, je souhaite saluer vivement l’initiative de la commission des lois, à la suite de la proposition de son président, visant à créer une mission d’information, qui permettra, je l’espère, d’élaborer des propositions fortes et globales attendues notamment par la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France.
Vous l’avez compris, mes chers collègues, le groupe Union Centriste votera unanimement pour le texte issu de la législation en commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite juste apporter quelques éléments de réponse aux orateurs qui m’ont interpellé.
Monsieur Collombat, vous aurez compris, j’espère, de mon intervention que nous ne sommes pas dans l’immobilisme. Ce n’est pas parce que le Gouvernement est contre cette proposition de loi, pour des raisons que j’ai étayées, qu’il ne propose rien. (M. Pierre-Yves Collombat proteste.) J’ai rappelé le dispositif opérationnel que nous mettons en place, la sensibilisation des parquets, les peines de prison ferme, et les peines de prison aggravées, qui vont toutes au-delà de trois ans et qui permettront donc aux témoins de témoigner sous X. Tout cela n’est pas rien.
En outre, nous sensibilisons régulièrement les préfets – nous leur demandons un suivi précis, des comptes – au dispositif de coopération opérationnelle au moment des interventions, et le président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, Grégory Allione, qui est présent et que je salue, le sait bien. Nous travaillons donc efficacement, et je ne peux pas laisser dire que, parce que le Gouvernement a émis un avis défavorable sur cette proposition de loi, il serait immobile. Ce n’est pas le cas.
Plusieurs questions très précises ont été posées sur les caméras-piétons. Monsieur Decool, vous m’aviez déjà questionné sur ce dispositif pour les polices municipales ; je pense que vous avez reçu l’appel téléphonique que j’avais ordonné pour vous indiquer que le décret en question est à la signature.
Pour ce qui concerne les sapeurs-pompiers, le texte va être examiné par la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, et par le Conseil d’État. L’objectif est de commencer les expérimentations que le rapporteur et Mme Troendlé ont évoquées au troisième trimestre 2019 dans une dizaine de départements qui ont été listés, mais que je ne vous citerai pas ici. Ce décret sera d’ailleurs un décret d’expérimentation, comme pour les polices municipales.
Vous avez raison, les uns et les autres, de souligner l’importance de ce dispositif destiné à faire baisser les tensions, comme dans la police nationale ; il n’a pas vocation à être utilisé systématiquement, mais il sécurisera nos sapeurs-pompiers.
Je veux aussi rappeler que, dans de nombreux départements, des actions importantes sont menées pour favoriser l’inclusion parmi les volontaires d’un certain nombre de personnes qui proviennent de secteurs sensibles et qui peuvent, le cas échéant, faciliter l’intervention des sapeurs-pompiers dans ces territoires. J’ai ainsi en tête un dispositif, que j’ai bien connu, mis en place par les marins-pompiers de Marseille, qui accueillent un certain nombre de jeunes des quartiers, sous la forme des cadets. Ces jeunes sont ensuite les meilleurs ambassadeurs des marins-pompiers, quand il s’agit d’intervenir dans des zones difficiles.
Enfin, madame la sénatrice Troendlé, en ce qui concerne les centres d’appel communs, je vous confirme que nous y travaillons. Vous le savez, c’est compliqué, mais c’est un objectif fort de ce gouvernement ; nous y parviendrons, je puis vous l’assurer.
M. Loïc Hervé, rapporteur. C’est une bonne chose !
Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à dix-neuf heures trente-cinq.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
7
Lutte contre toutes les violences éducatives ordinaires
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe socialiste et républicain, la discussion de la proposition de loi visant à lutter contre toutes les violences éducatives ordinaires, présentée par Mme Laurence Rossignol et les membres du groupe socialiste et républicain (proposition n° 261, texte de la commission n° 344, rapport n° 343).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Laurence Rossignol, auteure de la proposition de loi.
Mme Laurence Rossignol, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, je veux commencer mon propos par des remerciements.
Tout d’abord, merci à mon groupe, le groupe socialiste et républicain, d’avoir inscrit cette proposition de loi à l’ordre du jour.
Merci à ma collègue Marie-Pierre de la Gontrie, qui a été très active pour bâtir un consensus au sein de la commission des lois.
Merci également à la commission et à son président pour l’adoption de cette proposition de loi.
Merci aux associations, présentes dans nos tribunes ce soir, qui œuvrent infatigablement depuis des années, avec beaucoup de force de conviction, parfois malgré des vents un peu contraires, pour voir ce texte adopté.
Je veux enfin saluer Edwige Antier, qui avait déposé, voilà quelques années, lorsqu’elle était députée, une proposition de loi identique. J’espère qu’elle sera heureuse de voir que son travail a été poursuivi et qu’il va probablement enfin aboutir.
Je veux partager avec vous le chemin qui m’a conduite à déposer cette proposition de loi visant à lutter contre les violences éducatives ordinaires, termes qui constituent d’ailleurs un oxymore, une violence ne pouvant en aucun cas être éducative.
Quand j’ai commencé à m’intéresser précisément aux politiques publiques en faveur de l’enfance, j’ai constaté que notre définition et le champ étaient relativement restreints. Quand on compare politique de l’enfance, politique de la jeunesse et politique du vieillissement, qui sont trois politiques des âges, on voit bien que la politique de l’enfance n’a pas été historiquement investie de la même ambition que les deux autres.
La politique de l’enfance comporte traditionnellement deux volets : les modes d’accueil des moins de trois ans, ce qui constitue aussi un chapitre de la politique familiale, et la protection de l’enfance, qui ne concerne que l’enfance en danger, que ce soit en termes de prévention ou d’accompagnement.
Nulle part on ne trouve dans la politique de l’enfance ce qui fait, par exemple, la substance de la politique de la jeunesse, cette volonté de faire des jeunes de futurs citoyens responsables et épanouis. La politique de la jeunesse intègre accès et pratique du sport et de la culture et appréhende l’individu en construction dans toutes ses dimensions.
J’ai observé aussi que la politique du vieillissement avait évolué. Elle est passée, par exemple, de la prévention et de la lutte contre la maltraitance des personnes âgées vers la promotion de la bientraitance, laquelle ne se définit pas exclusivement comme l’absence de maltraitance…
J’ai donc abordé dans cet esprit la question des violences ordinaires exercées par les parents sur leurs enfants au nom de la liberté éducative.
Faire grandir de futurs citoyens, conforter l’estime de soi et la confiance en l’autre, permettre aux enfants de se construire dans une sécurité affective qui fera d’eux, plus tard, des individus épanouis, de développer toutes leurs capacités, tel est pour moi l’objet de la politique de l’enfance.
Et dans ma compréhension de cette politique, il n’y a pas de place pour les coups, quels qu’ils soient, non plus que pour les humiliations ou, plus largement, pour tout ce qui vise à faire mal, pour tout ce qui vise à infliger de la douleur ou à porter atteinte à l’intégrité corporelle de l’enfant et à son estime de lui-même.
On ne peut lutter contre la violence dans une société tout en la tolérant au sein de la famille. Notre assemblée examine régulièrement des propositions de loi tendant à réduire et à combattre la violence dans la société – voilà quelques instants, lors de l’examen de la proposition de loi relative au renforcement de la sécurité des sapeurs-pompiers, plusieurs de nos collègues ont évoqué les violences commises à l’encontre des représentants de la sécurité civile. Nous aurons à étudier d’autres textes visant à prévenir et à réprimer les violences dans la sphère publique. Dès lors, comment pourrions-nous nous accommoder de l’idée de tolérer la violence dans la famille et d’être efficaces pour la combattre dans la société ?
On ne peut davantage éradiquer les violences faites aux femmes si on légitime les violences intrafamiliales.
Quand on observe les mécanismes, les continuums, des violences exercées à l’encontre des femmes par leur conjoint ou leur ex-conjoint, qui conduisent parfois – trop souvent – jusqu’à la mort des victimes, on constate souvent deux types de réitération de comportement : la réitération des violences par l’auteur, dont on s’aperçoit qu’il a souvent lui-même été victime de violences étant enfant, et la réitération de l’acceptation de la violence par les victimes, parce que, enfants, elles ont été habituées à voir la violence s’exercer dans leur famille comme un mode de régulation normale.
On ne peut davantage accréditer l’idée que, lorsque l’on n’arrive pas à obtenir quelque chose de quelqu’un, quand on n’arrive pas obtenir qu’il se conforme à ce que l’on espère de lui, on obtiendrait davantage en lui tapant dessus.
Je pense que le président Bas, qui a été un précurseur, en termes législatifs, dans le domaine de la prévention et de la protection de l’enfance avec la loi de 2007, va comprendre mon propos : quand on veut passer un message aux familles pour prévenir les maltraitances à l’encontre des enfants, on ne sait pas dire où se situe la limite entre violence tolérable et maltraitance.
Lorsque l’on conduit une politique de prévention, une campagne d’information, personne ne peut dire : « Vous pouvez taper jusqu’à tel point, cela fait partie de la liberté éducative et du droit de correction, mais attention, au-delà de cette limite, ça devient de la maltraitance et les services sociaux pourront intervenir. »
Or cette proposition de loi va aussi constituer un appui. Elle va permettre d’améliorer l’efficacité des politiques de prévention de la maltraitance exercée à l’encontre des enfants avec un message simple : on ne frappe pas les enfants.
Ce texte vise en effet à inscrire dans le code civil une phrase indiquant que l’autorité parentale s’exerce sans violence.
Permettez-moi d’ajouter que proscrire les punitions corporelles, les humiliations, les injures à l’égard des enfants, ce n’est pas désarmer les parents dans l’exercice de leur fonction parentale et éducative. Ce n’est pas non plus faire la promotion du laxisme éducatif : pour se construire, un enfant a besoin d’un cadre et de limites. Et ces limites peuvent et doivent être fixées avec détermination et fermeté par les adultes qui en ont la responsabilité.
Il n’est pas rare de voir des enfants ne se heurtant à aucune limite éducative dans leur famille faire régulièrement l’objet de punitions corporelles. L’exercice de l’autorité parentale n’a pas besoin du droit de correction.
Si cette proposition de loi devait être adoptée dans sa rédaction issue des travaux de la commission, c’est-à-dire dans des termes identiques à celle d’une autre proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, nous serions dans une situation quelque peu inédite : deux textes similaires adoptés par les deux assemblées. Or la procédure parlementaire ne permet pas de réunir ces deux textes en un seul ; nous ne sommes pas dans le cadre d’une navette.
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez donc une chance formidable : alors que vous prenez vos fonctions, nous avons déjà totalement défriché le terrain pour vous. Les deux assemblées auront fait le travail en adoptant ces deux propositions de loi !
Il vous revient maintenant d’inscrire ces dispositions dans un projet de loi spécifique ou de trouver un véhicule législatif adapté qui nous permette de développer cette nouvelle définition de l’autorité parentale, laquelle constitue avant tout un message à l’égard des parents, des familles et des enfants. Monsieur le secrétaire d’État, voilà ce que nous attendons de vous ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain – Mme Michèle Vullien applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, et que vient de nous présenter Laurence Rossignol, répond à une attente et à une évolution nécessaire de la société.
Elle s’inscrit dans le prolongement des deux lois de référence en matière de protection de l’enfance : la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance, défendue par notre collègue Philippe Bas, alors ministre de la famille, et la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant, proposée par nos collègues Michelle Meunier et Muguette Dini et soutenue par notre collègue Laurence Rossignol, alors secrétaire d’État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.
Il est proposé, comme vient de le souligner Laurence Rossignol, de compléter les dispositions de l’article 371-1 du code civil qui définit l’autorité parentale par les mots : « L’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques. »
Cette proposition de loi a donc pour objet de lutter contre les violences éducatives ordinaires, ce double oxymore, en affirmant la non-violence comme principe d’éducation. Nous en convenons tous, la violence sur les enfants ne constitue pas un mode d’éducation.
Pourtant, 85 % des parents admettent y avoir eu recours dans le cadre de l’éducation de leur enfant et, pour plus de 50 % d’entre eux, avant que celui-ci n’atteigne l’âge de deux ans. Ces chiffres montrent combien cette pratique est encore largement répandue dans notre pays.
Or, même si l’on peut noter une évolution progressive des mentalités, un tel niveau d’usage de formes de violences éducatives ordinaires, termes qui désignent à la fois les coups, les gifles, les humiliations ou les insultes, témoigne de mentalités profondément ancrées dans notre réalité collective. Les violences éducatives sont encore communément admises, parfois justifiées, voire, plus rarement, encouragées. Nous ne devons pas minimiser ce fait.
En effet, les résultats des derniers travaux scientifiques démontrent les conséquences de ces gestes, de ces cris, de ces brimades du quotidien sur le développement des enfants.
Il a aussi été mis en évidence que la violence, de ce fait, était souvent intériorisée, admise comme un mode normal de relation et de résolution des conflits. Cela conduit à banaliser le recours à la violence, dont les conséquences peuvent s’avérer sérieuses, et à installer les ressorts des violences, notamment conjugales.
Ces violences subies conduiraient à des comportements antisociaux, parfois à des addictions ou à des troubles anxio-dépressifs.
Plus récemment, la recherche en neurobiologie a montré que l’exposition des enfants à ce stress a également des effets nuisibles sur leur développement cérébral et sur leurs capacités d’apprentissage, au-delà des désordres psychologiques que je viens d’évoquer.
Depuis près de quarante ans, un grand nombre de pays a légiféré sur le sujet. Nous pensons que le moment est venu pour la France de rejoindre cette démarche.
La Suède est à l’avant-garde de ce mouvement. Les violences éducatives y sont interdites depuis 1979, ce qui permet d’avoir du recul. On a pu observer une forte diminution du nombre de demandes de placement en foyer. Dans d’autres pays, comme en Allemagne, on a également constaté une baisse de la violence des jeunes à l’école.
En commission, ce matin, notre collègue Marc-Philippe Daubresse nous expliquait comment, dans sa ville, il avait mis en place voilà longtemps des dispositifs de soutien à la parentalité qui avaient vocation à éviter le recours à la violence et dont il avait constaté les effets positifs.
Dans notre pays, le Défenseur des droits et la Défenseure des enfants réclament depuis plusieurs années l’interdiction des violences éducatives contraires au droit de chacun, a fortiori de ceux qui sont le plus vulnérables, et au respect de l’intégrité physique et psychique.
Les conséquences sur la santé et l’équilibre psychique et social étant avérées, le droit doit protéger les enfants. Or quel est aujourd’hui l’état du droit ?
Contrairement à ce que l’on affirme souvent, notre droit n’interdit pas les violences éducatives ordinaires à l’encontre des enfants. Certes, le code pénal sanctionne les auteurs de violences commises sur des mineurs de quinze ans par trois ans d’emprisonnement et cinq ans lorsque ces violences sont commises par un ascendant, donc un parent.
Toutefois, la Cour de cassation admet ce qu’elle appelle un « droit de correction » lorsque les violences ont été proportionnées aux manquements commis, si elles n’ont pas eu de caractère humiliant et qu’elles n’ont pas causé de dommages à l’enfant. La jurisprudence crée ainsi un concept de violence « utile » et acceptable.
Se pose alors la question difficile de la limite entre ce qui est toléré et ce qui est condamnable, entre une punition et une parole humiliante. Comment apprécier la gravité de l’acte et ses effets ?
Cette proposition de loi ne vise pas à modifier le code pénal ni à créer une sanction pour les parents. Elle complète l’article 371-1 du code civil.
Nous ne prétendons pas que ce texte réglera à lui seul le problème ancien de la violence éducative. Cependant, inscrire dans la loi un principe qui constitue le cœur d’une éducation bienveillante permettra d’accompagner le changement social déjà à l’œuvre et de lui donner un fondement juridique.
Le code civil est le pilier de notre contrat social. On y trouve l’énoncé de plusieurs principes, comme celui du respect dû à son père et à sa mère. Compléter l’article sur l’autorité parentale permettra ainsi de faire évoluer la jurisprudence.
Rappelons enfin que l’article 371-1 du code civil est lu aux futurs époux lors de la cérémonie de mariage. Outre sa portée symbolique, ce texte a donc un effet pédagogique fort.
Au-delà des aspects relevant du droit français, la proposition de loi que nous examinons ce jour permettra également de rendre notre législation conforme à nos engagements internationaux.
La France est aujourd’hui en contravention avec la convention internationale des droits de l’enfant, qu’elle a pourtant ratifiée, et dont on fêtera cette année le trentième anniversaire.
Cette convention dispose que les États doivent prendre toutes les mesures législatives « pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales » lorsqu’il est sous la garde de ses parents.
Le Comité des droits de l’enfant des Nations unies a rappelé à plusieurs reprises à notre pays la nécessité de légiférer pour interdire formellement tout châtiment.
La France a aussi été condamnée par le Comité européen des droits sociaux pour « absence d’interdiction explicite et effective de tous les châtiments corporels envers les enfants ».
L’adoption de la présente proposition de loi permettrait donc de nous inscrire dans un large mouvement européen, alors que cinquante-quatre pays ont déjà intégré cette interdiction dans leur législation, dont vingt-trois pays de l’Union européenne sur vingt-huit. Cinq pays seulement, dont le nôtre, n’ont pas franchi le pas. Il convient aujourd’hui pour la France de remédier à cette situation.
Enfin, cette proposition de loi a pour ambition de permettre à la France de rejoindre le rang des pays pionniers en matière de protection de l’enfance et tend à poser un principe clair : pour grandir dans un environnement éducatif propice à leur développement, nos enfants, citoyens en devenir, ont droit à une éducation dénuée de violences et d’humiliations.
Nous n’ignorons pas que ce texte, en désignant une pratique encore répandue, peut faire l’objet d’incompréhensions. Il convient donc de les aborder.
Il ne s’agit pas de s’immiscer dans le quotidien des familles. Cette proposition de loi ne vise pas, bien évidemment, à dire aux parents comment ils doivent éduquer leurs enfants, mais a pour objet de faire changer les comportements et de protéger les personnes les plus fragiles.
Il n’est pas non plus question de culpabiliser les parents qui, se sentant démunis ou dépassés, ont recours à la violence, mais d’affirmer que l’usage de la violence ne règle pas le conflit, et n’est pas une preuve d’autorité.
Beaucoup considèrent également que ces violences ne poseraient pas problème, souvent d’ailleurs parce qu’ils les ont subies eux-mêmes. Nos habitudes culturelles, le poids de notre propre éducation sont les principaux freins d’une évolution pourtant nécessaire et souhaitée. Nous sommes donc là devant une forme de reproduction sociale de la violence face à laquelle nous pouvons, comme législateur, encourager un mouvement inverse de recul.
Il s’agit par conséquent de favoriser une prise de conscience, d’encourager ainsi la mise en œuvre de programmes de sensibilisation, en lien avec les conseils départementaux, les travailleurs sociaux et les professionnels de l’enseignement.
Il sera sans doute nécessaire d’accompagner ce texte, s’il est adopté, d’une politique de soutien à la parentalité qui permettra d’aider les parents à rechercher d’autres solutions éducatives. Les pouvoirs publics doivent être mobilisés en ce sens.
Tous ces éléments l’indiquent clairement : la modification de la législation est nécessaire. Une prise de position claire du législateur est donc indispensable.
Le dispositif initial proposait de compléter l’article 371-1 du code civil, afin d’exclure de la définition de l’autorité parentale « tout traitement cruel, dégradant ou humiliant, y compris tout recours aux punitions et châtiments corporels ». Cette formulation était à rapprocher de celle de la convention internationale des droits de l’enfant et des recommandations du Comité pour les droits de l’enfant des Nations unies.
La commission des lois a eu le souci de faciliter l’adoption de ce texte dans les deux chambres, comme le soulignait à l’instant Laurence Rossignol.
En effet, en novembre dernier, nos collègues députés ont adopté des dispositions similaires après de longs débats nourris qui ont abouti à une quasi-unanimité.
La commission des lois s’est par conséquent attachée à reprendre le même dispositif que celui qu’a adopté l’Assemblée nationale. Sa rédaction est plus sobre que la nôtre, mais s’accorde avec l’esprit et l’objectif du texte initial en posant clairement le principe d’une éducation sans violences.
Le texte qui vous est présenté aujourd’hui, mes chers collègues, a été adopté à l’unanimité par la commission. Je souhaite en remercier chacun de ses membres et, au premier rang, le président Bas.
Nous espérons qu’il suscitera auprès de la Haute Assemblée le même consensus pour faire avancer encore davantage la protection de l’enfance. La France y est prête, il est désormais temps d’agir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain – Mmes Josiane Costes, Maryse Carrère et Michèle Vullien applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Madame la présidente, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, comme nous le rappelle la Fondation pour l’enfance, « violenter son enfant, c’est le marquer pour longtemps ».
Pourtant, les chiffres illustrent une sombre réalité. Toujours selon la Fondation pour l’enfance, en 2013 – c’était hier –, 85 % des parents français avaient recours à des violences dites éducatives et plus de 50 % des parents commencent à frapper leur enfant avant l’âge de deux ans, persuadés par l’éducation qu’ils ont eux-mêmes reçue que cela leur a été utile et profitable.
Le Défenseur des droits le confirmait en 2015 : « en France, de nombreux parents continuent à considérer la fessée et la gifle comme des actes sans conséquence pour l’enfant et les perçoivent comme un moyen éducatif ».
Muriel Salmona nous apprend que 75 % des maltraitances auraient lieu dans un contexte de punitions éducatives corporelles, et ce malgré l’article 19 de la convention internationale des droits de l’enfant qui dispose que « les États parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales […] pendant qu’il est sous la garde de ses parents ou de l’un d’eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié » ; malgré l’article 17 de la Charte sociale européenne qui précise que les États membres « s’engagent à prendre […] toutes les mesures nécessaires et appropriées [pour] protéger les enfants et les adolescents contre la négligence, la violence ou l’exploitation » ; malgré le fait que nous, parents, apprenons à nos enfants à écouter, à ne pas crier, à ne pas frapper ; et malgré le fait, enfin, que lors de discussions animées, au cours desquelles nous pouvons connaître des désaccords ou avoir un moment de franche colère, il n’est pas acceptable qu’une personne adulte y réponde par une gifle.
Mesdames, messieurs les sénateurs, aujourd’hui encore, dans notre pays, il y a une absence d’interdiction formelle des violences éducatives en droit interne, où subsiste encore cette notion jurisprudentielle de « droit de correction ».
Cela a conduit le Comité européen des droits sociaux à constater, en 2015, pour la quatrième fois, la violation de l’article 17 de la Charte sociale européenne par la France. Notre pays reste l’un des cinq derniers de l’Union européenne à ne pas avoir intégré dans son droit cette interdiction.
Mais l’interdiction de toute forme de violence à l’égard des enfants va de pair – je vous rejoins sur ce point, madame la rapporteure – avec la mise en place d’un plus grand soutien à la parentalité par des actions de sensibilisation et de prévention.
L’expression de certaines violences au sein des familles est la manifestation de difficultés rencontrées par les parents dans l’éducation de leurs enfants. Il ne s’agit pas de justifier, bien évidemment, il ne s’agit pas non plus de culpabiliser ni d’adopter un comportement moralisateur : il s’agit tout simplement de faire comprendre aux parents qu’ils peuvent agir autrement. Dans certains cas, les parents ont aussi besoin d’être aidés et accompagnés. Trop peu ont le réflexe de se tourner vers un lieu d’accueil, d’écoute ou d’information des familles.
J’aimerais rappeler en cet instant la mise en place, par la ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn, de la stratégie nationale de soutien à la parentalité pour la période 2018-2022.
Oui, la parentalité constitue un des piliers majeurs de la stratégie de protection de l’enfance que nous déployons et dont j’ai désormais la charge.
Oui, le Gouvernement est pleinement engagé dans l’aide à la parentalité. Je vous rappelle que 130 millions d’euros seront engagés d’ici à 2022 à cette fin.
En accompagnant les parents, reconnus comme étant les premiers éducateurs de l’enfant, en les soutenant au quotidien, nous souhaitons ainsi désamorcer toute situation potentiellement conflictuelle et prévenir toute forme de violence.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, vous connaissez l’importance que nous attachons à cette cause et vous la partagez. Ni cette proposition de loi ni celle de la députée Maud Petit ne sont des textes de symbole ou d’affichage. Elles sont l’aboutissement d’un long combat, et je tiens à saluer à mon tour la docteur Edwige Antier pour son engagement depuis de longues années, les députés Maud Petit et François-Michel Lambert, dont le travail et la détermination ont permis, en novembre 2018, alors que j’étais encore député, le vote à la quasi-unanimité de la proposition de loi relative à l’interdiction des violences éducatives ordinaires.
Je souhaite également vous saluer, madame Rossignol, à la fois pour l’ensemble de votre œuvre passée et pour cette initiative, même si d’aucuns auraient pu préférer que vous repreniez le texte de Maud Petit puisque, au final, deux textes identiques, mais distincts, vont être adoptés.
Nous, députés, sénateurs, membres du Gouvernement ne devons avoir qu’une urgence, qu’un but, qu’une obsession : protéger nos enfants. C’est à l’aune de ces mesures que nous serons jugés par les générations futures.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, vous allez voter – je le pense, je l’espère – pour une proposition de loi visant à lutter contre toutes les violences éducatives ordinaires. Violences éducatives ? Violences ordinaires ? La combinaison de ces mots illustre d’elle-même la nécessité de les combattre, car aucune violence ne sera jamais éducative, aucune violence ne sera jamais ordinaire – c’est ce double oxymore que vous souligniez, madame la sénatrice et madame la rapporteure.
La convention internationale des droits des enfants ne peut, en 2019, célébrer ses trente ans sans l’adoption d’une proposition de loi contre ces violences éducatives ordinaires. Il est question aujourd’hui non pas d’en faire un débat moral, mais bien d’affirmer haut et fort notre attachement aux droits fondamentaux de nos enfants.
Voilà quelques décennies, on considérait aussi la violence faite aux femmes comme une affaire privée. Nous en payons toujours les conséquences à l’heure actuelle. La violence, qu’elle s’exerce contre un adulte ou un enfant, n’est jamais une réponse.
En tant que secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé chargé de la protection de l’enfance, j’espère que cette proposition de loi recevra un accueil favorable par votre assemblée. Par conséquent, je me réjouis par avance de l’accueil favorable que vous réserverez à la proposition de loi de Maud Petit, qui viendra prochainement en discussion devant vous, afin qu’elle puisse être appliquée dans les meilleurs délais, pour le bien de nos enfants, mais aussi, en réalité, de notre société tout entière. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, compte tenu du nombre d’amendements déposés sur ce texte, nous avons la possibilité d’achever l’examen de celui-ci en prolongeant notre séance au-delà de vingt heures sans avoir à suspendre nos travaux.
Il n’y a pas d’opposition ?….
Il en est ainsi décidé.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, humiliations, violences et punitions infligées aux enfants ont longtemps constitué un mode d’éducation commun et populaire, une des composantes de l’autorité parentale. Toléré et appliqué tant dans les cercles familiaux que dans les lieux de scolarité, le droit de correction a pour fondement coutumier l’acceptation des violences physiques et psychologiques occasionnelles, dans un but éducatif. Ce droit de correction n’est pas sans rappeler celui, ancien, du pater familias exerçant son autorité et sa puissance sur sa femme et ses enfants.
Les dispositions du code pénal prévoient des sanctions dans les cas de violences faites sur les mineurs, mais ces dernières n’ont pas pour objet premier la sanction des punitions corporelles. Les sanctions éducatives sont également interdites par circulaire dans les établissements scolaires, mais la jurisprudence, constante sur ce sujet, admet le droit de correction, permettant aux parents et professionnels concernés d’« user d’une force mesurée et appropriée à l’attitude et à l’âge de l’enfant ».
Pourtant, divers travaux scientifiques, à l’instar de l’étude du professeur Martin Teicher de l’université de Harvard, ont mis en évidence les effets négatifs de ces violences éducatives ordinaires, notamment dans le développement du cerveau de l’enfant et dans l’apparition de certaines pathologies comportementales. Pour le docteur Gilles-Marie Vallet, psychiatre, ces sanctions peuvent conduire à l’intériorisation par l’enfant d’une violence tolérée. La banalisation du recours aux châtiments corporels peut favoriser, à terme, le passage, à l’âge adulte, aux violences conjugales et à d’autres formes de violences exercées au sein de notre société. Tolérer ces punitions physiques et violences verbales pourrait également créer un terrain propice aux maltraitances plus graves.
C’est dans ce contexte que quarante-quatre pays, dont vingt-sept États européens, ont pris conscience de l’intérêt d’une éducation bienveillante, en affirmant dans leur législation l’illégalité des châtiments corporels. Cette interdiction fait écho aux conventions internationales relatives aux droits des enfants et aux nombreuses recommandations du Conseil de l’Europe et du Comité européen des droits sociaux.
Nous tenons donc à saluer l’initiative de notre collègue Laurence Rossignol, qui, s’appuyant sur les recommandations du Défenseur des droits, proposait dans la première version de son texte de prohiber le recours aux punitions et châtiments corporels au sein même de la définition de l’autorité parentale prévue par le code civil. Ce texte symbolique, sans ajout de sanctions pénales, s’inscrivait dans les engagements internationaux de la France et permettait de faire consensus avec la quasi-totalité de nos partenaires européens.
La commission des lois a cependant fait le choix de modifier la proposition de loi lors de son examen. Il est ainsi proposé d’ajouter à l’article 371-1 du code civil l’alinéa suivant : « L’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques. » Dans cette nouvelle rédaction, le châtiment corporel n’est nullement mentionné, alors que l’utilisation de ces termes est pourtant nécessaire pour abolir définitivement les violences éducatives ordinaires. Le renvoi à une notion floue et générale de violence, sans définition de ses contours, sans mettre fin au droit de correction coutumier, est quelque peu regrettable.
Il est toutefois grand temps que notre pays se saisisse de cette grande cause. Mes chers collègues, cela fait déjà trente ans que nous avons ratifié la convention relative aux droits de l’enfant de New York. Sur un tel sujet, nous ne pouvons rester dans le mutisme ou avancer à petits pas. La France ne doit pas rester à l’écart de ce mouvement européen d’interdiction des sanctions éducatives. Il est temps qu’elle promeuve l’éducation bienveillante et non violente.
Des mesures d’accompagnement à la parentalité et la formation des professionnels de la petite enfance sont désormais nécessaires pour encourager une prise de conscience collective.
Bien que la portée de cette proposition de loi soit symbolique, l’intention de ses auteurs est louable. L’adoption de ce texte permettra en effet d’envoyer un signal fort contre les violences exercées à l’encontre des enfants, sans culpabiliser ou moraliser les parents. Ainsi voterons-nous en sa faveur. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Mme la rapporteure applaudit également.)
(M. Thani Mohamed Soilihi remplace Mme Valérie Létard au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Thani Mohamed Soilihi
vice-président
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi déposée par notre collègue Laurence Rossignol soulève un véritable sujet de société, souvent abordé, et un problème encore loin d’être résolu, celui des violences dites éducatives, que subissent les enfants dans le cadre de l’autorité parentale.
Au-delà de leur caractère violent, ces dernières représentent autant de freins quotidiens à l’épanouissement de l’enfant, marquant au fer rouge son développement et, donc, son devenir.
En effet, ces violences se traduisent par de multiples conséquences. Selon nombre d’études, sans la confiance des parents, le développement de l’enfant est ralenti. Cette confiance se manifeste par l’éducation et plus précisément par la non-utilisation de violences, de quelque forme que ce soit, lors de l’éducation.
Si ces violences portent atteinte à la confiance en eux-mêmes des enfants, c’est parce qu’elles proviennent de l’autorité que représente le parent, l’enfant reportant souvent la faute sur lui-même.
De plus, les comportements violents subis pendant l’enfance, non seulement portent préjudice à l’enfant, mais aussi conditionnent en tant que référentiel vécu le comportement de l’adulte à venir, potentiellement futur parent. On parle de mécanismes de transmission intergénérationnelle de la maltraitance.
La Défenseure des enfants fait le constat qu’en France les châtiments corporels sont encore trop souvent considérés comme des « moyens éducatifs », fondés sur un prétendu droit de correction. Elle insiste aussi sur les liens qui existent entre, d’une part, les punitions corporelles et les violences verbales et, d’autre part, les troubles du comportement et les troubles psychiques en augmentation.
La Défenseure des enfants met également en avant la nécessité et l’urgence d’informer les parents, les professionnels de l’éducation et de la santé et, plus largement, l’ensemble de la société sur la nocivité des violences éducatives. Elle insiste sur la sensibilisation de ces mêmes publics aux méthodes de discipline positive et non-violente.
Sur le plan légal, en apportant une précision au cadre relatif à l’autorité parentale, l’article unique du présent texte n’inclut pas de mesure répressive, et s’appuie davantage sur une approche prescriptive à l’égard des parents, répondant ainsi à la première recommandation de la Défenseure des enfants.
Au-delà de cette valeur prescriptive, il semble toutefois utile de rappeler que, aux termes de l’article 222-13 du code pénal, les peines pour des faits de violences sur mineur de quinze ans s’élèvent à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende lorsqu’ils sont commis par un parent ou toute autre personne ayant autorité sur le mineur.
La mesure avait déjà été introduite en 2016 au cours de l’examen du projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté, avant d’être contestée par le Conseil constitutionnel, au motif qu’il s’agissait d’un cavalier législatif.
Dans la mesure où cette proposition de loi reprend la rédaction de celle qui a été adoptée par l’Assemblée nationale, nous pouvons espérer que nos collègues députés feront le choix de la retenir, afin d’améliorer la lutte contre les violences éducatives.
Enfin, le besoin d’informer et de sensibiliser l’ensemble de notre société, énoncé par la Défenseure, devrait être satisfait grâce à un travail véritablement transversal pour prévenir et lutter contre les violences éducatives.
Une telle question dépassant le seul périmètre de la famille, il est primordial qu’un travail interministériel impliquant notamment le ministère des solidarités et de la santé ou celui de l’éducation s’empare de ce sujet de société.
Ainsi, même si une proposition similaire a été adoptée par l’Assemblée nationale – nous aurions pu épargner à nos collègues députés une lecture supplémentaire ! –, le groupe La République En Marche, estimant que le texte qui nous est soumis va dans le bon sens, votera pour son adoption. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme Élisabeth Doineau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteure, mes chers collègues, la proposition de loi visant à lutter contre toutes les violences éducatives ordinaires, que nous examinons aujourd’hui, se compose d’un article unique.
Cet article tend à insérer dans le code civil la mention suivante : « L’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques. »
Rappelons à toutes fins utiles que l’intégrité physique des enfants est protégée par le droit pénal, d’une part, et par le droit civil, d’autre part. Nous avons donc tout un arsenal juridique pour protéger les enfants en situation de maltraitance.
Cependant, la jurisprudence reconnaît aux parents un « droit de correction » à des fins éducatives. En cela, la France ne respecte pas la Charte sociale européenne dont elle est signataire. L’adoption du présent texte permettrait de nous conformer à nos engagements internationaux et de rejoindre les vingt-deux pays de l’Union européenne qui interdisent d’ores et déjà les châtiments corporels à l’encontre des enfants.
Au-delà de cette présentation factuelle, le véritable enjeu de cette proposition de loi est de remettre en cause des principes d’éducation souvent admis et transmis de génération en génération.
Comme le disait Jean-Jacques Rousseau, père absent, mais éducateur innovant, « il ne saurait y avoir de réforme de la société sans réforme de l’éducation ». L’éducation joue un rôle fondamental, non seulement dans la formation d’un être humain, mais aussi dans la constitution d’une société.
Or, selon la Fondation de France, 85 % des parents français ont aujourd’hui recours à des violences dites éducatives, Mme la rapporteure l’a rappelé. Avec ce texte, ils sont donc appelés à un véritable changement d’attitude.
Pour le psychothérapeute Didier Pleux, « les gifles et les fessées sont des échecs. Ce sont des gestes violents. » Souvent, ils sont le signe que le parent, débordé et stressé, craque. Généralement, juste après, il se sent coupable de son geste, qui est d’ailleurs fréquemment inefficace sur le plan éducatif.
Cet avis est partagé par la psychanalyste Claude Halmos. Dans son livre L’autorité expliquée aux parents, elle expose le fait que la fessée n’est pas un outil éducatif : « Le but de l’éducation est que l’enfant se soumette aux règles parce qu’il en a compris le sens ».
Quand une chose est interdite, il faut en expliquer la raison à l’enfant. Or la violence n’est pas une explication, bien au contraire. C’est un renoncement.
Le besoin d’autorité n’excuse pas les gestes violents. Françoise Dolto opposait en toute connaissance de cause l’autorité parentale à la toute-puissance parentale. C’est toute la différence entre l’autorité et l’autoritarisme, entre l’éducation et le dressage.
Il n’est pas dans mon intention de diaboliser la fessée et de culpabiliser les parents. Je souhaite tout simplement dire à ces derniers qu’il existe un chemin entre l’autoritarisme et le laxisme. Qu’une éducation ferme, mais bienveillante, mène à une parentalité positive. Il n’y a pas de formule magique, cela s’acquiert par le dialogue, sur le long terme, et concerne tous les acteurs de l’éducation.
Depuis quelques années, tous les services compétents en matière de petite enfance ont identifié les difficultés rencontrées par certains parents. Ils proposent des guides et des ateliers à la parentalité, qui constituent une véritable formation à être ou à devenir parents.
Un travail de sensibilisation de large envergure auprès des jeunes, futurs adultes et parfois futurs parents, est à imaginer.
En réalité, je n’ai plus envie d’entendre : « il y a des fessées qui se perdent ! » Une telle exclamation sonne comme une condamnation, voire une malédiction. Elle annonce une mauvaise éducation.
Être parent est l’une des plus grandes responsabilités qui soient. Les parents sont des guides, des modèles, des accompagnants et des enseignants pour leurs enfants. Pour grandir, l’enfant a besoin d’apprendre, de comprendre et de se sociabiliser. Mais il a aussi besoin de règles et de limites ; c’est le rôle des parents que de les lui donner. Non, il n’y a pas de fessées qui se perdent, il y a seulement de la confiance à gagner !
Je terminerai mon propos en formulant une critique. Elle porte sur le jeu politique, insupportable selon moi, entourant le dépôt et l’adoption des propositions de loi relatives à la protection de l’enfance et des textes relatifs aux violences sexuelles sur mineur.
Nous assistons régulièrement à une compétition politique pour faire adopter le texte qui permettra de s’attirer mérite et approbation de l’opinion. Cette proposition de loi ne fait pas exception. Un texte a été adopté voilà quelques mois par l’Assemblée nationale. Il suffisait de le reprendre. Un vote conforme aurait mis un terme à ce débat. Quelle issue sera désormais réservée à ce texte par les députés ?
Malgré ces remarques, le groupe Union Centriste, à quelques exceptions près, votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Alain Marc.
M. Alain Marc. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi qu’il nous est donné d’examiner aujourd’hui part d’une bonne intention, à savoir la volonté de lutter contre les violences faites aux enfants. Ce texte prévoit ainsi de compléter la définition de l’autorité parentale figurant à l’article 371-1 du code civil, en précisant que « l’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques. » Je le rappelle, il est donné solennellement lecture de cet article aux futurs époux lors des mariages.
La volonté de lutter contre ces violences, nous la partageons bien évidemment tous au sein de cet hémicycle. Nous savons, les uns et les autres, les dégâts que peuvent provoquer dans la construction de la personnalité les violences exercées à l’encontre des enfants.
Toutefois, je ne peux m’empêcher de m’interroger sur le bien-fondé de cette énième proposition de loi anti-fessée. En effet, en l’état actuel, notre droit nous donne tous les outils nécessaires : l’article 222-13 du code civil n’interdit-il pas déjà toute forme de violence physique envers les enfants et n’érige-t-il pas en circonstance aggravante le jeune âge de la victime ?
La règle posée ici est de nature exclusivement civile, puisqu’elle n’est pas liée à une sanction. Comme l’indique l’exposé des motifs, ce texte relève d’une portée symbolique et pédagogique.
Dès lors, cette proposition de loi peut légitimement nous amener à nous interroger sur notre mission de législateur. Ce matin, nous légiférions en commission au sujet d’une proposition de loi. Il s’agissait de supprimer des lois obsolètes ou inutiles. Interrogeons-nous donc sur la portée de ce que nous votons ! Car la loi ne saurait être seulement symbolique : elle doit avoir une portée certaine.
De même, elle ne saurait être floue ou imprécise. Or ce texte ne définit à aucun moment ce que sont les violences éducatives ordinaires contre lesquelles il prétend lutter. La tape sur la couche-culotte constitue-t-elle une violence physique ? De même, dans le cas de la petite tape sur la main de l’enfant qui a voulu toucher une plaque de cuisson trop chaude ou une prise électrique, le texte s’applique-t-il ? Le fait de contraindre un enfant à aller au coin après une bêtise doit-il être considéré comme une violence psychologique ? Mais est-ce vraiment au législateur de décider qu’aller au coin est humiliant et doit être interdit par le code civil ?
Rappelez-vous, mes chers collègues, de la gifle que donna François Bayrou à un enfant qui voulait lui faire les poches devant les caméras de la France entière. Tout le monde applaudit ! Comment qualifier cette gifle ? Par cet exemple, j’essaie de montrer la difficulté à définir une violence éducative.
Qu’est-ce que la violence verbale ? Qu’est-ce que l’humiliation ? Ne faudrait-il pas définir toutes ces notions, dresser une liste ? Toutes ces questions illustrent à quel point la rédaction de la proposition de loi paraît inintelligible à bien des égards.
Certains pourraient d’ailleurs y voir un texte d’une prétention folle, qui entend donner une leçon d’éducation aux familles de France et culpabiliser les parents ! D’autres pourraient y voir un texte d’une ingérence certaine, faisant fi de la liberté éducative des parents et permettant à l’État de s’immiscer dans la vie quotidienne familiale en expliquant la manière d’élever les enfants.
En réalité, nous semblons dériver vers une législation de la communication, vers un diktat de la bien-pensance, alors qu’il faudrait travailler en amont avec les conseils départementaux, les associations familiales et les communes, qui organisent des écoles de la parentalité. Ce matin, Marc-Philippe Daubresse nous expliquait ce qu’il avait fait dans la commune dont il a été le maire pendant plusieurs dizaines d’années.
Il s’agit bien d’un texte symbolique, qui n’ose aller jusqu’à la sanction pénale ni nommer précisément les faits ou comportements entrant dans son périmètre.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, aucune violence contre les enfants, qu’elle soit physique, verbale ou psychologique, n’est acceptable, nous en sommes tous d’accord.
Cette proposition de loi laisse au sein du groupe Les Indépendants un sentiment très mitigé, car elle apparaît clairement comme un texte d’affichage. Toutefois, dans un esprit consensuel, mais sans illusion, nous la voterons. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher.
M. Jérôme Bascher. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, permettez-moi de citer Platon : « Lorsque les pères s’habituent à laisser faire les enfants, lorsque les fils ne tiennent plus compte de leurs paroles, lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter, lorsque finalement les jeunes méprisent les lois parce qu’ils ne reconnaissent plus, au-dessus d’eux, l’autorité de rien et de personne, alors, c’est là, en toute beauté et en toute jeunesse, le début de la tyrannie. » La sagesse des anciens, des Grecs inventeurs de la démocratie devrait bien évidemment inspirer la sagesse sénatoriale d’aujourd’hui.
Le droit de correction soulève la question essentielle du recours légitime à la violence. Tel est le sujet fondamental de cette proposition de loi. Nous en débattrons de nouveau dans les semaines qui viennent. À cet égard, je me tourne vers Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteur de la proposition de loi visant à interdire l’usage des lanceurs de balles de défense dans le cadre du maintien de l’ordre et à engager une réflexion sur les stratégies de désescalade et les alternatives pacifiques possibles à l’emploi de la force publique dans ce cadre.
La violence est intolérable, je le dis clairement. Et la violence éducative sur les enfants, qui sont plus fragiles, est encore plus intolérable, encore plus inadmissible. Simplement, il ne faut pas confondre la lutte contre la vraie violence et, comme le disait très justement Alain Marc, que j’ai applaudi vivement, pensant presque qu’il m’avait pris mon texte, la culpabilisation.
J’ai écouté les Français s’exprimer dans le cadre du grand débat, j’ai écouté les juges pour enfants, j’ai écouté les éducateurs spécialisés. Qui nous a demandé ce texte pour lutter contre les violences exercées contre les enfants ? Nous le savons, nous qui avons été ou sommes encore des élus départementaux, nous assistons à une véritable explosion des jugements pour violence sur des enfants et de leurs placements, afin de les protéger de leurs parents. Il y a donc là, monsieur le secrétaire d’État, un vrai sujet à traiter. On le sait, les éducateurs spécialisés, les services de l’aide à l’enfance et la justice mettent parfois deux à trois ans pour trouver une solution pour des enfants martyrisés tous les jours par leurs parents. L’urgence est là !
Si je comprends le symbole que constitue cette proposition de loi, je suis d’accord avec Alain Marc : cessons de légiférer pour le symbole, cessons de légiférer pour nous autoriser, peut-être, à penser, cessons de légiférer pour dire comment nous devons élever nos enfants dans nos maisons. Laissons un peu de liberté !
Existe-t-il une demande en faveur d’une augmentation des textes de loi dans notre pays ? Non ! Il faut de la responsabilité. Le code pénal permet d’ores et déjà d’éviter tous les débordements et extrémismes.
Je ne voudrais pas que des Français croient que le Sénat, l’Assemblée nationale ou le Gouvernement ont le souci de réprimer les parents parce qu’ils ont donné une fessée. Ce serait un contre-message. Toutefois, je rejoins ma collègue Laurence Rossignol, lorsqu’elle dit que nous pourrions sans doute cesser, au XXIe siècle, de contraindre par la fessée ou toute autre brimade. Il est pourtant nécessaire de maintenir les symboles de l’autorité et de ne pas culpabiliser les uns et les autres.
J’ai finalement trouvé un motif pour voter ce texte : c’est celui des dérives sectaires, contre lesquelles il pourra peut-être aider.
Avant tout, œuvrons en faveur d’une famille tranquille assurant l’éducation des enfants, sous l’autorité du père et de la mère. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme Josiane Costes, qui fait son retour parmi nous.
Mme Josiane Costes. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, depuis son adoption en 1989, la convention internationale des droits de l’enfant n’a cessé de produire des effets dans notre droit interne ; cette proposition de loi en est une nouvelle manifestation.
On observe par exemple un remarquable développement de la notion d’« intérêt supérieur de l’enfant », dont l’incidence juridique est toujours plus importante, dans le contentieux des étrangers en particulier.
S’agissant du sujet qui nous concerne aujourd’hui, l’article 19 de la convention précitée est explicite : « Les États parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle ».
Il est pourtant incontestable que, en dépit de cet engagement international clair, trente ans après son adoption, l’application de cet article est loin d’être satisfaisante en France.
En effet, madame de la Gontrie, on peut considérer, comme vous le faites vous-même avec rigueur dans votre rapport, que cette résistance relève d’un « habitus » bourdieusien qui agit à la fois dans les familles et dans les juridictions.
Comment expliquer autrement la survivance de la jurisprudence de la Cour de cassation relative au droit de correction, ou le fait que le nombre d’enfants subissant des violences éducatives ordinaires se maintienne au niveau que vous constatez ? Selon les informations que vous donnez, ces violences n’épargnent pas les plus petits, puisque 50 % des moins de deux ans y seraient soumis ! Paradoxalement, c’est la même société qui, d’une part, condamne les infanticides ou les viols sur mineurs au point de demander parfois le retour de la peine de mort, et, d’autre part, tolère que des parents exercent des violences destructrices et quotidiennes sur leurs enfants.
Cette tolérance est pourtant dépourvue de base juridique : le code pénal n’établit pas de distinction entre « violence ordinaire » et « violence extraordinaire ». Si la notion de violence éducative ordinaire a pour mérite de lever l’euphémisme d’autres désignations, comme celle de « correction », accoler au terme « violence » les mots « éducative » et « ordinaire » prolonge donc l’ambiguïté. Il s’agit ni plus ni moins de parvenir à ce que toutes les violences exercées par un individu sur un autre, quand bien même elles le seraient par un parent sur son enfant, soient sanctionnées.
La formulation proposée par la rapporteure et adoptée par l’Assemblée nationale permettra de lutter contre cette tolérance coutumière, en abolissant la limite factice entre violence parentale et violence interpersonnelle.
Bien sûr, tous les parents siégeant dans cet hémicycle reconnaissent que la frontière entre faire acte d’autorité et faire acte de violence, surtout psychologique, est parfois difficile à distinguer, surtout pour des parents désormais soumis à de multiples pressions professionnelles et familiales.
Mais gardons-nous de tomber dans une analyse trop simpliste du phénomène des enfants rois. Comme l’écrivent les spécialistes, « la notion de l’enfant roi ne désigne pas seulement une figure d’enfant, mais une forme de relation entre enfants et adultes. » C’est bien ce lien qu’il s’agit aujourd’hui de réinventer, et le rôle de l’État est d’accompagner les parents dans cette tâche – il faudra se demander quels moyens développer à cette fin.
L’autre intérêt de cette initiative et du rapport de notre collègue est de mettre en lumière l’incidence de la prohibition de telles violences sur le niveau de délinquance juvénile, alors qu’une réforme de l’ordonnance de 1945 est en cours de préparation. Il y a là l’idée que la crise d’autorité pourrait découler du décalage existant entre les affirmations de façade, celles d’une protection absolue de l’enfance, et la réalité, qui place encore les enfants en situation de vulnérabilité vis-à-vis de parents violents. Toute la société pourrait en réalité bénéficier de la protection de l’estime de soi de ces futurs adultes, qui conditionne la réussite scolaire et professionnelle.
Les membres du groupe du RDSE voteront donc en faveur de cette proposition de loi, qui a le mérite d’apporter une réponse adaptée à la problématique des violences éducatives ordinaires en faisant en sorte que leur abolition fasse partie du contrat familial. Nous pensons qu’en la matière la voie civile sera plus judicieuse que la voie pénale, afin que toutes les familles deviennent le lieu premier de construction d’une société pacifiée. On ne lutte efficacement contre des habitus qu’en préparant des évolutions de fond, pas des mouvements de surface.
Je conclurai en disant qu’il reviendra aux magistrats de la chambre criminelle de la Cour de cassation de se saisir de cette évolution et de renoncer à la jurisprudence du droit de correction, sans quoi l’abolition que nous avons en vue restera inachevée. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot.
M. Jacques Bigot. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, je veux d’abord dire le plaisir que j’ai d’intervenir après Josiane Costes, et saluer son retour, que nous devons à la promotion de Jacques Mézard. (Applaudissements.)
Je veux aussi remercier certains des orateurs précédents ; en effet, intervenant pour le groupe socialiste et républicain après les présentations du texte par Laurence Rossignol et du rapport par Marie-Pierre de la Gontrie – je les remercie également –, je me suis demandé ce qu’un membre du groupe pouvait encore avoir à dire sur cette proposition de loi. Heureusement, donc, certains m’ont donné l’occasion de leur répondre, et de dire à quel point, moi qui suis civiliste de formation, je suis content qu’enfin l’on s’attaque au code civil – nous touchons certes au détail de l’autorité parentale, mais ce détail n’est pas anodin, et je vais vous dire pourquoi.
N’oublions pas que les rédacteurs du code civil, dont certains voient leur souvenir perpétué, dans cet hémicycle même, par des statues, se sont préoccupés de cette question de droit de la famille qu’est celle de l’autorité parentale, et ont inventé ce qui paraissait logique en 1802 : la puissance paternelle.
Je cite ce qu’écrivait l’un des rédacteurs de l’époque, Bigot de Préameneu – je n’ai aucun rapport avec lui : « L’intérêt public est dans la bonne organisation de chaque famille ; car il en résulte la bonne organisation de l’État. »
Oui, la société a besoin de se préoccuper de l’organisation familiale ; et elle le fait dans le code civil, en instituant les obligations des parents : l’autorité parentale est une obligation ! Mais, avant l’autorité parentale, nous avons eu la puissance paternelle. Or la puissance paternelle créée par le code civil était bel et bien une relation d’autorité et de violence de l’homme sur la famille, y compris sur la femme. Il a fallu attendre le 4 juin 1970 pour que l’on institue enfin l’autorité parentale et pour que, admettant que les femmes ont aussi quelque chose à dire, on crée l’autorité parentale conjointe – les mères, auparavant, restaient débitrices de la puissance paternelle.
C’est dans cette évolution que nous nous inscrivons. Existent déjà, certes, un ensemble de règles internationales, fruit du travail effectué, depuis plus de cinquante ans, par le Conseil de l’Europe, ou de celui qui est mené autour de la convention internationale des droits de l’enfant, laquelle s’inspire simplement des réflexions de l’ensemble des sociétés évoluées, des sociétés occidentales notamment. Mais, sur notre territoire, dans cette société de violence que vous décrivez, la famille, via l’éducation donnée par les parents, n’est-elle pas par excellence le lieu de rappeler ce qu’est la règle et comment elle s’applique ? Si je ne peux imposer le respect de la règle que par la violence, comment réussirais-je à éduquer mes enfants ?
L’article 371-1 du code civil est, en la matière, tout à fait révélateur – sa rédaction est superbe : « L’autorité parentale […] appartient aux parents [… ] de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne. » Il est important que cette phrase figure dans le code civil. C’est cet article que, lorsque nous célébrons des mariages, nous lisons aux futurs parents – le mariage, en effet, reste au cœur de nos conceptions s’agissant de la création de la famille. Lisant ces mots aux futurs parents, lorsqu’ils sont jeunes, bien sûr – quand on marie des couples un peu plus âgés, on hésite à lire cet article –, on leur rappelle le rôle qu’ils vont avoir s’ils décident d’avoir des enfants. Ce rappel est, plus que jamais, important pour la société.
Nous devons donc être conscients que ce texte, quoiqu’apparemment anodin dans le contexte actuel, est en réalité fondamental : il est fondateur du rôle parental dans l’éducation. Oui, l’autorité parentale est aujourd’hui exercée, pour l’essentiel, sans violence, jusqu’à donner parfois, peut-être – vous avez raison, mes chers collègues –, trop de crédit aux sectateurs de l’enfant roi. Or l’enfant a besoin qu’on lui fixe des règles, et il a besoin de comprendre, corrélativement, que le non-respect de ces règles met en difficulté la vie familiale.
Combien de parents, néanmoins, savent très bien – l’un de nos collègues l’a dit, me semble-t-il, lors du débat en commission des lois – que la violence exercée par l’adulte en réaction au comportement de l’enfant n’est jamais une violence éducative, aussi énervant, agaçant, insupportable même, puisse être cet enfant, et aussi légère soit cette violence ? Il faut en être bien conscient.
Ce sujet est d’ailleurs d’une actualité brûlante, monsieur le secrétaire d’État, à l’heure où s’impose la nécessité d’expliquer à des gens qui, légitimement, s’expriment et revendiquent, qu’ils ne doivent pas le faire dans la violence, mais en dialoguant et en débattant, le tout avec bienveillance. C’est la même question qui est posée dans la vie familiale, dont on se demande bien pourquoi elle échapperait à ces réflexions ! Pourquoi, via le code civil, ne dirait-on pas de telles choses aux parents, de la même manière qu’on a osé dire, en 1970, que le père et la mère exercent conjointement l’autorité parentale, qui est un ensemble de droits et de devoirs ? Il s’agissait, à l’époque, d’une révolution – il suffit de lire les propos tenus alors par le député Pierre Mazeaud pour se rendre compte que cette question, à cette date, n’avait rien d’évident.
Acceptons, donc, cette évolution, qui n’est pas anodine. On ne peut pas systématiquement recourir au code pénal : on ne peut pas tout pénaliser, loin de là ! Ce qui relève du code pénal et donne lieu, par conséquent, à des poursuites, ce sont les violences inadmissibles exercées par des parents à l’égard de leurs enfants. Ces violences échappent de moins en moins au traitement pénal, parce que nous pouvons compter sur des associations qui agissent, des enseignants qui dénoncent, des procureurs qui poursuivent. Mais posons-nous la question : ces parents à qui l’on n’a pas dit que l’éducation se fait sans violence, physique comme psychique, ne reproduisent-ils pas les violences qu’ils ont eux-mêmes subies ?
L’ajout de ce petit alinéa a donc du sens, me semble-t-il. Et je veux dire à ma collègue Esther Benbassa que la présente rédaction me paraît meilleure que celle du texte initial, bien que ce dernier, tel que proposé par Laurence Rossignol, s’inspirât des dispositions contenues dans les conventions internationales.
Il n’est pas besoin d’ajouter « l’exclusion de tout traitement cruel, dégradant ou humiliant, y compris tout recours aux punitions et châtiments corporels ». Il s’agit, de manière positive, de dire que l’éducation se fait sans violences physiques ou psychologiques.
Sur la base de cette définition – j’ai pris note, monsieur le secrétaire d’État, de votre engagement –, un travail énorme reste à faire pour sensibiliser les parents et les enseignants, et pour faire en sorte que l’autorité parentale soit comprise comme l’apprentissage de la règle. Chacun d’entre nous devra s’investir au-delà du vote de ce texte pour expliquer ces notions, dans nos communes et sur nos territoires.
Il y va non seulement du respect des conventions internationales, mais aussi de la capacité du législateur, celui qui construit la société, à se faire comprendre des parents. Tel est en effet l’enjeu de la société de demain : faire en sorte que les enfants ne soient plus violents en leur apprenant que le rapport à l’autre passe par le respect de la règle, et pas forcément par la violence. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny.
Mme Pascale Gruny. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui modifie l’article 371-1 du code civil, lu par l’officier d’état civil lors de la célébration du mariage, en y inscrivant le principe selon lequel l’autorité parentale s’exerce sans violence.
Nous convenons tous des bonnes intentions des auteurs de ce texte et de l’intérêt qu’il y a à réduire les violences au sein des familles, tant pour les couples que pour les enfants. C’est d’ailleurs si vrai que le code pénal prévoit déjà un arsenal de mesures permettant de sanctionner, de punir et de condamner les parents qui iraient trop loin.
Le juge aux affaires familiales peut également, selon l’article 515-9 du code civil, délivrer en urgence une ordonnance de protection lorsque les violences exercées au sein d’un couple « mettent en danger un ou plusieurs enfants ».
Ajoutons que la Cour de cassation a confirmé, dans un arrêt du 29 octobre 2014, la pratique jurisprudentielle du « droit à la correction » en rappelant que ce droit reconnu aux parents « a pour limite l’absence de dommages causés à l’enfant, la correction devant rester proportionnée au manquement commis et ne pas avoir de caractère humiliant ».
La nouvelle rédaction du code civil proposée par la présente proposition de loi revêt une portée davantage pédagogique et symbolique que juridique, puisqu’elle ne prévoit même pas de sanction pénale. Aussi, je m’interroge sur la libre appréciation que les juges feront des violences éducatives ordinaires.
Je me méfie toujours de ces textes qui, sous couvert de bonnes intentions, intentions que nous partageons tous, consistent à distribuer officiellement des bons et des mauvais points, et, en l’occurrence, à stigmatiser les parents.
Lorsque l’on contraint physiquement un enfant à aller au coin, le texte s’applique-t-il ? Lorsqu’un enfant reçoit une tape sur la main parce qu’il a voulu toucher une plaque électrique un peu trop chaude, est-ce grave ? Contraindre un enfant à ranger sa chambre ou sa salle de jeux en le prenant par le bras, élever la voix quand il n’écoute pas, est-ce que ce sont des violences psychologiques telles qu’il en résulterait des perturbations tout au long de la vie ?
S’il est du devoir du législateur d’agir pour lutter contre toutes les formes de violence contre les mineurs, ce n’est pas à la loi de dire ce qu’est un bon ou un mauvais parent. Tous ceux qui sont devenus parents savent que rien ne peut vous préparer à la parentalité. C’est au fur et à mesure des années et des expériences que l’on apprend à bien s’occuper d’un enfant. J’ajoute que fixer des règles et les faire appliquer est essentiel pour que les enfants deviennent des adultes respectueux de la vie en société.
Veillons, dès lors, à ne pas contrarier l’autorité parentale, car c’est aux parents qu’il appartient de trouver les voies et les moyens de parvenir, dans le respect de la légalité, à la bonne éducation, laquelle varie d’ailleurs selon les familles, en fonction de leurs références et des points sur lesquels elles insistent. Au sein même d’une famille, les manières de procéder diffèrent selon les enfants, chacun ayant sa personnalité.
Il existe, à mon sens, bien d’autres phénomènes auxquels il faudrait s’attaquer en priorité, avec plus de force – je pense aux vols avec violences, aux agressions sexuelles, ou encore au harcèlement scolaire, dont sont victimes 700 000 élèves, parmi lesquels un sur quatre déclare avoir pensé au suicide. Ces phénomènes détruisent beaucoup plus de vies, notamment les vies de très jeunes enfants, que l’éducation parentale.
Par ailleurs, il serait souhaitable de développer les dispositifs de soutien à la parentalité ; parfois, en effet, il est nécessaire d’aider les parents à être parents. Beaucoup de maires soutiennent déjà de tels dispositifs, mais il conviendrait d’en généraliser la mise en œuvre sur l’ensemble du territoire et de les faire monter en puissance.
Il faut banaliser le recours à ce type de services pour éviter le risque de stigmatisation ou de prescription et pour répondre de manière concrète aux nouveaux besoins exprimés ou ressentis par les parents.
Des progrès restent à faire pour mieux appréhender l’hétérogénéité des situations parentales. L’offre existante est encore trop généraliste, donc insuffisante. Elle doit être articulée avec une autre offre destinée à répondre aux besoins spécifiques de certains publics, de façon à couvrir toute la population. Il s’agirait par exemple de développer des programmes à destination des parents d’adolescents, des parents de différentes origines culturelles, des parents qui se séparent, des familles monoparentales, etc.
J’aurai également une pensée pour les enseignants – on les oublie trop souvent –, qui se retrouvent de plus en plus, dès la maternelle, devant des enfants à qui les règles n’ont pas été apprises.
En conclusion, mes chers collègues, notre société doit certes se montrer à la hauteur de ses principes, humanistes et républicains, en réaffirmant la place qu’elle donne à l’enfant ; mais elle ne doit pas instaurer de confusion malsaine ; elle ne doit pas culpabiliser ; elle ne doit pas faire tomber sous le coup de la loi des comportements qui ne sont pas violents, mais qui sont tout simplement nécessaires, parfois, dans l’éducation de nos enfants.
Nous voterons ce texte bien qu’il se contente de rappeler une règle de bon sens, dont la violation est déjà sanctionnée par la loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton.
Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, vingt-trois pays en Europe, cinquante-quatre dans le monde, ont déjà interdit la pratique de la fessée.
La Cour de cassation, dans un arrêt de 2014, a reconnu aux parents un « droit à la correction » en rappelant qu’il « a pour limite l’absence de dommages causés à l’enfant, la correction devant rester proportionnée au manquement commis et ne pas avoir de caractère humiliant ».
La pratique de la fessée, qui peut évidemment répondre à ces critères, se verrait prohibée par l’adoption de cette proposition de loi, qui, de fait, l’interdirait.
Pourtant, on ne saurait automatiquement ranger la fessée dans la catégorie des maltraitances. S’il s’agit d’une simple tape sur le fessier, geste symbolique que pratiquent certains parents depuis la nuit des temps, cette punition corporelle peut se défendre.
Un exemple : malgré explication et interdiction répétée, mon fils, lorsqu’il avait cinq ans, m’a échappé et a traversé seul la route. Je lui ai donc donné une tape sur le fessier. Dois-je être condamnée pour cela ?
Par son article unique, cette proposition de loi pose un interdit dans le code civil sans prévoir de sanction pénale. Or ne pas prévoir de poursuites en cas de non-respect d’un interdit vide un texte de son utilité juridique. L’exposé des motifs précise d’ailleurs que cette rédaction a une « portée symbolique ». À quoi bon interdire une pratique si, en définitive, on laisse faire ?
Vous voulez que les Français changent leur comportement ; un enfant se corrigerait-il tout seul, sans sanction ? Comme la récompense, la sanction fait partie intégrante de l’éducation. On parle souvent de prévention plutôt que de sanction, jusqu’à en oublier que la sanction est une forme de prévention. La prévention persuasive consiste à éviter une transgression ; la prévention secondaire consiste, une fois la transgression effectuée, à éviter la récidive. En ce sens, la politique de la sanction concourt à la prévention secondaire.
Et c’est parce qu’un enfant compte plus que tout à nos yeux que nous sanctionnons un comportement aux conséquences négatives pour lui et pour son environnement.
La punition possède un rôle de réparation, car elle permet au jeune de prendre conscience des dégâts commis et de participer à leur réparation. Elle possède un rôle de rédemption, car elle permet au jeune, une fois la sanction effectuée, de reprendre sa place dans le groupe et de tourner la page. Par ses vertus réparatrices et rédemptrices, la sanction rend alors possible l’exercice du pardon : « tu as commis une faute ; tu l’as réparée ; je ne te juge plus pour ce comportement et je te redonne ma confiance. »
La sanction permet aussi au jeune de gérer sa culpabilité. Une absence de sanctions peut avoir des effets désastreux.
Le pédopsychiatre Pierre Lévy-Soussan explique que la Suède, qui a été l’un des premiers pays à adopter une telle loi d’interdiction, en a vu les effets pervers : des parents sont dénoncés à tort ; les enfants, érigés au rang d’enfants rois, deviennent intenables ; la violence augmente chez les enfants, comme la consommation de tabac et d’alcool chez les jeunes.
La punition peut justement incarner la limite, ce qui est structurant dans le développement de l’enfant. Et le fait qu’elle soit donnée par les parents, dans un certain contexte, répond à l’impératif de légitimité. Pour qu’une sanction soit efficiente d’un point de vue éducatif, il est nécessaire que le jeune y adhère et qu’il en comprenne le sens.
On voit qu’une fessée donnée dans le cadre de l’éducation d’un enfant est tout autre chose que de la maltraitance.
Le code pénal punit déjà toutes les violences corporelles et verbales sur les mineurs. Il n’existe pas de vide juridique : les violences sur les enfants sont prises au sérieux.
Naguère, on distinguait la fessée relevant de la pédagogie et celle qui était donnée dans le registre de la maltraitance.
Oui, la violence est intolérable ; oui, la maltraitance est inacceptable. Mais il ne faut pas faire d’amalgame ni confondre une fessée et la maltraitance.
Cela étant, je voterai pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens simplement à indiquer quelles sont, de mon point de vue, les proportions réelles de ce débat.
Ce texte vise à compléter d’un membre de phrase un article du code civil que les maires lisent à chaque mariage ; dans cet hémicycle, nombreux sont ceux qui ont été maires et qui, de ce fait, le connaissent bien ! Il rappelle, d’une part, les obligations mutuelles des époux et, d’autre part, leurs obligations à l’égard des enfants.
La rédaction adoptée par la commission sur l’initiative de notre rapporteure, Mme de la Gontrie, précise : « L’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques. » Il s’agit non pas d’une disposition pénale, mais simplement du rappel d’un principe que tous les parents devraient avoir à cœur de respecter.
Les auteurs de cette proposition de loi et notre rapporteure ont voulu proposer une disposition de nature pédagogique, à laquelle la commission des lois a souscrit en toute simplicité. Nous gardons à l’esprit que les violences accomplies par les parents sur leurs enfants sont déjà, et heureusement, passibles de sanctions : l’article L. 222-13 du code pénal les punit sévèrement.
Étant donné la confusion dont les règles applicables font l’objet, il me semble nécessaire d’apporter cette précision : les parents de France n’ont pas le droit de battre leurs enfants ! Et je m’estime heureux de vivre dans une République où c’est le cas depuis longtemps. J’ai lu certains commentaires selon lesquels on va maintenant interdire la fessée : pas du tout ! La fessée est interdite depuis bien longtemps ! Ce n’est pas de cela que nous discutons aujourd’hui.
Nous abordons le problème dans sa dimension juridique. Cette disposition – nous le reconnaissons – reste d’une portée limitée : elle rappelle simplement une saine inspiration qui doit guider l’attitude des parents à l’égard de leurs enfants.
Il ne s’agit pas de proscrire les punitions ou d’interdire l’autorité : on voit les résultats d’une défaillance de l’autorité parentale dans de nombreux cas de délinquance et, indépendamment de ces derniers, dans les difficultés que connaissent nombre de nos enfants, une fois arrivés à l’âge adulte, pour s’insérer dans la société, pour acquérir la maturité, qui donne des armes pour affronter la vie.
Si la commission des lois a adopté ce texte, c’est non seulement parce qu’il traduit une véritable exigence pédagogique, mais aussi parce qu’il ne vise certainement pas à imposer des règles contrariant l’exercice de l’autorité des parents sur l’enfant pour le faire grandir, pour lui permettre d’assumer un jour sa responsabilité d’adulte.
Je tenais à opérer cette mise au point. Elle me paraissait nécessaire pour circonscrire le débat que nous allons, à présent, consacrer aux amendements. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. Marc Daunis. Très bien !
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à lutter contre toutes les violences éducatives ordinaires
Articles additionnels avant l’article unique
M. le président. L’amendement n° 2 rectifié bis, présenté par Mmes Boulay-Espéronnier et L. Darcos, MM. Daubresse et Panunzi, Mme Morin-Desailly, M. Sido, Mme Goy-Chavent, MM. Kern, Bonhomme, Laménie, B. Fournier, Regnard, Henno et J.M. Boyer, Mmes Lassarade, Gruny et Vullien, M. Vogel, Mmes Kauffmann, Deromedi, Dumas et Renaud-Garabedian, MM. Bockel et Moga et Mmes Noël et Lherbier, est ainsi libellé :
Avant l’article unique
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 226-8 du code de l’action sociale et des familles est ainsi modifié :
1° Après le mot : « téléphonique », sont insérés les mots : « ainsi que d’une information relative à la prévention des violences éducatives ordinaires » ;
2° Sont ajoutés les mots : « et leurs parents ».
La parole est à Mme Céline Boulay-Espéronnier.
Mme Céline Boulay-Espéronnier. Cette initiative législative a essentiellement vocation à entraîner un changement de mentalités dans l’exercice de la parentalité et de l’autorité parentale ; il en a été largement question ce soir.
Toutefois, pour que le présent texte soit efficace, il me paraît essentiel que l’action de sensibilisation des Français soit sanctuarisée dans la loi, comme l’est, par exemple, l’affichage du numéro de la ligne téléphonique d’urgence dédiée aux mineurs en danger.
Aussi, cet amendement vise à mettre à la disposition des parents une information claire et pédagogique relative aux conséquences de tels comportements sur le développement de leur enfant, dans tous les lieux qui les accueillent. Pour faire en sorte que ces pratiques quittent la sphère de l’ordinaire, il est indispensable que les parents disposent de ces éléments décisifs. Ces derniers sont autant d’aides indispensables à la parentalité.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie-Pierre de la Gontrie, rapporteure. Chère collègue, on voit bien quel état d’esprit anime les auteurs de cet amendement : ils vont dans le sens de cette proposition de loi, en proposant des voies susceptibles de renforcer son efficacité. Toutefois, ce matin en commission, nous avons débattu de ces dispositions, et plusieurs aspects nous ont semblé un peu gênants.
Tout d’abord, alors que nous proposons une modification du code civil, cet amendement vise à compléter le code de l’action sociale et des familles.
De plus, le numéro d’appel 119, qui concerne l’enfance en danger, fait d’ores et déjà l’objet d’une obligation d’affichage ; d’ailleurs, vous la citez vous-même, puisque vous souhaitez modifier l’article en question. Selon nous, les dispositions en vigueur répondent à la préoccupation que vous exprimez. Dès lors, je vois mal comment se présenterait le message d’information destiné à compléter l’affichage concernant le 119. Une telle initiative risquerait même de brouiller ce dispositif de communication.
Cela étant, l’État devrait effectivement mener des campagnes d’information. À ce titre, je me permets d’interpeller M. le secrétaire d’État : en tout état de cause, de telles initiatives seront nécessaires, en soutien à la parentalité, pour sensibiliser les parents aux enjeux que nous avons abordés au cours de la discussion générale.
J’y insiste : nous approuvons l’esprit dans lequel cet amendement a été rédigé. Toutefois, pour des raisons d’ordre pratique et pour des motifs d’efficacité, nous vous demandons de bien vouloir le retirer, ma chère collègue. À défaut, la commission émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Pour les raisons que Mme la rapporteure vient d’exposer, je demande à mon tour le retrait de cet amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.
Madame la sénatrice, le Gouvernement préfère, lui aussi, miser sur l’efficacité du dispositif du 119. Vous le savez peut-être : aujourd’hui, face à des soupçons de violences sur enfant, seul un Français sur quatre compose effectivement ce numéro. Il convient donc probablement de mener un travail pour améliorer la notoriété du 119. Cherchons l’efficacité : il ne faudrait pas brouiller la lisibilité des dispositifs de communication relatifs à ce numéro.
Madame la rapporteure, je vous confirme qu’un certain nombre de mesures seront prises, dans les semaines et les mois à venir, pour ce qui concerne la parentalité. Les dispositions que le Sénat s’apprête à adopter auront, très probablement, un rôle à jouer dans la communication à destination des parents, afin de renforcer l’accompagnement à cet égard.
M. le président. Madame Boulay-Espéronnier, l’amendement n° 2 rectifié bis est-il maintenu ?
Mme Céline Boulay-Espéronnier. Sensible à ces arguments en faveur d’une meilleure efficacité, je retire mon amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 2 rectifié bis est retiré.
L’amendement n° 3 rectifié bis, présenté par Mme Boulay-Espéronnier, MM. Daubresse et Bonhomme, Mme L. Darcos, M. Karoutchi, Mme Deromedi, M. Kern, Mme Dumas, MM. Sido, Henno, B. Fournier, Laménie et Bockel, Mme Renaud-Garabedian, MM. Regnard, Panunzi, Bonnecarrère et Moga, Mme Kauffmann, M. Vogel, Mmes Vullien et Gruny, M. J.M. Boyer et Mmes Lassarade, Goy-Chavent, Noël, Lherbier et Morin-Desailly, est ainsi libellé :
Avant l’article unique
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au deuxième alinéa de l’article L. 421-14 du code de l’action sociale et des familles, après le mot : « secourisme », sont insérés les mots : « , à la prévention des violences éducatives ordinaires ».
La parole est à Mme Céline Boulay-Espéronnier.
Mme Céline Boulay-Espéronnier. En 2019, nous fêtons les trente ans de l’adoption de la convention internationale des droits de l’enfant. En vertu de ce texte, « les États prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements, pendant qu’il est sous la garde de ses parents ou de l’un d’eux, de son ou de ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié. »
Plus que tout, l’enfant a le droit de se sentir en sécurité dans les lieux qui l’accueillent ; de par sa dépendance et sa vulnérabilité, il devrait être particulièrement protégé. En ce sens, le cadre de la famille ou de tout autre lieu d’accueil se doit d’être sécurisant et empreint d’un climat de confiance.
L’un des axes d’intervention consiste à doter les parents de repères éducatifs et comportementaux répondant aux besoins de leur enfant et l’aidant à se prémunir de difficultés affectives ou sociales ultérieures.
Cette action de prévention doit passer par la sensibilisation de tout professionnel étant partie prenante de la vie de l’enfant. Parce qu’ils accueillent à leur domicile des enfants dès l’âge de deux mois et demi, les assistants maternels doivent impérativement connaître les conséquences des violences éducatives ordinaires sur le développement cognitif et émotionnel de l’enfant ; ils doivent également être formés à la détection de ces violences.
Aussi, cet amendement vise à inscrire l’objectif de prévention des violences éducatives ordinaires dans les prérequis de la formation d’assistant maternel.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie-Pierre de la Gontrie, rapporteure. Chère collègue, au travers de cet amendement, vous proposez de reprendre des dispositions votées par l’Assemblée nationale ; et votre proposition m’a tellement intéressée que, lors des auditions organisées en vue de l’examen de ce texte par la commission, je me suis moi-même penchée sur les possibilités offertes à cet égard.
Toutefois, deux raisons m’ont conduite à m’arrêter en chemin.
Tout d’abord, pourquoi se limiter aux assistants maternels ? Toute une série de professionnels sont concernés par la question ! Un court instant, j’ai songé à déposer un amendement visant à modifier, à leur intention, l’ensemble des codes concernés – mais, très rapidement, l’on m’a ramenée à la raison… (Sourires.)
Ensuite, j’ai assez vite abouti à cette conclusion : il est possible de procéder par la voie réglementaire, et pour cause, nous débattons des modalités de la formation. En conséquence, je suis de nouveau tentée d’interpeller M. le secrétaire d’État. Je le prie de m’en excuser, mais ce sera la seconde, et donc la dernière fois aujourd’hui. (Nouveaux sourires.) Il faut sans doute inclure de tels dispositifs dans toutes les formations des professionnels appelés auprès des jeunes enfants.
Nous avons déjà débattu de ces dispositions ce matin, et la commission n’a pas émis un avis favorable. Une nouvelle fois, le raisonnement suivi n’est pas en cause ; la position de la commission se fonde sur l’application concrète et sur le champ de cet amendement. Voilà pourquoi nous vous demandons de bien vouloir le retirer ; j’espère que M. le secrétaire d’État nous donnera son point de vue sur l’enjeu dont il s’agit.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. En réalité, la prévention des violences éducatives ordinaires s’inscrit déjà dans la formation des professionnels en contact avec les enfants et les parents. Je pense notamment à l’attention apportée aux besoins et aux facteurs de développement de l’enfant, conformément aux articles D. 421-46 et D. 421-47 du code de l’action sociale et des familles.
Madame la rapporteure, à cet égard, je vous rejoins : une action de sensibilisation est probablement nécessaire, au travers de formations pour l’ensemble des professionnels de la petite enfance. Pour ce qui concerne les violences, quelle qu’en soit la nature, psychologique, sexuelle ou physique, nous avons probablement besoin de sensibiliser davantage l’ensemble des professionnels, qu’il s’agisse du repérage, de la détection, ou encore du transfert d’information.
En la matière, les professionnels de la petite enfance sont souvent placés face à des signaux faibles ; ces derniers doivent effectivement donner lieu à une prise en charge. Ainsi, l’on pourra œuvrer en faveur de la prévention.
Je me permets d’élargir le propos : au-delà des violences éducatives ordinaires, le Gouvernement travaille sur ces aspects de formation. À ce stade, les dispositions de cet amendement me semblent satisfaites. Je suggère donc son retrait ; à défaut, je m’en remettrai à la sagesse de la Haute Assemblée.
M. le président. Madame Boulay-Espéronnier, l’amendement n° 3 rectifié bis est-il maintenu ?
Mme Céline Boulay-Espéronnier. Bien sûr, il est nécessaire de former tous les professionnels au contact de l’enfant : un travail mené conjointement par tous ces acteurs est nécessaire pour détecter les risques susceptibles de se présenter. Toutefois, il faut bien choisir un point de départ et, à mon sens, il est pertinent de commencer par les assistants maternels.
Dans le cadre du projet de loi pour une école de la confiance, peut-être pourrons-nous revenir sur ce sujet, en prenant cette fois-ci pour base de discussion les professionnels de l’éducation. Cela étant, pour l’heure, je maintiens mon amendement.
M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Chère collègue, comme vous, je souhaite généraliser l’idée selon laquelle, dans l’éducation, il ne doit pas y avoir de violence. Toutefois – je l’ai déjà dit lors de la discussion générale –, nous débattons d’un texte portant sur l’autorité parentale, sur les modalités et sur la responsabilité des parents à cet égard. La question est donc clairement circonscrite : à mon sens, il importe de respecter ce cadre.
Vous suggérez, à juste titre, que nous pourrons inscrire ces dispositions dans le prochain projet de loi relatif à l’éducation ; voilà pourquoi j’ai moi-même demandé à M. le secrétaire d’État comment il envisageait, dans l’exercice de ses fonctions, de généraliser ce travail.
Pour ma part, je ne voterai pas cet amendement : j’en comprends le sens, mais, selon moi, ces dispositions n’ont pas leur place dans le présent texte.
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Je suis cosignataire de cet amendement et, bien entendu, je le voterai : au moins, ces dispositions ont le mérite de soulever des problèmes essentiels de société. Les orateurs qui se sont succédé au cours de la discussion générale l’ont rappelé, il s’agit de questions particulièrement importantes, mettant en jeu l’éducation des enfants.
En outre, de nombreux intervenants sont concernés. À ce titre, le « climat de confiance » auquel se réfère l’objet de cet amendement inclut tous les professionnels et tous les partenaires de l’éducation nationale, y compris les familles. Il s’agit là de sujets particulièrement sensibles : les policiers, les gendarmes, les sapeurs-pompiers, toutes celles et tous ceux qui interviennent aux différents niveaux dans ce domaine sont témoins des nombreuses violences que peuvent subir les enfants.
Pour ces raisons, je soutiens cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 3 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article unique
Après le deuxième alinéa de l’article 371-1 du code civil, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques. »
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements.)
8
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 7 mars 2019 :
À quinze heures : questions d’actualité au Gouvernement.
De seize heures quinze à vingt heures quinze :
(Ordre du jour réservé au groupe communiste républicain citoyen et écologiste)
Proposition de loi relative à la nationalisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes et à l’affectation des dividendes à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, présentée par Mme Éliane Assassi et plusieurs de ses collègues (texte n° 249, 2018-2019).
Proposition de loi visant à interdire l’usage des lanceurs de balles de défense dans le cadre du maintien de l’ordre et à engager une réflexion sur les stratégies de désescalade et les alternatives pacifiques possibles à l’emploi de la force publique dans ce cadre, présentée par Mme Éliane Assassi et plusieurs de ses collègues (texte n° 259, 2018-2019).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt et une heures dix.)
nomination de membres de commissions
Le groupe Les Républicains a présenté deux candidatures pour deux commissions permanentes.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 du règlement, ces candidatures sont ratifiées :
Mme Claudine Thomas est membre de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale et Mme Marie-Pierre Richer est membre de la commission des affaires sociales.
nomination des membres d’une mission commune d’information
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 du règlement, la liste des candidatures préalablement publiée est ratifiée.
Mission d’information sur le thème « Gratuité des transports collectifs : fausse bonne idée ou révolution écologique et sociale des mobilités ? » (vingt-sept membres)
MM. Serge Babary, Joël Bigot, Mme Céline Boulay-Espéronnier, MM. Michel Dagbert, Philippe Dallier, René Danesi, Gilbert-Luc Devinaz, Michel Forissier, Alain Fouché, Guillaume Gontard, François Grosdidier, Mme Annie Guillemot, MM. Olivier Henno, Loïc Hervé, Olivier Jacquin, Mme Mireille Jouve, MM. Olivier Leonhardt, Didier Mandelli, Frédéric Marchand, Jean-Marie Mizzon, Louis-Jean de Nicolaÿ, Cyril Pellevat, Philippe Pemezec, Didier Rambaud, Mmes Françoise Ramond, Sophie Taillé-Polian et Michèle Vullien.
Direction des comptes rendus
ÉTIENNE BOULENGER