M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour présenter l’amendement n° 17 rectifié.
Mme Maryse Carrère. Il est défendu.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour présenter l’amendement n° 24.
M. Pascal Savoldelli. Cet article pose deux problèmes majeurs : d’une part, il instaure une présomption de culpabilité pour toute personne se couvrant le visage dès lors que des troubles se produisent lors d’une manifestation ; d’autre part, la notion de « motif légitime » est trop floue et sujette à interprétation aux yeux de notre groupe.
Nous sommes constructifs : si l’on répond de manière satisfaisante à nos interrogations, nous pourrions retirer notre amendement.
Premièrement, qu’entend-on par « dissimuler volontairement tout ou partie de son visage » ? Cela mérite quand même d’être explicité.
M. Jean Bizet. C’est avancer masqué ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Pascal Savoldelli. Le champ d’application retenu pour le dispositif est insatisfaisant, chers collègues.
Deuxièmement, qu’est-ce qu’un « motif légitime » de dissimuler tout ou partie de son visage ? Une personne portant des lunettes de soleil sera-t-elle susceptible de tomber sous le coup du nouvel article 431-9-1 du code pénal ?
Troisièmement, dans l’attente d’une réponse précise à ces questions, valable en tout temps et en tout lieu, reste à savoir qui déterminera quand s’appliquera cet article ? Il appartiendra aux forces de l’ordre d’apprécier le contexte, le degré de dissimulation du visage, avant que le juge n’infirme ou ne confirme cette appréciation préalable. Franchement, il me semble que nous pouvons tous admettre le caractère instable et insatisfaisant de ce dispositif !
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Il faudra apporter des preuves !
M. Pascal Savoldelli. Quatrièmement, cet article crée une présomption de culpabilité pour toutes les personnes se couvrant le visage alors que des troubles à l’ordre public ont été constatés.
Je pense que beaucoup d’entre nous ont déjà participé à des manifestations, même si ce n’est pas forcément pour défendre les mêmes causes… (M. Philippe Pemezec rit.) Tous ceux qui ont manifesté le savent : quand il y a des gaz lacrymogènes, on se protège ! (Exclamations amusées sur des travées du groupe Les Républicains.)
Comme l’a souligné M. Bonnecarrère, dont je partage totalement l’opinion, nous ne manquons pas de lois pour lutter contre les violences. L’article 4 est délibérément très flou, et son application sera très instable.
Je le dis avec un peu d’humour, mais si vous adoptez cet article, l’acquiescement éclairera peut-être votre visage, chers collègues de la majorité, mais le refus nous donnera la beauté. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe socialiste et républicain. – Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. L’article 4, relatif à la création d’un nouveau délit de dissimulation du visage au sein ou aux abords d’une manifestation, est particulièrement attendu par nos forces de l’ordre. Il leur permettra d’interpeller et de placer en garde à vue les fauteurs de troubles qui viennent dans les manifestations, cagoulés ou casqués, non pas pour exprimer leurs revendications, mais pour casser.
Notre commission, qui est particulièrement attachée à cette disposition, a émis un avis défavorable sur ces amendements de suppression. Elle a choisi d’adopter l’article 4 sans modification, plutôt que de chercher à en affiner encore la rédaction.
J’ajoute que le souci de précision dans la définition de l’infraction auquel font référence les auteurs de l’amendement n° 17 rectifié doit être mis en balance avec la nécessité de conserver un dispositif opérationnel, les différents éléments de l’infraction devant pouvoir être établis devant le tribunal.
Enfin, monsieur Savoldelli, contrairement à ce que vous pouvez affirmer, le texte n’instaure pas une « présomption de culpabilité ». Il appartiendra au parquet de démontrer que la personne qui se couvrait le visage le faisait sans motif légitime. Le tribunal appréciera, en fonction des faits de l’espèce, l’existence ou non de ce motif légitime, et ce à l’issue d’un débat contradictoire, qui permettra à la personne mise en cause de donner, pendant l’audience, toutes explications de nature à prouver son innocence.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Madame la rapporteure, je vous ai écoutée avec beaucoup d’attention. Vous parlez d’individus « casqués ou cagoulés », mais où ces termes figurent-ils dans le texte ? C’est une question sérieuse, car ensuite, les actes vont devoir s’accorder aux mots et à leur définition ! Les termes « casqués ou cagoulés » ne figurent nulle part dans le texte dont nous débattons. Il y est seulement fait mention d’une personne qui « dissimule volontairement tout ou partie de son visage ». Quel rapport avec la cagoule et le casque ? Nous en sommes arrivés là, au Parlement ? Tout cela ne tient pas la route ! Je ne suis pas en train de porter une appréciation sur le port de la cagoule ou du casque lors d’une manifestation, je demande ce que signifient exactement les termes du texte !
Par ailleurs, vous évoquez le rôle du parquet, madame la rapporteure, mais où se trouve-t-il pendant la manifestation ?
M. Alain Joyandet. En bas ! (Sourires sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Pascal Savoldelli. Il n’y a pas vraiment de quoi rire, mes chers collègues !
Les forces de l’ordre devront fonder une présomption de culpabilité sur le fait que le visage d’une personne est totalement ou en partie dissimulé, apprécier la situation en fonction de ce que nous allons voter. Ce n’est qu’ensuite que le parquet interviendra.
Ce sont les libertés individuelles qui sont ici en jeu ! Une responsabilité terrible pèsera sur nos policiers, qui devront déterminer si la dissimulation d’une certaine partie du visage est susceptible de révéler l’intention de commettre un acte délictueux. Franchement, j’attends une autre réponse ! Nous pouvons changer d’avis, mais en fonction d’autres arguments que cette histoire de cagoules et de casques.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Je ne prenais qu’un exemple !
M. Pascal Savoldelli. Soit, mais un exemple ne saurait faire loi !
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Je voudrais livrer un point de vue plus global.
Certains, M. Retailleau en tête, estiment nécessaire de passer à une nouvelle phase, de changer d’arsenal juridique et législatif pour faire face à un phénomène inédit, appelé à durer, de violences dans les manifestations. Or personne n’a apporté la moindre preuve quant à la réalité d’une telle augmentation des violences. Je me souviens avoir connu, dans le passé, des violences inouïes et beaucoup plus organisées lors de certaines manifestations, notamment celles des sidérurgistes, venus par milliers à Paris affronter les forces de l’ordre face à face, à coups de boulons. Auparavant, il y avait eu mai 68. Dans les années quatre-vingt-dix, on hésitait à appeler à des manifestations lycéennes, parce que, régulièrement, des centaines de jeunes, constitués en bandes organisées que personne ne parvenait à contenir, en profitaient pour dévaster et piller les magasins à Montparnasse, par exemple. C’était une catastrophe ! Il y a aussi eu, plus récemment, les « bonnets rouges », l’incendie du Parlement de Bretagne, à Rennes. Les situations de violence auxquelles ont été confrontées les forces de l’ordre lors de manifestations de toutes sortes, notamment paysannes, ont parfois été inouïes.
Quant à l’usage de cagoules ou de casques par les casseurs pour dissimuler leur visage, il est le lot commun des manifestations de ces quarante dernières années ! Aujourd’hui, on semble découvrir l’eau chaude, et on décide qu’il faut un nouvel arsenal juridique pour lutter contre les violences… Vos prédécesseurs étaient-ils donc si bêtes qu’ils n’y aient pas pensé ? Il faut veiller à protéger les libertés. Dans une Europe où la démocratie est aujourd’hui en danger, c’est l’arsenal législatif qui défend les libertés qui nous protégera le mieux !
M. François Bonhomme. C’est absurde !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 14, 17 rectifié et 24.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 4.
(L’article 4 est adopté.)
Article 5
(Suppression maintenue)
Article 6
(Non modifié)
I. – Le code pénal est ainsi modifié :
1° Après l’article 131-32, il est inséré un article 131-32-1 ainsi rédigé :
« Art. 131-32-1. – La peine d’interdiction de participer à des manifestations sur la voie publique, qui ne peut excéder une durée de trois ans, emporte défense de manifester sur la voie publique dans certains lieux déterminés par la juridiction.
« Si la peine d’interdiction de participer à des manifestations sur la voie publique accompagne une peine privative de liberté sans sursis, elle s’applique à compter du jour où la privation de liberté a pris fin. » ;
2° Après le premier alinéa de l’article 222-47, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Dans les cas prévus aux articles 222-7 à 222-13 et 222-14-2, lorsque les faits sont commis lors du déroulement de manifestations sur la voie publique, peut être prononcée la peine complémentaire d’interdiction de participer à des manifestations sur la voie publique, dans les conditions prévues à l’article 131-32-1. » ;
3° Le I de l’article 322-15 est complété par un 7° ainsi rédigé :
« 7° L’interdiction de participer à des manifestations sur la voie publique, dans les conditions prévues à l’article 131-32-1, lorsque les faits punis par le premier alinéa de l’article 322-1 et les articles 322-2, 322-3 et 322-6 à 322-10 sont commis lors du déroulement de manifestations sur la voie publique. » ;
3° bis La section 2 du chapitre Ier du titre III du livre IV est complétée par un article 431-8-1 ainsi rédigé :
« Art. 431-8-1. – Les articles 393 à 397-7 et 495-7 à 495-15-1 du code de procédure pénale sont applicables aux délits prévus à la présente section. » ;
4° Le I de l’article 431-11 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, les mots : « de l’infraction prévue par l’article 431-10 » sont remplacés par les mots : « des infractions prévues à la présente section » ;
b) Le 2° est ainsi rétabli :
« 2° L’interdiction de participer à des manifestations sur la voie publique, dans les conditions prévues à l’article 131-32-1 ; »
4° bis Au premier alinéa du II du même article 431-11, les mots : « l’infraction prévue par l’article 431-10 » sont remplacés par les mots : « les infractions prévues à la présente section » ;
5° Après l’article 434-38, il est inséré un article 434-38-1 ainsi rédigé :
« Art. 434-38-1. – Le fait, pour une personne condamnée à une peine d’interdiction de participer à des manifestations sur la voie publique, de participer à une manifestation en méconnaissance de cette interdiction est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende. »
II. – (Non modifié)
M. le président. La parole est à M. Jean Bizet, sur l’article.
M. Jean Bizet. En commission des lois, j’avais déposé un amendement que je n’ai pas redéposé en séance, eu égard à la volonté de voter ce texte conforme.
Par cet amendement, je posais la question de la déchéance des droits aux minima sociaux pour celles et ceux qui détruisent les biens publics ou privés. Certains pourront considérer qu’un tel amendement était quelque peu brutal, mais une majorité de Français ne comprennent plus que notre pays, qui a le triste privilège d’avoir la pression fiscale la plus importante au sein de l’OCDE, ne redistribue pas à meilleur escient. Accorder des prestations sociales à des casseurs, à des gens qui ne respectent pas le droit, est devenu totalement inacceptable. Plus qu’un amendement d’appel, il s’agissait d’un amendement moralisateur.
Monsieur le ministre, je vous invite à consulter les conclusions du sommet de Göteborg de novembre 2017, qui jetait les bases d’un code de convergence sociale européen. Si nous ne corrigeons pas les dérives actuelles en matière d’accompagnement social dans notre pays, nous resterons à des années-lumière de cette nécessaire convergence que chacun appelle de ses vœux. Évitons d’attribuer des minima sociaux à celles et ceux qui veulent casser notre pays.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.
Mme Esther Benbassa. Je souhaite tout d’abord déplorer la déclaration de l’irrecevabilité de notre amendement qui visait à introduire un article additionnel après l’article 6. Il tendait à garantir davantage de protection aux journalistes, qui sont, depuis quelques mois, la cible de violences tant de la part des manifestants que des forces de police. La liberté des médias est précieuse à notre démocratie et sa défense aurait mérité d’être renforcée.
Le présent article 6 ajoute à la liste des peines complémentaires l’interdiction de participation à des manifestations publiques. Une fois de plus, les dispositions proposées viennent inutilement renforcer un arsenal juridique déjà fort répressif en la matière.
Le phénomène des Blacks Blocs n’est pas nouveau, mais se développe toujours davantage dans nos cortèges. La réponse à apporter n’est assurément pas d’ordre législatif, dans la mesure où les dispositifs envisagés ne dissuaderont pas des groupes déterminés et organisés.
L’efficacité recherchée contre les casseurs ne pourra passer que par un changement de doctrine et une adaptation de nos méthodes aux réalités du terrain. Si nous souhaitons qu’un travail de renseignement et de démantèlement soit mené en amont, il serait avant tout nécessaire de doter nos forces de l’ordre de véritables moyens humains et matériels. C’est ainsi que nous pourrons réduire au maximum la capacité de nuisance des « agités » dans les cortèges, dont le nombre ne dépasserait pas 300 en moyenne, selon les services de renseignement français, lors des manifestations des « gilets jaunes ». Il est possible de juguler les violences commises par un nombre si restreint de personnes, à condition d’avoir la volonté de le faire !
Afin de réunir les conditions de la paix sociale, il faut qu’un équilibre soit trouvé entre le nécessaire maintien de l’ordre public et la garantie des libertés fondamentales et constitutionnelles.
En l’état, nous sommes au regret de constater que le texte proposé n’assure pas une telle pondération et mise plutôt sur une répression disproportionnée.
M. le président. La parole est à M. David Assouline, sur l’article.
M. David Assouline. J’avancerai un autre argument. Nous sommes entrés dans une époque où les extrémismes sont à l’offensive au niveau européen, voire mondial. Il convient donc de nous adapter.
De quels extrémismes parlons-nous ? Des nationalismes, des populismes, de Viktor Orban, de la coalition de droite et d’extrême droite au pouvoir en Autriche, de la montée des extrêmes, non seulement dans la rue, mais aussi dans les urnes. Nous redoutons que cela n’arrive en France, dans la mesure où un courant de ce type, qu’il faut combattre impitoyablement, y est fortement présent, y compris dans le cadre du mouvement des « gilets jaunes ».
Pourquoi tremblons-nous ? Parce que la possibilité de leur arrivée au pouvoir n’est plus une perspective lointaine. Ils ont en effet pris le pouvoir dans un certain nombre de pays, y compris en Italie. S’ils arrivent au pouvoir en France, que feront-ils de nos lois et des moyens que l’État leur donne ?
C’est la raison pour laquelle la défense de notre état de droit et des libertés, que nous avons acquises, de manifester, de contester, de critiquer, de nous organiser sont fondamentales. En effet, ce seront nos armes pour nous défendre si des antirépublicains prenaient le pouvoir.
J’inverse donc votre raisonnement, chez collègues : c’est parce que nous sommes dans cette situation que nous devons faire beaucoup plus attention qu’avant à la garantie de nos libertés.
L’histoire nous le montre, les extrémistes mettent le désordre dans le pays, avant de prétendre incarner l’ordre. Aujourd’hui, ils font pression sur les démocrates pour augmenter l’arsenal répressif qu’ils utiliseront demain contre les démocrates. Je vous le prédis, telle est la situation qui nous attend si nous ne défendons pas nos libertés fondamentales, lesquelles sont notre arme contre les extrémistes, les violents, les racistes et les antisémites. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, sur l’article.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Chers collègues, vous nous préparez une petite France !
En effet, la France est grande quand elle est ferme sur ses principes. Ce que vient de dire M. Assouline est particulièrement important. On doit toujours avoir, s’agissant des droits et des libertés, la mémoire de l’histoire. Le pire n’est jamais totalement conjuré. Des courants totalitaires peuvent prendre le pouvoir et détourner les lois votées de l’esprit républicain de préservation des droits individuels et collectifs.
Vous le savez bien, les fichages, les privations de liberté, l’affaiblissement du juge par rapport à l’administration sont des mesures qu’il faut prendre avec les plus grandes précautions. En l’occurrence, il s’agit de simples manifestations et non pas de terrorisme.
Mme Benbassa l’a dit, il y a des casseurs, mais le phénomène n’est pas récent. Regardez les documents de l’INA ! Que les manifestations aient été paysannes, provinciales, parisiennes ou estudiantines, elles ont toujours donné lieu à des débordements. De tout temps, certaines minorités ont profité de ces occasions pour déstabiliser la situation.
Aujourd’hui, quel aveu de notre impuissance ! Nos amis européens, notamment allemands, n’ont-ils pas trouvé d’autres méthodes pour lutter contre les Black Blocs ? La France des droits de l’homme, incapable de trouver une réponse technique policière, serait contrainte de remettre en cause les droits des citoyens ? Quelle belle image donnez-vous de la France ! N’êtes-vous pas frappés par le fait que l’on met en cause notre pays à l’ONU ?
Mme Marie-Noëlle Lienemann. N’êtes-vous pas frappés par le fait que les instances européennes mettent en cause notre pays, non pas parce qu’il ne transposerait pas une directive, mais parce qu’il ne respecte pas les droits de l’homme ? (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Pemezec. Cela suffit !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Vous affaiblissez la France, en donnant une mauvaise image de notre pays au monde et à notre jeunesse. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. L’amendement n° 26, présenté par Mmes Assassi et Benbassa, M. Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Christine Prunaud.
Mme Christine Prunaud. Il y aurait donc une seule manière de rendre effective l’interdiction de manifester : l’instauration d’un pointage au commissariat tout au long des manifestations visées. À cet égard, on peut s’interroger sur le respect des libertés individuelles fondamentales garanties par notre constitution, notamment celle de circuler librement.
C’est d’autant plus vrai que, en parlant de manifestations sur la voie publique, vous englobez un ensemble de rassemblements, allant des manifestations revendicatives aux festivals, en passant par les rencontres sportives.
Par ailleurs, nous continuons de nous interroger sur la vocation d’un tel article, notamment sur son caractère d’affichage. Ce sentiment est d’ailleurs renforcé par l’existence de l’article 6 bis, qui se juxtapose peu ou prou à l’article 6.
Tant que l’on s’enferme dans ces dispositions plus ou moins techniques, l’on évite de parler de certains sujets, notamment de celui des forces de l’ordre. Au gré des troubles dans les manifestations, la majorité gouvernementale et la majorité sénatoriale ont tenté de rendre responsables les structures organisatrices des missions de police et de maintien de l’ordre.
On voudrait donc que les syndicats et les structures organisatrices maintiennent l’ordre ou se substituent à l’État pour ce qui concerne l’une de ses missions régaliennes, même aux yeux des libéraux… Enfin, l’équilibre entre ordre public et garantie des libertés constitutionnelles n’est pas assuré. Le champ d’application extrêmement large de cette disposition n’est pas pour nous rassurer, vous l’aurez compris.
Comment expliquerez-vous qu’une sanction identique soit prévue pour des faits aussi différents que se couvrir le visage, avec, comme l’a dit mon camarade et collègue Pierre Ouzoulias, des lunettes de piscine et un peu de sérum physiologique, et détruire des biens publics ?
Nous pensons que le droit existant suffit largement. Je pense notamment à la loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, que je soutiens et qui fait référence au port de cagoules, de masques et du voile intégral.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Christine Prunaud. Tout ce qu’il nous faut existe déjà !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. La commission souhaite conserver l’article 6 de la proposition de loi, qui donnera à l’autorité judiciaire de nouveaux moyens d’action pour lutter contre le phénomène des « casseurs », d’abord avec l’extension du champ d’application de la peine complémentaire d’interdiction de manifester, ensuite avec la possibilité d’avoir recours aux procédures rapides – je pense notamment à la comparution immédiate – pour les délits liés aux attroupements.
C’est la raison pour laquelle la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Je souhaite répondre très brièvement à M. Bizet.
La plus grosse manifestation depuis 1968 a eu lieu à Rennes, en 1994. Ce fut un moment terrible, quand 5 000 marins pêcheurs ont dévasté le centre-ville de Rennes. Les documents de l’époque évoquent une véritable guerre civile. Les victimes se comptaient par dizaines. La manifestation a fini, vous le savez, par l’incendie du Parlement de Bretagne. Au même moment, 1 000 pêcheurs saccageaient, à Rungis, le pavillon de la marée.
Par ailleurs, ce soir, le Parlement britannique n’a pas voté en faveur du traité que l’Europe lui propose. Or, malheureusement, s’il n’y a pas de traité, les premières victimes du no deal seront les marins pêcheurs de la flotte française. Je souhaite très sincèrement que vous n’ayez pas à leur opposer l’article 6 de ce texte, lorsqu’ils seront en désespérance et nous demanderont de les sauver. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. L’amendement n° 18 rectifié, présenté par Mmes M. Carrère et Costes, MM. Arnell, Artano, A. Bertrand, Collin, Gold et Gabouty, Mmes Jouve et Laborde et MM. Requier, Roux et Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Remplacer les mots :
de trois ans
par les mots :
d’un an
La parole est à Mme Josiane Costes.
Mme Josiane Costes. Le présent amendement vise à réduire à un an la durée de l’interdiction de manifester susceptible d’être prononcée par un juge comme peine complémentaire, celle-ci étant fixée à trois ans dans la rédaction actuelle.
Il s’agit de s’assurer que, à l’avenir, cette disposition ne puisse être dévoyée, pour fragiliser des mouvements sociaux ou d’opposition.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Cet amendement vise à ramener de trois ans à un an la durée maximale de la peine d’interdiction de manifester, laquelle, je le rappelle, est une peine complémentaire qui peut être prononcée par un tribunal.
Notre objectif, par ce texte, est de donner aux autorités administratives et judiciaires, de nouveaux moyens d’action, et non pas d’affaiblir les outils à leur disposition.
La peine d’interdiction de manifester vient sanctionner des comportements délictueux, des violences ou des destructions sur la voie publique. Elle ne saurait donc en aucun cas être utilisée pour réprimer un mouvement social.
C’est la raison pour laquelle la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’article 6.
(L’article 6 est adopté.)
Article 6 bis
(Non modifié)
Après le 3° de l’article 138 du code de procédure pénale, il est inséré un 3° bis ainsi rédigé :
« 3° bis Ne pas participer à des manifestations sur la voie publique dans des lieux déterminés par le juge d’instruction ou le juge des libertés et de la détention ; ».
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 15 est présenté par MM. Durain, Kanner, Sueur, J. Bigot et Fichet, Mmes de la Gontrie et Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie, Sutour et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 27 est présenté par Mmes Assassi et Benbassa, M. Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jérôme Durain, pour présenter l’amendement n° 15.
M. Jérôme Durain. L’article 6 bis vise à compléter la liste des obligations et interdictions auxquelles une personne peut être astreinte dans le cadre d’un contrôle judiciaire, en ajoutant l’interdiction de manifester sur la voie publique dans certains lieux déterminés par le juge d’instruction ou le juge des libertés et de la détention.
Or, dans le droit en vigueur, le contrôle judiciaire peut d’ores et déjà comporter l’interdiction, pour la personne mise en cause, de se rendre dans certains lieux. Cette disposition est donc, selon nous, superflue.
En outre, l’article 6 bis de la proposition de loi permet au juge d’interdire de manifestation une personne mise en examen et placée sous contrôle judiciaire, sans préciser que la mise en examen est due à des violences, notamment commises au cours d’une manifestation.
Enfin, l’Assemblée nationale n’ayant pas ajouté à l’article 141-4 du code de procédure pénale la nouvelle interdiction de manifester dans des lieux déterminés, une interpellation pour sa violation ne pourra donc pas intervenir. Or c’est sur le fondement de cet article que les services de police ou de gendarmerie peuvent placer en rétention judiciaire une personne soupçonnée d’avoir violé ses obligations, pour une durée maximale de vingt-quatre heures, afin de l’entendre sur le non-respect de ses obligations.
Pour l’ensemble de ces raisons, nous estimons que cette disposition est inutile et imprécise sur la forme et inaboutie sur le plan opérationnel.