Mme la présidente. La parole est à M. Benoît Huré, au nom de la commission des affaires européennes. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Benoît Huré, au nom de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous allons examiner est centré sur les transports, plus particulièrement sur les transports humains et routiers. Il s’agit d’un domaine fortement marqué par le droit européen. Les transports représentent en effet l’une des dimensions essentielles du marché intérieur, de par le soutien qu’ils apportent à la libre circulation des personnes et des marchandises.
La politique européenne des transports entend faciliter les déplacements. Elle organise la coordination et la connectivité des différents modes de transport. Elle définit des exigences de sécurité. Enfin, elle comporte une dimension environnementale forte, avec des objectifs en matière de performance énergétique. Le paquet mobilité, en cours d’adoption, poursuit l’harmonisation et renforce toutes ces dimensions.
Ainsi qu’elle l’a fait à quatre reprises depuis février 2018, la commission des affaires européennes a examiné le présent projet de loi dans le cadre de la mission de veille que lui a confiée la conférence des présidents, afin d’identifier d’éventuelles sur-transpositions du droit européen.
Dès lors qu’une norme européenne s’impose dans tout État membre, il n’y a pas lieu d’y ajouter des contraintes nationales, sauf si celles-ci sont dûment justifiées. Il y va d’une bonne lisibilité pour nos concitoyens, du renforcement de leur sentiment d’appartenance à l’Union européenne et de la compétitivité de nos opérateurs économiques.
Le projet de loi prévoit des mesures d’application de plusieurs règlements européens. Or, qui dit règlement, dit, en principe, peu de marges de manœuvre, sous réserve des options qu’il ouvre. Quelques articles exploitent de telles options, sans ajouter au texte européen. C’est le cas de l’article 23, en matière de pré-équipement des parcs de stationnement pour l’installation de bornes de recharge des véhicules électriques, qui reprend la dispense en faveur des PME.
L’article 9 va toutefois au-delà des obligations imposées par le règlement délégué, tout en s’inscrivant dans la logique de celui-ci. En effet, il prévoit l’ouverture, non seulement des données statiques de transports, mais également des données dynamiques, qui permettent de connaître l’état du trafic en temps réel. L’inclusion de ces données n’est pas une obligation, mais le règlement européen l’évoque dans un considérant et l’encadre dans son annexe.
Le projet de loi semble également aller un peu plus loin que ne l’exigent les textes européens en matière de sanction du non-respect des limites d’émission de CO2 et de particules par différents engins. Mais, madame la ministre, le dispositif est renvoyé à des ordonnances…
Pour le reste, le projet de loi ne comporte pas de dispositions pouvant être qualifiées de sur-transpositions, sous réserve de mesures facilitant les déplacements des personnes à mobilité réduite – qui pourrait s’en insurger ?
Je ferai deux remarques pour conclure.
Premièrement, plusieurs dispositions autorisent l’accès à des données à caractère personnel, notamment pour la surveillance des véhicules routiers connectés. Il convient de veiller strictement au respect du règlement général sur la protection des données et de la directive dite ePrivacy.
Deuxièmement, cinq articles sont repris du projet de loi portant suppression de sur-transpositions, adopté par le Sénat en novembre dernier. Ils exploitent, pour l’essentiel, des dérogations ouvertes par la directive ferroviaire de 2012.
Je compte bien entendu sur le Sénat, donc sur vous, mes chers collègues, pour ne pas ajouter de sur-transpositions. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
Mme la présidente. Je suis saisie, par Mme Assassi, M. Gontard et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, d’une motion n° 106.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi relatif à l’orientation des mobilités (n° 369, 2018-2019).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour la motion.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la loi d’orientation des mobilités est très attendue. Elle est présentée comme la version moderne de la LOTI, loi fondatrice de l’existence d’un droit au transport comme corollaire d’un service public. C’est un projet ambitieux !
Nous partageons l’idée d’une nécessaire redéfinition des besoins, pour créer les outils permettant de répondre aux enjeux nouveaux de déplacement, d’aménagement du territoire, de développement des technologies et, surtout, aux enjeux environnementaux, qui doivent nous conduire à la sobriété énergétique. La planète et nos concitoyens ne peuvent plus supporter cette pollution massive et continue, liée à l’activité humaine et aux flux mondiaux. Alors que les courbes des émissions de gaz à effet de serre, contrairement aux engagements de l’accord de Paris, sont reparties à la hausse, notre système de transport doit être compatible avec la lutte engagée contre le changement climatique. C’est bien l’« affaire du siècle » ! Pourtant, ces enjeux sont mal traités dans le projet de loi. L’exigence du report modal, notamment pour le transport de marchandises, est sous-estimée ; la place du ferroviaire, comme du fluvial, mineure.
Ce projet de loi, au fond, poursuit la voie engagée au cours des trente dernières années, ne proposant comme solution d’avenir que la libéralisation, le démantèlement des opérateurs publics et le désengagement de l’État, laissant une part prépondérante aux intérêts privés pour satisfaire l’intérêt général.
C’est une loi bien dans son temps qui, sous couvert de modernité, consacre la primauté des solutions individuelles sur le collectif. Or, faut-il le rappeler, l’addition de transports individuels n’a jamais fait un transport collectif.
C’est une loi qui manque de structure puisque, si elle traite bien les mobilités des trajets courts, elle passe totalement à côté de la nécessité de conserver la colonne vertébrale du système de transport que constituent les lignes ferroviaires, y compris des lignes de vie.
C’est une loi qui exclut, encore une fois, d’appréhender dans un même mouvement les questions de transports, de logements, d’emploi et de service public, alors même que l’éloignement de l’habitat des lieux de travail, le logement cher et l’étalement urbain sont à l’origine de l’allongement des temps de transport et induisent la saturation et l’engorgement des routes. Avec ce texte, nous travaillons donc, non pas sur les causes de l’accroissement du besoin de mobilité, mais sur les modalités de réponse à ce besoin, ce qui nous paraît constituer une lacune importante.
Je commencerai par quelques remarques sur la forme – comme souvent, elles rejoignent le fond.
Nous sommes particulièrement inquiets du recours inédit sur ce texte, pour l’étude d’impact et l’exposé des motifs, aux services d’un cabinet privé, comme si les compétences n’existaient pas en interne. Ce choix n’est pas un hasard. Que l’État laisse le soin à d’autres de définir l’intérêt public nous préoccupe, notamment quand cela touche à des actes aussi régaliens que la rédaction d’un projet de loi.
Plus grave encore, alors que le Gouvernement s’était engagé à repousser l’examen du texte à l’issue du grand débat, il n’en est rien. Pourtant, cela a été dit, les questions de mobilité sont au cœur du mouvement des « gilets jaunes » et des revendications portées par nos concitoyens. Le mouvement a d’ailleurs débuté autour de la thématique du prix du carburant, posant, non seulement la question du coût du transport, mais aussi celle des conditions d’un égal accès de tous à l’emploi, au service public, à la santé, à la culture… En effet, nous le savons tous, le droit au transport conditionne concrètement l’exercice d’autres droits.
Nous aurions donc souhaité que ce projet de loi tienne compte des aspirations de nos concitoyens et considérons que son examen, dans cette enceinte, est prématuré.
Sur le fond, il s’agit d’un texte fourre-tout – vous le qualifiez vous-même, madame la ministre, de boîte à outils –, abordant pêle-mêle le covoiturage, les trottinettes, le vélo, le bus… sans aucune cohérence.
Inversement, nous voyons dans le cadencement des réformes une grande cohérence. L’année dernière, avec la réforme ferroviaire, vous avez enterré le train. Nous pouvons donc aujourd’hui parler des autres mobilités : « Vous n’avez plus de train, prenez votre trottinette ou optez pour le covoiturage ! » (M. Roger Karoutchi s’esclaffe.) Telle est la philosophie de ce projet de loi, qui renvoie la définition de l’offre de transport à chaque autorité organisatrice, selon ses moyens, des intercommunalités aux régions, laissant craindre de grandes inégalités territoriales et une balkanisation de l’offre de transport.
Le changement sémantique illustre parfaitement cette stratégie. Nous ne parlerons donc plus du « droit au transport », droit fondé sur un maillage territorial, une offre structurante de masse, mais du « droit à la mobilité », aux contours flous et à la définition évanescente, laissant les individus libres de choisir leur mobilité, comme si l’offre de transports n’était pas directement le résultat de l’investissement public et de choix politiques.
Ce changement terminologique s’explique par le passage d’un système de transport public, opéré par des opérateurs publics, à des solutions individuelles ou reposant sur l’initiative privée, des solutions qui ont d’ailleurs toutes pour point commun d’emprunter la route. L’avenir de la route, c’est donc… la route ! Bel effort pour la transition écologique !
Bien sûr, nous ne sommes pas opposés au développement du vélo, de la marche ou d’autres mobilités décarbonées, mais nous voulons aussi aborder la question du service public, des transports collectifs et d’une politique publique.
Nous voulons également aborder la question des financements, grande inconnue de ce projet de loi. Le Gouvernement fait le choix du scénario 2 du COI, ce qui nous paraît faible. Pire encore, malgré les annonces d’un effort de 40 % de financements supplémentaires, c’est le silence radio sur les financements nouveaux pour l’Afitf. Soulignons tout de même les efforts évidents et remarquables du rapporteur, qui a permis – c’est déjà bien – de sanctuariser la part de la hausse de la TICPE attribuée à l’Afitf et d’attribuer une nouvelle portion de cette recette aux collectivités. Des efforts de fléchage, donc, mais pas de sources nouvelles ! Nous y reviendrons par nos amendements, en proposant des financements nouveaux, à la fois pour les autorités organisatrices au travers du versement transport ou de la baisse de la TVA et pour l’Afitf. Nous proposerons ainsi la mise en œuvre d’une taxe poids lourds : il faut bien revenir sur cet avantage concurrentiel de la route, qui ne finance pas les infrastructures.
Parce qu’il s’agit aussi de justice et d’efficacité fiscales, nous pensons que les exonérations fiscales des camions seraient mieux employées pour le financement de l’Afitf, tout comme nous considérons que l’État aurait intérêt à retrouver la maîtrise de ses infrastructures, au premier chef des concessions autoroutières, ou, pour le moins, à ne pas en autoriser de nouvelles, comme le fait ce projet de loi. L’État doit reprendre la main !
Enfin – c’est le troisième argument, et non le moindre, qui justifie cette motion de procédure, nous sommes farouchement opposés à la libéralisation des transports urbains et à l’explosion de la RATP en une myriade de filiales au gré des contrats obtenus. Nous considérons que l’organisation de la filialisation correspond à une stratégie connue : segmenter pour mieux privatiser ensuite les opérateurs publics.
Certes, cette ouverture à la concurrence est prévue depuis l’adoption du règlement OSP et de la loi de 2009. Certes, les possibilités de dérogation pour le transport urbain n’existent pas dans ce règlement, contrairement au ferroviaire. Mais nous continuons de penser que cet horizon n’est pas indépassable, y compris parce qu’il va s’avérer coûteux pour les autorités organisatrices dans l’organisation des procédures. Nous considérons, à l’instar de ce que nous avons soutenu l’année passée pendant la réforme ferroviaire, que la France s’honorerait à porter au niveau européen l’exigence d’une révision des traités et des directives qui imposent la concurrence en tout domaine. Nous avons l’expérience aujourd’hui de ces ouvertures à la concurrence : elles dégradent les services publics, démantèlent les monopoles publics pour en faire des monopoles privés, se traduisent par une baisse de qualité du service public, de la sécurité des infrastructures et, le plus souvent, par une augmentation des coûts pour les usagers.
La question des personnels des transports publics est également centrale. Leur statut public n’est pas un archaïsme du passé, mais bien le corollaire de salariés tournés vers un objectif de service public, notamment de ces principes fondateurs : égalité, continuité, mutabilité et accessibilité.
Aujourd’hui, vous proposez de dynamiter ce système en organisant le dumping social dans ce secteur, préconisant ainsi une harmonisation vers le bas des garanties salariales et la fin programmée du statut spécifique. Nous ne participerons pas à ce gâchis ! Nous pensons bien au contraire qu’il conviendrait de réfléchir, y compris pour aider et accompagner les collectivités dans leurs nouvelles compétences, à la création d’un opérateur public du transport urbain, à l’échelle nationale, qui permettrait de faire prévaloir les enjeux d’intérêt général sur ceux du privé et la complémentarité des modes plutôt que leur mise en concurrence.
Dernier point : nous sommes absolument opposés à l’ajout en commission de l’allongement de la période de déclaration individuelle de grève. Cet amendement, adopté à la hussarde,…
M. Roger Karoutchi. Oh !
Mme Éliane Assassi. … sans concertation, est une véritable provocation, monsieur Karoutchi, pour les agents du service public.
M. Roger Karoutchi. Non, ce n’est pas vrai !
Mme Éliane Assassi. Une loi sur les mobilités ne peut être une loi qui organise le recul des droits sociaux des agents des transports !
Pour l’ensemble de ces raisons, mes chers collègues, nous vous proposons de voter la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Mme Martine Filleul applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Chaize, contre la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Patrick Chaize. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’exercice est délicat. Je me dois en effet de donner les raisons pour lesquelles nous devons rejeter cette motion tendant à opposer la question préalable, mais je dois, à la vérité, reconnaître que l’objet de cette motion est assez convaincant. Malheureusement, pour ses auteurs, convaincant ne veut pas dire convaincu !
Le résultat de ce paradoxe, c’est que je vais consacrer mon intervention à expliquer pourquoi les auteurs de la motion ont souvent raison, grief par grief, pour finalement vous demander, mes chers collègues, de ne pas la voter.
Sur la forme, d’abord, les auteurs de cette motion nous rappellent avec malice toute l’étrangeté qu’il y a à débattre de ce projet de loi d’orientation des mobilités, alors même que nous sommes en plein grand débat national. Leur remarque est tout à fait justifiée : légiférer aujourd’hui, c’est, disons-le, faire peu de cas de ce grand débat national, faire peu de cas de la colère exprimée par les Français et c’est, enfin, faire peu de cas de l’aptitude des Français à donner leur avis sur une politique publique. Si le Gouvernement pense qu’il peut faire l’économie de la démocratie directe après avoir enjambé le Parlement – et le verbe « enjamber » est avantageux… –, grand bien lui fasse ! Mais, dans ce cas, il eût été plus sage de ne pas convoquer nos compatriotes à cette grande procession républicaine.
Toujours en ce qui concerne la concomitance entre le grand débat d’un côté et l’examen de ce projet de loi de l’autre, l’effet est d’autant plus maladroit que le détonateur des mouvements sociaux que nous avons traversés a été la hausse des prix des carburants.
La crise des « gilets jaunes », bien qu’aujourd’hui envisagée comme une crise sociale ordinaire, est au départ une crise de la mobilité : mobilité sociale, certes, mais mobilité spatiale d’abord. Voilà pourquoi il me semble légèrement anachronique d’examiner ce projet de loi avant même l’issue du grand débat,…
Mme Éliane Assassi. Très bien !
M. Patrick Chaize. … mais soit !
Grief suivant exposé par les auteurs de la motion : le recours aux ordonnances. Difficile, là encore, de ne pas leur donner raison !
Sur les 44 articles du projet de loi initial, une douzaine d’articles prévoient un recours aux ordonnances,…
M. Laurent Duplomb. Ça, c’est la démocratie…
M. Patrick Chaize. … et pas les moindres : véhicules connectés, expérimentations de solutions innovantes en matière de mobilité – très circonscrites –, soutien aux installations de production de biogaz, polluants atmosphériques. Autant de sujets structurants !
En ce qui concerne le recours à un cabinet privé pour la rédaction de l’étude d’impact, le journal Le Monde, dans un article du 29 novembre 2018, nous a indiqué que l’appel d’offres évoquait également l’exposé des motifs. Je ne crois pas que cette possibilité soit de nature à remettre en cause l’examen de ce texte ; en revanche, elle nécessite une clarification de la part du Gouvernement sur l’objet exact de l’appel d’offres. À titre personnel, je ne crois pas que nous assistions ici à un cas flagrant de méconnaissance de l’article 39 de la Constitution ni à une entorse aux dispositions organiques de la loi du 15 avril 2009. Reste que cela vient s’ajouter à une phase d’élaboration du projet de loi pour le moins laborieuse.
Si ce processus d’élaboration a débuté dès la mise en place des Assises nationales de la mobilité, qui se sont tenues du 19 septembre au 13 décembre 2017, la phase de rédaction s’est, pour l’essentiel, achevée en août dernier avec la transmission d’une première version de l’avant-projet de loi au Conseil d’État. Une saisine rectificative a été adressée en octobre. Dans les deux cas, nous n’avons pas eu connaissance de son avis.
L’avis du 15 novembre nous sera finalement transmis avec retard. Entre-temps, nous avons pu disposer des avis pour le moins réservés du Conseil national d’évaluation des normes et du Conseil économique, social et environnemental. Mais le Gouvernement décida, après que ces avis eurent été rendus publics, de modifier son projet de loi avant son passage en conseil des ministres pour s’adapter – je crois qu’il n’y a pas d’autre raison – au mouvement des « gilets jaunes ». Ont ainsi été retirées du projet de loi la création des péages urbains, qui devaient voir le jour dans les communes de plus de 100 000 habitants, la suppression de l’obligation d’une part minimale de véhicules à faibles émissions pour les entreprises et, enfin, la consécration législative du Conseil d’orientation des infrastructures. Voilà pour les principales, car la liste est bien sûr très incomplète.
La phase d’élaboration du projet de loi ne s’est pas arrêtée là, puisque, dans une lettre rectificative du 20 février, le Gouvernement a souhaité procéder à l’ajout de six nouveaux articles. Heureusement pour vous, madame la ministre, notre rapporteur est un homme plein de bienveillance. Les auteurs de la motion ont d’ailleurs eu l’élégance de saluer son travail, qui, comme je viens de le préciser, n’a pas été rendu facile. Dans l’objet de la motion, il est notamment question de son travail sur le financement des infrastructures de transport. C’est justement le point que je veux aborder à présent.
Le grief sans doute le plus important soulevé par nos collègues du groupe CRCE est le suivant : le fait que ce projet de loi d’orientation des mobilités fasse « l’impasse sur la question essentielle des financements ». Nos collègues évoquent la sanctuarisation des ressources de l’Afitf proposée par le rapporteur. J’ajouterai à cela l’affectation intégrale de la hausse de TICPE prévue par la loi de finances pour 2015 au financement des infrastructures de transport.
Toujours en matière de financement des infrastructures, et toujours en ce qui concerne les faiblesses bien réelles de ce projet de loi sur ce point, nos collègues du groupe CRCE estiment que la question des investissements « reste posée afin de permettre un niveau d’investissement à la hauteur des besoins et pour le moins au niveau du scénario 3 présenté par le comité d’orientation des infrastructures ».
Sans le savoir peut-être, les auteurs de la motion nous donnent la meilleure raison qui soit de commencer l’examen de ce texte.
À ce propos, je crois savoir que nombre de mes collègues, et ce quel que soit leur groupe politique d’appartenance, se réjouissent à l’avance de pouvoir trouver des solutions de financement innovantes. Vous pourrez ainsi constater, madame la ministre, que la Haute Assemblée est toujours disposée à apporter son concours au Gouvernement,…
M. Roger Karoutchi. Pas trop, quand même ! (Sourires.)
M. Patrick Chaize. … et ce même si votre texte se trouve privé de ressources.
Autre grief dans la motion : les enjeux de transition écologique et de lutte contre le réchauffement climatique sont insuffisamment pris en compte, puisque l’alternative promue face à la voiture individuelle reste l’usage de la route au travers de la notion de mobilité partagée, qui est placée au même niveau d’exigence que la mobilité propre. Comment s’opposer à cette réflexion ?
J’ajoute, en ce qui me concerne, que si le texte évoque la mobilité partagée et la mobilité propre, il eût été loisible, toujours pour dépasser notre horizon, de s’intéresser à la non-mobilité. On y pense trop peu souvent, mais la clé de mobilité actuelle qui conditionne nos besoins en mobilité propre ou en mobilité partagée, c’est l’accroissement constant des besoins de mobilité. Nous sommes à l’âge du « zapping » territorial, c’est-à-dire que nos concitoyens travaillent dans un lieu A, consomment dans un lieu B et font leurs démarches administratives dans un lieu C. La solution n’est pas toujours de savoir comment se déplacer, mais peut-être pourquoi se déplacer. Pourquoi alors prendre la peine d’équiper notre pays en fibre optique ? À quoi bon le développement de la 5G si, en définitive, nous ajoutons à ces nouveaux flux électroniques les flux physiques de l’ancien monde ?
Dernier point de la motion dont je voudrais vous parler : la dénonciation de la libéralisation des transports urbains en Île-de-France.
M. Roger Karoutchi. Ah !
M. Patrick Chaize. Par principe, je n’y suis pas opposé, comme la plupart de mes collègues du groupe Les Républicains. Comme la plupart d’entre eux également, je souscris aux garde-fous qui sont aujourd’hui envisagés, quoique insuffisants pour nos collègues du groupe CRCE.
Mes chers collègues, je l’ai confessé dans mon propos liminaire, je suis trop souvent d’accord avec mes collègues du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. (Exclamations amusées sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme Éliane Assassi. Rejoignez-nous ! (Sourires.)
M. Patrick Chaize. On nous demande d’examiner cette loi en plein grand débat national, qui devait servir de fondement aux prochaines politiques publiques. Cette loi qui a trop souvent recours aux ordonnances,…
M. Charles Revet. Ce n’est pas normal !
M. Patrick Chaize. … cette loi dont les contours ont changé à deux reprises, cette loi que le Conseil d’État, le Conseil national d’évaluation des normes et le CESE n’ont pas jugée aboutie, cette loi, enfin, qui n’est pas financée.
Malgré tous ces griefs et la pertinence de chacun d’entre eux, le groupe Les Républicains votera contre cette motion. (Oh ! sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) Nous pensons qu’il faut poursuivre la délibération. Nous pensons surtout que, dans le contexte politique actuel, il ne serait pas opportun de laisser l’exécutif poursuive son dialogue avec une opinion déboussolée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Didier Mandelli, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. Ce ne sera pas une surprise : je suis défavorable à cette motion.
Ce débat serait prématuré ? Je peux vous assurer que je n’ai entendu personne au cours du grand débat me dire qu’il était urgent d’attendre.
Mme Éliane Assassi. C’est le deuxième sujet qui vient en discussion !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Il faudrait attendre le retour de la confiance ? La confiance ne se construit pas en attendant, mais en proposant des solutions.
Je n’ose imaginer que vous refusiez ce débat. Au reste, vous avez déposé 105 amendements…
Eh oui, ce texte porte une ambition forte pour la transition écologique, et nous pourrons débattre des différents leviers proposés ! Eh oui, ce texte porte une ambition forte pour le transport ferroviaire ! Voici quelques chiffres : 80 % des investissements de l’État et de ses opérateurs, dans la décennie qui vient, vont être consacrés au ferroviaire, tandis que la route représente 85 % des déplacements dans notre pays.
Oui, ce texte crée un droit à la mobilité dans une logique de services adaptés aux besoins et afin de ne plus laisser sans solution ceux qui ne bénéficient pas d’un service ferroviaire ! Oui, ce texte crée un cadre social protecteur pour les agents de la RATP, alors que l’ouverture à la concurrence a été votée il y a déjà dix ans !
Je pense que ce débat est attendu, qu’il est nécessaire et qu’il est utile.
Mme Éliane Assassi. Dans le grand débat, la question des transports vient en deuxième position ! Il ne faut pas raconter d’histoires !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour explication de vote.
M. Jean-Raymond Hugonet. Le groupe Les Républicains est attaché à la poursuite de l’examen de ce texte et donc défavorable à la motion présentée par nos collègues membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. Les raisons de cette position sont claires : tout d’abord, parce que le processus d’élaboration de ce texte a débuté dès la mise en place des Assises nationales de la mobilité, qui se sont tenues à la fin de 2017 ; ensuite, parce que concevoir les mobilités de demain pour réduire les fractures territoriales et sociales est un enjeu essentiel et urgent ; enfin, parce que prévoir des ressources crédibles, pérennes et transparentes était absolument nécessaire.
Je tiens moi aussi à saluer l’excellent travail du rapporteur de ce texte, Didier Mandelli, qui a fait de la question des moyens financiers une priorité. En effet, sur son initiative, la commission a inscrit le principe d’une sanctuarisation des ressources de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, dont le budget ne peut dépendre de recettes instables et fluctuantes comme celles des amendes radars. La commission a également fixé dans la loi le principe de l’affectation intégrale de la hausse de la TICPE au financement des infrastructures de transport. Elle a par ailleurs fait de la réduction des inégalités territoriales son objectif prioritaire. Nous sommes bien évidemment ici, au Sénat, très sensibles à cette démarche.
Attribuer une partie du produit de la TICPE au financement des services de mobilité dans les territoires dont les ressources sont insuffisantes permettra la mise en place de vraies alternatives à la voiture individuelle et de rompre le cercle vicieux de la « double peine » des habitants de ces territoires, dont les revendications sont, ne l’oublions pas, à l’origine de la crise des « gilets jaunes ». C’est donc en examinant ce texte que nous pourrons garantir la soutenabilité financière des investissements de l’État dans les infrastructures de transport pour les dix prochaines années.
Le Sénat ne doit pas se dérober et, comme il en a pris l’habitude, il doit proposer un texte responsable et financé sans qu’il pèse pour autant sur les ménages et les entreprises.