M. Simon Sutour. C’est vrai !
M. Pascal Allizard. Une décennie plus tard, la stratégie globale apparaît plus évidente. Le plan continue de se déployer, puisque – les précédents orateurs l’ont rappelé – les routes de la soie viennent de gagner, via notamment le port de Trieste, un nouveau partenaire : l’Italie, membre fondateur de l’Union européenne.
En outre, dans les pays d’Europe centrale et orientale, les PECO, la présence chinoise s’est affirmée dans l’économie. De nombreux projets en cours et des forums économiques sont régulièrement organisés entre la Chine et les PECO. De plus, en matière politique, un dialogue de haut niveau a été instauré au format « 16+1 » : finalement, quel échec pour l’Europe de voir les PECO s’en remettre aux États-Unis et à l’OTAN pour leur sécurité, et à la Chine pour leur prospérité économique !
Par ailleurs, la Chine a constitué un véritable réseau d’organisations influentes à Bruxelles. Ces dernières agissent comme autant de leviers venant soutenir son effort diplomatique et sa stratégie de soft power.
En tant qu’Européens, il nous faut donc être lucides dans l’analyse des événements et solidaires dans la réponse à y apporter. Je rappelle que l’Union européenne est le premier partenaire commercial de la Chine et que 80 % des échanges commerciaux se font par voie maritime.
Certes, des occasions sont à saisir : l’Union européenne devrait potentiellement profiter de cette augmentation des échanges dans les décennies qui viennent, à condition que cela fonctionne dans les deux sens, ce qui – vous le savez – n’est pas totalement le cas aujourd’hui. Quant aux investissements chinois, ils sont en hausse en Europe, tandis que les investissements européens se sont réduits d’un quart en Chine. Il y a donc des rééquilibrages à faire.
Puisque les routes maritimes, terrestres et ferroviaires vers la Chine existent désormais, quelle stratégie globale entendons-nous mettre en place pour favoriser l’export de produits européens dans ces conteneurs repartant vers l’Asie ? Quelles stratégies d’influence avons-nous en Chine ? Comment la France se donne-t-elle les moyens d’agir, quand d’autres pays semblent plus avancés ?
De plus, si les investissements étrangers sont les bienvenus, les États ne doivent pas totalement se dessaisir de leurs infrastructures stratégiques. Une fois ces dernières cédées, tout retour en arrière serait difficile. Ainsi, quelles solutions communes envisage-t-on pour éviter ces situations déstabilisatrices ? Sommes-nous véritablement prêts ? Les subventions et le rôle des entreprises d’État chinoises, la pression exercée pour transférer nos technologies suscitent également des interrogations.
Une chose est sûre : sans vision ni solidarité communes, l’émergence de la Chine en Europe, loin d’être une chance, ne sera qu’un coin supplémentaire venant disloquer une Union européenne déjà mal en point. L’Union européenne ne devra pas se laisser instrumentaliser par Washington dans sa guerre commerciale avec Pékin.
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à nous de voir si nous souhaitons être acteur du monde ou seulement spectateur de la compétition sino-américaine du XXIe siècle ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. Simon Sutour applaudit également.)
M. Édouard Courtial. Bravo !
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Catherine Fournier. (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Fournier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui le 2 avril 2019. Le Royaume-Uni devait sortir de l’Union européenne le 29 mars dernier. Or il en est toujours membre ; mais jusqu’à quand, et sous quelle forme ?
Lors du Conseil européen des 21 et 22 mars 2019, les chefs d’État européens ont demandé aux dirigeants britanniques de se prononcer avant le 12 avril. Il s’agit bien de leur demander de faire face et de confirmer leur seule et entière responsabilité dans la décision.
Madame la secrétaire d’État, je tiens, en conséquence, à vous alerter sur l’impact économique, social et humain de cette absence de décision. Notre territoire des Hauts-de-France, et plus spécifiquement le Pas-de-Calais, dont je suis l’élue, sera la victime toute désignée d’un Brexit dur. C’est sur cet enjeu que je centrerai mon propos, en complément de l’intervention de mon collègue Philippe Bonnecarrère.
De nombreuses entreprises sont dépendantes de leurs échanges avec le Royaume-Uni. Pour illustrer l’importance de ces relations, nous pourrions évoquer les 31 milliards d’euros d’excédents que dégagent les exportations françaises vers le Royaume-Uni, et qui représentent 7 % du total de nos exportations.
Pour ce qui concerne le secteur halieutique, 30 % de la pêche française se fait dans les eaux territoriales britanniques. Quant aux Britanniques, ils importent 42 % de leurs produits alimentaires depuis l’Union européenne. Mais, à l’heure actuelle, l’impréparation du côté britannique est telle que certains commencent à constituer des stocks pour anticiper les difficultés d’approvisionnement.
Côté français, notre gouvernement a pris par ordonnances des mesures pour anticiper le no deal et les entreprises ont été invitées à se préparer à leur échelle. Mais sont-elles réellement prêtes ?
Le rétablissement des frontières douanières engendrerait des formalités administratives supplémentaires, un temps de passage portuaire accru, une désorganisation des chaînes logistiques et un coût supplémentaire, qu’il s’agisse du personnel ou de la formation.
Les PME, les industriels, les transporteurs, la filière automobile ou encore la filière médicamenteuse sont très inquiets. C’est ce que leurs représentants ont exprimé ici lors de notre colloque du 20 mars dernier, que le président Gérard Larcher – je l’en remercie de nouveau – a bien voulu parrainer.
Le maintien régulé des flux commerciaux, financiers et humains entre le Royaume-Uni et le continent européen, la pérennité des voies commerciales existantes sont cruciaux pour limiter les effets du Brexit sur l’activité économique et la mobilité de nos concitoyens.
Depuis le 4 mars dernier, les agents des douanes français se sont mis en grève pour nous alerter quant aux effectifs nécessaires aux missions liées au Brexit et demander une revalorisation de leurs conditions de travail.
Que cela soit bien clair pour tout le monde : les difficultés actuelles de blocages routiers côté français ne préfigurent en rien les possibles complications liées à la sortie du Royaume-Uni. Ce sont les Britanniques importateurs qui seront chargés de contrôler les flux entrants : ainsi, ils devront faire face, sur leur territoire, à de tels engorgements.
Par le dynamisme de son port et du tunnel sous la Manche, liaison la plus rapide entre nos deux pays, le Calaisis – je suis même tentée de dire la côte d’Opale – est un lieu exceptionnel de passage vers le Royaume-Uni. Toutefois, cette réussite a une contrepartie. Elle engendre des flux importants et calibrés, mais le territoire souffre d’un engorgement rapide, étant donné sa position d’entonnoir. Il est indispensable qu’il soit géré comme une exception, afin que les flux restent continus. Sans accompagnement de l’État, sans décision forte, nous prendrions le risque d’une dégradation de son image comme de son activité économique et d’un grave impact écologique du fait de files de camions en attente prolongée. D’ailleurs – on le sait –, cet affaiblissement se ferait au bénéfice d’un transfert vers les ports du Benelux.
Dans le cadre du Brexit, des mesures de contingence sont prêtes. Mais quand les déclencher ? Comment embaucher quand on ne sait pas quelle sera l’activité demain ? Comment organiser le temps de travail ? Combien investir quand la vision est obstruée ?
Madame la secrétaire d’État, nous le savons, vous venez de prendre vos fonctions – nous vous accueillons d’ailleurs avec plaisir –, ce dans un moment crucial pour l’avenir de l’Union européenne et de notre pays.
M. le président. Merci de conclure.
Mme Catherine Fournier. Nous espérons que vous aurez à cœur de défendre nos territoires ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. Christophe Priou. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Christophe Priou. Madame la secrétaire d’État, avant tout, je vous félicite pour votre nomination et je vous souhaite la bienvenue dans notre hémicycle !
Monsieur le président, mes chers collègues, je tiens à évoquer à mon tour les intérêts stratégiques de l’Union européenne, qu’il convient de protéger. Je pense en particulier à ses intérêts maritimes, parce que les secteurs du transport maritime, des ports européens, de l’industrie nautique et des énergies marines renouvelables sont des gisements d’emplois considérables, vecteurs de croissance et de compétitivité.
Comme l’indique le Président du Conseil européen, il est urgent de repenser les politiques commerciale et industrielle de l’Union pour faire face aux défis de long terme qui sont devant nous : dès lors, parions sur une stratégie maritime européenne intégrée !
En 2014, dans les sphères européennes, on parlait aussi d’une politique industrielle à l’ère de la mondialisation. La mondialisation des échanges passe aujourd’hui par les océans. Il s’agit donc d’une question éminemment européenne.
Le 22 mars dernier, l’Union européenne a souligné : « Une base économique solide est d’une importance primordiale pour la prospérité et la compétitivité de l’Europe, ainsi que pour son rôle sur la scène mondiale. Cela appelle une approche intégrée tenant compte des défis actuels et émergents à l’échelle mondiale. » Au-delà des concepts, prenons le large : le volet maritime, s’il reste insuffisamment pris en compte, est au cœur des défis économiques de l’Union européenne. La Chine, devenue une puissance maritime de premier plan, l’a bien compris en prenant position dans divers ports mondiaux d’intérêt stratégique.
Une politique industrielle volontariste repose aussi sur la maîtrise des espaces maritimes, avec le concours d’une marine océanique de premier plan.
Comme les précédents orateurs l’ont rappelé, l’Italie est le premier pays du G7 à entrer dans le projet des nouvelles routes de la soie. Un accord a été signé avec le Président chinois le 23 mars dernier. Les programmes d’investissements prévoient la modernisation des ports de Gênes et de Trieste, qui deviendront les points d’entrée en Europe des routes commerciales maritimes.
La France veut une nouvelle stratégie nationale portuaire : c’est utile, mais bien insuffisant si nous ne disposons pas d’une stratégie européenne portuaire commune à tous les États membres.
Le document stratégique relatif aux orientations que la France souhaite donner aux politiques de l’Union européenne dans le domaine de la politique maritime au cours des cinq prochaines années doit être ambitieux. J’espère qu’il sera assorti d’un calendrier précis, avec des objectifs concrets.
Un autre exemple est particulièrement éloquent à l’heure du Brexit. Il a, lui aussi, été longuement évoqué dans cet hémicycle. Une agence britannique et une entreprise chinoise ont ouvert en Chine, le 21 mars dernier, un centre de recherches pour l’éolien en mer. Aujourd’hui, le Royaume-Uni est le numéro 1 mondial de l’éolien offshore. Il entend ainsi renforcer sa position. Certes, cela nous fait réfléchir, mais le temps est à l’action pour développer sur nos côtes les énergies maritimes renouvelables, afin de combler notre retard.
L’armateur français CMA CGM et Ikea vont tester l’emploi de biocarburants sur un trajet au départ de Rotterdam de l’un des porte-conteneurs du groupe marseillais. C’est une initiative intéressante pour remplacer le fioul lourd. À l’heure où le fioul du navire Grande America souille l’océan Atlantique à proximité du littoral, avec une nappe d’hydrocarbures se déplaçant vers l’Espagne, il faut rappeler à l’Union européenne le rôle qu’elle doit jouer en matière de sécurité maritime, notamment depuis la création de l’espace européen de sécurité maritime, contenu dans le paquet « Erika III ».
La création de l’Agence européenne pour la sécurité maritime, en 2002, a été utile. Mais nous devons améliorer les dispositifs et le processus d’indemnisation. Le comité interministériel de la mer de 2018 indique l’importance des échanges de données entre secteurs du maritime et entre États membres de l’Union européenne.
À la fin de 2019, la Commission doit présenter une vision à long terme pour l’avenir industriel de l’Union européenne, assortie de mesures concrètes destinées à la mettre en œuvre. Rappelons-lui que rien d’efficace ne se fera sans ambition maritime associée.
En 1629, Richelieu écrivait dans son avis au roi : « La première chose qu’il faut faire est de se rendre puissant sur la mer, qui donne entrée à tous les États du monde. » Le XXIe siècle sera maritime. L’Europe et la France doivent y prendre toute leur place : la tâche est donc immense ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste. – M. Franck Menonville applaudit également.)
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Édouard Courtial. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Édouard Courtial. « L’Europe, quel numéro de téléphone ? » Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, chacun a encore en mémoire la phrase de Henry Kissinger, secrétaire d’État des États-Unis. Plus de quarante ans après avoir été prononcée, elle est toujours autant d’actualité, plus encore pour décrire les relations entre l’Union européenne et la Chine.
En effet, sauf retournement improbable de situation ou de politique diplomatique, le sommet entre ces deux puissances prévu le 9 avril prochain, que le Conseil européen a préparé lors de sa dernière réunion, ne permettra sans doute pas de trouver une position commune entre tous les membres de l’Union européenne pour faire front commun. Ainsi, au vu des événements récents, dire que l’Europe avance en ordre dispersé face aux ambitions chinoises est un doux euphémisme.
L’Italie a signé un accord séparé, d’ailleurs mal préparé et ne respectant pas forcément ses intérêts. Mais comment l’en blâmer si nous refusons de promouvoir et de mettre en place des champions industriels européens ?
L’échec de la fusion d’Alstom et de Siemens ou encore notre incapacité à créer une alternative continentale dans le domaine de la 5G ne peuvent que nourrir les désillusions d’une Europe irresponsable et impuissante à servir ses propres desseins. Nos divisions et nos contradictions entraînent des tentations court-termistes, qui, en touchant des secteurs stratégiques, peuvent mettre en danger les souverainetés. Le Portugal, la Hongrie ou encore la Grèce y ont déjà cédé. Sur le long terme, ce chacun pour soi ne peut que nuire à l’Union européenne et remettre en cause son avenir.
La réception du Président chinois à l’Élysée la semaine dernière, en présence de la Chancelière Angela Merkel et du Président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, sur invitation du Président de la République, va indéniablement dans le bon sens. Mais elle ne peut suffire à inverser le phénomène.
Dans un contexte de bipolarisation généralisée des relations internationales entre les États-Unis et la Chine, l’Europe doit, plus que jamais, faire entendre sa voix et incarner une solution crédible. Indéniablement, la Chine est un concurrent. Elle peut rester une chance pour l’Europe, mais à une seule condition : que nous nous exprimions d’une seule voix, avec des objectifs stratégiques communs connus et identifiés, sans naïveté.
Ce sursaut européen est d’autant plus nécessaire que la Chine, quant à elle, se donne les moyens de ses ambitions.
Les nouvelles routes de la soie soulèvent des enjeux majeurs et le financement pour les mettre en œuvre atteint un niveau inégalé. La Chine a pour but de définir un nouvel ordre mondial dont nous devons être conscients.
Avec mes collègues Pascal Allizard, Gisèle Jourda et Jean-Noël Guérini, nous avons détaillé ces enjeux dans un rapport publié l’année dernière.
Les chiffres sont éloquents et donnent le vertige : à l’échelle mondiale, ces nouvelles routes de la soie concernent directement plus de 70 % de la population, 75 % des ressources énergétiques et 55 % du PIB. Les montants consacrés par la Chine à cette politique atteindraient déjà 800 à 900 milliards de dollars. Ils seraient compris entre 5 000 et 8 000 milliards de dollars dans les cinq prochaines années. Les besoins de financement pour tous les projets rattachés aux nouvelles routes de la soie pourraient dépasser le trillion annuel !
Toutefois, un tel projet ne pourra être un succès, pour toutes les parties, que s’il fonctionne dans les deux sens. Pour ce faire, il est fondamental de créer les conditions d’un équilibre satisfaisant dans les relations entre la Chine, la France et l’Europe. Il convient de poser les bases d’un partenariat commercial fondé sur la réciprocité de l’ouverture des marchés, sur le respect de la concurrence, de la transparence et de la propriété intellectuelle, et d’un partenariat stratégique fondé sur une coopération multilatérale et cartellisée.
Madame la secrétaire d’État, nous avons fait un certain nombre de propositions : je vous invite à vous en saisir. Avant tout, nous soulignons que la France a un rôle central à jouer, qu’elle doit être une force d’impulsion, non seulement dans sa relation bilatérale, mais aussi au sein de l’Union européenne.
Il y a urgence à définir collectivement des objectifs communs pour défendre nos intérêts, car, comme le dit si bien Sun Tzu…
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Ah !
M. André Gattolin. Bien sûr, Sun Tzu ! (Sourires.)
M. Édouard Courtial. … – vous le savez tous ! (Nouveaux sourires.) –, « celui qui n’a pas d’objectifs ne risque pas de les atteindre » ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Monsieur Courtial, je vous rassure, j’ai bien des objectifs : ce sont ceux qu’a fixés le Président de la République, et ils sont nombreux !
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie toutes et tous de votre accueil, très républicain et chaleureux. Je répondrai successivement à vos différentes interventions.
Monsieur le président Cambon, en matière de défense, il y a au moins un point positif : le fonds européen de défense, qui sera doté de 4 milliards d’euros pour la recherche et de 9 milliards d’euros pour le développement et les acquisitions de matériel entre 2021 et 2027. Il s’agit là d’un grand succès du Président de la République, car c’est une initiative qu’il a défendue.
Monsieur le rapporteur général de la commission des finances, en matière de fiscalité, on ne peut pas dire que rien n’a été fait : des progrès indéniables ont été accomplis face à la fraude fiscale ; en faveur de la coordination, à l’échelle de l’OCDE, au titre des accords dits « BEPS » ; et, plus largement, pour ce qui concerne la liste des juridictions non coopératives. Dans ces domaines, l’Union européenne a fait de vrais progrès.
En outre, au sujet de la TVA, la directive relative aux droits voisins apporte une simplification entre le numérique et le papier. À mon sens, il s’agit également d’un véritable progrès.
Bien sûr, ces mesures ne vont pas encore assez loin. Vous le savez, le Président de la République soutient la proposition présentée en janvier dernier par la Commission européenne. Il s’agit d’instituer une majorité qualifiée afin de pouvoir avancer sur les sujets fiscaux. À ce titre, vous avez l’entier soutien du Gouvernement ! Vous savez que, sur tous ces sujets, il faut être nombreux : chaque jour, nous nous efforçons de construire cette majorité.
Face aux enjeux numériques, 23 des 27 pays européens ont désormais adopté la position française : l’OCDE dispose ainsi d’une véritable perspective d’accord politique. Bruno Le Maire présentera bientôt à l’Assemblée nationale le projet de loi portant création d’une taxe sur les services numériques. Grâce à un amendement présenté par la majorité, on pourra regarder comment sécuriser dès maintenant les acteurs économiques : si un accord est trouvé à l’OCDE, il remplacera bien la taxe temporaire présentée par Bruno Le Maire.
Monsieur Reichardt, dans les relations avec la Chine, nous avons également accompli des avancées indéniables, qu’il s’agisse d’Airbus, du secteur agroalimentaire ou encore du domaine culturel. Une position très forte a été prise en faveur d’un multilatéralisme effectif, que ce soit pour préparer le G20 ou le sommet sur le climat. L’Europe, la France et la Chine ont pu avancer de manière positive.
Monsieur Bonnecarrère, vous m’avez interrogée au sujet de l’impact budgétaire du Brexit. Son montant consolidé est estimé annuellement entre 28 et 37 milliards d’euros jusqu’en 2020. La France devra donc augmenter sa contribution de 1,8 milliard d’euros en 2019 et en 2020. Nous devons avoir ces chiffres en tête : il ne s’agit pas d’apeurer les Français, mais il faut être extrêmement clair.
Vous l’avez rappelé, le Brexit a beaucoup occupé l’agenda européen. Je m’en suis précisément entretenue ce matin avec mon homologue allemand Michael Roth : nous le savons, il faut tenir compte des immenses priorités pour l’Europe. Le Président de la République les a d’ailleurs rappelées dans les quarante-neuf propositions de sa lettre aux citoyens d’Europe. La cybersécurité, la défense, les frontières, le droit de la concurrence, le droit de l’innovation, le climat, ou encore le bouclier social : nous tous ici, moi la première, aimerions pouvoir faire avancer concrètement chacun de ces projets.
Madame Mélot, vous avez souligné combien il importait de protéger le débat démocratique, au vu des échéances qui arrivent. Le Conseil européen a réuni une série de propositions au sujet du droit des plateformes numériques. En outre, l’Assemblée nationale examinera bientôt la proposition de loi visant à lutter contre la cyber-haine. Ce texte permettra le retrait des contenus offensants, appelant à la violence, propageant des propos racistes ou discriminatoires. Les deux assemblées ont également voté la loi anti-fake news : ce texte contient des dispositions extrêmement intéressantes, qui peuvent guider une partie de l’action européenne – vous avez vu la mobilisation collective à laquelle ce sujet a donné lieu.
Monsieur Haut, vous évoquez les débats relatifs à Huawei. La France estime que l’approche concertée de la Commission sur la protection des réseaux est une bonne initiative, positive. Mais, comme toujours en pareil cas, tout est affaire de mise en œuvre.
Une proposition de loi, reprenant une suggestion formulée par le Sénat au cours de l’examen du projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises, ou projet de loi Pacte, sera prochainement discutée : elle permettra de s’assurer que les matériels déployés sur notre territoire, notamment au titre de la 5G, répondent à un certain nombre de critères de protection de notre sécurité nationale. Il faudra voir comment l’initiative européenne pourra s’articuler avec cette proposition de loi.
Monsieur Ouzoulias, à ma connaissance, il n’a jamais été question de pénaliser les Britanniques au motif qu’ils ont voulu quitter l’Union européenne.
M. Pierre Ouzoulias. Si !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. En tout cas, la France n’a jamais cherché à pénaliser ou à récompenser l’un ou l’autre des États membres de l’Union européenne !
De plus, vous regrettez que l’Europe ne soit pas plus démocratique. Or un grand effort a été accompli avec les consultations citoyennes, organisées dans l’intégralité des pays membres. Le plan stratégique 2019-2024 s’appuie sur le résultat de ces consultations : c’est, en soi, un progrès.
On ne peut pas dire pour autant que la participation citoyenne est à son apogée dans l’Union européenne… D’ailleurs, l’un des enjeux de la lettre du Président de la République aux citoyens d’Europe, c’est de nous assurer que l’Union européenne travaille bien sur les sujets concrets de la vie des Européens ; qu’elle apporte des réponses à un certain nombre de questions pour lesquelles les États membres, chacun avec ses prérogatives nationales, ne trouvent pas seuls les solutions.
Ce travail demande, effectivement, davantage de démocratie, et je suis très heureuse de prendre mes fonctions en débattant au Parlement de ces sujets européens : cette discussion traduit une ambition que nous devons poursuivre.
Monsieur Sutour, vous m’avez particulièrement interrogée sur les fonds de cohésion et sur la PAC.
Sur le fondement des propositions initiales de la Commission, les discussions portent sur des baisses de 15 % ou de 4 % ; en effet, certains expriment les variations en volume, tandis que d’autres les formulent en valeur. La France a en la matière une position très claire : nous voulons la stabilité en valeur des montants – 52 milliards d’euros pour la politique des aides directes et une dizaine de milliards d’euros pour le développement rural. Dans un budget en expansion, cette demande nous semble légitime, vous l’imaginez bien. C’est donc la position que je défendrai au nom de notre pays dès le prochain conseil Affaires générales, qui aura lieu mardi prochain.
Pour ce qui est de la politique de cohésion, il y a deux enjeux, et je ne peux pas m’empêcher de faire un peu de politique… Bien évidemment, nous aimerions conserver une politique de cohésion extrêmement ambitieuse – nous voulons financer de nouvelles priorités, stabiliser la PAC, etc. –, mais compte tenu des budgets y afférents, à un moment donné, des arbitrages devront avoir lieu.
Le Président de la République pense qu’il faut absolument conserver cette politique ; ainsi, nous nous réjouissons que la région en transition soit définie plus largement, ce qui peut concerner de nouvelles régions en France – c’est un point intéressant à partager avec la Haute Assemblée.
Quant à la conditionnalité des aides, ne nous méprenons pas ; derrière les conditions proposées figure le respect de l’État de droit. Je pense que l’on aurait du mal, ici, à s’opposer à la conditionnalité liée au respect de l’État de droit et des valeurs démocratiques fondamentales de l’Union européenne, et le Président de la République cherche même à ajouter des conditions d’ordre social.
M. Simon Sutour. Ce sont donc les citoyens européens de ces pays qui en seront victimes. Or ils n’ont pas toujours voté pour leurs dirigeants actuels…
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Lors du prochain conseil Affaires générales, mon homologue allemand et moi-même insisterons sur le respect de l’État de droit. C’est un point fondamental. Nous le savons, un certain nombre de pays ne respectent pas, sur des sujets très spécifiques, le cadre européen, celui de nos valeurs, de nos traités. La conditionnalité des aides est faite non pas pour pénaliser les citoyens, mais pour affermir les règles – une règle sans sanction n’a pas de valeur, vous le savez très bien. Il faut donc avoir une vision fondée sur les sanctions, mais nous pourrons en débattre plus longuement, j’en suis certaine.
Monsieur Menonville, vous avez évoqué des sujets sur lesquels le partenariat stratégique entre la France et le Royaume-Uni doit être préservé. Je suis totalement d’accord avec vous ; la sécurité et la défense, notamment, sont des priorités essentielles, et nous avons la chance d’avoir signé des accords bilatéraux, celui du Touquet et bien d’autres. Sur ces sujets, la position que nous défendons au Conseil de sécurité de l’ONU – je pense aux échanges extrêmement importants menés par Jean-Yves Le Drian – est soutenue par le Royaume-Uni. Notre relation bilatérale, sur ces points comme sur le renseignement – on peut faire beaucoup de choses dans un cadre bilatéral –, est de l’intérêt tant du Royaume-Uni que de la France.
Bien que M. Masson ait quitté l’hémicycle, je lui répondrai que j’exprime, au nom du Gouvernement et, je l’espère, au nom de la Haute Assemblée, un profond respect pour le travail que Michel Barnier a conduit pendant des mois et adresse à ce dernier d’immenses remerciements. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi qu’au banc des commissions. – M. Simon Sutour applaudit également.)