M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, monsieur le président Marseille, auteur de la proposition de loi, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite tout d’abord excuser l’absence de Jacqueline Gourault, qui est aujourd’hui aux côtés du Président de la République en Corse, dans le cadre de la réunion qu’il organise avec les maires de l’île. Elle m’a demandé de la représenter, ce que j’ai accepté avec grand plaisir, pour l’examen de ce texte important pour les entreprises publiques locales et les collectivités territoriales.
Le Gouvernement considère que l’initiative législative que vous avez prise, monsieur le président Marseille, est bienvenue dans le contexte de fortes contraintes juridiques, pour ne pas dire excessives, résultant de la récente décision du Conseil d’État, qui a été mentionnée à plusieurs reprises. Il est en effet urgent d’améliorer le droit applicable à l’actionnariat des entreprises publiques locales, afin de ne pas prendre le risque de déstabiliser un secteur économique essentiel à la vie de nos territoires.
Ce n’est pas à vous, mesdames, messieurs les sénateurs, que j’apprendrai à quel point ces entreprises jouent un rôle majeur dans la vie économique locale. Si l’on se réfère aux statistiques fournies par la Fédération des entreprises publiques locales, les collectivités ont créé près de 1 300 entreprises publiques locales, dont 925 sociétés d’économie mixte locales, 359 sociétés publiques locales et 16 sociétés d’économie mixte à opération unique. Ces entreprises emploient près de 70 000 salariés et représentent environ 14 milliards d’euros de chiffre d’affaires.
Au-delà de ce rappel purement statistique, il faut noter que le champ d’action des EPL s’est enrichi et a évolué avec la pratique. Ces entreprises constituent l’un des nombreux outils dont disposent les collectivités territoriales pour mener à bien leurs missions parmi une palette de possibilités. L’économie mixte contribue ainsi au dynamisme du développement territorial et au soutien de l’investissement local. C’est un mode d’action permettant de faire émerger des politiques innovantes, telle la transition énergétique.
Ces sociétés conduisent ainsi des actions et des projets dans des domaines diversifiés comme, pour 23 %, le tourisme, la culture et les loisirs, et, pour 25 %, l’aménagement, deux secteurs prédominants au sein du paysage des entreprises publiques locales. En outre, des secteurs comme l’habitat et l’immobilier ou la mobilité confirment leur importance, tandis qu’émergent de nouveaux champs d’action comme l’environnement, les réseaux, le développement économique et les services à la personne.
À cet égard, il est intéressant de noter que certains domaines comme le tourisme, la culture, le sport et l’énergie renouvelable relèvent de compétences partagées entre différents niveaux de collectivités territoriales, ce qui nous amène directement au sujet dont nous débattons aujourd’hui. En effet, autrefois exceptionnelle, la pluriactivité des entreprises publiques locales est désormais majoritaire, ce qui rend d’autant plus nécessaires les adaptations juridiques auxquelles nous invite la décision du Conseil d’État du 14 novembre 2018.
Le droit est constant sur ce point : une collectivité n’a pas le droit de faire, par l’intermédiaire d’une société d’économie mixte locale ou d’une société publique locale, ce qu’elle n’a pas le droit de faire par elle-même. Cette règle, qui n’est d’ailleurs pas remise en cause par la proposition de loi, est du reste antérieure à la loi NOTRe, car elle date des premiers textes ayant instauré la possibilité de créer des entreprises publiques locales. Toutefois, la jurisprudence administrative hésitait jusqu’à présent entre deux interprétations pour ce qui concerne la situation des sociétés exerçant dans plusieurs champs d’activité.
Selon l’interprétation la plus souple, une collectivité ne pouvait participer que si la part prépondérante des missions de la société n’outrepassait pas son domaine de compétence. Selon l’interprétation la plus stricte, une collectivité ne pouvait participer au capital d’une entreprise publique locale que si elle détenait la totalité des compétences correspondant aux missions de l’entreprise.
C’est une lecture stricte de la loi que le Conseil d’État a retenue au mois de novembre dernier. On estime ainsi qu’un grand nombre d’entreprises locales, près de 40 % d’entre elles, ne rempliraient plus les conditions posées par la jurisprudence. Il était donc urgent de revenir sur cette jurisprudence, ce que prévoit opportunément cette proposition de loi.
Le Gouvernement partage l’objectif poursuivi par les auteurs de ce texte, dont l’économie générale n’a pas été modifiée par la commission des lois, puisque le rapporteur, dont je salue le travail, a apporté des compléments utiles, en particulier en étendant expressément les dispositions du texte aux sociétés publiques locales d’aménagement. Toutefois, je souhaite dire dès ce stade de notre discussion que le Gouvernement craint que la rédaction retenue par la commission des lois ne constitue un assouplissement excessif de la législation en vigueur. Il s’agit non pas de soupçons, monsieur le président Marseille, mais plutôt de précautions.
Ainsi, le texte résultant des travaux de la commission des lois n’interdirait pas à une collectivité de prendre une participation élevée dans le capital d’une entreprise publique locale, quand bien même les activités de cette dernière ne correspondraient que pour une part très marginale à des compétences exercées par cette même collectivité. Au surplus, il nous semble que cette même rédaction ne fait pas clairement obstacle à ce qu’une partie de l’activité de l’EPL ne relève d’aucune compétence des collectivités actionnaires.
Nous craignons qu’un tel choix ne permette, d’une part, de régulariser des SPL et sociétés d’économie mixte locales qui étaient déjà non conformes avec le droit antérieur à la décision du Conseil d’État et, d’autre part, d’encourager le recours à des entreprises publiques locales à objets sociaux multiples, alors même que la compétence de la collectivité ne correspondrait qu’à une part négligeable des activités de la société. Le risque de contournement est donc, selon notre analyse, réel.
Le Gouvernement souhaite par conséquent que le droit permette de limiter le risque de voir des collectivités investir des missions ne relevant pas de leur champ de compétence. Ce raisonnement nous a conduits à déposer des amendements aux articles 1er, 2 et 3 de la proposition de loi visant à encadrer la possibilité, pour les collectivités et leurs groupements, de prise de participation au capital d’une EPL dans des conditions plus resserrées, en prévoyant qu’une telle participation ne soit possible que si la collectivité ou le groupement ne détient pas au moins une compétence sur laquelle porte l’objet social de la société et à laquelle celle-ci consacre une part significative et régulière de son activité.
Ces amendements ne sont pas inconnus des membres de la commission des lois, puisque le Gouvernement les avait déjà déposés la semaine dernière, sans succès, lors de l’examen du texte en commission. Je sais que la commission a considéré, en particulier, que la notion de « part significative » n’était pas suffisamment claire et qu’elle exposerait les EPL à un risque juridique. J’aurai l’occasion, je l’espère, notamment en présentant l’amendement n° 7, de répondre à cette crainte et de vous convaincre qu’une telle précision est indispensable. Je ne m’attarderai pas sur ce point à ce stade du débat, puisque nous aurons l’occasion d’y revenir à l’occasion de l’examen des amendements.
Je voudrais, pour conclure, dire que le débat d’aujourd’hui doit également nous conduire, selon l’analyse qu’en fait le Gouvernement, à nous pencher sur la régulation du secteur des entreprises publiques locales.
En 2017, deux études ont porté sur les entreprises publiques locales : un référé de la Cour des comptes sur le cadre juridique et comptable applicable, ainsi qu’une revue de dépenses des inspections générales sur la maîtrise des risques par les EPL. Ces deux rapports, rendus publics, se sont avérés très critiques, leurs auteurs plaidant en faveur d’un renforcement du contrôle des EPL et de leurs filiales. Dans son référé du 15 juin 2017, la Cour des comptes a notamment fait valoir que les EPL, instruments essentiels pour les collectivités, ne sont pas « suffisamment maîtrisés » et que « les mécanismes de leur contrôle, de leur transparence et d’évaluation de leur contribution à l’action publique territoriale devraient être repensés ».
Les conclusions d’une nouvelle étude de la Cour des comptes sur le même sujet, conduite à la demande du président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, sont d’ailleurs attendues dans les prochaines semaines. À ma connaissance, ce rapport devrait aussi être rendu public.
Dans ces conditions, le Gouvernement estime que le législateur pourrait se saisir de ce débat pour apporter une réponse, en concertation avec les représentants des collectivités territoriales et des entreprises publiques locales, à ces remarques émises par la Cour des comptes. Une telle réponse constituerait à l’évidence un facteur d’équilibre et de sécurisation de l’activité des entreprises publiques locales, en complément des assouplissements proposés par le texte dont nous débattons aujourd’hui.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite pour finir remercier de nouveau les auteurs de ce texte pour leur initiative et vous assurer de l’ouverture d’esprit du Gouvernement. La discussion d’aujourd’hui doit nous permettre de parvenir à une solution équilibrée, dans le respect des différentes contraintes juridiques que je viens de rappeler. Je ne doute pas que la poursuite de l’examen de ce texte par l’Assemblée nationale, puis dans le cadre de la navette parlementaire, nous permettra d’atteindre un point d’équilibre satisfaisant pour chacune des parties.
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Mise au point au sujet d’un vote
M. le président. La parole est à M. Dominique Théophile.
M. Dominique Théophile. Monsieur le président, je n’ai pas pu prendre part au scrutin public solennel n° 73 sur l’ensemble du projet de loi d’orientation des mobilités ; j’aurais souhaité voter pour.
M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue.
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Actionnariat des sociétés publiques locales et des sociétés d’économie mixte
Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. Jacques Bigot. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, peut-être faut-il situer l’examen de ce texte indispensable dans un contexte un peu plus politique. Ce contexte correspond d’ailleurs à l’ambiance qui est celle du grand débat.
On sent bien que l’administration centrale est toujours extrêmement méfiante à l’égard des collectivités locales et n’a pas compris, depuis 1983, l’intérêt des sociétés d’économie mixte ni, depuis 2010, celui des sociétés publiques locales. Ces dernières sont déjà au nombre de 359 ; c’est dire combien elles correspondent à un besoin.
Ne racontons pas d’histoires : si le Conseil d’État s’est positionné sur cette question, c’est parce qu’un recours a été déposé par un représentant de l’État, c’est-à-dire par un préfet – or les préfets sont aux ordres –, devant un tribunal administratif. Le jugement a ensuite été renvoyé devant la cour d’appel de Lyon, puis le Conseil d’État a finalement annulé la décision. Ses attendus inquiètent les sociétés publiques locales et les SEM, tout comme l’attitude des préfets.
Il faut laisser intacte cette liberté. En tant que gestionnaires des services publics locaux – vous le savez, parce que vous êtes un élu local, monsieur le secrétaire d’État –,…
M. Jacques Bigot. … nous devons rendre de plus en plus de services à nos concitoyens. Ces services sont rendus soit par des sociétés entièrement privées, en vertu d’une délégation de service public, soit par le biais de sociétés d’économie mixte, dans lesquelles le privé peut participer, soit par des sociétés dépendant entièrement de la collectivité, comme cela se passe dans d’autres pays européens. J’ose espérer que ce n’est pas la propension de certains, dans l’administration centrale, à pantoufler dans les grandes entreprises prestataires de services publics qui les conduit à souhaiter que les délégations de services publics ne puissent plus être attribuées à des sociétés gérées par les collectivités locales
Il y a sans doute des choses à améliorer ; mais, croyez-moi, les élus – j’en suis – sont très attentifs au respect des textes et à la bonne gestion des sociétés.
Je suis désolé que vous, qui êtes un élu local, veniez aujourd’hui nous présenter des amendements dont l’adoption concourrait à bloquer, une fois de plus, le fonctionnement de ces sociétés – nous y reviendrons.
Au moment où le Président de la République, que vous avez rejoint avec enthousiasme, me semble-t-il, finit par reconnaître que les élus locaux ont un intérêt, il faudrait peut-être que vous puissiez dire à votre administration votre refus de soutenir les amendements qu’elle propose, qui représentent une défiance de plus à l’égard des élus locaux – encore une fois, nous en parlerons tout à l’heure.
Sachez vous défaire de l’administration ; sachez ne pas oublier d’où vous venez et sachez défendre les élus locaux, qui, comme j’en ai fait l’expérience dans ma commune, ont besoin de ces sociétés pour pouvoir prester des services, et pour pouvoir le faire selon une gestion libre, lorsqu’il s’agit par exemple de faire fonctionner un établissement culturel.
Ces sociétés, tout en étant de droit privé, sont détenues et gérées par des élus locaux, qui assurent ce suivi en bonne intelligence et dans l’intérêt de nos concitoyens. C’est cela que nous défendons aujourd’hui ; je remercie donc ceux qui ont pris l’initiative de cette proposition de loi.
Mes chers collègues, évitons de voter les amendements que j’ai évoqués, dont l’adoption permettra au préfet, sur instruction de l’administration centrale, de continuer à déposer des recours pour essayer de vérifier si oui ou non les compétences dont dispose telle ou telle collectivité correspondent à une « part significative » de l’activité de la société concernée – à moins que l’intention soit de donner davantage d’activité à nos tribunaux administratifs, qui, paraît-il, sont déjà engorgés.
Monsieur le secrétaire d’État, pensez à l’économie locale, pensez à nos concitoyens, pensez à vos origines, et, tout à l’heure, ne soutenez pas ces amendements ! (Sourires et applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère.
Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’heure où l’on demande à nos collectivités de faire toujours plus d’économies, d’être toujours plus innovantes, les entreprises publiques locales sont bien souvent un outil de développement et de mutualisation incontournable.
Je ne rappellerai pas ici l’historique de la création des différents types d’entreprises locales ; je me contenterai de saluer le bon sens du législateur, et notamment du Sénat, qui a su, lorsque le cadre des SEM était devenu trop étroit, l’adapter en créant, en 2010, les sociétés publiques locales. Les membres du RDSE, par les voix d’Anne-Marie Escoffier et de Jacques Mézard, avaient alors pris leur part dans la proposition de loi qui avait été à l’époque adoptée à l’unanimité des deux chambres.
La proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui, par la souplesse qu’elle permet de redonner à notre économie locale, repose sur un large consensus. Je tiens d’ailleurs à remercier notre collègue Loïc Hervé pour le travail mené en commission, qui nous a permis d’éclairer le texte sans aller au-delà de ce qui est strictement nécessaire, afin que les dispositions de cette proposition de loi soient rapidement adoptées et applicables sur nos territoires.
L’objectif est clair : il s’agit de contourner l’arrêt du Conseil d’État du 14 novembre 2018 Syndicat mixte pour l’aménagement et le développement des Combrailles. Celui-ci, parce qu’il impose aux collectivités actionnaires des SPL d’exercer l’ensemble des compétences sur lesquelles porte l’objet social de ladite société, assimile les EPL aux EPCI, créant ainsi une grande insécurité pour les 1 300 entreprises publiques locales dont, en France, nous disposons et gelant les projets en cours de création : insécurité juridique concernant la légalité des actes des SPL existantes qui ne répondraient pas au nouveau critère défini par le Conseil d’État ; risque d’émiettement et de dilution de l’action publique locale pour les SPL en cours de création, qui verraient leurs projets mis à l’arrêt.
Au-delà de ces considérations juridiques, l’entérinement de cette décision viendrait plonger les EPL et nos collectivités dans une insécurité économique. On mettrait fin aux efforts de mutualisation et aux économies de gestion qu’a permis la création de nombreuses SPL. On réduirait le nombre de collectivités autorisées à participer au capital et, de facto, le nombre de clients et le chiffre d’affaires des SPL.
Cette jurisprudence a par ailleurs un coût politique non négligeable, en ce qu’elle porte atteinte aux projets locaux et à l’apport des entreprises publiques locales au dynamisme de nos territoires.
Nous le voyons tous : à l’échelle locale, nos EPL rendent possible le lancement de projets à long terme, dans des domaines comme le tourisme, la culture ou l’aménagement. Elles sont le fer de lance de l’investissement et de l’innovation sur nos territoires et participent également à leur revitalisation. Dans les territoires touristiques, elles permettent une souplesse commerciale plus importante qu’en régie, régime dans lequel les élus se retrouvent confrontés à une lourdeur administrative qui les oblige parfois à délibérer sur le moindre petit acte commercial. Les SEM ou les SPL donnent une souplesse d’action et de réaction tout en préservant la maîtrise de la collectivité et la transparence de ses comptes, n’en déplaise à l’administration.
Les conseils départementaux, ayant perdu la clause générale de compétence avec la loi NOTRe, se verraient aujourd’hui privés également d’un grand nombre d’outils locaux indispensables à l’avenir de leurs territoires. Dans un département comme les Hautes-Pyrénées, où les collectivités sont obligées de pallier une initiative privée frileuse ou manquante dans des domaines essentiels à la vie économique de notre territoire, comme le thermalisme ou les sports d’hiver, ces organisations sont aujourd’hui nombreuses et confrontées au redécoupage territorial des communautés de communes et aux redéfinitions de compétences correspondantes.
Ces outils nouveaux ont démontré qu’ils pouvaient être de vraies réussites, en témoigne l’exemple de la SEM N’Py, pour « Nouvelles Pyrénées », qui, regroupant les huit principales stations de ski pyrénéennes, permet de mener une stratégie commerciale offensive et de mutualiser certains outils, donc de rationaliser les coûts de fonctionnement.
Pour en revenir au texte qui nous est présenté, la décision du 14 novembre est un non-sens unique en Europe. On considère les SPL comme des EPCI, alors que leur succès repose sur cette différentiation ! L’article 1er du texte de la commission, qui précise que la réalisation de l’objet de la société concourt à l’exercice d’au moins une compétence de chacun des actionnaires, permet de rétablir la souplesse voulue en 2010 s’agissant de l’actionnariat des SPL.
Enfin, puisque gouverner c’est prévoir, je me réjouis que l’objet de ce texte n’ait pas été limité aux seules SPL, mais ait été étendu à l’ensemble des entreprises publiques locales, SEM ou SPLA comprises. En effet, si la décision du 14 novembre se concentre sur les sociétés publiques locales, il y a fort à parier que, sans le travail que nous sommes en train d’effectuer, cette jurisprudence eût été élargie à l’ensemble des EPL, avec les conséquences juridiques, politiques et financières que l’on connaît localement.
Dans l’esprit qui le caractérise, le groupe du RDSE votera à l’unanimité pour ce texte d’une importance capitale pour le dynamisme de nos territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché.
M. Alain Fouché. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, j’ai été sensibilisé à ce dossier il y a un certain temps ; j’y ai travaillé et ai cosigné avec beaucoup de conviction cette excellente proposition de loi d’Hervé Marseille. Elle remédie à une jurisprudence du Conseil d’État qui conçoit de façon restrictive le lien de compatibilité entre les compétences des actionnaires et l’objet d’une société publique locale.
Le 14 novembre dernier, le Conseil d’État a opté pour une lecture rigoriste de l’article L. 1531-1 du code général des collectivités territoriales. Aux termes de cet article, les collectivités et leurs groupements peuvent créer des sociétés publiques locales dans le cadre des compétences qui leur sont attribuées par la loi.
Le Conseil d’État a jugé que la participation d’une collectivité ou d’un groupement de collectivités à une société publique locale est exclue lorsque cette collectivité ou ce groupement n’exerce pas l’ensemble des compétences sur lesquelles porte l’objet social de la société.
La participation au capital d’une telle société confère la qualité d’actionnaire et ouvre donc le droit de participer au vote des décisions prises par la société.
Adopter une lecture moins rigoriste du texte permettrait à une collectivité de voter sur des sujets échappant à sa compétence, et donc d’exercer une compétence qu’elle n’a pas.
Le Conseil d’État a estimé qu’il ne disposait d’aucune base légale pour autoriser une telle lecture.
Cette jurisprudence limite dangereusement la liberté d’action des collectivités et de leurs groupements. Elle impose l’intervention du législateur. Son application remet en cause la légalité des actes des sociétés publiques locales irrégulièrement composées.
En 2017, il existait 318 sociétés publiques locales ; 47 % d’entre elles, mais aussi 36 % des sociétés d’économie mixte locales, auraient un objet social excédant le champ des compétences partagées par leurs actionnaires.
Cette jurisprudence présente également un risque économique, puisque les sociétés publiques locales ne peuvent exercer leur activité qu’au profit des collectivités ou groupements qui en sont actionnaires.
Restreindre le nombre de collectivités ou de groupements pouvant être actionnaires revient à restreindre les « clients » potentiels de ces sociétés, ce qui aura un effet négatif sur leur chiffre d’affaires.
M. Pierre-Yves Collombat. C’est évident !
M. Alain Fouché. Les entreprises publiques locales sont des éléments clés du dynamisme de nos territoires. Elles représentent 65 000 emplois, 14 milliards d’euros de chiffre d’affaires et fournissent un logement à 1,4 million de personnes en France. Elles contribuent à la cohésion et au développement des territoires en matière d’innovation économique, de logement social, d’énergies renouvelables, de mobilité, d’attractivité touristique ou de revitalisation des cœurs de ville.
Notre collègue Hervé Marseille a cité les villes du nord ; je pourrais citer quant à moi de nombreux départements, mais je ne citerai que celui que j’ai eu l’honneur de présider, celui de la Vienne, le département de MM. Monory et Raffarin.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il faut donner au Conseil d’État la base légale lui permettant de revenir sur sa jurisprudence du 14 novembre 2018. Pour cette raison, le groupe Les Indépendants votera à l’unanimité cet excellent texte. (Applaudissements au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre.
M. Antoine Lefèvre. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, j’aimerais tout d’abord saluer la convergence de vues qui se manifeste sur les différentes travées de cet hémicycle, puisque la présente proposition de loi a été cosignée par des membres de six des sept groupes que compte notre assemblée, dont votre serviteur. Ce fait est suffisamment original pour être souligné, et je veux parier que nos collègues du groupe CRCE nous rejoindront pour un vote positif.
Ce qui explique notamment ce consensus, c’est l’expérience des parlementaires qui, jadis, ont souvent été maires ou présidents de collectivité, n’en déplaise à certains, et qui, dans le cadre de la gestion quotidienne de leur collectivité, ont pu mesurer combien il était nécessaire de moderniser régulièrement le statut des SEM.
Nous remercions notre rapporteur pour les précisions apportées lors de l’examen du texte en commission des lois, qui ont permis de sécuriser encore davantage cet acteur incontournable en matière d’action publique locale.
Pour ce qui est des amendements proposés soit par nos collègues, soit par le Gouvernement, j’invite à une grande prudence, car il ne faudrait pas rendre instable cette proposition de loi en élargissant trop son périmètre ou par l’ajout de définitions juridiques peu claires.
Je souhaite par ailleurs rappeler le principe majeur qui est au fondement de la décentralisation, principe que le Conseil constitutionnel s’efforce, vaille que vaille, texte après texte, de faire respecter : celui de la liberté laissée à toute collectivité territoriale, petite ou grande, commune, département, région ou nouvelle communauté, pour réaliser ses interventions.
Les chamboulements des dernières années en matière de regroupements ont durablement transformé le paysage de la France.
Les 1 300 sociétés d’économie mixte sont, dans notre paysage institutionnel et dans la pratique de la gestion des collectivités locales, une réalité qui a pris beaucoup d’importance, même si, leur origine étant lointaine – les décrets-lois Poincaré datent de 1926 –, la progression en a été étalée dans le temps.
L’histoire des entreprises publiques locales s’est toujours faite par les élus, et le Parlement s’est régulièrement saisi de textes les instaurant, les remaniant, les aménageant, les actualisant, du fait des nouvelles responsabilités que les collectivités locales doivent, et devront, assumer.
Les EPL sont des outils créés par les élus pour leur territoire, et dont ils ont la maîtrise politique et financière. Le montant de leur capitalisation s’élève à 4,3 milliards d’euros, détenus à 65 % par les collectivités locales ; autrement dit, elles représentent une opportunité de développement inouïe.
Le rôle des parlementaires est donc important dans leur histoire récente, et nous sommes très sensibles à la question de leur sécurité juridique. Chaque texte de loi relatif aux entreprises publiques locales, ou presque, a été voté à l’unanimité – cela a été rappelé.
L’arrêt du Conseil d’État du 14 novembre 2018 Syndicat mixte pour l’aménagement et le développement des Combrailles interdit qu’une collectivité n’exerçant pas l’ensemble des compétences sur lesquelles porte l’objet de la SPL en soit actionnaire. Jusqu’alors, plusieurs décisions divergentes avaient retenu l’attention sur ce lien entre compétences et missions. La position du Conseil d’État était donc attendue. Et c’est peu de dire qu’il nous fait, en optant pour la position la plus stricte, un mauvais coup.
La portée de cet arrêt met en péril la quasi-totalité des SPL existantes ou en cours de création. À nouveau, donc, il nous faut nous pencher sur leur berceau et apporter, par cette proposition de loi, la clarification législative qui s’impose.
Le présent texte précise ainsi l’intention qui avait été celle du législateur lors de l’élaboration de la loi de 2010 pour le développement des SPL, que j’avais, à l’époque, cosignée.
Il convient de combler le vide juridique et de préserver cet outil.
Cette proposition de loi, dont le contenu a été largement évoqué par notre collègue Hervé Marseille, que je remercie de nouveau, et par notre rapporteur, vise donc à sécuriser les SEM et les SPL, si indispensables à nos territoires, en permettant aux collectivités locales de différents niveaux d’en être actionnaires. En deux mots, chacun a bien compris qu’il s’agissait à la fois de liberté et de responsabilité, de mutualisation, d’économies de gestion – il s’agit, par là même, de faire bénéficier les collectivités et leurs habitants de marges de manœuvre financières supplémentaires.
Je note que le quatrième des cinq objectifs figurant dans la contribution de Territoires unis, qui regroupe les trois associations nationales d’élus, l’AMF, l’ADF et Régions de France, au grand débat national consiste « à renforcer le rôle des collectivités dans les politiques publiques assurant la cohésion sociale et territoriale de la Nation ». Il est à cette occasion fait expressément référence aux réseaux d’offres des opérateurs locaux, à savoir les SEM, les EPL, etc.