M. Emmanuel Capus. Quelle que soit l’issue du vote, je rappelle que ce projet de loi, globalement, va dans le bon sens : il apporte des solutions concrètes pour le développement de nos PME ; il encourage la création d’entreprises ; il soutient l’innovation et facilite une répartition plus équitable des richesses.
Ce texte passe au crible toute une série de scories de notre droit : des blocages qui découragent la création d’entreprises, des carcans superflus qui brident l’innovation, des règles absurdes qui absorbent l’énergie de nos entrepreneurs.
De ce point de vue, sincèrement, le projet de loi Pacte constitue une bonne nouvelle pour nos entreprises. Nos entrepreneurs étaient demandeurs. Ils disposeront pour accélérer la croissance de leur entreprise de nouveaux outils, certes perfectibles – le Sénat a proposé de nombreuses améliorations.
Le Parlement a considérablement enrichi le projet de loi initial, malgré le contexte de la procédure accélérée, qui nuit à la qualité de notre travail.
Mme Nathalie Goulet. Eh oui !
M. Emmanuel Capus. Le Sénat, notamment, a veillé à faire entendre la voix des territoires, avec un objectif clair : que les mesures ne restent pas hors-sol, mais répondent concrètement aux besoins des PME et ETI qui structurent notre tissu économique.
Je pense tout particulièrement à l’amendement, déposé par notre groupe et adopté en première lecture, portant sur l’organisation du réseau des chambres de métiers et de l’artisanat. L’Assemblée nationale, sur ce point, a entendu la voix du Sénat et gardé l’essentiel de nos dispositions. Nous maintiendrons ainsi dans nos territoires un réseau dense pour accompagner les entrepreneurs de proximité.
Le Sénat a également soutenu des propositions ambitieuses que l’Assemblée nationale n’a pas conservées, comme le relèvement du seuil de cinquante à cent salariés, une mesure pourtant décisive pour la croissance de nos PME et l’émergence de nouvelles ETI. Nous avions l’occasion d’accélérer leur développement en faisant davantage confiance à nos entrepreneurs.
Sur ce texte comme sur tant d’autres, le Sénat s’est montré en même temps raisonnable et ambitieux. Raisonnable, car il a veillé, à l’heure où notre société paraît plus fracturée que jamais, à ce que tous les territoires bénéficient des fruits de la croissance. Ambitieux, car il a proposé d’aller encore plus loin sur nombre de mesures visant à libérer les énergies et à susciter chez nos concitoyens l’envie d’entreprendre.
C’est pourquoi je regrette que les discussions aient achoppé sur les privatisations, tout particulièrement sur celle d’ADP.
Le refus opposé à cette mesure, qui n’était pas dénué d’arrière-pensées politiques, nous a privés de l’occasion de nous faire entendre. Nous pouvions pourtant y apporter les garde-fous que nous jugions essentiels pour assurer à la puissance publique la pleine maîtrise du cadre dans lequel cette concession va s’opérer – car, mes chers collègues, elle va s’opérer.
Je ne puis pas m’empêcher de penser que, si le Sénat avait suivi les recommandations de la commission spéciale, sa voix aurait davantage pesé dans la prise de décisions, et certaines des garanties intégrées en nouvelle lecture à l’Assemblée nationale l’auraient été dès la première lecture au Sénat. (M. Martin Lévrier opine.)
Il en va de même pour la modification de l’objet social dans le code civil. Comme nombre d’entre vous sur ces travées, je considère que nous ne corrigerons pas les vices du capitalisme en inscrivant des vœux pieux dans la loi.
Les amendements proposés par la commission spéciale auraient permis de limiter les risques juridiques pour nos entreprises, tout en conservant la déclaration de principes. Le Sénat a opté pour la suppression pure et simple de l’article 61. Résultat : il a été rétabli dans sa rédaction d’origine, sans les garanties que nous espérions.
Mes chers collègues, n’oublions pas la situation dans laquelle se trouve notre pays : il étouffe sous la pression fiscale et l’excès des réglementations ! Tout ce qui simplifie l’activité de nos entreprises et recentre l’État sur ses missions régaliennes redonnera du souffle à notre économie. Il y va de notre capacité à maîtriser notre destin dans un monde incertain. Il y va de notre capacité à maintenir une souveraineté nationale.
Non, le débat n’est pas clos, tant s’en faut. Le Sénat a toujours des arguments à faire valoir et des positions à défendre, sur des textes qui ne sont jamais définitifs, quand bien même nous craindrions de ne pas avoir le dernier mot.
C’est pourquoi j’aurais souhaité que nous poursuivions l’examen de ce projet de loi. Et c’est pourquoi le groupe Les Indépendants ne votera pas la motion tendant à opposer la question préalable : une majorité d’entre nous s’abstiendra, les autres voteront contre ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier.
M. Martin Lévrier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission spéciale, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, après la nouvelle lecture à l’Assemblée nationale, voici le projet de loi Pacte de retour dans notre hémicycle.
Au cours des dernières semaines et des derniers mois, j’ai visité de nombreuses entreprises sur mon territoire. Toutes, sans exception, m’ont fait part de leur impatience de voir franchie cette nouvelle étape dans la transformation du pays.
M. Fabien Gay. On n’a pas rencontré les mêmes !
M. Martin Lévrier. Ce n’est pas le même territoire, cher collègue !
Oui, elles sont impatientes de voir levés les verrous qui bloquent depuis bien trop longtemps le développement des TPE et des PME. Elles attendent avec impatience de voir le plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises promulgué et publié au Journal officiel. Elles sont impatientes de faire vivre la loi Pacte.
Je ne doute pas qu’une large majorité de notre hémicycle soit intimement convaincue que cette loi est une bonne loi. Et pour cause : entre autres effets, elle améliorera la parité femmes-hommes dans les directions des entreprises et créera un label pour les entreprises qui mènent une politique d’accessibilité et d’inclusion des personnes handicapées ; elle facilitera la création d’entreprises et réduira son coût ; elle simplifiera la croissance des entreprises en améliorant et diversifiant leur financement ; elle protégera leurs inventions et expérimentations ; elle financera l’innovation de rupture et protégera les entreprises stratégiques françaises.
Je ne m’attarderai pas sur la partie tendant à faire évoluer le capital des entreprises publiques, mon collègue Richard Yung vous en parlera beaucoup mieux que moi.
Je ne doute pas un instant, cependant, qu’il profitera de son temps de parole pour dénoncer la posture adoptée par certains de nos collègues, qui ont fait mine de s’indigner au sujet de l’article 44 de ce projet de loi. Ce n’était pas à la hauteur de l’éthique que promeut notre chambre, car, voilà tout juste deux ans, nombre de ces parlementaires soutenaient un candidat qui prévoyait de favoriser les privatisations. Les Français n’oublient pas !
Je ne vais pas détailler toutes les dispositions qui composent ce texte, mais il est indispensable de revenir sur le projet audacieux que porte le chapitre III, symbole de liberté et de protection. Celui-ci réconcilie en effet performance économique et responsabilité sociale des entreprises.
Il supprime le forfait social versé au titre de l’intéressement pour les entreprises de moins de 250 salariés et sur l’ensemble des versements d’épargne salariale pour celles qui comptent moins de cinquante salariés ; il gèle l’intéressement au-delà d’un plafond, permettant ainsi d’améliorer son rendement pour les bénéficiaires ; il développe l’épargne salariale, ainsi que l’actionnariat salarié, et donne naissance à la société à mission ; il améliore la transparence des sociétés cotées en matière de rémunération de leurs dirigeants au regard de la rémunération moyenne et médiane ; il instaure le fonds de pérennité, grâce auquel la France se dote d’un statut permettant de protéger de manière durable le capital de nos entreprises pour assurer leur croissance à long terme ; enfin, il donne une nouvelle visibilité citoyenne à l’entreprise.
La notion d’intérêt social de l’entreprise et la nécessité de prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux seront ainsi inscrites dans la loi par la modification de l’article 1833 du code civil.
En réunissant tous ces éléments, ce chapitre donne un nouveau souffle aux entreprises, ce qui leur permettra d’innover, de créer et de se développer.
Plus largement, ce projet de loi relève le défi majeur de la croissance des entreprises à chaque phase de leur développement, pour renouer avec l’esprit de conquête économique. Pour cela, il transforme le modèle d’entreprise français, qu’il est temps d’adapter aux réalités du XXIe siècle.
Vous semblez pourtant être nombreux à estimer que les conditions ne sont pas réunies pour que le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale soit adopté conforme, et à déplorer que cette dernière soit revenue sur un trop grand nombre de dispositions introduites par le Sénat. C’est pourtant la raison d’être de la navette parlementaire et du bicamérisme !
N’oublions pas que l’Assemblée nationale a tenu compte de certaines améliorations apportées par le Sénat : quelque 99 articles ont été votés conformes, dont 13 articles additionnels issus de nos travaux. Ceux-ci contiennent des dispositions relatives à la limitation des seuils d’effectif pour certains dispositifs fiscaux, à la possibilité, pour les majeurs rattachés au foyer fiscal de leurs parents, d’ouvrir un plan d’épargne en actions, un PEA, à la réforme de l’agrément Entreprise solidaire d’utilité sociale, ou ESUS, à la modernisation du certificat d’utilité, ou encore à la création d’une procédure d’opposition aux brevets.
D’autres mesures introduites par le Sénat n’ont fait l’objet que de modifications très superficielles : la création du registre dématérialisé des entreprises, l’organisation des réseaux des chambres de métiers et de l’artisanat, les CMA, autour d’un établissement unique régional ou encore la transférabilité des contrats d’assurance vie sans conséquence fiscale.
Mes chers collègues, j’insiste sur le bon fonctionnement du bicamérisme, en vous rappelant que les deux chambres sont tombées d’accord sur nombre de suppressions d’articles.
Certes, nos homologues ont enlevé des dispositions que vous aviez intégrées. Qui pouvait en douter, dès lors qu’il s’agissait des mesures les plus contradictoires avec l’esprit de cette loi, notamment celles qui se rapportaient à la notion d’objet social ?
Ils ont également rétabli des dispositions que vous aviez supprimées, comme la raison d’être ou l’écart salarial d’un à vingt, suggéré par la confédération européenne des syndicats et que nous avions tenté d’inscrire en première lecture. C’est l’outil permettant de lutter contre l’écart incompréhensible des salaires que l’on observe dans certaines entreprises, notamment celles du CAC 40, dans lesquelles il peut atteindre un ordre de grandeur d’un à deux cent cinquante.
Le philosophe Jean Bodin écrivait : « il n’est de richesse que d’hommes ». Nous sommes tous convaincus que l’épanouissement des salariés conditionne la réussite d’une entreprise. La rémunération est un facteur de bon fonctionnement de l’ascenseur social. C’est pourquoi cette mesure est si importante. Nous devons retrouver des critères de cohésion qui tirent l’ensemble des salariés vers le haut.
En conclusion, c’est du mouvement que naît la croissance, et non de l’immobilisme. L’heure est venue pour la France de s’engager fermement dans cette voie. Le projet de loi Pacte en est un vecteur essentiel, c’est pourquoi le groupe La République En Marche le soutient et désire que le débat se poursuive dans notre hémicycle, dans le plus grand respect du bicamérisme auquel vous êtes tant attachés.
Nous ne voterons donc pas la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Jean-François Husson, rapporteur de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises. Les choses sérieuses commencent ! (Sourires.)
M. Fabien Gay. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous restons clairement opposés à ce texte du Gouvernement, qui casse les seuils sociaux, détricote la Caisse des dépôts et consignations, supprime le stage préalable à l’installation des artisans et le recours aux experts-comptables.
Alors que vous prônez la start-up nation, vous brisez l’accompagnement à la création d’entreprises, avec pour conséquence l’échec du plus grand nombre. Pis, vous n’avez pas voulu légiférer sur le statut d’auto-entrepreneur, laissant les grandes plateformes numériques continuer à exploiter nos jeunes.
Vous avez réformé l’épargne retraite, alors que vous vous apprêtez, pour répondre à la crise sociale, à allonger la durée de cotisation, à reculer l’âge de départ à la retraite et à casser la retraite par répartition. Madame la secrétaire d’État, nous n’avons pas dû visiter les mêmes ronds-points ou discuter avec les mêmes personnes, car je n’ai vu quant à moi aucune pancarte affirmant « Nous voulons mourir au travail ! »
Mme Françoise Gatel. Oh !
M. Fabien Gay. Enfin, vous réalisez le tour de force de parler de partage de la valeur sans évoquer les salaires et leur augmentation. En 200 articles, ce qui devait être un pacte entre l’entreprise et l’État se transforme en pacte des loups entre l’État et les rapaces de la finance. Encore une fois, vous cédez aux revendications du Medef, offrant un panel de droits nouveaux au patronat, mais aucun pour les salariés.
Nous sommes cependant également opposés à la droite sénatoriale, qui n’a fait qu’empirer les effets du texte, avec, en particulier, l’amendement sur le plastique ou encore l’aggravation de la casse des seuils sociaux. Mes chers collègues, vous avez même réussi le tour de force de supprimer l’une des rares avancées de ce projet de loi, concernant l’objet des entreprises et leur responsabilité sociale et environnementale.
Dans ces conditions, notre groupe ne prendra pas part au vote sur la question préalable.
Alors que notre pays aspire à plus de justice fiscale et sociale, qu’il exige plus de citoyenneté et de démocratie sociale, vous répondez « compétition, libéralisme, profit. » Nous ne choisirons donc ni le parti de la droite sénatoriale ni celui de la droite gouvernementale. Pour nous, c’est blanc bonnet et bonnet blanc !
Mme Françoise Gatel. Et vous, c’est bonnet rouge !
M. Fabien Gay. Nous regrettons seulement, madame la secrétaire d’État, de ne pas prolonger le débat avec vous sur les privatisations, notamment sur celle d’Aéroports de Paris, ou ADP.
Comme un certain nombre de mes collègues, j’ai eu accès au cahier des charges de cette opération. Sans révéler ce qu’il contient – clause de confidentialité oblige –, je puis évoquer ce qu’il ne contient pas. On n’y trouve, par exemple, aucun recensement des 8 600 hectares que détient ADP, et encore moins d’indications sur leur valeur au prix du domaine actuel.
Je pensais naïvement que, lorsque l’on vendait un bien commun, on évaluait au moins ses actifs. Sans cela, comment fixer un prix ? Le bon prix est-il 10 milliards d’euros, quand 8 600 hectares en Île-de-France constituent une pépite inestimable, qui intéressera certainement bon nombre de promoteurs ?
J’invite aussi les élus à consulter la page 38, relative aux relations avec les collectivités territoriales, qui est destinée à rassurer les nombreux élus locaux opposés à cette privatisation. Je les rassure, cette lecture sera rapide : la page en question compte trois lignes !
Enfin, je ne suis pas comme vous, madame la secrétaire d’État, un spécialiste des privatisations, mais 56 pages pour brader un actif de 10 milliards d’euros, cela me semble un peu léger. Je me souviens que, lorsque ma femme et moi avons acheté notre petit pavillon, le notaire nous a fait remplir un dossier de 65 pages. Il y aurait donc moins de paperasse à remplir pour acheter une maison qu’un aéroport ? (Rires et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Depuis le refus du Sénat, vous avez affûté vos arguments. Vous avez même publié un document intitulé Les Dix Idées fausses sur la cession d’Aéroports de Paris.
Vous commencez par y affirmer que l’État ne privatise pas ADP, car « au terme d’une période de soixante-dix ans, l’intégralité des infrastructures d’ADP sera rendue à l’État. » Vous oubliez toutefois de rappeler qu’il faudra indemniser le concessionnaire au prix auquel on estimera l’aéroport, non pas aujourd’hui, mais en 2089… Qui peut l’évaluer ? Personne. L’État n’aura peut-être pas les moyens de le racheter. De plus, le cahier des charges ne contient aucun alinéa relatif à la manière dont l’actif sera rendu à l’État à la fin de la concession de soixante-dix ans.
Le deuxième argument de votre document n’est pas moins surprenant : l’État ne céderait pas un monopole. Cela, seul le Conseil constitutionnel, qu’une grande majorité de sénateurs souhaite saisir, pourra le dire. Rappelons que 85 % des touristes européens et 95 % des touristes extra-européens atterrissent par ADP, ce qui ressemble tout de même à s’y méprendre à un monopole.
Vous indiquez surtout qu’ADP ferait face à une concurrence européenne et mondiale féroce, de la part des hubs de Francfort, de Londres ou des pays du Golfe. C’est étonnant : si un touriste veut visiter Paris, je ne vois pourquoi il irait atterrir à Doha…
Je ne connais personne qui choisirait sa destination pour découvrir tel aéroport ou goûter la gastronomie du fast-food de tel terminal. Imaginez-vous un Anglais souhaitant assister au tournoi des six nations au Stade de France et qui déciderait d’atterrir à Francfort ? (Sourires.)
Enfin, vous avez diffusé un autre argument dans tous les médias : l’État n’aurait pas vocation à gérer des boutiques et des magasins de luxe.
Évidemment, ce sont les taxes aéroportuaires versées par les compagnies et les magasins ainsi que les parkings utilisés par les usagers qui sont rentables, et non les pistes elles-mêmes. Toutefois, s’il n’y avait pas de pistes pour que les avions décollent et atterrissent, il n’y aurait ni compagnies aériennes versant une taxe ni passagers qui consomment dans les magasins ! Il s’agit donc d’un raisonnement par l’absurde : peut-on dissocier l’autoroute du péage, la gare de la ligne de chemin de fer, ou le port du bar de la marine ? (Rires et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Madame la secrétaire d’État, je vais conclure en vous posant une question à laquelle ni vous ni M. Le Maire n’avez encore répondu. Loin de moi l’idée de vouloir répandre des fake news, d’adhérer à une théorie du complot ou de relayer un « Vinci bashing », mais souhaitez-vous toujours vendre l’ensemble des parts à Vinci, qui sera indemnisé en tant qu’actionnaire minoritaire, ou alors, comme le Président de la République, aux collectivités territoriales adossées au groupe Ardian, ou encore à la Caisse des dépôts du Québec ? Nous avons le droit de savoir, ainsi que les Français, me semble-t-il.
Madame la secrétaire d’État, je vous fais une dernière proposition. Nous faisons partie des 185 parlementaires à avoir signé la proposition de loi en faveur d’un référendum. Si vous êtes vraiment certains d’avoir raison contre tous, organisez donc cette consultation. Donnez la parole au peuple. Demandez-lui s’il est d’accord pour vendre un bien commun et servir encore les intérêts financiers ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin.
M. Martial Bourquin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous nous retrouvons aujourd’hui pour la nouvelle lecture de ce projet de loi fourre-tout comportant un ensemble de mesures qui n’ont souvent rien à voir les unes avec les autres. Si vous le voulez bien, je souhaite revenir sur le point de non-retour qu’il contient et qui inquiète, à juste titre, de plus en plus de citoyens : la privatisation de joyaux nationaux.
Madame la secrétaire d’État, vous entendez privatiser Aéroports de Paris, la Française des jeux et Engie, alors que tout semble aligné pour vous conduire à renoncer à ce projet : l’opinion publique, avec une pétition qui réunit plus de 150 000 signatures ; les « gilets jaunes », qui sont devant le Sénat, qui nous reprochent sans cesse les privatisations des autoroutes et qui s’interrogent avec force sur celle d’ADP, parce que ce sont les Français qui payent les erreurs des gouvernements ; mais aussi, et surtout, le bon sens économique et politique. Avouez tout de même que vos arguments ne sont pas convaincants !
Du point de vue financier, on vend normalement un bien pour gagner de l’argent. Or vous vendez des entreprises qui en rapportent beaucoup : l’État a perçu 173 millions d’euros de dividendes pour l’année 2018 de la part du seul groupe ADP, dont la rentabilité est exceptionnelle, avec une croissance de 43 % en 2018, et le patrimoine foncier unique, comme l’a rappelé Fabien Gay.
Vous voulez vendre trois entreprises qui nous rapportent aujourd’hui plus de 800 millions d’euros de dividendes chaque année, pour alimenter un fonds pour l’innovation de rupture à hauteur de 250 millions d’euros. Vous oubliez de nous dire que les seuls dividendes d’ADP pourraient quasiment financer ce fonds !
M. Laurent Duplomb. Exactement !
M. Martial Bourquin. Vous allez perdre chaque année 600 millions d’euros, qui ne reviendront plus dans les caisses de l’État. Où est le bon sens économique dans tout cela ?
Madame la secrétaire d’État, je vous le dis avec gravité, la cession d’ADP offre le symbole du transfert de richesse publique vers les multinationales. C’est l’exemple parfait d’un capitalisme de connivence, je dis bien de connivence ! (Protestations sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste.)
M. Martin Lévrier. Oh !
M. Martial Bourquin. Vous souhaitez privatiser deux monopoles de fait, ADP et la FDJ, en contradiction avec l’alinéa 9 du préambule de la Constitution de 1946, lequel dispose qu’un « monopole de fait » ne peut pas être privatisé. On ne brade pas les biens de la Nation !
M. Emmanuel Capus. Peut-on parler du reste du texte ?
M. Martial Bourquin. ADP est un monopole naturel, une frontière extérieure stratégique, un outil de souveraineté par lequel passe la plus grande part des entrées et des sorties du territoire.
J’entends certains affirmer que l’État n’a pas vocation à gérer des boutiques. Mais tout de même, ADP est un des plus grands aéroports du monde, avec des passagers et des avions ! Dans l’ancien monde, la première vocation d’un aéroport ne résidait pas dans les boutiques duty free ! Il s’agit évidemment d’une entreprise stratégique, d’un actif qui doit être géré par l’État.
Un autre point suscite l’incompréhension : pourquoi privatiser, alors que nous savons que les privatisations de l’aéroport de Toulouse et des autoroutes ont été des erreurs ? Nous poursuivons dans les mêmes travers ! Vous connaissez l’adage : une erreur, ce n’est pas très grave, dès lors que l’on apprend et qu’on la corrige. Or vous persévérez. Vous accélérez, en klaxonnant, pour entrer dans le mur ! Pourquoi vous entêter ? Pourquoi privatiser ? Je le répète, ce capitalisme de connivence nous gêne beaucoup.
Vous faites un choix purement idéologique, en affirmant que le privé serait mieux à même de gérer une entreprise que le public. C’est de l’idéologie pure !
Est-ce pour satisfaire Vinci, qui n’a pas obtenu la construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ? Nous verrons… Le Président de la République souhaite-t-il réaliser son rêve inachevé de ministre de l’économie, à savoir la privatisation d’ADP, après celle de l’aéroport de Toulouse, incapable qu’il est de constater l’échec de cette dernière opération ?
Madame la secrétaire d’État, vous prenez une responsabilité historique : celle de vendre la France à la découpe ! (Protestations sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Union Centriste.)
M. Loïc Hervé. C’est excessif !
Mme Françoise Gatel. Tout ce qui est excessif est insignifiant !
M. Emmanuel Capus. Il s’agit d’un seul article du texte !
M. Martial Bourquin. C’est l’argent des Français que vous dilapidez, et cela, nous ne l’autoriserons pas. Nous nous battrons jusqu’au bout pour éviter ce gaspillage des fonds publics et des actifs stratégiques de la Nation. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. Jean-Marc Gabouty. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission spéciale, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, à ce stade de l’examen du projet de loi Pacte, on ne peut exprimer que des regrets, voire une certaine frustration.
En effet, l’échec de la commission mixte paritaire, suivi, vraisemblablement, du vote par le Sénat d’une motion tendant à opposer la question préalable, interrompt le dialogue entre les deux chambres et le Gouvernement, dans un domaine où une issue consensuelle ne me semblait pas a priori hors de portée.
Je vous avais fait part, en première lecture, de mes craintes concernant le périmètre de ce projet de loi, lequel contenait à mon sens des dispositions trop disparates, au détriment de sa cohésion. Qu’y a-t-il de commun entre la suppression du stage à l’installation des artisans, la possibilité de définir la raison d’être d’une entreprise et la privatisation de trois grands groupes publics ? Le résultat donne raison au dicton : qui trop embrasse mal étreint.
Dans cet ensemble, on trouvait un gros caillou nommé Aéroports de Paris, sur lequel est venu se briser tout espoir de consensus. Malgré les efforts de la présidente de la commission spéciale, Catherine Fournier, et de son rapporteur sur ce sujet, Jean-François Husson – dont je tiens à saluer le travail, comme celui des deux autres rapporteurs, Élisabeth Lamure et Michel Canevet –, la privatisation d’ADP n’a pas trouvé grâce auprès de la majorité sénatoriale.
Le sujet méritait-il une telle opposition ?
M. Emmanuel Capus. Non !