Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Angèle Préville. … du sauvage, si nécessaire à notre survie sur terre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Georges Patient, sur l’article.
M. Georges Patient. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en matière de biodiversité, rien n’égale la Guyane.
Ce territoire amazonien compte une immense forêt de 5,3 millions d’hectares et présente une biodiversité exceptionnellement riche, faisant partie des écosystèmes les plus importants au monde avec 5 500 espèces végétales, 684 espèces d’oiseaux, 177 espèces de mammifères et plus de 500 espèces de poissons.
Le paradoxe est établi en voyant l’indigence des moyens que l’État, acteur décisionnel, affecte à l’étude de cette biodiversité. Néanmoins, je salue la création de l’agence régionale de la biodiversité de la Guyane, première entité régionale installée en juillet 2018 – soit, deux ans après l’Agence française de la biodiversité – et dont on espère la poursuite des missions sans entrave de la part du nouvel office français de la biodiversité.
En effet, cette agence contribue d’ores et déjà à la structuration de filières locales en matière de faune et de flore. À cet égard, permettez-moi de mettre en garde contre une transposition à la Guyane de dispositions qui ne lui sont pas adaptées.
Lorsqu’on parle de faune, notamment sauvage, on parle aussi de chasse. Et sur cette thématique, je rejoins mon collègue Antoine Karam, qui souhaite des dispositions particulières pour la chasse en Guyane, eu égard à l’existence de longues traditions locales ininterrompues et bien établies sur le territoire.
En effet, la conception de la chasse en Guyane diverge de celle de l’Hexagone, dans la mesure où il ne s’agit pas seulement d’une chasse de loisir, mais, pour bon nombre, d’une chasse vivrière, ancrée dans des pratiques ancestrales raisonnées et nécessaires à la survie de populations occupant le territoire.
Les chasseurs de Guyane jouent d’ailleurs un rôle social incontournable dans le cadre du maintien de la biodiversité et de la connaissance de la faune en contribuant à l’aménagement des espaces naturels et des lieux de vie des espèces.
En cela, ils sont de véritables gestionnaires de la protection de la nature. C’est à ce titre qu’ils mériteraient d’être entendus dans leurs revendications.
Ce faisant, la législation cynégétique hexagonale, même étendue à la Guyane à des fins sécuritaires, est inadaptée à ce contexte amazonien. La Guyane est un territoire sur lequel il n’existait aucune législation en matière de chasse jusqu’à la loi de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer, dite loi ÉROM, qui a tout de même fixé, eu égard à ce contexte particulier, des dispositions transitoires qui se révèlent insuffisantes.
Il faudrait que ce projet de loi portant création de l’Office français de la biodiversité maintienne l’équilibre existant et évite un choc des cultures.
C’est la raison pour laquelle je soutiendrai les amendements présentés par mon collègue Antoine Karam qui s’inscrivent dans la droite ligne des travaux produits lors des assises de la chasse en Guyane.
Pour terminer, de façon plus globale,…
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Georges Patient. … il faudrait éviter que, pour des raisons liées à la préservation de la biodiversité, on ne mette la forêt guyanaise sous cloche, créant un « écolonialisme » qui entraverait un développement économique devenu urgent en raison d’une expansion démographique inégalée qui ne pourra plus être ignorée dans un avenir proche. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard, sur l’article.
M. Guillaume Gontard. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous avons eu le déplaisir de voir deux de nos amendements jugés irrecevables par la commission des finances.
Ces amendements ne visaient pourtant qu’à préciser la troisième mission de l’office : l’expertise en matière d’évaluation de la faune sauvage et de gestion adaptative.
Nous précisions ainsi que cette mission incluait le contrôle de la collecte, la centralisation, le traitement de la valorisation des données relatives à tous les prélèvements des espèces chassables. Du coup, on ne comprend pas bien quelle serait la charge financière supplémentaire. Cela devient – hélas ! – une question récurrente.
Je prends donc la parole pour insister, à l’occasion de l’examen de cet article 1er, sur la nécessité de préciser en toutes lettres dans la loi la mission de contrôle de la collecte et de centralisation, par l’office, des données relatives à l’état de la faune sauvage, et notamment en matière de prélèvements.
Il s’agit d’un point essentiel. À défaut, les missions de l’office deviennent caduques. Comment protéger la biodiversité, comment réguler les activités de chasse, si l’on ne connaît pas l’état de la faune dans notre pays ?
Dans les faits, contrairement à nos voisins, la France est pour l’instant incapable de produire ces données. Les chasseurs sont censés tenir le compte de leurs prélèvements et transmettre les données à la Fédération nationale des chasseurs, qui agit trop souvent comme une boîte noire dont rien ne sort, ou presque.
En conséquence, l’ONCFS produit des estimations hautement imparfaites et sporadiques de l’état de la biodiversité. Ainsi, la dernière enquête date de 2016 et concerne la saison de chasse 2013-2014.
La gestion adaptative consiste à chasser de manière durable, en s’autorisant à prélever sans porter atteinte à l’état maximal de conservation de chaque espèce. C’est ainsi qu’elle est pratiquée en Amérique du Nord.
Pour connaître les quotas acceptables, il faut suivre les prélèvements sur le long terme afin d’évaluer finement non seulement l’état de conservation, mais surtout l’évolution des populations.
Les pêcheurs fournissent des chiffres de prélèvements. C’est ainsi que l’on peut décider de limiter ou de stopper la pêche au thon. Pourquoi ne pourrait-on appliquer ces mêmes pratiques à la chasse ? Des outils existent comme, par exemple, l’application Chassadapt, qui facilite les renseignements des espèces prélevées.
Cela semble facile à mettre en place, un tel dispositif étant déjà prévu pour quelques espèces. Par rapport aux études lourdes et ponctuelles, ce suivi constituerait une réelle économie et fournirait des données beaucoup plus fiables d’un point de vue scientifique et technique.
Tout le travail du futur office, toute la notion de gestion adaptative, repose sur ces données. Madame la secrétaire d’État, merci de bien vouloir nous rassurer sur ce sujet.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sylviane Noël, sur l’article.
Mme Sylviane Noël. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, mes chers collègues, résultat de la fusion des deux agences étatiques chargées de la protection de la faune et de la flore, le nouvel office est censé être un opérateur plus fonctionnel, plus puissant dans la mise en œuvre des politiques publiques de la biodiversité.
Hélas, il ne devrait pas être plus économe. Les premiers à devoir payer une nouvelle fois le prix de cette fusion seront les territoires.
En effet, si les moyens alloués au nouvel établissement ne doivent pas être discutés avant l’examen du prochain projet de loi de finances, le Gouvernement annoncerait déjà un besoin de financement de 340 millions d’euros.
Or il manquait déjà plusieurs millions d’euros – environ 200 – à l’AFB pour lui permettre de mener à bien les missions qui lui avaient été confiées par la loi de 2016.
La plupart des ressources de ces deux établissements provenaient des agences de l’eau. Il semble utile de rappeler que l’État a demandé à ces agences, en 2018, de prendre une part active dans le combat pour la biodiversité en finançant le budget de l’AFB à hauteur de 260 millions d’euros et en donnant 37 millions d’euros à l’ONCFS.
Il y a donc fort à parier que l’État continue son hold-up sur la politique de l’eau. Lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2019, plusieurs amendements plaidaient en faveur de la suppression de cette ponction de l’État sur les agences. Ces résolutions allaient dans le sens des territoires dont les recettes provenant des redevances de l’eau ont toute leur importance et doivent financer en priorité l’eau.
Avec la création de l’OFB, ces établissements vont continuer de subir des coupes budgétaires, ce qui est inacceptable. À l’heure où les réseaux d’eau et d’assainissement de nombreuses communes rurales sont obsolètes, le budget des agences de l’eau doit être impérativement consacré en priorité, sinon de façon exclusive, à la politique de l’eau.
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
5
Grand débat national
Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat
M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, relative au grand débat national, en application de l’article 50-1 de la Constitution.
Cette séance s’organisera en deux temps.
Après la déclaration du Gouvernement, la parole sera donnée à un orateur de chaque groupe, puis au Premier ministre pour leur répondre.
Puis, après une courte suspension, nous procéderons à un débat interactif de trente questions-réponses.
Je donne la parole à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le grand débat national s’est achevé lundi. Pendant trois mois, les Français ont renoué avec le goût de la discussion politique. Les débats se sont tenus, la plupart du temps, dans des salles polyvalentes, des salles municipales ou dans le bureau d’accueil des mairies, où des « cahiers citoyens » se trouvaient à disposition.
Même si cela peut surprendre, je voudrais commencer par rappeler que ce grand débat national a été l’occasion, pour bon nombre de nos concitoyens, de se réapproprier un espace de discussion.
Nos concitoyens aiment la politique ou, plus exactement, ils aiment leur pays. Dans notre vieille nation française, dont on dit souvent, à juste titre, qu’elle est une nation politique, on aime parler politique. Toutefois, observons-le tous ensemble, les espaces où l’on peut échanger, entre concitoyens, sur l’orientation qu’il convient de donner aux affaires du pays ne sont pas si nombreux. Sans doute le rôle et l’importance des partis politiques ont-ils évolué, sans doute la politique locale a-t-elle parfois considérablement « désensibilisé » le débat national, ou déconnecté le débat local de la politique nationale.
Le grand débat a ainsi permis à nos concitoyens d’échanger de nouveau sur ce qu’ils souhaitent et pensent de l’avenir de notre pays. Mes premiers mots seront donc pour remercier les maires de France, qui, avec cet esprit républicain qui les caractérise, ont facilité la tenue du débat. Parfois, ils étaient favorables à l’idée du grand débat ; parfois, ils ne l’étaient pas. Cependant, ils ont considéré qu’il existait un besoin d’expression dans leur commune et ont choisi de l’accompagner. Ils ont voulu faire en sorte que ce grand débat constitue un élément de réponse à la crise que nous connaissions.
De nombreux maires ont pris eux-mêmes la parole, en particulier lors des rencontres qu’ils ont eues avec le Président de la République. Ils ont relayé leurs propres attentes et propositions, ainsi que celles de leurs administrés. Ils ont évoqué les difficultés qu’ils rencontraient dans l’exercice de leur mission, difficultés que nous devons entendre si nous voulons répondre à celles de nos concitoyens.
Je voudrais également adresser aux élus municipaux qui ont dû faire face, samedi après samedi, à une violence intolérable, un message de totale solidarité avec les commerçants et les petites entreprises, auxquels le Gouvernement apporte et apportera son soutien, parce qu’ils ont souffert et souffrent encore des conséquences de comportements inqualifiables. Les scènes de violence que nous avons connues contrastent singulièrement avec le calme et l’écoute qui ont régné durant les trois mois du grand débat et ont fait son succès.
En effet, lorsque l’idée de ce grand débat a émergé, dans le cadre d’un dialogue mené avec nos concitoyens, les associations d’élus, les organisations syndicales et patronales et les associations en général, beaucoup pensaient que le débat ne pourrait pas se tenir compte tenu de l’effervescence du pays. Ils craignaient de transférer la tension des ronds-points dans les salles municipales, ce qui aurait été la pire des choses à faire.
J’observe, mesdames, messieurs les sénateurs, en m’en réjouissant, que nos concitoyens ont su, pendant trois mois, discuter et débattre avec une qualité d’écoute et de respect des positions des uns et des autres tout à fait remarquable. Je rappelle à quel point une telle attitude tranche avec les comportements que nous observons et déplorons, samedi après samedi.
Avec près de 1,5 million de participants, ce grand débat s’est apparenté à un exercice inédit. Quels que soient nos accords ou nos désaccords, nous pouvons saluer ensemble l’image d’une démocratie vivante, innovante et respectueuse.
Toutefois, l’expression de ce respect a été précédée par celle de la colère. Cette dernière est née à la suite de la hausse d’une taxe, qui s’est ajoutée à une hausse du prix des carburants.
M. Jean-François Husson. On vous l’avait dit !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Au-delà, la crise a surtout été l’expression d’un profond malaise que nul sur ces travées n’ignore, car il vient de loin, s’amplifiant au fil des années, des élections et des quinquennats.
Les causes en sont nombreuses. La première, c’est la baisse du pouvoir d’achat de nombre de nos concitoyens depuis la crise financière de 2008, crise dont nous subissons encore, dix ans après, les effets : la dette s’est accrue, le chômage a progressé, la croissance a stagné et les impôts n’ont cessé d’augmenter. (Eh oui ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
La deuxième cause, c’est la conviction terrible, pour des millions de Français, que leurs enfants vivront moins bien qu’eux, que les inégalités s’accroissent, se figent et se transmettent, que la réussite de leurs enfants dépend plus du milieu de naissance ou du lieu de résidence que des mérites propres de chacun et que, à l’égalité des chances, notre société aurait peu à peu substitué l’inégalité des destins.
Enfin, la dernière cause de cette colère, c’est un éloignement, même si ce terme n’exprime pas toute la réalité du phénomène. Il s’agit d’un éloignement géographique, bien sûr, parce que, ici ou là, des lignes de train ont fermé ; ici ou là, des routes estimées nécessaires n’ont pas été construites ; ici ou là, des médecins n’ont pas été remplacés ; ici ou là, des services publics ont été fermés ou ont déménagé. Enfin, nos modes de vie, nos règles d’urbanisme, nos choix publics, mesdames, messieurs les sénateurs, y compris les choix locaux, ont contribué à l’étalement urbain, à la dé-densification des centres-villes et à leur désertification commerciale. Bien évidemment, il est plus facile d’apprécier l’opportunité de certains choix publics trente ans ou quarante ans plus tard. Néanmoins, nous pouvons le reconnaître, l’urbanisme commercial qui a prévalu en France a contribué à créer les problèmes auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés.
Outre l’éloignement physique, nos concitoyens ont souvent le sentiment que ceux qui décident pour eux sont loin d’eux, à la fois différents et indifférents.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ces causes ne sont pas, selon moi, propres à la France. En revanche, la forme prise par la colère lui est propre, notre pays étant, comme le disait M. Claude Malhuret en décembre à cette tribune, « le plus révolutionnaire des pays conservateurs ». (M. Emmanuel Capus applaudit.) On retrouve en effet ces mêmes causes à l’œuvre au Royaume-Uni, en Italie et peut-être même aux États-Unis. Parce que ces causes n’ont pas disparu et parce que nous avons engagé un certain nombre de réformes, parfois en suscitant des malentendus ou des oppositions, les Français ont exprimé leur colère.
Cette colère, c’est celle de citoyens qui, par pudeur, parce qu’ils estimaient que certains vivaient des situations encore plus difficiles, avaient pris l’habitude de taire leur ressentiment, d’encaisser.
Ces citoyens demandent non pas la charité, mais la justice, celle qui permet de vivre et d’élever ses enfants grâce à son travail. Nous avons entendu leur indignation. Nous avons commencé à y répondre en annulant la hausse de la taxe carbone et en corrigeant la hausse de la CSG pour les retraités modestes.
M. Jean-François Husson. Merci le Sénat !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Nous avons également pris des mesures d’urgence en faveur du pouvoir d’achat, pour que le travail paie davantage. Mais nous avons été au-delà : le Président de la République nous a demandé de prendre le risque d’organiser ce débat, pour expliquer ce que nous faisions, pour rendre des comptes sur le terrain et offrir aux Français la possibilité inédite de s’exprimer dans ces conditions.
M. Jean-François Husson. Un an et demi après son élection !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Le grand débat a permis de mettre en lumière un certain nombre de vérités. Avant de les évoquer, permettez-moi de m’arrêter quelques secondes sur l’exercice de restitution qui s’est tenu lundi matin. Dans le rapport qu’ils ont publié hier, les garants ont indiqué que cette restitution avait été « fidèle et loyale ». Cette fidélité et cette loyauté nous permettent d’identifier dans ces matériaux d’une très grande richesse les préoccupations et les attentes de nos concitoyens et de les apprécier dans leurs nuances, ce qui nous aidera à placer le curseur au bon endroit pour répondre à des questions complexes. Par exemple, devons-nous construire une transition écologique fondée sur la norme et l’obligation ou bien sur l’incitation ? Jusqu’à quel point devons-nous numériser les services publics ? Comment pouvons-nous revivifier nos outils démocratiques ?
Les Français ont joué le jeu du grand débat et, par sa qualité, la restitution donne tout son sens, toute son utilité, à leur engagement. Je le disais, ce grand débat a permis de faire ressortir un certain nombre de vérités. Je pense notamment à l’exaspération fiscale qui a gagné notre pays. Je serai très clair, mesdames, messieurs les sénateurs, lorsque je parle d’exaspération fiscale ou de ras-le-bol fiscal, je ne fais pas référence au consentement à l’impôt. Les Français savent qu’ils paient des impôts pour financer des biens communs qui sont indispensables. Leur exaspération fiscale, qu’ils expriment très clairement, est liée non pas à l’idée même de l’impôt, mais à l’augmentation de leurs impôts, à l’augmentation des prélèvements obligatoires qui les frappe directement. Certes, il arrive qu’ils soient moins exaspérés par l’augmentation des impôts concernant d’autres redevables. Néanmoins, ils formulent de façon très claire l’idée que le niveau des prélèvements obligatoires est, à bien des égards, trop élevé.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il faut bien le reconnaître, au cours des dix dernières années, si l’on additionne tous les prélèvements, les pouvoirs publics ont choisi de faire supporter aux foyers et entreprises de France une charge supplémentaire de plus de 217 milliards d’euros de 2007 à 2017.
Nous avions conscience de cet état de fait. C’est la raison pour laquelle nous avons voulu baisser les cotisations salariales. C’est également la raison pour laquelle nous avons engagé la suppression de la taxe d’habitation. Sans doute l’avons-nous fait trop lentement et pas assez clairement. Nous avons corrigé ce qui devait l’être.
Je crois que le grand débat nous invite maintenant à aller plus loin dans la baisse des impôts, mais pas à n’importe quel prix. Les Français ont été très clairs s’agissant de la nécessité de ne pas augmenter les impôts et très clairvoyants sur les conditions s’attachant à cette priorité : la baisse des impôts ne doit pas s’effectuer au prix du creusement d’une dette qui est en réalité un impôt pour les générations futures. Nous devons donc baisser la dépense publique, comme nous le faisons depuis deux ans, même si c’est difficile.
Nous avons réduit le déficit public, qui est passé de 3,5 % en 2016 à 2,5 % en 2018, puis à 2,3 % en 2019, si on exclut le coût du basculement du CICE, qui ne sera applicable qu’une seule année. Nous avons réduit, en 2018, les dépenses publiques en volume de 0,3 %, ce qui signifie que, pour la première fois depuis 1970, les dépenses ont progressé moins vite que l’inflation. Nous avons mis en œuvre cette politique de baisse de la dépense en faisant des choix de politique publique et en les assumant.
M. Michel Savin. Tout va bien !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. La deuxième vérité, c’est l’engagement des Français en faveur de l’environnement. Ils veulent changer, mais sans être pris au piège, sans « opposer la fin du mois et la fin du monde », pour reprendre l’expression du président de la République qui fait florès. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.) On peut sans doute relever, dans la façon de mettre en œuvre la transition écologique, des erreurs de méthode. Mais on ne peut certainement pas reprocher au Gouvernement un manque d’ambition. Nous conserverons donc l’ambition et changerons la méthode, en nous appuyant sur les très nombreuses initiatives observées dans les territoires. Nous le savons, la transition écologique est très souvent une transition locale.
La troisième vérité concerne la manière dont les Français perçoivent leurs institutions et leurs représentants. J’ai parlé hier, à l’Assemblée nationale, d’un mur de défiance et, à certains égards, d’un mur de haine. Si l’on excepte les maires, cette défiance concerne tout le monde, qu’il s’agisse des élus, des syndicats, des hauts fonctionnaires ou des journalistes. Elle s’enracine dans des échecs collectifs. Si j’en prends bien évidemment ma part, reconnaissons ensemble qu’ils sont parfois anciens. (Murmures de protestations sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.) Elle s’enracine aussi dans des pratiques auxquelles les lois sur le financement de la vie politique, puis la loi pour la confiance dans la vie politique de septembre 2017 ont mis fin. Nous devons regarder les choses en face et ne pas oublier.
Même si ces lois font honneur à celles et ceux qui les ont proposées et soutenues, quelle que soit d’ailleurs leur sensibilité, la défiance demeure. Nous allons devoir entamer le long et difficile chemin de la réconciliation des Français avec leurs institutions – je ne parle pas uniquement des institutions politiques – et leurs représentants. De ce point de vue, le grand débat nous invite d’abord à construire une démocratie plus délibérative, parce qu’on ne peut plus discuter de l’avenir du pays uniquement tous les cinq ans, parce que le temps médiatique, politique et social s’accélère, parce que nos compatriotes veulent du respect et de la considération. À l’évidence, l’une des manières de témoigner de ce respect et de cette considération consiste à les associer aux décisions au moment où elles sont prises.
Tous les maires le savent, indépendamment des campagnes municipales, certains projets et événements nécessitent la consultation et le débat avec la population. Cette forme de démocratie existe et se développe au niveau local et produit souvent d’excellents résultats. En vérité, elle reste largement à construire au niveau national, le grand débat nous offre à cet égard de précieux enseignements.
M. Bernard Jomier. Le référendum !
M. Olivier Jacquin. Eh oui !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Nous devons également renforcer notre démocratie représentative, en la rendant plus représentative, plus transparente et plus efficace. Nous avions fait des propositions en ce sens dans le cadre du projet de révision constitutionnelle. Je regrette que nous n’ayons pu envoyer un signal fort aux Français dès l’été dernier. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.) En la matière, il me semble difficile de ne pas entendre le message pour le moins assourdissant que nous adressent nos concitoyens. Le Président de la République y répondra.
La quatrième et dernière vérité concerne nos territoires, et je m’attarderai un peu sur cette question. Le grand débat national a aussi été un grand débat local sur la justice territoriale, l’équilibre à l’intérieur de nos territoires, les relations entre les collectivités et le rôle de l’État. Permettez-moi à cet égard d’évoquer avec vous deux paradoxes qui m’ont particulièrement frappé durant ces trois mois.
Premier paradoxe, la défiance envers l’État, son action et son organisation, est immense. Toutefois, les Français ne cessent de se tourner vers lui, pour lui demander de garantir toujours plus de droits et pour les protéger. La défiance et l’attente sont donc considérables. L’État devrait ainsi proscrire et inciter fortement, alors même que l’appétence des Français pour les normes supplémentaires se révèle assez faible. Ce paradoxe opposant la défiance et l’espérance est sans doute très français. Il appelle de notre part une réflexion dense et profonde.
Deuxième paradoxe, notre République n’a jamais été, dans notre histoire, aussi décentralisée. Jamais les collectivités territoriales n’ont bénéficié d’autant de moyens financiers et humains. (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) Dans l’histoire de notre République – je ne parle pas seulement de la Ve République –, l’organisation de notre pays n’a jamais été aussi décentralisée, si l’on considère le nombre d’agents publics territoriaux, ainsi que les compétences et les budgets des collectivités territoriales par rapport à l’ensemble des budgets publics. (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.) C’était vrai voilà deux ans et même voilà cinq ans ! J’espère avoir été clair. Aussi pouvons-nous nous accorder sur l’idée selon laquelle la République est plus décentralisée aujourd’hui qu’elle ne l’était voilà vingt, quarante ou cent ans. (Nouvelles protestations sur les mêmes travées. – Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
Pourtant, nous connaissons aujourd’hui une vraie crise de proximité, à laquelle il faut répondre. Durant ces trois mois, les Français ont exprimé des besoins très précis. Ils veulent pouvoir accéder aux services que l’on pourrait qualifier d’« essentiels » : la santé, l’éducation, le numérique, les transports. Ils ont également exprimé un besoin de simplicité et de proximité dans leurs relations avec les pouvoirs publics.
Quant aux maires, ils souhaitent bénéficier d’une plus grande liberté d’action, fondée sur la confiance de l’État. Ce dernier doit être présent, mais pas omniprésent.
Si ces besoins sont simples à formuler, le défi à relever est immense et les chantiers sont nombreux. Il s’agit tout d’abord de réconcilier les métropoles avec les territoires qui leur sont proches ou un peu plus lointains. Notre pays a réussi l’exploit – c’est une bonne nouvelle – de rééquilibrer la relation entre Paris et ce que l’on appelait la province lorsque j’étais enfant et qu’on désigne désormais sous le terme générique de « région ». Nous avons tous constaté le développement de ces métropoles, qui a été progressif. Ce mouvement puissant a permis de réorganiser le territoire national, grâce à la création d’ensembles urbains comparables aux grandes métropoles européennes et, parfois, mondiales. Ne nous en plaignons pas, il s’agit d’une bonne nouvelle pour notre pays.
Toutefois, n’oublions pas qu’au moment où ce phénomène se réalisait, les territoires éloignés des métropoles subissaient le choc de cette accélération. La relation entre les métropoles et les autres parties du territoire doit à l’évidence être rééquilibrée ou repensée. Dans certaines régions et certains lieux, ce rééquilibrage est plus naturel. Ce n’est pas moi qui le dis, mais les études de flux, les études économiques et les études de solidarité. Ces dernières montrent que, dans un certain nombre d’endroits, la relation entre les métropoles et les territoires qui les entourent est plus harmonieuse que dans d’autres. Il est indispensable, me semble-t-il, si nous voulons répondre à la question de la justice territoriale, que nous sachions imaginer des mécanismes, qui, sans remettre en cause la dynamique des métropoles, soient capables de créer et de développer une telle solidarité. Il s’agit de faire en sorte que les communes, les villes moyennes, les petites villes et les territoires ruraux puissent bénéficier de ce dynamisme.
Nous devrons aussi apporter une réponse s’agissant de la complexité du millefeuille politique et administratif, qui fait l’objet de critiques unanimes et répétées.
Nos concitoyens accordent une prime à la proximité. Plus leurs élus et les fonctionnaires qui font vivre le service public sont proches, plus ils les respectent et leur font confiance.