M. Philippe Dallier. C’était bien la peine…
M. Roger Karoutchi. Donnez au moins un avis de sagesse !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Le Gouvernement s’engage à travailler à ce sujet dans le cadre du prochain projet de loi de finances. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. Michel Canevet.
M. Michel Canevet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je veux tout d’abord remercier M. Sueur d’avoir été à l’initiative de ce débat au sein de l’hémicycle. Si j’ai bien compris vos propos, madame la secrétaire d’État, cela permettra d’approfondir cette question, même si l’on aurait souhaité aller encore plus vite, à partir de cette proposition de loi.
Je veux aussi saluer, au nom du groupe Union Centriste, le travail réalisé sur ce point par le rapporteur de la commission des finances, Antoine Lefèvre, depuis de nombreuses années déjà.
Nous évoquons ici un sujet important, les biens injustement acquis dans l’exercice du pouvoir par certains dirigeants, souvent au détriment de leur population. Il s’agit d’une pratique que l’on ne peut que déplorer et qui montre que la corruption – on en parle assez régulièrement dans les médias – existe et prospère encore dans le monde.
C’est aussi l’occasion d’évoquer la situation en France, au travers notamment de la question relative à la fraude fiscale, chère à nombre de nos collègues – je pense en particulier à Nathalie Goulet –, dont le niveau reste élevé. Le syndicat Solidaires Finances publiques estime son montant entre 80 milliards et 100 milliards d’euros tandis que le Conseil des prélèvements obligatoires l’évalue autour de 25 milliards d’euros. Il y a par conséquent encore des efforts à faire pour assurer une meilleure justice fiscale dans notre pays.
Se pose également la question de la fraude aux prestations sociales et de la fraude documentaire. Cela demeure une préoccupation importante ; nous devons y travailler pour que les choses soient encore plus transparentes et que ce phénomène soit limité le plus possible.
Nous espérons donc que la création, proposée en septembre dernier par le ministre de l’action et des comptes publics, d’un observatoire de la fraude fiscale se concrétisera le plus rapidement possible ; cet observatoire n’existe toujours pas…
Cela dit, les avoirs mal acquis sont nombreux ; nous en avons vu quelques exemples, émanant notamment de la Guinée équatoriale, dans notre pays. Ainsi, en 2017, un jugement a condamné un dirigeant de ce pays ; les recours n’ont pas encore été épuisés dans cette affaire, mais la décision rendue a conduit à saisir un hôtel particulier avenue Foch, à Paris, dix-huit voitures de luxe, de nombreux biens mobiliers et des bijoux. La valeur des biens concernés peut ainsi être importante…
Une autre affaire vise le Gabon, dont l’un des dirigeants est actuellement mis en cause ; la confiscation des biens situés sur notre territoire a eu lieu, pour plus de 60 millions d’euros ; les sommes à récupérer sont par conséquent élevées.
Des efforts sont faits dans certains pays, ne l’oublions pas. Je pense au Royaume-Uni, aux États-Unis, mais aussi à la Suisse, même si l’on peut être étonné par le comportement de ce pays, puisqu’il existe toujours, à côté de Genève, aux portes de notre pays, un port franc, qui compte plus d’un million d’œuvres d’art, nous dit-on, pour une valeur qui dépasse 80 milliards d’euros. Des efforts doivent être accomplis là aussi pour que les choses soient plus transparentes ; la fraude se développe également, hélas, par le biais des ports francs.
Pour lutter contre la fraude, nous avons créé, en 2011, l’Agrasc ; celle-ci travaille bien, me semble-t-il. J’aurai l’occasion de présenter, au nom du groupe Union Centriste, un certain nombre d’amendements, qui visent à en améliorer le fonctionnement et à lui donner quelques perspectives, issues de l’excellent rapport de notre collègue Antoine Lefèvre.
Cette agence a besoin de pouvoir continuer son action. Depuis sa création, elle n’a consacré à l’entraide internationale que 1 % des biens qu’elle a récupérés. C’est dire tout le chemin qu’il reste à parcourir pour faire en sorte que les biens acquis grâce à la spoliation de populations étrangères soient restitués à celles-ci.
Cela rejoint d’ailleurs l’objectif, défini par le Président de la République, madame la secrétaire d’État, consistant à consacrer 0,55 % du produit intérieur brut à l’aide au développement. Je considère en effet que cela ferait aussi partie de l’aide publique au développement que d’assurer le retour de ces ressources dans les pays dont elles proviennent.
Nous devons donc mettre conjointement en œuvre ces actions pour permettre à ces biens de retourner dans leur pays d’origine, afin que ces populations puissent en profiter, tout en prévoyant les garde-fous nécessaires, puisque la corruption existe encore dans bon nombre de pays ; il ne faudrait en effet pas l’encourager par ce mécanisme…
M. le président. La parole est à M. Alain Marc.
M. Alain Marc. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons la proposition de loi relative à l’affectation des avoirs issus de la corruption transnationale.
La corruption transnationale renvoie à l’accaparement de biens publics ou privés au profit d’une minorité d’oligarques, qui bénéficient indûment d’un enrichissement illicite. Cette forme de corruption se caractérise notamment par les conséquences économiques et sociales injustes qu’elle fait peser sur les pays d’origine.
Rappelons les chiffres de la Banque mondiale : chaque année, la corruption transnationale ferait perdre entre 20 milliards et 40 milliards de dollars aux pays en développement, soit 20 % à 40 % de l’aide publique au développement. Les pays dont il est question sont le plus souvent, nous le savons tous, des pays en développement, des pays où l’État de droit a failli, au bénéfice de quelques criminels et aux dépens des citoyens. Ce sont des pays qui se retrouvent ainsi privés des ressources dont ils manquent déjà pour financer leur développement de façon pérenne. Cette mécanique n’a, hélas, rien de nouveau, et l’argent qui est volé là-bas finit parfois par être investi ici.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, mes chers collègues, nous fait envisager le problème sous un angle nouveau ; quand l’État fait respecter ici la loi et saisit ces biens mal acquis, il ne permet pas leur retour dans le pays d’origine, et il freine ainsi le développement économique et social de celui-ci. Nul ne peut se satisfaire de cette situation, dans laquelle notre droit entérine de fait la spoliation de ces populations et échoue à indemniser les victimes de la corruption.
C’est à cette fin que la France a ratifié, en 2005, la convention des Nations unies contre la corruption, qui fixe le cadre international de la restitution des avoirs confisqués à la suite de condamnations en matière de corruption.
Des mesures ont déjà été prises dans notre pays pour appliquer cette convention, avec la loi du 9 juillet 2010 visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale.
Mais cela ne suffit pas et nous devons encore poursuivre nos efforts dans ce sens, afin de donner corps aux engagements que nous avons pris sur la scène internationale.
Au-delà de nos frontières, la Suisse a déjà fait bouger les lignes. Les premiers retours d’expérience, recueillis après le traitement de plusieurs affaires symboliques, montrent que l’on peut agir pour tenter de réparer le dommage subi par les populations spoliées. Il s’agit manifestement d’un exemple intéressant.
Cependant, derrière une intention noble se cachent de nombreuses difficultés pratiques.
Premièrement, dans beaucoup de cas, il serait mal avisé de restituer ces biens confisqués à un État que nous savons défaillant.
Deuxièmement, comment s’appuyer sur la société civile pour restituer à ces populations les ressources dont elles ont été spoliées ? Comment choisir un acteur privé pour lui confier une telle mission d’intérêt général ?
Ici encore, l’exemple suisse nous montre qu’il n’existe pas de solution miracle et que chaque situation doit être traitée au cas par cas.
Mais avant même de rencontrer ces difficultés que nous concevons lorsque nous envisageons le meilleur moyen d’agir par-delà nos frontières, nous nous heurtons à une première difficulté juridique. Comme l’a souligné le rapporteur, la création d’un fonds dédié au sein du budget de l’État, comme le prévoit la proposition de loi, ne paraît pas répondre aux prescriptions de la LOLF en matière d’affectation de recettes.
Dès lors, il ne serait pas possible, en l’état, d’utiliser le produit des avoirs issus de la corruption internationale pour l’affecter à une action spécifique – par exemple, au budget de l’AFD, l’Agence française de développement, qui pourrait être un acteur indiqué pour mener à bien cette mission dans les pays concernés. La solution appartient donc aujourd’hui au Gouvernement.
Le groupe les Indépendants – République et Territoires suivra la position de la commission des finances et votera en faveur de l’esprit de la proposition de loi, en espérant que le Gouvernement se saisisse de l’appel que nous lui lançons aujourd’hui pour agir demain en matière de corruption transnationale.
La perspective du prochain sommet du G7, qui sera organisé en août, à Biarritz, sous présidence française, semble être une excellente opportunité d’engager plus avant notre pays dans cette démarche qui lui fait honneur. (MM. Jean-Pierre Sueur, Jean-Claude Requier et Michel Canevet applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud.
M. Didier Rambaud. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, sur l’initiative de Jean-Pierre Sueur, nous débattons aujourd’hui du sujet important de la corruption transnationale.
Important moralement, parce que ce phénomène constitue une brèche dans les valeurs universelles que doit défendre notre pays.
Important financièrement, parce que la corruption transnationale subtilise à des populations entre 20 et 40 milliards de dollars chaque année, selon les estimations de la Banque mondiale, au profit d’individus.
Posons les termes : la corruption transnationale est le fait d’offrir un avantage indu, pécuniaire ou autre, à un agent public étranger, à son profit ou au profit d’un tiers, pour que cet agent agisse ou s’abstienne d’agir dans l’exécution de fonctions officielles, en vue d’obtenir ou de conserver un marché dans le commerce international.
Avec l’entrée en vigueur de la convention sur la lutte contre la corruption, la France a adopté plusieurs incriminations de corruption et de trafic d’influence en relation avec des agents publics étrangers. Elle a aussi étendu les pouvoirs des enquêteurs.
Parmi les mesures récentes permettant de mieux saisir le phénomène, je tiens à souligner la possibilité offerte aux associations de lutte contre la corruption de se constituer partie civile, ou encore la création utile du parquet national financier, dont le rôle a été décisif dans l’affaire des biens mal acquis et la condamnation du vice-président de Guinée équatoriale.
Cette condamnation a reposé sur l’acte de blanchiment, compris comme infraction autonome et distinct des délits d’origine d’abus de biens sociaux, détournement de fonds publics et corruption commis en Guinée équatoriale. Elle a validé la vente des biens saisis et l’affectation de son produit au budget de l’État.
Voilà où se situe la proposition de loi de notre collègue Jean-Pierre Sueur : l’affectation des recettes provenant de la confiscation des sommes ou biens issus de la corruption aux populations des États où la corruption a eu lieu.
Les sommes recouvrées et le produit de la vente des biens confisqués seraient ainsi affectés à l’amélioration des conditions de vie des populations et au renforcement de l’État de droit, ainsi qu’à la lutte contre la corruption dans le ou les pays où les infractions en cause ont été commises.
Mon groupe s’abstiendra sur ce texte, car plusieurs points doivent encore être éclaircis.
Tout d’abord, cette proposition de loi repose sur l’idée que les faits de corruption ont lieu exclusivement dans les pays les plus pauvres. Or cette idée est contredite par le rapport de l’OCDE sur la corruption transnationale selon lequel, dans un cas sur deux, ces faits se déroulent dans un pays développé.
Aussi, l’affectation de ces sommes à des pays en développement, comme le prévoit la proposition de loi, n’est pas viable, non seulement parce que cela relève de la politique de développement de notre pays, mais aussi parce que cette affectation présente un risque de recyclage de l’argent dans un circuit de corruption. Pourrait-on accepter, par exemple, que les sommes issues de la vente de biens confisqués soient utilisées pour payer un marché public auprès d’une entreprise française de BTP ?
La morale nous engage à ce que les sommes provenant de la vente de voitures de luxe, d’œuvres d’art ou d’immeubles ayant servi à blanchir de l’argent détourné ou issues de la corruption soient reversées aux populations des pays où la corruption est – hélas ! – inscrite dans les mœurs et dans les habitudes.
Pourtant, la proposition de loi qui nous est soumise ne répond pas encore à cette exigence morale. En effet, comme l’a souligné le rapporteur, la création d’un fonds au sein du budget général contrevient aux règles de la LOLF.
Nous pouvons alors, mes chers collègues, regarder chez nos partenaires. L’affaire des biens mal acquis est un bon cas pratique : aux États-Unis, le department of justice, ou DoJ, a conclu un accord avec Teodorin Obiang pour qu’il renonce à 30 millions de dollars d’avoirs qui seront reversés à des associations caritatives au bénéfice du peuple de Guinée équatoriale.
En Suisse, Teodorin Obiang n’a pas été condamné, le code pénal de ce pays permettant, pour le dire rapidement, de compenser le tort causé. La Guinée s’était en effet engagée à ce que le produit de la vente de voitures saisies en Suisse soit affecté à une organisation internationale menant un projet humanitaire en Guinée.
La Suisse, comme cela a été rappelé, est citée en exemple en matière de restitution des avoirs illicites : sur les trente dernières années, environ 2 milliards de dollars ont été restitués aux populations.
L’évolution de la législation suisse est liée aux événements et présente un caractère d’opportunité. Il en est ainsi de la loi Duvalier, qui vise à éviter que l’argent détourné et caché en Suisse par l’ancien dirigeant d’Haïti ne puisse lui revenir.
Je pense également au fonds créé conjointement par la Suisse et les États-Unis dans le cadre d’une affaire de corruption au Kazakhstan : 115 millions de dollars ont transité par la Banque mondiale au profit de la population kazakhe.
Chaque fois, la Suisse s’engage dans un dialogue avec l’État concerné. Il n’y a donc aucune automaticité. Il faut le redire : l’automaticité de l’affectation des recettes pose question, puisque la moitié des affaires de corruption concerne les pays développés.
Mes chers collègues, en conclusion, nous devons trouver les bons outils pour répondre au défi de la restitution des avoirs confisqués dans les affaires de corruption.
L’affectation des sommes à l’AFD est une piste, même si l’ajout de cette responsabilité risque de nuire à la cohérence globale des missions de l’Agence. Il me semble que s’appuyer sur les ONG, comme le font la Suisse et les États-Unis, serait plus prometteur.
Enfin, notre droit pénal mérite sans doute d’être revu, comme le suggèrent les auteurs de certains amendements. Malheureusement, la proposition de loi ne répond pas à ces questions juridiques.
Mon groupe soutiendra un futur débat qui permettra de suivre les évolutions sur ce chantier. Je remercie madame la secrétaire d’État des preuves d’engagement qu’elle nous a données. Cette détermination honore notre pays.
Nous autres, parlementaires, resterons attentifs aux propositions du Gouvernement et aux engagements internationaux. (M. Thani Mohamed Soilihi applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux commencer par remercier Jean-Pierre Sueur de nous donner l’opportunité de discuter d’une question aussi importante que la corruption transnationale.
Cette proposition de loi va dans le bon sens. Nous soutenons l’idée d’instaurer un fonds destiné à recueillir les recettes provenant de la confiscation des biens détenus par des personnes étrangères, issus de la corruption transnationale.
Nous soutenons l’idée de restituer ces sommes aux populations victimes.
Oui, nous voulons être impitoyables avec celles et ceux qui accaparent les richesses de leurs peuples. Oui, la France doit être exemplaire.
Nous pensons même qu’il est encore possible de renforcer la proposition de loi. Le Gouvernement doit nous donner des assurances quant au fonctionnement du mécanisme proposé. Vos propos, madame la secrétaire d’État, ne m’ont pas paru empreints d’enthousiasme sur cette dernière question.
Oui, mes chers collègues, il est nécessaire d’éradiquer la corruption, cette « exploitation des gens sans défense » que condamnait l’écrivain franco-marocain Tahar Ben Jelloun dans son recueil Amours sorcières.
S’engager contre ce phénomène est un impératif économique. Selon la Banque mondiale, chaque année, entre 20 et 40 milliards de dollars disparaissent dans les pays en voie de développement, soit l’équivalent de 20 % à 40 % de l’aide publique au développement. Ces chiffres nous conduisent à nous interroger sur la justice et l’efficacité des politiques actuellement menées.
En ce qui concerne l’efficacité, la Banque mondiale a souligné, dès 2001, que la corruption constitue l’un des « grands obstacles au développement économique et social » des pays en développement.
Pour ce qui est de la justice, la corruption est l’un des ressorts du capitalisme mondialisé. L’OCDE, dans une étude de 2014, a souligné que ce sont majoritairement les directions d’entreprise et, dans 12 % des cas, directement les PDG, qui sont responsables des actes de corruption internationale. De plus, 11 % des personnages publics incriminés sont des présidents ou des présidentes, ou des membres de gouvernements…
Tous ces éléments revêtent un poids particulier pour notre pays. Oui, la France doit impérativement faire évoluer son arsenal juridique, car ses gouvernements successifs n’ont pas été exemplaires dans ce domaine – ne nous le cachons pas.
Il faut se réjouir du jugement du tribunal correctionnel de Paris du 27 octobre 2017 qui condamne le vice-président de Guinée équatoriale dans l’affaire des biens mal acquis.
Pour autant, nous ne serions pas sérieux en délivrant un satisfecit à l’action gouvernementale française de ces cinquante dernières années en matière de corruption transnationale. Dans ce contexte, cette proposition de loi va dans la bonne direction en prolongeant les acquis du droit international, et particulièrement les efforts de l’Organisation des Nations unies, sous les auspices de laquelle a été adoptée, en 2003, la convention dite de Mérida contre la corruption.
Cependant, la nécessaire activation par l’État victime et le niveau parfois généralisé de corruption qui gangrène certains pays empêchent souvent l’application pleine et entière des principes de restitution et de partage direct avec les populations des avoirs issus de la corruption.
De même, le partage n’est pas automatique : un accord est nécessaire avec l’État requérant. Dès lors, la restitution directe ou indirecte aux populations civiles fait trop souvent défaut.
Le mécanisme contenu dans la proposition de loi pourrait résoudre ce problème. Nous souhaiterions, aux côtés de Jean-Pierre Sueur, faire en sorte que l’esprit de ce texte puisse être assuré pour l’avenir. Nous faisons, à cet égard, cinq propositions.
Tout d’abord, il nous paraît important que les sociétés civiles des pays en cause soient associées aux opérations de restitution des fonds.
Ensuite, nous souhaiterions que le mécanisme proposé intègre des perspectives de coopération avec les autres États mettant déjà en œuvre ces procédures.
Dans le même ordre d’idée, une évaluation annuelle de l’action du fonds devrait être réalisée et publiée, afin de nous permettre de suivre concrètement l’action des services de l’État.
Les révélations sur les cas de corruption sont souvent le fruit du travail de journalistes, d’associations ou de lanceuses et lanceurs d’alerte.
M. Roger Karoutchi. Ou des opposants !
M. Pascal Savoldelli. Dès lors, nous revendiquons l’instauration d’une protection juridique dans le cadre des affaires de corruption transnationale.
Enfin, nous pensons qu’une part importante des fonds récupérés, notamment ceux qui ne peuvent pas faire l’objet d’une restitution, devrait participer directement au renforcement des systèmes fiscaux des pays en voie de développement.
Vous l’aurez compris, nous voulons la concrétisation pleine et entière de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Éblé.
M. Vincent Éblé. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi de Jean-Pierre Sueur vise à traiter la question de la corruption transnationale, soit « l’accaparement de biens publics ou privés au profit d’une minorité d’oligarques qui bénéficient indûment d’un enrichissement illicite ».
Les avoirs issus de la corruption transnationale procèdent pour l’essentiel de faits traduisant un manquement au devoir de probité devant guider les personnes dépositaires de l’autorité publique. L’équité exige donc d’affecter ces sommes détournées au profit des populations victimes de tels agissements, notamment au bénéfice des catégories les plus pauvres, privées des services de base – eau, électricité, santé… – que leur État d’origine ne leur fournit pas.
La mise en œuvre d’un tel principe est cependant loin d’être acquise. En l’état actuel de notre droit, rien ne permet en effet de garantir que les avoirs issus de la corruption transnationale soient restitués aux populations victimes ou, tout du moins, mis à leur bénéfice.
Par l’effet de la décision de confiscation, ces fonds sont transférés au budget général de l’État en tant que recette non fiscale. Le Trésor public est donc le tout premier – voire l’ultime – bénéficiaire des avoirs issus de la grande corruption.
C’est une situation difficilement acceptable qui constitue une double peine pour les populations victimes. La défaillance des gouvernements des États d’origine ne justifie en rien que ces avoirs, issus de la grande corruption, ne soient pas restitués aux peuples spoliés par leurs dirigeants malhonnêtes. Dès lors, il nous appartient d’adapter nos dispositifs législatifs, afin de garantir cette affectation. C’est une question de justice et d’honneur pour notre pays.
Les juges français ont récemment marqué un pas décisif dans la lutte contre l’impunité de certains des anciens ou actuels dirigeants des pays concernés.
Je pense notamment à la condamnation, en octobre 2017, du vice-président de Guinée équatoriale, Teodorin Obiang, à trois ans de prison avec sursis et à 30 millions d’euros d’amende, pour s’être frauduleusement bâti en France un patrimoine considérable.
L’ayant reconnu coupable de blanchiment d’abus de biens sociaux, de détournement de fonds publics, d’abus de confiance et de corruption, le tribunal a également ordonné la confiscation de l’ensemble des biens saisis, dont un somptueux hôtel particulier, situé avenue Foch, à Paris.
Cette récente affaire met en évidence les enjeux majeurs qui demeurent autour de la restitution des avoirs. En effet, l’estimation du patrimoine confisqué s’élèverait à environ 150 millions d’euros, somme qui serait bien utile aux Équato-Guinéens…
Le cœur de cette proposition de loi permet d’aller plus loin en la matière en garantissant l’affectation des sommes confisquées non pas au budget général de l’État, mais bien à la restitution des avoirs illicites, conformément au principe plaidé par la France, voilà déjà quatorze ans, devant les Nations unies.
Il existe une attente très forte de nombreuses organisations internationales et ONG, afin que la France garantisse l’affectation des sommes confisquées au bénéfice de l’amélioration des conditions de vie des populations, au renforcement de l’État de droit, ainsi qu’à la lutte contre la corruption dans le ou les pays concernés.
Aujourd’hui, seule une minorité de pays, dont la Suisse, le Royaume-Uni et les États-Unis, restitue aux populations des États d’origine les sommes confisquées dans le cadre d’affaires de corruption transnationale.
Parmi ces pays, seule la Suisse s’est dotée d’une législation visant à restituer les valeurs patrimoniales d’origine illicite de personnes politiquement exposées à l’étranger. Nos voisins helvètes ont ainsi pu restituer aux populations concernées près de deux milliards de dollars.
Adopter la proposition de loi qui vous est soumise, mes chers collègues, constituerait une étape supplémentaire pour rendre justice aux populations victimes de la corruption.
Notre collègue Antoine Lefèvre, rapporteur de ce texte, nous a indiqué partager les objectifs visés et a émis l’idée de faire transiter ces fonds par l’Agence française de développement. Cependant, notre droit parlementaire, particulièrement l’article 40 de la Constitution, ou encore l’article 36 de la loi organique relative aux lois de finances, contraint notre capacité d’ajustement du texte par amendement pour préciser les intentions de Jean-Pierre Sueur, auteur de la proposition de loi.
Ce texte étant accueilli très favorablement par une très large majorité de nos collègues, nos discussions doivent permettre de lever les obstacles soulevés par la rédaction actuelle de cette proposition de loi. J’invite le Gouvernement à prendre toute sa part à l’amélioration du dispositif proposé. Il me semble qu’il est possible de le faire dès aujourd’hui, dans la mesure où il ne s’agit pas de phénomènes d’une grande complexité.
En conclusion, à la veille du G7, sous présidence française, au mois d’août prochain, à Biarritz, l’adoption de cette proposition de loi par la Haute Assemblée enverrait un signal fort sur notre capacité à traiter de ces délicates problématiques.
Le groupe socialiste soutiendra ce texte et toute démarche qui permettrait de l’améliorer. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Éric Gold.
M. Éric Gold. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, de l’avis de tous dans cet hémicycle, la corruption transnationale reste un fléau qui hypothèque l’avenir des populations des pays du Sud, au profit de quelques minorités confisquant les richesses. Notre devoir est de la combattre avec la plus grande détermination.
Yvon Collin et le président Jean-Claude Requier se sont rendus, l’an dernier, au siège de la Banque mondiale, dans le cadre de leur mission de contrôle budgétaire des crédits de l’aide au développement. Ils y ont constaté non seulement l’absolue nécessité du système d’aide multilatéral, mais aussi sa trop grande complexité.
Bien évidemment, les actions d’aide doivent être concentrées vers les pays les moins avancés. Toutefois, trop souvent, ce sont aussi ceux où le multilatéralisme comme la solidarité internationale sont aujourd’hui malmenés par les tensions géopolitiques et par diverses tentations de repli.
La présente proposition de loi s’inscrit dans un contexte législatif et international où la lutte contre la corruption est, depuis plusieurs années, une priorité.
Les États de l’OCDE ont adopté, en 1999, la convention de lutte contre la corruption dans les transactions commerciales internationales qui définit clairement la corruption transnationale comme l’accaparement de biens publics ou privés par une minorité de ressortissants d’États étrangers à des fins d’enrichissement illicite, dans l’intérêt d’acteurs, le plus souvent du Nord, visant à bénéficier d’accès indus à des marchés ou au commerce international.
Par ailleurs, la convention des Nations unies contre la corruption, entrée en vigueur en 2005, a affirmé le principe de la restitution des avoirs acquis de façon illicite.
En droit interne, la loi Warsmann, du 9 juillet 2010, a renforcé les conditions de saisie et de confiscation des profits illicites, en particulier en matière pénale, et a créé l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués.
Plus récemment, la loi Sapin II a introduit en France la convention judiciaire d’intérêt public qui permet de poursuivre plus efficacement les personnes morales soupçonnées de faits de corruption à l’étranger, comme cela se fait chez nombre de nos voisins.
La proposition de notre collègue Jean-Pierre Sueur vise, quant à elle, les personnes physiques dites « politiquement exposées », c’est-à-dire des responsables étrangers mis en cause dans des affaires de biens mal acquis.
Ce dossier a récemment connu des évolutions notables avec la condamnation du vice-président de Guinée équatoriale, en octobre 2017, à trois ans de prison et 30 millions d’euros d’amende pour détournement de fonds publics.
Aujourd’hui, Rifaat al-Assad, oncle du président syrien Bachar al-Assad et ancien dignitaire du régime, pourrait également être inquiété pour des faits similaires.
Il est vrai que les conditions de restitution des avoirs acquis illicitement continuent de poser d’importantes difficultés pratiques.
S’il peut paraître injuste que l’État français saisisse purement et simplement des biens qui devraient, en toute logique, revenir aux États victimes de cette corruption, la persistance de la corruption dans ces États, voire l’absence de structure étatique digne de ce nom, rend hasardeuse toute entreprise concrète de restitution.
À cet égard, j’émettrai quelques doutes sur l’efficacité de cette proposition de loi à atteindre réellement le but recherché, même si je souscris pleinement à son objectif.
Le nouveau fonds serait ainsi chargé d’affecter les ressources récupérées « à l’amélioration des conditions de vie des populations et au renforcement de l’État de droit ainsi qu’à la lutte contre la corruption dans le ou les pays où les infractions […] ont eu lieu. » Mais les modalités précises de l’affectation sont renvoyées à un décret en Conseil d’État…
Pouvait-il en être autrement, compte tenu des contraintes strictes qui sont les nôtres en tant que parlementaires, du fait de l’article 40 de la Constitution et des dispositions de la loi organique relative aux lois de finances ?
Pour ma part, et cela fera le lien avec le début de mon propos, je pense que l’Agence française de développement, au sein du budget de l’État, pourrait être un acteur clé dans la réparation des dommages causés aux pays et aux populations concernés.
Après ces remarques, et malgré quelques réserves, vous comprendrez, mes chers collègues, que les membres du groupe du RDSE voteront en faveur de cette proposition de loi. (MM. Jean-Claude Requier, Jean-Pierre Sueur et Michel Canevet applaudissent.)