Mme Catherine Morin-Desailly. Certains pensent que nous avons déjà perdu la bataille des tuyaux et des outils, et que nous sommes maintenant dans la bataille des contenus. Je ne suis pas complètement d’accord avec cette vision minimaliste ; au contraire, soyons volontaires. Ce que l’on attend de l’État actionnaire, c’est qu’il fédère les acteurs et qu’il donne le ton, qu’il fixe la direction.
En cette matière, il faut une action stratégique, globale et coordonnée au plus haut niveau de l’État et, ensuite, à l’échelon européen.
M. Jean-Pierre Leleux. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Laure Darcos.
Mme Laure Darcos. Monsieur le ministre, j’ai cru comprendre que Netflix venait de s’offrir les droits de deux films primés au Festival de Cannes. En acquérant les droits de ces longs-métrages, cette plateforme de vidéo à la demande contourne les règles du Festival, qui a pour principe de refuser les projets n’ayant pas vocation à être diffusés en salle.
Ce contexte témoigne de la montée en puissance des plateformes de vidéo à la demande : Netflix, Amazon Prime, Disney Fox et, bientôt, Apple. La directive européenne « services de médias audiovisuels », adoptée en 2018, a établi la possibilité d’imposer à ces plateformes étrangères des obligations d’investissement dans des œuvres européennes et françaises, sur le fondement de leur chiffre d’affaires réalisé en France. Au regard du décret du 12 novembre 2010 relatif aux services de médias audiovisuels à la demande, qu’il conviendrait de réécrire, Netflix, Amazon Prime et Disney Fox devraient consacrer entre 12 % et 15 % de leur chiffre d’affaires annuel réalisé en France à la production d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles européennes et françaises.
Pour Netflix, cela représenterait un investissement annuel compris entre 55 millions et 90 millions d’euros dans des œuvres européennes, et entre 40 millions et 75 millions d’euros dans des œuvres françaises. Ces chiffres sont élevés et pleins de promesses pour le secteur.
Compte tenu de la différence de plus en plus ténue entre les chaînes de télévision et les plateformes de vidéo à la demande avec abonnement, il serait judicieux, de mon point de vue, de mettre en place deux réformes. La première consisterait à unifier les taux d’investissement dans les œuvres à partir d’un certain chiffre d’affaires, sans distinction entre services linéaires et non linéaires ; la seconde consisterait à imposer qu’une part significative de cet investissement se fasse en préachat, c’est-à-dire au moment de la constitution du budget de l’œuvre. Ces propositions peuvent-elles retenir votre attention, monsieur le ministre ?
Par ailleurs, entendez-vous mettre fin à la différence existant entre les investissements réalisés dans le cinéma et ceux qui sont faits dans l’audiovisuel ? Aujourd’hui, pour les chaînes historiques, ces investissements sont clairement différenciés. Dans le décret précité, il n’est pas distingué, au titre de l’obligation d’investissement, entre cinéma et audiovisuel, et il est précisé que tout dépend de la fréquence de visionnage des œuvres considérées. Il ne me paraît pas possible que les obligations d’investissement des plateformes et des chaînes historiques demeurent durablement différentes.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Franck Riester, ministre de la culture. Merci de cette question, madame la sénatrice.
Je le redis très clairement, nous devons faire en sorte que les nouveaux entrants respectent les mêmes obligations, les mêmes règles d’investissement et d’exposition, que les acteurs historiques ; en même temps, nous devons les accueillir comme il se doit : ce sont des acteurs qui viennent investir en France dans des contenus, il ne faut pas les écarter d’un revers de la main.
C’est pourquoi j’ai rencontré récemment Reed Hastings afin d’échanger sur ces questions. J’ai été assez ferme sur ma vision de ce qu’est le cinéma ; on doit toujours avoir en tête que le cinéma est une chose et que la création audiovisuelle en est une autre. Cela est vrai pour la conception artistique de l’œuvre et au regard de l’importance que revêt la salle dans l’émotion cinématographique, c’est également vrai pour l’aide publique et le suivi du respect des obligations.
De ce point de vue, je vous rejoins, madame la sénatrice, sur la nécessité de prendre en compte, y compris pour les plateformes, les obligations respectives du canal cinéma et du canal audiovisuel, en particulier dans la future loi sur l’audiovisuel. C’est fondamental, c’est légitime.
Enfin, il y a un sujet très important et que l’on a trop tendance à sous-estimer : celui du droit moral. Je parlais précédemment de la défense du droit d’auteur ; au sein du droit d’auteur, le droit moral tient une place essentielle. En particulier, la dernière touche, le final cut doit absolument rester au créateur, au réalisateur, et non au producteur ou, a fortiori, à la plateforme.
Voilà quelques beaux combats que nous avons à mener ensemble !
Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Robert.
Mme Sylvie Robert. Les artistes auteurs sont confrontés à un paradoxe de plus en plus saisissant : alors qu’ils jouissent de l’estime et de la reconnaissance de l’ensemble de la société pour leur création, beaucoup se retrouvent dans une situation sociale particulièrement délicate, pour ne pas dire précaire. Ainsi, 41 % d’entre eux ont un revenu équivalent au SMIC, et un artiste-auteur sur cinq vit sous le seuil de pauvreté. En d’autres termes, si l’acte de création est valorisé dans la société, la rémunération qui y est attachée est parfois dérisoire.
Ce décalage affecte bien évidemment les artistes-auteurs qui œuvrent dans le cinéma et l’audiovisuel, notamment les scénaristes. Le pouvoir d’achat de ces professionnels n’est pas diminué seulement du fait d’un moindre revenu, mais également en raison de dispositions particulières liées à leur statut, notamment en matière de cotisations pour la retraite. Le code de la sécurité sociale dispose que, pour les auteurs d’une œuvre audiovisuelle, les producteurs prennent en charge une fraction de la cotisation versée à la caisse de retraite complémentaire, fraction dont le niveau est défini par décret. Or le texte réglementaire est attendu depuis environ deux ans. Ainsi, en l’état, la loi n’est pas pleinement appliquée, et une charge financière pèse sur les auteurs de l’audiovisuel et du cinéma. Cette situation les pénalise grandement et contribue à l’aggravation de leurs conditions de vie. Par ailleurs, les mutations à l’œuvre dans le secteur du cinéma les fragilisent encore davantage.
Par conséquent, nous souhaiterions savoir quand vous entendez publier le décret que j’ai évoqué, monsieur le ministre. Pourriez-vous préciser quelle fraction de la cotisation pour la retraite des auteurs de l’audiovisuel et du cinéma devrait être prise en charge par les producteurs ? Vous avez évoqué la mission que vous avez confiée à M. Racine : cette mission a-t-elle commencé ses travaux et à quelle date son rapport doit-il vous être remis ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Franck Riester, ministre de la culture. Vous avez raison, madame la sénatrice, il s’agit là d’un enjeu essentiel.
Je souhaite faire en sorte que, dans toutes les politiques culturelles de mon ministère, les artistes soient au cœur des priorités. La culture et les politiques culturelles ne peuvent exister sans la création, et partant sans les créateurs, les artistes-auteurs. Or l’évolution de leur secteur d’activité et l’arrivée d’acteurs nouveaux bousculent leur situation financière et sociale, ainsi que leur rapport aux autres acteurs de la filière.
Nous devons donc réfléchir ensemble à des mesures très concrètes, en matière de retraite, de protection sociale, de lutte contre la précarité, mais aussi, plus largement, à la place de l’artiste-auteur dans la société, dans les territoires, dans les quartiers, dans nos vies, dans l’éducation, dans la création artistique. Cette démarche doit s’inscrire dans le temps long. Une société attachée, comme l’est la nôtre, à l’art, à ce ciment social qu’est la culture, doit absolument faire une meilleure place aux artistes-auteurs. Tel est l’objet de la mission prospective de Bruno Racine.
Pour ce qui concerne la question spécifique et éminemment sensible des retraites complémentaires, Agnès Buzyn et moi-même y travaillons avec nos services. Dès que je disposerai des éléments plus précis, je ne manquerai pas d’informer le Sénat.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour la réplique.
Mme Sylvie Robert. Je remercie le ministre de ces propos.
Si j’ai posé cette question, c’est qu’il y a urgence. Elle trouvera vraisemblablement un écho dans cet hémicycle lors de l’examen des prochains projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale. Il faudra y apporter une réponse concrète.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton.
Mme Nicole Duranton. Les films produits par la société Netflix étaient absents du Festival de Cannes de cette année. Cela n’a pas toujours été le cas puisque, en 2017, deux films produits et distribués par cette plateforme de streaming avaient concouru pour la Palme d’or, notamment Okja, de Bong Joon-ho. Le Festival avait alors été surpris que Netflix ne se plie pas à sa règle voulant que tout film sélectionné en compétition officielle sorte en salles en France.
Néanmoins, cette règle est sûrement obsolète et injustifiée, en raison de la transformation du monde de l’image et de la réalité de la consommation des films par les Français. Cette année, ce même Bong Joon-ho, qui ne sortait ses films, jusqu’à présent, que sur Netflix, a fait distribuer Parasite en salles, ce qui lui a permis de concourir à Cannes. Il a même remporté la Palme d’or, ce qui prouve que le mode de diffusion ne détermine pas la valeur d’une œuvre ; un film vaut par sa forme.
Du reste, cette exigence de sortie en salles ne vaut pas pour d’autres rendez-vous internationaux du cinéma, tels que le festival de Berlin ou la Mostra de Venise, qui a d’ailleurs couronné, en 2018, un film distribué par Netflix, Roma. Les dirigeants du Festival de Cannes arguent que Netflix n’est pas accessible à l’ensemble des Français, contrairement aux salles de cinéma, mais l’abonnement à Netflix coûte 11 euros par mois, pour un écran que l’on peut regarder à plusieurs, quand on le souhaite et autant de fois qu’on le veut, alors que le prix d’une place de cinéma peut s’élever à 18 euros. En outre, en province, le maillage des salles est très relâché.
Tout cela fait que l’on s’achemine vers un décalage croissant entre le cinéma subventionné et la réalité de la consommation des films. Netflix est une menace pour le cinéma français, il a dépassé la barre des cinq millions d’abonnés en France, mais, au fond, le cinéma français et la plateforme de streaming sont peut-être complémentaires. Le cinéma français peut-il survivre à l’ère Netflix ?
Monsieur le ministre, que compte faire l’État pour sauver le cinéma français et défendre les exploitants, tout en prenant en compte les nouveaux modes de visionnage et le goût du public ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Franck Riester, ministre de la culture. Défendre les exploitants, madame la sénatrice, c’est d’abord reconnaître que le cinéma n’est pas simplement une œuvre audiovisuelle ; c’est aussi une émotion partagée dans une salle de cinéma. C’est peut-être une nuance entre nous. Je crois que nous devons, nous Français, être porteurs de cette vision du cinéma. Le cinéma, c’est évidemment une œuvre audiovisuelle qui peut être vue dans d’autres lieux de diffusion qu’une salle, mais c’est avant tout une émotion partagée dans une salle de cinéma. C’est une conception qui peut faire consensus chez nous, Français.
Par ailleurs, Netflix a bien sûr la possibilité de sortir des films, à condition d’observer la réglementation française, selon laquelle il faut, dès lors que l’on distribue un film en salles de cinéma, respecter une série de fenêtres de diffusion exclusive : c’est ce que l’on appelle la chronologie des médias. Ce système permet, depuis des années, un financement plus important du cinéma français et la diffusion la plus large possible des œuvres, au travers de différents modes.
Cette chronologie des médias a évolué dans le temps, et encore très récemment à la suite d’une négociation qui a permis de rapprocher les fenêtres de diffusion, notamment pour la vidéo à la demande.
Nous devrons vraisemblablement aller plus loin, mais ne renonçons pas à notre conception du cinéma, à ce dispositif qui permet de compléter le financement des films, et faisons en sorte que les plateformes contribuent davantage au financement et à l’exposition des films. Il sera alors temps de réfléchir à une éventuelle évolution supplémentaire de la chronologie des médias.
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Le CNC et France Télévisions sont les piliers de notre écosystème vertueux. J’ai déjà évoqué le CNC. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous assurer que, au cours des mois qui viennent, notamment lors du débat budgétaire, on ne nous demandera pas une fois de plus d’affaiblir financièrement ce pilier de l’investissement dans la création et le cinéma français qu’est France Télévisions ?
En juillet 2018, le Premier ministre annonçait la fermeture de France 4 pour 2020, provoquant la stupeur générale, puisque personne n’avait, semble-t-il, été consulté, la décision ayant été inspirée directement par Bercy. La BBC, à l’inverse, a conservé une chaîne d’animation offrant aux plus jeunes des contenus de qualité. Si la France bénéficie d’une filière d’animation d’excellence, reconnue comme telle, France 4 n’y est pas pour rien. Elle produit de nombreuses heures de programmes.
Puis une lueur d’espoir est apparue : on nous a indiqué que, peut-être, la fermeture de France 4 serait remise en cause. Pouvez-vous nous en dire plus ? Certes, vous n’êtes pas président de France Télévisions, mais cette entreprise publique a fait ses choix sous la pression de la politique budgétaire du Gouvernement.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Franck Riester, ministre de la culture. Vous avez raison, monsieur Assouline, l’audiovisuel public joue un rôle majeur dans l’investissement dans la création cinématographique et, plus largement, audiovisuelle.
Cela vaut notamment pour France Télévisions et Arte, qui était présente au Festival de Cannes avec des productions remarquables. Ces acteurs de l’audiovisuel public doivent absolument continuer d’investir dans la création cinématographique et audiovisuelle. Cela sera très clairement réaffirmé dans le projet de loi sur l’audiovisuel, parce qu’on ne peut pas concevoir un bon texte sur ce sujet si l’on n’a pas les idées claires sur ce que l’on attend de notre audiovisuel public.
En ce qui concerne France 4, il a été décidé de réduire le nombre de chaînes du bouquet de France Télévisions. Cela ne signifie évidemment pas, s’agissant tant de France 4 que de France Ô, qu’il n’y aura plus d’animation ni de présence des outre-mer sur l’audiovisuel public. Bien au contraire, nous souhaitons que l’animation et l’outre-mer demeurent très présents sur les antennes et sur les supports numériques de France Télévisions. En effet, on le sait, nos compatriotes, notamment les plus jeunes, accèdent de plus en plus aux contenus audiovisuels via internet et les plateformes numériques, et non plus en regardant la télévision dans le salon familial. Nous devons donc adapter les outils de l’audiovisuel public à cette évolution.
Quoi qu’il en soit, le Gouvernement réaffirmera sa volonté en matière de financement, par l’audiovisuel public, de la création cinématographique et audiovisuelle.
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, pour la réplique.
M. David Assouline. Je ne suis pas rassuré par cette réponse. Vous commettez une erreur en pensant que les services en ligne pourront remplacer ces chaînes, y compris pour l’investissement dans la filière de l’animation,…
M. David Assouline. … qui représente 33 % de l’investissement de France Télévisions dans la création audiovisuelle. Cette décision affaiblira, si elle est maintenue, cette filière ; ce n’est pas une bonne chose.
Mme la présidente. La parole est à M. Henri Leroy.
M. Henri Leroy. Monsieur le ministre, le rayonnement international de la France est en partie lié à son offre culturelle unique au monde, vous le savez bien.
Alors même que la France, patrie des frères Lumières et de Georges Méliès, est le berceau du cinéma, cet art majeur et populaire, qui opère la synthèse de tous les arts audiovisuels, ne dispose pas dans notre pays d’un musée d’envergure internationale.
Afin de remédier à cette carence, la mairie de Cannes vient de lancer la création d’un musée international du cinéma et du festival. Une telle démarche est parfaitement légitime pour la ville qui accueille depuis soixante-dix ans le plus grand festival de cinéma et le premier événement culturel du monde.
En outre, Cannes et sa communauté d’agglomération, Cannes Pays de Lérins, ont engagé un ambitieux programme pour devenir le territoire d’excellence de l’économie créative, avec le développement d’une filière complète de l’audiovisuel, incluant la formation de créateurs, la mise en place d’un campus universitaire dédié aux métiers de l’écriture, l’accompagnement d’entreprises du secteur audiovisuel, la création de contenus, la distribution et la diffusion d’œuvres culturelles et l’organisation d’événements afin d’en assurer la promotion.
En matière d’accueil, Cannes est un hub mondial qui reçoit, en son Palais des festivals et des congrès, le Festival de Cannes, bien sûr, mais aussi le Cannes Lions festival, le Marché international des programmes de communication, le MIPCOM, le Marché international des programmes de télévision, le MIPTV, Cannes Séries, le Marché international du disque et de l’édition musicale, le MIDEM, ou encore les NRJ Music Awards. Parallèlement, grâce à une politique volontariste, le nombre de prises de vues et de tournages sur le bassin cannois est passé de 128 en 2015 à 562 en 2018.
En parfaite cohérence avec cette stratégie territoriale axée sur le développement de l’économie créative et audiovisuelle, Cannes se propose d’accueillir toute l’année le cinéma du monde d’hier, d’aujourd’hui et de demain, en hébergeant sur son territoire un musée international du cinéma et du Festival de Cannes.
Soutenir l’institution d’un tel équipement culturel majeur en province montrerait la volonté forte du Gouvernement de conduire une politique affirmée de décentralisation culturelle, comme cela s’est fait avec le Louvre-Lens ou le Centre Pompidou-Metz.
Monsieur le ministre de la culture, quels efforts d’accompagnement l’État est-il prêt à consentir pour permettre à ce projet, lancé par le maire de Cannes, de disposer des ressources, publiques et privées, émanant de l’industrie du cinéma, nécessaires à sa réalisation ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Franck Riester, ministre de la culture. Monsieur le sénateur, vous avez raison de dire que Cannes – et plus largement les Alpes-Maritimes – est un territoire de cinéma, de création audiovisuelle, qui dispose, grâce à la vision très claire de son maire, d’une vraie stratégie en matière de développement culturel, économique et universitaire centré sur le cinéma et l’audiovisuel.
L’État est présent pour accompagner les initiatives des collectivités territoriales. J’ai rencontré David Lisnard, le maire de Cannes, lors d’un de mes passages au Festival. Je lui ai réaffirmé la volonté de l’État de l’accompagner dans sa politique ambitieuse de développement de cette filière cinématographique et audiovisuelle.
J’ai également salué son projet de modernisation du Palais des festivals, propre à permettre au Festival de Cannes de continuer à disposer d’un outil d’exception, pouvant accueillir d’autres événements tout au long de l’année.
Je lui ai dit que son projet global, à la fois universitaire, culturel et économique, autour du cinéma et de l’audiovisuel méritait d’être accompagné par l’État. S’il est encore trop tôt pour dire comment cela se traduira concrètement, je suis résolu à ce que la DRAC, le CNC et toutes les équipes du ministère accompagnent ce territoire qui bouge en matière d’industries culturelles et créatives.
Je tiens également à souligner la belle ambition du maire de Nice, Christian Estrosi, en matière de cinéma, avec les studios de la Victorine. Il y a enfin d’autres beaux projets en Île-de-France et dans les Hauts-de-France.
Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme.
M. François Bonhomme. Monsieur le ministre, je souhaiterais attirer votre attention sur les risques de perte de substance auxquels le cinéma français est exposé.
Si l’on se réfère au bilan de la production cinématographique française pour 2018, publié voilà un peu plus de deux mois par le CNC, 237 films d’initiative française ont été produits au cours de l’année passée. Ce niveau de production semble se confirmer depuis 2015, année record depuis 1952 avec pas moins de 234 films produits.
Bien évidemment, chacun se félicitera de la place du cinéma français dans la création mondiale, soutenue notamment par de nombreuses coproductions internationales. Toutefois, ces records successifs appellent quelques réserves –tout du moins quelques interrogations.
Voilà déjà quinze ans, Jean-Pierre Leclerc, alors conseiller d’État, soulignait « une limite pratique, et non seulement financière, à la production cinématographique française ». On s’interrogeait alors sur le point de savoir si le nombre de films produits, s’établissant à un niveau exceptionnel d’environ 200 pour les années 2001 et 2002, n’avait pas atteint, voire dépassé, un maximum.
La même question se pose encore aujourd’hui : est-il raisonnable de produire 250 ou 300 films par an, sachant que le nombre d’entrées en salles est loin de suivre la même tendance inflationniste ?
En effet, dans son rapport de 2013 sur le financement de la production et de la distribution cinématographiques à l’heure du numérique, René Bonnell soulignait la forte concentration des résultats sur un petit nombre de films, les deux tiers des films français n’atteignant pas le seuil des 100 000 entrées et plus de 47 % attirant moins de 20 000 spectateurs. Il relevait que le nombre des échecs est dix fois plus élevé que celui des succès, le taux de « mortalité commerciale » des films pouvant s’établir entre 80 % et 90 %, selon les semaines. Cette tendance ne s’est pas modifiée depuis 2013.
Monsieur le ministre, il me semble nécessaire de s’interroger pour mieux préparer le cinéma français aux bouleversements systémiques qu’ont déjà soulignés les orateurs précédents. Quelles mesures envisagez-vous de prendre au regard de cette tendance à la surproduction ? Par ailleurs, comment comptez-vous agir pour que l’aide à la production préserve et conforte la singularité et la substance propres au cinéma français ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Franck Riester, ministre de la culture. Vos observations sur le nombre de films produits sont tout à fait légitimes, monsieur le sénateur, mais il s’agit d’un mouvement européen, voire mondial. Techniquement, il est devenu plus facile de faire des films – Claude Lelouch a même tourné un film avec un simple téléphone ! – et le devis moyen baisse, même si des aides restent nécessaires.
Je pense que le nombre de films produits est un faux problème. De toute façon, si l’on entendait le réduire, comment déciderait-on quels films méritent d’être produits ou aidés ? Nous risquerions de porter atteinte au jaillissement créatif que nous souhaitons continuer de soutenir.
En revanche, il faut faire en sorte que les films soient mieux exposés, qu’ils soient diffusés dans plus de salles et qu’ils restent plus longtemps à l’affiche, qu’ils soient disponibles ensuite sur le plus grand nombre de supports possible, notamment sur les différentes plateformes numériques, en France, en Europe et dans le monde.
Nous touchons là à la question de notre stratégie à l’exportation, que nous souhaitons de plus en plus ambitieuse. Le Président de la République nous a d’ailleurs demandé, à Jean-Yves Le Drian, à Bruno Le Maire et à moi-même, de développer l’exportation des industries créatives et culturelles françaises. Cela passe par le recours à un certain nombre d’outils que j’aurai l’occasion de développer dans les semaines qui viennent.
Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Priou.
M. Christophe Priou. Je commencerai par une anecdote qui remonte à une douzaine d’années et devrait faire plaisir à nos amis du groupe CRCE.
Claude Chabrol séjournait régulièrement au Croisic, où il possédait une maison. Comme il ne connaissait pas le parc naturel régional de Brière tout proche, je lui ai proposé de le lui faire visiter. Au cours du déjeuner qui a suivi, auquel j’avais convié, en toute courtoisie républicaine, le regretté maire communiste de Saint-Joachim, Marc Justy, Claude Chabrol nous lança, entre la poire et le fromage, qu’il était centriste, « c’est-à-dire juste à gauche du parti communiste ». Déjà, à l’époque, les lignes bougeaient ! (Sourires.)
Claude Chabrol défendait toutes les formes de cinéma. Or on constate aujourd’hui un écart de plus en plus important entre les films abondamment financés et les petites productions qui ont du mal à boucler leur budget. La puissance publique a encore la faculté de garantir l’exception culturelle française. À ce titre, il serait utile d’améliorer l’intervention du CNC en appui au développement économique de l’industrie du cinéma, et pas seulement au travers d’aides « automatiques » à des films à gros budget. Il serait également utile de cibler les aides pour favoriser l’émergence de nouveaux talents.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Franck Riester, ministre de la culture. Monsieur le sénateur, une politique publique a toujours vocation à être analysée, évaluée et, le cas échéant, réorientée. Ce que vous dites est tout à fait juste : nous devons veiller à ce que les politiques d’accompagnement de la production et de la création cinématographiques n’oublient pas la création émergente, les nouveaux talents.
Or la politique menée en France actuellement le permet. Il n’est que de regarder le nombre de jeunes réalisateurs et réalisatrices français ou francophones sélectionnés, et même primés, lors du dernier Festival de Cannes. Nous assistons à un jaillissement créatif français exceptionnel, avec l’arrivée de toute une nouvelle génération d’artistes, dans sa diversité.
Ce n’est pas le fait du hasard : c’est le fruit d’une tradition française, de la formation dispensée dans les écoles de cinéma, de la politique publique du CNC, de l’accompagnement de la création et du soutien aux talents émergents dans notre pays.
Il faudra sûrement aller plus loin. Comme je l’ai déjà souligné, toutes les politiques publiques doivent être évaluées, pilotées et, si nécessaire, réorientées, en toute transparence avec le Parlement. Nous pourrons, dans les semaines et les mois qui viennent, continuer d’y travailler ensemble, si vous le souhaitez, mais quand on voit la nouvelle génération de réalisateurs français et, plus largement, d’artistes évoluant dans le monde du cinéma, on peut vraiment être fier des dispositifs publics mis en place depuis de nombreuses années !