Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Doineau, pour explication de vote.
Mme Élisabeth Doineau. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, le groupe Union centriste n’est pas non plus favorable à cette motion.
Tout d’abord, sur le fond, il serait dommage de priver le Parlement du débat, alors même qu’un certain nombre d’entre nous regrettent les ordonnances prévues dans le projet de loi, qui réduiront de fait le débat. En effet, l’adoption de la motion tendant à opposer la question préalable nous empêcherait d’échanger sur un certain nombre de sujets.
Ensuite, sur la forme, les deux rapporteurs pour avis de ce projet de loi appartiennent à notre groupe et n’ont pas manifesté le souhait d’interrompre nos débats.
Telles sont les deux raisons pour lesquelles nous ne sommes pas favorables à cette motion.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Arnell, pour explication de vote.
M. Guillaume Arnell. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, fidèle à sa ligne de conduite, le groupe du RDSE est favorable au débat.
Nous sommes opposés à cette motion tendant à opposer la question préalable pour deux raisons essentielles. Tout d’abord, nous serons amenés, au fil de la discussion, à introduire dans le texte des mesures correctives ou additionnelles visant à améliorer le texte. Ensuite, la loi HPST était une loi de droite ; la loi de Marisol Touraine, une loi de gauche. L’efficacité et la réalité n’étant ni d’un côté ni de l’autre, trouvons une voie nouvelle en ouvrant le débat ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 792, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe CRCE.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 126 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 270 |
Pour l’adoption | 16 |
Contre | 254 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Discussion générale (suite)
Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Dominique Théophile. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. Dominique Théophile. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, après plusieurs mois de travail avec tous les acteurs de santé, des heures d’auditions, de débats en commission des affaires sociales, et plus d’une centaine d’amendements adoptés, conformément aux règles de nos institutions, nous continuons aujourd’hui d’examiner, au sein de l’hémicycle, le projet de loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé.
Ce projet de loi est la traduction d’un engagement du Président de la République, tendant à « redonner du souffle à notre système de santé ». Ma Santé 2022 constitue une réponse concrète aux besoins quotidiens des Français en matière d’accès aux soins.
Ainsi, il y a consensus, me semble-t-il, sur le fait que Ma Santé 2022 reste un engagement collectif : c’est le plan de transformation tant attendu de notre système de santé, pour une meilleure organisation des professionnels au bénéfice des patients.
Il s’agit, d’une part, de faire face aux inégalités dans l’accès aux soins, de plus en plus de Français rencontrant des difficultés pour accéder à un médecin dans la journée et étant parfois contraints de se rendre aux urgences par défaut. Il s’agit, d’autre part, de donner corps aux aspirations des professionnels à mieux coopérer entre eux, à disposer de davantage de temps pour soigner leurs patients et à être formés autrement.
À la lecture de ce projet de loi, on peut retenir, me semble-t-il, une dizaine de mesures phares illustrant mes propos liminaires.
La plus emblématique d’entre elles est la suppression du numerus clausus, pour permettre la formation d’un nombre de professionnels de santé répondant aux besoins de nos territoires.
Répondre à l’enjeu de la démographie médicale est indispensable pour notre pays. L’objectif est d’augmenter de 20 % environ le nombre de praticiens formés. Le titre Ier de ce texte vise ainsi à améliorer le parcours de formation des professionnels de santé. On y trouve la réforme du deuxième cycle des études médicales et la suppression des épreuves classantes nationales, pour une orientation tenant mieux compte des compétences et aptitudes des élèves. Par ailleurs, un statut unique de praticien hospitalier est créé. Il est associé à la suppression du concours, pour faciliter l’entrée dans la carrière et diversifier les parcours professionnels.
Outre le décloisonnement des parcours de formation et des carrières des professionnels de santé que je viens d’évoquer, le titre II du texte, en particulier aux articles 7 et 8, fait de la qualité et de la pertinence des soins un enjeu prioritaire.
À l’article 7, un nouvel échelon infrarégional en matière de programmation de l’offre sanitaire et médico-sociale sera institué au niveau législatif par la création des projets territoriaux de santé. C’est un nouvel outil, dont l’objectif est d’assurer une meilleure coordination des actions conduites par les différents acteurs de santé. Les CPTS, les communautés professionnelles territoriales de santé, doivent continuer de se constituer sur l’initiative des acteurs de terrain.
L’ensemble des acteurs de santé que notre groupe a auditionnés ont préconisé une meilleure synergie entre l’hôpital et la médecine de ville. Nous nous réjouissons que cet article réponde à leur recommandation.
À l’article 8, avec notamment la création des hôpitaux de proximité pour les soins du quotidien – médecine, gériatrie et réadaptation –, il s’agit de réviser en profondeur la carte hospitalière.
Les premiers hôpitaux de proximité seront labellisés en 2020, l’objectif étant d’en créer 500 à 600 d’ici à 2022. Ils sont plus que jamais nécessaires, dans un contexte de vieillissement de la population et d’augmentation des maladies chroniques.
Ils assureront des missions hospitalières en médecine polyvalente : soins aux personnes âgées, soins de suite et de réadaptation, consultations de spécialités et consultations non programmées.
Lors de nos entretiens, madame la ministre, vous avez dit que le financement des hôpitaux de proximité serait examiné dans le cadre du futur projet de loi de financement de la sécurité sociale. Seule la gouvernance de ces derniers serait fixée par ordonnance.
Le débat en séance devrait nous permettre de mieux comprendre les intentions du Gouvernement pour ce qui concerne les ordonnances. Je sais, madame la ministre, que vous aurez à cœur de nous répondre.
Ma succincte description des mesures phares de Ma santé 2022 permet d’affirmer légitimement que ce projet de loi s’inscrit dans la perspective d’une santé au plus proche des patients, avec, notamment, la mise en place des parcours de soins.
L’adoption de ce texte permettra de libérer du temps médical, pour un meilleur accès aux soins. Notre système de santé pourra s’appuyer sur de nouveaux métiers, comme ceux des assistants médicaux.
Cela répond concrètement à la demande d’égalité en matière d’accès aux soins. Le projet de loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé permettra à chaque Français d’avoir un médecin traitant, ce qui facilitera l’accès aux soins.
Pour conclure mon analyse de ce texte, j’évoquerai le titre III, qui répond au souhait du Gouvernement de développer le numérique en santé.
Ma Santé 2022 permettra de mettre en place des outils numériques pour les patients et les professionnels : ordonnance électronique, espace numérique de santé et développement de la télésanté.
Ces nouvelles technologies devraient participer à une mise en cohérence et déboucher sur de nouvelles synergies entre professionnels libéraux, hospitaliers et médico-sociaux. Il s’agira de s’assurer de la protection des données de santé de tous les Français à tous les âges de la vie.
Enfin, je ne peux terminer sans évoquer les outre-mer et les enjeux de santé auxquels ils doivent faire face.
Ma Santé 2022, c’est d’abord, pour l’outre-mer, une agence de santé pleinement fonctionnelle à Mayotte. Nous la devons aux Mahorais, afin de gérer au mieux, dans la plus grande proximité, l’organisation des soins dans ce territoire. Notre groupe présentera plusieurs amendements visant à développer l’attractivité du territoire et à désengorger le système de santé local.
C’est ensuite une faculté de médecine de plein exercice aux Antilles. La faculté de médecine des Antilles existe depuis 1988. Elle doit désormais jouer pleinement son rôle dans la formation des futurs médecins de la région. Actuellement, nos étudiants partent vers l’Hexagone à partir de la quatrième année afin de poursuivre leur parcours.
C’est enfin le règlement de la situation des praticiens à diplôme hors Union européenne, qui fait l’objet de l’article 21, lequel a été complété par l’article 21 bis issu d’un amendement du rapporteur. À ce titre, nous défendrons un amendement visant à améliorer le dispositif de l’article 21 bis en outre-mer. J’espère que vous serez, mes chers collègues, sensibles à l’appel des Ultramarins sur cette question.
Vous l’aurez compris, ce projet de loi est important pour l’ensemble des Français. Nous serons ainsi présents et attentifs au cours des débats, et force de propositions à vos côtés. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, à l’heure où je vous parle, aux quatre coins de la France, de nombreux personnels de santé, en particulier des services d’urgence, sont devant leur hôpital pour dénoncer les plans de réorganisation liés à vos orientations budgétaires : ils ne veulent plus se taire face à l’inhumanité du soin.
Tel sera le cas demain, à Boulogne, où les personnels de santé dénonceront les départs à la retraite non remplacés et les contrats non renouvelés. Lorsque ce n’est pas pour ces raisons qu’ils font grève, madame la ministre, c’est pour d’autres, telles que la suppression de services ou de lits, des conditions de travail dégradées ou un manque de matériel. Une telle situation aboutit à la démission d’infirmières et de médecins dans les hôpitaux publics.
Pendant ce temps, vous faites le choix du maintien de la compression des dépenses de santé, à tel point que l’on parle aujourd’hui de cure d’austérité, alors qu’il faudrait un véritable plan d’urgence. Vous faites le choix de la rigueur plutôt que celui de l’amélioration des conditions de travail, amélioration nécessaire pour assurer la sécurité et le soin des patients. Bref, vous faites le choix de l’austérité financière plutôt que celui de l’humain.
Je reviendrai pour ma part sur trois points du projet de loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé.
S’agissant de la réforme des études de santé, le texte prévoit la suppression du numerus clausus, la fin de la première année commune aux études de santé, la Paces, et la fin des ECN, les épreuves classantes nationales. Nous sommes satisfaits d’avoir été entendus et rejoints par d’autres collègues sur ce point.
Je souhaite simplement vous lire un extrait des débats qui s’étaient tenus le 21 juin 1971 à l’Assemblée nationale, et auxquels vous avez fait référence. Face à la proposition du ministre de l’éducation nationale Olivier Guichard d’instaurer la sélection en médecine, le député communiste Paul Cermolacce répondait ceci : « Nous proposons un plan d’urgence et de rattrapage pour l’amélioration de la formation des étudiants en médecine comprenant notamment la construction rapide des CHU pour la région parisienne et des CHR en province, le déblocage des crédits et des postes pour le développement du cycle d’enseignement et la mise en place d’un plan de construction d’urgence de lits hospitaliers publics. »
Presque cinquante ans plus tard, les faits nous donnent malheureusement raison. La fin du numerus clausus constitue donc à nos yeux une véritable avancée. Toutefois, nous craignons qu’il ne soit remplacé par des quotas régionaux fixés par les facultés de médecine et les ARS.
Pour augmenter le nombre d’étudiantes et d’étudiants formés, il faut augmenter les moyens des universités consacrés à l’enseignement et les capacités d’accueil en stages, je vous avais d’ailleurs interpellée sur ce sujet, madame la ministre. Il ne faudra pas que le futur décret remplace l’évaluation par d’autres critères de sélection.
Concernant les mesures pour lutter contre les déserts médicaux, vous prévoyez de favoriser le cumul emploi-retraite des médecins en diminuant les cotisations complémentaires. Sans compensation financière de l’État, une telle diminution des cotisations pourrait affecter les comptes des retraites.
La commission des affaires sociales a adopté un amendement visant à exonérer les praticiens exerçant en zones sous-denses, alors qu’il existe déjà des exonérations fiscales et sociales sans effet sur l’installation. Ces nouveaux dispositifs d’incitation ne changeront rien à la situation.
La priorité devrait être de revitaliser les territoires, pour les rendre attractifs pour les jeunes médecins, en y laissant les services publics que votre gouvernement supprime à tour de bras. Nous le savons, de nombreux jeunes professionnels ne souhaitent plus travailler seuls 24 heures sur 24. Ils aspirent à une vie de famille et aux loisirs, ce qui est légitime. Développer des centres de santé pluridisciplinaires avec des médecins salariés peut constituer l’une des solutions. Il convient également de refondre les contrats d’engagement, afin de les rendre réellement attractifs, conformément aux souhaits des étudiants.
Concernant l’organisation de la santé dans les territoires, les GHT, les groupements hospitaliers de territoire, sont devenus, depuis leur création en 2016, des outils de restructuration hospitalière et de concentration des moyens hospitaliers, soit de véritables mastodontes qui se sont développés au détriment des petits hôpitaux. Trop souvent, les plans de retour à l’équilibre s’enchaînent, mais les GHT ne servent qu’à partager les difficultés, sans augmentation des moyens alloués.
Le texte tend à accélérer le processus en mutualisant, entre établissements, les ressources humaines des professions médicales, pharmaceutiques et des sages-femmes. Alors que la fusion de la trésorerie et des fonctions support est encore facultative, elle constituera la prochaine étape.
Pour conserver leurs effectifs, les établissements publics de santé appartenant au GHT se trouvent en concurrence et doivent gagner des « parts de marché ». On se croirait dans une entreprise privée ! Pourtant, il s’agit de vies humaines. Votre gouvernement applique sa politique libérale à notre système de santé. Pour notre part, nous défendrons une autre logique, car la santé n’a pas de prix. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Jomier. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Bernard Jomier. Madame la présidente, mes chers collègues, deux ans après votre prise de fonction, madame la ministre, vous avez choisi de nous présenter une loi non pas de santé, mais d’organisation du système de soins.
D’aucuns y voient la marque d’un pragmatisme qui choisit de s’attaquer à un système de soins de moins en moins adapté aux défis sanitaires de notre temps, sans mettre en scène un débat théologique. D’autres soulignent le manque d’ambition du texte, son côté patchwork, et posent une question : cette loi est-elle de nature à apporter des réponses aux grandes questions de santé publique ? Est-elle à la hauteur des défis ? Aux uns et aux autres, l’avenir répondra.
Beaucoup, en tout cas, constatent que vous présentez une loi aux contours flous et au contenu flouté par un recours massif aux ordonnances.
L’instauration de l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie, l’Ondam, en 1996, avait renforcé la légitimité du Parlement en matière de politique de santé. Avec ce texte, vous procédez comme jamais à une dépossession parlementaire. Nous ne mettons pas ici en cause le principe du recours aux ordonnances, légitime lorsque technicité et concertation se conjuguent. Mais nous rejetons la prétention d’un exécutif qui s’attribue une question aussi fortement politique que la carte de l’offre de soins par la conjugaison des ordonnances prévues aux articles 8 et 9. Les hôpitaux de proximité et l’ensemble des autorisations de soins sont des sujets majeurs, politiques avant d’être réglementaires.
Nous souscrivons volontiers au principe de gradation et de meilleure répartition territoriale. Mais il convient de ne pas marginaliser le Parlement, ce qui irait à rebours de l’évolution politique des dernières années, la santé ayant progressivement dépassé son statut de première préoccupation personnelle des Français pour devenir un sujet de débat collectif, sociétal et politique. Le Sénat devra s’opposer, concernant la santé, à cette conception régressive du débat démocratique.
Nous accueillons avec intérêt votre volonté de modifier le mode de sélection des étudiants se destinant aux professions de santé. Nous pensons à eux, parce que le gâchis humain actuel doit cesser. Mais nous savons que c’est le second cycle qui est déterminant dans la construction des représentations professionnelles et, donc, dans le devenir des étudiants. Nous approuvons également la suppression du verrou final, les ECN, qui perturbent ce second cycle. Mais nous restons insatisfaits, ces deux seules mesures d’entrée et de sortie n’étant pas accompagnées d’une évolution concernant le contenu du second cycle. Nombre d’amendements ont été déposés par mes collègues sur ce sujet, ce qui confirme l’insatisfaction qu’il provoque.
Madame la ministre, la désertification médicale, vous le savez, a des conséquences désastreuses pour nos compatriotes qui ne peuvent accéder aux soins dans des conditions satisfaisantes. Cela nous impose d’agir, je reviendrai sur ce point.
En outre, nous constatons que, sous la pression de la pénurie, les fondements de notre organisation des soins et du partage des tâches sont mis en question.
Soyons clairs. Oui, le partage des tâches doit aller plus loin qu’aujourd’hui. Des professionnels de santé sont sous-valorisés et sous-utilisés, alors qu’ils ont la compétence pour mieux contribuer aux parcours de soins et mieux articuler le sanitaire et le médico-social. Il nous faut trouver le bon équilibre : mieux les reconnaître et mieux prendre en compte leurs savoirs et leurs savoir-faire, sans méconnaître la nécessaire délimitation entre les fonctions de diagnostic, de soin et de délivrance des produits de santé. Le confusionnisme qui se répand ne constitue une réponse satisfaisante ni pour les professionnels ni pour les usagers. À cet égard, le texte transmis par l’Assemblée nationale n’a pas atteint un équilibre satisfaisant.
Le numérique dans le domaine de la santé, riche de progrès et d’innovations, est exposé aux mêmes dérives : il est un complément, une composante utile, au parcours de soins. Mais prenons garde à ce qu’il n’engendre pas un système de soins injuste, où certains verraient un médecin en face d’eux tandis que d’autres n’auraient droit qu’à un professionnel de santé derrière un écran. Je vous laisse deviner quels habitants de quels territoires auraient accès à telle ou telle solution. La même interrogation s’applique aux origines et aux classes sociales. Le numérique n’est pas un pis-aller à la désertification médicale. Il ne doit pas être à l’origine d’une médecine à deux vitesses.
Nous devons donc affronter plus volontairement la question de la désertification. Ce projet de loi, vous en conviendrez, serait entaché s’il ne marquait pas un nouveau volontarisme en la matière.
Les mesures incitatives produisent des effets, mais trop lentement. Quant au conventionnement sélectif, il produirait à coup sûr des effets collatéraux qui en feraient un remède peut-être pire que le mal.
Nous avons donc proposé à nos collègues de la majorité sénatoriale et de l’ensemble des groupes, qui ont accepté, de travailler ensemble à une solution. Je salue leur ouverture et leur sagesse. Il s’agit de mettre en œuvre au plus vite l’année de professionnalisation des IMG, les internes de médecine générale, dans les territoires. Cette année est déjà prévue par l’harmonisation européenne des cursus et un arrêté datant de 2017.
La mesure aurait un effet important et déterminant en termes d’attribution de temps médical, là où les besoins sont les plus importants, à un horizon singulièrement raccourci de trois ans. Elle est de nature à résoudre, en complément des dispositifs existants, la question qui nous est posée.
Madame la ministre, sur bien des sujets, votre projet de loi ouvre des pistes intéressantes. Oui, le statut des praticiens hospitaliers, les PH, doit être réformé. Oui, nous devons mieux accueillir les praticiens à diplôme hors Union européenne. Oui, l’espace numérique de santé est un défi enthousiasmant.
Nous constatons seulement que ce projet a insuffisamment mûri et qu’il gagnerait à un travail plus approfondi. Ce n’est pas un hasard si la procédure parlementaire normale prévoit deux lectures dans chaque assemblée. Mais votre gouvernement veut aller trop vite. Une bonne loi prend du temps, et vous ne prenez pas ce temps.
La loi HPST mérite, au vu de ses résultats, que des correctifs lui soient apportés. Alors que la loi de 2016, qui n’est pas encore pleinement entrée en application, n’a pas non plus été évaluée, vous invoquez l’urgence à légiférer. Nous sommes les champions en la matière, mais nous avons du mal à attribuer les moyens que ces lois requièrent. Ainsi ce projet ne manque-t-il pas d’engagements dont le financement ne paraît pas assuré.
Le texte qui sera adopté par le Sénat sera, nous l’espérons et nous y travaillons, amélioré. Nous nous prononcerons en fonction des résultats auxquels nous parviendrons.
À vous, madame la ministre, qui nous présentez une copie bien trop blanche, et qui de ce fait transformez le vote d’une loi en une question de confiance, je voudrais dire que vos propos et vos actes durant ce débat seront pour nous déterminants. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Arnell.
M. Guillaume Arnell. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, depuis une dizaine d’années, de nombreux textes relatifs à notre système de santé ont été examinés par le Parlement. Tous sans exception ont dressé un diagnostic extrêmement précis et pertinent de la situation.
Je pense notamment à la loi Hôpital, patients, santé et territoires du 21 juillet 2009 ou, plus récemment, à la loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016. Le bilan dressé voilà dix ans est malheureusement toujours d’actualité. Il faut bien le reconnaître, aucune de ces grandes lois n’a réussi à réformer en profondeur l’organisation de la santé dans notre pays, si bien que, trois ans après la loi Touraine, vous nous proposez, madame la ministre, un nouveau texte.
En effet, si notre système de santé est depuis longtemps reconnu pour être globalement performant et efficace, par rapport à ce qui existe chez nos voisins, il se heurte à de nombreuses difficultés et doit plus que jamais s’adapter aux enjeux actuels. Vous l’avez rappelé : « Nous sommes confrontés à un système trop cloisonné – entre ville, hôpital, médico-social, ou entre public et privé, entre professionnels de santé eux-mêmes – mettant insuffisamment en valeur la fluidité des parcours, la coordination entre professionnels, la qualité et la prévention. »
Par ailleurs, l’accès aux soins s’est complexifié en raison notamment de la métropolisation et de l’évolution des mentalités. Les jeunes médecins ne veulent plus exercer leur métier de la même manière que leurs prédécesseurs. Ils veulent plus de liberté et plus de loisirs, et souhaitent trouver un équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Le médecin généraliste, c’était autrefois un homme et sa femme, qui était son assistante ; c’était un projet de couple. Aujourd’hui, les médecins doivent prendre en compte, dans le choix de leur lieu d’exercice, les possibilités d’emploi offertes à leur conjoint, ce qui rend difficile l’installation dans certaines zones. Le système doit donc nécessairement prendre en considération ces nouvelles pratiques.
Aussi, madame la ministre, deux questions s’imposent tout naturellement aujourd’hui : comment le texte que vous nous présentez pourra-t-il corriger les insuffisances des précédentes lois et quelles voies nouvelles explore-t-il ?
Nous le savons bien, une réforme d’envergure ne peut se faire sans la mobilisation de moyens humains et financiers correspondants. Nous ne pouvons que le regretter, ce projet de loi n’aborde pas cette question pourtant essentielle. Nous attendons avec impatience l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020.
Nous déplorons également que plusieurs modifications législatives prennent la forme d’habilitations à légiférer par voie d’ordonnances. Madame la ministre, vous connaissez l’attachement du Sénat, et tout particulièrement du RDSE, au débat parlementaire ! J’ai déjà eu l’occasion de le dire dans cet hémicycle : les ordonnances constituent une forme de législation déléguée qui affaiblit le rôle du Parlement. Et, dans le climat actuel de défiance à l’égard de nos institutions, un tel affaiblissement n’est pas souhaitable.
Certes, lors de votre audition, vous vous êtes engagée à venir présenter chacune des ordonnances devant notre commission et à réaliser une étude d’impact. Mais, en définitive, vous nous privez de participer à l’écriture de dispositions importantes.
Pour autant, ce texte comporte de nombreuses avancées que nous tenons à saluer.
Je pense évidemment à la réforme des études médicales, et notamment à la suppression, attendue par tous, du numerus clausus, même si nous savons que le nombre d’étudiants admis en deuxième année dépendra en partie des capacités d’accueil des universités. Celles-ci auront-elles les moyens de former les 20 % supplémentaires de praticiens que vous escomptez ?
Vous supprimez également la Paces, qui favorise le bachotage et déshumanise les étudiants, ainsi que les épreuves classantes nationales. C’est une très bonne chose.
Les mesures proposées permettront par ailleurs de privilégier la diversité des profils et de prendre en compte, outre les connaissances des étudiants, leurs expériences et leur projet professionnel.
Nous approuvons également la réforme du statut de praticien hospitalier, même si celle-ci relève, là encore, d’une ordonnance. Je me félicite toutefois de la précision apportée par notre président-rapporteur quant à l’encadrement des écarts de rémunération entre les personnels titulaires et les personnels contractuels. Un tel encadrement permettra peut-être de mieux lutter contre le recours à l’intérim médical, sujet sur lequel je vous sais, madame la ministre, particulièrement impliquée.
S’agissant du volet relatif à l’organisation territoriale de la santé, nous saluons l’instauration du projet territorial de santé, qui devrait permettre une véritable coopération entre les professionnels de ville, l’hôpital et le secteur médico-social, et une meilleure coordination de l’offre de soins.
Nous sommes en revanche plus circonspects au sujet des hôpitaux de proximité, conçus comme le pivot de l’offre de soins sur les territoires. Il est en effet regrettable que le projet de loi, sur un sujet aussi sensible, renvoie en grande partie à une ordonnance, d’autant que, dans nos territoires, l’inquiétude est grande. Ces hôpitaux devront renoncer à leurs plateaux techniques, ce qui signifie la fin de la chirurgie et de l’obstétrique. Or la fermeture de services de maternité, dans certaines zones rurales notamment, risquerait d’aggraver la désertification médicale et l’absence d’attractivité de ces territoires, qui sont les plus isolés.
Madame la ministre, vous avez déclaré que votre priorité était de tout faire pour répondre à l’angoisse de la désertification médicale, dont il faut rappeler qu’elle ne concerne pas uniquement le milieu rural. Plusieurs mesures vont dans ce sens : outre la « suppression » du numerus clausus, vous prévoyez notamment d’étendre le dispositif de médecin adjoint aux zones sous-denses et d’attribuer de nouvelles tâches aux pharmaciens, aux infirmiers et aux sages-femmes.
Si ces mesures sont satisfaisantes, certains sénateurs du RDSE déplorent l’absence de mesures permettant la régulation de l’installation des médecins dans les territoires. Nous craignons en effet que la seule incitation financière à l’installation de jeunes médecins ne suffise pas à résoudre le problème de la désertification médicale.
S’agissant enfin des Padhue, la clarification des règles va dans le bon sens. Néanmoins, de par leur positionnement géographique, certains territoires de la République doivent pouvoir facilement recruter des professionnels ressortissants de pays voisins. Tel est l’objet de l’article 21 bis, qui étend à la Guadeloupe et à la Martinique un dispositif existant déjà en Guyane. J’ai d’ailleurs déposé un amendement dont l’objet est son extension à mon territoire, Saint-Martin.
Madame la ministre, le monde médical et nos concitoyens attendent beaucoup de ce projet de loi. J’espère que nos débats permettront de répondre à leurs aspirations. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Mme Élisabeth Doineau, M. Jean-François Longeot, rapporteur pour avis, et M. Franck Menonville applaudissent également.)